SotDH T2 - Chapitre 2 : Partie 1
Le Dévoreur (1)
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Traduction : Calumi
Correction : Raitei
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Nous étions au printemps de la sixième année de l’ère Kaei (1853).
—Pas beaucoup de bonnes nouvelles en ce moment, hein ?
Jinya se trouvait chez Kihee, un restaurant de soba situé à Fukagawa, un quartier d’Edo, où il venait régulièrement depuis quelques jours. Le propriétaire, tout en préparant habilement un bol de soba, discutait avec un sourire en coin. Ces derniers temps, seules des nouvelles préoccupantes circulaient. Il n’y avait guère de paix pour l’homme ordinaire.
—J’entends dire que des bateaux étrangers continuent de pointer leur nez partout, mais les hauts placés ne font rien. Voilà un Kake soba[1], prêt à partir.
—Je prends, répondit une douce voix.
Une jeune fille s’avança pour prendre le bol. Elle paraissait âgée de quatorze ou quinze ans et portait un kimono couleur pêche. C’était Ofuu, la fille unique du propriétaire. Elle et son père, un homme d’une quarantaine d’années, géraient ensemble le restaurant. Elle se fraya prudemment un chemin dans l’espace étroit du restaurant et apporta le bol à la table, mais ses gestes restaient un peu hésitants. Peut-être débutait-elle encore dans ce rôle.
—V-voilà pour toi. Un Kake soba.
Elle força un sourire, qui semblait plus tendu que timide, en posant le bol devant Jinya. Son visage était harmonieux, sa silhouette séduisante, mais sa maladresse venait gâcher l’ensemble.
Son père l’observa avec inquiétude.
—Bien joué, Ofuu. D’ailleurs, j’ai entendu dire qu’un tueur rôdait dans le coin. Pas très rassurant, surtout quand on a une fille à protéger, tu vois ? Franchement, que fait le gouvernement de nos jours, hein…
Le simple fait qu’il ait félicité Ofuu pour avoir apporté un bol montrait à quel point ses performances habituelles laissaient à désirer. Quoi qu’il en soit, l’époque était trouble, tout comme les propos du propriétaire. Jinya attrapa une paire de baguettes et avala une bouchée de nouilles avant de réprimander l’homme à voix basse.
—Vous devriez faire attention à ce que vous dîtes.
—J’imagine. Ce serait dommage d’attirer les foudres du gouvernement et de se faire fermer le restaurant, surtout qu’on n’a même pas encore tenu dix jours depuis l’ouverture.
Jinya observa les alentours. Les murs ne semblaient pas récents. Ils n’étaient pas sales à proprement parler, mais le bois témoignait du passage des années.
—Le restaurant n’a pas l’air si neuf que ça pourtant, fit-il remarquer.
—C’est parce qu’on l’a acheté tel quel, sans rien retaper. On l’a eu pour une bouchée de pain, je te jure.
—Sans blague.
—T’as l’air d’aimer ma cuisine en tout cas, vu comment tu viens traîner dans ce taudis tous les jours. Aujourd’hui, ça fait cinq jours d’affilée, pas vrai ?
Le restaurant tournait mal. Jinya n’y avait croisé aucun client à part lui, ce qui paraissait étrange, même pour un établissement nouvellement ouvert. Cela dit, c’était précisément cette impopularité qui l’attirait.
Jinya avait l’apparence d’un humain, mais en vérité, il était un démon.
Il l’était devenu autrefois, consumé par la haine, après que sa sœur eut tué la femme qu’il aimait. C’était pour cette raison qu’il avait délibérément choisi ce petit restaurant à l’écart, où les regards se faisaient rares.
Cela faisait maintenant plus de dix ans qu’il était arrivé à Edo, et son apparence n’avait pas changé d’un pouce depuis ses dix-huit ans, tout comme celle de sa sœur, figée dans le temps depuis bien longtemps. La longévité des démons s’étendait bien au-delà du millénaire, mais chez les démons, passé un certain âge, seul les cheveux et les ongles continuaient de pousser avec l’âge, sans que le reste du corps ne change.
Pour l’instant, Jinya n’avait pas à s’inquiéter, mais s’il restait trop longtemps à Edo, quelqu’un finirait par remarquer qu’il ne vieillissait pas. C’était précisément pour cela qu’il avait choisi ce petit restaurant sans clients réguliers. Il comptait cesser d’y venir après quelque temps et trouver un autre endroit où manger. Tout, pour éviter de susciter les soupçons.
