THE TOO-PERFECT SAINT T1 - CHAPITRE 4

Fins et commencements

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Traduction : Calumi
Correction : Opale
Relecture : Raitei

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(Mia)

F-Fernand ?! Que fais-tu là ?

Lorsque le prince Fernand apparut soudainement à une réunion sur la politique de défense nationale, le prince Julius pâlit de stupeur. Ces rassemblements n’étaient des réunions que de nom. En réalité, il s’agissait de solos exécutés par le prince Julius. Les participants, cette fois, étaient des lèche-bottes et des fonctionnaires ayant obtenu leur poste à force de flatteries, ainsi que moi, présente en tant que Sainte et fiancée du prince Julius. La salle était remplie de courtisans inutiles. Même les fonctionnaires affichaient ouvertement leur perplexité face à l’intention du prince héritier d’assister à une réunion aussi vaine.

Surveille ton langage, Julius, déclara le prince Fernand. — Aurais-tu oublié comment te comporter envers ton frère aîné ?

Tsk. Eh bien, je suis ravi de voir mon frère en bonne santé. Es-tu sûr de ne pas avoir besoin de sommeil ? Tu ne voudrais pas trop te fatiguer…

Merci de ton inquiétude, mais fort heureusement, je suis en excellente condition. À présent que Père est malade et cloué au lit, je me dois de faire de mon mieux en tant qu’héritier du trône.

Là, Votre Altesse va un peu loin…

À cette déclaration provocante du prince héritier, le prince Julius et sa cour parurent sidérés. Maintenant que la question de la succession avait été soulevée, il était certain que le prince Julius irait jusqu’au bout de ses projets.

Ne vous inquiétez pas, Mia, me murmura le prince Fernand en passant près de moi. — J’ai dit cela exprès pour le faire réagir.

Essayait-il de forcer la main du prince Julius ? Dans ce cas, il faisait preuve d’une détermination bien au-delà de ce que j’aurais pu espérer.

Les gens timides qui apprennent enfin à se défendre sont redoutables. Je devais prendre exemple sur le prince Fernand.

Quoi qu’il en soit, Julius, j’ai appris de la bouche de Sainte Mia que tu avais refusé une proposition d’aide des Chevaliers de Parnacorta. Le roi de Parnacorta est un vieil allié de Père, et nos traités incluent une clause d’assistance en cas d’urgence. As-tu une raison particulière de ne pas leur faire confiance ?

Tu deviens bien bavard, mon cher frère. Écoute, je n’ai pas demandé des chevaliers mais le retour de Sainte Philia. J’ai même proposé de la racheter, mais ils ont refusé.

J’étais soulagée que le prince Fernand évoque immédiatement le refus indigné du prince Julius face à l’offre de Parnacorta. Une erreur, selon moi. Le problème des monstres était déjà hors de contrôle. La situation empirait dans tout le royaume. Il était évident que nos soldats ne suffiraient pas.

Évidemment, dit le prince Fernand. — Personne ne serait assez idiot pour rallier Philia à sa cause, puis la laisser repartir.

Ngh… ?! Je voyais parfaitement leurs intentions. Ils comptaient clairement profiter de l’occasion pour s’emparer du royaume.

Oh ? Parnacorta s’intéresserait donc à un territoire infesté de monstres ? Voilà des goûts bien singuliers.

Tiens… Moi qui pensais que le prince Fernand se déroberait face au prince Julius, il tenait bon. Le visage du prince Julius vira au rouge tandis qu’il lançait un regard noir à son frère. Il semblait que le plan du prince Fernand était de le pousser à bout jusqu’à ce qu’il cède.

Ne perdons pas de temps en disputes, déclara le prince Julius. Il s’agit de Philia. Le fait qu’elle refuse de revenir prouve qu’elle est désormais un pion de Parnacorta. Elle se moque éperdument de sa patrie en crise. Oui, c’est une traîtresse ! Nous devons la ramener de force et la juger pour trahison !

Je n’arrivais pas à suivre le raisonnement de cet homme. C’était lui qui avait vendu Philia, et maintenant, il la traitait de traîtresse parce qu’il n’arrivait pas à la récupérer. Personne ne pouvait accepter une logique pareille.

Ne me fais pas rire. Voilà une remarque constructive : jamais Parnacorta n’accepterait une telle demande.

Tais-toi, Fernand ! Très bien, commençons par le plus urgent : saisissez tous les biens du marquis Adenauer et qu’il soit déchu de son titre. Les parents de cette criminelle doivent également être punis ! Ha ha ha ha ha ! Qu’on convoque les Adenauer ! Maintenant, Fernand, la réunion est terminée. Tu peux retourner dans ta chambre te reposer !

La voix du prince Julius monta très haut, couvrant les protestations du prince Fernand. Et juste comme ça, ma famille fut réduite à la misère. Penser qu’ils fêtaient encore récemment leur fortune tirée de la vente de ma sœur… Père serait sûrement horrifié en apprenant la nouvelle.

Je poussai un soupir. Jusqu’où irait la folie du prince Julius ?

Même si j’étais fière de lui pour avoir tenu tête au prince Julius, le prince Fernand s’était bel et bien trop forcé. Les effets de son médicament s’estompèrent, et il dut regagner ses appartements avant de s’effondrer. Il lui faudrait encore du temps avant de recouvrer pleinement la santé.

Néanmoins, sa détermination ne faisait aucun doute.

Après le départ du prince Fernand, mes parents entrèrent dans la salle du Conseil, comme pour le remplacer. Père avait maigri et paraissait exténué.

Votre Altesse, nous sommes venus aussitôt que nous avons appris qu’il y avait une affaire urgente…

Marquis Adenauer, vous devez assumer la responsabilité du désordre causé par votre fille.

Quoi ? Qu’a fait Mia pour encourir le mécontentement de Votre Altesse ?!

La formulation du prince Julius fit croire à Père qu’il s’agissait de moi. Cela ne me surprit guère. Mes parents faisaient comme si Philia n’avait jamais existé.

Non, je parlais de Philia. Elle a commis un acte de trahison envers ce royaume.

Philia ? Mais elle est à Parnacorta…

Exactement ! Refuser de revenir dans sa patrie en temps de crise est un acte de trahison ! En guise de châtiment, je saisis tous vos biens et je vous retire votre titre !

Non, c’est impossible ! Votre Altesse, je vous en prie, soyez raisonnable !

Père tomba à genoux devant l’accusation insensée du prince Julius, tandis que Mère baissait la tête en silence. Il n’y avait absolument aucune justification à la décision insensée du prince Julius, mais mes parents semblaient s’y soumettre malgré tout. Père ne prononça pas un mot.

Combien de temps vas-tu encore te montrer aussi soumis ? Dis quelque chose !

Allons, pas la peine de se désespérer autant. J’ai quand même un peu de compassion pour les parents de filles stupides. Pour ne pas perdre vos biens, pourriez-vous me rendre un petit service ?

Sourire aux lèvres, le prince Julius s’approcha lentement de mon père désemparé et lui souffla quelque chose à l’oreille avec un air démoniaque. Que cherchait-il donc à obtenir de mes parents ?

Qu’est-ce que c’est ?

Nous ferons tout. Absolument tout !

Mes parents s’inclinèrent profondément devant le prince Julius.

Quel spectacle affligeant. Faire une chose pareille aux parents de sa propre fiancée… Cet homme n’avait rien de sain d’esprit.

Le prince Julius se tourna vers moi.

N’as-tu pas du travail, Mia ? Va donc donner le meilleur de toi-même pour notre royaume.

Heu… bien.

Il était clair que le prince Julius ne voulait pas que je sache ce qu’il avait exigé de mes parents. J’étais inquiète, mais je pourrais toujours me renseigner par moi-même plus tard.

Pour l’instant, je n’avais d’autre choix que de faire semblant.

Jetant un dernier regard à mes parents, qui s’accrochaient désormais à Julius, je partis accomplir mes devoirs de Sainte.

* * *

Pfiou… Nous sommes fichus. Le problème des monstres dépasse largement le simple casse-tête.

Aujourd’hui encore, nous visitions des zones où les barrières s’étaient complètement effondrées. Même celles érigées par Philia commençaient à se fissurer. Partout, la situation témoignait crûment que Girtonia était au bord de l’effondrement.

Au moins, tante Hilda avait repris du service. D’après ce que j’avais vu, ses nouvelles barrières étaient à la hauteur de celles de Philia. Philia le savait, c’est pourquoi elle lui avait écrit pour la supplier de sortir de sa retraite.

Cela dit, tout ce que nous pouvions espérer, c’était gagner quelques jours. Il ne nous restait plus qu’à tirer parti du peu de temps qui nous était accordé.

Alors que j’érigeais une barrière, Pierre repoussait les monstres.

Dame Mia, on dit que le prince Julius commence à s’agiter. Qui aurait cru que le prince Fernand parviendrait à attiser les flammes aussi vite ?

À vrai dire, jusqu’à récemment, c’était moi qui protégeais mes gardes du corps, ce qui me prenait un temps frustrant. Le fait que Pierre soit devenu capitaine de ma garde avait été une bénédiction.

Ainsi, le prince Julius complotait déjà quelque chose. Je me demandais si cela avait un lien avec ce qu’il avait imposé à mes parents.

Apparemment, il a chargé le marquis Adenauer et son épouse d’organiser une grande réception. Ils ont invité toute la noblesse, affirmant que c’est précisément en temps de crise que les élites doivent se rassembler.

