THE TOO-PERFECT SAINT T2 - CHAPITRE 3
Le Royaume d’Asmodeus
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Traduction : Calumi
Correction : Opale
Relecture : Raitei
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(Philia)
Je n’arrivais pas à croire que je m’étais laissée capturer aussi facilement.
L’air qui caressait ma peau avait une densité différente. La quantité de mana qui m’enveloppait n’avait rien de comparable à celle du monde de la surface. Il était raisonnable de supposer que j’avais été emmenée dans cet endroit nommé Limbes, dont Erza m’avait parlé.
Heureusement, Asmodeus ne semblait pas avoir remarqué que j’étais déjà réveillée. Il volait dans le ciel, comme s’il se dirigeait quelque part.
C’était une chance qu’il ait été assez imprudent pour me toucher. Il avait déjà essuyé une cuisante défaite par le passé, et faire preuve d’autant de témérité était insensé. Cela dit, il s’était sans doute laissé aller à la complaisance, fort de sa puissance quasi invincible, même en baissant sa garde.
— Aaaaaaaaaaaaaaaah !
Une fois encore, j’injectai mon pouvoir magique dans le bras gauche d’Asmodeus. Comme lorsqu’il avait saisi ma main plus tôt, il hurla de douleur et me lâcha.
Il n’y avait pas d’autre mot que « stupide » pour désigner quelqu’un qui se faisait berner deux fois de suite par le même stratagème en si peu de temps, mais cela me permit de lui échapper. Lorsqu’il me relâcha par réflexe, je tombai en chute libre. Si je ne parvenais pas à amortir correctement ma chute, je pourrais au mieux survivre… pour le regretter ensuite.
— Franchement, vous pensiez échapper à Asmodeus toute seule ?
— Que pouvais-tu attendre d’autre de Dame Philia ? Je crois bien que je retombe amoureux, déclara Mammon d’un ton moqueur.
À peine avais-je commencé à tomber que Mammon me rattrapa, il avait repris sa forme de chat, avec Erza posée sur son dos. Je grimpai sur Mammon. Je savais qu’il pouvait ouvrir un passage vers les Limbes, mais je n’aurais jamais imaginé un tel sens du timing.
— Merci. Vous m’avez sauvée.
— Non, c’est moi qui devrais vous remercier, dit Erza. — Mais gardons ça pour plus tard.
— Grande Sœur, Philia est blessée. Avant toute chose, mettons-nous le plus loin possible du seigneur Asmodeus.
Asmodeus s’était déjà tranché le bras gauche. Son regard déchiré de douleur se tourna vers nous. Je n’étais pas en état de tenir un combat, il fallait que je réfléchisse vite.
— Maudite exorciste ! Rends-moi mon amour ! Ne te mets pas en travers de mon chemin !
— Erza, Mammon, fermez les yeux. Sphère Flash !
Je lançai une sphère de lumière aveuglante en direction d’Asmodeus.
— Qu… Quoi ?! Mes yeux ! Mes yeux !
Émettant des rayons bien plus puissants que la lumière du soleil, la sphère pouvait aveugler quiconque la regardait directement. Ce genre de magie ne servait guère aux tâches sacrées, mais dans une tentative de fuite, elle s’avérait fort utile.
— Guérison Sainte !
Dès que Mammon atterrit, je mis pied à terre et soignai la blessure à mon flanc. Comme j’avais travaillé sans relâche à renforcer mes veines et mes artères contre les blessures, le saignement restait minime, et je fus rétablie en un rien de temps.
— Les Saintes sont décidément pleines de ressources, fit remarquer Mammon.
— Celle-ci est spéciale. C’est la première Sainte Salvatrice que nous ayons eue en quatre cents ans.
— C’est vrai. Comment dire… Le pouvoir de Fianna était écrasant, mais je ne pense pas qu’elle fût aussi habile que Dame Philia.
Nos blessures guéries, nous nous abritâmes à l’ombre d’un rocher. Cette dimension était véritablement un désert lugubre et stérile. Je ne percevais aucune trace de vie alentour. Lorsque je levai les yeux, le « ciel » n’était qu’une vaste étendue blanche, s’étirant sans fin vers l’horizon. Rochers et sol partageaient cette même pâleur. Ce royaume sans couleur semblait avoir été entièrement vidé de sa substance.
En même temps, je ressentais ici nettement bien le mana qui pulsait autour de nous, bien plus abondant que dans le monde de la surface. Peut-être les démons s’étaient-ils naturellement adaptés à un tel environnement, eux dont la magie circulait constamment dans le corps.
— Sainte Salvatrice, dit Erza, — Je suis désolée de ne pas avoir réussi à empêcher votre venue ici. Il faudrait que nous rentrions rapidement.
— Moi aussi, je suis désolée… Mais merci d’être venue me sauver. Si j’étais restée seule ici, je n’ose imaginer ce que j’aurais fait.
À vrai dire, j’en tremblais rien que d’y penser. Si Erza et Mammon n’étaient pas intervenus, que me serait-il arrivé ? Cet endroit était bien plus impitoyable que tout ce que j’avais enduré lors de mon entraînement. Et je n’avais aucune idée de la manière de regagner le monde de la surface.
— Après tout, je suis votre garde du corps, répondit Erza, un peu gênée. — Et puis, c’est à cause de mon imprudence que vous vous êtes blessée en me sauvant. Comme je le disais tout à l’heure, c’est moi qui devrais vous remercier… alors, merci.
— Ne dites pas de bêtises. Le rôle d’une Sainte est de sauver tous ceux qu’elle peut, peu importe son rôle. Rien de plus.
Erza n’avait aucune raison de se blâmer. C’était moi qui m’étais montrée négligente en voulant la secourir, et c’est ainsi que j’avais été blessée. Si Asmodeus avait pu me prendre par surprise, c’était uniquement à cause de mes propres manquements.
— Mes oreilles me trompent ? Un vrai « merci » de la part de Grande Sœur Erza ? À ce rythme-là, les Limbes vont se mettre à geler !
— Tais-toi ! Ouvre vite la porte vers la surface !
— Oui, oui, j’y travaille. J’ouvre le portail à l’instant…
Mammon taquinait Erza, mais alors qu’elle haussait la voix, il leva une patte vers le ciel et concentra son pouvoir magique. Des ondes d’énergie parcoururent sa peau dans un crépitement. Il n’était certes pas aussi puissant qu’Asmodeus, mais Mammon possédait tout de même une magie considérable.
Alors que ses yeux brillaient d’une lumière violette, une porte familière apparut, immense, imposante, ornée de sinistres excroissances. C’était sans aucun doute l’entrée du passage reliant les Limbes à notre monde. Mais même après un long moment d’attente, la porte ne s’ouvrit pas. Finalement, elle disparut. À cette vue, Mammon murmura :
— C’est étrange. Le passage vers la surface refuse de s’ouvrir.
D’une manière ou d’une autre, il était incapable de créer un lien avec le monde de la surface. Que se passait-il ?
— Ne me dites pas… Asmodeus ! Il a dû user de sa magie pour bloquer l’accès à la surface.
Erza fit claquer sa langue.
— Quel fourbe ! Il doit vraiment être furieux que la femme qu’il idolâtre lui ait échappé !
— Autrement dit, nous sommes piégés dans les Limbes ?
Erza acquiesça.
— Exactement. Il a dû prévoir des mesures au cas où quelqu’un viendrait vous sauver. Il est vraiment abject, n’est-ce pas ?
Nous étions parvenus à échapper aux griffes d’Asmodeus, mais il semblait qu’il ne nous laisserait pas regagner notre monde si facilement. Quel désagrément. Tous ceux que nous avions laissés derrière nous dans le monde de la surface devaient être morts d’inquiétude. À défaut de pouvoir faire plus, je devais au moins leur faire savoir que j’étais saine et sauve.
— C’est inutile, déclara Mammon en secouant la tête. — Voilà la plus grande porte que je parvienne à ouvrir. Elle est juste assez large pour laisser passer des démons inférieurs.
La « porte » ressemblait davantage à une petite lucarne. Il était difficile d’imaginer que l’un d’entre nous puisse s’y glisser.
— Je pourrais tenter ça, proposai-je. — Ce n’est encore qu’un prototype, alors je ne sais pas s’il fonctionnera correctement.
— Qu’est-ce que c’est ? Un bracelet ?
Je caressai du bout des doigts le bracelet à mon bras. Je l’avais conçu afin de pouvoir rester en contact avec Lena et tous les autres au manoir lors de mes missions de Sainte. Le bracelet que j’avais offert à Lena était capable de capter l’énergie magique émise par le mien, ce qui permettait de communiquer à distance. Mais avec tous les récents événements, je n’avais ni testé son efficacité ni expliqué à Lena comment il fonctionnait.
Lorsque je le lui avais offert, elle avait été si ravie de me voir développer un sens de la mode qu’il avait été difficile d’aborder un autre sujet.
La question était de savoir si les ondes magiques de mon bracelet pouvaient atteindre notre monde depuis les Limbes. Si cette petite ouverture établissait un lien, cela valait la peine d’essayer. Je déversai ma magie dans le bracelet, tentant d’établir une connexion avec celui de Lena.
— Je ne pourrai pas connaître la paix tant que Dame Philia ne sera pas en sécurité ! Il est impensable de rester là sans rien faire !
— Est-ce vous, prince Osvalt ? C’est moi, Philia. M’entendez-vous ?
— J-j’entends la voix de Dame Philia provenir de mon bracelet ! s’écria Lena.
