SotDH T3 - CHAPITRE 3 : PARTIE 2

Songes d’Ivresse dans la Blancheur Éternelle (2)

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Traduction : Calumi
Correction : Raitei
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Le lendemain, alors que le crépuscule cédait lentement la place à la nuit, Jinya quitta la maison mitoyenne où il résidait.

— Tu ne bois pas un peu trop, papa ?

— Oh, tais-toi donc. Ce n’est pas ça qui va me tuer.

Il surprit à nouveau la conversation du père et de la fille vivant à côté. Le père buvait comme à son habitude, et sa fille le réprimandait. Mais il balayait ses remarques d’un revers de main comme à son habitude. Plus on était ivre, plus on buvait. L’alcool pouvait être un plaisir, mais en abuser faisait perdre tout sens de la retenue, et l’on s’enfonçait dans un cercle vicieux d’ivresse.

Jinya passa son chemin tandis que le père et la fille continuaient à se disputer, puis emprunta la grande rue encore animée jusqu’au pont de Yanagibashi, qui enjambait l’endroit où la rivière Kanda se jetait dans le fleuve Sumida. Il plissa les yeux en voyant quelqu’un posté au milieu du pont. L’individu l’aperçut à son tour et lui adressa un sourire empreint de lassitude.

— Bonsoir, Rônin.

Cette jeune femme que l’on appelait simplement « Fille des bas-fonds » continuait de se vendre encore aujourd’hui. Cela ne plaisait guère à Naotsugu, mais que pouvait-il y faire ? Jinya la rencontrait souvent pour lui acheter des informations, mais sa vie privée ne le concernait pas. Que sa paie soit toujours un peu plus généreuse n’était qu’une coïncidence.

— Il fait plutôt froid, ce soir, tu ne trouves pas ?

— Je cherche du travail. Tu as quelque chose ? lança-t-il sans détour.

— Un peu de bavardage ne t’aurait pas tué, tu sais ? soupira-t-elle.

Sa peau pâle paraissait encore plus blême sous le froid.

— Ah. Pardon.

— Ça va. Mais oui, j’ai plusieurs choses qui devraient t’intéresser.

Elle sourit doucement. Ce n’était pas le sourire qu’elle réservait aux hommes pour les séduire, mais celui qu’on adresserait à un enfant. Autrement dit, son expression s’était faite plus sereine.

Jinya ignorait ce qui avait provoqué ce changement. Il supposait que cela avait peut-être à voir avec ses échanges avec Naotsugu, mais sans certitude. Il n’était pas du genre à s’immiscer sans vergogne dans les affaires des autres, aussi ne posa-t-il aucune question. Pour lui, cette fille des rues restait une jeune femme étrange, rien de plus.

— On raconte beaucoup d’histoires de démons ces derniers temps. Un fils en proie à la maladie dormait lorsqu’un démon surgit de sa personne. Plusieurs démons auraient élu domicile sous un pont. Il y aurait même une épée qui parle. Quoi d’autre… Ah, oui. Une belle démone aux cheveux blonds rôderait la nuit. Bien sûr, toutes ces rumeurs me viennent d’oreilles indiscrètes, alors je ne garantis rien. Mais ça fait tout de même beaucoup, tu ne trouves pas ?

Jinya acquiesça. Les démons étaient bien trop nombreux, dernièrement. Rien que l’autre jour, il en avait découvert plus d’une dizaine dans un quartier résidentiel de samouraï, ce qui était fort rare. Elle reprit :

— Mais peut-être est-ce simplement le reflet du climat d’inquiétude ambiant. Tu as entendu la nouvelle, n’est-ce pas ? Au sujet d’Uraga.

— Oui.

Elle parlait de l’incident survenu trois ans plus tôt, en la sixième année de l’ère Kaei (1853). Un Américain du nom de Matthew Perry avait forcé l’entrée du port d’Uraga avec quatre navires noirs. Les navires à vapeur de la flotte avaient stupéfié les habitants d’Edo, révélant à quel point les nations étrangères avaient renforcé leur puissance. Qui plus est, une lettre diplomatique du président des États-Unis fut remise au shogunat, ce qui conduisit directement à la signature forcée du traité de Kanagawa l’année suivante.

La politique de fermeture du pays, tenue depuis si longtemps, s’effondra sans résistance, et le shogunat apparut bien impuissant aux yeux du peuple.

