SotDH T6 - CHAPITRE 4 PARTIE 2

Marcher Avec Toi (2)

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Traduction : Calumi
Correction : Raitei
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Ciel clair au matin,
l’après-midi pour vaquer aux tâches,
puis la quiétude du soir
Le soleil se couche à présent,
mais levez les yeux : vous verrez
les étoiles prendre sa place.

 

— Veuillez-vous mettre à l’aise, Utsugi-sama, dit doucement Azumagiku.

La Prêtresse de la Guérison semblait ne pas appartenir tout à fait à ce monde. Elle était assise, le dos contre une statue bouddhique de bois rongée par le temps. Le plancher du temple principal était glacé.

— O…oh, d’accord.

Heikichi obéit et s’assit à genoux, en seiza. L’aura émanant de sa personne lui ôtait toute envie de s’asseoir en tailleur.

— Alors… vous vouliez me voir parce que vous… aviez un travail pour moi, Azumagiku…-sama ? demanda-t-il, hésitant sous le poids de son air solennel.

Elle répondit d’un sourire paisible, mais assuré.

— Héhé. Inutile d’être si formel. J’ai beau être nommée prêtresse, je n’occupe en vérité aucune fonction. Vous n’avez pas à vous montrer aussi humble devant moi.

— O-oh, je vois. Dans ce cas, n’hésitez pas à parler plus naturellement avec moi.

— Hélas, c’est ainsi que je parle d’ordinaire.

Heikichi secoua la tête plusieurs fois pour se ressaisir. Il s’adressait peut-être à un démon, voire à un démon supérieur. Il ne pouvait se permettre de montrer la moindre faiblesse. Et puis, se laisser ainsi intimider par une femme à l’apparence si jeune, même si son âge véritable lui échappait, était ridicule. Que penserait de lui l’homme qui l’avait encouragé, celui qui l’avait jugé digne de porter le nom d’Akitsu Somegorou ?

— Quelque chose ne va pas ? demanda Azumagiku.

— Non, pas du tout. Parlons. Je suis un bon ami d’un démon, alors je n’ai aucune raison de refuser d’écouter ce que vous avez à dire.

Il parla d’une voix assurée. Il avait un peu honte d’avoir appelé Jinya son ami plutôt que son simple camarade, mais, en vérité, il en éprouvait aussi une certaine fierté.

— Je… pardon ? demanda-t-elle, déconcertée par l’inattendu de ses paroles.

— Vous êtes un démon, n’est-ce pas ? Et même un supérieur.

Il ne cherchait pas à obtenir confirmation. Sa voix était calme, dénuée d’émotion, comme s’il ne faisait qu’énoncer une évidence.

— …Est-ce si évident que ça ?

— Plutôt. Disons que ce n’est pas ma première rencontre du genre. Un disciple d’Akitsu devrait au moins être capable de le deviner.

Son visage se figea visiblement. Il semblait qu’il avait visé juste. En voyant la sérénité de son masque se fissurer, il esquissa un sourire victorieux.

— Allez-vous me tuer, alors ? Vous êtes bien un chasseur de démons, n’est-ce pas ? demanda-t-elle, les yeux glacés.

— Peut-être. Cela dépend. J’ai juste pensé qu’il valait mieux vous écouter d’abord.

— Est-ce acceptable ? Pour vous, je veux dire.

Elle paraissait confuse. C’était pourtant son rôle de pourchasser les esprits comme elle. Pourquoi l’écouter avant tout ?

— Je n’accepte pas de contrats qui nuisent aux humains, évidemment. Mais je préfère éviter de tuer un démon sans nécessité.

Il allait de soi que la vie d’un humain valait davantage que celle d’un démon, mais il connaissait personnellement un démon assez bienveillant pour lui avoir conseillé de prendre son temps et de chercher ses propres réponses. Être un démon ne suffisait pas à mériter la mort.

— Vraiment… ? dit-elle simplement.

— Vous ne me croyez pas ?

— Si, je vous crois. Je n’ai pas le droit de douter de vous, pas alors que c’est moi qui sollicite votre aide.

Elle retrouva le calme propre à une prêtresse et inclina poliment la tête. Elle semblait sincère.

— Alors, que désirez-vous ?

Sans se presser, elle expliqua :

— J’ai besoin de deux choses : retrouver quelqu’un, et engager un garde du corps. Mais c’est moi qui ferai les recherches. Je souhaite seulement que vous m’escortiez pendant ce temps.

— Pourquoi un garde du corps ? Quelqu’un vous en veut ?

— Non. Disons simplement qu’il me faut une escorte si je veux sortir.

— Comment ?

Il y avait clairement autre chose, mais son visage n’en trahissait rien. Heikichi la fixa avec insistance, tandis qu’elle poursuivait d’un ton tranquille.

— J’espérais au départ formuler ma demande sans révéler ma véritable nature.