Contre toute attente, ma tentative de communication avait réussi. J’avoue que j’y avais cru, car la théorie était solide. Quoi qu’il en soit, comme tout le monde semblait resté bouche bée, je me devais de leur expliquer la situation. Après avoir précisé que le lien entre mon bracelet et celui de Lena me permettait de leur parler, Mia fut la première à réagir.
— Tant mieux, Philia, mais est-ce que tu vas bien ? Tu étais blessée, non ?
— Je vais bien. Je suis désolée de vous avoir inquiétés.
Je les rassurai. Mes blessures étaient déjà guéries. Je me sentais bien.
— Dame Philia, je suis si soulagé de savoir que vous êtes saine et sauve, déclara le prince Osvalt. — Vous êtes en route pour revenir, n’est-ce pas ? Nous allions justement partir à votre recherche. C’était moins une… Nous aurions pu nous manquer de peu.
— Votre Altesse… j’ai bien peur que nous soyons piégés dans les Limbes.
Le prince Osvalt poussa un cri de stupeur.
— Q-Qu’avez-vous dit ? Comment est-ce possible ? Je veux dire… le familier de Dame Erza n’est-il pas censé pouvoir ouvrir un passage pour revenir ici ? C’est ce que Messire Klaus m’a expliqué !
Klaus avait dû lui exposer les bases. Non pas que j’étais particulièrement anxieuse… mais entendre la voix du prince Osvalt m’apporta un profond soulagement. Quel était donc ce sentiment étrange ?
Je n’avais encore jamais rien ressenti de tel.
— Klaus disait vrai. Laissez-moi vous expliquer brièvement la situation, fit Erza, qui exposa comment le passage entre les Limbes et la surface avait été bloqué par la magie d’Asmodeus.
Comme ce dernier me poursuivait, il était prêt à tout pour me retenir ici.
— Mais Mlle Erza, répliqua Klaus, — Certains sbires d’Asmodeus ont ouvert une porte sur mesure et s’y sont engouffrés. Il est donc encore techniquement possible de voyager de notre monde jusqu’aux Limbes.
— Dans ce cas, venez donc tous. Mais je ne peux garantir que vous reviendrez vivants, alors autant rédiger votre testament.
— Quelle plaisanterie de mauvais goût !
Klaus affirmait qu’il restait un moyen de venir jusqu’ici depuis la surface. D’une manière ou d’une autre, ces démons à l’apparence de renards avaient pu ouvrir une porte assez grande pour eux. Cela signifiait qu’un chemin demeurait praticable pour permettre à leurs subordonnés de retourner d’où ils venaient…Baissant d’un ton, le prince Osvalt demanda :
— Dame Erza, y a-t-il vraiment aucun moyen pour vous de revenir ?
Une seule solution me venait à l’esprit, mais elle était loin d’être aisée.
— Il ne nous reste plus qu’à vaincre Asmodeus, déclara Erza. — Vous y pensiez aussi, n’est-ce pas ?
En effet, c’était notre seul espoir. Si Asmodeus bloquait le chemin du retour, nous n’avions que deux options : lui demander de lever le sortilège, ou forcer nous-mêmes l’ouverture. Mais bien entendu, il était inutile d’espérer raisonner Asmodeus. Il n’écouterait jamais le moindre argument. Il ne nous restait donc que la seconde voie : le vaincre, afin de rouvrir le passage.
— Hé, attendez une minute ! s’écria Mia. — C’est totalement impossible ! Même toi, Philia, tu ne peux rien contre ce monstre !
— Elle a raison. Dame Philia, si jamais il devait vous arriver malheur, je… murmurai Grace, sans finir sa phrase.
Mia et Grace m’avaient avertie : il était insensé de songer à affronter Asmodeus. Il avait la force de réduire le palais en miettes en un clin d’œil, et il ne s’était même pas battu sérieusement. Il avait aussi anéanti sans effort des exorcistes pourtant bien plus expérimentés que moi dans le combat contre les démons. Et pourtant…
— J’estime que nous avons une petite chance de succès. Erza, Mammon et moi devons essayer. Je veux retourner à Parnacorta, après tout.
— Philia…, murmura Mia.
Évidemment, en tant que Sainte de Parnacorta, j’éprouvais un profond sentiment de devoir envers mon royaume. Mais je l’aimais aussi, sincèrement. C’était mon chez moi. C’était là que m’attendaient ceux qui m’étaient chers. Quelles que soient les circonstances, aussi désespérées fussent-elles, j’étais résolue à rentrer.
— Philia, m’entends-tu ?
— Oui, Maître. Je vous entends parfaitement.
Mon mentor, Hildegarde, était aussi ma mère biologique. Je n’arrivais toujours pas à assimiler pleinement cette vérité qu’Asmodeus m’avait brutalement révélée. Il devait forcément y avoir une raison à tout ce qu’elle avait fait, y compris à son adoption de Mia. Mais pour être honnête…
— Maître, j’ai tant de choses à vous demander. Mais je suis heureuse d’avoir appris la vérité. Je le pense sincèrement.
— Oui. Tu es devenue une jeune fille si forte, Philia. J’ai confiance en toi. Je sais que tu surmonteras cette épreuve et que tu rentreras chez toi. Après tout, c’est moi qui t’ai formée.
— Je chéris tout ce que vous m’avez enseigné. Je ne laisserai jamais vos leçons se perdre.
J’avais tant reçu de Sainte Hildegarde. C’était grâce à son entraînement rigoureux que j’étais devenue une personne compétente, quelles que soient les circonstances, je pouvais trouver une solution de moi-même. Et à présent, je pouvais mettre en pratique ce que j’avais appris pour protéger ceux qui m’étaient chers. Pour cela, je me sentais vraiment bénie.
— Dame Philia !
— Votre Altesse ?
C’était encore le prince Osvalt. Il y avait une note d’inquiétude dans sa voix.
— Quoi qu’il en coûte, je vous retrouverai et je viendrai à votre secours ! Vous vous souvenez de notre promesse de ce matin ? Je tiens à l’honorer, alors…
La lueur du joyau incrusté dans le bracelet s’atténua, et la voix de Son Altesse s’éteignit avec elle. La magie s’était dissipée, coupant la communication. C’était tout à l’honneur de Son Altesse de vouloir m’aider, mais ce serait bien trop dangereux. Je n’osais imaginer les conséquences pour Parnacorta si l’un de ses princes se retrouvait coincé dans les Limbes.
— Il est étrange, ce prince, non ? fit remarquer Erza. — Moi qui pensais que les têtes couronnées se contentaient de donner des ordres depuis leur tour d’ivoire.
— C’est tout simplement ainsi qu’est Son Altesse, expliquai-je. — Sa sincérité a quelque chose de rafraîchissant. Et c’est précisément pour cela que je ne veux pas qu’il soit blessé.
Je me rappelai comment il m’avait portée jusqu’à Girtonia sans jamais songer aux dangers. Il avait compris mon désir égoïste de sauver Mia, et il s’était lancé sans la moindre hésitation. Mais cette fois, l’ennemi était d’une tout autre envergure. Il s’agissait d’un être qui avait failli anéantir le monde il y a quatre cents ans.
— Ne vous inquiétez pas. Klaus l’en empêchera. Nous ne laissons pas des gens ordinaires, et encore moins des membres de la famille royale, s’impliquer dans notre travail.
Avec prudence, Erza émergea de derrière un éperon rocheux pour inspecter les environs. Il ne semblait y avoir personne à proximité.
— Vous avez bien compris à quel point Asmodeus est puissant, dit-elle, — Mais soyons clairs : notre seule chance de victoire repose sur une attaque-surprise.
— Il faudra prendre Seigneur Asmodeus au dépourvu et lui transpercer le cœur d’un seul coup, approuva Mammon. — Ce serait encore plus efficace si Dame Philia pouvait lui injecter sa magie directement dans un point vital.
— Je lui ai déjà joué ce tour deux fois, alors il risque d’être sur ses gardes. Mais je ferai de mon mieux. Nous n’avons pas d’autre choix.
Lors de notre confrontation précédente, j’avais pu confirmer qu’injecter ma magie dans le corps d’Asmodeus empêchait temporairement sa régénération et limitait ses mouvements. Cette technique s’était révélée efficace même sur des zones éloignées de ses points vitaux, comme ses bras ou ses paumes. Si je parvenais à lui transmettre ma magie directement au cœur, je pourrais peut-être le blesser suffisamment pour nous offrir une chance de le vaincre.
Tout en discutant de notre plan, nous avancions à travers l’étendue blanchâtre des Limbes. Erza et Mammon semblaient savoir où se trouvait Asmodeus, car ils marchaient sans la moindre hésitation. Après environ une demi-heure, nous aperçûmes une forteresse massive dressée au sommet d’une colline. Entièrement noire, elle dégageait une aura sinistre.
— C’est le château d’Asmodeus ? Je ressens la présence de plusieurs individus dotés de pouvoir magique, et pas qu’un ou deux.
— C’est la Forteresse des Ténèbres Éternelles, le quartier général du Seigneur Asmodeus, expliqua Mammon. — C’est sûrement là qu’il retient ses captives humaines.
Alors c’était là qu’étaient enfermées les femmes enlevées ? Quelle horreur. Nous devons les sauver au plus vite.
— Erza, Mammon, nous devons libérer ses captives.
— Évidemment, mais quel est le plan ? Ah, peu importe, nous n’avons pas le temps d’en discuter en détail.
— Mieux vaut agir vite, approuva Mammon, — Avant que le seigneur Asmodeus n’ait une autre idée stupide, comme prendre encore plus d’otages.
Nous nous mîmes donc en route vers le bastion d’Asmodeus : la Forteresse des Ténèbres Éternelles.