Une réception ?

Je ne comprenais pas la logique derrière cela. En une période aussi critique, quel était l’intérêt d’organiser une fête pour l’aristocratie ? Et en plus, aller jusqu’à menacer mes parents pour la mettre sur pied ?

Non, il devait y avoir une raison cachée. Connaissant le prince Julius, j’avais le pressentiment qu’il préparait quelque chose d’abject.

Saviez-vous, Dame Mia, que le marquis Adenauer est à la tête de la faction pro-Julius ?

Alors que je réfléchissais à la faction qui soutenait le prince Julius, Pierre m’apprit que Père en constituait le noyau dur. J’ignorais totalement que mon père, qui n’avait été qu’un petit noble jusqu’à récemment, occupait désormais une position aussi influente. D’après ce que je savais, la plupart des nobles girtoniens soutenaient le prince Julius, mais nombreux étaient aussi ceux qui demeuraient neutres.

Vos fiançailles, ainsi que l’exil de Dame Philia, l’ont rapproché du prince Julius. C’est aussi ce qui lui a valu le titre de marquis.

Je pouvais deviner pourquoi Pierre me confiait tout cela. Si mon père avait été un fidèle du prince Julius depuis longtemps, et qu’il dirigeait sa faction alors le but de cette réception pourrait bien être…

Pierre, le prince Fernand a-t-il été invité à cette fête ?

Je savais que vous comprendriez rapidement. Je dirais même que c’est exactement ce que vous imaginez. Le prince Julius et vos parents ont l’intention d’assassiner le prince Fernand.

Je savais que le prince Julius avait été secoué de voir le prince Fernand se déplacer librement, mais je ne m’attendais pas à ce qu’il en vienne à comploter aussitôt son assassinat. Comment mes parents pouvaient-ils appuyer un plan aussi ignoble ?

Cela vous choque, Dame Mia ?

Eh bien oui… cela reste mes parents, après tout. Mais Pierre, pourquoi me dire tout ça ? Tu n’as pas peur que, étant leur fille, je transmette ces informations ?

En tant que chef de la faction pro-Fernand, Pierre avait envoyé des espions pour surveiller le prince Julius. C’était ainsi qu’il savait ce qui se tramait au palais. Mais je ne pouvais m’empêcher de penser qu’il faisait preuve d’une étrange légèreté en partageant ses renseignements avec moi.

Dame Mia, c’est vous qui avez inspiré le prince Fernand à se dresser. Il est impensable que vous participiez à ce complot d’assassinat. Je ne peux pas vous imaginer nous trahir.

Tu me fais confiance ?

Bien sûr. Nous comptons sur vous.

Pierre m’adressa un sourire sincère, affirmant simplement sa confiance.

Je ne vous décevrai pas. Qu’ils ne s’imaginent pas pouvoir assassiner le prince Fernand au grand jour et s’en tirer ainsi.

Mais ce n’est pas tout. Il semble qu’ils cherchent aussi à détourner notre attention avec cette réception… tout en préparant l’assassinat de Sa Majesté le Roi, ajouta Pierre.

Inimaginable. Le pays s’effondrait, et le prince Julius s’occupait à manigancer des coups d’état pour accroître son propre pouvoir. Je ne le comprenais vraiment pas. Avait-il seulement un autre plan que celui de régner sur un royaume envahi par les monstres ?

Pierre poursuivit :

Certaines villes et villages sont déjà devenus inhabitables, contraignant les habitants à fuir. Pendant ce temps, le prince Julius ne pense qu’à s’assurer le plein pouvoir sur le royaume. Il devait brûler d’impatience d’utiliser ce chaos pour s’en servir à son avantage.

C’était probablement vrai. Le prince Julius devait être obsédé par le pouvoir depuis bien longtemps. À ce stade, il n’y avait plus rien à sauver en lui.

Dans ce contexte, le rétablissement rapide du prince Fernand risquait soudain de devenir un problème. Peut-être que, pour une fois, il vaudrait mieux qu’il reste dans sa chambre.

S’il n’assiste pas à la réception, il pourra au moins sauver sa peau, suggérai-je. — Au moins, il n’aurait pas à faire semblant d’ignorer le complot…

Face à un piège aussi grossier, la meilleure stratégie était de l’éviter. Inutile de se prêter au jeu du prince Julius.

C’est ce que nous lui avons proposé, mais Son Altesse a répondu qu’il préférait mourir avec honneur. « Puisque mon frère cadet cherche à m’assassiner, autant profiter de cette occasion pour le faire tomber », a-t-il dit.

Quelle détermination ! Le prince Fernand semblait avoir déjà pris sa décision. Il comptait se servir de lui-même comme appât pour exposer le complot d’assassinat et destituer le prince Julius. C’était donc pour cela qu’il l’avait autant provoqué lors de la réunion : il voulait le pousser à bout, jusqu’à envisager le meurtre de son propre frère.

Sa Majesté a également été informée du complot. Il nous a écoutés… mais il ne voulait pas y croire.

Je comprenais que, en tant que père, Sa Majesté préfère voir le meilleur en son fils. Mais je le trouvais bien naïf. Au moins, il allait mieux depuis qu’il avait repris le médicament de Philia.

Quoi qu’il en soit, il ne restait plus beaucoup de temps. Je devais me résoudre à faire enfermer le prince Julius et mes parents.

Et cette réception serait peut-être ma dernière chance.

* * *

C’est aujourd’hui. Si nous passons cette journée, la famille Adenauer sera tirée d’affaire.

Leurs Altesses le prince Fernand et le prince Julius seront présents. Mia, veille surtout à ne pas contrarier le prince Julius.

Père et Mère donnaient précipitamment leurs consignes aux domestiques alors que les préparatifs de la réception débutaient. Bien qu’ils aient l’air fébriles, leur humeur était inhabituellement enjouée, sans doute parce que le prince Julius avait promis à Père qu’il conserverait sa position. Comment pouvaient-ils se montrer aussi joyeux alors qu’ils complotaient un meurtre ?

Pour ma part, j’étais sur les nerfs. Le jour tant redouté était arrivé. Entendant soudainement Père hausser le ton, je me retournai.

Hildegarde ? Je ne t’ai pas envoyée d’invitation !

Apparemment, ma tante Hildegarde s’était présentée sans avoir été conviée. Je ne l’avais rencontrée en personne que quelques fois. Elle avait été la préceptrice de Philia, mais mes parents lui avaient interdit de m’enseigner quoi que ce soit. En la revoyant après tout ce temps, je fus frappée par sa ressemblance avec Philia. Bien sûr, ma tante était bien plus âgée, mais je pouvais sans peine imaginer à quoi ressemblerait Philia en vieillissant.

Quel vacarme pour un homme de ton âge ! En tant que Sainte, je suis ici pour parler d’une chose importante avec ma nièce. Je repartirai aussitôt cela terminé. Tu ne veux tout de même pas lui causer des ennuis, si ?

Très bien, mais fais vite et disparais de ma vue. Une vieille sauvage inculte comme toi n’a rien d’une Sainte.

Père continua de hurler, mais il la laissa passer.

Que voulait donc me dire tante Hilda ?

Il y a trop de bruit ici. Allons prendre un peu l’air.

D’accord, tante Hilda.

Nous quittâmes la salle de réception pour un endroit plus calme, où nous pourrions discuter sans être entendues. Allions-nous parler de choses confidentielles à un moment pareil ? Tante Hilda était quelqu’un que Philia respectait profondément. Je l’écouterais donc, quoi qu’elle ait à me dire.

Tante Hilda, merci d’être sortie de ta retraite pour reprendre tes fonctions de Sainte. Grâce à toi, nous avons réussi jusqu’à présent à contenir l’invasion des monstres.

Épargne-moi les flatteries. Mon retour n’est qu’une goutte d’eau dans l’océan. Ce n’est qu’une question de temps avant que le royaume ne soit entièrement envahi. Quelle misère. Penser que mon apprentie Philia est désormais capable de gérer seule une situation pareille…

Tante Hilda sentait bien que Girtonia approchait du point de non-retour. Moi aussi, je me sentais souvent impuissante. Même en rassemblant toute notre détermination, même en unissant nos forces, nos efforts ne suffisaient qu’à retarder l’inévitable. Mais cela ne servait à rien d’y penser. Je décidai donc d’aborder le sujet qu’elle voulait évoquer.

Heu… Tante Hilda ? À propos de ce dont tu voulais me parler…

Elle avait dit qu’elle avait quelque chose à me dire en tant que Sainte… mais de quoi pouvait-il bien s’agir ?

Le but de cette réception est d’assassiner le prince Fernand, déclara tante Hilda. — Le prince Julius en est peut-être l’instigateur, mais toute la planification vient de mon imbécile de frère. Aujourd’hui, il perdra tout.

Tante Hilda était au courant du complot ? Cela voulait-il dire que… ?

Exactement. Je fais partie de la faction pro-Fernand. Depuis que le prince Julius a publiquement vendu ma précieuse élève, je travaille à le faire tomber. Pierre m’a dit que tu étais des nôtres, alors je cherchais une occasion de te contacter.

Évidemment que tante Hilda soutenait aussi le prince Fernand. Même sans parler de ce qu’il était arrivé à Philia, aucune véritable Sainte ne pourrait soutenir le prince Julius.

Mia, une fois que tout cela sera terminé, j’aimerais t’adopter.

M’adopter ?

