VE - Last letter : Livret 3

Charlotte Abelfreyja Flügel et le royaume de la forêt

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Traduction : Raitei
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À cet instant, je me suis surprise à penser :

—— Peut-être… peut-être que si je partais maintenant, personne ne remarquerait ma disparition.

Et une fois que cette pensée me traversa l’esprit, je fus incapable de penser à autre chose. Avant même de m’en rendre compte, mes bras, mes jambes avaient bougé. Je fis lentement mouvoir l’ensemble de mon corps et quittai cet endroit. Je descendis les escaliers, traversai un couloir peu emprunté. Je croisai quelques personnes en chemin, mais nul ne me prêta attention. Sans doute ne s’attendaient-ils pas à ce que la reine coure seule dans les couloirs.

Je ne cherchais pas à ce que l’on m’interpelle. Mais personne ne le fit.
Personne ne m’arrêta. C’est pour cela qu’à présent, je me cachais. Dans un recoin du labyrinthe de roses, au sein du palais royal de ce royaume aux forêts profondes. Je levai les yeux vers le ciel. Il était couvert. L’air était lourd, annonciateur de pluie. Quelqu’un me cherchait-il, à cette heure ? Non… probablement pas. Je mettrais en gage cent camélias blancs de Drossel que non.

« Ce n’est pas vraiment un pari », me murmura une voix intérieure.

—— Que m’arrivera-t-il si je reste là comme ça ?

Dépliant les manches de ma robe et retirant mes longs gants, j’arrachai quelques brins d’herbe à mains nues. Ramassant au sol des pétales de rose tombés, je les lançai en l’air, même si je savais qu’ils ne voleraient pas bien loin.  J’avais sans doute l’air d’un enfant cherchant à contenir une mauvaise humeur. Si quelqu’un m’avait vue, il se serait sûrement demandé ce que diable faisait la reine de Flügel dans un état pareil.

Pourquoi étais-je devenue ainsi, en grandissant ? Je ne faisais que donner trop d’importance à de petites choses et me laisser engloutir dans le tumulte de mes pensées. Peu digne d’une personne appelée à gouverner.

« Les membres des clans royaux ne doivent pas exposer leur vraie nature. N’oubliez surtout pas que vous devez faire preuve de dignité, afin de servir d’exemple au peuple. »  Même en étant devenue épouse, je me comportais toujours comme une petite fille.

— Cependant…

J’avais connu une romance telle que les jeunes filles en rêvent.

— …durant mes longues années passées à la cour…

J’étais tombée amoureuse, et j’ai conquis le cœur de mon prince bien-aimé.

— …ce furent la période des lettres d’amour publiques qui fut la plus mémorable. Oui… dans le bon sens du terme.

Après avoir tant couru, me voilà dans ce qui vient après.

Je suis Charlotte Abelfreya Flüegel.

Déjà une année s’était écoulée depuis mon mariage avec le royaume de Flüegel.

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Drossel et Flüegel, peu importe ce qu’il advenait de ces deux nations à l’avenir, elles avaient comme lien une princesse : ma personne. Si je venais à mourir dans ce labyrinthe de roses sans que personne ne me retrouve, je voulais que quelqu’un s’en souvienne. Quant à la raison pour laquelle les choses en étaient arrivées là, il me fallait remonter un peu le fil de ma vie pour l’expliquer.
Je devais remuer le chaudron du temps, celui qui fait couler les heures.

Jusqu’où devais-je remonter ?

Cette magnifique fille aux cheveux dorés. Ma favorite. Cette écrivaine publique devenue médiatrice de mon histoire d’amour. Revenir à cette période des lettres d’amour publiques aux côtés de Violet Evergarden était peut-être un peu trop lointain. Il fallait se positionner un peu plus tard dans le temps. Peut-être autour de l’instant où moi, autrefois troisième princesse de Drossel, ce pays somptueux où les camélias blancs s’épanouissent à profusion, j’ai quitté ma patrie et changé de nom. Oui, ce serait un bon point de départ.

Flügel était un royaume voisin, prospère grâce à ses forêts. C’est là que j’ai épousé l’héritier au trône. En abandonnant tout ce que j’avais aimé jusqu’alors… je me suis mariée. Je suis passée du statut de jeune fille à celui de femme adulte. Mon apparence n’avait guère changé, mais mon titre, lui, avait tout transformé.

Mon époux s’appelait Damian Baldur Flügel.

Il n’était encore que prétendant au trône lors de notre union. Mais il y a quelques jours, il a hérité de la couronne de son père lui faisant devenir un roi à part entière. C’est ainsi que je devins reine, probablement la pire que l’Histoire ait connue, car je me suis enfuie.

***

Alors tentons de retracer ce passé, avec toute la précision possible.

La capitale de Flügel était une cité baignée dans la fraîcheur, enveloppée de verdure, avec un château niché au cœur d’une vaste forêt. Ce palais royal ne brillait ni par sa robustesse ni par sa magnificence.

Mais il s’intégrait à merveille dans le paysage, une beauté subtile, savamment façonnée, en parfaite harmonie avec la nature. Contrairement à Drossel, pays tourné vers le tourisme, Flügel vivait principalement de son exploitation forestière. La fleur nationale de Drossel était le camélia blanc. Celle de Flügel était la rose rouge.

