THE TOO-PERFECT SAINT T2 - PROLOGUE
Prologue
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Traduction : Calumi
Correction : Opale
Relecture : Raitei
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« — Froide !
— Peu aimable !
— Bien trop sérieuse. Elle est juste… ennuyeuse ! »
Voilà ce que l’on disait de moi depuis toujours.
Je m’efforçais de faire de mon mieux, convaincue que personne ne pourrait m’aimer si je ne me rendais pas utile aux autres. Pourtant, malgré tous mes efforts, le destin qui m’attendait fut d’être vendue à un autre royaume.
À cette époque, j’avais presque oublié comment exprimer la moindre émotion. Ce n’est qu’après avoir été vendue à Parnacorta que j’appris à rire de nouveau.
De grosses gouttes de pluie s’abattaient sur la ferme du prince Osvalt, tout ce qui faisait sa fierté et sa bonne humeur.
— Vous vous promenez sous la pluie sans parapluie, Dame Philia ? Vous allez attraper froid, fit remarquer Son Altesse.
Après m’avoir expliqué que le pays avait souffert de mauvaises récoltes à cause de la sécheresse, le prince Osvalt m’avait demandé de faire tomber la pluie de temps à autre. J’avais appris la magie de contrôle climatique durant mon entraînement dans le désert. Mon mentor, la Sainte Hildegarde, m’avait soumise à un régime des plus rigoureux, mais elle m’avait transmis tout le savoir nécessaire à une Sainte.
— Je vous remercie de votre sollicitude, mais je suis protégée par une Robe de Lumière. Je ne risque donc rien.
En accumulant du mana, les particules magiques présentes dans la nature, je lançai un sort défensif pour me préserver du vent et de la pluie. Là encore, c’était une aptitude acquise au cours de mon entraînement. C’était bien plus pratique ainsi : ne pas porter de parapluie me permettait de garder les mains libres.
— Oh ! Maintenant que vous le dites, vous rayonnez littéralement ! On dirait un ange, ou plutôt une déesse.
— Votre Altesse, vous commencez à parler comme Grace. Je vous en prie, épargnez-moi cela.
Son Altesse se mit à sourire à pleines dents, avant d’éclater de rire.
— Mes excuses ! Je ne peux pas m’empêcher de dire ce que je pense, pardonnez-moi.
Ses paroles n’étaient donc pas des flatteries, mais sincères ? C’était vraiment un homme étrange. Dans le passé aussi, il m’avait dit que j’étais adorable, entre autres choses.
— Avec la sécheresse qui continue, notre réserve d’eau ne suffira pas. Je vais interrompre cette averse dans une minute, mais je me dois de la faire tomber de temps à temps.
— Toutes mes excuses pour cette gêne, Dame Philia. La sécheresse de cette année a été rude, mais vous nous avez été d’une aide précieuse, répondit le prince Osvalt d’un air confus.
— Ce n’est rien, répliquai-je. — En tant que Sainte, il est de mon devoir de faire tout ce qui est en mon pouvoir pour la prospérité de Parnacorta.
Assurer la fertilité des terres faisait partie de mes responsabilités. J’étais venue dans ce royaume pour accomplir le rôle d’une Sainte. Il m’incombait donc d’utiliser mes pouvoirs pour favoriser l’essor de Parnacorta.
— Hé ! La pluie s’est arrêtée pile au bout d’une minute, comme prévu, pas une seconde de plus, pas une de moins. C’est digne de vous.
— Cela suffira pour aujourd’hui, n’est-ce pas ?
— Oui. Ah, regardez, un arc-en-ciel ! Là-bas ! Dame Philia, vous avez fait apparaître un arc-en-ciel !
— Un arc-en-ciel ?
Son Altesse désignait le ciel avec l’enthousiasme d’un enfant. De là où je me tenais, je pouvais le voir également. Comme il l’avait dit, un arc-en-ciel s’étendait dans le ciel. Je ne m’étais jamais rendue compte à quel point c’était beau.
Depuis mon arrivée à Parnacorta, je commençais à remarquer davantage le paysage.
— Ah, au fait. On vous a proclamée Sainte Salvatrice récemment, pas vrai ? J’ai quelque chose pour fêter ça.