Jinya chercha une réplique, mais Ofuu intervint, réprimandant son père.
—Papa ! Tu veux faire fuir notre seul client ou quoi ?!
—Du calme, Ofuu, on discutait juste un peu, répondit l’homme.
Puis, à l’adresse de Jinya :
—Mais dis-moi, t’en penses quoi, de mes soba ?
Jinya avala une autre bouchée. Les soba n’étaient pas mauvais, mais ils n’étaient pas exceptionnels non plus, surtout comparés à ce que l’on trouvait dans bien d’autres établissements d’Edo.
—Ce n’est pas mauvais. C’est juste… terriblement moyen.
—Tu mâches pas tes mots, toi ! Mais pas grave, je sais bien que ma cuisine est pas géniale. Je cuisine parce que j’aime ça, pas parce que je suis doué ou quoi.
D’ordinaire, Jinya se serait fait mettre à la porte pour avoir qualifié un plat de « terriblement moyen ». La réaction de l’homme le surprit ; il semblait avoir une conscience lucide de ses propres capacités.
—Et malgré ça, vous avez ouvert un restaurant ?
—Ouais, j’avais mes raisons. On a tous un passé qu’on ne préfère pas étaler… J’suis sûr que toi aussi, t’as des trucs que tu voudrais pas raconter.
—Vous n’avez pas tort, répondit Jinya.
La conversation s’acheva naturellement là-dessus. Jinya ne posa pas d’autres questions et se concentra de nouveau sur son repas.
—Cette histoire de tueur en série me fait un peu peur, tu sais, dit Ofuu.
Elle discutait souvent avec Jinya, sans doute parce que les autres clients se faisaient rares.
—Ah… Ouais.
Sa réponse manquait de naturel. Ces rumeurs lui pesaient. Il existait des humains capables de combattre des démons. Lui-même, du temps où il était encore humain, en avait abattu un grand nombre. Cela signifiait que ce tueur pouvait bien être plus puissant que lui.
—Fais attention, Jinya-kun. C’est dangereux de sortir la nuit, dit-elle avec un regard inquiet.
Il ne se gênait pas pour discuter avec elle, mais le ton qu’elle employait lui sembla étrange. Il avait beau faire dix-huit ans, il en avait en réalité trente et un. Il ignorait l’âge exact d’Ofuu, mais elle ne devait pas avoir plus de quinze ans. C’était étrange pour lui qu’une fille dont il avait le double de son âge s’inquiète à son sujet.
—Merci, mais je suis assez grand pour prendre soin de moi, dit-il. —Je ne suis plus un enfant.
Elle gloussa.
—Vu la façon dont tu te tiens bien droit pour paraître plus grand, j’ai du mal à être d’accord. Tu es toujours un enfant, à mes yeux.
Bon sang. Pourquoi les femmes s’obstinent toujours à me traiter comme un gosse, pensa-t-il.
Jinta, sérieusement. Tu ne peux rien faire sans…
Non. Stop. Ne pense pas à elle. Il refoula cette émotion naissante avant qu’elle ne prenne racine.
—Merci pour le repas. C’est combien ?
Sans même hausser un sourcil, il reposa le bol.
Depuis qu’il avait quitté Kadono pour s’installer à Edo, Jinya avait appris de nombreuses petites astuces : dissimuler ses yeux rouges, contenir ses émotions. Il se trouvait pathétique d’être devenu si habile dans des choses aussi triviales.
—Ça fera seize mon[2].
Jinya tendit la somme exacte. Le patron se mit à compter les pièces et, avec un brin de surprise, lança :
—Pour un rônin, t’as pas l’air dans le besoin.
—Je suppose. Je trouve du travail régulièrement.
—Quel genre de travail, si ce n’est pas indiscret ?
—Chasseur de démons.
—Eh ben, ce n’est pas rien. Tu comptes aller jusqu’au Palais du Roi-Dragon une fois tous les démons éliminés ? plaisanta le patron, manifestement sceptique.
Mais Jinya était on ne peut plus sérieux. Les démons étaient bien présents à Edo, et ils n’étaient pas rares. Son rôle était d’empêcher que les plus faibles ne deviennent leurs victimes. De temps à autre, un marchand, un vassal du shogun ou un riche notable faisait appel à ses services, ce qui permettait de gagner un peu d’argent. Mais plus important encore, ce travail lui offrait l’occasion d’aiguiser ses compétences. L’argent était bienvenu, certes, mais il n’était qu’un avantage secondaire.
