Le scénariste et la poupée de souvenirs automatiques
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Traduction : Raitei
Correction : Nova
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Roswell était une ville située en pleine nature, en contrebas de hautes montagnes. Pour les plus fortunés, Roswell était l’endroit idéal pour des vacances d’été. Cette ville regorgeait de chalets, de villas et de maisons de vacances. Au printemps, les paysages sont parsemés de fleurs en éclosion pour le plaisir des yeux. En été, la ville attire les randonneurs qui dans les moments de répit, se posent près de la cascade bien connue des environs. En automne, la pluie de feuilles adoucit les cœurs, laissant le calme envahir l’espace en hiver. Chaque saison est différente et a son charme ce qui ne laisse pas indifférent les touristes venant à tous les moments de l’année.
Les maisons de vacances petites ou grandes formaient un groupe hétérogène au niveau de la toiture en bois. Le coût d’un terrain n’était pas donné et être propriétaire d’une maison à Roswell était suffisant pour exhiber son influence. Au cœur de la ville, il y avait une grande avenue commerciale où s’étendaient à perte de vue les boutiques et où s’agglutinait une foule de touristes. Durant les vacances, cet endroit était plus que bondé ce qui provoquait une cacophonie typique des villes animées avec le méli-mélo d’humeurs exulté par chaque individu. Les produits vendus n’avaient pas à rougir de ceux d’autres villes si on prenait en compte son isolement.
La plupart des résidents de Roswell avaient cherché la facilité en construisant leurs villas en plein centre-ville. Le cas échéant, leur résidence était un peu excentrée. C’était maintenant l’automne à Roswell. On pouvait apercevoir des cirrocumulus flotter dans le ciel. Loin des contreforts, il y avait un petit lac, presque oublié du long circuit touristique de la ville. Un petit chalet s’y tenait tout près.
Si nous voulions être gentils, nous aurions pu décrire cette maison comme vintage avec une façade distinguée. Pour des yeux exigeants, la maison aurait été en proie à l’abandon. Il fallait tout d’abord passer sous ses portes voûtées dont la blancheur fut préservée uniquement grâce aux rayons du soleil. De là, un court sentier menait à un jardin enfoui dans des herbes et des fleurs à l’identité inconnue. À la fin du chemin, la maison apparaissait.
Les murs de briques rouges étaient dans un tel état que l’on pouvait logiquement conclure que le propriétaire n’avait aucune intention de les remettre à neuf. Une tuile du toit était là, fendue, alors autrefois elle siégeait de façon bien ordonnée. Elle est maintenant éclatée. Tout juste à côté de l’entrée, les vignes s’étaient enroulées autour d’une balançoire, s’assurant qu’elle ne remplirait plus sa fonction. C’était à la fois la preuve qu’il y avait un enfant autrefois et que ce dernier était parti.
Le propriétaire de la maison était un homme dans la force de l’âge et s’appelait Oscar. C’était un scénariste travaillant sans la prétention d’avoir un nom de plume. Ses cheveux étaient roux bouclés, et ses lunettes à monture noire pouvaient difficilement contenir les lentilles épaisses dont elles avaient été chargées. Le dos d’Oscar était légèrement voûté, mais son visage était frais, lui donnant un air dynamique qui masquerait presque son vrai âge. Sensible au froid, il ne se baladait jamais sans pull. Oscar était donc un homme banal, qui semblait ne pas avoir l’étoffe d’un héros d’histoire. Pour Oscar, cet endroit n’était pas une villa, car il considérait Roswell comme sa maison. C’était seulement la demeure où il avait vécu. Elle a été construite pour loger sa personne, sa femme et sa jeune fille. Les chambres étaient déjà assez spacieuses pour trois personnes, mais maintenant qu’il était seul, l’immensité de l’espace se faisait encore plus ressentir. En effet, sa femme et sa fille n’étaient plus de ce monde. Sa femme avait succombé à une maladie dont le nom était si tortueux qu’il était difficile de s’en souvenir. Pour le dire simplement, son sang avait coagulé dans ses veines et en a obstrué les parois. La mort a été rapide. C’était malheureusement héréditaire et son père avait subi le même sort.
Oscar savait que sa femme était orpheline. Il l’avait déjà entendue se plaindre sur les nombreux décès précoces dans sa famille. Mais ce n’était qu’après sa mort qu’il eut compris la vraie raison de cela. Durant l’enterrement, son ami proche s’était confié à lui. « Elle avait peur. Elle pensait que si on le savait, personne ne voudrait l’épouser. Alors, elle l’a caché ». Lorsque les mots survinrent aux oreilles d’Oscar, une seule pensée traversa son esprit :
—pourquoi ?
–Pourquoi ? Pourquoi ? Pourquoi ?!
–Tu n’avais qu’à me le dire ! Tu aurais pu au moins partager quelque chose avec moi !
–Il y a tellement de choses que nous aurions pu faire ! Nous aurions pu chercher ensemble un remède. Nous avions assez d’argent pour en lancer un !
Il était clair que la femme d’Oscar ne l’avait pas épousé pour son argent. Ils s’étaient rencontrés avant de mettre son métier de scénariste en pause. Elle était bibliothécaire dans la bibliothèque qu’il fréquentait. Ce fut Oscar lui-même qui avait commencé à avoir des vues sur elles.
–Comme elle est jolie, pensa-t-il.
Et elle en plus est responsable du rayon des nouveautés. Il y a toujours de bons livres à prendre là-bas !
Comme il fut tombé amoureux de ses livres, il tomba amoureux d’elle.
