SotDH T5 - CHAPITRE 2 PARTIE 2
Fleur Stérile (2)
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Traduction : Calumi
Correction : Raitei
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Jinya avait promis la veille d’aller se promener avec Nomari, aussi ferma-t-il le restaurant après le déjeuner. Somegorou fut stupéfait de trouver l’endroit clos, mais Jinya n’avait jamais eu grand intérêt à le maintenir ouvert, puisqu’il ne s’agissait pour lui que d’un moyen de se fondre dans la société. Remercier sa fille de l’avoir consolé dans sa faiblesse lui paraissait infiniment plus important.
Nomari était déjà prête à sortir, et il ne voulait pas la faire attendre. Il se changea rapidement, ôtant ses habits de travail pour enfiler un sous-kimono, puis un long kimono ceinturé. Il ajouta un hakama, complétant ainsi une tenue entre le formel et le décontracté. Aucun sabre ne pendait à sa taille.
Son flanc lui paraissait plus léger qu’à l’accoutumée, et cette sensation l’agitait un peu. Il savait que c’était inévitable, mais l’inconfort persistait malgré tout. Il n’avait nullement l’intention d’abandonner la lame, puisqu’il lui fallait une arme pour terrasser les démons. Mais il ne voulait pas porter de sabre en plein jour et risquer d’avoir des ennuis avec les autorités. Peut-être qu’autrefois il s’en serait moqué, mais il avait Nomari désormais, et il ne voulait pas lui causer d’inquiétude.
— Je me suis souillé, hein ? murmura-t-il, se souvenant des paroles qu’un autre avait prononcées jadis.
Jinya s’était chargé de fardeaux superflus qui n’avaient fait que diluer la pureté de son véritable objectif. Il s’exaspérait de ne pas avoir su rester pur, mais il voyait encore du mérite dans cette manière d’être.
Même ainsi, une ombre demeurait suspendue sur son cœur, et il ne savait comment la décrire exactement. Pour l’heure, il ajusta son col et acheva de se préparer.
— Prête, Nomari ?
— Oui ! répondit-elle avec un grand sourire lorsqu’il la rejoignit à la porte.
L’idée qu’il pouvait contempler ce sourire simplement en laissant Yarai derrière lui allégea un peu son cœur.
Ils marchèrent dans les rues, main dans la main, sans but précis, mais cela suffisait à rendre Nomari heureuse. Pourtant, elle ne se laissait pas emporter par sa seule joie. Elle marchait à sa gauche, du côté où il portait d’ordinaire son sabre, comme pour compenser l’absence de Yarai. Sa délicate attention lui rappela combien il avait élevé une fille aimante, et il en éprouva un peu de bonheur. Les enfants grandissent si vite, songea Jinya, et cela apporte autant de joie que de tristesse. Comme il est difficile d’être père.
— Kadono-sama ?
Après avoir longé la rue Sanjô quelque temps, ils croisèrent Kaneomi qui rentrait Au Soba du Démon. Elle avait le même air que d’habitude : sa longue chevelure noire, sa tenue imposante et le sabre à sa hanche.
— Tu rentres, Kaneomi ?
— Oui. Le restaurant est fermé ?
— Oui. Nous avions des affaires à régler.
Il évita de préciser que ses affaires consistaient à se promener avec sa fille.
Kaneomi posa les yeux sur sa taille et esquissa un faible sourire.
— Comme c’est surprenant. Je crois bien ne t’avoir jamais vu sortir sans sabre.
— Oui, eh bien, ce serait un problème de se faire attraper avec.
Il jeta un regard vers Nomari, et Kaneomi hocha la tête, comprenant. Porter un sabre était désormais un crime. En tant que père de Nomari, il ne pouvait se permettre d’avoir des ennuis avec la loi.
— Pour ta fille, hein ? Voilà qui te ressemble bien.
— Je vois que tu as apporté le tien.
— Bien sûr. Cette lame est ce que je suis. Je ne peux pas m’en séparer.
Elle toucha doucement son Yatonomori Kaneomi.
Jinya ne lui en fit pas reproche. Il n’en avait de toute façon pas le droit, puisqu’il possédait lui aussi quelque chose dont il ne pouvait se détacher.
