RoTSS T9 - chapitre 2

La Fille et Son Chien

 

— Yo, j’ai fait les courses. Ça suffira, vous croyez ?

Guy revint de la boutique étudiante, les bras chargés d’une douzaine de fioles de potions magiques. Katie et Pete bondirent de leurs sièges.

— Merci, Guy !

— J’en prends trois.

Ils saisirent les fioles, firent sauter les bouchons sur-le-champ et les engloutirent d’un trait, en parfaite synchronisation. En un clin d’œil, les bouteilles furent vidées, reposées délicatement sur leurs sièges, aussitôt remplacées par une deuxième tournée.

— Vous descendez des potions de concentration avant le match ? dit Guy en secouant la tête. — Les spectateurs, eux, prennent pas tout ça aussi au sérieux… Faites pas d’overdose !

— Je vais bien ! insista Katie. — Je sais combien il m’en faut avant de tomber dans les pommes !

— Pareil, ajouta Pete. — Et si je me sens partir, je filerai me saigner un peu dans les toilettes.

— Oh, je faisais ça aussi ! gloussa Miligan en tapant dans ses mains. — Mais des fois je ratais mon coup et je tombais dans les vapes, vidée de mon sang !

On aurait pu croire que leur aînée chercherait à tempérer leurs comportements imprudents. Mais Guy se couvrit le front de la main, soupirant profondément.

— Dès qu’Oliver et Chela sont pas là, vous partez en vrille. Je peux pas vous lâcher des yeux une minute…

Katie acheva sa deuxième fiole, haletante.

— Je vais pas m’évanouir ! Chela va entrer en scène !

Son regard se porta vers l’aire de combat encore vide. Il y eut un court silence, le temps que les équipes suivantes fassent leur entrée.

— Ouais, je vois pourquoi tu stresses, dit Guy en suivant son regard. — Elle traîne des casseroles pour ce match-là.

 

— L’équipe Horn a remporté la première manche. À vous dans quelques minutes, annonça un membre du staff, étudiant en année supérieure.

La tension dans la salle d’attente de l’équipe Cornwallis était si palpable qu’on aurait pu la trancher au couteau. Pour cette dernière manche de la ligue, les quatre équipes étaient tenues à l’écart les unes des autres. Impossible donc d’observer les précédents combats de ses adversaires.

Ils n’avaient droit qu’aux résultats sans aucun indice sur le déroulement. Pourtant, dans un coin de son esprit, Chela imaginait sans peine ses camarades arrachant la victoire au terme d’un duel acharné. Soulagée, elle se tourna vers ses coéquipiers.

— Nous n’avions pas à nous inquiéter. Est-ce que vous vous sentez prêts ?

Le demi-loup-garou, Fay Willock, se leva de son siège et s’adressa à la jeune fille qu’il servait.

— Stace, c’est l’heure.

— Mm…

Stacy Cornwallis hocha légèrement la tête, mais son regard restait fixé sur ses genoux. Elle paraissait livide, et Chela en comprenait la raison. Leur prochain adversaire n’était autre que l’équipe Andrews, bien plus puissante que toutes celles qu’ils avaient affrontées jusque-là. Mais même avec cette conscience du danger, Stacy était venue pour gagner.

— …Stace, si ça te stresse vraiment à ce point, je peux passer en première, proposa Chela. — Je mènerai le combat comme il se doit et ensuite…

Mais Fay l’interrompit net.

— Non, Miss McFarlane. Ça ne marchera pas.

Il posa un genou à terre, s’abaissant jusqu’à croiser son regard, fixant ces yeux tremblants.

— Pas vrai, Stace ? On peut pas compter sur elle dès que ça chauffe. Ce combat, c’est le nôtre.

Sa voix grave résonnait jusqu’au plus profond de son cœur. Stacy serra les poings et redressa le dos.

— Oui. Tu as raison, Fay.

 

— J’ai trop hâte ! Quelles techniques Fay va-t-il sortir, cette fois ?

Les yeux de Rossi brillaient comme ceux d’un enfant la veille d’une sortie scolaire. Le reste de l’équipe Andrews se préparait également au combat. Ils avaient été informés de la victoire de l’équipe Horn, mais n’avaient guère accordé d’importance à ce résultat. Leur unique objectif était de battre l’équipe Cornwallis. Il ne fallait ainsi surtout pas flancher à ce stade.

Rossi arpentait la pièce, alternant les figures, faisant même des poiriers : il ne tenait pas en place. Richard Andrews, lui, était immobile comme un roc, toujours assis.

— J’voudrais pas casser ton délire, mais aucun d’entre nous n’a encore combattu un demi-loup-garou transformé. Du coup, autant le neutraliser avant que ça arrive.

— Je sais bien ! Mais j’espère quand même que ça ne se passe pas comme prévu…

Rossi tira la langue, le visage espiègle. Andrews soupira, et le colosse assis en face, Joseph Albright, prit la parole.

— Comme je l’ai dit, si vous voulez éviter que Willock se transforme, faut me mettre en premier. Ils doivent créer une lune pour qu’il se métamorphose, donc il viendra sûrement en deuxième ou troisième position. Si on descend leur premier combattant rapidement, on réduit de beaucoup ls chances qu’ils aient le temps de mettre ça en place. J’ai raison, non ?

— Tu aurais raison… si leur équipe n’avait pas Michela.

L’objection d’Andrews était limpide. Et comme cette discussion tournait en boucle, Albright se contenta de renifler.

— L’aînée McFarlane ? J’l’ai jamais vue faire autre chose que soutenir ses alliés. Aucune idée de son vrai niveau. De quoi elle est capable ?

— Je ne sais pas jusqu’à quel point elle s’est améliorée. Mais ce que je peux dire, c’est que si elle se bat sérieusement, elle est clairement plus forte que moi.

Andrews avait parlé avec fermeté. Albright connaissait bien sa force et savait qu’il ne fallait pas prendre Michela McFarlane à la légère. Mais une part de lui soupçonnait Andrews de la surestimer, influencée par des souvenirs d’enfance tenaces. Il prit un moment de réflexion, puis exprima ce doute.

— …Si elle prend sa forme elfe, c’est sûr que ça devient dangereux. En théorie, elle pourrait alors lancer une triple incantation. Mais la zone de combat trop petite pour ça. Et notre équipe sait comment affronter des adversaires avec une meilleure puissance de feu.

— C’est un aspect de sa force, mais pas l’ensemble. Par ailleurs, étant donné que son père dirige le tournoi, Michela est dans une position délicate. Si elle se démarque trop, on accusera l’Instructeur Theodore de truquer les résultats en sa faveur. C’est presque certainement pour ça qu’elle n’est pas dans l’équipe de Mr. Horn et Miss Hibiya. Je pense donc qu’elle ne peut pas utiliser sa forme elfe.

— Tu veux dire qu’elle se retient ? C’est insupportable !

— Ce serait un avantage pour nous, non ? Alors pourquoi t’inquiéter autant ?

Rossi et Albright fronçaient tous deux les sourcils, mais pour des raisons différentes. C’était la preuve qu’Andrews ne parvenait pas à se faire comprendre et vu comme Chela jouait profil bas jusque-là, cette réaction n’avait rien de surprenant. Si elle n’avait pas marqué au fer rouge la marque de son talent en lui depuis l’enfance, lui aussi n’aurait aucune idée de ce dont Michela McFarlane était vraiment capable.

— Si mon analyse est correcte, vos remarques le sont aussi. Mais si je me trompe… alors la différence est énorme. Voilà pourquoi je passe en premier. Je verrai comment ils jouent. Si Michela décide de se battre sérieusement, je tiendrai au moins trois rounds. Je la connais mieux que vous, j’ai donc le plus de chances de réussir.

Sa décision était prise, et Albright n’insista pas. Depuis qu’il avait accepté Andrews comme chef d’équipe, c’était lui qui tranchait. Des désaccords étaient inévitables, et Albright n’avait plus qu’à ravaler sa frustration pour se concentrer sur son propre rôle.

— C’est l’heure. En piste, équipe Andrews !

L’étudiant en charge leur donna le signal, et Andrews et Albright se levèrent d’un même mouvement.

 

— La tension du match précédent est encore palpable, mais le tournoi continue ! Place au deuxième affrontement : l’équipe Cornwallis face à l’équipe Andrews ! Les deux équipes ont fait preuve d’une force incontestable lors de la mêlée générale… mais cette fois, elles s’affrontent directement ! Que peut-on attendre d’un tel duel ?

