THE TOO-PERFECT SAINT T3 - Épilogue

Épilogue

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Traduction : Calumi
Correction : Opale
Harmonisation : Raitei

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— Tout le monde est là ? Vous êtes certains de n’avoir rien oublié ?

— Oui, de toute façon je n’avais presque pas de bagages.

— Pour moi, c’est bon.

La nuit fit place à l’aube, et le matin arriva. Nous nous rassemblâmes chez Erza et Mammon pour qu’ils nous transportent à Parnacorta. Apparemment, ils avaient récupéré Alice hier.

— C’est tellement dommage que ma vie à Dalbert se termine aujourd’hui, se lamenta Lena.

— Hmm, fit Leonardo. — Tentée de rester, alors, Lena ?

— Voyons, Leonardo, cessez donc d’être méchant !

— Toutes les portes ont été verrouillées, vous ne pourrez pas retourner au manoir.

— Himari, je vous en prie, ne prenez pas mes paroles au pied de la lettre !

Les larmes aux yeux, Lena dodelina de la tête tandis que Leonardo et Himari la taquinaient.

Bagages en main, tout le monde se réunit dans le jardin du manoir.

— Je me sens coupable que vous me raccompagniez aussi, dit Mia. — Désolée pour le dérangement.

— Ce n’est rien, dit Mammon. Je me ferai un plaisir de me donner sans compter pour une beauté comme vous.

Mammon allait téléporter Mia directement jusqu’à Girtonia ; nous nous séparions donc ici. L’offre était des plus appréciées, puisque Girtonia, à l’extrémité orientale du continent, était très éloignée.

— Eh bien, dit Mia. — La prochaine fois que nous nous verrons, ce sera à votre mariage. Mère dit qu’elle s’en réjouit d’avance.

— Euh, tu crois que mon maître viendra ?

— Philia, comment peux-tu demander ça ? Quelle mère manquerait le mariage de sa propre fille ?

Je savais déjà que tante Hildegarde tenait à assister à mon mariage, mais je voulais m’en assurer encore une fois. Bien sûr, je serais ravie de l’avoir à mes côtés si elle pouvait venir. Mais, connaissant sa rigueur dans l’accomplissement du devoir, je pensais qu’elle jugerait inacceptable de prendre congé avec Mia pour une affaire personnelle, laissant Girtonia sans Sainte.

— Transmets-lui mes amitiés, et dis-lui que j’ai hâte de la voir au mariage.

— Oui, je le lui dirai sans faute. Elle meurt d’envie de te voir en robe de mariée.

— Moi, en robe de mariée ?

— Évidemment ! Je parie qu’elle pleurera. Après tout, nous savons bien que tu seras ravissante.

Mia avait beaucoup d’imagination. Elle pouvait peut-être s’imaginer mon maître éclatant en larmes à mon mariage, mais je n’arrivais pas à concevoir qu’une personne aussi sévère pleure. À mes yeux, Hildegarde était la Sainte idéale : toujours résolue, avec un cœur d’acier bien plus solide que celui de quiconque. Je ne pouvais tout simplement pas croire que me voir en robe de mariée suffirait à faire fléchir une personne si forte.

— À l’instant, tu pensais que Mère ne pleurerait jamais, n’est-ce pas ?

— Oui. Elle n’est pas de ce genre-là.

— Tu crois vraiment qu’une personne comme elle ne pourrait jamais pleurer de joie ?

— Eh bien… euh… je ne sais pas. Mon maître et moi avons passé bien plus de temps comme mentor et élève que comme mère et fille. Elle m’a raconté des histoires de sa vie personnelle, mais cela n’a pas encore vraiment fait son chemin.

Dans mon manoir de Parnacorta, quand j’avais appris qu’Hildegarde Adenauer était ma véritable mère, je l’avais poussée à s’ouvrir sur son passé. Malgré cela, dans mon esprit, elle restait d’abord et avant tout mon enseignante. C’était dire à quel point elle comptait pour moi en tant que mentor.

— Je vois. On n’y peut rien, il faut laisser du temps au temps. Mais, Grande Sœur, tu devrais savoir que c’est Mère qui t’a donné ton nom. Ton nom « Philia » signifie « amour ». Elle te l’a donné en espérant que tu trouverais un jour le véritable amour.

— Quoi ?

— Tu connais Mère. Elle se met à bavarder après quelques verres. Elle a dit que c’était le sens de ton nom. Et puis elle m’a demandé de ne rien dire. C’est pour ça que je sais qu’elle sera heureuse que son vœu pour toi se soit réalisé. J’en suis absolument certaine !