— Je m’en doutais. Dommage que je vous aie percée à jour, hein ?

— En effet. Accepteriez-vous malgré tout ma requête ? demanda-t-elle avec un sourire aussi paisible et immobile que la surface d’un lac.

Sa requête était étrange. Les démons étaient en général bien plus puissants que les humains. Même avec son apparence fragile, elle devait posséder une force démesurée. Il était déjà curieux qu’elle demande un garde du corps, mais plus étrange encore qu’elle s’adresse à Heikichi pour cela. S’il avait été un véritable chasseur de démons, elle aurait pu être tuée dès l’instant où sa nature avait été révélée.

— Autant vous demander… Vous savez quel genre d’homme je suis, n’est-ce pas ?

— Je le sais, répondit-elle avec indifférence.

Heikichi n’avait jamais été du genre à réfléchir longuement. Plutôt que de se perdre en suppositions, il alla droit au but.

— Alors pourquoi m’avoir fait venir ? Qu’est-ce qui vous fait penser que je ne vous tuerai pas sur-le-champ ?

— Pourquoi… ? Oui, pourquoi, en effet…

Son calme se fissura, et son regard se perdit dans le vide. Ses mots semblaient plus spontanés qu’honnêtes.

— J’ai simplement… pensé que cela fonctionnerait si je faisais appel à vous. Parce que vous êtes un chasseur de démons.

— Hein ?

— Oui. Oui, c’est cela. Je savais juste que quelqu’un qui pourchasse les démons…

Elle s’interrompit, se reprit, et redressa le dos.

— Pardonnez-moi. D’après ce que j’ai entendu dire, vous sembliez être quelqu’un enclin à m’aider.

Les démons ne pouvaient pas mentir, mais Heikichi doutait pourtant qu’elle dise la vérité. Que ferait son maître dans une telle situation ? Et le propriétaire du restaurant de soba ? Il chercha désespérément, mais rien ne lui vint à l’esprit.

Tout ce qu’il savait, c’est qu’Azumagiku cherchait quelqu’un tout en dissimulant sa nature démoniaque. Pouvait-il accepter un travail sur cette seule base ?

— Même si je devenais votre garde du corps, je ne pourrais pas rester près de vous en permanence.

— Ce ne serait pas nécessaire. Votre présence quand je sors me suffirait.

Elle lui adressa un doux sourire face à son hésitation.

— Vous hésitez à accepter parce que vous ignorez mes intentions, n’est-ce pas ?

Il resta muet, pris au dépourvu. Elle avait lu en lui comme un livre ouvert, mais ne semblait pas lui en vouloir de sa méfiance. Son sourire demeura inchangé.

— Dans ce cas, venez avec moi dehors un instant.

 

 

— Oh, merci… merci infiniment…

Lorsqu’Azumagiku arriva dans une rangée de maisons de ruelle à Shijyou, un vieil homme s’inclina si profondément devant elle que son front toucha le sol. Son visage, marqué de rides profondes, était au bord des larmes. Azumagiku le regarda avec compassion, puis posa silencieusement une main sur lui. De sa paume s’échappa une douce lueur.

Le changement fut immédiat. Les traits du vieil homme s’apaisèrent peu à peu, comme si l’esprit malveillant qui le possédait venait d’être chassé. Ses yeux exprimaient un profond soulagement.

— Ô noble prêtresse !

— Moi aussi, moi aussi !

Et cela ne s’arrêta pas là. Une foule se rassembla bientôt autour d’elle, tous désireux qu’on apaise à leur tour leurs souffrances.

— Ne m’oubliez pas !

— S’il vous plaît, ça fait… tellement mal…

Les multiples supplications qui s’élevaient se mêlaient en un vacarme semblable aux cris des damnés en enfer.

Heikichi pouvait presque voir cette masse d’âmes perdues implorant leur salut, mais Azumagiku ne les méprisait pas. Un sourire calme demeurait sur son visage tandis qu’elle les touchait un à un.

— Bien sûr. Apaisez-vous, ne serait-ce qu’un instant.

Heikichi, à ses côtés, demeura stupéfait devant le spectacle. Il l’avait suivie dehors comme elle le lui avait demandé, et la voilà qui s’était mise aussitôt à soigner les gens avec application. Sans relâche, elle posait les mains sur eux et leur rendait la paix.

Les rumeurs disaient donc vrai. C’était bien elle, la bienheureuse Prêtresse de la Guérison, capable de soulager la douleur d’un simple toucher. Les habitants des maisons alentour s’étaient rassemblés en cercle autour d’elle, et elle les guérissait l’un après l’autre, sans répit.

— Alors, il existe vraiment des saintes comme elle… murmura Heikichi si bas que personne ne l’entendit.