Alors que j’observais l’arc-en-ciel, le prince Osvalt me tendit une petite boîte. C’était vrai. Un mois plus tôt, le pape de Cremoux m’avait accordé le titre de Sainte Salvatrice depuis la basilique centrale, dans le royaume de Dalbert, ce que je trouvais un peu excessif.
Cremoux était la religion officielle de tous les royaumes de ce continent, si bien que l’autorité du pape surpassait même celle des souverains. Recevoir le titre de Sainte Salvatrice représentait un honneur éminent, je comprenais donc pourquoi Son Altesse s’en réjouissait autant. Mais le fait qu’il ait pris la peine de me faire un présent me mettait mal à l’aise.
— Hum… Votre Altesse…
— Vous allez me dire que vous ne pouvez pas accepter ça, hein ? Allez, faites un effort.
Il avait deviné exactement ce que j’étais sur le point de dire. Étais-je donc si prévisible ? Quelle honte.
— Votre humilité est une qualité. C’est l’une des choses que j’admire chez vous. Mais ce cadeau… comment dire… Ce n’est rien de très coûteux. Juste un petit témoignage sincère de ce que je ressens. Acceptez-le, je vous en prie.
Je demeurais hésitante, et je ne comprenais pas bien ce qu’il entendait par « ce que je ressens », mais refuser aurait été d’une impolitesse manifeste. C’était la première fois que je recevais un cadeau d’une personne autre que ma sœur Mia. Une douce chaleur se répandit en moi.
— Dans ce cas, je l’accepte avec gratitude.
— Parfait. Ouvrez-le une fois rentrée. Je préfère vous prévenir, je n’ai jamais offert quoi que ce soit à une femme auparavant, alors je ne suis pas très sûr de moi…
— Hé… J’ai hâte de voir la chose.
Même à présent, je m’étonnais encore de la facilité avec laquelle je parvenais à rire, désormais.
Pourquoi étais-je capable d’exprimer mes émotions si naturellement en sa présence ? Cela restait pour moi un mystère complet. Lorsque je lui avais posé la question, Son Altesse m’avait simplement répondu qu’il y voyait un bon signe.
Depuis ce jour, j’avais commencé à me réjouir des changements qui s’opéraient en moi. Je m’efforçais chaque jour d’être la meilleure version de moi-même, pour pouvoir devenir une personne encore meilleure le lendemain.
— Bon, à bientôt alors.
Je répondis à son salut :
— Oui, revoyons-nous très vite. Maintenant, si vous voulez bien m’excuser…
Je pris le chemin du retour, marquant la fin d’une journée sans tracas dans mes devoirs de Sainte.
* * *
— Dame Philia, cette broche est ravissante ! Est-ce un cadeau de Son Altesse ?
— Lena ! balbutiai-je. — Comment l’avez-vous su ?
À mon retour, j’avais ouvert la boîte offerte par le prince Osvalt, pour y découvrir une broche en argent en forme de papillon. Je savais que, à Parnacorta, le papillon était un symbole de paix et de stabilité. Un tel présent était tout à fait à l’image de Son Altesse. En tant que destinataire du cadeau, il m’était facile de faire ce lien… mais je trouvais curieux que Lena ait pu deviner que cette broche venait du prince Osvalt.
Lena eut un petit rire.
— En fait, l’autre jour, Son Altesse m’a demandé ce qui ferait un bon cadeau pour vous, et j’ai dit : « Pourquoi pas un bijou ? » Après tout, vous ne portez rien de sophistiqué d’habitude.
— Oh, je vois ! C’est vous qui lui avez suggéré cela, Lena ?
Eh bien, tout s’expliquait.
Plus j’y réfléchissais, plus cela me paraissait naturel que Son Altesse ait sollicité une personne proche de moi pour avoir des idées. Il n’aurait pas pu choisir meilleure conseillère. Dans tout le royaume, il n’existait sans doute personne de plus proche de moi que Lena. Il avait suivi son conseil, et choisi cette broche pour moi…
— Je n’ai fait que lui souffler l’idée de base, précisa Lena. — C’est Son Altesse lui-même qui a choisi cette broche, en pensant à vous, Dame Philia.