C’est exact. Que leur plan échoue ou réussisse, le marquis Adenauer et son épouse finiront en prison. Sans tes parents, la vie sera difficile. Mon mari est mort depuis longtemps, mais si tu deviens ma fille, je pourrai prendre soin de toi.

Tante Hilda avait raison. Connaissant désormais le prince Julius, j’étais persuadée que même si le complot d’assassinat aboutissait, Son Altesse rejetterait toute la faute sur mes parents et les ferait condamner. Mais devenir la fille adoptive de tante Hilda…

C’est un juste retour des choses. Tes parents ont volé la fille de quelqu’un, tu sais.

Volé la fille de quelqu’un ? Qu’est-ce que…

À cet instant, je compris ce que tante Hilda insinuait. Ce n’était pas son genre de plaisanter. Si elle avançait une telle accusation… c’est qu’elle le pensait réellement.

La fille que mes parents lui avaient volée… Ce ne pouvait être que…

Elle ressemblait tant à Philia, à un point troublant.

Se pourrait-il que mes parents aient vendu Philia sans remords… parce qu’elle n’était pas leur fille biologique ?

Mais cela voulait dire que Philia et moi… n’étions pas vraiment sœurs…

Je vais te raconter un peu ce qui s’est passé autrefois. Mon frère cadet, le marquis Adenauer, ton père, était jaloux que notre mère concentre toute son attention sur moi et ma formation de Sainte. Il a grandi en me haïssant. À la fin, il a commencé à répandre sur moi des mensonges odieux. Après la mort de notre mère, emportée par la maladie, j’ai été chassée de la maison familiale et j’ai perdu ma place au sein du clan Adenauer.

Il était vrai que tante Hilda n’avait jamais semblé jouir de beaucoup d’autorité dans notre famille.

Son rôle se limitait à celui de mentor de Philia, et elle s’était effacée quand nous étions devenues Saintes. J’ignorais que cela venait d’un conflit entre mon père et elle.

Plus tard, mon frère, en tant qu’héritier s’est marié. Mais lui et son épouse ne parvenaient pas à concevoir. Or, chez les Adenauer, famille de Saintes, il y avait une forte pression pour donner naissance à une fille. À défaut, ils pouvaient adopter l’enfant d’un parent du même sang, mais pas trop éloigné, car les pouvoirs seraient alors trop faibles. C’est là que leur attention s’est portée sur Philia, que je portais à l’époque.

Mes parents avaient donc adopté Philia auprès de tante Hilda ? Mais alors, pourquoi disait-elle qu’elle lui avait été volée ?

Mon frère est venu me trouver, moi qu’il détestait. Il a feint l’humilité, mais il ne pouvait dissimuler son arrogance. Je n’oublierai jamais son expression quand il a osé me sortir « Si tu portes une fille, je l’utiliserai. » Évidemment, j’ai refusé.

Mais alors, comment Philia s’était-elle retrouvée chez mes parents ? Tante Hilda poursuivit :

Mais mon père, ton grand-père, ne l’a pas supporté. Lorsqu’il a appris que j’avais une fille, il a arraché Philia à mon mari et moi par la force, puis a fait courir la rumeur que l’enfant était mort-né. Ta mère a commencé à se convaincre elle-même qu’elle avait donné naissance à Philia.

Qu’est-ce que j’étais en train d’entendre ? Si tante Hilda disait vrai, alors mon père avait pris de force la fille de sa propre sœur, et ma mère avait simplement accepté ce mensonge.

Tu n’as pas pu insister pour prouver que Philia était ta fille ?

Je l’ai fait, à maintes reprises. Mais les Adenauer ont convaincu tout le monde que j’avais perdu la raison, folle de chagrin après la mort de mon bébé. C’est aussi à cette époque que j’ai perdu mon mari, victime d’une épidémie.

Si tout cela était vrai, mes parents avaient probablement considéré que Philia ne leur servait plus à rien une fois ma naissance… À mesure que cette logique cruelle s’imposait, je sentais monter en moi une haine contre ma propre existence.

J’ai décidé de laisser partir ma fille. Mais peu de temps après, tu es née. Depuis, ils ont toujours traité Philia avec froideur. Tout ce que je pouvais faire, c’était l’entraîner pour qu’elle devienne assez forte pour encaisser tous les coups. Je prie pour qu’elle ne découvre jamais la vérité. Je n’ai pas su la protéger… je n’ai aucun droit de me considérer comme sa mère.

Alors pourquoi me le dire à moi ?

Pour ma propre vengeance. Bien sûr, libre à toi de ne pas me croire.

Je pouvais juger de la véracité de ses paroles. Philia était bel et bien la fille de tante Hilda. Et mes parents ne l’avaient jamais aimée. Ils l’avaient volée, puis vendue. À présent, je comprenais pourquoi Philia était si forte : elle y avait été contrainte. Je n’en avais jamais eu la moindre idée. Je m’étais contentée de la trouver formidable, sans jamais chercher plus loin. Si seulement je pouvais effacer cette erreur… J’étais bien sotte de ne pas avoir remarqué ce qu’elle endurait. Mais cela ne changeait rien. Pour moi, Philia resterait toujours…

C’est ma sœur ! Peu importe si nous ne sommes pas sœurs de sang. Elle est admirable, elle est incroyable, c’est la plus grande Sainte du monde. Mais surtout, c’est ma sœur chérie, la seule et unique !

Peu importaient les origines de Philia, je continuerais toujours à l’admirer. Je respectais profondément sa nature de Sainte, si parfaite. Je voulais lui ressembler, un jour. Pour moi, elle était la grande sœur que je vénérais et que j’idolâtrais… et elle le resterait à jamais.

Je ne pardonnerai jamais à mon frère, jusqu’à la fin de ma vie. Mais s’il y a une seule chose de bonne qui soit sortie de tout cela, c’est que Philia a eu une sœur comme toi. Oui, elle est bien ta sœur. Alors, que la chance soit avec toi, Mia Adenauer.

Sur ces mots d’adieu, tante Hilda tourna les talons et s’éloigna.

Apprendre tout cela sur Philia m’avait bouleversée, mais je n’avais pas le luxe de m’attarder dans le regret.

À cet instant, une chose seule importait.

La réception allait commencer et j’avais un compte à régler avec le prince Julius et mes parents.

* * *

La réception débuta enfin.

La plupart des invités conviés par mon père s’étaient présentés. Parmi eux, plusieurs nobles qui n’étaient affiliés à aucune faction. Le prince Julius avait l’audace de projeter d’assassiner le prince Fernand devant tous ces gens. C’était sans doute un avertissement : une démonstration de ce qui attendrait quiconque oserait s’opposer à lui. Son obsession du pouvoir dépassait l’entendement. Le prince Julius fit son entrée avec un sourire répugnant.

Bonjour, Mia. Tu es ravissante, comme toujours. Bien sûr, tu seras assise à mes côtés, n’est-ce pas ?

Oui, comme ça. Laisse-moi occuper une place d’honneur… pour mieux chanter ton requiem.

Julius, tu as l’air de bonne humeur. Les réceptions sont si amusantes que ça ?

Mais regarde donc qui est là. Mon frère ! Quel plaisir de te voir en si bonne santé. Les réceptions sont formidables, tu sais, surtout celles comme ce soir, quand nous nous réunissons tous pour une noble cause.

L’humeur du prince Julius semblait encore s’éclaircir à l’arrivée du prince Fernand. Le savoir présent, et surtout s’imaginer qu’il verrait ce visage pour la dernière fois, devait l’enchanter. Il ne cherchait même plus à dissimuler sa joie.

Mia, que puis-je dire ? déclara le prince Fernand. — Cette parure dans votre chevelure vous va à ravir.

Merci, Votre Altesse. C’est un cadeau de ma sœur.

A-ah vraiment ? Votre sœur a bon goût. M-mais c’est vous qui la portez avec autant d’élégance.

Votre Altesse… ?

Le prince Fernand paraissait nerveux. Il peinait à trouver ses mots. C’était compréhensible.

Après tout, il n’avait presque jamais été exposé au public, et cette réception était la première véritable occasion pour lui… qui devait en réalité servir de scène à son assassinat. Rien que sa présence ici méritait ma reconnaissance.

Merci à toutes et à tous d’avoir pris le temps de vous joindre à nous ce soir, malgré vos emplois du temps chargés. Nous sommes réunis ici afin de…

Mon père, le marquis Adenauer, avait entamé son discours.

D’après nos informations, le plan consistait à empoisonner la nourriture du prince Fernand. Et en effet, pendant qu’il parlait, Père ne cessait de jeter des coups d’œil anxieux en direction du personnel de service, bien qu’il ne puisse les voir depuis l’endroit où il se tenait.

Pendant ce temps, le prince Julius envoyait des assassins au chevet de Sa Majesté. Comme une grande partie de la garde du palais avait été temporairement mobilisée pour assister à la réception, la sécurité du palais était affaiblie.

Il n’y avait que lorsqu’il s’agissait de ses propres intrigues que le prince Julius se montrait aussi rapide dans ses préparatifs. C’en était presque admirable.

Au fait, Mia, nous devrions fixer une date pour notre banquet de mariage, tu ne crois pas ?

Oh, ce serait merveilleux, mais qui sait combien de temps cette crise va durer ? Nous devrions au moins attendre que la situation se stabilise.