Elle ne leur offrait pas seulement le salut, elle le faisait avec un sourire, acceptant et pardonnant la laideur de leurs cœurs alors qu’ils l’imploraient, avides, de les aider immédiatement. Pour Heikichi, c’était là le véritable miracle.

Mais aussi sainte qu’elle parût, son altruisme avait quelque chose d’inquiétant. Les gens ordinaires ne pouvaient se dévouer ainsi sans rien attendre en retour. Lui, en tout cas, en était incapable. Rien que pour cela, Azumagiku sortait de l’ordinaire.

Heikichi continuait d’observer cette scène irréelle quand un remous attira son attention au-delà du cercle des malades. Il quitta la prêtresse pour voir ce qui se passait.

— Tasuke-san, viens, viens vite ! La prêtresse est là !

— Laissez-moi tranquille. Je n’ai pas besoin d’elle.

Deux vieillards, tous deux au-delà de la cinquantaine, semblaient se disputer. Non, le mot était mal choisi : l’un d’eux criait à l’autre de venir voir la prêtresse, mais l’homme qu’il appelait Tasuke secouait simplement la tête, l’air accablé.

— Je ne t’empêche pas d’y aller, mais moi, ça ira. Vraiment.

Tasuke n’avait pas l’accent typique des habitants de Kyoto. Il venait sans doute d’ailleurs. Il tourna les talons et s’éloigna d’un pas hésitant, sans se retourner, jusqu’à disparaître.

— Tasuke-san… Pourquoi ?

Ignorant le tumulte, Heikichi reporta son regard sur Azumagiku. Elle était belle, mais semblait d’une distance effrayante.

Il resta là, immobile, à contempler son profil tandis qu’elle poursuivait son œuvre.

 

 

— Alors c’est de ça que vous parliez, quand vous disiez vouloir un garde du corps, hein ?

Le soleil s’était déjà couché lorsqu’ils regagnèrent le temple abandonné, plongé dans la pénombre. Assis face à face, Heikichi poussa un long soupir de lassitude.

— Je vous prie de m’excuser. Je ne sais jamais vraiment quand il convient de m’arrêter.

La flamme vacillante de la lanterne de papier projetait une lumière tremblante. Azumagiku paraissait plus pâle qu’auparavant, sans doute à cause de la fatigue.

— Pas étonnant que vous n’ayez toujours pas trouvé la personne que vous cherchez. Vous n’essayiez même pas de la trouver.

— Vous avez parfaitement raison. Je vous présente encore mes excuses. Je ne souhaitais pas vous retenir aussi longtemps.

Après qu’elle eut soigné un nombre incalculable de personnes, Heikichi en eut assez et se résolut à disperser la foule. Ce n’est qu’alors qu’elle sembla reprendre conscience et cessa enfin de guérir. Elle n’avait fait aucun progrès dans sa recherche.

Il comprenait désormais pourquoi elle avait demandé un garde du corps.

Ce n’était pas pour assurer sa protection, mais pour repousser l’incessant flot de gens venus solliciter ses soins. Livrée à elle-même, elle aurait pu rester prisonnière de cette tâche sans fin. Elle avait donc besoin de quelqu’un d’assez ferme pour disperser la foule au bout d’un moment.

— Moi, ça va. C’est plutôt vous qui m’inquiétez. Vous n’êtes pas épuisée, Azumagiku-sama ?

— C’est supportable. Et je vous en prie, appelez-moi simplement Azumagiku.

— Hein ?

— J’ai dit qu’Azumagiku suffisait.

Elle gardait une grâce naturelle, mais révélait parfois une certaine obstination. Heikichi se sentit un peu gêné d’appeler ainsi par son seul prénom une femme qu’il venait à peine de rencontrer, mais elle semblait y tenir.

— Euh… bon, d’accord, A…Azumagiku.

— Merci.

Elle lui adressa un sourire sincère, bien éloigné de l’image solennelle de la Prêtresse de la Guérison. L’étrangeté qu’il avait perçue en elle plus tôt s’était dissipée. Elle paraissait désormais comme n’importe quelle jeune femme, et Heikichi se détendit.

— Alors, ce que vous avez fait tout à l’heure, quand vous touchiez les gens… c’est votre pouvoir ?

Heikichi ne s’attendait pas à une réponse claire. Le pouvoir d’un démon était son atout maître, rarement révélé.

Pourtant, à sa grande surprise, elle répondit sans détour.

— Mon pouvoir s’appelle Azumagiku, comme moi. Il me permet d’effacer et d’altérer les souvenirs. Malgré le titre qu’on me donne, je ne suis pas une guérisseuse. J’efface simplement les souvenirs douloureux et j’offre un court répit. Je ne peux rien faire de plus. C’est pour cela qu’on me nomme Azumagiku.

Ses yeux reflétaient une profonde tristesse. Elle désirait sauver bien plus de gens, mais n’en avait pas la force. Sa propre impuissance semblait la tourmenter.