« Pourquoi ? » La question raisonna quelques centaines de millions de fois avant de disparaitre une bonne fois pour toutes dans les méandres de son esprit. L’amie de sa femme était une femme accomplie. Tandis que le cœur d’Oscar vacillait suite à la perte de sa bien-aimée, elle travailla sans relâche pour s’occuper de leur jeune fille qui avait été confiée aux seuls soins de son père. Livré à lui-même, il errait toute la journée sans manger. C’est ainsi qu’elle venait apporter de la nourriture chaude à leur domicile. La jeune fille sanglotait, car la disparition de sa mère était toujours là. La femme s’assit à ses côtés, tout en lui attachant doucement les cheveux de la petite en tresses, comme le faisait sa mère auparavant. Peut-être qu’il y eut pendant un bref instant une étincelle d’amour entre Oscar et cette femme. Tard dans la nuit, la fille d’Oscar tomba malade et fut prise de fièvre et de vomissements incontrôlés. La femme transporta sans attendre la jeune fille à l’hôpital et apprit ainsi avant Oscar qu’elle était atteinte de cette même maladie. De là, la maladie progressa petit à petit. Mais pour Oscar, tout allait bien trop vite.
Décidé à ne pas ce que la même tragédie se reproduise Oscar partit à la recherche des meilleurs médecins. Lui et sa fille sillonnèrent beaucoup de grands hôpitaux et il n’hésita pas à implorer chaque spécialiste rencontré. Il réussit à obtenir grâce à sa détermination une information sur un nouveau traitement expérimental. Il alla au bout de la démarche. Mais des effets indésirables ne tardèrent pas à se manifester. Sa fille hurlait de douleur à chaque médication ce qui au fil du temps ne laissa pas imperturbable son père ne pouvant plus supporter de voir ce spectacle. Le nouveau traitement semblait ne pas améliorer sa condition et les médecins décidèrent que sa fille fut une cause perdue. Ils l’abandonnèrent ainsi à son propre sort.
Oscar était rongé par l’idée absurde que sa défunte épouse attirait leur fille dans l’autre monde. Il partit sur sa tombe et hurla : ne me la prends pas !!!
Mais les morts ne parlent pas…
Oscar était sur le point de flancher, mais ce fut étonnamment l’amie de sa femme qui ouvrit le bal. Elle était épuisée par les interminables lamentations de la jeune fille à l’article de la mort et elle apparaissait de moins en moins souvent à l’hôpital jusqu’à cesser finalement de venir. Oscar et sa fille étaient maintenant vraiment livrés à eux-mêmes. Les nombreux médicaments de la jeune fille l’avaient rendue squelettique. Sa peau autrefois laiteuse était maintenant jaunâtre et ses joues jadis roses, pâlissaient. Ses cheveux soyeux tombaient petit à petit et Oscar ne pouvait plus supporter ce spectacle. Après avoir sans cesse posé des questions stériles aux médecins, il céda finalement. Sa fille continuerait à prendre des analgésiques, seule, mais tous les autres traitements furent stoppés. Oscar se prit la résolution que le peu de temps qu’il restait à sa fille ne devait pas s’écouler dans la souffrance. Le moment suivant fut paisible. Ils passèrent des jours heureux ensemble. Il avait vu sa fille sourire pour la première fois depuis des mois et c’est ainsi que s’écoulèrent leurs derniers jours de sérénité. Ce fut lors d’un jour d’automne radieux qu’elle rendit l’âme. Malgré l’ambiance maussade, le ciel était dégagé et brillait d’un bleu éclatant. De la fenêtre, on pouvait apercevoir des arbres banals tout de rouge et de jaune vêtus. Une fontaine se trouvait dans l’enceinte de l’hôpital, offrant un petit havre de repos pour les malades. Des feuilles fraichement tombées flottaient discrètement dans la piscine.
Chaque feuille tombée dans l’eau dérivait seule jusqu’à échouer à proximité d’un amas qui se formait. Maintenant, elles flottaient en groupe, sans but. Les feuilles étaient comme attirées par un aimant et bien qu’elles fussent en fin de vie, subissant de plein fouet leur sort saisonnier, elles présentèrent une belle synchronisation.
Assistant au spectacle, la fille s’exprima.
— Comme c’est joli ! La clarté de cette eau bleue et le regroupement de ces feuilles de différentes couleurs, c’est magnifique père ! Pensez-vous que si une personne marchait sur ces feuilles, elle pourrait traverser l’étang sans tomber ?
Ah, l’innocence d’un enfant…malgré la gravité de la situation et le poids que portait Oscar sur les épaules, ce dernier joua le jeu.
— Et si tu tenais un parapluie ma douce, tu pourrais peut-être utiliser le vent pour flotter au-dessus. Qui sait ?
Tout ce qu’il souhaitait c’était de pouvoir gâter sa frêle progéniture autant que possible. À ses mots, les yeux de sa fille brillèrent…
— Oui ! C’est ce que je vais faire. Comme ça je pourrai danser sur l’eau pour vous un jour, sur le lac, près de notre maison qui est dorénavant si éloignée. Il faudra que cela soit en automne afin que les feuilles puissent dériver sur l’eau !
Peu de temps après, elle fut prise d’une quinte de toux. Elle toussa une fois puis d’eux et enfin plusieurs fois jusqu’à ce que le silence reprenne ses droits. Son existence s’évapora en un rien de temps.
Elle s’éteignit à l’âge de neuf ans.
Lorsqu’Oscar enveloppa ses bras autour de son corps sans vie, il fut frappé par sa légèreté. Ce fut trop léger, même pour un cadavre. Avait-elle déjà été en vie ? Avait-il fait un long rêve ? Les larmes commencèrent à couler. La fille fut enterrée aux côtés de sa mère et Oscar retourna à leur maison. Maison qu’il avait construite pour que l’on y vive à trois. Il commença ainsi une vie de solitude s’enfermant dans un mutisme complet. Oscar avait assez de moyens financiers pour vivre sans travailler. Il percevait des royalties à chaque fois que ses scripts étaient utilisés. Il ne pouvait souffrir ni de faim ni de pauvreté.
Après plusieurs années de deuil, une connaissance du monde professionnel perdue de longue date renoua le contact avec lui. Allait-il s’essayer à un nouveau scénario ? C’était une demande d’une illustre troupe de théâtre que tout comédien digne de ce nom rêverait d’intégrer.