Le prince Osvalt avait pensé à moi ? Les mots de Lena me laissèrent sans voix. Imaginer Son Altesse prendre le temps de choisir un cadeau pour moi me fit sourire.
— Peut-être a-t-il opté pour un papillon d’argent parce que c’est la couleur de vos cheveux, fit Lena d’un ton pensif.
— La couleur de mes cheveux ? répétai-je. — Maintenant que vous le dites… c’est vrai.
— Elle est magnifique ! J’aimerais tant recevoir un présent de la part d’un homme moi aussi…
Je n’avais pas du tout remarqué cette ressemblance avant qu’elle ne me le fasse remarquer. À ce niveau-là, elle ferait une excellente détective. L’idée que le prince Osvalt ait choisi une broche assortie à mes cheveux me rendait étrangement heureuse.
— Tout de même, repris-je, — je ne peux m’empêcher de me sentir mal, en pensant qu’il a pris tout ce temps pour réfléchir à ce qu’il pourrait m’offrir, puis qu’il est allé jusqu’à faire des emplettes.
D’un côté, j’étais touchée. De l’autre, le fait que le prince Osvalt ait accompli tout cela simplement pour me faire un cadeau me faisait culpabiliser. Je n’avais fait que mon devoir de Sainte… Ce présent n’était-il pas un peu excessif, en comparaison ?
— Dame Philia, vous n’avez pas seulement sauvé Parnacorta, mais tout le continent… Oh, je sais ! Et si vous offriez quelque chose à Son Altesse en retour ? Je suis certaine que cela lui ferait très plaisir ! proposa Lena avec un grand sourire.
Je vois. C’est une bonne idée.
Par le passé, j’avais essayé de faire des biscuits pour exprimer ma reconnaissance, mais l’opération avait été un désastre. Cette fois, je pouvais simplement acheter quelque chose de tout prêt, afin d’éviter ce genre de mésaventure. D’ailleurs, je n’avais pas encore remercié Mia comme il se devait pour son aide à Girtonia. C’était l’occasion idéale de lui offrir un présent également.
Une seule chose me tracassait.
— Lena, quel genre de cadeau conviendrait à Son Altesse ?
— Hmm… Pourquoi ne pas faire comme lui, et poser la question à quelqu’un de proche ? Ou vous pouvez simplement lui demander directement.
— Lui demander directement ?
— Oui ! C’est encore le meilleur moyen de savoir ce qu’il aime !
En étais-je seulement capable ? Pouvais-je vraiment demander directement à Son Altesse ce qu’il aimerait recevoir en cadeau ? C’était vrai, cela aurait été la solution la plus rapide, du moins pour obtenir l’information dont j’avais besoin. Pourtant…
— Mais s’il sait que je compte lui offrir quelque chose, il me dira sûrement qu’il n’a besoin de rien. C’est tout à fait son genre… Non, en fait, c’est exactement ce que moi aussi je dirais.
Si Son Altesse apprenait que je cherchais à le remercier par un présent, il me demanderait sûrement de ne pas me donner cette peine. Et alors, il deviendrait presque impossible de lui offrir quoi que ce soit.
— C’est bien pour ça qu’il faut découvrir ses goûts sans qu’il s’en aperçoive, déclara Lena. — Demandez-lui de vous accompagner en ville pour faire des achats, observez ce qui attire son regard, puis retournez plus tard acheter l’un des objets qui lui ont plu !
Flâner dans les rues de la capitale avec le prince Osvalt, à la découverte de divers cadeaux potentiels… Cela avait du sens. Je pourrais ainsi noter ce qu’il appréciait, réduire mes options, et finir par trouver le présent idéal. Je pouvais toujours compter sur Lena pour ce genre d’idées.
— Très bien, je vais le contacter tout de suite. Mais… Lena, s’il refuse ? Il est sûrement très occupé…
— Dame Philia, il n’y a aucune chance qu’il vous dise non ! J’en suis persuadée, du plus profond de mon cœur. Allez, cessez de vous inquiéter et invitez-le !