— Les gens ne peuvent s’empêcher de s’inquiéter quand ceux qui dirigent donnent l’impression de ne rien maîtriser…, dit-elle.

— …Et quand le peuple s’inquiète, les démons prolifèrent, conclut-il.

Si les démons naissaient dans les tréfonds du cœur humain, alors leur recrudescence à Edo n’était que le miroir du sentiment d’impuissance général.

— Exactement. Ces derniers temps, je n’entends parler que d’une chose, l’inquiétude face au shogunat, des rumeurs de démons… ou d’alcool.

— D’alcool ?

— Oui. Il y en a un qui a la cote en ce moment, apparemment. Assez cher. Un homme avec qui j’étais se vantait d’en avoir acheté. Cela s’appelait, je crois, Souvenir de Neige.

Il haussa un sourcil. Encore ce Souvenir de Neige, cet alcool qui faisait tant parler de lui en ville. Difficile de croire qu’il rencontrait un tel succès après l’avoir goûté lui-même. Et pourtant, le peuple d’Edo semblait l’adorer ce qui était pour le moins étrange. Il demanda ensuite :

— Il a dit quelque chose sur son goût ?

— Pas vraiment, mais il a affirmé que c’était sublime, au point de l’élever jusqu’au paradis.

Cet alcool si léger, sublime ? pensa-t-il, dubitatif. Il s’apprêtait à répondre, mais se ravisa. Il se souvenait que seul lui le trouvait insipide. Zenji, lui, le jugeait bien trop fort, et Naotsugu l’avait trouvé imbuvable. Pourtant, Jyuuzou en buvait chaque soir, et maintenant cette fille des bas-fonds connaissait un homme qui l’avait trouvé exquis. Il y avait quelque chose qui clochait. Certes, les goûts variaient d’une personne à l’autre, mais pas à ce point. C’était comme si Souvenir de Neige avait un goût différent selon celui qui le buvait.

— J’ai une requête à te faire, Fille des bas-fonds. En plus des rumeurs de démons habituelles, j’aimerais que tu te renseignes sur ce Souvenir de Neige. Ce qui m’intéresse, c’est surtout de savoir si les gens le trouvent bon ou mauvais, où il est vendu, et où il est fabriqué. Mais toute information sera la bienvenue.

— Tu penses qu’il y a anguille sous roche ?

Un breuvage aussi rustique, nostalgique et terriblement léger ne pouvait pas être aussi populaire sans raison.

— Peut-être. J’espère qu’il n’y a rien.

— Très bien. Je vais m’en occuper. Après tout, tu as toujours été généreux avec moi.

— Merci. Mais ne fais rien de dangereux. Naotsugu ne me le pardonnerait jamais s’il t’arrivait quoi que ce soit.

— Ha ha, tu sais plaisanter, finalement ? rit-elle, alors que Jinya était parfaitement sérieux.

Mais à en juger par la douceur de son regard, sa remarque lui avait fait plaisir.

— Oh. Voilà pourquoi il faisait si froid.

Des flocons commençaient à tomber du ciel obscur, une neige légère, semblable à des pétales de fleurs, se déposant sans un bruit.

— De la neige, hein…, commenta Jinya.

— L’hiver est là, pour de bon, on dirait. Oh, on parlait de démons. Tu veux reprendre où on en était ?

Mais l’esprit de Jinya était ailleurs. Se battre en étant aussi troublé n’était jamais une bonne idée. Il secoua la tête.

— Je vois. Je vais y aller, alors. À plus, Rônin.

La fille des bas-fonds lui adressa un adieu rapide et s’évanouit dans la nuit. Il se retrouva seul. Il resta un moment immobile dans l’obscurité, où même les odeurs semblaient avoir disparu, le regard naturellement attiré par le ciel.

Et la neige ne cessait de tomber. Ses épaules frémirent légèrement sous l’effet d’une bourrasque glaciale. Plusieurs jours plus tard, Jinya s’apprêtait à sortir lorsqu’un visiteur inattendu se présenta. Il fut stupéfait en découvrant de qui il s’agissait.

— …Natsu ?

C’était la première fois qu’elle venait chez lui, et la visite soudaine laissa son esprit figé. Une jeune fille aussi distinguée n’avait rien à faire dans une maison mitoyenne aussi misérable. Elle balaya la pièce des yeux, terne et sans charme, pour Jinya. Ce n’était pas un lieu de vie, seulement un endroit pour dormir. Elle perdit vite tout intérêt pour les lieux et lança :

— Bonjour ! Enfin, il est déjà midi, mais tu vois ce que je veux dire.