Pour Oscar, dont les travaux étaient reconnus, mais qui n’avait plus rien produit depuis un bon moment, c’était un honneur que d’être sollicité. Il avait passé tellement de jours à se languir dans la paresse et à se noyer dans la tristesse et l’apitoiement. Mais l’Homme fatigue. Que ce soit une situation de bonheur ou de tristesse, il n’était pas taillé pour vivre cela seul pour le restant de ses jours. Oscar accepta ainsi le travail dans une seconde lettre, déterminé à redégainer sa plume. Mais ce ne fut que le début des problèmes. Pour échapper à sa dure réalité, Oscar se noya dans la boisson. Pour couronner le tout, il prit en parallèle des médicaments afin d’avoir des pensées heureuses au moins dans ses rêves. Avec l’aide de son médecin, il réussit à surmonter son addiction à la boisson et aux médicaments, mais les séquelles se firent ressentir sur ses mains qui furent condamnées à trembler.
Ses efforts pour aller de l’avant semblaient désespérés que ce soit en écrivant sur un papier ou bien en tapant sur une machine. Il avait l’inspiration et les mots en tête, mais il n’arrivait pas à produire quoi que ce soit. Il se tourna une fois de plus vers sa connaissance pour lui demander conseil.
— Je sais ce dont tu as besoin. Il te faut une poupée de souvenirs automatiques.
— Qu’est-ce que c’est ?
— Ah, mon ami, tu t’es isolé du monde trop longtemps. Je m’inquiète pour toi. Qui ne sait pas à notre époque ce qu’est une poupée de souvenirs automatiques ? Tu peux même en louer les services. En plus, ça ne coûte presque rien. Je t’en enverrai une pour que tu essaies !
— Je vais obtenir l’aide d’une poupée ?
— Hah ! Ce n’est pas n’importe quelle poupée. Tu risques d’être surpris l’ami !
Et c’est ainsi qu’Oscar découvrit une toute nouvelle approche de l’écriture. Le début des aventures d’Oscar et de la poupée de souvenirs automatiques ne faisait que commencer.
Une femme gravit la route de montagne. Ses cheveux souples et tressés étaient retenus par un ruban rouge foncé, tandis que son corps mince était enfermé dans une robe à ruban d’un blanc immaculé.
Sa jupe de soie plissée oscillait gracieusement tandis qu’elle marchait avec un bijou d’émeraude scintillant apposé sur sa poitrine. La veste qu’elle portait par-dessus la robe était d’un bleu de Prusse bien contrasté. Ses longues bottes en cuir, portées pour le confort, étaient d’un brun cacao profond. Tenant un lourd bagage à roulette trolley, elle se fraya un chemin à travers l’arche blanche de la maison d’Oscar. Dès le moment où elle entra dans la cour de la maison, une brise de vent d’automne souffla bruyamment. Des feuilles rouges, jaunes et brunes dansaient autour d’elle. Probablement à cause du rideau de feuilles, sa vue fut momentanément troublée. La jeune femme tenait fermement sa broche et murmura quelque chose dont le son fut camouflé par le déluge assourdissant des feuilles.
Alors que le vent malicieux se calma et que l’atmosphère de sérénité de la jeune femme avait disparu, sans aucune hésitation, elle appuya sur la sonnette avec son gant noir. La sonnette fit un bruit tellement strident qu’on aurait dit un cri qui surgissait des bas-fonds d’on ne sait où. Après de longues secondes, la porte s’ouvrit, laissant découvrir le propriétaire de la maison, Oscar, avec sa chevelure rousse. Il portait des vêtements totalement froissés et dépareillés comme s’il venait tout juste de se réveiller. Oscar fut perplexe alors qu’il observait la jeune femme. Était-ce à cause de sa robe élaborée ou bien parce qu’elle était séduisante ? En tout cas, il dut prendre une profonde respiration.
— Vous êtes une poupée de souvenirs automatiques ?
— En effet. J’interviens partout où mon client le désire. Je suis Violet Evergarden, du service des poupées de souvenirs automatiques. La jeune blonde aux yeux bleus, d’une beauté ahurissante digne d’un conte de fées répondit d’une voix monotone sans même un sourire forcé.
Violet Evergarden était peu enthousiaste et charmante à la fois ce qui faisait d’elle une poupée à part. Ses iris bleus, partiellement recouverts de mèches dorées, brillaient comme l’océan, avec des joues d’une couleur semblable à celle des fleurs de cerisier qui contrastait avec sa peau de lait d’une pâle blancheur et ses lèvres d’un rouge brillant.
Elle était aussi claire que la pleine lune, une vraie œuvre d’art. Si ce n’était pour ses clignements d’yeux, on aurait pu facilement l’exposer dans une galerie. Oscar ne connaissait rien au sujet des poupées de souvenirs automatiques alors il avait demandé à son collègue de louer les services d’une d’entre elles. Il lui avait dit d’attendre quelques jours et elle arriva effectivement quelque temps après.
— Je m’attendais à recevoir une boite avec un automate. De là à penser que je recevrais un être qui puisse s’exprimer… À quel point la civilisation a évolué pendant que je restais cloitré dans mon coin ?
Oscar s’était isolé du monde. Il ne lisait pas les journaux et parlait rarement avec les gens. Hormis ses amis, le peu de contact qu’il avait était le vendeur d’une épicerie du coin et le livreur qui venait occasionnellement lui donner des colis. Il regrettait de s’être coupé du monde et de ne pas avoir trouvé une solution lui-même. Le fait d’être isolé avec une jeune femme artificielle dans sa maison familiale lui donnait un sentiment de malaise.
— On dirait que je suis en train de faire une bêtise…
— Sans essayer de le comprendre, Violet s’assit sur le luxueux canapé du salon après qu’il l’eut dirigé là-bas. Après lui avoir offert du thé noir, elle le but presque d’une seule traite sous les yeux ébahis d’Oscar qui fut surpris de voir un robot humanoïde boire.
— Et où va le thé après ?
Sentant qu’elle fut questionnée, Violet pencha un peu la tête et dit :
— Le thé est expulsé de mon corps afin qu’il puisse retourner à la terre, je présume ? répondit-elle. Ce fut une réponse bien mécanique.