Pris d’un léger remords, Heikichi murmura :

— Désolé. Ma question manquait de tact.

— Pas du tout. Cela ne me dérange pas, répondit-elle avec un doux sourire.

Face à une expression pareille, il n’y avait qu’une seule chose à dire.

— J’accepte votre requête. Évidemment, je ne pourrai pas venir tout le temps, mais je passerai quand je le pourrai.

— Utsugi-sama…

Ses yeux se remplirent de larmes de gratitude.

Il détourna le regard, un peu honteux, comme il le faisait autrefois quand il était plus jeune. Il n’avait pas changé sur ce point. Il aurait aimé paraître un peu plus assuré, mais tant pis.

— Je vous remercie infiniment. Cela me peine de le dire, mais je n’ai rien de vraiment significatif à vous offrir en échange.

— Pas grave, je ne m’attendais pas à grand-chose. Je prendrai ce rôle de garde du corps comme une pause dans mon travail habituel.

Il prit soin d’afficher un air détaché. Sa décision n’était pas purement émotive, il voyait là une occasion de s’entraîner, ou du moins, c’était ce qu’il se répétait. Il devait bien admettre que l’argument tenait à peine debout.

— Au fait, si je veux vous aider, j’ai quand même besoin de savoir un truc. Qui cherchez-vous, exactement ?

Il avait pris un ton léger pour ne pas la brusquer, mais sa réponse le laissa sans voix.

— C’est une excellente question. Je l’ignore moi-même.

Son visage prit une expression infiniment mélancolique, et son regard se perdit au loin. Elle ressemblait à un enfant ayant perdu tout lieu où rentrer.

— Hein ? Vous… vous ne savez pas ? Mais vous cherchez bien quelqu’un, non ?

— En effet. Je le cherche depuis toujours. Quelqu’un… Mais j’ignore qui. Tout ce que je sais, c’est que je l’ai toujours cherché.

Sans sourciller, une larme glissa le long de sa joue.

— Je vous en supplie, Utsugi-sama, prêtez-moi votre aide…

Sa voix tremblait d’une détresse poignante.

Devant un tel désespoir, Heikichi resta sans voix.

 

— Pfiou, quel beau temps aujourd’hui. Ça donne envie de se mettre au travail.

Le lendemain de sa visite à la prêtresse de la Guérison, Heikichi se rendit au Au Soba du Démon, où il trouva Jinya et Toyoshige en train de nettoyer devant leurs boutiques. Grâce au succès du nouveau pain fourré aux haricots rouges, la clientèle affluait désormais chez Mihashiya. Son propriétaire, Toyoshige, était ravi et, stimulé par cette réussite, s’était découvert une motivation nouvelle.

— J’imagine que les affaires marchent bien ?

— Et comment ! Et c’est grâce à toi, Kadono-san ! Je te revaudrai ça, quoi qu’il en coûte. Dis-moi seulement quand tu auras besoin de quelque chose.

— Je n’ai pas fait grand-chose. Ton succès, c’est le fruit de ton travail. Mais j’y penserai. Si j’ai besoin d’un service, je saurai à qui m’adresser.

Heikichi observait leur conversation avec un certain intérêt, jusqu’à ce que Jinya remarque sa présence.

— Oh, Utsugi.

— Salut.

Son ton était plus enjoué que la veille, puisque le travail s’était révélé sans danger.

— Vous sortez aujourd’hui, n’est-ce pas ? J’aimerais vous parler de quelque chose avant cela. Oh, et peut-être vous prendre un petit encas pour la route.

Pendant qu’il nettoyait, Toyoshige, qui avait entendu la conversation, bondit vers Heikichi, les yeux pétillants.

— Si tu cherches un encas, puis-je te recommander le célèbre pain aux haricots rouges Nomari de Mihashiya ?

Le regard de Heikichi se glaça. Il tourna les yeux vers Jinya plutôt que vers Toyoshige.

— Dis donc, c’est quoi, cette histoire de « pain aux haricots rouges Nomari » ?

— Eh bien… comment dire… On m’a demandé de trouver un nom pour leur nouvelle pâtisserie, et avant même que je m’en rende compte, c’est celui-là qui est resté.

Heikichi savait que Jinya adorait sa fille, mais à ce point-là ? Peut-être n’était-il pas aussi rationnel qu’il l’avait cru.

— …Bon, d’accord. J’irai prendre votre pain aux haricots rouges plus tard, finit par dire Heikichi.

— Merci beaucoup ! répondit Toyoshige avec entrain.

Heikichi lança un regard appuyé à Jinya. Celui-ci comprit aussitôt et hocha la tête sans un mot avant de retourner à l’intérieur de son restaurant.

Ils s’assirent à la première table libre, et Heikichi prit la parole.

— Vous connaissez une fleur qui s’appelle azumagiku ?