De fait, ma maîtresse avait tendance à parler un peu plus après avoir bu. Elle s’était même excusée auprès de moi, une fois. Elle n’avait pas avoué alors être ma véritable mère, mais il y a fort à parier qu’elle parlait avec son cœur. Elle se réjouissait de mon mariage, non comme mentor, mais comme mère. C’était la bénédiction la plus précieuse que j’eusse jamais pu recevoir. J’étais reconnaissante à Mia d’avoir eu la gentillesse de me l’apprendre. Mia, c’est toi qui m’as enseigné la première ce qu’est l’amour.

— Merci, Mia. C’est grâce à toi.

— Hein ? D’où ça sort ? Je n’ai même rien fait. Tu veux dire Mère, non ?

— Non. Je ne pense pas que mon maître serait venu ici seule pour le Sommet des Saintes. Si tu n’avais pas été avec elle, son cœur serait sans doute resté fermé. Tu as le pouvoir d’adoucir le cœur des gens. Tu n’imagines pas combien de fois tu m’as sauvée.

J’avais toujours pensé, avec la plus grande sincérité, que Mia était d’un charme unique. Elle avait le don de conquérir les gens et d’entrer dans leur cœur. Comme moi, le prince Fernand et ma maîtresse avaient renoncé à s’attacher aux autres. Mais après avoir rencontré Mia, son influence les avait gagnés, et ils avaient peu à peu changé.

J’étais infiniment fière de l’appeler ma sœur.

— Ce n’est pas vrai, protesta Mia. — J’aurais dû remarquer tant de choses bien plus tôt, mais je ne l’ai pas fait… Hein ? Philia ?

Je pris la main droite de Mia dans les deux miennes.

— Tu peux devenir une Sainte bien plus grande que moi. Non, attends. Tu le dois absolument, ordonnai-je à Mia, en tant que sœur aînée, pour la première fois de ma vie.

Mia se mit à rire.

— C’est impossible. Je ne connais pas une seule Sainte aussi parfaite que toi.

— Il y a des choses bien plus importantes que la perfection. Je l’ai appris de toi et de Sir Osvalt. Tu n’as pas besoin d’être parfaite. Souviens-toi seulement de tous ceux qui tiennent à toi.

En tant que Sainte, j’avais toujours visé la perfection en tout. Je ne pensais pas que ce fût une erreur ni une perte de temps. Toutefois, j’avais trop voulu tout faire seule. Je ne considérais pas qu’on pût s’appuyer sur les autres. Peut-être parce que, sans m’en rendre compte, j’avais perdu la faculté de faire confiance. À Parnacorta, j’avais compris qu’avec le soutien d’autrui, j’étais capable d’accomplir de grandes choses.

— Je n’en suis pas si sûre, dit Mia. — Mais puisque c’est la première fois que tu me donnes un ordre, je ferai de mon mieux.

— Je compte sur toi.

Avec un sourire, Mia posa sa main gauche entre les miennes.

— D’accord ! Bon, je devrais y aller, avant qu’Erza ne commence à s’agacer. Nous l’avons fait attendre trop longtemps.

Jetant un coup d’œil derrière Mia, je vis Erza nous fixer les bras croisés. Nous nous étions tellement laissé emporter par notre conversation que nous en avions oublié la raison de notre venue.

— Oh, je détesterais gâcher vos touchants adieux de sœurs, dit Erza. — Cela ne me dérange pas d’attendre encore un peu.

— Ce n’est pas la peine. Nous garderons la suite pour une autre fois, quand Mère pourra se joindre à nous.

— Tu es sûre ? Très bien. Mammon, prépare-toi à mettre le cap sur Girtonia.

— Oui, oui. Par ici, petite Dame.

Alors que Mammon concentrait sa magie, une porte aux motifs inquiétants apparut. Au-delà de cette porte se trouvait Girtonia, ma patrie.

— Sainte Salvatrice, et si nous jetions un rapide coup d’œil à votre patrie ? demanda Erza en se tournant vers moi.

— Non, merci ; je passe mon tour cette fois. Je suis la Sainte de Parnacorta, après tout.

— Vraiment ? Très bien, alors. Nous revenons tout de suite. Attendez- nous un instant.

— Prends soin de toi, Philia.

— Je le ferai. Toi aussi, Mia, prends soin de toi.