À mesure que les deux équipes pénétraient dans l’arène, Glenda céda rapidement la parole aux instructeurs. Garland ouvrit le bal.

— L’enjeu principal sera la forme demi-loup-garou de Mr. Willock. Ce qu’il a montré lors des précédents combats alliait la puissance brute d’un loup-garou à celle d’un mage, autrement dit, une bête capable de lancer des sorts. Aucun membre de l’équipe Andrews n’a affronté ce genre d’adversaire jusqu’ici, et il est probable que ce qu’il a montré ne soit qu’une partie de son arsenal. Cela limite considérablement les stratégies possibles de l’équipe adverse.

— Autrement dit, ils vont essayer d’empêcher sa transformation ! Mais l’équipe Cornwallis est bien consciente de cet enjeu. Vu cette dure réalité… qui chacune des équipes va-t-elle envoyer en premier ? Ce sera un choix révélateur !

Sous les regards captivés du public, du côté est, Andrews s’avança. Mais en découvrant son adversaire, il parut quelque peu surpris.

— C’est toi qui commences, Miss Cornwallis ?

La question lui échappa. Contrairement à ses attentes, ce n’était pas Michela McFarlane, mais une fille blonde, une parente. Stacy lui lança un regard noir.

— Évidemment. Je ne suis assez bien pour toi ?

— Non, c’est simplement… inattendu. J’aurais à ta place envoyé Michela en premier.

— Et c’est bien pour ça que tu n’es pas à ma place. Désolée de te décevoir, mais je suis loin d’être une bleue.

Stacy lui décocha un sourire assuré, mais Andrews se contenta d’un hochement de tête. Ce n’était pas ce qu’il avait anticipé, mais ce choix ne jouait pas contre lui. Si ce n’était pas Michela qu’il affrontait d’entrée de jeu, alors autant suivre le conseil d’Albright et viser une élimination rapide.

— Que les deux combattants se tiennent prêts… Commencez !

La voix de Garland retentit, et chacun des duellistes lança un sort.

IMPETUS ! — TONITRUS !

Le vent et la foudre s’entrechoquèrent en plein centre de l’aire de combat. Aucun des deux ne tenta de réduire la distance ni ne chercha la confrontation directe. Ils avaient préféré envoyer d’entrée leur élément le plus puissant. Mais à partir de là, leurs choix divergèrent.

TONITRUS ! TONITRUS ! TONITRUS !

Avant même que les premiers sorts ne se dissipent, Cornwallis enchaînait déjà. Non pas en ligne droite, mais en adaptant ses trajectoires et anticipant les mouvements d’esquive de son adversaire. Andrews avait observé avec attention et évita la seconde salve d’un bond, contrant une autre avec un sort… mais pas le temps de souffler. Un nouvel éclair jaillissait déjà sur lui.

— Elle mise sur la quantité, hein…

La stratégie de son adversaire était limpide, et Andrews adopta la réponse appropriée. Stacy, elle, ne relâchait pas la cadence, pas même pour reprendre son souffle.

 

— On commence sur un véritable bombardement ! L’exact opposé du match précédent !

— Ce sont deux mages aguerris, avec peu d’écart en puissance. Ce choix allait de soi, dit Garland, les yeux plissés.

Glenda saisit l’occasion et se lança dans l’analyse.

— Intéressons-nous d’abord à l’enchaînement sans relâche de Miss Cornwallis ! On ne peut pas tenir un tel rythme sans respiration circulaire ! C’est-à-dire inspirer par le nez tout en expirant par la bouche. On apprend ça en deuxième année, mais combien arrivent vraiment à la maîtriser ? J’ai dû attendre l’an dernier pour y parvenir moi-même, à ma grande honte !

— Oh, moi aussi j’ai galéré. Il faut apprendre à dissocier le contrôle de la bouche et celui des poumons, ce qui n’est pas donné à tout le monde. Et même une fois la technique acquise, l’utiliser en plein combat dépend fortement du style et de la situation. Contrairement à la respiration classique d’inspiration et d’expiration, nous avons moins de réserves d’air immédiates, ce qui réduit la puissance des sorts. En misant sur la quantité, la visualisation magique devient amoindrie ce qui complique le changement d’élément pour maintenir cette cadence. C’est pourquoi Miss Cornwallis se limite à un seul sort.

Garland développa les subtilités de la technique. Il avait beau enseigner les arts de l’épée, il maîtrisait parfaitement le combat magique. Comme lors du match précédent, Demitrio assurait aussi les commentaires, et reprit la parole.

— Malgré ces inconvénients, les avantages d’un enchaînement continu sont indéniables. Lancer trois sorts pendant que votre adversaire en prépare deux, c’est un net avantage. Cela dit… l’histoire du duel magique est bien plus longue que celle des combats à l’épée. Et au fil des siècles, elle a produit de solides stratégies pour contrer une telle volée.

En effet, malgré l’infériorité numérique, Andrews gérait sans peine la salve de Stacy. Tandis que le spectacle se poursuivait sur scène, la voix de Demitrio résonnait comme un écho.

— D’abord, ne jamais rester statique : multipliez les déplacements latéraux pour désaxer la visée de l’adversaire. Les projectiles mal dirigés peuvent être ignorés. C’est la base du duel magique, même en dehors d’un bombardement. Une bonne feinte dans les appuis est précieuse ici. Et si ça ne suffit pas, repérez l’endroit où plusieurs sorts convergent, attirez-en d’autres au même endroit, et lancez une contre-attaque renforcée pour tous les balayer. La méthode de Mr. Andrews est un cas d’école.

À peine ces mots prononcés qu’une rafale d’Andrews fendit la salve de Stacy et se dirigea droit sur elle. Pour y faire face, elle dut inspirer plus profondément, et pour la première fois, son enchaînement fut interrompu. Une brèche, plus rapide que ce que Garland avait prévu.

— Il contre déjà ? La fameuse maîtrise du vent de Mr. Andrews joue clairement en sa faveur ici. Il sait que la transformation de Mr. Willock approche, et pour l’éviter, il doit tout donner face à cet adversaire initial. Le premier défi de l’équipe Cornwallis sera de savoir si elle peut tenir trois minutes entières.

 

TONITRUS ! TONITRUS ! TONITRUS !

Stacy repoussa l’attaque et reprit immédiatement sa volée. Elle n’avait jamais compté terrasser son adversaire ainsi. L’objectif était de le maintenir sur la défensive, l’empêcher de déployer toute la palette de ses sorts de vent.

La force de l’élément foudre résidait dans la vitesse de ses projectiles et un bombardement frontal en tirait pleinement parti. Plutôt que de chercher à anticiper ou à déjouer son adversaire, Stacy visait à l’empêcher de s’exécuter.

— CLYPEUS !

Mais Andrews avait parfaitement saisi ce qu’elle cherchait à faire. Il garda son sang-froid jusqu’à l’ouverture qu’il attendait, puis fit un pas pour inverser la tendance : un sort de blocage qui modifia la forme du rocher central, le remodelant en une colonne, la première obstruction dressée entre eux.

TONITRUS ! TONITRUS ! TONITRUS !

La colonne les masquait mutuellement alors aucun des deux ne pouvait viser l’autre. Stacy entama immédiatement une course circulaire dans le sens horaire des aiguilles d’une montre autour de l’obstacle, ajustant l’angle de ses tirs, mais Andrews ne répliqua toujours pas. Au lieu de cela, il s’élança droit vers la colonne centrale.

IMPETUS !

Une bourrasque déferla alors qu’il fonçait, frappant la colonne pour la fendre en deux, puis il contourna l’obstacle. Deux lames de vent surgirent dans son sillage, et Stacy rompit sa salve, faisant claquer sa langue.

Les projectiles issus de l’élément vent étaient plus simples et plus lents que ceux de la foudre, mais c’était là leur force : Andrews avait su en tirer parti pour frapper malgré l’obstacle.

TONITRIUS ! FRAGOR !

Stacy évita la lame de droite, pulvérisa l’autre avec un sort, puis enchaîna avec une détonation dirigée contre la colonne, espérant rétablir la vision. Mais évidemment, Andrews avait prévu cette réaction. Alors que la colonne s’écroulait, il avait déjà ajusté sa visée, prêt à lancer un sort à pleine puissance.