Cette question lui trottait dans la tête depuis la veille. La Prêtresse de la Guérison s’était elle-même comparée à une azumagiku. Heikichi savait simplement qu’il s’agissait d’une fleur, mais la portée symbolique de ses mots lui échappait.

Il pensa que Jinya pourrait peut-être lui en dire plus.

Malgré son air sévère, l’homme avait une connaissance étonnamment fine des fleurs. Pourtant, à sa surprise, Jinya garda le silence, comme s’il s’interrogeait sur la raison d’une telle question.

— Euh, je vous demande ça parce que je n’y connais rien en fleurs, moi. Mais vous, si, pas vrai ? ajouta Heikichi, un peu mal à l’aise d’avoir lancé le sujet sans transition.

Même ainsi, Jinya demeura silencieux, le visage impassible.

Les secondes s’étirèrent, lentes et pesantes. Heikichi commençait à se sentir nerveux.

— Azumagiku est un autre nom du miyakowasure, répondit enfin Jinya après un long moment.

Il semblait avoir retrouvé son calme habituel.

— Miyakowasure… ? répéta Heikichi.

Le nom lui paraissait étrange, sachant que miyakowasure signifiait littéralement « la capitale oubliée ».

— C’est une fleur bleu foncé, tirant parfois sur le violet, qui fleurit de la fin du printemps au début de l’été. Jadis, l’empereur Juntoku perdit une guerre et fut exilé sur l’île de Sado. Il pleura des jours durant, jusqu’à ce qu’un jour il découvre une fleur si belle qu’elle lui fit oublier, pour un temps, la capitale qu’il avait jadis appelée sa maison. Depuis, on appela cette fleur miyakowasure.

— Eh bien, vous en connaissez un rayon sur les fleurs.

— Mais non. Je ne fais que répéter ce que j’ai entendu dire. Et quel rapport tout ça a-t-il avec la Prêtresse de la Guérison ?

Heikichi manqua de sursauter. Trop stupéfait pour parler, il resta figé, se demandant comment Jinya avait pu deviner le lien si vite.

Jinya poussa un soupir agacé.

— Tu l’as rencontrée hier, non ? C’est logique de penser que ça a un rapport.

— O…oh, oui, c’est vrai. En fait, la Prêtresse de la Guérison s’est comparée à une azumagiku, alors je voulais juste savoir de quelle fleur il s’agissait.

— Vraiment ? Elle a de la finesse, alors. Pour une prêtresse qui offre un répit éphémère, le miyakowasure est une comparaison tout à fait appropriée.

— Ooooh.

La fleur avait permis à l’empereur Juntoku d’oublier un temps la capitale qu’il regrettait, tout comme la prêtresse effaçait les souvenirs douloureux pour offrir un bref apaisement. Heikichi comprenait enfin le sens de ses paroles. Dans ce genre de moment, il mesurait combien il manquait encore d’expérience. S’il avait été un peu plus cultivé, il aurait pu lui répondre hier par une remarque subtile et élégante.

— Merci pour l’explication. Une dernière chose : si vous deviez chercher quelqu’un, comment vous y prendriez ? demanda Heikichi.

— Moi ? Eh bien… je suppose que je chercherais des indices, en interrogeant les gens, ce genre de choses. Faut ratisser large.

— Ouais, logique…

Le problème, c’est qu’Azumagiku ne savait même pas qui elle cherchait. On ne pouvait pas trouver d’indices quand on ignorait jusqu’à l’identité de la personne recherchée.

— Et alors, qu’en as-tu pensé ? demanda soudain Jinya.

Pris au dépourvu, Heikichi resta bouche bée. Le regard de Jinya, calme, mais perçant, donnait l’impression d’un interrogatoire.

— De quoi ?

— De la Prêtresse de la Guérison. Qu’as-tu pensé d’elle ?

La première fois qu’il l’avait vue, sa peau pâle lui avait donné l’impression d’une femme malade. Mais Jinya ne parlait pas de son apparence. Il voulait savoir si Azumagiku était un démon ou une humaine.

— C’est un démon supérieur, mais je ne pense pas qu’elle puisse faire de mal à un humain.

— Je vois…

La réponse de Jinya fut faible, comme s’il n’était pas tout à fait convaincu. Il porta une main à son menton, baissa les yeux, songeur, puis releva lentement le visage, le regard soudain grave.

— D’accord, mais ne baisse pas ta garde pour autant.

— Je ne crois vraiment pas qu’elle soit du genre à me tromper, pourtant…

— Même dans ce cas.

Jinya demeura ferme, catégorique.

Heikichi supposa qu’il se montrait simplement méfiant parce qu’il ne l’avait pas rencontrée lui-même. Ce ton trop autoritaire l’irrita un peu, mais il se dit que c’était sans doute sa manière de s’inquiéter pour lui. Il ravala donc ses protestations et se leva.