Les deux royaumes étaient séparés par un large fleuve, et pourtant on se demandait comment ils pouvaient être aussi différents. Mais la différence n’était pas forcément une mauvaise chose. C’était même grâce à nos cultures divergentes que Lord Damian et moi nous étions rencontrés. Et c’est précisément ce qui m’avait attiré chez lui… cette personnalité franche, dénuée d’artifice, si différente de celle des nobles de Drossel ou d’ailleurs…

Oui, les différences ne sont pas en soi un mal. Mais ces « différences », comment dire…Lorsqu’elles n’étaient pas simplement tolérées, mais vues comme un manque de volonté ou de rentabilité, elles devenaient un fardeau ou un poids. C’était probablement cela qui m’avait conduite à ma situation actuelle.

Était-ce une excuse ? Peut-être. Mais il en était ainsi, voilà tout.

Au début, ma vie à Flügel n’avait pas été facile. Même les écarts les plus infimes dans les habitudes me demandaient des efforts considérables. Le chambellan soupirait souvent. Un homme respectable, fidèle serviteur de Lord Damian depuis des années. Hiérarchiquement, je lui étais supérieure, bien sûr. Mais j’ai compris très tôt qu’il me méprisait. Cela se lisait dans ses regards. Dans sa façon de se tenir. Il me répétait souvent : « Ce n’est pas ainsi que nous procédons à Flügel ». « C’est pour votre protection. Vous serez critiquée autrement. Redressez-vous. ». « Je vous l’ai déjà dit plusieurs fois, mais… »

Je ne pensais pas être idiote. Je me voyais comme une fille capable de faire les choses, si elle s’en donnait la peine.

Mais je devais reconnaître que j’étais une pleurnicheuse à l’esprit quelque peu instable. Les différences évoquées par le chambellan concernaient, par exemple, l’ordre des places à table, la façon de relever ma robe en montant dans une calèche, et d’autres détails du même acabit. À Drossel, j’aurais pu assimiler cela du premier coup. Je ne me serais pas trompée une seconde fois.

Mais dans ce pays étranger, sous les yeux d’un homme qui me dénigrait, je me mettais à échouer. C’était comme si j’étais moi-même l’instigatrice de mes propres maladresses. Quel étrange phénomène. Le chambellan le savait sans doute aussi. Et pourtant, il soupirait, et me parlait d’un ton sec, alors que je devenais livide. Il n’y avait aucun bénéfice dans cela, ni pour lui ni pour moi.
Mais nous répétions inlassablement ce cycle vicieux.

Pour être honnête, nous nous entendions si mal que l’envie de sauter par la fenêtre du château me traversait parfois l’esprit. Mais je n’avais pas le choix.
J’étais la nouvelle venue et lui, un ancien. Si je ne m’habituais pas, ce serait ma fin. Et il y avait aussi cette fameuse réception en plein air.

Ce chaudron du temps revenait désormais au présent. Tout avait commencé lorsque le chambellan avait suggéré que moi, la nouvelle reine, devrais organiser un goûter royal autour d’un thé. Il prononça un long discours sur mon autorité royale, sur le fait que je brillerais comme une étoile dans la nuit.

Ce maudit chambellan….

J’aimais ce genre d’occasion, c’est vrai. Mais même après un an passé à Flügel, je n’avais pas trouvé d’ami proche. L’idée me déplaisait donc franchement. Sans relations amicales, cela relevait plus de l’exécution publique que de l’exposition de pouvoir. Depuis mon arrivée, j’étais la princesse étrangère mariée pour des raisons politiques à Lord Damian. La famille royale que j’avais rejointe et le personnel qui m’entourait étaient tous un peu distants…

Pire encore, j’étais celle qui avait bouleversé la tradition des lettres d’amour publiques. On se méfiait de moi, de cette princesse pas comme les autres. Flügel possédait un esprit libéral, bien moins rigide que Drossel… Mais au sein de la royauté, les choses étaient différentes. Quand je passais dans les couloirs du palais, j’entendais chuchoter un nom. Tous avaient de légers sourires. « Princesse bébé », qu’ils m’appelaient.

Cela venait apparemment de la sœur cadette de Lord Damian. C’est vrai, j’avais un visage juvénile. Et j’étais celle qui avait épousé pour l’amour. Qu’on me tourne en dérision, c’était inévitable. Mais recevoir un surnom, et en faire un titre… c’était aussi une manière d’exister. Quand un chevalier recevait un nom, il lui revenait d’en être digne.

Peu importait ce que je disais, moi, Charlotte Abelfreya Flügel… À Flügel, je vivais comme une princesse sujette aux moqueries.

Je commettais une erreur ? « C’est parce qu’elle est une enfant. »

Je courais vers Lord Damian ? « C’est parce qu’elle est une enfant. »

J’ouvrais la bouche ? Toujours la même rengaine.