* * *
Même dans un lieu aussi étrange que les Limbes, la Forteresse des Ténèbres Éternelles dégageait quelque chose d’anormal. Elle imposait par sa seule présence, mais je me rappelai que c’était là que se trouvaient les femmes enlevées. Aussi, sans la moindre hésitation, nous approchâmes de la forteresse. À ma grande surprise, la porte n’était pas verrouillée, et nous n’eûmes aucune difficulté à entrer.
— Étrange, fis-je remarquer. — Je ne détecte aucun piège.
— Mlle Philia, les démons n’ont aucune notion de sécurité, répondit Mammon en reprenant sa forme humaine. — Leurs châteaux sont toujours ouverts. Si tu leur poses la question, ils riraient et diraient que placer des gardes et installer des pièges, c’est bon pour les faibles. Ils laissent même les passages vers la surface et le Royaume Démoniaque grands ouverts. Quant à Asmodeus, il est certain que, quels que soient ses adversaires, il saura les vaincre à sa manière.
Tout s’expliquait. La logique démoniaque semblait fort éloignée du bon sens humain.
— Ça, c’est nouveau, dit Mammon en entrant. — Ces choses-là n’étaient pas là lors de ma dernière visite.
— Ce sont… des poupées ?
Le couloir était rempli de poupées, rangées en lignes ordonnées. Toutes avaient les cheveux argentés et portaient des robes blanches. En y regardant de plus près, je vis qu’elles étaient numérotées.
— Celle-ci porte le numéro 163. Celle d’à côté, le 164…
Que pouvaient bien signifier ces numéros ? Et pourquoi autant de poupées ?
— J’ai l’impression que ces poupées ressemblent à Mlle Philia, dit Mammon. — Non… à Fianna.
— En effet, elles me rappellent aussi la Sainte Salvatrice…
— Vraiment ?
Mammon affirma que les poupées ressemblaient à Fianna et moi, et Erza acquiesça. Quant à ma personne, je n’étais pas en mesure d’évaluer objectivement mon apparence, alors je ne pouvais pas dire si la ressemblance était réelle. Mais peut-être étaient-elles à l’image de Fianna.
— Lorsque Asmodeus parle de faire renaître Dame Fianna, dis-je, — Ne serait-ce pas pour transférer son âme dans une poupée ? J’ai lu que ce type de rituel existait dans les temps anciens.
— Vous tenez peut-être quelque chose, répondit Erza. — D’après la légende, Fianna fut incinérée, et je me suis toujours demandé comment Asmodeus avait pu récupérer son corps. Je suppose qu’il prévoit de transférer son âme réincarnée, c’est-à-dire la vôtre, dans une poupée à son image.
— Alors, c’est ça son idée ? Transformer une poupée en être réel ? s’exclama Mammon en éclatant de rire. — C’est vraiment digne de lui ! Quel fou furieux ! Il pense vraiment reconquérir sa chérie en jouant à la poupée ? Pouah, quel minable !
Il semblait donc qu’Asmodeus projetait de faire revivre Fianna par l’intermédiaire d’une poupée. Les arcanes de la magie ancienne recelaient de nombreux sorts promettant l’immortalité, dont l’un consistait à transférer une âme humaine dans une poupée pour lui offrir une longévité quasi éternelle. Mais ce sort nécessitait une puissance magique colossale, au point que rares étaient ceux à l’avoir jamais réussi. Et même dans les rares cas de succès, le choc du transfert suffisait souvent à briser l’intégrité de la conscience.
Du moins… c’était ainsi pour les humains. Il n’aurait rien d’étonnant à ce qu’Asmodeus, doté d’un pouvoir magique hors du commun, puisse accomplir ce sort avec une facilité déconcertante.
— Intrus détectés !
Alors que j’examinais l’une des poupées créées par Asmodeus, une silhouette gigantesque en minerai noir et luisant apparut soudainement. Elle mesurait bien cinq mètres de haut… et s’exprimait. Qu’était donc cette créature ? De toute évidence, elle n’avait rien d’un être vivant ordinaire.
— Oh non, ça sent mauvais ! s’exclama Mammon, visiblement paniqué. C’est un golem, une poupée vivante. C’est le seigneur Asmodeus qui l’a fabriqué. J’ai vu ces choses-là il y a quatre cents ans, lorsqu’il a envahi la surface.
Si Asmodeus pouvait créer et manipuler une poupée d’une telle envergure, alors son pouvoir n’avait véritablement aucune limite.
— Intrus. Éliminer.
Il était inutile de discuter avec une créature pareille. Lorsqu’elle leva ses poings énormes dans les airs pour les abattre avec fracas, nous bondîmes sur le côté. L’impact creusa un cratère gigantesque dans le sol, preuve manifeste de sa force surhumaine.
— Mammon… Je croyais que tu disais que les démons n’avaient pas de gardes ?
— Ah, ça fait trop longtemps que je suis loin du Royaume Démoniaque ! Peut-être que les tendances ont changé…
— Peu importe. Détruis cette chose ! lança Erza, agacée, après avoir rappelé à Mammon sa propre affirmation.
Si les démons n’avaient pas de réelle notion de sécurité, qu’est-ce qui nous attendait au-delà de cette zone déjà si bien gardée ?
— Pff, grande sœur, accorde-moi un instant… Feu ! Matière noire !
Un hexagramme apparut au-dessus de la tête de Mammon, libérant une masse comprimée de magie noire. L’explosion retentit dans tout le couloir et frappa de plein fouet le visage du golem. Un coup pareil aurait suffi à abattre un dragon de cette taille, mais…
— Intrus. Éliminer, éliminer, éliminer.
— Quoi ?! Ça n’a servi à rien ! s’écria Erza.
— Il est drôlement résistant, et il n’a pas l’air de ressentir la douleur. Ce ne sera pas facile de l’abattre.
— Dans ce cas… euh… Je pense qu’une retraite stratégique serait une excellente idée.
Le golem n’était manifestement pas construit comme un être vivant ordinaire. Si nous n’avions aucun moyen efficace de le combattre, la fuite semblait effectivement l’option la plus raisonnable.
— Allons dans la direction d’où il est venu, proposai-je. — Asmodeus garde peut-être quelque chose d’important par là.
— C’est logique. Mammon, tire encore une fois.
— Oui, oui…
Mammon immobilisa temporairement le golem d’une nouvelle explosion de son sort de Matière noire.
— Vous savez, jouer à chat perché à mon âge, ce n’est plus très drôle. Montez, mesdames !
Sur ces mots, Mammon reprit sa forme de chat. Nous bondîmes sur son dos, contournâmes le golem et nous enfonçâmes plus profondément dans la forteresse d’Asmodeus.
J’avais entendu parler de ce jeu qu’on appelait « chat perché » … mais je n’aurais jamais imaginé y jouer pour la première fois dans de telles circonstances.
* * *
(Mia)
Lorsque nous avons entendu la voix de Philia sortir du bracelet de Lena, nous avons tous été soulagés d’apprendre qu’elle était encore en vie. Mais ce soulagement fit bien vite place à la stupeur lorsqu’elle nous annonça qu’elle ne pouvait pas revenir à la surface. Apparemment, Asmodeus, le démon qui possédait cet imbécile de prince, bloquait le passage du retour. Le prince Osvalt supplia Klaus de le laisser partir à sa recherche.
— Je vous en supplie, Messire Klaus ! Conduisez-moi auprès d’elle !
— Je vous ai dit non. Désolé, Votre Altesse, mais peu importe combien vous insistez, c’est impossible. Je pourrais avoir de gros ennuis.
Qui aurait cru que Klaus puisse se montrer aussi entêté ? Ne pouvait-il pas faire preuve d’un peu de compassion ? Le prince Osvalt avait-il des sentiments pour Philia ? Cela expliquerait pourquoi il suppliait avec autant de ferveur… Mais en même temps, si je n’avais pas été en train de maintenir le Grand Cercle de Purification, moi aussi j’aurais fait de même. J’étais tellement inquiète pour elle que je n’arrivais plus à réfléchir correctement. Mon cœur se serrait à chaque fois que j’imaginais quelque chose lui arriver.
— Pour commencer, les démons relèvent de la juridiction des exorcistes. Nous ne pouvons pas laisser d’autres personnes s’en mêler, même des membres de la royauté, ou des Saintes !
Quoi que nous disions, Klaus restait intraitable. Les exorcistes avaient peut-être une certaine fierté dans leur savoir-faire contre les démons, mais le prince Osvalt avait tout de même prouvé sa valeur en tranchant le bras d’Asmodeus avec sa lance, non ? Klaus ne pouvait-il pas se montrer un peu plus souple ? Je commençais à perdre patience. La sécurité de Philia était en jeu… cela ne sautait-il pas aux yeux qu’il valait mieux être plus nombreux ? Si Klaus persistait, j’allais devoir lui parler en privé…
— Je comprends Messire Klaus, vraiment, déclara le prince Osvalt en le saisissant par le col. — Mais en ce moment même, la vie de la personne qui compte le plus pour moi est en danger ! Désolé, mais je ne peux pas rester planté là à débattre !
— Est-ce que… c’était une déclaration d’amour ?
— Peut-être. Si Philia avait été là pour l’entendre.
Comment dire… Son Altesse avait quelque chose de revigorant dans sa franchise. Il irait sûrement bien avec Philia, qui avait tendance à se focaliser sur les détails les plus étranges et incongrus. Mère, qui connaissait Philia mieux que moi, semblait du même avis. Mais trêve de réflexions. Nous devions nous concentrer sur le salut de Philia.