— Je ferais mieux d’y aller, dit-il sèchement, sans trop savoir si c’était par agacement ou par empressement.

Il avait promis à Azumagiku de venir lui servir de garde du corps ce jour-là. Après avoir acheté quelques douceurs à lui offrir, il prit la direction du temple abandonné.

 

Akitsu Somegorou Troisième du nom tenait beaucoup à Heikichi, c’était précisément pour cela qu’il lui avait révélé si peu de choses à propos de Magatsume. Heikichi ignorait presque tout de Himawari et de Jishibari. Convaincu que la Prêtresse de la Guérison était un démon inoffensif, il jugea inutile d’en parler en détail à Jinya.

Et ce fut son erreur. Il aurait dû se méfier d’un démon portant le nom d’une fleur.

— Utsugi-sama.

Quand Heikichi revint au temple abandonné, la Prêtresse de la Guérison l’attendait, assise dans la même position que la veille.

Elle l’accueillit d’un léger sourire, à peine esquissé du coin des lèvres. Son expression ne trahissait guère d’émotion.

Azumagiku était d’une beauté traditionnelle, mais Heikichi n’aimait pas la manière dont elle se tenait. Elle paraissait étrangement dénuée d’égoïsme, et ses sourires manquaient de chaleur. Ceux de Nomari étaient bien plus sincères…

Heikichi chassa cette pensée terre à terre. Même s’il n’était pas payé, il avait accepté ce travail et se devait de le mener à bien sans se laisser distraire.

— Quelque chose ne va pas ? demanda Azumagiku, remarquant son comportement étrange.

Gêné, il s’efforça de garder contenance. Il tenta d’imiter l’air impassible du propriétaire du restaurant de soba, mais en vain : les coins de sa bouche tressautaient visiblement.

— Non. Tout va bien.

— Vraiment… ?

Un léger malaise s’installa. Ne sachant plus que faire, Heikichi sortit un petit paquet de dessous son manteau.

— Ah, euh… J’ai apporté des pâtisseries. C’est du pain aux haricots rouges Nomari. C’est très populaire en ce moment, alors je me suis dit que ça vous plairait peut-être.

— Sans rire ? Vraiment ?

Cette fois, ce fut lui qui la regarda d’un œil froid. Son attitude posée de prêtresse s’était instantanément évaporée. Elle serra les poings devant elle avec une joie enfantine, comme une jeune fille de quinze ans.

— Ahem. Pardonnez mon emportement…

En remarquant son regard, elle se racla la gorge et se redressa aussitôt. Hélas, sa dignité perdue ne se retrouvait pas si facilement.

— C’était quoi, ça ?

— De quoi parlez-vous ?

— Ce que vous venez de faire, là. Ne me dites pas que vous jouez la comédie depuis le début.

Sous la pression de son regard sévère, elle finit par tout avouer, les lèvres boudeuses comme une enfant grondée.

— Je me disais juste que ça faisait plus « prêtresse », voilà tout.

La Prêtresse de la Guérison se révélait donc bien moins gracieuse qu’elle ne le laissait paraître. L’image qu’il s’était faite d’elle s’effondra complètement.

— Bon… Si ça vous amuse, après tout, fit-il simplement.

L’atmosphère raide et solennelle s’était totalement détendue. Azumagiku mordit dans le pain aux haricots rouges Nomari en affichant un grand sourire. Elle n’avait plus rien de la sainte femme de la veille, c’était sans doute là son vrai visage.

— Je n’ai pas souvent l’occasion de manger des sucreries, puisque je reste enfermée ici. Sortir ne ferait que recommencer ce qui s’est passé hier, dit-elle entre deux bouchées.

— Mangez ou parlez. Pas les deux.

— Qu’est-ce que vous avez, aujourd’hui ? Vous êtes bien plus impoli qu’hier.

— Et pourquoi, d’après vous ?

Elle laissa échapper un léger rire et détourna le regard.

Son brusque changement d’attitude surprit Heikichi, mais au fond, il la préférait ainsi. Sous cette apparence, elle ressemblait davantage à une fille ordinaire de la ville qu’à une créature hors de toute compréhension.

— Enfin, bref… Attendez. Ne me dites pas que la requête de l’autre jour était un mensonge, elle aussi ?

— Quelle grossièreté. Je n’ai menti sur rien. J’ai vraiment besoin d’un garde du corps, et je cherche bel et bien quelqu’un… quelqu’un dont j’ai oublié le nom et le visage. Tout ce que je sais, c’est que je le cherche depuis très longtemps.

Sa voix s’adoucit à la fin, et elle adressa à Heikichi un sourire fragile.

Il ne pensait pas qu’elle cherchait à le tromper. Il n’avait rien de concret pour appuyer cette impression, mais il doutait qu’une telle sincérité puisse être feinte.