— J’imagine que tu ne peux pas non plus te séparer de ton sabre, Kadono-sama. Tu l’as seulement laissé derrière toi pour l’instant, je me trompe ?
Elle avait raison. Il ne portait pas de sabre à cet instant parce qu’il marchait avec sa fille, mais il n’avait pas renoncé à son but. La vendetta et le port du sabre avaient beau être devenus illégaux, sa haine, elle, demeurait.
Jinya ressentait vivement le rythme effréné de l’ère nouvelle. Tant de choses changeaient, et lui restait en arrière.
— Je rentre la première.
— Ah. Très bien.
Kaneomi mit rapidement fin à la conversation et s’éloigna, se mettant bientôt à courir légèrement avant de disparaître de la vue.
— On dirait qu’elle est pressée.
— Père, regarde.
Nomari désigna un groupe d’officiers de police. Kaneomi avait dû fuir pour éviter d’être arrêtée avec son sabre. Elle ne pouvait l’abandonner, mais il semblait qu’elle ne souhaitait pas non plus affronter inutilement les forces de l’ordre.
— Il y a beaucoup d’officiers, hein ? fit-il.
— Oui. Peut-être qu’il s’est passé quelque chose ?
Nomari parcourut les environs du regard. Plusieurs hommes patrouillaient, visiblement agités.
Jinya avait pris l’habitude de marcher vers l’endroit où il semblait y avoir du grabuge, une habitude forgée par des années à suivre les rumeurs de démons. Non loin de la rue Sanjyou se trouvait le temple Chion-in.
La route qui y menait commençait près de la rivière Shirakawa, à l’endroit même où se dressait une ancienne porte connue sous le nom de Kawarabuki. L’agitation semblait provenir de là.
— Reste près de moi, Nomari.
— D-d’accord.
Elle se blottit contre son père, percevant l’air s’alourdir autour de lui. Il restait aux aguets en avançant. Soudain, une voix l’appela.
— Kadono-san ?
C’était Mihashi Toyoshige, le propriétaire du Mihashiya, la confiserie voisine du Soba du Démon.
— Oh, je vois que c’est une sortie de famille.
— Bonjour. Nous sommes sortis tous les deux.
Nomari salua poliment l’homme d’une révérence.
Toyoshige la salua en retour, puis reporta son regard vers la foule en fronçant les sourcils. Il semblait être l’un de ces nombreux badauds attroupés sur les lieux.
— Mihashi-dono, puis-je savoir ce qui s’est passé ici ? demanda Jinya.
— Oh… Eh bien, ce n’est pas vraiment quelque chose qu’une jeune fille devrait entendre…
Il se gratta la tête et maugréa comme à son habitude. Puis il se pencha pour que Nomari n’entende pas et chuchota :
— On dirait que quelqu’un est mort.
De fait, ce n’était pas une nouvelle convenable pour une enfant.
Jinya répondit à voix basse lui aussi.
— Un accident ?
— Un meurtre. Apparemment, un tueur en série est en liberté. On croirait presque être revenus à l’époque d’Edo.
L’homme essaya de hausser les épaules avec désinvolture, mais son dégoût transparaissait sur son visage.
— Sans doute l’un de ces rônins qui n’a pas réussi à s’adapter. Stupide, vraiment. Rien n’est plus honteux que de ne pas savoir vivre avec son temps.
Jinya n’eut rien à répondre. Après tout, il était lui-même de ceux qui ne parvenaient pas à s’adapter à l’ère nouvelle.
Saisissant la raideur de Jinya, Toyoshige lança sur le ton de la plaisanterie :
— Quoique je suis mal placé pour parler, vu que je tiens une confiserie qui ne marche pas…
En guise de remerciement, Jinya esquissa un mince sourire. Ses joues lui semblaient rigides.
— Enfin bref, vous devriez rentrer tôt tous les deux, Kadono-san. On ne sait jamais si c’est encore dangereux dehors.
— Et toi ?
— Bah, difficile pour moi de rentrer maintenant. Ma femme voulait que je trouve de nouvelles sucreries, mais rien ne me vient en tête. Ah, bon sang…
D’un pas lourd, l’homme s’éloigna de la foule.