Encouragée par la certitude de Lena, je décidai de faire confiance à ses paroles réconfortantes et d’inviter Son Altesse à faire les boutiques avec moi.
S’il acceptait, j’en profiterais aussi pour faire quelques réserves d’ingrédients servant à la préparation de nouveaux remèdes, ainsi que de matériaux à conserver en cas d’urgence.
Il n’était pas dans ma nature de lui tendre un piège ou de le convier sous de faux prétextes : je devais vraiment faire mes courses durant cette sortie.
Peu de temps après lui avoir envoyé mon invitation, le prince Osvalt accepta sans la moindre hésitation.
Nous convînmes de nous retrouver pour faire des achats ensemble, non loin du palais.
* * *
— Ce n’est pas tous les jours que vous m’invitez à sortir, Dame Philia.
Quelques jours après avoir demandé conseil à Lena, je retrouvai le prince Osvalt dans la ville la plus proche du château de Parnacorta.
Un sourire aux lèvres, Son Altesse me fit signe de la main en s’approchant d’un pas vif. Ce n’était pas simplement rare, je n’avais encore jamais rien fait de tel. J’étais bien plus nerveuse que je ne l’avais imaginé.
Ça n’allait pas du tout mais je finis par me ressaisir. Je devais rester attentive après tout, j’étais ici pour observer ce que Son Altesse appréciait, et prendre mentalement note de ses préférences.
— J’ai beaucoup de choses à acheter, et je ne peux pas tout porter seule, expliquai-je. — J’avais pensé demander à Leonard mais j’avais aussi quelque chose dont je voulais vous parler.
Aussi pathétique que cela puisse paraître, c’était Lena qui m’avait aidée à formuler une explication crédible, qui ne paraisse pas artificielle. J’avais douté qu’il soit convenable de demander au prince Osvalt de m’aider à porter mes courses. Après tout, il était de sang royal. Mais Lena avait affirmé qu’il en serait heureux. Était-ce vrai ?
— Oh ? Ravi de l’apprendre. Alors, par quoi voulez-vous commencer ?
— Euh… Pourquoi ne pas commencer par nous promener un peu ?
Je restai stupéfaite par la perspicacité de Lena et son instinct de détective. Être domestique exigeait attention et finesse. Cela expliquait sans doute l’acuité de son regard. Mais qui aurait pu deviner qu’elle verrait juste au point de prédire que Son Altesse serait vraiment contente de sortir avec moi ?
Une fois de plus, ses conseils s’étaient révélés indispensables. L’idée de commencer par une petite promenade venait également d’elle. Elle m’avait fait remarquer que les boutiques vendant des ingrédients pour des remèdes n’étaient probablement pas l’endroit idéal pour trouver un cadeau destiné à Son Altesse.
— Eh bien, je ne m’attendais pas du tout à ça, fit remarquer Son Altesse. Ce n’est pas votre genre de vouloir vous balader comme ça.
— Oh ? C’est vrai. Cela ne me ressemble guère, admis-je.
Je me retrouvai soudain dans une position délicate. Son Altesse avait raison : je n’étais pas du genre à me présenter sans un plan clair. Et pourtant, me voilà à agir de manière impulsive. Il avait très certainement perçu que quelque chose clochait.
Que devais-je faire ? On aurait dit que mon subterfuge allait être découvert.
— Il n’y a pas de mal. Je trouve ça formidable que vous appreniez à vous détendre. Allez, allons-y. On peut errer un moment. J’ai comme l’intuition que cette journée sera amusante.
C’était bien aimable à Son Altesse de faire l’éloge de ma soudaine impulsivité, mais cela signifiait-il qu’il m’avait toujours considérée comme rigide et inflexible ? Maintenant que j’y pensais, je n’étais pas du genre à gaspiller de l’énergie pour des choses superflues. Certains me jugeaient sans doute trop sérieuse à cause de cela.
Nous prîmes la direction du quartier commerçant le plus animé.
— Bienvenue, bienvenue ! Voici la Flamme Incomparable, la seule, l’unique ! Cette lance perce n’importe quel bouclier ! Forgée par un maître artisan venu d’au-delà de notre continent, des lointaines terres de Murasame !