— Hmm. Vous ne vous souvenez vraiment de rien à propos de cette personne ?

— …Non.

— Dans ce cas, vous partez mal, non ?

Il croisa les bras, songeur, se demandant comment avancer avec si peu d’informations. Mais ses paroles suivantes le laissèrent sans voix.

— Ce n’est pas grave. Je veux simplement la voir.

— Hein ?

— Je saurai tout de suite que c’est elle, dès que je poserai les yeux sur elle. J’en suis certaine. Après tout, je suis née pour la rencontrer.

Sa voix était lasse, alourdie par la fatigue, mais remplie d’une émotion si vive qu’elle en paraissait brûlante. Heikichi ne pouvait saisir la profondeur de ce qu’elle ressentait, non pas qu’elle dissimulait quoi que ce soit, mais parce qu’il n’existait rien, pour lui, auquel il crût avec une telle force. Il n’avait rien dont il aurait pu dire qu’il était né pour cela.

Il la regarda de côté. De profil, elle paraissait bien plus belle ainsi que lorsqu’elle se donnait des airs de prêtresse.

Et pourtant, une solitude douce et silencieuse émanait d’elle.

 

***

 

Pendant que Heikichi rencontrait la Prêtresse de la Guérison, Jinya s’était rendu dans une rangée de maisons de ruelle pour une affaire à lui.

— …Oh, c’est vous.

Le client était un vieil homme d’une cinquantaine avancée, peut-être soixante ans. Il avait demandé à Jinya d’enquêter sur la Ruelle Inversée, et, si possible, d’y mettre fin, après la mort d’un ami qui s’y était aventuré.

— Désolé de vous avoir fait venir jusqu’ici.

— Ce n’est rien. Pouvez-vous me parler de cette ruelle plus en détail ?

— C’est bien là le problème, j’n’en sais pas grand-chose, répondit le vieil homme avec un air d’excuse.

Le client n’avait aucune information à fournir sur la Ruelle Inversée. Jinya avait mené sa propre enquête préliminaire, mais en était ressorti presque bredouille.

L’histoire de la Ruelle Inversée était terrifiante. Quiconque en apprenait l’existence se mettait à frissonner sans fin de peur, puis mourait avant que trois jours ne s’écoulent. La première victime qui l’avait vue était devenue folle avant de rendre l’âme. Tous ceux qui avaient entendu ses divagations furent à leur tour trop terrifiés pour répéter ses paroles, quel que fût celui qui les interrogeait. Finalement, ils périrent eux aussi, et, peu à peu, il ne resta rien d’autre que le nom même de la Ruelle Inversée.

Telle était la sinistre légende.

C’était tout ce que Jinya avait pu rassembler à son sujet. En somme, seul le nom « Ruelle Inversée » subsistait. Personne en vie ne savait ce qu’elle était réellement. Ou du moins, c’était ainsi que l’histoire se transmettait.

— On dit que parler de la Ruelle Inversée porte malheur, expliqua le vieil homme. — Tous ceux qui en entendent parler meurent. Personne de vivant ne sait ce qu’elle est vraiment. Et, bien sûr, moi non plus.

— Mais vous savez où elle se trouve.

— Ça oui. Je ne sais pas comment, je ne devrais même pas le savoir, mais je sais où elle est. J’en ignore la raison, je le sais, c’est tout.

Le vieillard affirmait avoir découvert l’emplacement de la Ruelle Inversée, et que son ami y avait perdu la vie. Il n’aurait pu deviner qu’il s’agissait de cette ruelle sans l’avoir vue de ses propres yeux, et pourtant il était persuadé qu’elle avait tué son ami, sans même comprendre pourquoi il en était certain.

Il tremblait, le visage déformé par la peur. Ce n’était pas une comédie : son effroi semblait bien réel.

— Je vois. Pourriez-vous m’y conduire ? demanda Jinya.

— Je n’oserais pas vous y emmener moi-même, mais je peux vous mener tout près.

— Cela suffira.

Il ne pouvait rien conclure sans s’y rendre lui-même. Et malgré tout ce mystère, il ne ressentait aucune crainte. Les histoires de fantômes fondées sur l’inconnu étaient monnaie courante, et presque toujours inventées. La Ruelle Inversée n’était probablement qu’une légende urbaine. Pourtant, il était étrange qu’un récit imaginaire ait gagné une telle ampleur. Jinya en était convaincu : quelque chose, ou quelqu’un, se cachait derrière tout cela.

Il cherchait à enquêter sur le plus grand nombre possible de phénomènes surnaturels, persuadé qu’un jour, l’un d’eux le mettrait sur la trace de Magatsume.

Guidé au-delà des ruelles, il atteignit un quartier dense en sanctuaires et temples. Non loin de là se trouvait une allée, dissimulée dans l’ombre des bâtiments environnants, hors de portée de la lumière.