Jinya posa une fois encore les yeux sur le mur de gens. Avec une telle masse regroupée, il serait difficile d’apprendre quelle tragédie s’était produite. Cela l’empêchait de récolter des informations, mais au moins Nomari n’aurait pas à voir l’horrible spectacle.
— On rentre, alors ? dit-il.
— Oui…
Elle acquiesça, un peu découragée. Leur première sortie ensemble depuis longtemps s’achevait sur une note amère.
***
Une silhouette observait le père et la fille tandis qu’ils s’éloignaient.
— Hmph. Oncle Jinya et Nomari-chan sont toujours si proches.
Himawari, l’aînée de Magatsume, fit la moue. En tant que démone, elle paraissait aussi jeune qu’autrefois. Ses yeux cramoisis ne brillaient d’aucune animosité, son regard n’était pas méprisant, mais boudeur.
— Comme c’est agaçant. Enfin, merci encore pour votre aide cette fois.
— Ce fut un plaisir, répondit la voix grave du démon qui se tenait aux côtés de Himawari.
— Ce n’était pas trop désagréable, j’espère ?
— Pas le moins du monde. Je n’ai fait qu’abattre un porc engraissé par la paix. Je n’ai eu aucune réserve.
La démone avait tué un homme qui avait autrefois été samouraï. Cet ancien samouraï n’avait rien accompli de notable durant la période du Bakumatsu, s’étant simplement trouvé du côté de l’armée du nouveau gouvernement. Mais cela seul lui avait suffi pour obtenir une place, aussi modeste fût-elle, dans le gouvernement Meiji. Tout à fait écœurant à son sens.
— Si vous le dites. Nous vous devons beaucoup, en tout cas. C’est grâce à vous que nous avons tant de cadavres à utiliser, même si je m’attends à ce que nos gêneurs commencent à s’en apercevoir.
À force d’amasser autant de corps, ils finiraient immanquablement par attirer l’attention des chasseurs de démons. Un chasseur de démons en particulier venait à l’esprit de Himawari, et cela mettait une pointe d’excitation dans sa voix.
— Je dirais qu’il est temps d’arrêter là.
— Arrêter pour de bon ?
— Oui. Je ne voudrais pas trop forcer les choses et mettre trop en colère oncle Jinya.
— Je comprends. Dans ce cas, je vais me consacrer à mes propres desseins.
Sans expression, la démone tourna les yeux vers la direction où Jinya était parti.
— Vous comptez vraiment l’affronter ?
— Bien sûr. Vous m’avez donné l’occasion de le faire et vous avez ma reconnaissance.
— Mais vous savez à quel point il est fort, n’est-ce pas ?
— En effet. Mais c’est précisément pour cette raison que je dois le défier.
La démone s’éloigna, puis prit forme humaine et se fondit dans la foule.
— Un adieu n’aurait pas coûté grand-chose, marmonna-t-elle en fronçant légèrement les sourcils.
Elle plaisantait, pourtant. Elle n’était nullement en colère.
Le seul but de ce démon parti avait toujours été d’affronter Jinya. Il avait tué des humains pour remercier Himawari de lui avoir sauvé la vie, mais sa dette était à présent réglée. Ils ne se devaient plus rien, et il n’y avait donc aucune raison d’éprouver ni colère ni gratitude l’un envers l’autre.
— Vous êtes une fleur stérile, hein ?
Elle songea à ce démon qui venait de partir, en le comparant à une fleur stérile, fleurissant en vain sans jamais porter de fruits.
Il était condamné à éclore, puis à se disperser en tous sens, sans rien laisser derrière.
Aucune parole ne put franchir ses lèvres pour le retenir.
***
— Ça ne ressemble pas à un simple tueur en série en liberté.
Ce soir-là, une fois le travail terminé, Jinya fit venir Somegorou au restaurant. Tous deux s’assirent face à face et burent en discutant du récent incident.
— Qu’est-ce qui te fait dire ça ? demanda Jinya.
Bien qu’il bût, son regard restait acéré.
— Eh bien, pour commencer, il a fallu un certain temps avant que ces incidents soient remarqués, parce qu’aucun corps n’a été retrouvé.
Somegorou avait laissé tomber son sourire habituel pour arborer l’expression sombre du chasseur de démons.