— Heu, oui. Comment as-tu su où j’habitais ?

— C’est Ofuu-san qui me l’a dit. C’est… un endroit assez particulier, ton chez-toi.

Ce n’était pas très éloigné du Kihee. Elle le dévisagea d’un air vaguement contrarié, comme si elle lui reprochait de ne pas le lui avoir dit lui-même.

— Papa, tu as assez bu !

— La ferme ! Va m’acheter plus de saké !

Natsu sursauta face à cette soudaine voix explosive. Dans une maison mitoyenne, être réveillé par les autres habitants n’avait rien d’étonnant, mais une jeune fille de bonne famille comme elle n’avait jamais connu de voisins aussi proches.

— Qu-que se passe-t-il ?

— Juste la famille d’à côté. Le père doit encore boire dès le matin.

C’était monnaie courante pour Jinya, même s’il avait l’impression que les disputes de ses voisins étaient plus virulentes que d’habitude. Les cris continuaient, poussant Natsu à se recroqueviller légèrement.

— Alors, que me vaut ta visite ? Je suppose que ce n’est pas juste par curiosité ?

— B-bien sûr que non, répondit-elle, reprenant ses esprits. — J’ai besoin de ton aide.

Elle détourna les yeux, visiblement mal à l’aise.

L’expression désemparée dans ses yeux lui rappela l’enfant qu’elle avait été.
Il la fit entrer dans sa chambre afin qu’ils puissent parler longuement. Elle gardait la tête baissée, évitant son regard tandis qu’elle expliquait la situation.

— …Zenji ? Vraiment ? dit-il.

— Oui. Il se promène, bouteille à la main et n’a pas travaillé ces derniers temps. Même aujourd’hui, il est enfermé dans un bar à Nihonbashi.

Zenji venait à peine d’être nommé responsable, mais il n’avait pas travaillé depuis, préférant passer ses journées, et parfois ses nuits, à boire. Ce n’était qu’une question de temps avant que Jyuuzou, le propriétaire du Sugaya, n’intervienne pour le sanctionner, et Natsu voulait agir avant cela.

— D’accord. Mais pourquoi venir me voir, moi ? demanda Jinya.

— Eh bien, je suis une fille, alors entrer seule dans un bar, ça me met un peu mal à l’aise. Mais avec toi à mes côtés, même une centaine de voyous ne ferait pas le poids.

De nombreux vauriens passaient leurs journées à boire dans ces établissements, alors elle voulait pouvoir compter sur quelqu’un de fiable.

— S’il te plaît. Je te paierai, s’il le faut.

Elle inclina la tête, et il vit ses épaules frémir légèrement, saisies d’inquiétude pour Zenji. La seule chose qui motivait Jinya, c’était de devenir plus fort. En toute logique, il n’avait aucune raison d’accepter sa demande. Cela dit, il n’était pas assez insensible pour rester sourd à une supplique aussi sincère. Il hocha la tête.

— Je n’ai pas besoin de ton argent. Montre-moi le chemin.

C’était le moins qu’il puisse faire pour une amie de si longue date.

— …Merci.

Elle lui adressa un sourire sincère, qu’il accepta comme unique rétribution. Lentement, il se leva.

Il n’avait cependant pas accepté sa requête par pure bonté d’âme, la mention d’alcool avait éveillé sa curiosité.

***

Ils se rendirent dans un bar assez spacieux de Nihonbashi, où près de vingt clients étaient déjà installés malgré l’heure de la journée. Une forte odeur d’alcool flottait dans l’air, ce qui fit grimacer Natsu. Elle se pinça le nez en balayant la salle du regard, puis repéra Zenji au fond et s’avança vers lui.

— Ohh, Mlle Natsu ! Bienvenue, bienvenue ! Qu’est-ce qui t’amène ? lança bruyamment Zenji, les mots pâteux.

Sans la moindre gêne, il vida une nouvelle coupe d’alcool. Il devait boire depuis un moment déjà : la table devant lui était jonchée de flacons vides et de bouteilles entamées. Le nom figurait sur l’étiquette : Souvenir de Neige.