Durant tout le dîner, le prince Julius n’avait cessé de jacasser sur des futilités, tandis que je faisais mine de participer à la conversation. À sa gauche était assis le prince Fernand.

Pour donner du courage à nos invités en ces temps troublés, déclara mon père, — nous avons préparé des mets composés des meilleurs ingrédients.

L’un d’eux était un champignon rare appelé tellicium. D’un goût délicieux et au parfum raffiné, il était considéré comme un mets de choix à Girtonia et utilisé dans la haute cuisine.

Cependant, il existait un champignon hautement toxique, le telliciumoïde, qui ressemblait beaucoup au tellicium. En ingérer ne serait-ce qu’une infime quantité provoquait une fièvre soudaine, un resserrement des voies respiratoires… et la mort assurée. De nombreux décès par ingestion accidentelle avaient été recensés, tant les deux champignons étaient difficiles à distinguer.

Le plan du prince Julius était de servir le champignon toxique uniquement au prince Fernand. Ainsi, même si la véritable cause de la mort venait à être découverte, les coupables pourraient se défendre en invoquant une simple erreur, une confusion sincère de la part du cuisinier.

C’était pourquoi il ne suffisait pas de dévoiler le complot pour faire tomber le prince Julius. Celle qui avait découvert ce projet était Himari. Bien entendu, à présent, le prince Fernand était déjà au courant. D’un air faussement innocent, le prince Julius observa l’assiette posée devant lui.

Eh bien, le marquis Adenauer s’est surpassé ! Il ne fait aucun doute qu’il s’agit là de tellicium de la plus haute qualité. J’adorerais que mon frère puisse savourer ce plat exquis !

Prenant une bouchée de tellicium, le prince Julius s’extasia sur ses qualités gustatives, tout en incitant lourdement le prince Fernand à se servir. Il ne pouvait tout simplement pas s’en empêcher.

Non, vraiment, quel goût sublime ! J’ai goûté à toutes sortes de mets raffinés, mais rien n’égale celui-ci. Allez, mon frère, goûte donc toi aussi, je t’en prie !

Depuis plusieurs minutes, le prince Julius tentait d’amener le prince Fernand à manger les champignons empoisonnés. Son ton restait enjoué, mais je remarquai qu’il transpirait à grosses gouttes. Le prince Fernand, lui, ne dit pas un mot pendant tout ce temps.

Mon frère, tu m’écoutes ? finit par s’emporter le prince Julius.

Ironiquement, même si le prince Fernand n’avait pas été informé de la tentative d’empoisonnement, l’insistance exaspérante de son cadet aurait sans doute suffi à le dissuader d’y toucher. Le prince Fernand finit par répondre :

Si tu l’apprécies tant, Julius, pourquoi ne mangerais-tu pas ma part aussi ? Je n’ai pas très faim, en ce moment.

Et sur ce, il tendit son assiette à son frère cadet. Le visage du prince Julius se décomposa. Bien sûr, il n’avait aucune envie de manger des champignons empoisonnés.

Mais… le marquis Adenauer voulait que tu y goûtes, mon frère. Je ne pourrais pas m’approprier un tel geste de gentillesse…

Sans aucun doute, il était nerveux. Les champignons dans l’assiette du prince Fernand étaient bel et bien des telliciumoïdes.

Ces champignons sont-ils vénéneux ? demanda le prince Fernand.

Hein… ?

Je te demande si ces champignons sont toxiques. Il paraît qu’il existe un champignon mortel qui ressemble beaucoup au tellicium. Julius, peux-tu vérifier s’ils sont empoisonnés ? Je sais que tu penses à me tuer.

Le prince Fernand lança à Julius un regard perçant. La première fois que je l’avais rencontré, il m’avait semblé frêle et timide. Mais à présent, le voilà silencieux, mais irradiant une aura intense. Il paraissait capable de tout, dès lors qu’il s’y résolvait.

Comment oses-tu, Fernand ?! Tu es mon seul frère ! Jamais je ne ferais une chose pareille ! Même si ces champignons étaient toxiques, tu ne peux pas croire que c’est moi qui les ai mis dans ton assiette !

Le prince Julius continuait de feindre l’innocence, mais il ne parvenait pas à dissimuler sa panique. Il s’efforçait déjà de se couvrir. Même si l’on prouvait qu’il s’agissait bien de telliciumoïdes, il ne cesserait de clamer qu’il n’y était pour rien. Je n’arrivais pas à comprendre une logique aussi tordue. Bon sang…

Mais ce n’était pas fini.

Ah, Julius, pardon. Il n’y a évidemment aucun champignon empoisonné dans cette assiette.

Tu comprends maintenant, mon frère ?

Le prince Julius sembla soulagé… mais son visage se vida de toute couleur à la réplique suivante du prince Fernand.

Parce que j’ai échangé nos assiettes.

Hein… ?

Je les ai échangées, mon assiette contre la tienne.

Le prince Julius se mit à trembler de tout son corps, tandis que la vérité s’imposait à lui : il venait de manger un champignon vénéneux. Il se mit à tousser.

Je brûle ! C’est chaud, chaud… Aaaaahhh !

Le prince Julius hurla, une main plaquée sur la gorge, tentant désespérément de se faire vomir.

Et maintenant, Votre Altesse… ma revanche commence.

Aaaaahhh ! A-appelez un médecin ! Vite ! J’ai mangé des champignons empoisonnés !

Entre deux quintes de toux, le prince Julius poussait des cris grotesques. Les autres invités, pris de panique, s’agitèrent. Il y a un instant à peine, il affirmait encore qu’il était impossible que des champignons toxiques soient servis à cette réception. Quant à mes parents, figés, ils se regardaient en silence, le visage blême et vide d’expression.

Voilà ce qui t’arrive quand tu tentes de me tuer. Pourquoi complotais-tu mon assassinat ?

Tais-toi, bon à rien cloîtré ! C’est moi qui devrais être roi ! Je suis le mieux placé pour gouverner ce royaume ! Qu’y a-t-il de mal à se débarrasser de ceux qui se mettent en travers de ma route ?!

Le prince Julius avait craché ces mots, avouant enfin avoir tenté de faire assassiner le prince Fernand. À ces paroles, les nobles présents commencèrent à chuchoter avec agitation.

On récolte ce que l’on sème. Voilà ce qui arrive à qui veut tuer le prince héritier.

Jamais je n’aurais cru que Son Altesse tomberait si bas…

N’est-ce pas la peine de mort qui sanctionne la trahison ?

Les nobles neutres, à l’unisson, se dressèrent contre le prince Julius, le faisant rougir de rage.

Comment ça, je récolte ce que j’ai semé ? Vous osez vous moquer de moi ?! C’est mon frère qui est en tort ! Marquis Adenauer ! À l’aide ! Tue Fernand !

Être ainsi critiqué plongea le prince Julius dans une colère noire. Je me rappelai comment, chaque fois qu’il haussait la voix contre son père, Sa Majesté ouvrait la bouche sans jamais rien dire.

Quoi qu’il en soit, il était temps que le prince Julius se rende compte qu’il allait toujours très bien… malgré le fait qu’il était censé avoir ingéré un champignon vénéneux. Une personne ayant consommé du telliciumoïde aurait dû éprouver aussitôt des difficultés à respirer et à parler. Manifestement, cette pensée ne lui avait pas effleuré l’esprit. Je n’avais d’autre choix que de le lui expliquer clairement.

Votre Altesse, calmez-vous. Vous n’avez mangé aucun champignon toxique.

Le prince Julius cessa aussitôt de gesticuler.

Mia ? M-maintenant que j’y pense, cette sensation de brûlure a disparu…

On dirait que certains sont incapables de lire entre les lignes. Très bien, ej vais tout expliquer.

J’ai utilisé un sort de soin pour faire grimper légèrement votre température interne. Il suffit d’une petite élévation pour provoquer une sensation d’inconfort.

Q-quand as-tu eu le temps de faire ça ?

Vous ne le saviez pas ? Je détiens plusieurs records de vitesse d’incantation. Je peux lancer des sorts sans que personne ne s’en aperçoive.

L’expression du prince Julius lorsqu’il comprit la supercherie valait de l’or. Il était totalement abasourdi, sans colère ni tristesse sur le visage, juste un regard vide, hébété.

Votre Altesse, vous êtes un traître qui a comploté l’assassinat du prince héritier, Son Altesse le prince Fernand. Les lois du royaume de Girtonia me donnent le droit de rompre unilatéralement nos fiançailles.

Le prince Julius s’agrippa à moi.

Rompre nos fiançailles ? Tu… tu oses trahir ton fiancé bien-aimé ?

Il avait l’air sincèrement choqué. Pensait-il vraiment que je l’aimais ?

Quelle sottise, Votre Altesse. Pensiez-vous vraiment que j’aimerais l’homme qui a vendu ma sœur adorée ? Vous me donnez la nausée.

Mia ! Comment peux-tu ? Mia ! Je t’aime ! Je m’empare du royaume pour toi !

Le prince Julius s’effondra lourdement au sol. Enfin, la réalité semblait le rattraper. Pendant ce temps, mes parents me regardaient, stupéfaits de me voir répondre au prince Julius. Ils avaient passé tout ce temps à croire que je n’étais qu’une poupée docile.

Mia, à quoi penses-tu ? Comment peux-tu faire cela… à nous, à Son Altesse ?

C’est impensable que tu complotes de cette façon ! Qu’est-ce que c’est que ce regard ? Tu as toujours été une gentille fille ! Pourquoi ?