— Pour être sincère, je suis vraiment choqué. Je m’attendais vraiment à voir autre chose.
Violet s’observa avant de regarder en direction d’Oscar qui ne cessait de la fixer tout en restant debout.
— Le contrat stipulait-il que je devais combler vos attentes ?
— Non… « attentes » n’est pas le bon terme.
— Si vous n’êtes pas pressé, je peux demander à la compagnie de vous faire parvenir une autre poupée.
— Ce n’est vraiment pas ce que je voulais dire. Laissez tomber. Tant que vous pouvez remplir la tâche qui vous incombe, cela me suffit. Et puis vous êtes discrète.
— Si vous le désirez, je peux aussi respirer en silence.
— Voyons, vous n’avez pas besoin d’aller aussi loin.
— Je suis venue pour vous assister monsieur. Mon devoir est de répondre à vos attentes. Il en va de mon honneur de poupée de souvenirs automatiques. Peu importe l’outil à disposition, que ce soit de l’encre avec du papier ou bien une machine à écrire, utilisez-moi comme bon vous semble.
Oscar ne put s’empêcher d’entendre son cœur battre très fort après avoir entendu ses mots et après avoir croisé ses yeux semblables à des orbes bleus scintillants. Il hocha ensuite la tête. Elle fut embauchée pour deux semaines. C’était le délai maximum qu’il avait pour finir son scénario. Oscar avait un peu repris du poil de la bête et l’emmena dans sa salle de travail en prévoyant d’attaquer le boulot rapidement. Mais Violet commença tout d’abord à nettoyer la pièce avant d’écrire quoi que ce soit. La salle de travail était aussi sa chambre à coucher. On y voyait les vêtements froissés qu’il avait portés précédemment ainsi qu’une casserole avec les restes de son dernier repas étalés de façon anarchique dans toute la pièce. Il n’y avait pas d’espace pour ne serait-ce que poser un seul pied à l’intérieur. Violet le fixa avec ses grandes pupilles. « Vous m’avez fait venir sans même ranger la pièce où on allait travailler ? » était ce que ses yeux semblaient vouloir dire.
— Je suis désolé…
Ce n’était clairement pas une pièce favorable au travail. Depuis qu’il était seul, il avait arrêté de fréquenter le salon ce qui expliquait pourquoi il était bien entretenu. La chambre à coucher cependant ainsi que la cuisine et la salle de bain étaient dans un état déplorable. Oscar était soulagé d’avoir affaire à un robot humanoïde bien qu’elle avait le corps d’une jeune femme. Il aurait eu honte de laisser une vraie personne voir son bazar. Même s’il se faisait vieux, ce n’était pas une raison de se laisser aller à ce point-là.
— Monsieur, mon devoir est d’écrire et non d’être de corvée de ménage dit-elle alors qu’elle sortait de son sac un tablier blanc afin de commencer à tout nettoyer.
Le premier jour fut consacré à cela. Le lendemain, ils commencèrent à se mettre au travail. Oscar était allongé sur son lit pendant que Violet tapait sur la machine à écrire, assise, sur son bureau.
— Elle…a dit…
Pendant qu’Oscar faisait la diction, elle tapait chaque lettre avec une vitesse terrifiante. Il observa la scène, surpris.
— Quelle vitesse, huh !
Après avoir été complimentée, Violet retira ses gants noirs qui allaient jusqu’aux coudes et montra ses bras. Ils étaient en métal. Les doigts étaient d’une telle rigidité qu’ils faisaient encore plus robotiques que le reste des membres.
— Je suis employée par une entreprise expérimentée dans le domaine. Mes bonnes compétences de copistes reflètent tout simplement les hauts standards de la compagnie Estark. Certes il m’est aussi possible d’avoir une force physique supérieure à la norme grâce à mes bras mécaniques, ce qui est plutôt fascinant, j’en conviens. Quoi qu’il en soit, je peux suivre n’importe quelle diction sans omettre un seul mot.
— Ah d’accord. D’ailleurs n’écrit pas exactement tout ce que je dis, mais uniquement ce qui est relatif au scénario hein !
Oscar continuait la diction. Ils prirent beaucoup de pauses, mais le jour suivant, le rythme était devenu stable. En effet, il était le seul chargé d’écrire l’histoire et il avait tout gardé dans sa tête.
Alors qu’il parlait, il réalisa que Violet était doué pour l’écoute et pour la copie. Dès leur rencontre, il avait ressenti cette aura de sérénité qui émanait d’elle, mais c’était vraiment durant son travail qu’il l’avait ressenti pleinement. Même s’il ne le lui avait pas demandé, il n’entendait pas sa respiration, mais seulement le bruit de la machine à écrire. Lorsqu’il détourna le regard, il avait l’impression que la machine écrivait toute seule. Lorsqu’il lui demanda où elle en était, elle lui lut la partie en question avec une belle élocution. Sa voie était posée et on pouvait penser que toutes les histoires où elle serait la narratrice auraient une atmosphère bien solennelle.
— Je comprends mieux pourquoi les poupées sont populaires.
Oscar a été en mesure de témoigner de l’efficacité des poupées. Cependant, bien que les choses se soient bien passées jusque-là, le quatrième jour était blanc. C’était quelque chose de commun chez les écrivains. Bien qu’ils aient toujours l’inspiration, ils avaient parfois du mal à trouver les mots justes lorsqu’il fallait les extérioriser. Avec ses nombreuses années d’expérience, Oscar avait une méthode pour ne pas écrire. C’était tout simplement d’éviter d’écrire. Il partait du principe que lorsqu’il n’arrivait pas à trouver les bons mots, c’était que ces derniers n’illustraient pas bien son histoire. Ainsi, bien qu’il se sentît mal pour Violet, il devait la laisser sur la touche. Pour ne pas la laisser inactive, il lui avait demandé de s’occuper du ménage, de la lessive et de la cuisine. Comme elle était une travailleuse naturellement assidue, elle s’empressa de le faire.