S’il avait existé un sort capable de me transformer en femme de vingt ans sur-le-champ, je l’aurais accepté sans hésiter. Pouvoir incarner, sans discussion possible, une dignité incontestable… Quel soulagement cela aurait été. Mais la dignité ne s’impose pas. Elle se construit. Avec le temps, et les efforts. Et peut-être étais-je encore, en ce jour de goûter royal en plein air, la même princesse bébé qu’ils voyaient tous. Le chambellan, ce matin-là, arborait une humeur exécrablement joviale, ce qui, à mes yeux, annonçait immanquablement un désastre.

Je l’observais depuis ma chambre, distribuant ses ordres avec une énergie insupportable. De cette pièce où, autrefois, je partageais en silence des instants avec Lord Damian, je pouvais voir le jardin du palais, le labyrinthe de roses à l’entrée… et même une partie de la ville royale. Au début de notre mariage, nous regardions souvent tout cela ensemble, par cette fenêtre.
Aujourd’hui, nous ne pouvions plus nous parler plus de cinq minutes.

Depuis son accession au trône, Lord Damian était submergé.
Il travaillait, tandis que je l’attendais dans notre chambre. Je me réveillais, il était déjà là, sans que je l’aie remarqué. Quand je lissais le pli entre ses sourcils endormis, il se redressait brusquement… et repartait travailler dans son bureau royal. Ce matin-là, j’étais lasse. Pourquoi devais-je tenir un tel événement pendant que mon époux, lui, n’avait pas une seconde à perdre ? Mais cela aussi faisait partie de mes devoirs.

Il était essentiel que je fréquente les femmes de mon rang. Leur confiance profiterait à Lord Damian, autant qu’à moi. Celles qui régnaient sur les salons régnaient aussi, bien souvent, sur les affaires de l’État. Je le savais. Je devais m’y plier, d’autant plus que la situation devenait critique. Si je voulais progresser dans l’art oratoire, il me fallait commencer par me tenir droite.
Ma position devenait instable. Mais si je parvenais à faire bonne figure aujourd’hui, mon autorité ne ferait que croître dans le royaume. Je le comprenais, au fond.  Le chambellan avait raison. Il ne me disait rien de plus qu’il ne fallait « Faites les choses correctement ». Et s’il y avait faute… elle venait de moi.

La réception eut lieu, comme prévu, dans le jardin.

Des personnes que je n’avais pas vues depuis la cérémonie de mariage étaient présentes. Je les saluais en tournant la tête à une vitesse incroyable.
Dès qu’un sujet politique était évoqué, je le repoussais d’un sourire.
Je déchirais et rejetais tout ce qui venait à moi, encore et encore.  En surface, cela semblait une conversation paisible. Mais en réalité, j’étais jugée. En tant que reine, j’étais au beau milieu d’un combat.

Je croyais avoir vraiment fait de mon mieux jusqu’à la moitié l’événement. J’avais réussi à donner l’impression que j’étais tout de même plus intelligente que laissait penser mon titre de « princesse bébé » lorsque je m’exprimais. Les signes montrant que je pouvais être perçue comme digne de me tenir aux côtés de Lord Damian devenaient visibles. Mais à l’instant même où Son Altesse, la jeune sœur du roi, fit son apparition, tout ce que j’avais préparé s’écroula d’un seul coup.

Elle arriva bien après l’heure prévue. En fait, elle avait surgi alors que la réception touchait à sa fin. Bien qu’elle fût proche de moi en âge, elle avait une allure très adulte et une beauté renversante. Réputée comme l’une des femmes les plus talentueuses de Flügel, elle siégeait également au Parlement du Royaume. Elle nous expliqua qu’elle était venue dès la fin de la réunion. Je n’avais pas encore été autorisée à y assister, même en tant que reine, et cela me rendait affreusement jalouse… et un peu pitoyable.

Évidemment, la conversation tourna aussitôt sur le contenu de cette réunion. Son Altesse l’expliqua avec simplicité aux dames présentes.  

Quelle femme admirable. Mais malgré tout, j’avais le sentiment que cette réception allait finir par devenir la sienne comme si elle était tenue en son honneur. Bon, ce n’était pas grave. En réalité, c’était plus facile ainsi. J’avais ce problème qui m’empêchait de bien parler aux personnes que je ne connaissais pas, alors je décidai de lui laisser la main. Même s’il s’agissait d’une réception, je n’avais rien mangé. Je sentais que j’aurais faim en fin de journée alors je me demandais ce que nous allions dîner. C’est ainsi que la moitié de mon esprit s’évapora ailleurs, et je ne remarquai pas que le sujet avait glissé des affaires de l’État à celui de la succession au trône.

— Votre Majesté, vous écoutez ? Si les choses continuent ainsi, il n’y aura rien d’étonnant à ce qu’une concubine soit nommée.

Comme je n’avais rien remarqué, je ne pus réagir immédiatement, même en recevant cette réalité brutale en plein visage. Cela venait tout juste de se produire, alors je ne me souvenais même plus bien de ma propre réaction.
Il me semble avoir répondu par un « aaah… » ou « eeeh… », comme le cri que poussent les nouveau-nés à leur première respiration. Je perçus aussitôt que Son Altesse n’était pas satisfaite de ma réponse.