N’est-ce pas évident ? C’est la fin. Pour vous tous.

Nous parlerons du reste plus tard. Mère, Père, je crains que vous n’alliez en prison.

Et encore, la prison était la meilleure issue possible. La peine de mort était bien plus probable. Même en le sachant, j’avais tout de même attiré mes propres parents dans ce piège. Si jamais mes actes venaient à être dévoilés au grand public, je pourrais bien me retrouver rejetée par tous. Alors que mes parents cédaient au désespoir, le prince Julius se releva soudainement et éclata de rire.

Mia, tu nous as bien eus ! Mais celle qui va se retrouver enfermée, c’est toi ! Pour avoir tenté de me piéger !

Cessez de vous couvrir de ridicule, Votre Altesse. Les nobles vous regardent, en train de vous humilier vous-même. Vous ne pourrez échapper à vos fautes.

Non, c’est toi l’idiote ! Je suis un prince, le plus grand de tous ! J’effacerai toutes tes preuves d’un revers de main !

J’avais veillé à ce que cela n’arrive pas. Il n’était pas le seul membre de la famille royale dans ce royaume. Le prince Fernand avait tout vu. Et pire encore pour Julius : quelqu’un d’autre aussi. Comme pour confirmer mes pensées, un homme vêtu d’un uniforme de serveur s’avança vers le prince Julius.

Assez, Julius ! Cesse de creuser ta propre tombe !

Surveille ton langage, le vieux ! Sais-tu seulement à qui tu t’adresses ?

C’est plutôt à moi de te poser la question. Tu reconnais ma voix, n’est-ce pas ? Quelle honte.

L’homme retira son chapeau et sa fausse barbe. Le visage du prince Julius, qui semblait reprendre un peu de contenance, devint aussitôt livide. Un invité de plus s’était glissé à la réception, déguisé…

C’est Sa Majesté !

En voyant le roi de Girtonia, censé être alité, apparaître en public, les invités se mirent à murmurer avec agitation.

Mia, dit Sa Majesté, — le remède de ta sœur est véritablement miraculeux. Son départ pour Parnacorta est une perte inestimable pour notre royaume.

Philia avait mis au point un traitement complet contre la maladie de Sa Majesté, et il était presque totalement rétabli. Il ne devait pas encore faire d’efforts excessifs, mais à sa demande, je l’avais aidé à assister à cette réception. Il voulait voir de ses propres yeux le comportement déplorable du prince Julius.

Je ressens une honte immense d’avoir laissé cet imbécile agir à sa guise. Je n’aurais jamais cru qu’il tenterait de lever la main sur Fernand…

P-Père, ce n’est pas vrai !

Votre Majesté, intervint un garde, interrompant les protestations du prince Julius, — nous avons capturé l’assassin qui a tenté de s’en prendre à votre doublure.

Apparemment, l’assassin envoyé par le prince Julius avait été arrêté grâce à la vigilance des gardes royaux placés sous le commandement direct de Sa Majesté.


À ces mots, le prince Julius sembla enfin à court d’excuses. Il se tut et tomba à genoux.

Qu’on jette Julius, le marquis Adenauer, son épouse, ainsi que tous leurs complices, au cachot ! ordonna Sa Majesté, le visage déterminé, l’attitude empreinte d’autorité.

Il devait lui être douloureux de condamner son propre fils à la prison, mais il accomplissait là son devoir de roi.

Et c’est ainsi que le prince Julius chuta de son piédestal. Enfin, il allait être jugé pour ses crimes.

Mais même alors, la menace des monstres s’intensifiait. Notre véritable combat ne faisait que commencer.

* * *

Il faut poser des barrières rapidement ! Deux ne suffiront pas !

Tante Hilda et moi traversions Girtonia pour ériger des barrières dans les zones les plus envahies par les monstres. Mais face aux hordes qui déferlaient sans relâche, les défenses cédaient de toutes parts.

Il n’était plus possible de défendre le royaume avec les seuls soldats girtoniens. Tante Hilda et moi faisions de notre mieux pour contenir la situation, mais nous ne pouvions ériger qu’un nombre limité de barrières. Et surtout, nous devions sans cesse repousser les monstres, qui n’hésitaient pas à nous attaquer directement.

Technique de flamme !

Himari cracha un torrent de feu depuis sa bouche, réduisant en cendres un monstre qui fonçait droit sur moi. Je ne connaissais pas grand-chose aux ninjas, mais ils étaient extraordinaires.

Je ne laisserai aucun de vous poser un doigt sur Dame Mia !

Mobilisant tout son talent de bretteur, Pierre abattait les monstres les uns après les autres, laissant derrière lui un tas de cadavres. À eux deux, ils parvenaient à me protéger pendant que je posais minutieusement les barrières, un endroit à la fois.

Malgré cela, les monstres apparaissaient à un rythme bien supérieur à celui que nous pouvions contenir. Nous étions épuisés par cette vague incessante de créatures. Et pour ne rien arranger, des monstres de haut rang faisaient désormais leur apparition : loups-spectres, grizzlis démoniaques, singes empereurs, et veneserpents. Il ne faisait plus aucun doute que le Royaume Démoniaque était tout proche.

Je me retrouvai une fois encore à admirer la force de Philia. Elle, au moins, pouvait neutraliser n’importe quel monstre, peu importe sa puissance. À présent que je connaissais moi-même les limites des méthodes classiques de pose de barrières, j’étais d’autant plus impressionnée par son talent. Elle avait mis au point la technique la plus rapide possible.

Mais il était inutile d’espérer son retour, pas maintenant. Elle avait son propre royaume à protéger. C’était à nous de repousser l’invasion du mieux que nous le pouvions. D’une manière ou d’une autre, nous devions agir…

Les Chevaliers de Parnacorta sont là !

Un soldat lança la nouvelle tant attendue. Ils étaient arrivés bien plus vite que je ne l’aurais imaginé. C’était sûrement grâce à Philia, qui avait cru en moi et en ma capacité à renverser le prince Julius. Je n’étais pas originaire de Parnacorta, mais j’avais entendu parler de leurs chevaliers. Deux piliers assuraient la sécurité et l’ordre dans leur royaume : la Sainte, et les Chevaliers de Parnacorta. Leurs guerriers aguerris étaient réputés comme les plus puissants du monde.

Incroyable ! Ils fauchent les monstres les uns après les autres !

Chacun d’eux a la force de mille soldats, déclara Himari avec fierté. — Entre le décès de notre ancienne Sainte et l’arrivée de Dame Philia, ce sont eux qui ont protégé Parnacorta contre des vagues entières de monstres. C’est leur devoir, rien de plus.

Philia avait écrit que ses autres gardes du corps étaient aussi compétents que Himari et que les chevaliers. Savoir qu’elle était entourée d’alliés aussi fiables me rassurait.

Très bien ! Je pense que nous allons y arriver !

Oui, les renforts de Parnacorta vont sûrement renverser la situation.

Mais alors que l’espoir commençait à renaître parmi les soldats girtoniens, une immense masse noire apparut dans notre champ de vision, précisément à l’endroit où je comptais ériger la prochaine barrière. La masse se distordait tandis que le sol tremblait. C’était… Ce n’était pas possible…

C’est une horde de monstres…

Même Himari paraissait terrifiée.

Il y en avait plus que je n’en avais jamais vu. Dix… non, vingt fois plus… ? Je n’avais jamais entendu parler de pareille chose. Nous allions être submergés par leur seul nombre.

Jusqu’à cet instant, je croyais encore qu’un jour, je tomberais amoureuse, que je me marierais, et que je mènerais une vie heureuse.

Je suis désolée, Philia. L’aide que tu nous as envoyée n’aura servi à rien.

Aujourd’hui, ma vie s’arrête ici.

Aussi regrettable que ce soit, je devais renoncer à vivre. Mais je mourrais en Sainte. Jusqu’au bout, je serais comme ma sœur bien-aimée.

Je me battrai jusqu’à ce que mon corps ne soit plus que des cendres.

C’est impossible. Peu importe l’angle sous lequel on observe la situation, ils sont bien trop nombreux.

La seule option, c’est fuir.

Imbécile ! Il n’y a nulle part où fuir.

Les soldats girtoniens étaient au bord du désespoir. Même les Chevaliers de Parnacorta étaient saisis par l’ampleur démesurée de la horde. Quoi qu’il arrive, une Sainte devait apporter l’espoir. Alors oui, je me battrais.

Affirme ta détermination ! me dis-je.

Aaaaaaaaaah !

J’interrompis la pose de barrières et lançai à la place un sort de purification.

Puisant dans toute ma magie, je fis apparaître d’innombrables Couteaux de Purification argentés, que je dirigeai droit vers la marée de monstres.

Les lames transpercèrent les créatures, les réduisant en poussière.

Je concentrai toute l’énergie que je pouvais rassembler, y compris la magie circulant dans les barrières, dans mes attaques. Même si je n’étais qu’une seule personne, j’étais déterminée à protéger le plus de vies possibles.

Encore une fois. Il me restait encore un peu de magie. Je devais puiser jusqu’à la dernière goutte. Tant que je pouvais bouger, je pouvais me battre.

Je vais tous les anéantir !

Mourrez ! Mourrez ! MOURREZ !

Je hurlai jusqu’à sentir ma gorge se déchirer. Peu importait combien de monstres je tuais, d’autres prenaient leur place, mais je n’avais pas l’impression que mes efforts étaient vains. Même si je n’avais pas le pouvoir de sauver mon royaume, j’étais prête à me consumer pour essayer.