S’il vous plaît, Klaus, écoutez les supplications du prince Osvalt !
— Votre Altesse, relâchez-moi. Vous ne semblez pas comprendre à quel point les démons sont terrifiants.
— Vous relâcher ? Pas avant que vous acceptiez de m’emmener !
— Je vois… Vous ne me laissez pas d’autre choix. Je déteste devoir faire cela, surtout à un prince étranger, mais… Satanachia, sors.
— Nngaaaaah !
Au claquement de doigts de Klaus, une grande silhouette encapuchonnée émergea de l’ombre et immobilisa les bras du prince Osvalt dans son dos.
— Q-Quoi ?! Qu’est-ce que c’est que ça ?!
— Je suis Satanachia, le familier de Messire Klaus.
Satanachia avait le visage d’un loup noir aux crocs acérés. Il n’y avait aucun doute : ce n’était pas un être humain. Il me rappelait les démons à l’allure de renards que nous avions affrontés plus tôt.
— Satanachia n’était pas à la hauteur contre moi, déclara Emily, — Mais sa force reste tout de même impressionnante.
— Il a fallu qu’on s’y mette à quatre pour le maîtriser, pas juste toi, lui rappela Grace.
Ainsi donc, lui aussi était un familier, à l’image de Mammon pour Erza. Mais un bipède comme lui ne pouvait évidemment pas passer pour un humain. Satanachia devait rester caché dans l’ombre la plupart du temps, afin d’éviter de semer la panique.
— Vous comprenez maintenant, Votre Altesse ? Satanachia est un démon de rang intermédiaire. Si vous êtes incapable de lui tenir tête, comment comptez-vous affronter Asmodeus, l’un des démons les plus puissants qui soient ?
— Je m’en moque ! Lâchez-moi !
Nous manquions de temps. Ce débat n’avait plus lieu d’être. Et pourtant, en croisant le regard de Son Altesse, je ne parvins pas à me résoudre à intervenir. Comme Klaus venait de le dire, les démons étaient extrêmement dangereux et Asmodeus était un monstre même parmi les siens. Pourtant, Son Altesse refusait obstinément de reculer. Je sentais en lui une volonté inébranlable de sauver Philia. C’est alors qu’en enjambant un tas de gravats, le prince Reichardt, héritier de Parnacorta, interrompit la confrontation.
— J’ai entendu l’essentiel de la discussion. Osvalt, tu te rends ridicule. Ne joue pas à l’enfant gâté.
— G-Grand frère…
Lorsque le prince Reichardt nous avait salués plus tôt, j’avais perçu en lui un esprit vif et une attitude digne. Il m’avait laissé une impression favorable, bien que nous n’ayons jamais vraiment eu l’occasion de parler.
— Mon frère, es-tu venu pour m’en empêcher ? N’est-ce pas le devoir d’un prince de sauver Dame Philia ?
Le prince Osvalt semblait convaincu que son frère voulait l’empêcher de venir en aide à ma sœur. Il est vrai que, rationnellement, il était imprudent pour un prince, même le second, de risquer sa vie pour secourir une Sainte. Pourtant, je comprenais parfaitement ce que ressentait le prince Osvalt. Après tout, nous partagions le même désir : protéger Philia.
— Philia compte-t-elle donc à ce point pour toi, au point de risquer ta vie pour elle ? demanda le prince Reichardt d’une voix grave.
Tous les regards se tournèrent vers le prince Osvalt, dans l’attente de sa réponse.
— Bien sûr ! Je volerais au secours de Dame Philia quoi qu’il arrive ! Nous avons fait une promesse, et même la mort ne m’en détournerait pas ! Nous… avons convenu de dîner ensemble un jour !
Quelle déception. Je m’attendais à une déclaration d’amour. Mais soit. Ce genre de chose, il valait mieux le dire en face de Philia, de toute façon. En tout cas, le prince Osvalt semblait avoir pris sa décision. Dans ce cas, je me dis que je devais le soutenir…
— Ne commet pas d’imprudence.
— Ugh… Oui, Mère.
Mère avait dû percevoir que j’étais sur le point d’agir, car elle posa une main sur mon épaule pour m’inviter à faire preuve de retenue. Mais si cela continuait ainsi, Son Altesse ne pourrait jamais partir sauver ma sœur.
— Messire Klaus, je vous présente mes excuses pour l’attitude déplacée de mon frère… mais pourriez-vous, je vous prie, accéder à sa demande ?
— G-Grand frère ?
Le prince Reichardt s’inclina profondément en demandant à Klaus de laisser son frère faire ce qu’il souhaitait. Pour un homme de sa position, héritier du trône, s’abaisser ainsi devant tous, même pour son frère, relevait d’un geste des plus significatifs. Mais Klaus refusa malgré tout.
— Heu… relevez la tête, je vous prie. Vous me mettez vraiment dans une position délicate. Regardez Satanachia ! Souhaitez-vous vraiment envoyer votre frère dans un endroit infesté de créatures comme lui ?
Les démons étaient effectivement terrifiants, mais ce n’était pas comme si le prince Osvalt était sans défense face à eux. Tant qu’il avait sa lance, je croyais sincèrement qu’il pourrait se défendre. Moi, en revanche, j’étais bien embêtée si je ne pouvais pas utiliser la magie à mains nues.
— Des démons ? Et alors ? Raaaargh !
— Ngh ?! Nnngaaaaaagh ! Nghh !
Le prince Osvalt frappa Satanachia au visage avec son gantelet. Lorsque le démon recula sous le choc, Son Altesse le saisit par le bras et le projeta à travers la salle. Ces gantelets, faits d’un minerai rouge, ressemblaient à une autre des inventions de Philia. Même ainsi, ce n’était pas une mince affaire de faire voler un démon comme Satanachia.
Le prince Osvalt devait exceller dans le combat physique pour avoir réussi à le renverser par la seule force de ses bras. J’avais entendu dire que Son Altesse aimait travailler la terre. C’était sans doute là qu’il avait acquis un tel physique. Cela me donna envie d’encourager le prince Fernand à s’essayer à l’agriculture. Cela lui ferait le plus grand bien.
— Est-ce que vous venez vraiment de jeter Satanachia de l’autre côté de la salle ? Non, mais quand même…
Quoi ? Même après avoir vu cela, Klaus hésitait encore ? Je ne pouvais plus rester silencieuse une seconde de plus. Jusqu’à présent, j’avais retenu mon envie d’intervenir, par égard pour les sentiments de Son Altesse envers Philia. Mais je ne supportais plus d’entendre ces échanges stériles.
— Klaus, je vous en supplie ! Son Altesse a prouvé sa force ! Laissez-le partir sauver ma sœur à ma place !
— Dame Mia ? Vous aussi ?
Klaus semblait vaciller. Il ne manquait plus qu’un petit coup de pouce.
— Klaus, m-moi aussi, je vous le demande. Si le pape vous réprimande pour cela, j’en prendrai la responsabilité.
— Même Dame Alice est contre moi…
Alice, tout comme Klaus, venait de Dalbert. Il finirait bien par l’écouter, surtout si elle allait jusqu’à assumer les conséquences à sa place.
— …Très bien. Je m’avoue vaincu. Votre Altesse, je vous prie de me prêter votre force. Mais sachez qu’il n’y a aucune garantie de retour.
— Comptez sur moi ! Je me battrai de toutes mes forces !
Ainsi, Klaus céda enfin. Pour un homme d’apparence aussi discrète, il se montrait étonnamment obstiné. Mais quel soulagement.
Le prince Osvalt allait enfin pouvoir participer au sauvetage de Philia. Même si Grace, Emily et moi ne pouvions pas nous rendre à Limbes à cause du Grand Cercle de Purification que nous devions maintenir, d’autres étaient prêts à risquer leur vie pour aider ma sœur. Et Mère ? Elle devait être plus inquiète que quiconque vu que Philia était sa fille biologique. Après encore quelques discussions, nous parvînmes à établir un plan.
— La magie de téléportation de Satanachia peut transporter six personnes en me comptant, expliqua Klaus. — Autrement dit, nous pouvons emmener Son Altesse et quatre autres personnes.
Bien qu’il se fût opposé à la venue du prince Osvalt, Klaus, sans doute las de toute résistance, proposa d’emmener quatre personnes supplémentaires. Alice, en tant que Sainte et exorciste, choisit de rester en arrière, au cas où des démons rôderaient encore dans le monde de la surface. Finalement, ce furent Philip, Lena, Leonardo et Himari qui furent choisis pour participer à la mission de sauvetage. Tous s’étaient montrés déterminés à sauver Philia, jusqu’au bout. Ayant tous servi comme gardes du corps de Philia, il n’était guère surprenant qu’ils considèrent sa protection comme leur devoir.
— Mère, ne voulez-vous pas y aller aussi ?
— Je suis à la retraite. Je n’ai plus la condition physique de vous autres, les jeunes. Et puis, le peuple de Parnacorta, ce royaume que Philia s’est efforcée de protéger, a à cœur de lui venir en aide. Il serait égoïste de ma part d’insister pour prendre la place de l’un d’entre eux.
Sur ces mots, Mère se retira. Apparemment, pendant que j’étais évanouie, Philia avait appris que Mère, sa tante et son maître jusque-là, était en réalité sa mère biologique. Une fois que Philia serait rentrée, je m’assurerais qu’elles aient tout le temps qu’il fallait pour parler ensemble. Ce serait ma manière d’exprimer mon attachement familial.
— Votre Altesse, je vous confie ma fille.