— Je viens pour toi, évidemment ! s’écria Natsu. Tu te rends compte de ce que tu fais ? Fuir ton travail pour venir picoler ici ?

— Oh, ça va ! Tais-toi un peu. Tu fais un boucan pas possible. T’es une chienne ou quoi ?

— Qu… ?

Elle en resta bouche bée. Elle connaissait Zenji mieux que quiconque, et jamais elle ne l’aurait imaginé dire quelque chose d’aussi blessant.

— C’est à cause de ce sale caractère que tu ne peux pas te marier. Et puis franchement, quel homme voudrait d’une fille aussi insupportable que toi ?

Ses épaules se mirent à trembler, de colère, ou peut-être de tristesse. Lui, l’ignora complètement et vida une autre coupe. Il semblait savourer chaque gorgée, alors qu’il avait affirmé, quelques jours plus tôt, que cet alcool était bien trop fort pour lui.

— Zenji, qu’est-ce qui te prend ? dit-elle.

— Hein ? T’es encore là ? Quelle plaie. Allez, dégage.

Il était arrivé au Sugaya alors qu’elle n’avait que quatre ans. Toujours amical, facile d’approche, il avait fini par devenir un véritable grand frère à ses yeux. Et maintenant qu’elle se retrouvait face à ses paroles cruelles, elle était trop abasourdie pour répondre quoi que ce soit. Agacé de la voir ainsi figée, Zenji ouvrit la bouche, prêt à dire quelque chose, mais Jinya en avait vu assez et l’interrompit.

— Ça suffit.

Zenji fronça les sourcils. Son regard s’obscurcit d’un éclat que Jinya connaissait trop bien.

— De quoi tu te mêles, toi ?

— Tu as dépassé les bornes. L’ivresse n’excuse pas tout.

— Ha ! Voilà que le rônin joue les justiciers, maintenant ? Je t’ai jamais aimé, de toute façon.

Zenji se leva péniblement, le regard noir. Son visage avait l’allure d’un masque de démon dans une pièce de théâtre nô. Ce n’était pas un simple emportement dû à l’alcool, mais une véritable haine animait ses yeux.

— Zenji, arrête ! s’écria Natsu, revenue à elle.

Mais il ne semblait même pas l’entendre. Il attrapa une bouteille vide de Souvenir de Neige, et son regard se fit encore plus féroce, presque meurtrier.

— Tu es ivre.

Jinya restait impassible face à cette hostilité. Après avoir affronté plus de démons qu’il ne pouvait en compter, il n’allait pas se laisser impressionner par ça. Il poussa un soupir las, ce qui sembla encore plus irriter Zenji.

— Tu te crois meilleur que moi, c’est ça ?!

Convaincu qu’on se moquait de lui, Zenji brandit la bouteille pour la lui jeter. Mais il était trop lent. Jinya esquiva d’un simple pas de côté, puis avança d’un pas et le frappa dans le ventre d’un coup de paume.

— Guh…

Il avait retenu sa force, bien sûr, mais cela restait trop pour le corps sans entraînement de Zenji. Ce dernier s’effondra à genoux, puis à terre, avant de vomir bruyamment tout l’alcool qu’il avait ingurgité, secoué de convulsions.

— L’alcool est un don des cieux. Mais en abuser jusqu’à devenir violent, c’est un affront. Crache tout ce que tu peux, pour ton propre bien, dit Jinya.

Mais Zenji n’entendait plus rien. Allongé au sol, inconscient, il tremblait encore par moments… Natsu vit qu’il respirait toujours et ne semblait pas en danger de mort, mais le déroulement soudain des événements l’avait bouleversée.

— Hé ! Tu ne crois pas que tu y es allé un peu fort ?

— Pas du tout. Mieux vaut qu’il vomisse tout cet alcool.

— Quoi ?

Son inquiétude était légitime, après tout, elle venait d’assister au coup porté à quelqu’un qui lui était cher, mais Jinya, lui, était convaincu d’avoir bien agi. Le Souvenir de Neige était un alcool bien trop étrange.

— Hé, tu crois que tu fais quoi, là, hein ?!

— T’as du cran pour t’en prendre à l’un des nôtres !

Alertés par le tumulte, les autres hommes présents dans le bar s’étaient levés un à un, entourant Natsu et Jinya. Il y avait peu de chances qu’ils soient proches de Zenji, et pourtant, ils semblaient prêts à en découdre. Terrifiée, Natsu se réfugia derrière Jinya.