IMPET

Mais avant que le mot ne franchisse ses lèvres, il réalisa que l’air autour de lui s’était assombri de manière étrange. Alerté par ce danger soudain, il modifia aussitôt la visualisation de son sort et changea de cible, pointant son athamé vers les débris de la colonne.

IMPETUS ! — TONITRUS !

Le vent s’éleva du sol, déviant le sort de Stacy et soulevant les morceaux de roche au-dessus de sa tête. C’est alors que le nuage d’orage, suspendu au-dessus de lui, lâcha une foudre semblable à une guillotine.

— …!

Sa peau crépita. L’éclair frappa les débris, faisant jaillir une gerbe d’étincelles qui retombèrent sur lui en pluie ardente. Avant qu’il n’ait le temps de se reprendre, la salve de Stacy avait repris, l’obligeant à reculer en bloc. Une fois ses émotions calmées, Andrews se réprimanda mentalement : Ne baisse pas ta garde. Une seconde plus tard, et le match était terminé.

 

— Ooh. Pas mal du tout, cette action, commenta Godfrey depuis les gradins.

Lesedi Ingwe, également membre de la Garde, acquiesça.

— Elle a lentement construit ce nuage avec de la magie spatiale pour ne pas éveiller ses sens, puis elle a attaqué frontalement, parfaitement synchronisée avec la décharge venue d’en haut. Et sa salve a bien empêché qu’il lève les yeux. Elle a su tirer parti de la hauteur de la zone de combat.

Stacy ne se contentait pas d’un tir de suppression pour le tenir en respect. Elle posait aussi ses propres pièges. Lesedi était sincèrement impressionnée. Les conseils qu’elle avait donnés lors du combat contre Rivermoore avaient porté leurs fruits même si ce n’était peut-être là qu’un orgueil de mentor.

— Mais Mr. Andrews a perçu le piège à temps. Assez tôt pour faire monter les débris et encaisser l’attaque de front, ajouta Godfrey. — Une excellente conscience de la situation, et un talent exceptionnel pour modifier à la volée la visualisation d’un sort. Pas la moindre faille en attaque ou en défense, un bon soutien pour une équipe. J’adorerais l’avoir dans la Garde

— Quiconque maîtrise le vent est un atout pour mes empoisonnements. On l’invite ? Je commence à me dire que les menaces ne sont pas toujours la meilleure approche. Et puis, vu comme je suis adorable, suffit que je lui prenne le bras et c’est plié !

— Hey ! Laisse-moi m’en occuper. Ne t’en mêle surtout pas !

Godfrey éteignit immédiatement l’enthousiasme infondé de Tim. Lesedi esquissa un sourire, puis reporta son attention sur le combat.

Stacy avait repris son enchaînement effréné, et Andrews, sa posture défensive. Le duel restait un échange de projectiles à distance. Aucun des deux n’arrêtait de se repositionner, mais aucun ne parvenait à prendre un réel avantage.

L’attaque furtive à base de nuage l’avait rendu prudent. Stacy l’avait placé très haut, l’obligeant à jeter des coups d’œil fréquents vers le haut et chaque fois, ce bref instant retardait ses réflexes face à sa salve.

Ce n’était pas un leurre isolé, mais bien un rouage essentiel de sa stratégie, l’obligeant à modifier sa manière de combattre. Andrews ne pouvait qu’admirer la précision de sa préparation.

— Tu es bien plus futée que je ne le pensais. Mais tu n’es pas la seule à poser tes fondations…

Il ne s’était pas contenté d’admirer. Andrews lança une rafale à travers les projectiles adverses, et Stacy tenta de s’écarter, mais son pied accrocha quelque chose.

— …?!

Elle baissa les yeux, cherchant ce qui l’avait fait trébucher. À première vue, tout semblait normal… jusqu’à ce qu’elle remarque un tourbillon incolore enroulé autour de sa cheville.

Une poche d’air. Comme le Tombeau de la terre, c’était une technique de capture qu’Andrews avait discrètement placée un peu partout dans l’arène au fil du combat. L’entretien impeccable de la zone rendait la poussière quasi inexistante et donc ces vortex invisibles. Pire encore, ils tournaient très lentement. Comme ils faisaient le tour du centre, il lui avait été facile de deviner où Stacy finirait par marcher.

IMPETUS !

Andrews se jeta droit devant, lançant une rafale sur son adversaire immobilisée. Incapable de maintenir une salve en l’état, Stacy dut repasser à la respiration normale. Mais cette inspiration retarda son incantation. Andrews avait réduit la distance à une telle portée, elle n’aurait pas le temps de lancer un sort pour bloquer le prochain.

Elle parvint à dégager son pied de la poche d’air et recula, cherchant à garder ses distances.

— Ah…

Mais déjà, elle se retrouvait acculée dans un coin, sans possibilité de fuir d’un côté ni de l’autre. Une hésitation… et Andrews fondit sur elle sans pitié.

FORTIS IMPETUS !

Une double incantation parfaitement synchroniseé. Le terrain l’empêchait d’esquiver, et elle n’avait pas le temps de rassembler assez de puissance pour repousser l’assaut. Acculée, sans plus aucune option, Stacy allait céder lorsque des ailes implacables fondirent sur elle.

— Une seconde trop tard.

La voix dure de son coéquipier frappa Andrews dans le dos. Et il comprit aussitôt pourquoi. Là où il s’attendait à voir une adversaire vaincue, il se retrouva face à deux combattants, athamés levés.

— …C’était juste, Stace, dit son serviteur.

— Tais-toi, répliqua sèchement la jeune fille. J’avais l’œil sur le chrono.

Deux incantations lancées simultanément pour disperser la rafale, le second provenant d’un nouvel arrivant : Fay Willock.

 

— Et les trois minutes viennent d’être écoulées ! hurla Glenda, les yeux rivés sur le chrono. Miss Cornwallis était littéralement coincée dans un angle de la zone de combat, mais l’arrivée de son coéquipier la sauve in extremis !

La synchronisation irréprochable de l’action fit se lever tout le public. Garland observa les combattants en contrebas avec un sourire.

— Sacrée ténacité. Tous deux ont tiré un remarquable avantage des sorts déployables. Un affrontement hautement technique. Mr. Andrews n’a pas su conclure à temps. Cela pourrait bien rebattre les cartes.

Il avait frôlé la victoire. Mais Andrews accepta la réalité sans rechigner et se replia. Joseph Albright le rejoignit au centre de la zone, faisant craquer sa nuque.

— Il ne fallait pas la coincer vers son camp. Si elle avait été de notre côté, je l’aurais dézingué en arrivant.

— Désolé. Vu la limite de temps, je n’avais pas le luxe d’attendre.

Une remontrance sèche, mais Andrews l’encaissa avec calme. Il reconnaissait son erreur. Le règlement imposait que les nouveaux combattants entrent dans l’aire de combat depuis leur camp, ce qui avait empêché Albright de se joindre immédiatement à l’échange. Une part de chance, certes, mais Stacy avait aussi délibérément conservé sa position côté est à l’approche de la limite. Fay, lui, avait parfaitement capté le signal et s’était préparé à bondir. Résultat : ils avaient déclenché une double incantation juste à temps.

Albright n’en fit pas toute une affaire et se recentra sur l’adversaire. D’abord Stacy Cornwallis, puis Fay Willock, un ordre d’apparition auquel ils ne s’attendaient pas. Ce n’était pas anodin.

— …Ils veulent prouver quelque chose, marmonna Albright.

Il devinait que ce choix ne relevait pas d’un calcul stratégique. Rien ne justifiait, d’un point de vue tactique, de garder Michela McFarlane en réserve. S’ils avaient choisi la voie la plus difficile, c’était pour des raisons personnelles, inutile donc de tenter de deviner leurs intentions.

À la manière des Chasseurs de gnostiques, Albright écarta le superflu. Le champ de bataille était structuré, et les informations essentielles bien visibles.

— Je passe devant, dit-il en faisant face à leurs adversaires. — On le couche avant qu’il ne se transforme.

— Reçu. — IMPETUS !

Albright s’élança, soutenu par un sort lancé par Andrews. Celui-ci se déploya autour de son dos avant de converger de l’autre côté, avançant tel un mur de pression aérienne. Pas de force létale : toute la visualisation était centrée sur la poussée. Un choix adapté à la position de leurs adversaires. Inutile de les trancher ou de les écraser, il suffisait de les repousser au-delà des limites de l’aire de combat, et le match serait terminé.