— Comptez sur moi, Dame Hildegarde. Je vous promets de ramener Dame Philia saine et sauve. Bientôt, nous serons tous réunis dans le sourire
Malgré la gravité de la situation, le prince Osvalt adressa à Mère un sourire insouciant.
Ah… Ce sourire avait sûrement fait fondre la glace dans le cœur de Philia.
À présent, j’en étais certaine : j’allais revoir Philia.
* * *
(Philia)
Des bruits de pas lourds et précipités résonnaient derrière nous alors que nous courions dans un couloir. Rien ne décorait les murs, si ce n’étaient des rangées compactes de poupées, ce qui donnait à l’endroit une atmosphère morne et angoissante.
— Je crois qu’on a gagné cette partie de chat perché, lançai-je.
— Ce serait sympa de savoir si le seigneur Asmodeus veut aussi jouer avec nous tant qu’on y est, répondit Mammon avec sarcasme.
Après encore quelques minutes de chat perché avec le golem, nous atteignîmes une porte large, massive, d’un noir lustré. Elle avait clairement l’air de protéger quelque chose d’important. Je pouvais bel et bien sentir la présence de personnes dotées de pouvoir magique de l’autre côté. Était-ce là que se trouvaient les femmes qu’Asmodeus avait enlevées ?
Il aurait été plus logique de les placer en un lieu discret. Mais puisque la forteresse d’Asmodeus n’était même pas gardée à l’entrée, peut-être les démons avaient vraiment une conception différente des mesures de sécurité.
— J’aimerais jeter un œil à l’intérieur, songeai-je à voix haute, — Mais il n’y a aucune trace de clé. Ce n’est guère surprenant…
— Mammon, détruis cette porte.
— J’ai comme un mauvais pressentiment… Mais bon, on peut toujours tenter. Matière noire !
Faisant apparaître un cercle magique, Mammon lança une masse noire contre la porte. Une explosion retentit avec fracas, accompagnée d’un rugissement assourdissant. Mais la porte demeura parfaitement intacte, sans la moindre éraflure. Elle devait être d’une solidité exceptionnelle. Je doutais que ma propre magie suffise à la briser.
— J’imagine que c’était trop espérer, soupirai-je.
— Minute, Mlle Philia ! Tu n’avais donc aucune confiance en moi ?
— Désolée, mais je me doutais que votre magie ne serait pas efficace.
— Au moins, tu l’as dit plus poliment que Grande Sœur Erza.
Je n’avais nullement voulu vexer Mammon, mais à en juger par l’aspect de cette porte, je supposais qu’elle était faite du même minerai que le golem. Si la magie de Mammon n’avait aucun effet sur ce dernier, il était logique que la porte y soit elle aussi insensible.
— Que fait-on ? Le golem ne va pas tarder. On cherche la clé ?
— Pas vraiment le choix, répondit Mammon. — Ici, là-bas… de toute façon, c’est pareil.
Le sol trembla sous nos pieds alors que le golem gagnait du terrain. Heureusement pour nous, il avait une démarche lente et lourde, ce qui nous permettait de l’esquiver sans trop de difficulté. Mais si nous traînions trop, Asmodeus finirait par remarquer le vacarme et surgirait.
— Brisons cette porte, dis-je en me décidant à forcer le passage plutôt que de chercher une clé. — Ce serait plus rapide ainsi.
Il était peu réaliste d’espérer trouver la clé immédiatement, surtout sans savoir où chercher.
— Je ne sais pas trop… Tu viens de voir que ma magie n’a eu aucun effet sur cette porte. Ou bien tu avais une autre idée ? Un sort encore plus impressionnant en réserve ?
— Si elle gardait un sort en réserve, elle aurait déjà détruit le golem, fit remarquer Erza. — Cela dit, s’il y a bien quelqu’un capable de miracles, c’est la Sainte salvatrice…
La méthode avait certains risques, mais j’avais une idée pour forcer la porte.
— J’espère que vous pourrez coopérer avec moi…, commençai-je.
J’expliquai mon plan à Erza et Mammon. Même si je n’étais pas entièrement certaine du résultat, j’évaluais nos chances de succès à environ 80%.
— Je vois. Intéressant, déclara Erza.
— Je n’ai pas de meilleure idée, admit Mammon.
À présent qu’ils avaient compris le plan, il était temps de passer à l’action.
Nous nous positionnâmes dos à la porte, face au golem. De près, sa masse colossale était vraiment impressionnante. Pourvu que ça marche…
— Intrus ! Éliminer !
Le golem, nous ayant rejoints, leva les poings dans les airs. Tout se déroulait comme prévu. À en juger par ses mouvements répétitifs, il ne pouvait exécuter que des ordres simples. Nous l’attirâmes au plus près de nous avant d’esquiver d’un bond. Les poings du golem s’abattirent sur la porte. En un instant, l’épaisse porte que la magie de Mammon n’avait pu égratigner vola en éclats. Nous nous précipitâmes dans la pièce qui s’ouvrait devant nous.
— Ça a fonctionné, constatai-je. — Le corps du golem étant fait du même minerai que la porte, je me suis dit qu’en le poussant à la frapper de toutes ses forces, l’impact suffirait à la briser.
— Finalement, cette partie de chat perché n’était pas si inutile.
Derrière la lourde porte se trouvaient plusieurs cages, chacune renfermant une utilisatrice de magie. Comme nous le soupçonnions, c’était ici qu’Asmodeus retenait ses victimes. Il y en avait une vingtaine, comme l’indiquaient les rapports.
— Quel est ce cercueil ? Il dégage une atmosphère étrange…
Je sentais une présence émaner du cercueil au centre de la pièce. Ce n’était pas magique, mais un ressenti étrange, comme si ma poitrine se serrait.
— Je ne ressens rien d’anormal, répondit Mammon.
— Peu importe ça, dit Erza. — Dépêchons-nous d’ouvrir les cages. Les clés sont juste là… Quelle négligence.
Ni Erza ni Mammon ne semblaient percevoir quoi que ce soit venant du cercueil. Peut-être n’était-ce qu’une impression. En tout cas, comme le disait Erza, libérer les captives était la priorité.
— Intrus ! Éliminer ! Éliminer !
Le golem entra dans la pièce. Il s’apprêtait à tout ravager lorsque Erza utilisa sa magie pour soulever les fragments de la porte et les projeter à toute vitesse contre lui.
— Tu vas te taire, oui ? Si cette porte est faite du même minerai… prends ça !
Je m’étais imaginé qu’Asmodeus aurait interdit au golem d’entrer ici, de peur qu’il ne détruise tout, mais je m’étais trompée.
— Gaaah !
Les éclats d’obsidienne transpercèrent les articulations des bras et des jambes du golem, jusqu’à l’immobiliser complètement. Bien qu’il fût doué de conscience, ce golem, fait d’un matériau quasi indestructible et incapable de ressentir la douleur, semblait enfin vaincu.
— Aidez-moi, je vous en supplie…
— Quelqu’un… quelqu’un ! Je vous en supplie… !
— On est sauvées ! Quel soulagement !
— Dame Philia ! Vous êtes venue nous sauver !
J’insérai une clé dans la serrure de la cage la plus proche. Je reconnus la femme aux cheveux rouges enfermée : c’était Karen, que j’avais croisée à la boutique. J’espérais que toutes les autres allaient bien. En nous voyant, les captives semblaient soulagées. Mais ce répit fut de courte durée.
— Qui aurait cru que tu viendrais à moi ? Tu m’épargnes des efforts.
Souriant avec audace, Asmodeus apparut devant nous. Après une manœuvre aussi audacieuse de notre part, j’avais abandonné l’idée de le prendre par surprise, mais je n’arrivais pas à croire que j’aie pu ne pas du tout percevoir sa présence. Et à en juger par les visages stupéfaits d’Erza et Mammon, eux non plus ne l’avaient pas remarqué. Mais je ne pouvais pas reculer. Dès que j’aurais une ouverture, je saisirais ma chance. Je devais aller jusqu’au bout. J’étais déterminée à affronter cet ennemi redoutable.
— On dirait que vous ne m’avez même pas remarqué en train de vous suivre. Je commence à bien maîtriser ce corps, désormais je peux dissimuler ma magie sans effort.
Jusqu’à présent, Asmodeus dégageait une aura magique absolument extraordinaire.
Mais s’il parvenait désormais à contrôler le corps de Julius avec une telle précision qu’il en devenait indétectable, je devais supposer qu’il était plus fort encore qu’au moment où il avait ravagé le palais de Parnacorta.
— Philia, non, âme de Fianna ! Merci d’être venue ! Sais-tu combien de siècles j’ai attendu ce jour, celui de nos retrouvailles ? Avançons ensemble vers l’éternité ! J’ai préparé le corps parfait pour toi.
Asmodeus posa une main sur le cercueil. Le couvercle s’ouvrit. Une femme aux cheveux d’argent, les yeux clos, s’éleva lentement dans les airs. Je ne sentais en elle aucune trace de vie. Je crus d’abord qu’il s’agissait d’un cadavre, mais je compris rapidement que ce n’était qu’une poupée. Si habilement façonnée qu’elle faisait passer les poupées du couloir pour de simples figurines.
— Recréer fidèlement le corps de Fianna n’a pas été une mince affaire. J’ai dû fouiller la mémoire de dizaines, non, de centaines, voire de milliers de démons qui se souvenaient d’elle. Je crois bien avoir employé les meilleurs artisans de poupées pendant deux bons siècles.
Si la profondeur des sentiments se mesurait en temps, alors l’amour, ou l’obsession, d’Asmodeus était proprement incalculable. Depuis qu’il avait commencé à parler, il ne me voyait même plus réellement. Il poursuivait encore les vestiges de l’âme de Fianna en moi.