—Seize mon tout rond. Merci beaucoup ! déclara le restaurateur en terminant de compter, puis il s’inclina. Ofuu fit de même, avec grâce.
Jinya n’avait pas de mission ce soir-là. Le ventre plein, il décida d’errer un peu dans les rues, à l’affût de rumeurs étranges. Mais à peine avait-il fait quelques pas hors du restaurant qu’il entendit la voix du patron l’interpeller dans son dos.
—Au fait, en parlant de démons, il paraît que les corps retrouvés après les attaques n’avaient pas de blessures causées par une lame.
Jinya s’immobilisa.
—Apparemment, ils avaient tous l’air d’avoir été déchiquetés par une bête ou quelque chose du genre. Et puis, le nombre de corps ne colle pas non plus.
—Il ne colle pas ? Comment ça ? demanda Jinya.
—Ces derniers temps, y a eu plus de disparus que de corps retrouvés. On ne sait pas s’ils ont été enlevés ou emportés par des esprits, mais certains commencent à dire qu’un démon serait derrière tout ça. Tu vois… les démons aiment bien dévorer les gens tout entiers, non ? dit le patron du restaurant, un sourire mauvais aux lèvres, comme s’il tentait de faire peur à Jinya.
Mais ce dernier resta impassible.
—S’il vous plaît, dites-m’en plus.
***
Le pont Edobashi avait été construit environ quarante ans après que Tokugawa Ieyasu[3] eut fait d’Edo la capitale, en 1603. C’était donc l’un des plus grands ponts enjambant la rivière Nihonbashi. De jour, les marchands et les citadins le traversaient à pied, vendant leur marchandise en chemin. Mais à cette heure crépusculaire, il n’y avait plus âme qui vive.
C’était là qu’avait eu lieu une attaque. Ou peut-être ne devrait-on pas appeler cela ainsi, tant les corps retrouvés avaient été affreusement mutilés, comme déchiquetés par une bête. Quoi qu’il en soit, la rumeur prétendait qu’un démon était derrière tout ça. Et puisque les ponts étaient souvent considérés comme des liens entre le monde des vivants et celui des esprits, cet endroit était idéal pour qu’un démon apparaisse.
Le printemps débutait à peine, mais la brise nocturne portait encore les derniers frissons de l’hiver. Jinya croisa les bras et s’appuya contre la rambarde, tout en restant attentif à ce qui l’entourait. Dans le ciel, la lune voilée par une fine couche de brume projetait une lueur bien pâle. Ses vêtements étaient légèrement humides de par la rosée du soir tandis que les environs baignaient dans la clarté lunaire. C’était une belle nuit. Il aurait été dommage qu’un démon apparaisse pour tout gâcher.
Bien que Jinya ne laissât rien paraître, il poussa un soupir interne de lassitude. Rien ne s’était passé pendant un bon moment. Il descendit de la rambarde et se remit en marche, n’ayant pas eu la chance de tomber sur le tueur.
Une perte de temps, peut-être, mais il n’en fit pas tout un drame. Si le tueur avait été assez imprudent pour lui apparaître, cela ferait longtemps qu’il aurait été capturé par les autorités locales… du moins, s’il s’agissait d’un humain ordinaire. Si, comme le disaient les rumeurs, ce tueur était un démon, alors même le magistrat ne pourrait rien faire.
Jinya espérait mettre fin à tout cela avant que d’autres innocents ne tombent, mais sans savoir où se cachait l’assaillant, il ne pouvait rien faire d’autre que patienter.
—Bon sang…, grogna-t-il.
Il avait beau avoir désormais un corps de démon, cela ne voulait pas dire qu’il était tout-puissant. Ses capacités restaient limitées. Il devait donc se contenter de chercher à pied. Cette impuissance, il le savait, touchait aussi bien les humains que les démons.
Comme il était inutile de râler, il se reconcentra.
—À l’aide… !
Il entendit le cri de détresse d’une femme.
Jinya partit aussitôt dans la direction d’où venait la voix. Sur sa droite, il aperçut le pont Aramebashi, puis, plus loin, le pont Shianbashi, qui enjambait la rivière Horidome Est.
