THE TOO-PERFECT SAINT T1 - PROLOGUE

Prologue

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Traduction : Calumi
Correction : Opale, Nekos
Relecture : Raitei

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« — Froide !

Peu aimable !

Bien trop sérieuse. Elle est juste… ennuyeuse ! »

Voilà ce que l’on disait de moi depuis toujours.

Mes parents, persuadés qu’il me faudrait être exceptionnelle pour espérer un bon parti, m’avaient soumise dès l’enfance aux rigueurs d’une éducation aussi sévère qu’implacable. Magie, maniement de l’épée, raffinements de la culture ancienne et moderne, étiquette… j’avais tout appris. Qui plus est, ma lignée familiale était célèbre pour engendrer des Saintes. J’étais destinée à en devenir une à mon tour — une Sainte parfaite — ce qui signifiait que mon entraînement avait commencé dès mon plus jeune âge.

Abandonnée au cœur d’une montagne enneigée en hiver, livrée à moi-même durant un mois entier, enterrée vivante dans le désert, contrainte de dormir sur un monticule d’aiguilles… j’avais acquis mes mérites de Sainte en surmontant d’innombrables épreuves qui avaient poussé mon corps et mon esprit jusqu’aux limites de la rupture.

Je m’étais entièrement consacrée à la quête de la perfection. Il me fallait être capable de tout, en toute circonstance… et mes efforts avaient fini par payer. Lorsque je fus en âge de me marier, on me reconnut comme étant peut-être la plus grande Sainte de l’Histoire, et je fus fiancée à Son Altesse le prince Julius, le second prince de notre royaume.

Ce fut le jour de l’officialisation des fiançailles que mes parents me complimentèrent pour la première fois. Bien que notre famille jouît d’une grande renommée dans tout le pays pour avoir produit de nombreuses Saintes, il n’était pas inutile de renforcer nos liens avec la famille royale.

Mes parents étaient enfin fiers de moi. Des années d’efforts venaient d’être récompensées, et le bonheur semblait à portée de main… ou du moins le croyais-je.

Un jour, Son Altesse me convoqua au palais. « Le problème, dit-il, c’est que tu es… trop parfaite. Où est ton humanité ? Où est ton charme ? C’est difficile d’aimer quelqu’un d’aussi accompli. Qui se soucie de tes compétences ? Tu es une Sainte, tu ne fais que prier. »

Eh bien, je n’avais jamais prétendu être charmante. C’était justement pour cela que je m’étais tant efforcée d’atteindre la perfection.

Son Altesse poursuivit : « Ta sœur cadette, Mia, est une bien meilleure candidate ! Elle est douce, captivante, et… comment dire ? Il y a chez elle quelque chose d’irrésistible, un je-ne-sais-quoi qui donne envie de la protéger. »

Mia avait un an de moins que moi, et nous étions aussi différentes que le jour et la nuit. Elle incarnait l’innocence. Elle était absolument adorable, et mes parents la chouchoutait. Vive d’esprit, compétente en tant que Sainte, elle faisait ma fierté. J’étais heureuse qu’elle soit ma petite sœur.

Je suis certaine que Mia sera ravie de l’apprendre, répondis-je poliment. — Elle vous admire, Votre Altesse, comme nous tous.

Oui, exactement ! C’est pour ça que j’ai décidé de l’épouser.

Épouser Mia ? Que voulait-il dire ? Son Altesse était déjà fiancée à moi…

Pardonnez-moi, Votre Altesse. Mia est-elle au courant ?

Non, pas encore. Mais lors du dernier bal, elle m’a souri d’une manière si charmante ! J’ai compris qu’elle était séduite. Et il paraît que tes parents se préoccupent davantage du bonheur de Mia que du tien. Ils ont accueilli favorablement cette idée.

Si Mia avait souhaité épouser Son Altesse, je me serais aussitôt effacée. Mais je ne pouvais pas l’accepter sans avoir entendu ses propres sentiments. Je savais depuis longtemps que nos parents tenaient davantage à elle qu’à moi, mais ce n’était pas sa faute. Nous avions toujours été proches, alors je voulais faire ce qui la rendrait heureuse.

Il n’y a qu’une chose qui me tracasse, dit Son Altesse.

Hum ?