— Bien. Et si nous commencions le rituel ? D’abord, je transférerai ton âme dans ce nouveau réceptacle, puis j’en extrairai les souvenirs de Fianna, gravés en toi.
Asmodeus tendit la main vers moi. Alors que je le fixais, figée, il poursuivit :
— N’aie pas peur. Tu perdras certes ce qui fait ta spécificité, mais tu gagneras la vie éternelle en échange. Je t’aimerai pour l’éternité.
La vie éternelle semblait exercer une fascination irrésistible sur les êtres puissants, les poussant à toutes les folies pour l’obtenir. Mais ce n’était rien de ce que je désirais. C’est alors qu’Erza et Mammon s’interposèrent. Combien de fois avaient-ils ainsi risqué leur vie pour me protéger ?
— Et si, pour une fois, vous prêtiez attention à nous ? lança Erza.
— Je ne vous laisserai pas poser un doigt sur Mlle Phillia ! Cette fois, je vais vous faire passer un sale quart d’heure ! ajouta Mammon.
Ignorant mes blessures, je serrai les dents de toutes mes forces.
— Misérables insectes ! Ne prenez pas vos aises ! Jusqu’ici, je me suis retenu… pour Philia !
Dans un accès de fureur, Asmodeus traça un cercle magique et lança un éclair noir. À en juger par son apparence, le corps de Julius devenait peu à peu celui d’un démon. L’attaque fut si soudaine qu’Erza et Mammon n’eurent pas le temps de se défendre.
— Bouclier Sacré !
Je les protégeai à l’aide d’un bouclier de lumière, capable de bloquer les forces du mal. La magie défensive était la spécialité d’une Sainte, après tout, et j’avais une confiance absolue dans la solidité de mes barrières. La foudre noire se dispersa dans tous les sens et s’évanouit. J’avais dû blesser l’orgueil d’Asmodeus, car il me jeta un regard noir. Mais soudain, son expression changea, et il se mit à rire, comme s’il prenait plaisir à la situation.
— Heh heh heh… Tu m’as encore battu. Comme au bon vieux temps, quand tu te dressais sur mon chemin. Je t’ai affrontée de toutes mes forces, et quand j’ai perdu, tu as réduit mon orgueil en miettes.
Je ne pensais pas encore que nous pouvions vaincre Asmodeus, mais il semblait avoir relâché sa garde, même si ce n’était qu’un peu. Si Erza, Mammon et moi unissions nos forces, nous pourrions au moins prolonger le combat. Il nous faudrait tenir bon, guetter la moindre faille, et se tenir prêts.
— Mais au fond, la violence ne me ressemble pas. Philia, je préférerais que tu m’offres ton âme de ton plein gré.
Alors que je tentais de comprendre ses intentions, Asmodeus secoua la tête et abandonna toute posture combative.
— Quand je t’ai vue tout à l’heure, j’ai été frappé par ta compassion. Tu m’as tendu la main pour sauver Hildegarde, cette mère qui t’avait abandonnée, même si cela signifiait être capturée.
En effet, canaliser ma magie dans son corps pour l’immobiliser avait été un pari risqué. Je n’allais certainement pas tester cette méthode sur Mammon, après tout. Si j’avais pris ce risque pour venir en aide à mon maître, c’était pour une raison simple : je l’avais voulu sincèrement, même si je n’étais pas certaine, à l’époque, d’avoir la force d’aller jusqu’au bout.
— Grâce aux souvenirs de Julius et de Hildegarde, je sais tout un tas de petites choses sur toi. Et il y en a une, en particulier, qui m’intrigue. Dis-moi, Philia… irais-tu jusqu’à risquer ta vie pour ces deux-là ?
Les yeux d’Asmodeus brillèrent d’une lueur pourpre. La porte magique apparut comme toujours. Deux silhouettes en jaillirent : un homme et une femme, ligotés et entravés. Impossible…
— Où sommes-nous ? Que se passe-t-il ? Philia ? Explique-toi !
— Philia, c’est toi derrière tout ça ? Que comptes-tu faire de nous ?
— Père… Mère…
Devant moi se tenaient George et Cornelia Adenauer, mes parents… Ou plutôt, si ce qu’Asmodeus m’avait révélé à la surface était vrai, mon oncle et ma tante. Ils étaient censés être enfermés à Girtonia. Jamais je n’aurais imaginé les revoir dans de telles circonstances. Et si Asmodeus avait laissé un passage vers notre monde non pas par simple arrogance, mais pour continuer à capturer des humains au besoin ?
— Bien, passons à la seconde phase des négociations. Vas-tu les sauver… ou non ? Je meurs d’envie de le savoir. Et même si je viens de dire qu’il s’agit d’otages… en vérité, j’aimerais surtout te voir tourner le dos à ceux qui t’ont élevée, Philia.
— Leur tourner le dos ?
— Exactement ! Ils ne supportaient même pas de te voir, et t’ont tourmentée pendant des années. Et au final, éblouis par la promesse de l’or et des terres, ils t’ont vendue sans scrupules à Parnacorta ! Je ne peux pas pardonner à ces humains de t’avoir traitée ainsi ! Il suffit d’un mot, et je les tue pour toi. Ha ha ha ha ha ha ha ha !
Asmodeus éclata de rire en déclarant qu’il tuerait volontiers mes parents, qu’il avait pris en otage. Il avançait leur trahison, leur cruauté et leur avidité comme autant de raisons pour les condamner. Dans une prise d’otage ordinaire, on capture des personnes chères au cœur de la cible. Mais ici, Asmodeus semblait simplement s’amuser. Ce n’était qu’un divertissement.
— Alors ? Qu’est-ce que tu choisis ? Les deux options me vont. Je peux facilement prendre ton âme… ou bien avoir le plaisir de tuer pour toi.
— Philia ! Te rends-tu compte à quel point ton existence nous a rendus misérables ?
— C’est vrai ! Si seulement tu n’étais jamais née, nous pourrions encore vivre heureux avec Mia aujourd’hui !
Je me rappelai à quel point j’avais désiré leur amour. J’avais travaillé sans relâche pour devenir une véritable Sainte, dans l’espoir qu’ils finiraient par me reconnaître. Mais peu importait mes efforts, mes progrès… Jamais je n’avais obtenu la moindre validation de leur part. Et à la fin, ils m’avaient vendue à Parnacorta.
— Sainte Salvatrice, abandonnez-les ! cria Erza. — Les Adenauer sont des criminels déjà condamnés à mort ! Des gens comme eux ne méritent pas que vous vous sacrifiiez !
— Oh, … Comme c’est amusant de te voir proposer de tuer les otages. Je t’en prie, amuse-toi.
— Ah oui ? Eh bien, pourquoi refuser ?
Erza pointa son fauchon en direction de mes parents. Elle était prête à se salir les mains pour m’épargner d’avoir à faire un choix aussi cruel.
— Attendez, je vous en prie ! criai-je.
Erza, son arme toujours levée, tourna les yeux vers moi.
Je suis désolée. En tant que Sainte… non, en tant qu’être humain… je ne savais pas s’il y avait un bon ou un mauvais choix dans cette situation. Mais je savais une chose : je ne pouvais pas permettre que quelqu’un meure.
— Asmodeus, je me rends. Je vous en prie, laissez-les partir.
Je levai les deux mains en signe de reddition. En tant que Sainte de Parnacorta, dont le devoir premier était de veiller à la prospérité du royaume, tourner le dos à mes parents aurait peut-être été la bonne décision. Mais en tant qu’être humain, je ne pouvais trahir mes convictions ni refuser de tendre la main à ceux qui se trouvaient devant moi. Abandonner mes parents n’avait jamais été une option.
— Hmm. Tu as fait ton choix sans la moindre hésitation. Quelle force d’âme inébranlable. C’est bien digne de toi.
— Je ne résisterai pas. Mais d’abord, relâchez-les.
J’exigeai qu’Asmodeus me prouve que mes parents seraient en sécurité. Après tout, il venait de dire qu’il voulait les tuer. J’avais accepté ses conditions, mais j’avais moi aussi mes exigences.
— Tu ferais bien de connaître ta place… mais soit. J’en relâcherai un maintenant, et l’autre une fois que je t’aurai ligotée. Je ne peux pas te laisser m’injecter ta magie une autre fois.
Alors, il ne relâchera jamais complètement sa garde…
Asmodeus libéra mon père, puis m’attacha fermement à l’aide de cordes noires. Façonnées dans une fibre renforcée par la magie, elles semblaient extrêmement solides. Il m’était impossible de m’en défaire seule. Ensuite, Asmodeus libéra ma mère.
— Allez, partez maintenant. Faites ce que bon vous semble.
Père et mère s’enfuirent en hurlant. Je ne pouvais m’empêcher de m’inquiéter, car c’était dans un autre monde. Asmodeus ricana.
— Fianna ! Enfin vient le moment de nos retrouvailles ! Que le rituel commence ! Humains, concentrez toute votre magie en un seul point !
Des lueurs vertes commencèrent à s’échapper des nombreuses cages, et la poupée flottant au-dessus du cercueil les absorba toutes. Les cages semblaient composées d’un métal à très haut taux d’absorption magique. Asmodeus avait sans doute employé tout son génie pour concevoir un mécanisme capable d’aspirer la magie de ses captives.
À mesure que la poupée absorbait cette magie, elle se mit à briller de plus en plus fort.
— À ton tour, Philia. Tu seras la cerise sur le gâteau.
— Sainte salvatrice ! cria Erza. — Pourquoi ? Pourquoi avoir fait ça… Pour des gens comme eux ?