Cela faisait longtemps qu’il n’avait pas mangé un repas chaud préparé par quelqu’un d’autre. Il se faisait livrer ou il mangeait dehors la plupart du temps, mais les repas qu’il cuisinait pour lui-même n’étaient pas de ce niveau, car il était toujours obnubilé par le travail. Une omelette de riz avec un manteau d’œuf fondait dans sa bouche. Il y avait aussi un hamburger au tofu de l’Est, du riz pilaf de légumes colorés de premier ordre mêlé à une sauce épicée et un gratin de fruits de mer difficile à trouver dans un milieu montagneux. Comme plats d’accompagnement, il y avait de la salade et de la soupe ce qui continuait à l’émouvoir.
Violet observait Oscar manger. Elle prétendit qu’elle le ferait plus tard. Il était avéré qu’elle pouvait ingérer du liquide, mais Oscar pensait que ce n’était peut-être pas le cas pour des aliments solides. Il se demanda si elle buvait de l’essence pendant qu’il avait le dos tourné et une image surréaliste de cette scène lui vint à l’esprit.
— Peu importe tant que nous mangeons ensemble…dit-il à voix basse.
Elle était complètement différente de sa femme, mais le fait de la voir cuisiner de dos lui fit ressurgir un sentiment familier empli de nostalgie. Alors qu’il l’observait, il fut noyé dans une grande tristesse au point que les coins de ses yeux devinrent tout rouges. Il comprit alors très bien ce que cela impliquait de laisser un étranger entrer dans sa routine.
— Cela signifie que j’ai vraiment passé un bon bout de temps seul.
L’exaltation de voir Violet revenir à la maison après une course. Le soulagement de savoir qu’il n’était pas seul au moment de dormir. Le fait qu’elle serait là quand il rouvrirait les yeux. Tout cela a permis à Oscar de se rendre compte à quel point il était rongé par la solitude. Il n’avait aucun problème d’argent dans sa vie, mais ce ne fut qu’un bouclier psychologique pour lui faire oublier la réalité et empêcher son cœur de durcir encore plus. Cela ne garantissait pas qu’il allait guérir de ses blessures. Même s’il ne connaissait de cette personne que son tempérament, le fait qu’elle soit si proche dorénavant et qu’elle soit toujours là auprès de lui après chaque réveil toujours fidèle à elle-même, a ouvert une brèche dans le cœur d’Oscar autrefois impénétrable à cause de ses longues années en solitaire. La venue de Violet dans sa vie fut comme des ondulations sur l’eau. Un petit mouvement dans un lac immobile. Les seules choses prises dans son écoulement étaient des cailloux insignifiants, mais pour une vie aussi maussade que la sienne, cela avait été accueilli comme une grande transformation dans un lac sans vent.
Était-ce un bon ou un mauvais changement ? Quoi qu’il en soit, s’il devait choisir, il aurait trouvé cela positif. Au moins, les larmes de chagrin qu’il éprouvait quand Violet était là étaient de loin beaucoup plus chaudes que celles qu’il avait versées jusqu’à présent.
Après trois jours de passage à vide, Oscar se remit sur pied. Il fut inspiré grâce à une scène en particulier. Son histoire traitait des péripéties d’une fille solitaire qui avait quitté sa maison pour voyager et entrer en contact avec des gens de tout horizon. Une quête pour découvrir le monde et grandir en somme. Bien entendu, la fille en question avait pour modèle la sienne décédée. À la fin de l’histoire, elle retournait chez elle. Elle avait tellement changé que son père ne l’avait pas reconnue. La petite fille découragée essayait de lui faire remémorer une promesse qu’ils avaient échangée dans le passé concernant le fait qu’elle marcherait sur les feuilles qui flottaient dans l’eau.
— Les humains ne peuvent pas marcher sur l’eau.
— Je veux juste capturer l’image. Je vais faire en sorte qu’elle puisse marcher sur l’eau grâce à une bénédiction qu’elle avait obtenue durant son aventure.
— Même ainsi, cela ne me convient pas. La fille de l’histoire est vive, naïve et attachante. Cela ne me ressemble en rien, rétorqua la poupée de souvenirs automatiques.
Oscar lui avait mis des vêtements pour qu’elle ressemble à son personnage principal et lui avait demandé de jouer un peu au bord du lac. Déjà qu’il lui avait fait faire le ménage, la lessive et d’autres tâches ménagères, c’était un peu le pompon. On avait l’impression que Violet était complètement à son service. Même si Violet était une femme professionnelle elle ne pouvait s’empêcher de penser que la situation était gênante.
— La couleur de vos cheveux est un peu différente, mais ils sont blonds comme ceux de ma feue fille. Si vous mettez ce genre de vêtement alors…
— Monsieur, mon travail ici consiste à mettre à l’écrit votre histoire. Je suis une poupée de souvenirs automatiques, pas votre femme ou votre fille.
— Je…je le sais bien. Je n’ai vraiment pas cet intérêt que vous me prêtez. C’est juste que si ma fille avait été vivante, elle aurait été un peu comme vous.
Violet se sentit mal à l’aise après son ferme rejet.
— Je pensais que vous étiez juste trop têtu. Je ne savais pas pour votre fille…dit-elle en se mordant la lèvre. Son visage témoignait du conflit intérieur qui se déroulait dans sa conscience.
Depuis ces derniers jours, Oscar avait été en mesure de comprendre une chose à son sujet. Elle était du genre à toujours suivre ce qui était considéré comme juste lorsqu’elle était en conflit intérieur.
— En tant que poupée de souvenirs automatiques, je me dois de répondre aux attentes de mes clients, mais ceci ne fait pas partie de mes prérogatives.
Elle se comportait comme si elle luttait intérieurement contre elle-même, et, bien qu’Oscar se sentait coupable, il essaya de revenir à la charge une dernière fois :
— Si vous pouviez jouer le rôle de la fille revenue chez elle une fois adulte et étant prête à accomplir ma promesse, ma résolution d’écrire serait ravivée rapidement. Si vous voulez une compensation, je peux vous donner n’importe quoi. Je suis prêt à doubler votre paie s’il le faut. Cette histoire est vraiment précieuse pour moi. Je veux finir de l’écrire et en faire une étape importante dans ma vie. S’il vous plaît !