— C’est justement parce que vous êtes aussi nonchalante que le roi doit tout affronter seul.

— Vous agissez encore comme une invitée, sans assumer vos devoirs.

— Tout le monde se retient et personne n’ose donner son avis.

— Parlez davantage. Soyez utile au royaume.

— Et surtout, cela fait déjà un an, et toujours rien.

— Avez-vous sérieusement abordé la question d’un héritier avec le roi ? Si cela continue, on se devra de proposer une concubine que vous ne pourrez refuser.

Ces mots me furent lancés en rafale.

Et moi, je… je pensai… qu’on essayait de m’écraser. N’était-ce pas une attaque frontale ? Je balayai la zone du regard. Personne n’ouvrit la bouche pour me défendre. Personne. Je n’avais personne. Tous attendaient ma réaction.

Je connaissais cette situation. Je ne la connaissais que trop bien. On ne me traitait plus comme une personne, me niant toute personnalité. La dignité que méritait l’être humain nommé Charlotte n’était plus prise en compte. Et pourtant, je ne me suis pas brisée. Pourquoi ? Parce que j’avais l’habitude qu’on m’ignore.

— Oui, je fais un bien piètre travail. Je crois que vous avez raison.

Je souriais.

— Mais rien n’a encore été défini quant à la répartition des tâches entre le roi et moi.

— Nous sommes encore en train d’en discuter, en tant que couple.

Je souriais, avec une pointe de moquerie.

— Maintenant que j’ai pu échanger avec vous toutes, je pense soumettre petit à petit mes idées au Parlement.

Je souriais toujours.

— J’étais la princesse de mon pays. Mais à présent, je suis la reine de Flügel.

— Je n’avais pas l’intention de me comporter en invitée, mais il est vrai que je me suis retenue. Mais n’est-ce pas le cas de vous toutes également ?

— Je le sais. Vous m’avez toujours observée… de loin.

— J’étais inquiète. J’aurais préféré que vous me disiez clairement ce qui n’allait pas.

— À l’avenir, j’aimerais que nous puissions échanger franchement… et nous soutenir mutuellement… en tant que femmes.

C’en était risible.

Son Altesse était bouche bée. Les autres aussi. Elle avait sans doute pensé que ses mots suffiraient à me faire pleurer. Qu’elle arrête de dire des bêtises. J’étais l’ancienne troisième princesse de Drossel. Savait-elle ce que signifiait venir de ce pays-là ?

Un pays où les femmes pouvaient être utilisées comme outils politiques. Nous n’avions jamais eu la possibilité d’agir librement, comme elle. En tant qu’ombres à l’apparence de femmes nous n’avions d’autre choix que d’accomplir honnêtement tout ce que nous pouvions dans la mesure du possible.

Je suis née dans un pays où les femmes étaient consommées, usées jusqu’à la moelle. Qui plus est, j’avais été élevée loin de mes parents biologiques, principalement par des courtisans. Il y avait une éternité que je n’avais pas vu ma mère.

Épuisée par un mariage de convenance, ma mère avait fait construire un palais par mon père et s’y était retranchée, vivant recluse jour après jour. Elle était bien venue à la cérémonie de mariage, mais ne m’avait pas adressé une seule lettre depuis mes noces. Elle m’avait sans doute déjà oubliée, oubliée qu’elle m’avait mise au monde.

Mais c’était dans ce pays-là que j’étais née. J’avais été élevée par l’une de ses femmes fortes, une femme rigoureusement choisie, solide comme le roc. Cette personne m’avait patiemment instruite, même si je n’avais pas de grandes aptitudes. Elle m’expliquait les choses inlassablement, me grondait souvent, et m’enseignait tout ce qu’il fallait pour que je sois capable d’épouser n’importe qui et de vivre n’importe où. Elle avait même prédit qu’une situation comme celle-ci pourrait survenir. Et elle m’avait appris comment réagir lors d’un conflit avec d’autres femmes.

C’est pour cela que je souriais dans ce genre de moment.

Je n’étais pas dépourvue de charme. Et je n’étais pas stupide non plus. Je savais parfaitement quels effets pouvait produire un simple sourire de ma part. Mes moyens étaient limités, certes, mais j’allais décocher ici la plus belle des flèches.

J’étais une pleurnicheuse. Une faible. Une âme esseulée.

Mais j’avais reçu une solide éducation. Quelles que soient les circonstances, je ne devais jamais perdre lors de pareils instants. Cela, au moins, je le savais.

On m’avait protégée… en effaçant jusqu’à ma propre personnalité.

***

Ce jour-là, la réception prit fin sur-le-champ, et grâce au chambellan qui déclara qu’il allait bientôt falloir y mettre un terme, tout se conclut sans incident. Par la suite, ma querelle, ou ce que l’on pouvait en appeler ainsi, avec Son Altesse devint la source de rumeurs au sein du palais royal, mais cela relevait de l’avenir. Pour l’heure, tout était terminé. Et pour cela, j’étais profondément soulagée.

Le chambellan me permit de regagner mes appartements plus tôt qu’à l’accoutumée, et me réconforta d’un « Vous devez être épuisée. »

— Vous avez été remarquable aujourd’hui, me dit-il.