Quelle ardeur au combat, Dame Mia !

Nous ne pouvons pas la laisser mourir !

Protégeons Dame Mia et le royaume de Girtonia !

À l’attaque !

Au moins, mon exemple avait galvanisé les soldats girtoniens. J’étais heureuse d’avoir accompli un acte digne d’une Sainte, à la toute fin. Je repoussai les vagues de monstres qui attaquaient de toutes parts. Même si j’étais une incantatrice rapide, le rythme d’apparition des monstres dépassait mes capacités.

Pire encore, mes réserves de magie n’étaient pas infinies. Je les avais déjà entièrement épuisées. À présent, j’utilisais une technique de sacrifice qui convertissait ma force vitale en pouvoir magique. et pourtant, les monstres ne faiblissaient pas. Les yeux embrumés, j’avais de plus en plus de mal à distinguer humains et créatures.

Ce n’est pas bon. J’atteins mes limites.

Mes forces m’avaient quittée… mais j’étais en paix. J’avais été… une Sainte… jusqu’au bout. Je m’effondrai au sol. Mon corps ne répondait plus. je ne pouvais rien faire de plus.

Si froid…

Mon corps était tel de la glace. Je ne pouvais même plus lever un doigt.

Je me suis bien débrouillée, n’est-ce pas, Philia… ?

Je suis désolée de ne pas avoir pu protéger notre patrie…

En pensant à Philia, je fermai les yeux.

(Philia)

Himari rapporte que les Chevaliers de Parnacorta ont été autorisés à entrer à Girtonia, et qu’ils sont à présent occupés à exterminer les monstres.

Alors que j’attendais dans le jardin le retour de Grace, le prince Osvalt s’était rendu à la demeure pour m’annoncer que les Chevaliers de Parnacorta avaient enfin franchi les frontières de Girtonia afin d’y apporter leur aide.

La situation est bien pire que ce que j’avais imaginé… Si seulement je pouvais gagner un peu de temps…

Cela a pris plus de temps que prévu. À l’heure qu’il est, il ne doit plus rester beaucoup de barrières à Girtonia.

Peu importe à quel point Mia et tante Hildegarde s’étaient efforcées de maintenir les défenses du royaume, sans assez de soldats pour repousser les monstres, leurs barrières finiraient par céder sous la force brute. D’après mes calculs, les monstres avaient déjà commencé à envahir Girtonia en masse.

Certes, les Chevaliers de Parnacorta étaient dignes de confiance, mais ils ne pouvaient contenir le chaos qu’à un certain point. En somme, la situation à Girtonia était plus critique que jamais.

Dame Philia, pardonnez-moi, mais le temps nous est compté, intervint le prince Reichardt. — Selon la puissance des monstres, je devrai peut-être donner l’ordre immédiat de repli aux chevaliers.

Hé, un instant ! protesta le prince Osvalt. — Ce serait un peu cruel, non ? Et après qu’ils se sont précipités pour leur venir en aide !

Le prince Reichardt m’avait rendu visite plus tôt pour me faire part de son intention de rappeler les Chevaliers de Parnacorta sans délai.

Aussi reconnaissante que je fusse envers le soutien du prince Osvalt, le point de vue du prince Reichardt était compréhensible. Il m’avait demandé d’estimer le nombre de monstres susceptibles d’apparaître à Girtonia au fil des heures. Je lui avais transmis mes propres calculs.

De son côté, le prince Reichardt avait déterminé jusqu’à quel point la sécurité des chevaliers pouvait être assurée. Selon lui, les Chevaliers de Parnacorta pourraient rester à Girtonia jusqu’au début de la matinée suivante.

Avec notre Sainte, les Chevaliers de Parnacorta sont les piliers de notre défense nationale. Je suis préoccupé pour Girtonia, et nous avons une dette envers la sœur de Dame Philia. Mais d’un autre côté, il serait imprudent de sacrifier nos chevaliers pour la crise d’un autre royaume.

Pourquoi faut-il que tu sois toujours aussi rationnel ? Dame Mia défend Girtonia pratiquement à elle seule !

Cependant, après cela, le prince Osvalt ne formula plus aucune objection. Il savait sans doute qu’il serait dangereux de mettre en péril Philip et les autres chevaliers. Le prince Reichardt s’inclina devant moi.

Dame Philia, au nom de mon père, je tiens à vous présenter nos excuses pour vous avoir donné l’espoir de voir votre souhait exaucé.

Mais je n’avais pas encore renoncé. Il nous restait encore un peu de temps avant l’échéance imposée par le prince Reichardt, aussi courte soit-elle. Si Grace était prête d’ici là, alors peut-être que notre espoir pourrait se réaliser. À ce moment précis, Lena accourut.

Dame Philia ! La calèche de Dame Grace est arrivée !

Serait-il possible que les sœurs de Grace aient déjà appris le sort de convergence magique ? Elles étaient plus rapides que je ne l’espérais. Lena accueillit Grace à son arrivée.

Dame Grace, c’est un plaisir de vous revoir.

Grace s’avança vers moi, portant autour du cou un collier de pierres magiques que j’avais confectionné pour elle.

Dame Philia, comme vous l’avez demandé, mes sœurs et moi utilisons ces pierres pour canaliser notre magie.

Le sort ancien de convergence magique permettait de rassembler les pouvoirs de tous ceux qui portaient les colliers. J’avais remis à Grace trois autres colliers à transmettre à ses sœurs à Bolmern.

Grace, je ne te remercierai jamais assez ! J’ai déjà installé un Pilier de Lumière dans le jardin, tout est prêt.

Ce n’est rien du tout. À présent, Dame Philia, je vous en prie : utilisez notre pouvoir magique combiné pour étendre le Grand Cercle de Purification !

Sous l’impulsion de Grace, j’appelai la magie des sœurs Mattilas dans mon propre collier. Je la sentais affluer… depuis le royaume de Bolmern. Grâce à ce pouvoir, j’allais pouvoir étendre le Grand Cercle de Purification. Le sol se mit à luire d’or. Nous puissions dans la force du monde naturel à un rythme sans précédent.

Commençons !

J’invoquai le rituel du Grand Cercle de Purification afin qu’il couvre tout le continent, priant de toutes mes forces pour que notre tentative aboutisse…

C’est incroyable, Dame Philia ! Le Grand Cercle de Purification s’étend !

Vous en êtes certaine ?

Sans aucun doute ! Je sens la purification progresser vers Bolmern !

Il semblait que Grace se souvenait des techniques que je lui avais enseignées, et qu’elle était désormais capable de percevoir le mana. Elle avait raison : le Grand Cercle de Purification s’était bien étendu en direction de Bolmern. Mais…

Haa… haa… Je… je suis désolée. J’ai échoué. Je n’ai pas réussi à transmettre la magie en direction de Girtonia. C’était plus difficile que prévu. Si seulement je pouvais ériger un Pilier de Lumière à l’est de Girtonia…

Le Grand Cercle de Purification ne couvrait qu’environ la moitié du continent. Son extension vers Girtonia avait été interrompue. J’avais échoué à sauver Mia.

Il n’existait plus qu’un seul moyen de sauver ma patrie : m’y rendre moi-même.

Mais si vous quittez la capitale royale, le Grand Cercle de Purification ne sera-t-il pas détruit ? demanda le prince Osvalt.

Non. Grace et moi sommes actuellement reliées par la magie que nous partageons. Si elle accepte de devenir le centre du cercle à ma place, je pourrai me déplacer librement.

Tant que Grace maintenait le sort de convergence magique, je pouvais aller à Girtonia.

Je pouvais aider Mia.

Grace n’hésita pas un instant.

Dame Philia, allez-y ! Laissez-moi m’occuper de tout ici !

Si vous pouvez quitter la capitale dès maintenant, approuva le prince Osvalt, alors vous n’avez aucune raison de ne pas partir !

Mais le prince Reichardt s’y opposa fermement.

Je ne peux pas autoriser cela. Dame Philia, vous êtes consciente de la gravité de la situation à Girtonia, n’est-ce pas ? Il serait insensé qu’une Sainte de Parnacorta risque sa vie pour un autre royaume.

Mais enfin, qu’est-ce que tu racontes mon frère ? s’exclama le prince Osvalt, choqué. — Si nous faisons encore un petit effort, nous pourrons sauver la sœur de Dame Philia ! Ne sois pas aussi rigide !

Dame Philia, je suis certain que vous êtes fière d’être notre Sainte. Et si tel est le cas, vous ne vous rendrez pas à Girtonia.

Le prince Reichardt avait raison. Je le savais. Ce que je m’apprêtais à faire allait à l’encontre de mes devoirs de Sainte de Parnacorta.

Je devais rester.

Mia, je suis désolée…

Dame Philia, ne vous mentez pas à vous-même !

Votre Altesse ? Aïe !

Le prince Osvalt bondit sur son cheval et m’enleva dans ses bras. Que faisait-il ?!

Mon cheval est le plus rapide du royaume. Nous atteindrons Girtonia en un rien de temps !

Attendez ! Je dois me conduire comme il convient à une Sainte de ce royaume… Je ne peux pas aller à Girtonia !

J’étais la Sainte de Parnacorta, non celle de Girtonia. Je ne pouvais pas agir selon mes désirs personnels.