Tandis que j’étais maintenue au sol, immobile, Asmodeus approcha lentement sa main de ma poitrine. J’avais lu que l’âme résidait au plus profond du cœur… mais que ressentait-on lorsqu’on se la faisait arracher ?
— Erza… Tout ira bien. J’y ai toujours cru…
— Hein… ?
— Argh ! Je ne vous laisserai pas faire de mal à Dame Philia !
Bondissant dans la pièce, le prince Osvalt trancha le bras d’Asmodeus d’un coup de lance.
J’avais toujours cru que Son Altesse viendrait pour moi.
Lorsqu’une personne aussi sincère que lui faisait une promesse, le moins que je pouvais faire était de lui faire confiance.
Blottie dans ses bras, je ne ressentis plus qu’un immense soulagement.
* * *
(Osvalt)
Quand le démon Asmodeus enleva Dame Philia, j’avais réussi, l’espace d’un instant, à prendre le dessus. Mais il parvint tout de même à s’enfuir avec elle, l’emportant dans son royaume. Pourquoi ai-je lâché sa main ? Pourquoi ai-je abandonné Dame Philia simplement parce que j’ai été désarçonné ? Si seulement j’avais serré sa main plus fort, elle ne se serait pas retrouvée prisonnière de cet étrange royaume…
Je maudissais mon impuissance. J’avais juré de rendre la vie de Dame Philia à Parnacorta aussi douce que possible. Je voulais la soutenir, rester à ses côtés, afin qu’un jour elle en vienne à aimer notre royaume. Et pourtant… voici le résultat. Le doute m’envahit… suivi d’un profond remords. Pourquoi étais-je aussi accablé ? Était-ce parce que des personnes comme Dame Philia étaient rares ? Parce que je n’avais pas tenu ma promesse ?
Non ! C’était parce que Dame Philia était irremplaçable à mes yeux ! Il suffisait de la voir sourire pour que je sois heureux. Sans que je m’en rende compte, passer du temps avec elle était devenu la chose la plus précieuse au monde. Voilà pourquoi je voulais la sauver. Je voulais, du fond du cœur, venir en aide à l’être qui comptait le plus pour moi. Peut-être étais-je égoïste… mais je ne voulais avoir aucun regret.
Après tout, je voulais rester à ses côtés, et un jour… lui dire tout ce que je ressentais pour elle. Peu importait ce que Dame Philia éprouvait pour moi, je savais que si je ne lui avouais pas mes sentiments, je le regretterais. C’était aussi, en partie, pour moi-même que j’étais déterminé à aller la sauver.
— Votre Altesse, nous avons retrouvé votre lance ! lança Philip en me tendant l’arme. — Allez, montrons à ces démons de quoi nous sommes capables !
Autrefois, c’était lui qui m’avait appris à manier la lance. Il me disait souvent « Un jour, cette arme servira à protéger celle que tu voudras vraiment protéger. » À l’époque, j’avais trouvé son entraînement bien rude… mais aujourd’hui, je lui en étais profondément reconnaissant.
Ce n’était pas le moment de me perdre dans les souvenirs. Je ne pourrais pas faire face à Dame Philia si je laissais filer un temps si précieux.
— Tu as raison. Avec cette lance… cette fois, je sauverai Dame Philia.
Je pris la lance que me tendait Philip et l’agitai dans les airs. Elle me paraissait naturelle en main, plus facile à manier que toutes celles que j’avais tenues jusqu’ici.
Ne t’inquiète pas. Je ne faillirai plus.
— Votre Altesse ! Monsieur Philip ! M. Klaus est prêt, annonça Lena.
— Nous arrivons !
Équipés des armes développées par Dame Philia, Lena, Leonardo et Himari se rassemblèrent autour de Klaus. C’était une équipe de vétérans. Lena s’était formée durant des années auprès de son grand-père, maître d’un dojo de self-défense. Leonardo avait dirigé les chevaliers de Parnacorta il y a deux générations. Quant à Himari, elle avait commencé à servir comme garde du corps auprès de la famille impériale Murasame dès son plus jeune âge.
— À partir de maintenant, déclara Klaus, — Nous allons voyager jusqu’aux Limbes. C’est une dimension extrêmement dangereuse, infestée de démons. Il se peut que nous ne puissions pas en revenir vivants…
— Allons, messire Klaus ! Pas de propos défaitistes ! Pensez plutôt à la joie que ce sera de revenir avec Dame Philia !
— …Honnêtement, j’ai encore du mal à croire que les princes de votre royaume soient si différents des nôtres. Très bien. Revenons tous vivants, d’accord ?
— Hoo !
Le poing levé, nous nous élancions vers les Limbes, là où nous attendaient Dame Philia, Erza et Mammon. Les yeux du familier de Klaus, Satanachia, brillèrent d’un éclat pourpre. Une immense porte ornée de motifs sinistres apparut devant nous.
— Maintenant, suivez-moi.
La porte s’ouvrit dans un silence solennel et Klaus nous fit signe d’entrer. Le royaume d’Asmodeus se trouvait-il de l’autre côté ? Sans discuter, nous franchîmes le seuil. Nous avançâmes de quelques pas dans l’obscurité totale, puis un paysage d’un blanc immaculé se dévoila devant nous. Nous étions arrivés à destination, sains et saufs, semble-t-il.
— C’est donc ça, les Limbes ? commentai-je. — Comment dire… Je ne perçois rien de vivant ici.
— Il n’y a aucune végétation. Même les roches et le sol sont tout blancs. Ce lieu ne peut pas être naturel.
C’était exactement comme le disait Leonardo. Tout ici paraissait artificiel. Ce royaume était une imposture, une illusion.
— Effectivement, répondit Klaus. — On raconte que, jadis, un démon nommé Satan, l’autorité suprême du Royaume émoniaque, créa cette dimension pour tuer le temps. Le soleil, les roches, la terre… tout est faux. D’après la légende, il s’en lassa à mi-parcours, et n’alla jamais jusqu’à lui donner des couleurs.
— Oh, c’est absurde, fit Lena. — Le coloriage, c’est la meilleure partie !
Cette histoire dépassait l’entendement. Ces êtres appelés « démons » avaient donc le pouvoir de créer des mondes entiers ? Une fois encore, je réalisai à quel point ils appartenaient à un plan d’existence complètement différent du nôtre. Selon Klaus, Asmodeus n’avait même pas utilisé toute sa puissance lors de notre première rencontre.
Non… n’aie pas peur. Ce n’est pas le moment de flancher. Ne perds pas de vue ton objectif, pas une seule seconde…
— Messire Klaus, savez-vous où se trouvent Dame Philia et les autres ?
Ce monde d’un blanc écœurant était tel qu’un seul faux pas suffisait à nous perdre pour de bon. Et alors, adieu Dame Philia. D’après la manière dont Erza s’était exprimée, j’avais eu le sentiment qu’elle savait à peu près où se trouvait Asmodeus. Et la réponse de Klaus me confirma mes soupçons.
— Je pense qu’ils se sont dirigés vers la Forteresse des Ténèbres Éternelles. C’est par là.
— Qu’est-ce que la Forteresse des Ténèbres Éternelles ?
— C’est le bastion d’Asmodeus. Ils attendent probablement le bon moment pour frapper, car la seule façon de le vaincre est de le prendre au dépourvu.
Ah… donc ce royaume possédait aussi ses châteaux, et Asmodeus vivait dans l’un d’eux. Personnellement, je n’avais aucune envie d’affronter un monstre pareil, et Dame Philia n’agirait pas imprudemment non plus.
— Je vois, dit Himari. — Ils affûtent leurs griffes en attendant de frapper. Je ne m’attendais pas à ce que les techniques d’assassinat que j’ai évoquées avec Dame Philia l’autre jour trouvent si vite une utilité.
— Himari, reprit Leonardo, — Il ne faut pas encourager Dame Philia dans toutes ses curiosités. Il faut plutôt lui énoncer des choses joyeuses.
— M. Leonardo, vous parlez toujours de cuisine, non ? lança Lena.
Tout le monde dans la maison de Dame Philia semblait très bien s’entendre. Je le savais pour l’avoir vue si rayonnante chaque fois qu’elle parlait d’eux. Les seules fois où elle paraissait un peu triste, c’était lorsqu’elle évoquait ses tentatives ratées de suivre les conseils culinaires de Leonardo. Les écouter plaisanter ainsi me rassurait quant à la venue de Dame Philia à Parnacorta.
— Très bien, dit Klaus. — Suivez-moi, je vais vous guider.
Nous suivîmes Klaus en direction des Ténèbres Éternelles. Il semblait que Klaus avait ordonné à Satanachia de nous téléporter tout près de la forteresse. Après seulement quelques minutes de marche, un château noir apparut devant nous. Tandis que tout le reste des Limbes était d’un blanc pur, cette forteresse était noire comme la nuit. Je ne suis pas artiste, mais tout de même… les démons ne faisaient pas vraiment preuve de créativité.
— Mlle. Erza et les autres sont dans la Forteresse des Ténèbres Éternelles. Je peux les sentir.
Les yeux clos, Klaus nous informa qu’il percevait les pouvoirs magiques de Dame Philia et des siens à l’intérieur de la forteresse. C’était incroyable qu’il puisse le faire à une telle distance.
— Bien. Au moins, on sait qu’ils sont en vie.
Aucun de nous ne manipulant la magie, nous devions nous en remettre à Klaus pour ce genre de choses.
— Hmm ? Attendez… Je détecte aussi de nombreuses autres humaines possédant des pouvoirs magiques. Ce doivent être les captives d’Asmodeus.