En enveloppant mes paumes tremblantes dans ses mains parcheminées, semblables à celles d’Alberta, il les réchauffa.

— Quoi qu’il advienne, n’oubliez jamais que vous avez un allié, déclara-t-il.

De ces mots, je compris une chose. Qu’il s’inquiétait bel et bien pour moi, à sa manière. Je n’étais pas vraiment sa façon d’agir, mais il avait lutté autant qu’il le pouvait pour tenter d’améliorer ma condition. Il avait été témoin de ce que j’avais enduré aujourd’hui, et il saluait mon combat, vaillant à ses yeux. J’avais subi des violences. On m’avait adressé des paroles atroces. Même si… même si moi…

J’étais amoureuse de Lord Damian. Drossel et Flügel le savaient. Les sujets des deux royaumes le savaient. Et pourtant, ah, quelle honte…

Mais tout le monde était au courant. J’aimais cet homme. J’étais amoureuse de lui. « Cela fait déjà un an, et toujours rien. Avez-vous sérieusement abordé la question d’un héritier avec le roi ? Si cela continue, on se devra de proposer une concubine que vous ne pourrez refuser ». Elle savait pourtant à quel point cela me blesserait.

Elle m’avait réprimandée. La sœur cadette de celui que j’aimais.

Voilà ce qu’elle m’avait dit…

— Merci, mais je vous en prie… j’ai envie d’être seule.

Je réussis malgré tout à conserver mon sourire, mais à peine le chambellan eut-il franchi le seuil que les larmes jaillirent à flots, incapable de les retenir. Il devait exister, quelque part dans le monde, des douleurs plus cruelles encore. J’avais l’air bien sotte de pleurer pour une chose pareille. Et pourtant, à cet instant précis, je me sentais comme la personne la plus misérable qui soit.  Je voulais retourner à Drossel.

Je voulais rentrer chez moi, à Drossel.

Non, ce n’était pas ça. Non… ce n’était pas ça. Non. Je voulais revenir auprès de celle qui m’avait toujours permis de pleurer, autant que je le voulais. De celle qui restait toujours à mes côtés.

— Alberta…

Je voulais retourner auprès d’Alberta.

Je savais que c’était stupide de ma part. Mais rien que d’imaginer le jour où Lord Damian, mon époux, l’homme que j’aimais, prendrait une autre femme que moi… c’était insupportable. Mon cœur me faisait mal, si mal que j’avais du mal à respirer. Alors je ne pus retenir mes sanglots. Je me demandais ce qui avait mal tourné.

Était-ce parce que j’avais fini par me refermer sur moi-même, à force d’entendre le chambellan marteler : « Un comportement aussi inconvenant n’a pas sa place ici » m’empêchant ainsi de m’exprimer librement ? Ou était-ce parce que j’avais découvert trop tard qu’il était mal vu de ne pas prendre l’initiative d’adresser la parole à la famille royale, alors que, dans mon pays, j’avais toujours dû attendre que l’on s’adresse à moi ?

Peut-être… peut-être était-ce tout cela à la fois.

Il paraissait que Flügel n’avait pas accueilli de princesse étrangère depuis soixante ans. Alors peut-être était-ce déjà trop leur demander que d’accepter un corps étranger comme moi. Les choses auraient sans doute été différentes si j’avais été une femme remarquable, oui, une femme comme Son Altesse. Mais moi… moi, je n’avais que mes larmes. Était-ce une raison suffisante pour qu’on me traite de la sorte ?

Était-ce donc cela, être une si horrible personne ?

Aah, rien, rien du tout. Rien ne se passait bien. Et peut-être que, désormais, rien ne se passerait jamais bien.

Cette pensée s’insinua dans mon cœur, avec une rapidité glaçante.

Soudain, je perçus avec une clarté étrange les sons qui m’entouraient. Le bruit de pas lointains. Le sifflement du vent, dehors. Ma propre respiration. Le clapotis de mes larmes tombant une à une de mes cils. Et puis, cette étrange lucidité avec laquelle je me regardais, comme vue de l’extérieur.

Oui, peut-être que plus rien ne marcherait jamais à partir de maintenant. Si tel était le cas…Alors, ne devrais-je pas fuir ?

Une foule de questions me traversa l’esprit : Où ? Avec qui ? Pour faire quoi ? Mais je les écartai. J’étais sans doute déjà brisée à cet instant-là. Je laissai choir mon propre cœur, que j’avais pourtant pris soin de préserver à tout prix pour qu’il ne se brise pas, là, à mes pieds. J’eus même la sensation d’entendre un bruit au moment où il heurta virtuellement le sol.

—— Peut-être que rien ne marcherait plus jamais.

Et si c’était le cas, alors peu importait combien je me débattais, ce serait vain.

—— Peut-être que rien ne marcherait plus jamais.

Je devais fuir quelque part.

—— Peut-être que rien ne marcherait plus jamais.

Personne n’allait me protéger.

—— Peut-être que rien ne marcherait plus jamais.

Après tout, j’étais dans un pays étranger, et Alberta n’était pas là. La seule capable de me protéger…

—— Peut-être que rien ne marcherait plus jamais.