— Trop lent.

Mais Fay bougea bien plus vite que prévu. Avant même que les vents ne se referment, il était déjà sur Albright, son athamé brandi avec tout l’élan de sa charge.

— Comment ?!

— AWOOOOOOOO !

Une attaque venue de nulle part, et Albright dut pivoter en urgence pour dévier le coup. Dans le mouvement, il aperçut Stacy filer devant ses yeux, agrippée au col de Fay, entraînée dans sa course.

Tandis qu’Andrews restait bouche bée, ils contournèrent son flanc, échappèrent à la bordure de l’aire de combat, et se retrouvèrent au centre.

— ……T’es blessé, Albright ?

— Non. Mais… qu’est-ce qu’il vient de se passer ? Il s’est déjà transformé ?

Andrews était prêt à toute éventualité, et Albright, qui l’avait rejoint, arborait la même expression déconcertée. Une telle échappée semblait pourtant impossible. Pas seulement à cause de la vitesse de charge de Fay, mais surtout parce qu’il avait entraîné Stacy avec lui. Ce n’était pas un simple allègement du poids par magie gravitationnelle. Il fallait une force physique surhumaine pour un tel exploit.

La réponse s’imposait à eux. Un visage nettement plus bestial que son état normal, des vêtements exposant ses muscles saillants, une structure osseuse modifiée à partir de la taille. Fay Willock présentait trois signes évidents : il n’était plus tout à fait humain. Andrews n’eut d’autre choix que d’admettre, d’un ton empreint de respect :

— …Ils ont optimisé la transformation ?

— Le vrai combat commence. À toi de jouer, Fay !

À l’ordre de sa maîtresse, Fay se lança dans une course. Une accélération explosive, des virages acérés, il suffisait d’un instant d’inattention pour le perdre de vue.

Mais Albright n’était pas né de la dernière pluie, il ne laissait pas son regard suivre l’ennemi. Il gardait son champ visuel large, se concentrant uniquement sur la position générale de Fay. Qu’importe les détours : seul comptait le point d’impact final.

FRIGUS !

Dès que son adversaire s’élança, il pointa son athamé dans sa direction et fit surgir un mur d’air glacé sur sa trajectoire. Une méthode classique pour contrer les bêtes agiles. Seul problème : son adversaire n’était pas un simple animal.

FLAMMA !

Fay lança un sort droit vers l’obstacle frigorifié. Une grande partie de son mana était canalisée vers ses jambes renforcées, réduisant considérablement sa puissance magique par rapport à sa forme humaine. Insuffisant pour annuler le sort, mais ce n’était pas son but. Il compensa la perte de puissance en concentrant l’effet : une lance enflammée, étroite et perçante, qui creusa une brèche d’à peine trente centimètres dans la barrière de glace.

Fay adopta une posture de plongeon… et s’y engouffra.

— Hng ?!

Albright leva brusquement son athamé pour bloquer la lame qui fonçait sur lui. Mais ses appuis n’étaient pas ancrés, et sa parade ne fit pas le poids face à l’élan du plongeon de Fay. Affronter cette puissance de front aurait été insensé, alors il dévia le choc en diagonale. L’inertie emporta son adversaire plus loin, et Fay atterrit sur ses deux pieds dans son dos. Andrews tourna sa lame de ce côté.

TONITRUS !

Mais Stacy couvrait son serviteur. Andrews dut rediriger son sort pour annuler l’éclair qui le visait. Et c’était assez pour que Fay reprenne sa vitesse. Reprenant position, Albright fronça les sourcils.

— Un mélange de souplesse animale et de techniques humaines de combat. Voilà donc la force d’un demi-loup-garou…

— AWOOOOOOOOOOOOOOO !

 

— Ils ont vraiment optimisé la transformation ? S’ils y sont parvenus par eux-mêmes, ça pourrait vaguement m’impressionner.

Une déclaration hautaine venue des gradins. Une beauté sculpturale, entachée par une immense cicatrice de brûlure : Leoncio Echevalria, chef de la faction rivale de la Garde, héritière de l’ancien conseil des élèves.

— Un prodige, certes, dit Khiirgi Albschuch, elfe de septième année, le sourire grave. — Les mages ont disséqué moult loups-garous sans jamais percer le secret de la transformation. C’est un sujet de haut vol. Percy, ton avis ?

Elle se tourna vers Percival Whalley, leur candidat à la présidence.

— …La biologie magique de ce niveau n’est pas mon domaine, répondit-il avec froideur. — Mais si je dois malgré tout me risquer à une hypothèse, Mr. Willock n’est pas un loup-garou pur souche, mais un demi-loup-garou et un mage. Ce statut a probablement facilité les choses.

Une réponse prudente, pesée mot à mot. Le septième année à côté de lui,Gino Beltrami, surnommé le « Barman », hocha la tête en guise d’accord.

— Si le sujet de l’étude est lui-même un mage, certaines approches deviennent possibles, comme le partage de visualisations. On sait que la vue de la lune déclenche la transformation, et il est probable que la perception même de ce moment joue un rôle clé. S’ils peuvent contourner cet obstacle perceptif, un tel bond devient envisageable.

Les yeux de Gino étaient rivés sur les combattants. Une fille issue d’une maison de mages de renom, chapeautée par les McFarlane, accompagnée d’un demi-loup-garou sans doute marqué par une vie de souffrances.

Une paire qu’on ne croisait pas tous les jours. Surtout pas avec un lien aussi profond.

— Je parierais que d’autres mages ont déjà exploré cette voie. Mais la transformation d’un demi-loup-garou est extrêmement douloureuse. L’imposer réduit inévitablement leur volonté, alors que ce type de recherche exige une implication sincère. On ne peut l’achever sans une confiance mutuelle absolue. Ces deux-là sont peut-être les premiers de l’Histoire à remplir cette condition.

Les mouvements d’un loup-garou ressemblaient naturellement à ceux d’un véritable loup, avec en prime la capacité de passer librement de la marche à quatre pattes à la bipédie. Dans le cas de Fay, il y ajoutait tout ce que sa vie de mage lui avait offert : contrôle de l’équilibre, techniques de course et de déplacement, arts de l’épée inclus.

— AWOOOOOOOO !

Le résultat ? Un loup armé d’une lame. Il pouvait s’abaisser au sol bien plus bas qu’une posture humaine, trancher à hauteur du sol, et enchaîner sans jamais laisser d’ouverture après l’attaque. Il n’avait même pas besoin de se redresser : il conservait sa vitesse de pointe en s’appuyant par terre avec les paumes. Pour ne pas entraver ce mode quadrupède, son athamé était fixé à sa main en prise inversée. Il n’avait qu’à saisir la garde au moment de frapper. Pour incanter, il repassait brièvement en prise normale, un geste qu’il avait répété à l’infini.

Rossi connaissait bien les roulades terminant sur une attaque de jambe, mais chez lui, c’était une feinte. Chez Fay, c’était simplement… sa manière habituelle de se battre, née naturellement de ses aptitudes physiques.

— Tch… !

IMPETUS !

Avec une hauteur de garde aussi différente de celle d’un humain, difficile de riposter à vue.

Andrews et Albright le comprirent immédiatement et modifièrent leur stratégie : non plus un duel d’homme à homme, mais un duel contre une bête.

Andrews provoqua une charge au niveau de ses tibias, esquiva, puis lança une lame de vent dans le dos de Fay en repli. Large, afin de toucher même en cas d’esquive.

PROHIBERE !

Mais Fay ne tenta pas d’esquiver. À la place, il fit pivoter son athamé et effectua une rotation avant, lançant un sort dans les vents tout en étant la tête en bas. Le sort d’Andrews était plus puissant, mais la largeur du flux permit d’annuler une portion ciblée. L’attaque fut stoppée net, Fay acheva sa pirouette et retomba sur ses appuis.

FRIGUS !

— MAGNUS TONITRUS !

Stacy, loin d’être inactive, prépara une double incantation. Tandis que ses adversaires étaient accaparés par Fay, elle lança son double sort. Albright tenta de la ralentir avec un mur de givre, mais elle se déplaça d’un pas latéral et relâcha un immense éclair. L’espace entre eux fut englouti dans une lumière aveuglante. Andrews, incapable de l’esquiver, utilisa un élément opposé pour dissiper une partie de l’attaque, mais…

— Attention à tes pieds !