Après nous être promis de nous revoir, Mia et moi échangeâmes nos adieux. Girtonia avait Mia. J’avais foi en ce qu’elle travaillerait pour la prospérité de notre patrie. Quelques minutes plus tard seulement, Erza et Mammon émergèrent de la porte. Il semblait que Mia était rentrée sans encombre. À présent, c’était notre tour. Nous n’avions pas emporté grand-chose, si bien que notre groupe était léger.

— Eh bien, à présent, c’est à nous de compter sur vous, dit Osvalt.

— Bien sûr. Mammon, ouvre la porte, ordonna Erza.

— Oh, voyons ! Accorde-moi au moins une petite pause, grogna Mammon.

Mais, tout en ricanant amèrement, il ouvrit de nouveau la porte. Cette fois, au-delà de ce passage se trouvait Parnacorta, le royaume que j’avais le devoir de protéger.

— On y va ?

— Oui.

Prenant la main tendue de Sire Osvalt, je franchis la porte. À peine l’eus-je traversée qu’une lumière intense jaillit, m’obligeant à fermer les yeux. Un instant plus tard, un spectacle familier s’offrit à moi. Je levai les yeux vers le ciel bleu limpide de Parnacorta, le royaume le plus proche du soleil sur ce continent.

— Youpi ! s’écria Lena. — Cela faisait longtemps, mais nous voilà de retour !

— Hélas, dit Leonardo. — J’avais demandé à quelqu’un de s’occuper de l’intendance pendant notre absence, mais le jardin est passablement négligé. Il va falloir le remettre d’aplomb sur-le-champ.

— Ils n’ont pas non plus réussi à suivre pour le ménage. Lena, prépare-toi. Nous ne pouvons pas laisser Dame Philia se reposer dans la saleté.

— Oh, Himari, attends-moi !

Nous venions tout juste de rentrer, et déjà Leonardo, Lena et Himari s’affairaient à leurs tâches. Ils me mettaient en garde contre le surmenage, et pourtant je ne les avais jamais vus flâner.

— Ici, tout a l’air animé. Et si nous allions d’abord au palais ? proposa Osvalt. — Il faut que nous fassions notre rapport à mon frère, après tout.

— Cela me paraît bien. Mais avant cela… Erza ! Mammon ! lançai-je alors qu’ils s’apprêtaient à rouvrir la porte pour rentrer à Dalbert.

Tous deux se retournèrent. Il y avait quelque chose que je devais leur demander, quoi qu’il arrive.

— Sainte Salvatrice, quelque chose ne va pas ? Ce n’est pas votre genre d’élever la voix. Avez-vous oublié quelque chose ?

— Non, tout va bien. Hum, accepteriez-vous de venir à notre mariage ?

Erza et Mammon se regardèrent en silence un instant. Peut-être était-ce étrange, de ma part, de formuler une telle requête.

Je tenais pourtant à ce que tous deux, qui nous avaient tant soutenus, soient présents à la cérémonie.

— Qui l’eût cru ? Nous voilà invités au mariage de la Petite Dame Philia et de Monsieur le Prince. Je n’aurais jamais imaginé cela à l’époque où nous ne faisions que de sombres besognes.

— Nous avons simplement exécuté notre travail de gardes du corps et d’intendants sur ordre de l’Église mère, dit Erza. — Vous n’avez pas à vous mettre en frais pour nous.

— Même ainsi, j’ai une dette envers vous deux. Je serais heureuse de vous avoir à mon mariage.

Ils échangèrent un nouveau regard avant de répondre.

— Ma foi, autant y aller, dit Erza. — Je ne suis pas très à l’aise dans les grandes mondanités, mais je vous dois bien cela ; c’est la moindre des choses.

— Peut-être devrais-je y aller pour me trouver une fiancée sur place.

— Merci infiniment ! dis-je.

Ayant promis d’assister au mariage, ils franchirent la porte et rentrèrent à Dalbert.

Nous nous reverrons, et cette fois, ce ne sera pas pour le travail. J’ai hâte.

— Ce sont de braves gens, dit Osvalt.

— Oui, leur compagnie est agréable.

Après avoir salué Erza et Mammon, nous prîmes la direction du palais. Le prince Reichardt devait être inquiet ; il nous fallait donc lui faire notre rapport sans tarder.

 

* * *

 

— Si vous êtes revenus, c’est que vous avez réussi.

Bien que le prince Reichardt fût, comme toujours, fort occupé à rattraper son travail, il se leva lorsque nous entrâmes dans son cabinet.