Aussi froide que tu sois, Mia t’adore. J’espère juste qu’elle n’essaiera pas de refuser ma proposition pour te ménager.

En effet, Mia n’était pas le genre de personne à envisager de voler le fiancé de qui que ce soit. Elle était si pure que, même si elle éprouvait des sentiments pour Son Altesse, elle les garderait pour elle.

Figure-toi, reprit Son Altesse, — que la seule Sainte du royaume voisin de Parnacorta vient tout juste de mourir. Et comme je suis d’une bonté sans égal, j’ai pris pitié des gens en me proposant de les aider à trouver une remplaçante. Je leur ai demandé « Que pensez-vous d’accueillir une Sainte aussi célèbre que la nôtre ? La plus grande Sainte de l’Histoire ? » et ils ont accepté. Pour ça, ils ont même offert de l’or et des biens de leur trésor royal en échange ! Qui l’eût cru ? On dirait que j’ai l’étoffe d’un bon diplomate, hein ?

Qu-que voulez-vous dire ?

J’avais bien entendu parler du décès de la Sainte de Parnacorta, mais je n’arrivais pas à croire qu’on me vendait et échangeait comme un vulgaire objet.

Tu es bien lente à comprendre, hein ? Tes parents seront ravis de t’envoyer dans un autre royaume si cela peut servir le nôtre. Et lorsque le peuple apprendra que j’ai laissé partir ma fiancée pour le bien commun, ils adoreront la famille royale comme jamais. Ne fais pas cette tête, en tant que seule Sainte de Parnacorta, tu seras choyée. Cet arrangement rend tout le monde heureux.

Tout le monde ? Et moi, dans tout ça ?

Mes sentiments mis à part, je ne voulais pas abandonner Girtonia. Les apparitions de monstres devenaient de plus en plus fréquentes à travers le royaume, et j’avais un mauvais pressentiment. Sans moi, Mia serait la seule Sainte restante. Je partirais en la laissant avec un fardeau bien trop lourd à porter.

Je fis part de mes inquiétudes à Son Altesse, mais il les écarta d’un revers de main.

Ne sois pas si arrogante. Tu crois être la seule capable de protéger ce pays ? Philia Adenauer, je romps nos fiançailles et je t’envoie dans un autre royaume. Ma décision est irrévocable.

C’était ainsi que je fus expulsée, vendue à un autre royaume, un obstacle gênant que mes parents et le prince Julius avaient balayé d’un simple geste. Lorsque je revins au domaine familial, mes parents m’accueillirent avec un sourire qu’ils ne m’avaient jamais adressé auparavant. Ils n’auraient pas pu être plus satisfaits de l’affaire conclue.

Bravo, Philia. Tu sais, je t’ai toujours trouvée désespérément froide et sans charme, mais il faut croire que tu valais quelque chose.

Qui aurait cru que Parnacorta paierait un tel prix pour toi ? C’est le fruit de notre éducation, même si, j’imagine, tu as dû y mettre un peu du tien. Grâce à toi, nous gravissons les échelons ! L’avenir de la famille Adenauer est assuré.

30% du montant payé par Parnacorta reviendraient à ma famille, et mon père obtiendrait le titre de marquis. En m’ayant vendue, la famille Adenauer passerait des rangs inférieurs de l’aristocratie à la noblesse. Et avec Mia promise à la famille royale à ma place, le statut social de mes parents n’en serait que plus rehaussé.

À leurs yeux, c’était comme si, par quelque alchimie étrange, l’enfant indésirable qu’ils avaient toujours méprisé s’était transformé en une immense somme d’argent et un titre prestigieux. Il n’était donc pas étonnant qu’ils paraissent si ravis. Pas une seule fois mes parents ne mentionnèrent que nous risquions de ne plus jamais nous revoir. Il était clair, à ce stade, qu’ils m’avaient totalement abandonnée. J’avais toujours travaillé sans relâche dans l’espoir qu’ils m’aimeraient un jour, même si je n’allais jamais égaler Mia. Mais ici, la moindre étincelle d’espoir s’éteignit pour de bon.

Je suppose que Son Altesse t’en a parlé, dit ma mère, — mais ne dis rien à Mia. Sa douceur, trop pure, risque de la perdre. Ce serait dommage que cette pauvre fille se ruine la santé en s’inquiétant pour toi.