— Au mieux, on retrouvait un bras ou une tête, mais jamais de corps entier, malgré tout le sang présent sur les lieux. Toute cette affaire pue l’influence surnaturelle.
— J’ai entendu la même chose. Mais pourquoi le tueur n’aurait-il pas simplement caché les corps ?
— Dans quel but ? Il est évident qu’un meurtre a eu lieu. Il est plus logique de penser que quelqu’un fait tout son possible pour récupérer ces corps.
Somegorou était réfléchi, doté d’une intuition aiguisée ; son avis pesait plus que celui de la plupart des gens. Si le tueur s’en prenait aux cadavres plutôt que d’assouvir une rancune ou de tuer pour de l’argent, alors il devait bien y avoir une raison à cela.
— Je n’ai aucune idée de l’usage qu’on peut faire de ces corps, mais je doute que ce soit pour quelque chose de bon, dit Somegorou. — Je vais continuer à enquêter de mon côté.
— Très bien.
Si une force sinistre agissait dans l’ombre, Jinya la détruirait. Sa manière de vivre n’avait pas changé, même en cette ère nouvelle où les sabres n’avaient plus leur place. Les démons ne pouvaient échapper à leur nature.
Il se rappela une fois de plus qu’il n’était qu’un homme sans talent, bon à rien d’autre qu’à manier un sabre.
Il vida sa coupe. L’alcool chaud glissa dans sa gorge, mais il n’en trouva aucun goût agréable.
Quelques jours après que Somegorou eut dit qu’il mènerait son enquête, Jinya se leva tôt le matin et se rendit à l’ancienne porte Kawarabuki.
La présence des officiers de police dans le secteur l’avait empêché de s’approcher aussitôt, aussi avait-il patienté quelques jours. Sans doute toute trace du meurtre avait disparu à présent. Mais, faute d’autre piste, il s’y rendit quand même.
— Hm. Plus rien, murmura-t-il.
Les policiers étaient partis, comme il l’espérait, mais il ne restait même plus de taches de sang, encore moins un corps. Il s’y attendait, mais cela restait décevant.
Il avait une raison de revenir ici. Ces derniers jours, il s’était renseigné sur le meurtre, et il était évident qu’il ne s’agissait pas d’un incident isolé. D’après ce qu’il avait appris, c’était le huitième. Deux des victimes avaient été tuées au sabre, ce qui faisait croire à un tueur en série en liberté. Mais ces meurtres n’avaient rien d’ordinaires. Deux avaient été commis au sabre, certes, mais la cause de la mort des six autres restait inconnue, aucun cadavre n’ayant été retrouvé, seulement des flaques de sang et des lambeaux de chair. L’absence de corps compliquait l’identification des victimes et avait retardé toute annonce publique des faits. Il était facile de supposer qu’un démon était derrière tout cela.
Jinya n’avait aucun indice. Il se creusait la tête, se demandant que faire, lorsqu’il remarqua soudainement une anomalie et se mit en garde.
Un parfum familier venait de lui parvenir, un parfum qui n’aurait pas dû subsister en ce lieu, même si un cadavre s’y était trouvé quelques jours plus tôt. La netteté de cette odeur signifiait que sa cible n’avait aucune intention de se cacher.
— Haaaah !
Un démon sauta du toit de la porte en poussant un cri, comme s’il ne voulait pas surprendre sa victime par ruse. Sa peau était d’un rouge sombre, couleur du sang, et il tenait un immense tachi, plus long que sa propre taille. Il balança sa lame vers le bas, visant à fendre Jinya en deux.
La frappe descendante était hasardeuse. Jinya fit un bond en arrière pour éviter le coup, et la lame heurta la terre en soulevant de la poussière.
Une odeur de rouille et de soufre vint se coller aux narines de Jinya. Il la reconnut : du sang…
Le démon rouge devant lui exhalait la puanteur épaisse et suffocante du sang, pourtant il ne portait aucune blessure apparente, et sa lame ne semblait mouillée d’aucune substance.
— J’ai une requête à t’adresser.
— Voilà une façon sacrément singulière de commencer après m’avoir attaqué.
— Mes excuses. Je souhaite un duel à mort avec toi, mais l’empressement a eu raison de ma personne.