…c’était moi-même.

—— Peut-être que rien ne marcherait plus jamais.

Je devais fuir.

—— Peut-être que rien ne marcherait plus jamais.

Je devais fuir.

—— Peut-être que rien ne marcherait plus jamais.

Si je restais ici, comme ça… je pourrais vraiment sauter par la fenêtre.
Rien qu’à concevoir cette pensée, ma respiration se fit haletante. Et quand je repris mes esprits, j’avais déjà quitté la pièce. Les courtisans s’affairaient encore dans le jardin, nettoyant les restes de la réception.

Le chambellan, lui aussi, se trouvait à l’extérieur, donnant ses instructions çà et là. Si je quittais ma chambre sans bruit, il ne viendrait sans doute personne me chercher dans l’immédiat. Un soldat montait la garde dans le couloir, mais il n’était là que pour surveiller les allées et venues. Ce n’était pas un garde du corps.

—— Peut-être… peut-être que si je partais maintenant, personne ne remarquerait ma disparition.

Et une fois que cette pensée me traversa l’esprit, je fus incapable de penser à autre chose. Avant même de m’en rendre compte, mes bras, mes jambes avaient bougé. Je fis lentement mouvoir l’ensemble de mon corps et quittai cet endroit. Je descendis les escaliers, traversai un couloir peu emprunté. Je croisai quelques personnes en chemin, mais nul ne me prêta attention. Sans doute ne s’attendaient-ils pas à ce que la reine coure seule dans les couloirs.

Je ne cherchais pas à ce que l’on m’interpelle. Mais personne ne le fit.
Personne ne m’arrêta. C’est pour cela qu’à présent, je me cachais. Dans un recoin du labyrinthe de roses, au sein du palais royal de ce royaume aux forêts profondes. Je levai les yeux vers le ciel. Il était couvert. L’air était lourd, annonciateur de pluie. Quelqu’un me cherchait-il, à cette heure ? Non… probablement pas. Je mettrais en gage cent camélias blancs de Drossel que non.

« Ce n’est pas vraiment un pari », me murmura une voix intérieure.

—— Que m’arrivera-t-il si je reste là comme ça ?

Dépliant les manches de ma robe et retirant mes longs gants, j’arrachai quelques brins d’herbe à mains nues.

Ramassant au sol des pétales de rose tombés, je les lançai en l’air, même si je savais qu’ils ne voleraient pas bien loin.

J’avais sans doute l’air d’un enfant cherchant à contenir une mauvaise humeur. Si quelqu’un m’avait vue, il se serait sûrement demandé ce que diable faisait la reine de Flügel dans un état pareil.

Pourquoi étais-je devenue ainsi, en grandissant ? Je ne faisais que donner trop d’importance à de petites choses et me laisser engloutir dans le tumulte de mes pensées. Peu digne d’une personne appelée à gouverner.

 Ce n’était pas la vie conjugale que j’avais imaginée. Je m’étais bien doutée qu’il y aurait des épreuves, comment dire ? Je pensais qu’elles seraient d’une autre nature. Je croyais qu’elles auraient des contours plus nets, plus compréhensibles. Honnêtement, je ne savais même pas contre quoi je me battais. Son Altesse me détestait probablement, mais si l’on me demandait si elle était mon ennemie, je répondrais que non, et je ne me tromperais pas. Je la trouvais cruelle, cela dit.

Contre quoi étais-je en train de lutter ? Qu’est-ce qui me faisait si peur ?
Je me sentais continuellement menacée par des choses vagues, floues, que je ne comprenais pas bien. J’avais étouffé mes habitudes, étouffé celle que j’étais. Et, alors que j’étais en proie à cette peur, l’estime que les autres avaient de moi s’était effondrée, jusqu’à ce que je finisse par fuir.

Contre quoi étais-je en guerre ? Pourquoi me battais-je ? Pourquoi…

Pourquoi ?

Pourquoi étais-je toute seule, en cet instant précis ?

***

Après cela, je pleurai jusqu’à l’épuisement… puis je m’endormis.
Sans doute d’un sommeil extrêmement profond, car je ne me réveillai même pas lorsque la nuit tomba. Personne ne remarqua mon absence, et nul vacarme ne s’ensuivit.

Ainsi, je pus dormir éternellement.

Pendant ce sommeil, je fis un rêve. Un rêve peuplé des gens de Drossel.
Et aussi… Violet, elle était là, elle aussi. Ma chère Violet. Elle me regarda en pleurs, et comme autrefois, elle me dit :

— Dame Charlotte, vous êtes vraiment une pleurnicheuse.

Puis elle ajouta :

— Je souhaite arrêter vos larmes.

Je lui répondis que je n’en avais pas besoin… et je la serrai dans mes bras, lui demandant de rester à mes côtés. Et tandis que je pleurais contre la poitrine de Violet, je me rendis compte qu’elle s’était transformée en Alberta. Lorsque je pensai : « C’est Alberta… », les larmes redoublèrent. Je m’adressai à Alberta.

Peu importait ce que je disais : personne ne m’écoutait avec sérieux.