— Merci pour tout ce que vous avez fait.

— Votre Altesse, nous vous prions de nous excuser pour le rapport tardif, dis-je.

— Oh, et merci d’avoir envoyé Dame Mia à Dalbert, ajouta Osvalt.

Sur l’invitation de Son Altesse, nous nous assîmes sur le canapé. À y bien penser, c’était le même où nous nous étions assis lorsque Son Altesse nous avait poussés à partir pour Dalbert. Il avait dû parler d’expérience et par égard pour nous.

Son Altesse avait accordé à Henry la permission d’emporter le corps d’Elizabeth à Dalbert, sans doute par culpabilité à la suite de sa mort. Aux prises avec un chagrin profond depuis lors, elle travaillait sans relâche pour rendre le royaume prospère à la place d’Elizabeth.

— Il était essentiel de surmonter cette crise, mais plus encore, je ne voulais pas vous perdre tous les deux, expliqua Son Altesse. — Œuvrer ensemble était la conduite la plus logique.

— Votre Altesse, à propos d’Elizabeth…

— S’agit-il du corps d’Elizabeth ?

— … Hein ?! O-oui. Mais comment…

Son Altesse savait que j’étais au courant de ce qu’était devenu le corps d’Elizabeth. Mais comment l’avait-elle appris, alors que Himari avait mené son enquête en secret ?

— Je suis désolé. J’ai laissé filtrer l’information à Himari. J’aurais pu la lui directement, mais j’hésitais à l’aborder d’emblée.

— Ce n’est rien. C’est à moi de présenter des excuses pour mon outrecuidance. Je devais découvrir les motifs d’Henry, quoi qu’il en coûte, je n’avais pas le choix.

— Inutile de vous en vouloir. Henry me haïssait profondément, puis il a étendu sa haine à tout Parnacorta, le royaume pour lequel Elizabeth avait sacrifié sa vie. S’il vous haïssait aussi, c’est ma faute.

Son Altesse semblait savoir que j’avais été entraînée dans la quête de vengeance d’Henry. Je n’en avais pas la certitude, mais il est probable qu’elle eût soupçonné, avant quiconque, qu’Henry avait falsifié le testament, connaissant ses motivations.

Alors que nous étions assis sur le canapé, Son Altesse expliqua pourquoi il avait envoyé Mia à Dalbert.

— Au début, j’ai pensé que vous pourriez peut-être vivre heureux à Dalbert. Mais j’ai commencé à m’inquiéter lorsque j’ai appris que vous examiniez les liens entre Henry et moi. Alors, quand Mia est arrivée, j’ai décidé de tout lui confier.

Il apparaissait une fois de plus que le prince Reichardt se souciait toujours de notre bonheur. Je ne pouvais que lui être reconnaissante pour sa bonté sans bornes et son cœur courageux.

Nous confirmâmes à Son Altesse que le but d’Henry était de se venger de Parnacorta et que, pour cela, il avait tenté de ranimer Hadès, le dieu des enfers. Nous lui décrivîmes comment nous avions fait front commun pour l’arrêter net.

— À propos, mon frère, Dame Elizabeth souhaitait s’excuser, dit Osvalt. — Elle a dit qu’elle avait aimé Parnacorta à tes côtés et qu’elle considérait le temps passé ici comme l’héritage de sa vie.

— Lui as-tu parlé au moyen du sort de communication avec les morts de Dame Philia ?

— Oui. Je crois que Dame Elizabeth veut que vous regardiez l’avenir.

— Vraiment ? Mais je fais face à l’avenir. Sinon, comment pourrais-je affronter Elizabeth ? Elle vit en moi, et c’est grâce à elle que je peux continuer d’aimer ce royaume.

Dès notre première rencontre, j’avais perçu l’amour extraordinaire que le prince Reichardt portait à son royaume. Il me paraissait bien plus fort que celui de quiconque pour sa patrie. Peut-être cela n’avait-il rien d’étrange. Après tout, Son Altesse abritait en elle l’amour de deux personnes : celui d’Elizabeth et le sien. La source de la force du cœur sincère de Son Altesse ne pouvait être autre qu’Elizabeth.

Son altesse ne s’appesantissait pas sur le passé et ne l’oubliait pas non plus, équilibre qui me semblait d’une difficulté extrême. C’était précisément parce que le prince Reichardt était ainsi que j’étais convaincue qu’il guiderait Parnacorta dans une direction positive.