Écoutez-moi ! Il y a des moments où il faut décider avec le cœur, avant même de réfléchir avec la tête ! Dame Philia, posez la main sur votre poitrine, écoutez ce que vous ressentez au fond de vous… et dites-moi honnêtement ce que vous voulez faire !

Mon cœur… ? J’avais toujours pris mes décisions avec ma tête. En tant que Sainte, je ne pensais qu’à servir mon royaume.

Je posai la main sur ma poitrine. Je sentis les battements de mon cœur. Du plus profond de moi-même, ce que je ressentais, c’était…

Je veux aider Mia, quoi qu’il m’en coûte.

Une chaleur douce emplit ma poitrine et se répandit en moi.

Je veux sauver Mia ! Peu importe ce qu’il adviendra de moi ! Je veux juste sauver ma sœur !

De telles paroles n’étaient pas dignes d’une Sainte.

Quelque chose de brûlant coula au coin de mes yeux, traçant deux sillons humides sur mes joues. Cela ne m’était encore jamais arrivé. Le monde devant moi se brouilla, jusqu’à disparaître complètement.

Très bien ! Dame Philia, j’ai entendu vos sentiments. C’est on ne peut plus clair ! Accrochez-vous, car nous allons filer à toute allure !

Sur ces mots, le prince Osvalt fit accélérer sa monture. En un instant, nous foncions vers Girtonia, au grand galop.

Mia, tiens bon encore un peu. Je viendrai te sauver, je te le jure.

* * *

Au fait… est-ce que vous pouvez créer un Pilier de Lumière pendant que nous chevauchons ?

Tant que je prie, je peux le porter avec moi jusqu’à ce que je le libère. Mais Votre Altesse est-il certain de pouvoir me tenir ainsi tout en guidant les rênes ?

Le prince Osvalt me soutenait d’un bras, tout en dirigeant de l’autre son cheval bien-aimé, réputé pour être le plus rapide de tout Parnacorta.

J’étais convaincue de pouvoir achever la préparation d’un Pilier de Lumière avant d’atteindre la frontière. Mais c’était bien la première fois que je priais dans les bras de quelqu’un. Sans raison apparente, mon cœur se mit à battre plus vite. C’était une sensation nouvelle pour moi.

Seigneur… Je sais que ce que je fais n’est pas digne d’une Sainte. Mais juste cette fois, je vous en supplie… accordez-moi votre pardon.

Sentant la chaleur du prince Osvalt et son bras rassurant dans mon dos, je parvins malgré tout à me concentrer et à poursuivre ma prière.

Dame Philia, nous avons atteint un fort. Avez-vous besoin de vous arrêter pour prier ?

Le cheval du prince Osvalt était encore plus rapide que je ne l’avais imaginé. Nous étions arrivés en un rien de temps à un fort proche de la frontière. J’avais réussi à prier suffisamment pour manifester un Pilier de Lumière. Il ne restait plus qu’à le placer en un lieu adapté à Girtonia, et nos préparatifs seraient complets.

Ce ne sera pas nécessaire. Grâce au ciel, j’ai pu achever mes préparatifs en cours de route. À partir d’ici, je peux me débrouiller seule. Votre Altesse, merci de m’avoir conduite jusqu’ici.

Je m’attendais à croiser un nombre bien plus important de monstres à Girtonia qu’à Parnacorta. Je devrais les exterminer par magie purificatrice tout en poursuivant ma route.

Désormais, je devais avancer seule. Me concentrer et me mettre en marche.

Minute. Vous croyez que je vais vous laisser y aller seule ? …Ah, voilà. Cette lance fera l’affaire.

Le prince Osvalt sortit de l’armurerie du fort, tenant à la main une lance plus grande que lui. Il remonta à cheval et m’invita à grimper derrière lui.

Je ne peux pas permettre à Votre Altesse de courir un plus grand danger, protestai-je.

Trop tard. Si je rentre maintenant, tout ce que je récolterai, ce sera une réprimande de mon frère. Et puis, une Sainte qui se rend sur un champ de bataille a bien besoin d’un garde du corps, non ? Si vous réfléchissez un peu, vous verrez qu’il n’y a pas d’autre option que moi.

Vous êtes si… insistant.

Plantant sa lance dans le sol, le prince Osvalt me souleva une nouvelle fois dans ses bras et m’installa derrière lui, en selle. Il m’avait déjà soulevée plusieurs fois à ce stade, et chaque contact me mettait irrésistiblement mal à l’aise.

Eh bien, c’est comme ça que je suis. En tout cas, tenez-vous bien si vous ne voulez pas être désarçonnée !

Le prince Osvalt reprit sa lance et saisit les rênes. Je savais avec certitude que la situation à Girtonia s’était aggravée depuis mon départ. La question était : à quel point ?

Enfin, nous franchîmes la frontière girtonienne. Le spectacle qui s’offrit à nous me coupa le souffle. Devant nous, des nuées de monstres grouillaient et ravageaient tout sur leur passage, bloquant complètement la route. Impossible d’avancer d’un pas de plus.

C’est bien au-delà de mes estimations… Je vais devoir placer le Pilier de Lumière près du centre du royaume.

Dame Philia ! Accrochez-vous bien et dites-moi par où aller !

Un seul coup de lance du prince Osvalt fit voler les têtes de dix monstres dans les airs.

Je savais que le prince Osvalt maîtrisait l’art de la lance, mais je ne l’imaginais pas aussi redoutable.

Vous, là-bas ! Dégagez ! Dame Philia, vite !

Par-là, je vous prie ! Tournez à droite au bout de la route !

Abattant les monstres les uns après les autres, le prince Osvalt et moi poursuivîmes notre avancée. Bientôt, le sang gicla dans toutes les directions, maculant le visage du prince, mais sa monture ne ralentit pas d’un pouce. Et penser qu’il faisait tout cela pour un autre royaume…

À voir l’expression farouche du prince Osvalt, j’eus l’impression qu’il se battait pour Girtonia avec autant de fougue qu’il l’aurait fait pour Parnacorta. Je ne pus m’empêcher de trouver cela étrange.

Votre Altesse, pourquoi faites-vous tout cela alors que c’est pour un autre royaume ?

Je ne pus m’empêcher de poser la question. Pourquoi avait-il parcouru tout ce chemin ? Comment pouvait-il continuer à avancer avec autant de ferveur ?

Haa… haa… Je ne le vois pas ainsi. C’est votre patrie, après tout. Et pour vous, je ferais n’importe quoi.

H-hein ? C-c’est…

Il faisait cela… pour moi ? Que voulait-il dire par là ?

Je ne pourrais jamais faire assez pour quelqu’un qui compte autant à mes yeux. Je me dépasserai s’il le faut, encore et encore ! C’est bien naturel. Si c’est pour vous, je…

Une horde de monstres nous fonça dessus, mais le prince Osvalt les repoussa sans effort d’un coup de lance.

Je pourrais avancer ainsi pour toujours !

De nouveaux monstres surgirent…

Sans la moindre hésitation, le cheval du prince Osvalt baissa la tête et s’élança. Moi… une personne qui compte ? C’était la première fois que quelqu’un me disait cela.

Je sentis mon visage s’enflammer tandis que le sang affluait à mes joues.

Que diriez-vous du sommet de cette colline ?

Oui. Ce sera parfait.

Dans une prière silencieuse, je plaçai le Pilier de Lumière en hauteur, à un endroit où il pourrait capter la magie de Parnacorta et de Bolmern. Cela nous permettrait d’étendre le Grand Cercle de Purification.

Alors que la terre scintillait d’or, tout le royaume de Girtonia… non, tout le continent fut enveloppé par le Grand Cercle de Purification, réduisant les monstres à l’impuissance, enfin.

C’est fait ! m’écriai-je. — Nous avons étendu le Grand Cercle de Purification !

J’ai toujours su que vous étiez une Sainte hors du commun, pour être capable de repousser tous ces monstres en un instant…

Je n’aurais jamais pu y arriver sans Votre Altesse.

Bah, je n’ai pas fait grand-chose… Hein ?! I-il y a quelqu’un allongé là-bas ! C’est une fille… et elle vous ressemble…

Mia !

Sans réfléchir, je sautai à terre et me précipitai vers ma sœur. Face à ces hordes de monstres innombrables, bien au-delà de mes estimations, Mia avait dû puiser au-delà de ses limites.

Je m’agenouillai près de son corps inerte.

Elle est anormalement froide… C’est un symptôme d’épuisement extrême de la force vitale. Elle avait un faible pouls.

Les lèvres de Mia étaient d’un bleu pâle, sa peau glacée, et sa température continuait de chuter. Des taches bleu clair apparurent sur son corps. J’en déduisis qu’après avoir épuisé toute sa magie, Mia avait continué à se battre en convertissant sa force vitale en énergie magique. Elle s’était battue plus longtemps et plus farouchement que je n’en aurais jamais été capable.

Guérison Sainte !

Que se passe-t-il ? Est-ce que ça marche ?

Je fais tout ce que je peux. C’est pour ça que je suis venue.

Ma Guérison Sainte pouvait guérir instantanément une fracture. Mais là, Mia avait consumé presque toute sa force vitale. Elle était au seuil de la mort… et si elle mourait, il n’y aurait plus aucun retour possible. Vu son état, j’estimais mes chances de la sauver à moins de 50%.

Je lançai à nouveau Guérison Sainte, tâchant de rétablir une circulation normale de son sang. Le reste dépendait d’elle.

Réveille-toi et bats-toi.