Cela avait du sens. Dame Philia avait mentionné qu’Asmodeus cherchait à ramener à la vie la Sainte Salvatrice Fianna, dont les pouvoirs magiques avaient sauvé le continent il y a quatre cents ans.
Pour cela, il avait enlevé des jeunes femmes aptes à la magie, afin d’amasser suffisamment d’énergie pour mener à bien la résurrection.
Il était logique qu’il garde ses captives dans son repaire.
— Messire Klaus, il faut faire vite ! Dame Philia et ses compagnons essaient sûrement de libérer les captives !
— Votre Altesse, attendez ! Pour notre sécurité, nous devrions avancer plus discrètement…
Sur ces paroles… nous nous précipitâmes dans la Forteresse des Ténèbres Éternelles.
* * *
— Eh bien, voilà qui est surprenant. Je m’attendais à plus de sécurité… des gardes, au minimum. C’est tout de même une forteresse.
Nous étions entrés dans la Forteresse des Ténèbres Éternelles bien plus facilement que prévu. Parnacorta était un royaume paisible, certes, mais nous avions tout de même un contingent de soldats postés à l’entrée du château pour repousser les intrus. Ici, il n’y avait ni homme ni enchantement pour défendre les lieux. Je savais que je pouvais être un peu laxiste sur ces questions, mais même moi, je trouvais que ce château manquait cruellement de surveillance.
— C’est typique des démons, expliqua Klaus. — Ils ont une confiance absolue en leur force, et méprisent tout ce qui relève de la surveillance, gardes ou pièges. Pour eux, ce sont pour les faibles.
Les démons semblaient décidément enclins à baisser leur garde.
— Mais Asmodeus n’a-t-il pas pris la mère de Dame Philia en otage ? demanda Lena.
— En effet. Et peu importe comment on voit les choses, prendre des otages reste une tactique de lâche.
— Asmodeus voulait capturer Dame Philia sans lui faire de mal. C’était sans doute le moyen le plus simple d’y parvenir.
Sans lui faire de mal, vraiment ? Il avait semé une telle pagaille… Et pourtant, de son point de vue, il estimait probablement s’être retenu. Cela me rappela qu’Asmodeus pouvait lire dans la mémoire des gens. C’était ainsi qu’on avait appris que Dame Hildegarde était en réalité la mère de Dame Philia. Apparemment, Dame Mia, la fille adoptive de Dame Hildegarde, le savait déjà… mais Dame Philia, elle, n’en avait aucune idée. Cela avait dû être un choc.
Dame Hildegarde était aussi le mentor de Dame Philia, et l’avait soumise à un entraînement des plus rigoureux. Était-ce par amour ? Je ne savais pas vraiment ce que Dame Philia ressentait après avoir découvert un tel secret, longtemps dissimulé.
Lorsqu’elle nous avait parlé depuis les Limbes, elle avait semblé plutôt bien le prendre… mais elle pouvait se montrer maladroite dans ce genre de situations. Même si ce n’était pas vraiment mon rôle, je voulais l’aider à traverser tout cela, si je le pouvais.
— Qu’est-ce que c’est que toutes ces poupées ?
— Wah ! s’exclama Lena. — Il y en a tellement ! Toutes alignées comme ça !
— Cette technique de fabrication de poupées était en vogue il y a environ deux cents ans. Elles sont toutes très finement conçues.
Tout au long du couloir, des rangées de poupées se succédaient. Chacune représentait une femme aux cheveux d’argent, vêtue d’une robe pâle. Exactement comme…
— Je viens de remarquer : elles ressemblent toutes à Dame Philia ! fit remarquer Philip.
Il avait raison. Mais pourquoi en avait-il autant ? Était-ce encore une manie démoniaque ?
— Ne me regardez pas comme ça, dit Klaus. — Je ne connais pas absolument tout sur les démons.
Vraiment ? Si même Klaus l’ignorait, alors cela resterait un mystère. Bien qu’il ait affirmé que les démons n’utilisaient pas de gardes, nous découvrîmes un large cratère creusé dans le sol du couloir — preuve qu’un affrontement avait eu lieu. Le revêtement semblait pourtant extrêmement solide.
— Qu’est-ce que… ?! Je viens de ressentir un immense déferlement de pouvoir magique dans cette direction, déclara Klaus. — C’est sûrement Asmodeus. Je perçois aussi Mlle Erza et ses compagnons du même côté.
— Nous devons vraiment nous dépêcher. Tout le monde, en route !
En comprenant que le combat entre Dame Philia et Asmodeus avait commencé, nous nous mîmes à courir.
Dame Philia, je viens vous sauver !
* * *
— Sainte Salvatrice, abandonnez-les ! cria Erza. — Les Adenauer sont des criminels déjà condamnés à mort ! Des gens comme eux ne méritent pas que vous vous sacrifiiez !
— Oh, … Comme c’est amusant de te voir proposer de tuer les otages. Je t’en prie, amuse-toi.
— Ah oui ? Eh bien, pourquoi refuser ?
— Attendez, je vous en prie !
Nous arrivâmes devant les décombres d’une porte. De l’autre côté, nous entendions une sorte de dispute à propos d’otages. Il semblait que les parents adoptifs de Dame Philia, les Adenauer, avaient été pris en otage, et qu’on la poussait à se rendre. Nous échangeâmes à voix basse.
— Nous ne pouvons pas agir à la légère. Que faire ?
— Tenter le tout pour le tout et foncer maintenant, c’est une option.
— Certes… mais si les otages mouraient par notre faute, nous n’oserions plus regarder Dame Philia en face.
— Sauver Dame Philia reste notre priorité.
En effet, si le plus important était d’assurer la sécurité de Dame Philia, foncer immédiatement semblait logique. Mais si une telle décision devait lui ôter le sourire… alors, moi…
À cet instant, juste un bref instant, Dame Philia sembla tourner son regard vers nous. Nous avait-elle remarqués ? Asmodeus et elle étaient parvenus à un accord : en échange de la libération des otages, elle acceptait de se livrer à lui. Comptait-elle sur notre intervention ?
— Klaus, comment extrait-on une âme ? demandai-je.
— Comment on extrait une âme ? Je ne l’ai jamais fait moi-même, mais je crois qu’il faut approcher sa main du cœur de la cible, puis utiliser la magie pour tirer l’âme hors du corps. L’âme réside dans le cœur, mais elle est immatérielle, comme la magie. Donc, d’un point de vue magique, pour l’atteindre…
— Vous m’expliquerez la théorie une autre fois. En résumé : Asmodeus devra tendre la main vers le cœur de Dame Philia ? Lui-même, pas son ombre ?
— Cette opération demande une magie subtile et extrêmement précise, confirma Klaus. — Donc oui, il devra la toucher directement.
Il y a un moment, juste un, où tout prédateur devient vulnérable : c’est le moment où il s’apprête à capturer sa proie. Si les démons avaient vraiment tendance à relâcher leur garde, je pouvais me rapprocher d’Asmodeus au moment précis où il tenterait d’arracher l’âme de Dame Philia. Je donnai mes instructions : que tous surgissent au moment exact où Asmodeus allait tendre la main vers Dame Philia.
— Dame Philia croit en notre intervention. Notre chance sera brève. Alors avançons tous ensemble.
Nous n’aurions qu’un seul instant pour triompher. Il ne fallait pas le manquer… !
— Erza… Tout ira bien. J’y ai toujours cru.
Asmodeus tendit la main vers le cœur de Dame Philia.
À cet instant précis, je mobilisai toute ma concentration, pour sauver l’être qui m’était le plus cher. Le temps sembla ralentir autour de moi. Asmodeus bougeait avec une lenteur surnaturelle, comme tout ce qui l’entourait. Les secondes s’étiraient, et la scène se déroulait devant mes yeux dans une langueur irréelle.
Et dans ce moment figé, une brèche furtive m’apparut.
C’est maintenant ou jamais !
Bondissant de toutes mes forces, je me ruai sur ce démon infâme qui osait porter la main sur Dame Philia.
— Argh ! Je ne vous laisserai pas faire de mal à Dame Philia !
— Quoi… ?
Une expression de stupeur traversa le visage d’Asmodeus. Ainsi donc, même les démons pouvaient être figés par la surprise ? Ce ne fut qu’un éclair, mais Asmodeus resta totalement immobile.
À mes yeux, c’était le moment décisif, celui qui scellerait le sort de notre mission de sauvetage. Sans vouloir me vanter, même un maître lancier comme Philip aurait sans doute approuvé mon attaque.
Allais-je laisser passer une telle opportunité ? Jamais. Il était temps de régler les comptes.
Je tranchai le bras d’Asmodeus et serrai Dame Philia contre moi, mettant le plus de distance possible entre nous et le démon. La chaleur que dégageait le corps de Dame Philia suffisait à me confirmer qu’elle était bien vivante.
Parfait. J’avais réussi. Mais alors que je pensais avoir accompli l’essentiel, l’ombre d’Asmodeus s’étira en ma direction.
— Misérable humain, tu oses te mettre en travers de mon chemin !
— J’ai fait la promesse de ne plus jamais laisser Dame Philia m’échapper !
Asmodeus rugit de rage.
Il était hors de question que je répète la même erreur. De toutes mes forces, je bondis à l’opposé de l’ombre menaçante. Mes bras se refermèrent d’instinct autour de Dame Philia. Je ne laisserais pas l’être le plus précieux de ma vie m’être arraché une seconde fois.
Quoi qu’il arrive, je ramènerai Dame Philia à la surface.
Je leur prouverai à tous… !