— Mais … je … je suis peut-être une Poupée, mais je ne suis pas là pour jouer les poupées Barbie…
— Je ne prendrai pas de photos alors
— Vous en aviez l’intention au début ?
— Je veux juste graver cette scène dans ma mémoire pour pouvoir en finir avec cette histoire. Je vous en prie.
Violet réfléchit un peu plus avec un visage ennuyé et finit par se plier aux exigences, perdant face à la persistance d’Oscar. Elle succomba contre toute attente à la pression.
Oscar laissa ensuite derrière lui sa vie de confinement et sortit tout seul acheter des vêtements fantasques et un parapluie pour Violet. C’était une blouse en dentelle blanche avec une ceinture en ruban bleu. Le parapluie était de couleur cyan avec des rayures blanches et des froufrous. Il sembla piquer l’intérêt de Violet lorsqu’elle le fit tourner après l’avoir ouvert et refermé à plusieurs reprises.
— Ce parapluie vous est étrange ?
— C’est la première fois que je vois un parapluie de la sorte.
— Mais vous portez pourtant des vêtements sophistiqués. Les miens ne sont-ils pas à votre goût ?
— Nous portons ce que notre supérieur nous impose de porter. Je ne vais pas moi-même faire du shopping.
On aurait dit une fille qui portait ce que sa mère voulait qu’elle porte. Elle était sûrement bien plus jeune qu’elle ne le pensait malgré son apparence de jeune femme mature. Alors que Violet était toujours perplexe, Oscar ne perdit pas de temps à lui demander de se changer. Le temps en cette fin d’après-midi était nuageux. Rien ne laissait présager qu’il allait pleuvoir, mais l’atmosphère s’y prêtait. L’air froid qui témoignait de l’arrivée de l’automne n’était pas assez fort pour pénétrer les os. Oscar fut le premier à sortir dehors. Il s’assit sur une chaise en bois près du lac tout en fumant une pipe. Il s’était remis à fumer suite à l’arrivée de Violet bien qu’il essaya avant sa venue de prendre soin de lui. Pendant quelques minutes, la fumée se répandait largement dans l’air puis se fit entendre les grincements stridents de l’ouverture de la porte qui étaient de plus en plus insupportables.
— Je m’excuse pour l’attente.
Il tourna seulement sa tête dès qu’il entendit cette voix monocorde qu’il connaissait si bien maintenant.
— Vous…
« … ne m’avez pas fait beaucoup attendre » était ce qu’il allait dire, mais les mots ne sont pas sortis, car son souffle s’était arrêté une seconde. Il fut stupéfait comme lors de la première fois qu’il avait observée Violet. Elle était très belle avec ses cheveux détachés – une beauté qui fit oublier pendant un moment tout le reste. Les cheveux qui avaient été tressés étaient légèrement étalés et légèrement recourbés aux extrémités. C’était plus long que ce qu’il avait imaginé. Mais surtout…
— Si … ma fille avait pu grandir … peut-être qu’elle aurait été comme ça.
Était-elle vraiment venue juste parader dans ces habits devant lui ? Comme il s’interrogeait à ce sujet, la chaleur inondait sa poitrine.
— Monsieur, est-ce cette image que vous avez de moi avec ces vêtements vous satisfait ?
Dans cette palette de couleurs d’automne, la fille à la beauté inhumaine attrapa sa jupe et essaya de tourbillonner une fois.
— Je dois mimer la traversée du lac, n’est-ce pas ? Est-ce vraiment ce cadre que vous voulez décrire dans votre histoire ? Plutôt que de simplement mimer une traversée, même si c’est pour quelques secondes, ne vaudrait-il pas mieux que je traverse véritablement le lac ? En ce qui me concerne, je suis spécialisée dans les activités physiques et je serais prête à le faire si vous me le demandez.
Violet s’exprimait toujours de façon aussi indifférente, ne prêtant aucune attention à Oscar, submergé par le surplus d’émotions. Il n’arrivait qu’à rétorquer des « aah » ou des « uuh ». Celle qui se tenait devant lui était tout le contraire de sa fille. En dépit de posséder les mêmes cheveux dorés, ses pupilles manquaient cette douce lueur. Violet appuya le parapluie fermé contre son épaule tout en le serrant fermement. Elle se tenait à une grande distance du lac, le regardant comme si elle examinait la surface de l’eau. Teints dans les couleurs flamboyantes de l’automne, les feuilles mortes flottaient dessus.
Le vent était instable, soufflant et s’arrêtant. Oscar l’observa avec inquiétude pendant qu’elle léchait un de ses doigts mécaniques du bout de la langue, confirmant la direction du vent. Comme elle reculait régulièrement, elle regarda Oscar avec un petit sourire.
— Ne vous inquiétez pas. Tout va se dérouler comme vous le voulez.
Après avoir rassuré d’une voix qui avait une douce sonorité, Violet bondit. Bien qu’elle fût loin de lui, les yeux d’Oscar la dévisagèrent instantanément tandis qu’elle filait comme le vent. Avant de s’aventurer sur le lac, la poupée de souvenirs automatiques fut tellement rapide que son impact était assez fort pour secouer le sol. Ses jambes robustes rendaient réelle la possibilité de sauter d’une hauteur effrayante. Oscar resta bouche bée. Dès lors, tout semblait s’être passé au ralenti. Atteignant l’endroit voulu, Violet souleva le parapluie qu’elle avait emporté et l’ouvrit avec un air flamboyant. On aurait dit l’éclosion d’une fleur. Les froufrous du parapluie se balançaient harmonieusement, et, avec un parfait timing, le vent poussa ses jambes en avant. Sa jupe et son parapluie se soulevèrent doucement dans les airs laissant entrevoir son jupon. Avec ses longues bottes fabriquées à la main, elle marchait doucement sur les feuilles qui flottaient à la surface de l’eau. À cet instant précis, la scène fut gravée dans la mémoire d’Oscar aussi clairement qu’une photographie. Une fille avec un parapluie qui se balançait et une jupe flottante, s’avançant sur la surface d’un lac.