Fay surgit à nouveau, se glissant dans l’interstice entre l’éclair et le sol, son athamé de nouveau en prise inversée, visant à trancher un morceau du mollet d’Andrews. Juste avant que la lame n’atteigne sa cible, Albright envoya un coup de pied dans le poignet de Fay, déviant le coup. Fay repartit en courant, et Andrews tenta de viser son dos.

MAGNUS FRAGOR !

Mais Stacy n’avait pas dit son dernier mot. Elle enchaîna aussitôt avec une seconde double incantation.

Albright et Andrews s’unirent pour la contrer, mais avant que leurs sorts ne soient prêts, celui de Stacy explosa seul. Une nuée de fumée noire se répandit sur toute l’arène. Un nuage s’abattit sur leurs têtes et Albright aperçut Fay s’y faufiler.

— Attention ! cracha Andrews. — Les loups-garous ont un bon flair et de bonnes oreilles !

— Je sais ! IMPETUS !

Regardant ses pieds, Andrews souleva une bourrasque pour dissiper la fumée. Albright scruta les environs nouvellement dégagés… mais Fay n’était nulle part en vue. À la place, deux incantations retentirent dans l’arène.

FLAMMA !

— MAGNUS TONITRUS !

Éléments différents, puissance différente, angles différents, mais une même cible. Albright fonça vers la flamme pour l’annuler avant qu’elle ne les atteigne. Andrews sur ses talons neutralisa le fouet d’éclairs. Tous deux transpiraient à grosses gouttes. Il y avait tout juste assez d’espace pour éviter la double incantation, mais un instant de retard, et c’en était fini.

— Hahhh… hahhh… Bon sang, ils sont coriaces… ! pesta Stacy, à bout de souffle.

Elle figurait parmi les élèves les plus endurants de sa promotion, mais trois doubles incantations lancées à pleine puissance d’affilée, cela restait éprouvant. La vitesse effrénée de Fay commençait aussi à lui coûter, mais pas plus que ce que leur défense acharnée avait infligé à l’adversaire. Les deux camps avaient besoin d’un moment de répit avant de relancer les hostilités.

Ils se réorganisèrent, se faisant face au centre de l’aire de combat.
À distance, reprenant leur souffle.

— Je ne pensais pas galérer autant contre toi, dit Albright, presque amusé. — Tu t’en sors bien, Cornwallis.

— Rien ne me ferait plus plaisir que de voir ta grande bouche se fermer, répliqua Stacy.

Elle n’était pas du genre à fuir les joutes verbales. Puis, elle s’adressa à son serviteur par leur fréquence magique.

Tu tiens encore bon, Fay ?

Évidemment. Donne-moi le signal.

Des mots pleins d’assurance, mais Stacy grinça des dents en pensant à la douleur qu’il devait endurer. Tout ce qu’ils avaient traversé lui revint en mémoire.

 

Un hurlement bestial résonnait dans la chambre close d’un atelier du premier niveau du labyrinthe. Le visage figé, dénué de toute émotion, résultat d’un contrôle de soi forcené, Stacy fixait la source de ce cri : son propre serviteur, Fay Willock, le demi-loup-garou.

— …Fay, prends un antidouleur. On s’arrête là pour aujourd’hui.

À terre, il se griffait frénétiquement le sol, bien que ses ongles aient déjà été arrachés. Aux mots de Stacy, ses gémissements s’apaisèrent. Il se tourna vers elle, et elle entrevit dans l’ombre une dentition acérée, son visage n’étant qu’à moitié transformé. Le souffle court, mais les yeux encore lumineux, Fay secoua la tête.

— Non… Laisse-moi continuer. Je suis sur le point d’y arriver !

— J’ai dit stop ! Si tu continues à discuter, je t’assomme !

Pour appuyer sa menace, elle pointa sa baguette sur lui. Il leva les yeux vers elle, sans sourciller.

— …Écoute, Stace. J’essaie pas de jouer les durs. Je choisis volontairement la voie la moins douloureuse.

— …Hein ?

Incapable de saisir le sens de ces mots, elle fronça les sourcils. Fay expira longuement, le regard levé vers les poutres.

 

— Placer une lune, non pas dans le ciel, mais dans mon esprit. C’était ton idée, Stace et tu avais vu juste. Nos essais ont prouvé que c’était possible, je te le garantis. Mais si on n’y arrive pas encore… c’est que le blocage vient de moi.

Il grimaça. C’était lui qui vivait les effets physiques des essais, et il était donc le mieux placé pour comprendre ce qui clochait.

— Dès que la douleur de la transformation me saisit, ma conscience se disloque. La lune est là… mais elle éclate en morceaux. Et la transformation s’interrompt. Ce n’est pas une question de supporter la douleur. Cette méthode exige que mon esprit reste parfaitement stable. Autrement dit… je dois recommencer encore et encore jusqu’à trouver la maîtrise.

— …Je… je sais bien ! Mais… ce genre de choses demande du temps ! Je dis juste que l’on n’a pas besoin de se précipiter comme ça !

Un cri du cœur, frôlant la crise. Fay savait très bien pourquoi. C’étaient ces expériences qui le faisaient souffrir. Elle le faisait ainsi souffrir.

Une douleur pareille était déjà insupportable une seule fois… et elle lui en avait infligé des dizaines, sans les compter. Si cela avait été sa propre souffrance, Stacy aurait pu l’endurer. Mais la réalité était autrement plus cruelle. Faire subir un supplice sans fin à son partenaire, cette seule pensée lui brisait le cœur.

— Plus on mettra de temps à trouver la chose, plus ils auront de raisons de nous séparer. Pas vrai ?

Il savait que ces mots étaient cruels. Mais il les dit quand même. Stacy en eut le souffle coupé. Son regard semblait demander « pourquoi », et Fay tenta de lui sourire.

— Je le sais. Ta famille te met la pression. « Tu es en troisième année maintenant. Tu comptes garder ce chien encore combien de temps ? » Et pire encore, j’entrave leurs efforts pour te trouver un fiancé.

Stacy ne répondit rien. Mais son silence disait tout.

— C’est logique, admit Fay en hochant la tête. —  Peu importe le nombre de combats menés, je ne peux pas t’épouser. Le chef de maison n’acceptera jamais de souiller la lignée Cornwallis avec du sang loup-garou. Tu seras promise à un autre mage, et tu auras des enfants avec lui. Je l’ai accepté. Depuis le jour où ils m’ont recueilli, je savais que ça finirait ainsi.

Son ton restait neutre. Ce n’étaient que les faits. Il connaissait sa place sans qu’on la lui explique. Une héritière mage, promise à un bel avenir, et un chien errant qu’on avait bien voulu lui laisser après un caprice du destin. Objectivement, il n’y avait que cela entre eux. Et dans le monde des mages, les sentiments n’avaient aucune valeur.

C’est pour ça qu’il était prêt à tout, dans les limites qu’on lui imposait.

— Et malgré ça… je veux rester à tes côtés. Peu importe ma place, même si je ne n’aurais jamais le droit de te toucher, je veux être ton chien de garde. C’est tout ce que je souhaite, dit-il à Stacy. — Mais pour ça, il me faut une raison d’être. Un chien de garde a un prix. Et un bâtard comme moi n’a pas la valeur qu’il faut pour rester avec toi. Alors il faut que je sois plus qu’un garde du corps. Il faut aussi que je vaille quelque chose comme sujet d’étude. Que mon corps t’offre des résultats qu’on ne pourra pas ignorer.

C’était la seule voie qu’ils avaient trouvée. N’importe qui pouvait devenir son garde du corps. Mais seul lui pouvait servir de sujet d’expérimentation, c’était la seule manière pour que le clan Cornwallis tolère sa présence. Pour les mages, les résultats de recherche avaient autant de valeur qu’un prétendant.

Et dans un avenir proche, une occasion parfaite se profilait pour faire valoir ces résultats : l’arène de la ligue de combat. Une chance de briller aux yeux de tous. Conscient de tout ce qui pesait sur leurs épaules, Fay parla avec une sincérité farouche.

— La douleur est insignifiante. Je peux la supporter. Mais je ne pourrais pas survivre à l’idée de te perdre. Si je ne peux plus voir ton visage ni entendre ta voix, je redeviendrai ce chien errant que j’étais avant de te rencontrer… et ça, ça me terrifie plus que tout.