— Que diriez-vous de ces fruits bourrés de vitamines ? Un seul par jour, et vous n’aurez plus jamais besoin de médecin ! N’est-ce pas un miracle ? Commencez dès aujourd’hui pour un corps en pleine santé, sans l’aide d’aucun médecin !
— Voici une œuvre posthume du grand maître Capia : Le Sourire du Démon ! Une peinture de grande valeur à prix exclusif, mais pour une durée limitée ! Dans dix ans, je vous le dis, elle vaudra cent fois plus ! Une rareté précieuse comme celle-là ne peut que prendre de la valeur avec le temps !
Nous passâmes devant une boutique d’armes, un étal de fruits et un stand de peintures, entre autres. Les marchands, pleins d’entrain, vantaient leurs produits à tout passant. Cette effervescence contagieuse me fit me sentir plus vivante.
— Cette histoire de Flamme Incomparable… Vous savez, j’ai entendu dire qu’à Murasame, il existe une « ville des lames », où les meilleurs forgerons ont installé leurs ateliers. Ils sont tous maîtres dans leur art, et se livrent une compétition saine. Voulez-vous qu’on y jette un œil à cette boutique ?
Quelle heureuse tournure ! Le prince Osvalt venait de montrer de l’intérêt pour une lance.
Une lance… Cela raviva en moi le souvenir de notre voyage à Girtonia, lorsqu’il m’avait accompagnée pour venir en aide à Mia. J’avais vu de mes propres yeux ses talents au combat, et j’avais été impressionnée par la façon dont il maniait sa lance, grande que lui, avec une maîtrise remarquable.
Il tenait son savoir de Philip, l’un de ses chevaliers. Même quelqu’un comme moi, peu familière avec les armes, pouvait percevoir la rigueur de l’entraînement qui avait forgé son style. Je pris mentalement note qu’une lance pourrait faire un excellent cadeau pour Son Altesse.
— Oh, désolé. Vous aviez des choses à acheter. Nous ne sommes pas obligés de perdre du temps ici.
— Ce n’est rien. Cela m’amuse d’aller dans une boutique suscitant votre intérêt.
— Vraiment ? Tant que je ne suis pas le seul à passer un bon moment, alors ça me va.
Je marchai de quelques pas derrière le prince Osvalt. Avec son dos large, ses cheveux dorés illuminés par le soleil, il brillait comme l’astre du jour lui-même. Je compris alors pourquoi je ressentais toujours une chaleur paisible en sa présence. Il était comme le soleil, à mes yeux.
Après cela, nous parcourûmes ensemble des échoppes d’herbes médicinales, de vieux grimoires et d’objets magiques divers.
En somme, j’obligeais Son Altesse à m’accompagner dans mes propres achats, mais malgré mes rappels en interne à ne pas oublier le but premier de notre sortie, je ne pouvais m’empêcher de penser que ce moment passé ensemble était peut-être le plus beau cadeau de tous.
— Tenez, je ne savais pas qu’il y avait une boutique aussi chic dans ce coin, fit remarquer Son Altesse. — Vous avez l’air de bien connaître l’endroit.
— J’y suis venue une fois avec Mia et Grace.
Après avoir longuement marché, nous décidâmes de faire une pause dans un salon de thé récemment ouvert, où l’on pouvait savourer du gâteau en plus de boire du thé. L’établissement était déjà très populaire auprès des jeunes, en particulier pour ses thés venus de Bolmern, le pays natal de Grace. Aujourd’hui encore, il était rempli de jeunes filles.
C’était au cours d’une sortie avec Mia et Grace que nous avions découvert cet endroit. Mia avait proposé de m’aider à renouveler ma garde-robe, et après avoir enchaîné les boutiques, nous étions tombées sur un artiste de rue qui faisait la promotion du salon de thé. Curieuses, nous avions fini par y entrer. Le thé qui nous avait été servi ce jour-là s’était révélé exquis, presque capable de rivaliser avec les infusions de Lena.
Je voulais que le prince Osvalt puisse vivre cette expérience lui aussi. Heureusement, il approuva sans réserve.
— Vous savez, dit Son Altesse, quand vous êtes arrivée ici, je n’aurais jamais imaginé qu’un jour prendre le thé avec vous comme ça.