L’air, malgré la proximité du fleuve, était saturé d’une forte odeur de sang. Sur le pont Shianbashi, il découvrit trois cadavres atrocement mutilés. Il scruta les environs, mais ne vit aucun agresseur. Il était arrivé un rien trop tard. Il s’agenouilla près d’un corps et l’examina de plus près. Les corps, inertes comme des poupées de chiffon, étaient si en piteux état que la plupart auraient détourné le regard. Mais pas Jinya. Il n’était plus étranger à la mort.
Doucement, il toucha l’un des corps encore tiède, mais ce n’était pas une entaille nette : elle avait été infligée à la manière d’un déchirement brutal. Il en était sûr, ce n’était pas l’œuvre d’une lame. Des griffes, peut-être. Cela rendait l’hypothèse du démon encore plus crédible.
—…Hm ?
Quelque chose clochait.
Les trois corps étaient ceux d’hommes. Mais la voix qu’il avait entendue… était celle d’une jeune femme.
Il repensa à ce que le patron du restaurant avait dit : « les démons aiment dévorer les gens tout entiers ». Il l’avait dit en plaisantant, certes, mais peut-être avait-il visé juste.
Malheureusement, il n’y avait plus rien à tirer de la scène. Jinya se redressa et reprit sa marche.
C’est alors qu’il entendit un bruit à proximité.
Un souffle tranchant, rapide.
Un son qu’il ne connaissait que trop bien.
Son corps réagit plus vite que son esprit, esquivant instinctivement dans la direction opposée.
—Ngh…
Il avait réagi un instant trop tard. Son bras droit avait été entaillé, la manche courte de son kimono déchirée, rougie par le sang. La blessure restait superficielle, rien qui puisse le ralentir.
Mais ce qui posait problème, c’était de comprendre ce qui venait de se passer. Il connaissait ce son par cœur : c’était exactement celui que produisait une lame lorsqu’on la maniait. Sa blessure prouvait que l’attaque était bien réelle. Pourtant, autour de lui, il n’y avait personne. Aucun assaillant en vue.
Le son retentit à nouveau, cette fois, venant d’en face. Il recula d’un bond mais eut une entaille au niveau de la poitrine.
Il semblait incapable de percevoir l’ennemi avant qu’il ne frappe. Et même après cette deuxième attaque, il ne voyait toujours personne.
Une troisième attaque suivit. Cette fois, silencieuse. Une lame transperça presque sa peau dans le dos, lui procurant une douleur vive. Il se déroba aussitôt dans la direction opposée.
Sa peau avait été bien transpercée, mais il n’était pas temps de s’en soucier. Il scruta les environs avec intensité, mais ne trouva que le même silence oppressant. Aucun ennemi en vue alors qu’il était bel et bien blessé.
Cela, combiné aux rumeurs selon lesquelles le tueur était un démon, l’amena à une conclusion.
—…Je vois. C’est donc ton pouvoir.
Ce démon était de toute évidence supérieur, doté d’un pouvoir singulier, probablement celui de dissimuler sa présence. Mais il ne pouvait pas faire taire le bruit de ses attaques. Et il n’avait pas la force de tuer à mains nues, sans quoi il ne se servirait pas d’une lame. Cela signifiait que Jinya pouvait le vaincre. Il aurait préféré éviter d’en arriver là, mais il n’était pas assez fort pour affronter ce démon sans recourir à ses propres pouvoirs.
—Au moins, il n’y a aucun survivant…
Il était logique, dans une telle situation, d’utiliser toutes les armes à sa disposition. Il ferma les yeux.
Un bruit immonde de craquement résonna. Les muscles de son bras gauche gonflèrent de façon grotesque, virant au rouge sombre. Il rouvrit les yeux. Ses iris étaient passés du brun au rouge.
—…Alors je n’ai plus besoin de cacher ça.
L’assaillant ne s’arrêta pas. Même après que Jinya eut révélé sa véritable nature démoniaque. Il sentit une nouvelle coupure, mais ce n’était qu’une piqûre de rien du tout. Son corps, renforcé, résistait bien mieux à présent.
Il balaya l’espace devant lui de son bras, là où il pensait que la lame ennemie pouvait se trouver, et entendit un craquement : elle venait de se briser. La lame invisible du démon était de piètre qualité, probablement produite en série et ne pouvait pas supporter une telle force.
Une pointe de lame apparut soudain dans l’air et tomba au sol. Il semblait que seuls les objets directement en contact avec le corps du démon bénéficiaient de sa capacité d’invisibilité. Dans ce cas, il suffisait de le blesser une fois pour affaiblir son pouvoir.