Les mots de sa fille lui revinrent à l’esprit : « Oui ! C’est ce que je vais faire. Comme ça je pourrai danser sur l’eau pour vous un jour, sur le lac…un jour ». Une voix … la voix de cette fille, qu’il avait fini par oublier, résonna dans son esprit.
— J’aurais tellement voulu que tu m’appelles encore des centaines de fois…tu me la montreras un jour ta danse sur l’eau, n’est-ce pas ?
— Père, dit une voix douce, je vous la montrerai un jour
— Sache que ta voix était la plus agréable que je n’ai jamais entendue.
— Je vous la montrerai un jour…
— Ah, c’est vrai…avec cette douce et innocente voix que tu as, tu divertirais n’importe qui. Nous avions fait une promesse que j’avais oubliée.
Pendant longtemps, je n’ai pas pu me souvenir de toi correctement, alors je suis content que nous nous soyons revus même si ce n’est que dans le cadre d’une illusion, je suis heureux d’avoir pu te revoir. Ma chère et tendre, chair de ma chair. Tu as été le plus grand des trésors que j’ai eu la chance partager avec la personne qui comptait le plus à mes yeux. Je savais … que ça ne pouvait certainement pas être accompli. Pourtant, nous nous l’étions toujours promis. Cette promesse, ta mort … elles m’ont détruit, tout en me donnant la volonté de vivre. Et jusqu’à ce jour, j’ai pu survivre tant bien que mal dans la vie. J’ai vécu une vie désordonnée essayant de me perdre dans des bribes de souvenirs de toi et ta mère. Je m’en suis voulu pour ça, mais, au moment où j’ai rencontré quelqu’un qui te ressemblait fut pour moi une rencontre du destin. Je voulais te revoir pensant que cela me remettrait vraiment sur les rails. Toi, dont je ne peux même pas murmurer le nom de crainte que la tristesse ne m’envahisse…j’aurais tellement voulu voir ton visage radieux. Toi, que j’ai tant aimé et chéri…le dernier membre de ma famille…je t’ai toujours aimé et j’aurais tant voulu te voir une dernière fois.
Il était tellement heureux au point de vouloir rire, mais…
— Fu … euh … euh …
… Ce fut seulement des sanglots qui sortirent. Les larmes coulaient, annonciatrices du brutal retour à la réalité.
— Aah …
Il entendait le tic tac d’une horloge…c’était en fait le bruit de son cœur autrefois gelé.
— Je…vraiment…
Alors qu’il se couvrait le visage avec ses mains, il réalisa à quel point ses mains étaient devenues ridées. Il se demandait combien de temps était-il resté figé depuis la mort de sa famille ?
— Je voulais vraiment que tu restes à mes côtés !
Son visage était déformé et avec une voix en sanglot il murmura :
— Je voulais que tu vives…je voulais te voir grandir…je voulais contempler la beauté que tu serais devenue. J’aurais tant voulu te voir sous cette forme et ensuite mourir avant toi après que tu aies pris soin de moi. Je voulais mourir de cette manière et pas autrement. Or l’inverse s’est produit. Je veux te revoir !
Les larmes d’Oscar coulaient à flots et venaient frapper le sol. Le son que faisait Violet lorsqu’elle se déplaçait sur le lac était entré en écho avec son univers de souffrance. Le moment de chaleur était parti et la voix de sa fille qui lui était enfin revenue en mémoire, s’évapora de nouveau. Ce mirage de visage radieux disparu aussi comme des bulles de savon. Oscar essaya tant bien que mal d’enrayer la perte de cette illusion avec les mains sur son visage et en gardant les yeux fermés. Il essaya de rejeter le monde auquel elle n’appartenait plus ?
— Ah, cela ne m’aurait pas gêné de mourir maintenant. Peu importe combien de fois je vais me plaindre, elles ne reviendront pas. Mon cœur, ma respiration, arrêtez-vous ! Depuis que ma femme et ma fille sont parties, je ne suis qu’un cadavre vivant. Voilà pourquoi je souhaite qu’à cet instant mon corps puisse tomber raide sur le sol comme si l’on m’avait tiré dessus. Une fleur qui a perdu ses pétales ne peut pas respirer. Je suis semblable à elle.
Il avait beau implorer la mort de tout son soûl, il était évident que rien n’allait se passer. Lui, qui avait souhaité cela des millions de fois, le savait pertinemment.
— Laissez-moi mourir, mourir, mourir. Si ma seule autre option est de vivre dans la solitude alors je préfère mourir et être à leur côté.
La situation resta inchangée jusqu’à ce que…
— Monsieur !
…Dans ce monde qu’il avait négligé, il entendit une voix aussi inerte que la sienne. Avec des inspirations irrégulières, la voix était parvenue à ses oreilles.
— Je…suis en vie !
Il vivait encore bien qu’il luttât pour disparaitre afin de rejoindre sa famille. Ce n’était pas une simple demande qu’il suffisait de formuler, mais, avec une vision engloutie par les ténèbres où les rayons du soleil ne pouvaient plus pénétrer, il n’arrêta pas de la formuler tout de même.
— Dieu, je vous en prie… si je ne meurs pas maintenant faite que ma fille puisse être heureuse à travers cette histoire…. Faites qu’elle puisse être à mes côtés pour toujours même si tout est irréel.
Il ne pouvait s’empêcher de souhaiter cela, car sa vie continuait quoiqu’il arrive. Devant Oscar qui se lamentait en ayant oublié ce qu’il avait autour de lui, Violet arriva trempée. Des gouttelettes jaillissaient de ses vêtements froissés qui étaient devenus en piteux état. Elle afficha tout de même une mine réjouie au point de pouvoir considérer cela comme un sourire, chose, qu’elle n’avait jamais montrée jusqu’à maintenant.