— Vraiment ?
— Oui. À vos débuts à Parnacorta, vous ne vous reposiez jamais, même quand on vous suppliait de le faire. Lena et Leonardo étaient très inquiets pour vous. Je suis content que vous soyez désormais capable de vous détendre et de passer un bon moment.
Je ne pouvais qu’acquiescer. À mon arrivée à Parnacorta, j’étais tellement concentrée sur le fait de m’imposer comme la nouvelle Sainte du royaume que l’idée même de me reposer ne m’avait pas effleurée.
Pourtant, quelque chose m’intriguait.
— Euh… Pardonnez-moi, mais qu’est-ce qui vous rend si heureux, Votre Altesse ? Je ne fais que boire du thé.
Je savais que j’avais changé, mais je ne comprenais pas pourquoi Son Altesse s’en réjouissait. S’il s’agissait d’un accomplissement lié à mon rôle de Sainte, j’aurais compris, mais là…
— Je vous l’ai dit le jour de notre rencontre, vous vous en souvenez ? Je vous ai dit que je voulais que vous tombiez amoureuse de ce royaume.
— Je m’en souviens. J’avais trouvé cela étrange. J’étais résolue à accomplir mes devoirs de Sainte, quels que soient mes sentiments à l’égard de ce pays.
— Justement. C’est pour cela que je suis heureux. Peu importe vos accomplissements de Sainte, je voulais que vous connaissiez la paix. Et aujourd’hui, ce vœu s’est réalisé. Voilà pourquoi je suis content.
Il s’était soucié à ce point de mon bien-être ? J’avais entendu dire que le prince Osvalt s’était opposé fermement à la décision du royaume de m’acheter. Était-ce pour cela ? Je ne voulais pas qu’il me traite avec bonté par culpabilité.
— Quelque chose ne va pas ? Vous faites une drôle de tête.
— Ce n’est rien. Que diriez-vous d’un autre gâteau ? Mia a vanté les mérites de ceux qu’on sert ici.
— Vraiment ? Dans ce cas, allons-y. C’est agréable de se faire plaisir de temps en temps.
Je lui désignai une pâtisserie que je lui recommandai à la lecture du menu, et il passa commande.
Me laisser absorber par mes pensées et afficher mes préoccupations sur mon visage n’était pas une bonne chose. Après tout, je devais encore trouver un présent à offrir à Son Altesse.
Après avoir savouré le thé et le gâteau, nous reprîmes notre promenade à travers la ville.
Pour l’instant, la seule idée que j’avais notée était la lance. Il me fallait faire davantage d’efforts pour découvrir ce que Son Altesse appréciait. Cette tâche s’avérait bien plus difficile que mes fonctions de Sainte, et exigeait donc que je m’y investisse d’autant plus.
— Ah, voici la boutique où j’ai acheté la broche. Elle est jolie, non ?
Le prince Osvalt désigna une petite échoppe. En plus de broches, on y vendait des colliers, des bracelets et d’autres babioles. Ils me rappelaient les colliers que j’avais fabriqués lors de l’expansion du Grand Cercle de Purification. J’avais appris à créer de simples objets magiques en transférant du mana dans des accessoires du quotidien. La prochaine fois, il serait peut-être intéressant d’essayer de faire, non seulement des colliers, mais aussi des bracelets et d’autres ornements.
— Dame Philia, ce bracelet vous plaît ? Si vous l’aimez, je peux vous l’offrir.
— N-non, ce n’est pas ça. Je pensais simplement à confectionner quelques bijoux pendant mon temps libre.
— Vraiment ? Dans ce cas, puis-je vous en commander un ? J’adorerais porter quelque chose que vous avez créé.
Oh non. Cela me mettait dans l’embarras. Je m’étais attardée trop longtemps à contempler ce bracelet, cherchant de l’inspiration, et Son Altesse avait mal interprété mes intentions. Le but de cette sortie était de trouver un présent pour lui… et voilà qu’il proposait de m’en offrir un. Quelle situation absurde !