Jinya adopta une position de combat, son sabre dans la main droite. Il se tenait prêt à frapper en arc de cercle dès qu’il sentirait le moindre contact sur sa peau.
—Je t’attends, assassin, dit-il.
Ses mots auraient pu prêter à sourire, si le démon s’était déjà enfui… mais Jinya n’en avait aucune certitude. À quoi va-t-il ressembler ? se demanda-t-il. L’air devant lui vacilla, révélant une silhouette de petite taille, environ cinq shaku de haut, soit une bonne tête de moins que Jinya.
Un démon venait d’apparaître.
Il semblait masculin, sa peau était d’un noir trouble, ses épaules étroites. Il était donc bien faible comme il l’avait prévu. Ce qui retint le plus l’attention, ce fut son œil droit. Bien plus grand que le gauche, l’iris aussi rouge que le blanc de l’œil. Difficile de dire dans quelle direction il regardait, tant la peau autour était difforme, semblable à un masque métallique y avait été soudé. Toute la moitié droite de son visage était gonflée, ce qui rendait encore plus frappant cet œil difforme.
Dans sa main, il tenait la lame brisée. Aucun doute possible : ce démon était bien l’assaillant.
—…Je m’appelle Jinya. Donne ton nom avant que je ne t’abatte.
Il ne savait pas pourquoi le démon avait décidé de se révéler, mais puisqu’il l’avait fait, autant échanger leurs noms. Jinya regrettait de ne pas avoir demandé le nom d’un démon qu’il avait tué il y a longtemps, et depuis, il s’était juré de porter le poids de toutes les vies qu’il prenait. Offrir ce simple geste de respect, c’était le minimum qu’il pouvait faire.
— Je me prénomme Mosuke.
Jinya ne s’attendait pas à une réponse aussi directe. Mosuke était un nom rustique, peu commun pour un démon supérieur. Il n’avait ni la prestance ni la puissance d’un démon de haut rang. Pourtant, sa capacité à disparaître restait un problème. Jinya ne pouvait pas baisser sa garde.
—Je vois. Je m’en souviendrai. Meurs en paix, tu seras dans mes mémoire, dit-il.
Il serra les dents, agrippa son sabre. Penché vers l’avant, il était prêt à bondir et à frapper en formant un arc de cercle avec sa lame quand soudain…
— Attends ! Je ne veux pas me battre ! lança Mosuke en jetant son épée au sol et en levant les mains en signe de reddition.
—…Hm ? fit Jinya, qui s’arrêta net, le regard sévère, toujours penché vers l’avant, prêt à attaquer.
—Qu’est-ce que tu veux dire ? Ce n’est pas toi qui m’as attaqué le premier ?
— Eh bien… C’est parce que je pensais que tu étais le tueur. J’avais entendu une rumeur disant que c’était un démon, et comme tu en as l’odeur, j’ai cru que c’était toi quand je t’ai croisé ici. Mais je vois que tu es dans le même cas en ayant pensé que c’était moi. Drôle de situation, non ?
—C’est donc pour ça que tu t’es montré, murmura Jinya.
Ce n’était pas si invraisemblable. Mosuke n’avait pas l’air d’un tueur. Mais Jinya ne pouvait pas encore totalement écarter la possibilité d’une ruse. Il fronça les sourcils, méfiant.
—Mais pourquoi un démon chasserait-il un autre démon ?
— Et si on s’éloignait d’ici d’abord avant que quelqu’un ne débarque ?
Jinya regarda autour de lui et évalua la scène : des cadavres, deux démons à l’apparence grotesque. Difficile de justifier tout ça. Il reprit forme humaine, puis rengaina son sabre.
Mosuke prit cela pour un geste de paix. Il afficha un large sourire, dévoilant ses dents pointues.
— Et si on allait chez moi pour discuter ?
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[1] La soupe se compose essentiellement d’ingrédients Japonais riches en umami comme les algues kombu, le katsuobushi (copeaux de bonite séchée), le shoyu (sauce soja Japonaise) ou le tamari, le mirin et le saké…
[2] Une monnaie utilisée entre 1336 et 1870.
[3] Tokugawa Ieyasu 徳川 家康, né le 31 janvier 1543 et mort le 1er juin 1616, est daimyo puis shogun du Japon. Il est le dernier des « Trois unificateurs » du Japon de l’ère Sengoku, après Oda Nobunaga et Toyotomi Hideyoshi.