Pas de fioritures. Rien que la vérité, crue. Laisse-moi rester avec toi. Peu importe le prix. Laisse-moi garder ce collier.

Alors qu’il s’approchait, Stacy sentit ses jambes flancher. Le vœu du garçon à moitié loup-garou et les sentiments de sa maîtresse s’entremêlaient, au point de ne faire qu’un. Comme s’ils avaient été coulés dans le même moule.

— Fay… ! s’écria-t-elle en le serrant dans ses bras.

Elle savait que c’était leur seule voie… et elle le regrettait. Pour rester aux côtés de celui qu’elle aimait, elle devait lui infliger de la souffrance. Une damnation qu’ils avaient forgée eux-mêmes. Un enfer dont ils ne sortiraient jamais vraiment. Cette expérience finirait, ce combat aussi… mais d’autres viendraient, tout aussi cruels.

— …Continue, Stace, dit Fay en lui rendant son étreinte. — C’est ce que je veux. Quand j’ai mal, j’en oublie d’avoir peur.

Il s’était coupé toute échappatoire. Stacy ravala ses sanglots, le relâcha, se remit debout. Elle aurait voulu pleurer ainsi pendant des heures, le serrer pour l’éternité. Mais elle n’avait pas le droit de faire d’un sortilège une punition éternelle. Elle ne pouvait pas prolonger cette torture qu’il acceptait pour elle.

— Me regarde pas comme ça. Tu sais bien que ton chien de garde est plus robuste que ça. Faudra bien plus pour m’abattre.

Stacy ne savait même plus quelle expression elle avait sur le visage. Mais Fay, lui, restait égal à lui-même. D’une douceur terrible, comme s’il promettait que ce qu’elle lui infligeait n’était rien, comparé à la douleur qu’elle ressentait elle-même.

— Et quand j’y arriverai enfin… dis-moi que j’ai été un bon chien. C’est tout ce que je veux. Les chiens ont toujours été des créatures simples.

Stacy acquiesça, prit une grande inspiration. Elle agita sa baguette et incanta.

— AWOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOO !

 

Un cri de guerre qui fit vibrer tout le colisée. Ses échos résonnaient encore en elle tandis que Glenda, moite de sueur, reprenait son rôle :

— Q-quelle montée en puissance soudaine ! L’équipe Cornwallis prend l’offensive ! Ils ne laissent même pas l’équipe Andrews riposter !

— Une performance magistrale. Les attaques fulgurantes de Mr. Willock et les tirs de soutien audacieux de Miss. Cornwallis clouent l’adversaire. Ses doubles incantations à large portée pourraient aisément toucher son partenaire, mais avec cette précision, elle visualise ses sorts de manière à lui laisser des voies de fuite. La robustesse du corps de loup-garou joue sûrement en sa faveur, mais même ainsi… c’est une démonstration de coordination renversante.

Garland se montrait bien élogieux. Pourtant, ses yeux d’expert ne perdaient pas l’autre équipe de vue. Elle aussi méritait les louanges.

Car plus Stacy et Fay intensifiaient l’assaut, plus leurs adversaires affinaient leur défense.

— Mais l’équipe Andrews gère remarquablement bien. Ils ont choisi d’attendre, de lire les mouvements de Mr. Willock avant d’agir. Ils savent qu’attaquer prématurément serait un pari dangereux.

Ils faisaient des choix prudents, visant une victoire assurée. Resterait à savoir si leur sang-froid l’emporterait sur la détermination implacable de l’équipe Cornwallis.

Même avec un œil averti, impossible de trancher. Mais le moment décisif approchait à grands pas.

— Mr. Willock est en mouvement constant, désorientant ses adversaires. Miss Cornwallis verrouille leur champ d’action par des doubles incantations à large zone d’impact. Deux stratégies très éprouvantes. Le tout est de savoir si l’investissement paiera.

Aussi solide soit l’adversaire, plus le combat durait, plus on perçait sa nature. Andrews et Albright tenaient bon comme s’ils s’endurcissaient dans un bain glacé. Et lentement, leur persévérance porta ses fruits.

— Hfff !

Fay tenta un coup tranchant vers la cheville de son adversaire en passant. Albright leva la jambe pour éviter le coup. Il avait anticipé la trajectoire, fait le minimum pour esquiver, sans perdre l’équilibre. Il se retourna aussitôt, lançant un sort de gel dans son dos, mais Fay s’était déjà abrité derrière un mur. Chaque fois qu’ils en avaient eu l’occasion, lui et Stacy avaient dressé de petites barricades. En mode quadrupède, le corps de Fay rasait le sol, il n’avait pas besoin d’un mur bien haut.

— AWOOOOOOOOOO !

Il surgit l’instant d’après, repartant à l’assaut. C’était exactement ce qu’attendait Albright. Il avait désormais l’œil habitué aux attaques sous le genou. Cette fois, il était prêt à riposter, mais alors qu’il se préparait, Fay dévia brusquement sa trajectoire.

— Hng !

Un virage sec sur la gauche d’Albright. Mais l’athamé de Fay était dans sa main droite, en prise inversée, quoi qu’il tente, sa lame ne pouvait atteindre la cible. Une feinte pour passer dans son dos ? Albright supposa cela, et s’apprêta à lancer un sort… mais avant que sa bouche ne forme les mots, une chaleur fulgurante le frappa au pied gauche.

— Ngh— ?!

— Albright ! s’écria Andrews, voyant le coup.

Le premier sang du match. Une entaille à la jambe d’Albright, dont le sang coulait déjà au sol.

— …Ses griffes, grogna Albright, en identifiant la cause.

Les uniformes de Kimberly étaient tissés avec le fil enchanté le plus fin qui soit. Aucune lame ordinaire ne pouvait les déchirer. Mais les griffes d’une bête magique imprégnée d’un puissant mana, c’était une autre histoire. Fay filait à travers l’aire de combat, mais en y regardant de plus près, Albright distingua de longues griffes jaillissant à travers les chaussures de cuir du garçon. Un atout gardé secret jusqu’ici, destiné à percer les défenses de l’équipe Andrews. Mais l’horloge sonna la sixième minute.

— Tch…

— Alors, t’as eu ta dose après être parti dans tous les sens ? dit Rossi.

Le troisième membre de chaque équipe entra en scène sans attendre. Rossi se plaça derrière Albright, attentif à sa mobilité réduite.

— TONITRUS !

— CLYPEUS ! CLYPEUS ! CLYPEUS !

En coordination avec Chela, Stacy relança les éclairs. Trois sorts de barrière les stoppèrent net, mais pendant ce temps, Fay avait contourné le mur et reprenait l’assaut sur l’équipe Andrews, tirant parti de l’immobilité du blessé. Rossi se retrouva dans une position délicate à peine arrivé… et pourtant, un large sourire ornait ses lèvres.

— Je suis ravi que nos plans aient échoué. J’ai salivé pendant six minutes d’attente.

Les deux jeunes femmes frappèrent le mur à l’aide de sorts de percussion, le brisant net. Profitant de l’ouverture, Chela jeta un coup d’œil à sa partenaire.

— Stace, il te reste assez de mana ?

— Hahh… hahh… Suffisamment ! Vas-y, Fay !

— AWOOOOOOOOOOOOO !

Stacy tirait clairement sur ses dernières réserves, mais Fay répondit à son appel par un hurlement assourdissant, fonçant de plus belle vers l’équipe adverse. Une charge de chien de garde déterminé à mordre à travers tout ce qui se dresserait sur la route de sa maîtresse. Et Rossi se dressa de lui-même devant ces crocs et ces griffes.

— Quelle férocité ! lança-t-il. — Mais cela ne m’est plus étranger.

Une double feinte à ras du sol, suivie d’un coup bas. Rossi ne tenta même pas de suivre les mouvements des yeux. Il se contenta de capter la silhouette dans son champ périphérique puis il fit le grand écart. Sa lame s’abattit d’en haut, prenant Fay de court.

Ce dernier parvint à lever son athamé juste à temps… mais les bras de Rossi saisirent aussitôt le sien, l’immobilisant.

— ?!

— Maintenant, nous sommes tous deux au sol, on peut se dévorer du regard, non ?

— Fay !