Attendez… Qu’a-t-il dit, juste après ? J’aurais juré qu’il venait de dire qu’il aimerait porter quelque chose que j’aurais fabriqué…
— Quelque chose ne va pas ? Vous avez l’air ailleurs. J’ai dit quelque chose d’étrange ?
— Euh, non. Bien sûr, ce serait un plaisir pour moi de créer quelque chose pour vous. Je m’y emploierai, soyez-en sûr !
— Hé, ne vous mettez pas la pression. Il n’y a aucune urgence.
Lui confectionner un présent ? Je n’y avais pas songé, mais c’était peut-être une bonne idée. J’en parlerais à Lena une fois de retour au manoir. Était-ce un meilleur choix qu’une lance ?
— E-euh, Votre Sainteté… Pardonnez-moi de vous interrompre, mais… comptez-vous acheter ce bracelet ? demanda une femme aux cheveux roux qui s’approcha timidement par-derrière. J’en conclus qu’elle était également intéressée par le bijou.
— Non, pas du tout. Je suis désolée d’être restée aussi longtemps devant. Je me décalai pour lui laisser le passage.
— Oh non, je n’ai pas encore décidé non plus ! Mais si vous y tenez tant…
L’expression de la femme s’éclaira tandis qu’elle s’emparait du bracelet. Elle alla le payer auprès du marchand, qui lui remit une petite boîte semblable à celle que j’avais reçue de la part du prince Osvalt. Une fois son achat terminé, elle revint aussitôt vers moi, visiblement émue.
— V-votre Sainteté, je suis vraiment désolée… Si vous me le permettez, pourrions-nous… nous serrer la main ? J-j’ai tant d’admiration pour vous…
Ses joues avaient pris une teinte rosée, semblable à celle d’une pêche mûre.
— Une poignée de main ? Bien sûr, cela ne me dérange pas.
Me souvenant que Grace m’avait fait la même demande lors de notre première rencontre, je tendis la main vers la jeune femme.
— Merci infiniment ! Je m’en souviendrai toute ma vie !
Elle quitta la boutique en s’inclinant profondément, le sourire lui montant jusqu’aux oreilles. Un domestique l’attendait à l’extérieur. Elle était sans doute de noble naissance.
Si j’avais pu égayer sa journée, c’était tout ce qui comptait. Même si affirmer qu’elle s’en souviendrait toute sa vie me semblait un peu exagéré.
— C’était la fille du baron Hechtman, précisa le prince Osvalt. — Je crois qu’elle s’appelle Karen.
— Vous êtes bien renseigné.
— Quand nous avons perdu notre précédente Sainte, Elizabeth, nous avons fouillé le royaume à la recherche de potentielles remplaçantes. Cette femme-là pratique la magie, expliqua Son Altesse, qui l’avait aussitôt reconnue.
Après la mort prématurée de Sainte Elizabeth, Parnacorta s’était retrouvée sans Sainte pendant un temps.
— Dans notre royaume, il n’y avait pas beaucoup de femmes capables d’user de magie, une centaine, tout au plus, poursuivit-il. — Et seule la moitié d’entre elles avaient l’âge requis pour devenir Sainte. Dame Karen faisait partie de notre liste restreinte.
— Je vois. C’est ainsi que vous avez fait sa connaissance.
— Oui. Mais finalement, aucune des candidates n’avait assez de pouvoir pour devenir Sainte, dit Son Altesse d’un ton pensif, le regard perdu au loin.
En effet, les femmes dont la magie était assez puissante pour être reconnues par l’Église comme dignes de devenir Sainte étaient extrêmement rares. C’est pourquoi la fonction se transmettait généralement par héritage, dans la plupart des royaumes.
— Vous n’imaginez pas à quel point votre venue nous a aidés.
— Si j’ai pu être utile à Parnacorta, c’est tout ce qui importe.
Le prince Osvalt laissa échapper un rire.
— Enfin voilà à quoi ressemblait la situation avant votre arrivée. On continue ?
Son Altesse devait être en grande détresse, au moment où je fus envoyée à Parnacorta. C’est sans doute pour cela qu’il avait toujours fait preuve d’autant d’égards à mon sujet.
Même si cette bienveillance découlait naturellement de mon statut de Sainte, elle n’en demeurait pas moins réconfortante.