Tu es la Sainte de Girtonia. Tu ne veux pas voir l’avenir que tu as bâti ?

Réveille-toi, je t’en supplie ! Mia ! Tu dois vivre !

Dame Philia…

Crier ne rendait pas le sort plus efficace… et pourtant, je ne pouvais m’en empêcher. À ce stade, j’avais perdu le compte du nombre de sorts de soins lancés. Il était peu probable qu’un de plus fasse la différence, mais malgré tout… je ne pouvais pas arrêter.

Ngh…

Je poussai un cri.

Mia ?

Elle restait allongée là, telle une poupée sans vie… mais son front se contracta légèrement.

Encore un peu. Encore un tout petit peu, et elle reviendrait à nous.

Mes réserves magiques étaient presque épuisées, mais l’idée que Mia rouvre les yeux me donnait la force de continuer.

C’est chaud… Je me sens à nouveau… chaude…

Mia, tu vas bien ! Je suis si heureuse…

Philia…

Je maintins le sort jusqu’à ma toute dernière limite, et c’est alors que ma sœur ouvrit les yeux.

Des larmes coulèrent sur mes joues tandis que je la serrais aussi fort que possible dans mes bras.


* * *

Mia, murmurai-je doucement, la tenant toujours contre moi, est-ce que tu ressens quelque chose d’étrange ?

En pleurs, Mia posa fermement la main sur mon épaule. D’une voix étranglée, elle répondit :

Non… rien… rien du tout. Le sort de soin a marché… parce que c’est toi qui l’as lancé. Philia… Je croyais ne jamais te revoir. Pour toi, accomplir ton devoir de Sainte passe avant tout… Je ne pensais pas que tu viendrais jusqu’ici.

C’était exactement comme Mia l’avait dit. En tant que Sainte, jamais je ne serais venue. Mais en cet instant… je n’étais pas une Sainte.

Je suis venue ici en tant que sœur. En tant que Philia Adenauer, l’unique sœur de Mia Adenauer. Je devais t’aider, coûte que coûte, même si cela signifiait rompre mes vœux. Pour toi, rien que pour toi…

Je croyais avoir surmonté ce genre d’égoïsme. Je pensais être capable d’éteindre tous les désirs qui jaillissaient de mon cœur. Mais la seule chose que je ne pouvais abandonner, c’était Mia.

Il m’était simplement impossible de la rejeter.

Je suis désolée de ne pas avoir pu être comme toi, dit Mia, s’excusant du désastre qui avait ravagé Girtonia. — Le royaume est dans un état lamentable… Je suis vraiment désolée. J’ai échoué… en tant que Sainte.

Je ne pouvais nier que Girtonia avait été ravagée. Mais Mia était la dernière personne à blâmer pour cela.

Ce n’est pas vrai. Si j’étais restée ici, je n’aurais jamais pu orchestrer la chute du prince Julius.

Jamais je n’aurais osé franchir les limites d’une Sainte, comme Mia l’avait fait. Si j’étais restée à Girtonia, le royaume aurait peut-être connu un sort bien plus terrible car le prince Julius ne m’aurait jamais laissée ériger le Grand Cercle de Purification.

Merci, Philia… mais tu n’as pas besoin de me ménager. Face à autant de destruction, comment ne pas céder au pessimisme ?

Ce qui est brisé peut être réparé. Mia, au lieu de t’abandonner au désespoir pour le passé, il vaut mieux tourner tes pensées vers l’avenir.

Mia et moi contemplâmes notre patrie meurtrie. Une fumée âcre flottait jusqu’à la capitale royale, et de nombreux villages n’étaient plus que ruines. La reconstruction prendrait du temps… mais beaucoup avait été sauvé de la destruction.

On a tout de même évité le pire, je suppose.

Oui. Et c’est grâce à l’aide du prince Osvalt.

Non, non, protesta le prince Osvalt. — Comme je vous l’ai dit plus tôt, je n’ai rien fait. Celle qui est vraiment remarquable ici, c’est vous, Dame Philia.

Ce n’est pas vrai. C’est uniquement grâce au soutien de Votre Altesse que j’ai pu venir jusqu’ici.

Le prince Osvalt m’avait donné le courage d’agir, quand j’étais paralysée par l’hésitation. Sans lui, je n’aurais peut-être jamais trouvé la force de faire quoi que ce soit. C’était aussi lui qui avait envoyé les Chevaliers de Parnacorta pour empêcher la destruction totale.

Alors que nous échangions ainsi, le prince Osvalt et moi, Mia, qui nous observait avec attention, dit quelque chose de tout à fait inattendu :

Je ne t’ai jamais vue aussi complice avec un homme. Je suis si heureuse que tu aies trouvé l’amour, là-bas.

L-l’amour… ?

Qu’est-ce qui avait bien pu lui faire croire cela ? Certes, je n’avais jamais été aussi proche d’un homme. Même mon ancien fiancé, le prince Julius, m’avait rejetée.

Mais tout de même…

Mia, ne dis pas de choses aussi étranges. Tu vas embarrasser Son Altesse.

Oh, cela ne me dérange pas du tout. Mais étant donné nos positions respectives… une relation entre un prince et une Sainte comme Dame Philia…

Hmph, fit Mia. — Il est cent fois mieux que ce crétin de prince Julius. En tout cas, si tu es heureuse, alors moi aussi je le suis.

Mia…

Était-ce vrai ? Était-ce que j’étais heureuse à Parnacorta ?

Même si l’inquiétude pour Mia ne m’avait jamais quittée, j’y avais rencontré des gens bien. J’y avais découvert ce que signifiaient la paix… et l’harmonie. Jusqu’alors, je n’avais jamais vraiment compris ce qu’était le bonheur. J’avais toujours mis mes sentiments personnels de côté.

Mais le soulagement que j’avais ressenti en retrouvant Mia vivante était bien réel, impossible à ignorer.

Alors que je parlais avec elle, mon mentor, tante Hildegarde, fit son apparition.

Philia ! Je ne m’attendais pas à te voir ici. Quand tous les monstres ont été neutralisés en un instant, je me suis dit que peut-être…

Maître ! Cela fait longtemps…

Tante Hildegarde avait elle aussi l’air épuisée. Elle avait dû, sans nul doute, tout donner pour son royaume.

Tu as bonne mine, dit-elle en s’approchant. Elle plongea un regard scrutateur dans mes yeux.

Elle s’était toujours souciée de ma santé. Après tout, le corps d’une Sainte était son bien le plus précieux. Nous ne pouvions nous permettre de tomber malades. Et puisque son époux était mort d’une épidémie, elle avait conservé un œil attentif sur ma condition.

Mia nous interrompit.

Philia, tante Hilda est ta…

Mia ! Pas un mot de plus. Philia vit déjà une nouvelle vie dans un autre royaume.

Le visage de Mia se teinta d’émotions mêlées, mais elle n’ajouta rien. Que s’apprêtait-elle à dire ? Cette interruption me laissa une légère inquiétude…

Philia, il y a quelque chose d’important que je dois te dire. J’ai décidé d’adopter Mia comme ma fille.

Hein ? Mia ? Elle va vivre avec vous ?

Les mots de mon maître furent si soudains qu’ils balayèrent toutes mes autres pensées. Elle adoptait Mia ? Que voulait-elle dire par là ?

Je suis désolée, Philia. Vois-tu, vos parents sont en prison. Ce sont les instigateurs d’un complot d’assassinat contre le prince Fernand. C’est une longue histoire, mais…

Mia me raconta tout à propos de la trahison de nos parents, de leur alliance avec le prince Julius et de la manière dont leur machination avait été déjouée.

En y repensant, je regrettai de ne pas avoir davantage communiqué avec eux. J’aurais dû leur parler, leur faire comprendre leurs erreurs. Cette pensée fit naître en moi un certain sentiment de culpabilité. Si j’avais tenu bon, peut-être aurions-nous trouvé une autre voie.

Dame Philia, je suis désolé pour vos parents, dit le prince Osvalt. — Je suis sûr que vous vous faites aussi du souci pour ceux que vous aimez à Girtonia. Si vous souhaitez rester ici pour aider à reconstruire votre royaume…

Je ne peux pas revenir. Grace ne pourra pas rester indéfiniment le centre du Grand Cercle de Purification. Notre lien magique finira par s’estomper.

Ma magie seule suffirait à maintenir l’extension du cercle, et Grace devait retourner à Bolmern. Je ne pourrais pas rester longtemps à Girtonia.

Je saisis Mia par les épaules.

Et puis, ce royaume n’a plus besoin de moi. Il a déjà une Sainte à part entière.

Philia… Je suis encore loin du compte, mais je te le promets : je finirai par te rattraper ! Non… en fait, peut-être même que je te dépasserai ! déclara Mia.

Et moi, je reprendrai mon poste à plein temps pour aider Mia à perfectionner ses dons, ajouta tante Hildegarde. Je décèle en elle un talent qui pourrait bien surpasser le tien, alors ne te repose pas sur tes lauriers.

En entendant leur détermination, je sentis mon cœur s’apaiser. Girtonia était entre de bonnes mains.

La séparation me serrait le cœur… mais il était temps de rentrer. Rentrer à Parnacorta.

Après avoir fait mes adieux, je rejoignis le prince Osvalt et les chevaliers. En cet instant, je ressentis pleinement que j’étais la Sainte de Parnacorta.

Et ce sentiment ne me quitterait plus.

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