— Quoi qu’il en soit, vos préparatifs de mariage ont été retardés par tout cela, aussi ai-je compilé quelques listes pour vous. Décidez au moins vous-mêmes de la musique, de la décoration, du menu et des vœux. D’autres se chargeront de l’organisation. Vous devez être prêts à recevoir vos invités.

Un bruit sourd retentit lorsque Son Altesse posa devant Osvalt et moi une pile de documents. Nous nous regardâmes. Le prince Reichardt avait donc travaillé à notre mariage ?

Souriant en voyant nos mines ahuries, Son Altesse paraissait plus affectueuse et plus douce encore que d’ordinaire.

— Ouf… au moins Reichardt avait confiance en notre retour, dit Osvalt tandis que nous quittions le cabinet du prince Reichardt.

— Ah oui ?

— Eh bien, il a avancé les préparatifs du mariage. S’il avait pensé que nous ne reviendrions pas, il ne s’en serait pas donné la peine, n’est-ce pas ?

Souriant, Osvalt portait la lourde liasse empilée si haut qu’on en devinait presque le poids. Peut-être sentait-il, à l’aune de cette charge, combien son frère tenait à lui.

— Mais, Dame Phi… je veux dire, Philia…rien qu’examiner tout cela prendra beaucoup de temps, et il y a encore ces devoirs tes devoirs de Sainte… commença Osvalt.

— Pas d’inquiétudes. Je suis douée pour ce genre de choses.

— Je m’en doutais. Dans ce cas, je laisse faire la spécialiste.

En marchant à ses côtés, mon cœur débordait d’anticipation. Je ne parvenais pas à contenir mon bonheur. J’allais commencer à planifier mon avenir avec lui.

J’étais venue dans ce royaume en ayant renoncé à mon avenir, et voilà que tout ce dont je pouvais rêver s’ouvrait désormais devant moi.

Nous passâmes en revue les listes du prince Reichardt jusqu’au crépuscule. Au moment où nous décidions de poursuivre la discussion au matin, Osvalt dit :

— Hé, j’aimerais te demander une chose. Est-ce que je peux ?

— Euh, bien sûr. Qu’y a-t-il ?

— Toutes sortes de choses absurdes pourront encore se produire à l’avenir. Dame Phil…, je veux dire, Philia, tu prends beaucoup sur toi mais… j’aimerais que tu sois aussi égoïste que possible avec moi et seulement avec moi. Dis-moi tes désirs égoïstes. N’importe lesquels. Je t’en prie !

Je n’étais pas préparée à une question aussi déroutante. Ma bouche resta entrouverte. Me demander d’exprimer mes désirs égoïstes était plutôt…

— Hein ? Ai-je dit quelque chose de déplacé ? s’alarma Osvalt en me voyant me taire.

Cet homme avait toujours de nouvelles surprises en réserve pour moi. À cet instant, je me sentis entièrement attirée par lui.

— Non, c’est simplement que j’ai déjà été égoïste avec vous tant de fois que je ne pensais pas que vous me le demanderiez encore.

— Vraiment ? fit-il en riant. — Dans ce cas, tout va bien.

— Osvalt, j’aimerais vous rendre la pareille. N’hésitez pas, vous aussi, à me confier vos désirs égoïstes. C’est la demande la plus égoïste dont je sois capable pour l’instant.

D’une voix claire et profonde, Osvalt laissa échapper un rire de bon cœur.

— Vouloir entendre mes désirs égoïstes est-il vraiment un désir égoïste ? Bah… ça te correspond bien. C’est la première fois que j’entends un désir égoïste aussi altruiste et bienveillant.

À cet instant, j’ignorais encore ce que signifiait devenir mari et femme, mais je pouvais affirmer ceci : j’aimais être avec Osvalt. J’aimais ces conversations agréables, ces moments de légère folie, ces pas partagés côte à côte.

Demain, sans doute le verrais-je encore, et je continuerais de le voir et de passer du temps avec lui, longtemps. Lorsque le présent était plein d’espérances et de rêves pour le lendemain, n’était-ce pas cela que l’on appelait le bonheur ?

— Osvalt, à cet instant, je suis… heureuse.

— Nous sommes vraiment sur la même longueur d’onde. J’allais dire exactement la même chose.

Nos doigts s’entrelacèrent et, les yeux dans les yeux, nos pensées se tournèrent vers notre avenir.

J’avais foi en ce que demain nous pourrions goûter au même bonheur, encore une fois. 

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