Le cri de Stacy trahissait une pointe de panique. L’agilité de Fay était le cœur de leur stratégie et maintenant qu’il était plaqué au sol, tout s’effondrait.

Il se débattait de toutes ses forces, mais Rossi avait verrouillé ses jambes autour de lui, lançant à ses alliés :

— Ne tirez pas dans notre direction, les gars. Je le tiens. Contentez-vous d’attendre.

— Hmph. Bien joué, répondit Albright. — Cloue-le bien au sol.

IMPETUS !

Avec leur adversaire le plus imprévisible neutralisé, ils passèrent à l’offensive. Stacy et Chela tentèrent de secourir Fay, mais les sorts d’Andrews et d’Albright claquèrent comme des fouets, les repoussant.

— Avec l’entrée en jeu des troisièmes combattants, les sorts reprennent le dessus ! Mr. Willock avait réussi à désorienter l’équipe Andrews, mais Mr. Rossi a stoppé tout ça dès son arrivée !

— Je dois admettre que c’est un coup digne d’un pur talent. Il utilise des techniques de combat au sol, mais la chute qui l’y a mené… c’était de l’improvisation pure. Je ne connais aucune école où on enseigne des mouvements aussi spécifiques. Se servir de ses jambes comme leurre pour prédire la trajectoire de Mr. Willock, il faut un sacré culot !

Garland semblait partagé entre l’admiration et l’effarement. Neutraliser Fay était clairement une priorité… mais jamais il n’aurait imaginé que cela se ferait ainsi.

Ce n’était clairement pas orthodoxe et pourtant, c’était exactement ce qu’il fallait pour briser l’impasse.

— C’est souvent comme ça dans les combats équilibrés. Ils comptaient s’éliminer rapidement, mais six minutes n’ont pas suffi à franchir les défenses adverses. C’est la preuve que cet affrontement est d’un équilibre rare. Voilà pourquoi chaque équipe a su triompher des précédentes.

Il sourit, satisfait. La ligue de combat ne voyait pas la domination d’un titan, mais bien l’affrontement émérites d’équipes tenaces, à la hauteur de cette phase de la compétition. Et cela rendait leur instructeur fier.

— Mr. Willock était un atout central dans la stratégie de l’équipe Cornwallis, et maintenant qu’il est neutralisé, ils doivent changer leur jeu. La blessure de Mr. Albright leur donne un avantage, mais Miss Cornwallis a lancé beaucoup de doubles incantations et son mana doit avoir été bien consumé. L’issue du duel entre Mr. Rossi et Mr. Willock pourrait bien décider de l’issue du combat, rien n’est encore joué.

— TONITRUS ! TONITRUS ! TONITRUS !

Albright faisait barrage à Stacy, et elle continuait de lui balancer ses éclairs.

Sa jambe blessée lui donnait un léger avantage, mais elle était trop épuisée pour percer ses défenses. Trop essoufflée pour maintenir longtemps la respiration circulaire. Et il le savait, alors, entre deux sorts, il la provoqua :

— …Allez, tu rêves de me voir à genoux, non ? Un pas de plus, et c’est fait.

— Quand tu y seras déjà ! TONITRUS !

Stacy refusa de mordre à l’hameçon, et resta obstinément à distance, enchaînant les sorts. Avec cette blessure, elle aurait pu tenter une attaque rapprochée… mais Albright couvrait intelligemment sa jambe, et sa maîtrise de l’épée suffisait à conserver l’avantage. Autant elle avait envie de foncer aider Fay, autant elle se força à résister, à garder l’esprit clair, concentrée sur l’échange incantatoire, guettant sa chance de renverser la vapeur.

— J’ai dû revoir mon jugement, Rick. Je ne suis pas à ta hauteur pour contrôler le vent.

— Ton bavardage en combat n’a pas changé, Michela. IMPETUS !

Chela et Andrews étaient eux aussi à distance de sort, mais Chela venait d’entrer dans l’arène et conservait toutes ses forces, forçant Andrews à jouer la prudence. Il s’était attendu à ce qu’elle tente une percée agressive, mais à sa grande surprise, Chela ne manifestait aucun signe d’hostilité. Cette retenue le déconcerta.

— Tu veux juste me retenir occupé ? Tu sais que Rossi a pris le dessus.

— …

Chela ne prit même pas la peine de répondre. Elle se contenterait volontiers de jouer ce rôle, mais ce n’était pas parce qu’elle en avait fait la promesse à ses coéquipiers. Entrer en troisième, et immobiliser soit Andrews, soit Albright. C’était son rôle dans ce match. Telles étaient les instructions qu’on lui avait données et elle en comprenait la logique. C’était l’équipe de Stacy, et la victoire ne valait que si elle était remportée à leurs conditions.

Si Chela se mettait à faire étalage de sa puissance pour renverser la situation, cet objectif serait compromis. Stacy et Fay lui demandaient de les aider, mais c’était bien leur force qu’ils venaient démontrer. Et Chela mesurait à quel point cet objectif était vital pour eux. Voilà pourquoi elle s’effaçait.

— …Gah…

Et puisqu’elle s’en tenait scrupuleusement à ce rôle, ses camarades allaient devoir sortir seuls de ce mauvais pas. Ce ne serait pas facile. Un demi-loup-garou possédait plus de puissance propulsive qu’un humain, mais cela se faisait au prix de la souplesse, surtout au niveau des hanches. En ajoutant l’avantage technique, le combat au sol appartenait à Rossi.

À force de passes de garde, il avait réussi à se placer dans le dos de Fay. Tandis que celui-ci continuait de se débattre, Rossi murmura :

— Heureusement que j’ai révisé mes techniques de lutte, non ? Niveau force brute, je te bats pas, c’est sûr…

— …Rrrgh… !

— Ah-ah, bouge pas autant, d’accord ? J’suis pas encore doué comme notre président, je risque de mal finir tout ça… par contre, au lit, j’me débrouille peut-être mieux.

Même en plaisantant, il affinait sa position. Il plaqua le bras qui maintenait la gorge de Fay contre le sol, bloquant la main porteuse de l’athamé. De l’autre, il agrippa sa manche pour resserrer l’étranglement, comprimant l’artère. La transformation de Fay n’avait pas affecté son cou ni ses cordes vocales, sans quoi il aurait été incapable d’incanter. Sa constitution restait humaine à cet endroit et l’étranglement était diablement efficace.

Le combat au sol approchait de sa fin. Stacy en aperçut un bout, au-delà de la silhouette d’Albright, qui lui bloquait la vue directe. Elle ne pouvait pas le viser de front, mais elle le savait, et cette position lui convenait parfaitement.

LUNA PLENA !

— Hng ?!

Au beau milieu d’un échange de sorts effréné, alors qu’il ne s’y attendait pas, Stacy pointa son athamé vers le ciel. Une lumière pâle émergea, prenant la forme d’une perle suspendue dans les airs. Albright grimaça, furieux de son erreur. L’orbe était placé dans son dos, légèrement en hauteur. Pour la viser, il devrait se retourner et il ne pouvait se le permettre. Stacy le tiendrait en joue, et Chela occupait toujours Andrews.

— Tu t’es bien défendu, mais cette fois, c’est terminé.

Rossi, concentré sur son duel au sol, ne remarqua rien du changement. Le sang commençait à manquer au cerveau de Fay, et sa vision s’assombrissait, mais juste avant que sa conscience ne cède, la voix de sa maîtresse l’atteignit.

— Fay ! Regarde en haut !

Il comprit aussitôt. Incapable de tourner la tête, il leva les yeux. Et dans son champ de vision qui se rétrécissait, il aperçut ce dont il avait le plus besoin. Une pleine lune, suspendue dans le ciel.

— …GAH…

— Hein ?

Le cou de Fay s’élargit soudainement, écartant le bras de Rossi. Peu importe la force de sa prise, elle n’était plus suffisante. Ce cou n’était plus humain.

— Tu te fous de moi…

— GRAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAH !

Dans sa forme complète, Fay poussa un rugissement bestial. Tel un ressort géant, il bondit. Rossi lâcha aussitôt sa prise et recula, se positionnant dos à dos avec Albright.

— Je croyais que t’en avais fini ? demanda ce dernier.

— Me fais pas rire ! Ma lutte au sol, c’est pour les humains, pas pour des monstres !

Le ton de Rossi frôlait le cri. Et Fay avait déjà repéré sa cible. Il fonça droit sur eux.