Le vieillard avait déjà pris la fuite, effrayé. L’endroit, cependant, paraissait parfaitement ordinaire. Jinya ne ressentait aucune présence démoniaque. Il laissa échapper un grognement, pensant être tombé sur une fausse piste, lorsqu’un autre vieil homme surgit soudainement.

— Excusez-moi, que faites-vous ici ?

La voix venait d’un petit homme au dos voûté, à peu près du même âge que le client précédent. Il semblait soupçonner Jinya, sans doute parce qu’il l’avait trouvé planté là, songeur, devant une allée obscure.

— Veuillez m’excuser. Je mène actuellement une enquête sur ce qu’on appelle la Ruelle Inversée.

— …Vraiment ? répondit le vieil homme.

— Oui. Plusieurs personnes sont mortes récemment, et beaucoup disent que c’est à cause de cette histoire de Ruelle Inversée. On m’a chargé d’enquêter là-dessus.

Jinya avait choisi de jouer la carte de la franchise afin de ne pas paraître suspect et, peut-être, d’obtenir quelques informations. Ce fut sans doute une bonne idée, car l’expression de méfiance du vieil homme se mua en un mélange d’agacement, de lassitude et de douleur.

— Je vois. Mais vous perdez votre temps. Ce que vous voyez là n’est qu’une ruelle ordinaire. La Ruelle Inversée n’existe pas.

Les paroles du vieillard sonnèrent étrangement. Jusqu’ici, tous ceux que Jinya avait interrogés affirmaient que la Ruelle Inversée existait, mais qu’on ne pouvait rien en savoir de précis. Cet homme, lui, affirmait clairement le contraire. Une telle certitude ne pouvait venir que de quelqu’un qui connaissait la vérité.

— Vous savez quelque chose ? demanda Jinya.

Après un bref silence, l’homme hocha la tête.

— …Oui.

Jinya était persuadé qu’il disait vrai. Peut-être même connaissait-il l’histoire entière. Son attitude grave en disait long.

— Je m’excuse de ne pas m’être présenté plus tôt. Je m’appelle Kadono, je tiens un restaurant de soba dans la rue Sanjyou. Puis-je connaître votre nom ?

— Tasuke. Si vous voulez poser des questions, allez donc au sanctuaire tout près.

— Merci.

Tasuke se détourna et s’éloigna. Jinya ne tenta pas de le retenir. L’homme lui aurait sans doute répondu s’il avait insisté, mais il n’avait aucun moyen de vérifier la véracité de ses propos. Mieux valait enquêter par lui-même.

Pour commencer, il fit un pas délibéré dans la ruelle. Mais il s’arrêta avant d’en faire un second.

— Qu… ?

Il n’y avait rien là, un instant plus tôt. Il était certain de n’avoir pas baissé sa garde. Et pourtant, juste devant lui, se dressait une ombre noire, assez proche pour qu’il puisse la toucher.

Jinya porta aussitôt la main à Yarai, mais l’ombre s’anima avant qu’il n’ait le temps d’agir. Sa silhouette vaguement humaine se déforma, s’effritant pour se répandre comme une tache sombre.

— Ah.

Il n’eut pas le temps d’esquiver ni même de crier. L’ombre l’enveloppa tout entier.

 

Nul ne saurait dire combien de temps s’écoula.

Il dormait. Il en eut conscience. Mais son corps était si lourd qu’il ne parvenait pas à trouver la volonté de se réveiller.

— …ta, il fait déjà jour… réveille-toi…

Sa conscience émergea lentement. La matinée était douce, presque assez pour le replonger dans le sommeil.

— Nomari… ? murmura-t-il d’une voix pâteuse.

Il aurait voulu dormir encore, éternellement si c’était possible, mais il le savait bien : il ne le pouvait pas. Luttant contre la torpeur, il ouvrit ses paupières lourdes et se redressa. Il allait remercier sa fille de l’avoir réveillé lorsque quelque chose lui parut étrange.

— Bonjour.

Celle qui le tirait du sommeil avait de longs cheveux noirs et soyeux, une peau blanche comme la neige. Il resta un instant captivé par son doux sourire, jusqu’à ce que son esprit, lentement, s’éclaircisse et saisisse l’invraisemblable.

— Bon sang, Jinta. Tu ne peux décidément rien faire sans ta grande sœur.

Le temps s’arrêta.

Au plus profond de son cœur, il avait longtemps désiré la revoir. Pourtant, à présent qu’elle se tenait devant lui, il ne savait plus que ressentir.

Car la personne qu’il avait sous les yeux ne pouvait pas être là.

Itsukihime, celle qui priait pour la déesse de Kadono, Mahiru-sama.

Jinya murmura le nom qu’il avait jadis prononcé autrefois :

— …Shirayuki ?

Comment celle qui avait quitté ce monde pouvait-elle se trouver devant lui, maintenant ?

 

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