— Q-qu-qu’est-ce qui se passe ?

— Aucune idée. Mais on dirait bien qu’ils ne sont pas fâchés parce que leur copain s’est fait frapper.

Leurs regards ressemblaient à celui de Zenji un peu plus tôt : injectés de sang, remplis de haine. Tous tenaient une bouteille à la main, et l’un d’eux avait même sorti un couteau de quelque part. Ce n’était pas une bagarre qu’ils cherchaient. C’était un meurtre.

Jinya jeta un coup d’œil aux bouteilles sur les tables. Elles étaient toutes identiques. Tous buvaient du Souvenir de Neige.

Cette fois, il n’avait plus de doute : cet alcool n’avait rien d’ordinaire.

— J-Jinya…

— Ferme les yeux. Ce sera vite terminé.

Il ne dégaina pas son sabre. Il n’avait aucune intention de tuer qui que ce soit, mais il serait difficile d’éviter de blesser. Les hommes attaquèrent avec hargne, mais ils étaient tous des amateurs, sans vitesse ni technique.

Jinya réduisit la distance d’un pas et frappa le premier à la mâchoire du poing droit. S’appuyant sur sa jambe droite, il asséna un coup avec la garde du sabre à un deuxième, puis projeta son corps contre un troisième, l’atteignant au ventre. En un clin d’œil, trois hommes gisaient au sol.

Il continua à frapper, donner des coups de pied, user de son poids. Les hommes tombaient comme des mouches, mais d’autres prenaient aussitôt le relais. Même face à une force écrasante, ils ne montraient ni peur ni hésitation. Ce n’était ni du courage ni de l’inconscience. C’était une forme de folie.

— J’vais t’tuer, enfoiré !

Plusieurs hommes commencèrent à jeter flacons et assiettes. Être touché par de tels projectiles ne laisserait pas la moindre trace sur le corps démoniaque de Jinya, mais il n’en allait pas de même pour Natsu. Il se plaça devant elle pour la protéger et porta la main à Yarai, prêt à balayer tous les projectiles. Mais sa main se figea avant d’atteindre la garde.

— Envole-toi, Hirondelle de papier.

Une hirondelle apparut soudainement, faisant dévier tous les objets en plein vol. Jinya retira sa main du sabre et s’élança en avant, refermant l’espace qui le séparait des hommes avant qu’ils ne puissent s’armer à nouveau. En un rien de temps, les vingt-et-un clients du bar étaient à terre.

Le calme revint enfin.

— Zenji, ça va ?

Zenji n’avait toujours pas repris connaissance. Malgré tout ce qu’il lui avait dit, Natsu serrait sa main avec inquiétude.

— Il respire. Il ira bien, dit Jinya.

Il n’avait aucune blessure apparente et sa vie n’était pas en danger. Il était seulement évanoui. Il avait également rejeté tout l’alcool qu’il avait ingéré. Il finirait sans doute par se réveiller de lui-même, et peut-être retrouverait-il alors ses esprits, maintenant qu’il avait tout purgé.

— …D’accord. Merci.

Elle ne relâcha pas sa main, mais son visage s’éclaira d’un léger soulagement, et elle remercia Jinya malgré tout.

— Tu n’es pas n’importe qui, hein…

Désemparée, elle observa tous les hommes effondrés dans le bar, puis Jinya, qui ne montrait même pas le moindre signe d’essoufflement. En vérité, il n’avait pas combattu seul.

— J’ai eu un peu d’aide.

Une voix s’éleva derrière Natsu :

— J’ai comme l’impression que tu n’en avais pas vraiment besoin.

Ils se tournèrent vers l’entrée du bar et aperçurent un homme d’une vingtaine d’années passées, vêtu d’un habit de soie. Si Jinya se souvenait bien, Natsu l’avait déjà rencontré elle aussi.

— Tu m’as évité bien des tracas, en tout cas. Merci.

— Aha ha, toujours aussi impassible, à ce que je vois.

Il arborait un sourire figé, sans sincérité. Il était plus jeune lors de leur dernière rencontre, mais il dégageait toujours la même impression : distant, sûr de lui, et vaguement louche.

— Ça faisait longtemps.

— En effet. Tu vas bien ?

C’était l’onmyôji que Jinya avait rencontré des années plus tôt : Akitsu Somegorou, troisième du nom.

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