Peu importait ce que je disais : les visages se fermaient, moqueurs.

Peu importait ce que je disais : ma situation ne changeait jamais.

Où que je pose les yeux, personne ne venait à mon aide.

Où que je regarde, personne n’était mon allié.

Où que je cherche… vous n’étiez pas là.

Où que je cherche… vous n’étiez pas là.

Où que je cherche… vous… vous… vous

— C’est parce que vous n’êtes plus là, Alberta, que je suis aussi faible.

Même une pleurnicheuse comme moi aurait pu garder la tête haute et rester digne, si vous aviez été là. J’aurais su garder ma prestance de princesse.
Mais à présent, je n’étais plus que la servile courtisane de tous.

Ce n’était plus moi.

C’est pour cela que mon cœur s’était brisé, et que je l’avais laissé tomber à terre.

— Alberta, vous ne l’avez pas vu, mon cœur ? Il traîne quelque part ici, je crois… J’en ai besoin… j’en ai besoin…

Sans lui… Lord Damian…

 

— M’attendiez-vous… à ce que je vienne vous chercher ?

Une voix rauque murmura à mon oreille. C’est à ce moment-là que je me réveillai. Comme cette nuit-là, la pleine lune dominait le ciel nocturne. Les étoiles et l’astre lunaire resplendissaient au cœur de la saison des roses en fleurs. Dans un état de semi-conscience, je battis des paupières. Les larmes coulèrent de nouveau. En me voyant pleurer, mon époux m’enlaça, comme pour me soustraire au regard du ciel nocturne.

— J’irai dire aux soldats qu’elle a été retrouvée.

— Je ne veux pas de tumulte. Laissez-nous seuls un moment.

En entendant la voix du chambellan, ma conscience revint peu à peu à la réalité. Il avait parlé de « soldats ». Les choses avaient donc peut-être pris une tournure grave. Mais à cet instant, même si mon cœur venait à se briser, je ne ressentais plus de crainte.

« Je vois… », fut tout ce que je pensai.

Ce mariage… était peut-être réellement arrivé à son terme. Une fois le chambellan congédié, Lord Damian posa sur moi son manteau et se pencha à ma hauteur. Il saisit ma main, me guida… puis me souleva dans ses bras, comme une mariée.

— On dirait une enfant.

— Non. Vous êtes mon épouse. Et une princesse.

Je n’avais plus envie de rien. Alors j’acquiesçai simplement, et me laissai faire.

Tous deux, nous traversâmes ensemble le labyrinthe de roses. Il y avait sans doute quelqu’un qui veillait sur nous, la lumière vacillante d’une lanterne, au loin, semblait nous guider.

— Est-ce que… vous voulez divorcer ?

Ces mots tombèrent soudainement de ses lèvres, tremblantes, et me laissèrent sans voix. Je ne compris pas tout de suite ce qu’il disait. Je ne compris pas très bien ce qu’il disait.

— Si c’est ce que vous désirez, Lord Damian…

— Ce n’est pas ça, Charlotte. Je ne veux pas vous quitter…Mais je me demandais si… si c’est ce que vous pensiez en ce moment.

Je ne saisis pas immédiatement ses mots.

— Ralph, le chambellan… n’a cessé de me le répéter. Que si je prenais pour épouse une princesse étrangère pour la première fois en soixante ans, il y aurait forcément des critiques. Il m’a dit qu’au moment venu, je devrais vous protéger coûte que coûte.

Qu’essayait-il de me dire ?

— Au début, j’ai cru bien faire. Je restais à vos côtés, pour qu’on n’ose jamais vous dire la moindre chose déplacée…

Qu’essayait-il de dire… ?

— Mais ensuite, j’ai dû monter sur le trône… les responsabilités se sont accumulées, encore et encore, et j’ai fini par ne regarder que cette pile.
Je ne me suis même pas aperçu que vous souffriez autant. Ce n’est nullement votre faute. C’est moi qui ne gouverne pas comme je le devrais. Et, pour une raison stupide, c’est sur vous que tout retombe. C’est absurde. Ridicule. Tout le monde pense que c’est permis, parce que vous êtes une étrangère.

—— Ce n’est pas votre faute. Je suis consciente de mes propres défauts aussi.

— J’ai aussi entendu ce qui s’est passé aujourd’hui. Il paraît que vous vous êtes montrée intrépide malgré les provocations de ma sœur.

—— Ce n’est pas de votre faute, Lord Damian. Je le sais. Je sais que vous froncez les sourcils dans votre sommeil, chaque nuit.  Vous faites de votre mieux. De votre mieux, tous les jours. Je le sais. Vous avez beau avoir dix ans de plus que moi, vous êtes …

— Je suis… pathétique. Vous aviez le droit de vous plaindre. Et pourtant, vous ne m’avez jamais reproché quoi que ce soit. Pas même à Ralph. Nous nous sommes contentés du fait que vous supportiez tout, et personne n’a rien remarqué. Et ainsi, on vous a acculée. Jusqu’à ce que vous preniez la fuite… Voilà où nous sommes arrivés.

—— …Vous aussi encore jeune.