Bien sûr, répondis-je. — Je veux que Mia soit heureuse. Mais j’ai peur de l’abandonner alors qu’elle sera la seule Sainte du royaume.

Si cela devait rendre Mia heureuse, j’étais prête à partir pour Parnacorta. Mais mon absence ne ferait qu’alourdir ses charges en tant que Sainte. Je redoutais qu’elle ne puisse faire face seule à une recrudescence d’attaques de monstres ou à quelque désastre imprévu. Après des années passées à poser des barrières protectrices et à affaiblir les forces démoniaques, je savais combien cela pouvait être éprouvant.

Mes parents me regardèrent avec dédain.

Surveille ton langage ! Comment oses-tu sous-estimer Mia ? Tu as toujours été lente à apprendre, mais cette fille est un génie né. Tu as peut-être réussi à duper quelques personnes de ce royaume sur ta valeur, mais ce n’est pas une raison pour prendre la grosse tête !

Exact ! Et puis la famille royale a promis son soutien total à Sainte Mia. Le peuple s’unira pour la protéger. Il y a chez elle quelque chose qui la distingue de toi. Elle évolue tout simplement à un autre niveau.

Je ne pouvais rien objecter. Mia était brillante, talentueuse, et bien meilleure que moi pour attirer l’attention. Et pourtant, je ne pouvais m’empêcher de ressentir une lourde inquiétude. Mais si notre royaume se ralliait vraiment derrière Mia, alors mes craintes n’étaient peut-être pas fondées. Je compris qu’il n’y avait plus lieu de discuter. Je n’avais plus qu’à quitter ce Pays.

Mia, je t’en supplie, reste en sécurité.

Philia, que se passe-t-il ? Pourquoi cette triste mine ? demanda Mia en posant son livre pour plonger ses yeux dans les miens.

Je ne m’étais pas attendue à la trouver dans ma chambre. Que pouvais-je lui dire ? En voyant son visage angélique et innocent, je ne pus que ravaler mes mots.

Tout va bien. Je pensais juste à quelque chose.

Je caressai sa chevelure argentée, l’un des rares traits que nous partagions, tout en minimisant ses inquiétudes. Ce n’était pas entièrement faux, mais ce n’était pas tout à fait vrai non plus.

Mia me prit dans ses bras.

Hé, ne te renferme pas comme ça ! Tu sais que je suis plutôt débrouillarde, non ? Et puis, j’adore ma grande sœur plus que tout au monde. Je suis là en cas de tracas. Je ferai tout pour les dissiper !

Mia… c’est grâce à toi que j’ai pu tenir jusqu’ici.

J’étais si reconnaissante de l’avoir dans ma vie. Si je pouvais être une bonne grande sœur à ses yeux, cela me suffisait. Elle n’avait aucune idée de la sévérité de mon éducation. Mes parents s’étaient bien gardés de lui en révéler la vérité, sachant qu’elle en serait horrifiée.

Adieu, ma petite sœur bien-aimée. Je t’aime si fort. Je t’en supplie, reste toujours en sécurité.

Et ainsi, à l’insu de ma sœur, je quittai furtivement ma patrie, Girtonia, pour le royaume de Parnacorta. Je ne savais pas à quoi m’attendre, mais Parnacorta m’avait achetée, alors je me préparai à affronter tout ce qui m’attendait.

Les fonctions les plus courantes d’une Sainte consistaient à soigner les blessés et à ériger des barrières protectrices, mais nos pouvoirs pouvaient servir à bien d’autres choses : purifier les villages après une attaque de monstres, par exemple. J’étais particulièrement douée pour les sorts de protection et les rituels d’exclusion. Grâce à un entraînement rigoureux visant à amplifier la puissance de mes prières, j’avais appris à invoquer un Pilier de Lumière en un temps record. Selon les érudits, aucune Sainte dans l’histoire n’avait jamais atteint un tel niveau de puissance.

Et pourtant, on m’avait vendue à un royaume voisin, sans doute à cause de mon absence de charisme. La vie à Parnacorta devait être rude pour une Sainte… plus que jamais.

Je dois me préparer…

J’étais loin de me douter que la vie qui m’attendait dans ce royaume serait à l’exact opposé de ce que j’imaginais…

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