Le démon parlait avec une politesse surprenante et paraissait sincère. Dans ce cas, Jinya n’avait pas le droit d’être grossier en retour. Il n’avait pas Yarai avec lui, car le décret d’abolition du port du sabre rendait difficile le port d’arme en plein jour. Quelle imprudence de sa part.
— Penser que ce serait toi, parmi tous, à être sans sabre. Quelle déception. Cela me peine à vrai dire.
La tournure du démon troubla Jinya. Il parlait comme s’ils se connaissaient, mais Jinya ne se rappelait pas l’avoir rencontré. L’étrangeté de ses paroles le rendit encore plus méfiant.
— As-tu abandonné le maniement de la lame ?
— Non. Je n’ai fait que découvrir d’autres choses auxquelles je tiens, répondit Jinya d’un ton plat.
Bien qu’il fût peiné de sentir sa lame s’éloigner de lui, il avait vraiment trouvé d’autres choses qu’il chérissait en compensation.
— Je vois… dit le démon, irrité par la réponse, sans chercher à dissimuler son hostilité. — Quel dommage. Il semble que tu mourras ici comme un lâche, effrayé à l’idée de manier une lame.
Son regard se fit plus aigu. Apparemment incapable d’attendre davantage, il bondit en avant.
Le jeu de jambes du démon était net. Il ne fonça pas en comptant sur la seule force physique ; il incorpora une technique d’escrime assez nette. Il prit appui sur son pied gauche et bondit à portée, des mouvements tirés des manuels. Puis il frappa de haut en bas, montrant encore une fois des fondamentaux irréprochables.
Jinya n’avait pas d’arme, et il n’y avait pas assez de temps pour esquiver. La lame qui s’approchait le frappa en diagonale à la poitrine, mais au lieu de trancher, elle fit retentir un son métallique aigu. Le démon entailla les vêtements de Jinya, mais s’arrêta au ras de sa peau.
Le démon parut stupéfait, et Jinya le regarda d’un air impassible.
— Pensais-tu que j’étais sans défense simplement parce que je n’avais pas de sabre ? Tu me sous-estimes.
Jinya avait invoqué l’Inébranlable, le vœu de Tsuchiura pour un corps incassable devenu réalité. Son corps ne se laissait pas trancher si facilement, et même sans sabre, il possédait encore des moyens de combattre.
— Venez, Esprits canins.
Il leva son bras gauche, et une brume noire se forma, se solidifiant en la silhouette de trois chiens sombres. Ceux-ci se ruèrent à l’assaut, visant respectivement la gorge, le bras et la jambe du démon. Celui-ci les dispersa d’un coup de sa longue lame, mais ce laps de temps offrit à Jinya l’ouverture dont il avait besoin.
— Gah ?!
Les esprits canins n’étaient qu’une diversion. L’attaque véritable de Jinya fut un coup d’épaule de tout son poids, directement dans le plexus solaire du démon. Incapable de se défendre, celui-ci fut projeté en arrière.
Mais ce coup à mains nues était loin d’être fatal, et l’absence d’arme se révélait problématique. Le démon se releva rapidement et posa sur Jinya un regard qui, à sa grande surprise, ne contenait pas d’animosité, mais de la joie.
— Il semblerait que je t’aie sous-estimé. Tu es aussi fort que je l’espérais. Mais malgré tout…
Sa voix s’alourdit tandis qu’il crachait :
— Je n’aurais pas voulu te voir sans lame.
Le démon bondit en arrière, puis se retourna et s’enfuit sans la moindre hésitation, laissant Jinya seul devant l’ancienne porte. Celui-ci ne le poursuivit pas. Malgré ses efforts, l’absence de sabre s’était avérée décisive, et il ne voulait pas risquer de continuer le combat et de voir la situation se retourner contre lui.
Plus encore, cette rencontre lui laissait une sensation de malaise telle qu’il n’avait pas le cœur à donner la chasse.
Le démon semblait le connaître, mais Jinya avait beau se creuser la mémoire, il ne se souvenait pas l’avoir affronté. Pourtant, quelque chose le tourmentait, tapi au fond de son esprit.
Constatant que ses réflexions n’aboutissaient à rien, Jinya poussa un soupir et abandonna. Et pourtant, les paroles du démon résonnaient encore dans sa tête.