— Vous avez vu ? J’ai pu faire trois pas.
Sans lui dire qu’il n’avait pas pu l’observer à travers ses larmes, Oscar répondit tout de même tout en essayant de retenir son nez de couler :
— Hm, j’ai bien vu. Merci Violet Evergarden. Répondit-il reconnaissant.
— Merci d’avoir rendu cela réel. Merci du fond du cœur. Ce fut revitalisant.
— Je ne suis qu’une humble Poupée de souvenirs automatiques, monsieur.
Peu de temps après, Oscar fit couler un bain pour Violet qui était toute trempée. Elle ne se montra pas pour les repas, mais utilisait la salle de bain tous les jours et se reposait dans la pièce qui lui était assignée. Pour Oscar, c’était un robot avec une apparence humaine plus vraie que nature.
— Vraiment, la civilisation a bien évolué. L’avancée de la science est impressionnante.
Il ne revenait pas qu’une intelligence artificielle devait se changer lorsque ses vêtements étaient mouillés. Violet enfila un peignoir et gagna la salle de bain. Cela faisait un bail que personne d’autre qu’Oscar ne l’utilisait régulièrement. Dans un moment d’inattention, il entra par réflexe et vit Violet alors dénudée.
— Ah, je suis, déso…? Son souffle fut coupé net tellement il était perplexe. Oscar poussa un cri de surprise :
— EEEEEEEEEEEHHHHHHH ?!
Oscar assista au plus beau corps nu qu’il ait vu. De longs cheveux dorés, des orbes oculaires d’un bleu magnifique que même une peinture ne suffirait pas à immortaliser ainsi que fines et ravissantes lèvres. C’était un corps de chair avec un cou mince, une clavicule exceptionnelle, des seins rebondis et des courbes féminines. La partie mécanique s’étendait seulement depuis les épaules jusqu’aux doigts. Malgré les nombreuses cicatrices, hormis les bras, le reste de son corps était fait de chair. Ce corps si délicat ne pouvait laisser penser une seule seconde que ce fut un être artificiel. Secoué par cette vision soudaine, Oscar essaya tant bien que mal de regarder plusieurs fois dans la direction de Violet.
— Monsieur, interpela Violet d’une voix alarmante tandis qu’il continuer de la reluquer tellement il fut surpris.
— UAAAAAAH! UAAAAAH! UAAAAAHAAAAAH!
Oscar finit par crier. Il pleurait tout en rougissant après avoir crié de toutes ses forces, répétant régulièrement des « Vous étiez humaine ?! »
Enfilant son peignoir, Violet s’exclama :
— Monsieur, vous êtes vraiment un phénomène ! Ses joues étaient devenues roses tandis qu’elle baissait un peu la tête.
***
Le terme de « Poupée de souvenirs automatiques » fut désormais à la mode de nos jours. C’est à l’illustre Dr Orlando, la sommité mondiale en matière d’automates, à qui nous devons ce nouveau corps de métier. Tout commença lorsque sa femme, Molly, une romancière se plaignit de troubles de la vision. Molly dédia sa vie à l’écriture et tomba en dépression au fur et à mesure que son handicap progressait. Une fois qu’elle fut accablée par la cécité, elle devint apathique au point d’en perdre ses mots. Le Dr Orlando ne put supporter de voir sa femme dans cet état et fabriqua aussitôt une Poupée de souvenirs automatiques. Ce fut un automate capable d’enregistrer la voix d’une personne pour mettre ses mots à l’écrit comme une sorte de scribe. À ce moment-là, le docteur ne chercha qu’à satisfaire sa femme et ne se douta pas une seconde qu’il allait être l’instigateur d’une véritable profession à part entière. De nos jours, la profession de Poupée de souvenirs automatiques est devenue populaire. Moyennant finance, une poupée de souvenirs automatiques use de ses talents rédactionnels pour les personnes ayant besoin d’écrire.
Lorsque Violet prit congé, Oscar apprit de son ami qu’elle était connue dans le milieu. Lorsqu’Oscar lui révéla qu’il crut qu’elle était un robot humanoïde, son ami ne put s’empêcher de lâcher un sourire amusé.
— Tu vis vraiment dans ta grotte ! Tu penses vraiment qu’une machine aussi belle puisse exister ?
— En même temps tu m’as parlé de poupée et tu ne m’as rien spécifié d’autre !
— On n’a pas encore atteint ce niveau d’avancée technologique. Il y a de vraies poupées automates qui font office de copistes et il y en a même des mignonnes. C’est d’ailleurs de ces poupées de souvenirs automatiques artificielles que les humains se sont inspirés pour créer ce métier. Mais je me suis dit que tu en avais besoin d’une vraie et surtout d’elle en particulier pour un gars comme toi qui vit de façon recluse avec peu de contacts humains…elle ne parle pas beaucoup, mais elle a le pouvoir de soigner le cœur des gens. J’imagine qu’elle a rempli son rôle à merveille, n’est-ce pas ?
— Ouais
Elle était indéniablement taciturne, mais c’était une bonne fille.
— Personne ne vaut Violet Evergarden, mais la prochaine fois je t’enverrai une copiste qui n’est pas à moitié humaine comme Violet histoire que tu aies une assistante en permanence.
Au final, Oscar reçut un colis chez lui. Il y avait dedans une petite poupée qui n’avait rien à avoir avec Violet Evergarden. Elle était complètement artificielle et pouvait enregistrer tout ce que disait une personne en tapant sur sa machine à écrire. On mettait généralement la poupée sur un bureau, habillée dans une belle robe.
— C’est vraiment quelque chose, mais rien ne vaut Violet !
Oscar sourit, regardant la chambre qu’il lui avait prêtée. S’il avait le malheur de dire qu’il était seul, il savait exactement ce qu’elle aurait répondu.
« Monsieur, vous êtes vraiment un phénomène » entendit-il avec une douce voix monocorde et dont il vit les recoins des lèvres s’enroulaient un peu vers le haut.
Même si Violet n’était pas là physiquement, il avait le sentiment qu’il pouvait l’entendre.
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