— Je suis… pathétique… J’ai acculé ma propre épouse…

—— Si perdu, si effrayé.

— …au point qu’elle s’enfuit… pieds nus.

—— Et tremblant.

— Charlotte… m’en voulez-vous déjà ?

—— Aah… Lord Damian, vous savez pleurer ? Pour une raison inconnue, je croyais que vous ne versiez jamais de larmes. Je ne sais pas pourquoi. Pour moi, vous étiez un prince baigné de clair de lune, alors je pensais la chose impossible. Mais je vois à présent. Oui, même vous…

— Je vous aime. Je souhaite arrêter vos larmes.

—— …Avez un côté pleurnicheur.


Après que Lord Damian eut prononcé ces mots, je réalisai pour la première fois que j’étais pieds nus. Il me semblait pourtant avoir quitté la chambre avec mes chaussures… je me demandai ce qui avait bien pu leur arriver. Il me dit que quelqu’un les avait cherchées et retrouvées. Depuis combien de temps étaient-ils à ma recherche ? Si cela avait suffi à faire pleurer cet homme, alors ils avaient sans doute retourné le palais tout entier.

Inutile de le nier : j’étais une femme bien difficile à gérer. Et pourtant, mon cœur, ce cœur brisé, éparpillé aux quatre vents, se remit doucement en mouvement. Je sentais sa chaleur revenir peu à peu.

Peut-être parce que, pour la toute première fois depuis notre union, nous étions enfin devenus un vrai couple. Il me demanda si j’avais envie de faire quelque chose, ou si je voulais qu’il fasse quelque chose pour moi. Je lui répondis que je voulais voir Alberta ce qu’il comprit.

Puis il me demanda s’il y avait autre chose. Alors je lui parlai d’un rêve dont tout le monde s’était moqué. Puisque nous avions traversé tant d’épreuves pour être mariés, je voulais faire quelque chose pour nos deux royaumes. Je lui proposai de construire un orphelinat près de la frontière. Lord Damian ne s’en moqua pas. Au contraire. Il me dit que c’était une très belle idée.

— Réfléchissons-y ensemble. Je regrette de ne pas vous en avoir parlé plus tôt, car je pensais que ce serait un fardeau pour vous.

— Désormais, parlons. Tous les deux. Des choses joyeuses, tristes, douloureuses. Je veux que vous me parliez et je veux aussi que vous m’écoutiez.

Puis il continua à me demander s’il y avait encore autre chose… Et pour finir, je lui demandai de m’enfermer dans le palais s’il prenait un jour une concubine. Il se mit en colère, jurant qu’il n’en aurait jamais. Mais ce n’était pas certain. Il semblait que nous n’avions pas beaucoup d’aptitude pour concevoir un enfant. Une concubine pourrait s’avérer nécessaire. Lord Damian déclara que même dans ce cas, il n’en voudrait pas.

Et ensuite… ensuite… ensuite… Qu’était-ce déjà ?

J’enfouis mon visage dans le cou de Lord Damian. Il avait cette odeur qui, à chaque fois que je la sentais, faisait battre mon cœur à tout rompre.

— Dites, j’ai peut-être envie de vous embrasser, là. Mon visage est tout en désordre parce que j’ai trop pleuré, mais… vous me le permettriez-vous alors que je suis dans un tel état ?

Lord Damian se mit à rire tout en pleurant.

— Même si vous pleurez, vous restez mon adorable épouse. Bien sûr que je le ferais.

Transportée de joie à ces mots, je versai de chaudes larmes. Quand nous nous embrassâmes, c’était, comme on pouvait s’y attendre… un peu salé. Mon cœur s’emballa.

— Je suis toujours amoureuse de vous… Est-ce votre cas ? demandai-je, en prenant soin de paraître prête à accepter n’importe quelle réponse.

Comme je m’y attendais, Lord Damian avait encore les larmes aux yeux.

— En réalité, je ne suis tombé amoureux de vous qu’après notre mariage. Alors mon cœur bat très fort, là, tout de suite.

— Je vois.  Alors nos sentiments sont réciproques. C’est incroyable, dis-je, impressionnée.

— Et vous pensiez que c’était quoi, jusque-là ? me demanda-t-il.

— Un amour à sens unique, répondis-je sincèrement.

— Vous n’entendez pas quand je vous dis que je vous aime chaque matin, avant de quitter notre chambre ?

— Si, mais je croyais que c’était une sorte de flatterie…

— Je ne suis pas si doué pour ça. Quand j’aime quelque chose, je le dis, c’est tout. Je suis très franc. Vous le saviez depuis vos dix ans, non ?

— Comme c’est nostalgique… Je suis amoureuse de vous depuis tout ce temps.

Je vivais les lendemains de cette histoire. Je ne savais pas s’il s’agissait d’un conte heureux ou triste. Mais j’allais vivre. Vivre, vivre encore.

Et cela continuerait sans doute ainsi, indéfiniment. J’étais livrée à moi-même dans ce palais…

Mais… je n’étais pas seule.

— Damian, est-ce que tu m’aimes ?

— Oui, Charlotte.

C’est là que je vivais, dans ce royaume de la forêt.

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