— Il est pour toi, Albright ! cria Andrews, sans quitter Chela des yeux.

Albright en était parfaitement conscient. Un loup-garou transformé ne pouvait être vaincu par une simple incantation. Il aurait préféré échanger avec Rossi, mais cela les exposerait à Stacy. En pleine forme, il aurait peut-être pu esquiver la charge et gagner du temps. Avec une jambe blessée, ses chances étaient faibles.

Ses options étaient limitées. Mais en instant, il fit son choix et recula d’un pas. Pivotant vers Fay, il lança à Rossi :

— On échange !

— Hein ?!

Ils échangèrent leurs positions. Rossi ne protesta pas. Il se tourna vers Stacy… mais ne put masquer sa surprise. Est-ce qu’Albright allait vraiment affronter Fay ainsi transformé ? Avait-il seulement une chance de survivre ?

— GAAAAAAAAAAAAAAAH !

La proie de Fay restait plantée là. Les yeux fixés sur la gorge d’Albright, sans une once d’hésitation, Fay se jeta sur lui, gueule grande ouverte. Il plaça un bras devant son cœur, prêt à encaisser une éventuelle estocade. Pour tout le reste, il encaisserait. Même un sort à bout portant. Et ses mâchoires se refermeraient un instant après. L’heure des subtilités était révolue.

Et la réponse d’Albright fut tout aussi brute. Alors que les crocs fondaient sur lui, il projeta son coude gauche devant eux.

— Gnh… !

Il sentit les crocs lui déchirer la chair et toucher l’os. Gémissant de douleur, il tint bon. Il manipula son mana intérieur pour renforcer temporairement l’épaule, transformant son avant-bras en bouclier contre la violence animale. C’était vain. Cela ne retardait son démembrement que de quelques secondes, mais ces secondes avaient leur importance. Suffisamment pour agir.

FRIGUS !

Alors il agit. Il plaça sa main tenant l’athamé à hauteur de poitrine, pointe dirigée vers le ventre de Fay, et incanta un sort avec toute la puissance dont il disposait. L’épaisseur de la musculature abdominale empêcha la lame de percer jusqu’aux organes vitaux, mais le sort de gel fut suffisant pour glacer les entrailles de la bête, une froideur qui atteignit bientôt le cœur.

— KAH…

Le corps de Fay s’immobilisa, ses genoux cédant malgré lui. Albright bascula son poids sur le côté, l’entraînant au sol. La chair tailladée jusqu’à l’os, son bras gauche pendait, inerte… mais l’héritier du clan Albright avait remporté le combat.

— …Voilà comment les Albright chassent les loups-garous.

— Fay !

Voyant son serviteur s’effondrer, Stacy oublia toute prudence et accourut vers lui. Rossi ne l’en empêcha pas, la laissant passer sans opposition puis visa son dos laissé sans défense.

— Pardonne-moi, Stacy. FLAMMA !

FRIGUS !

Alors que les flammes jaillissaient de la baguette de Rossi, Chela perçut le danger. Elle plongea de côté, esquivant de justesse la bourrasque d’Andrews pour lancer un sort de protection. Les incantations se percutèrent dans le dos de Stacy. Ce n’est qu’à ce moment-là qu’elle aperçut le sort d’Albright, mais Andrews la tenait déjà en joue.

— IMPETUS !

La défense de Chela ne fut pas assez rapide, et le sort de vent ne manqua pas sa cible. Le sort d’Albright, c’était tout ce qu’elle avait pu contenir… et Stacy, tirée de sa transe, tourna sur elle-même, réagissant au quart de seconde.

PROHIBERE !

Elle tenta de contrer la rafale par l’élément opposé, mais son sort fut consumé, et le vent d’Andrews s’abattit impitoyablement sur elle.

— Non !

Lorsqu’elle comprit qu’elle avait été surpassée, il était déjà trop tard. Incapable d’esquiver, Stacy fut projetée par la déferlante, roulant sur le sol de l’arène. Même à cette distance, Andrews vit qu’elle avait perdu connaissance.

— …Plus assez d’énergie. La fatigue a eu raison d’elle, murmura-t-il.

La force de ses sentiments n’avait pas suffi à compenser. C’était là la cause de la chute de Stacy. Chela mordit sa lèvre, et Albright, après avoir vu l’issue du combat, laissa la douleur l’envahir, s’écroulant à son tour.

— J’ai trop perdu de sang. À vous de jouer, maintenant…

Andrews et Rossi hochèrent la tête. Leur camarade avait abattu Fay, mais au prix fort. Ils ne pouvaient pas lui demander de continuer, d’autant qu’un autre match les attendait après une courte pause. Pas la peine de s’épuiser plus que nécessaire.

— Ne reste que toi, Chela. Alors, que décides-tu ?

Même logique pour l’adversaire. Andrews s’avança aux côtés de Rossi, athamé prêt, lui suggérant indirectement de renoncer. Une invitation à abandonner le combat, pour se concentrer sur la suite, une main tendue vers une résolution raisonnable.

Un silence. Puis Chela abaissa sa lame, acceptant l’offre.

— …Désolée, Stace.

Andrews s’attendait à cette réponse… mais il en ressentit tout de même un certain soulagement. Il comprit qu’elle se mettait volontairement en retrait, laissant à Stacy son rôle de meneuse. Dans ces conditions, elle n’avait plus rien à gagner à poursuivre seule.

Mais cette impression fut balayée par une montée soudaine de mana, aussi massive qu’un raz-de-marée.

— ?!

Son esprit s’éclaira d’un coup, ses nerfs en feu. Sous leurs yeux, la fille aux boucles anglaises commença à changer. Ses oreilles, joliment arrondies, s’allongèrent, devenant pointues.

— Je comptais simplement veiller sur le match. Mais je crois qu’en cet instant… j’ai envie de passer outre.

Chela était une demi-elfe, et c’était sa plus grande carte, la preuve irréfutable qu’elle cessait d’être en retrait. Andrews et Rossi bondirent en arrière.

TONITRUS !

Chela lança un sort vers l’un d’eux, un éclair bien plus puissant que tous ceux tirés jusqu’ici. Une telle intensité aurait pu être prise pour une double incantation. Et pourtant, Rossi ne perdit pas son sang-froid. Il avait vu trop de combats pour se laisser impressionner. Il lut la trajectoire du sort, remarqua qu’elle visait légèrement en contrebas, et esquiva d’un mouvement minimal. Il avait vu juste : le sol explosa dans une gerbe d’étincelles.

— Quelle puissance… ! Mais visée bancale !

Il ricana, bondit au-dessus de la zone d’impact et lança sa contre-attaque. Il en conclut qu’elle ne maîtrisait pas totalement sa puissance amplifiée. Et cela, c’était un terrain qu’il connaissait : affronter des ennemis plus puissants que soi, il l’avait déjà fait.

Mais Andrews, lui, avait une tout autre lecture. Il savait mieux que quiconque que Michela McFarlane ne laisserait jamais une faille aussi évidente. Et c’est pourquoi…

— Non, Rossi ! Tu es à portée !

— Hein ?

Rossi fronça les sourcils, sans comprendre. Et pour cause : Chela était loin. Bien trop loin pour attaquer.

Il aurait pu esquiver n’importe quel sort. Même avec plus de puissance, la vitesse d’un éclair restait constante. Il n’y avait aucun danger immédiat…

…du moins, selon toute logique. Mais cette logique vola en éclats. En un battement de cœur, Chela était sur lui.

— Hah ?!

Il n’eut même pas le temps de réagir. L’observation, la lecture, l’analyse, tout était en retard. Athamé droit devant elle, sans fioriture, elle l’enfonça droit dans la poitrine de Rossi, avec une force telle qu’il fut projeté en arrière. Il se sentit soulevé, et vit sa silhouette rapetisser.

 L’instant d’après, sans qu’il ait bougé le moindre doigt, il s’écrasa hors de l’aire de combat.

— Kah !

Le souffle coupé net, il perdit connaissance. Un silence de mort s’abattit sur l’arène.

Les élèves figés dans les gradins, incapables d’applaudir, sidérés.

 Au centre de tous les regards muets, Chela, encore figée dans sa posture d’attaque, expira lentement.

 


 

— Q-q-q-quoi ?! balbutia Glenda. Elle était bien hors de portée, mais elle a pourtant projeté Mr. Rossi hors de la zone ! Je… je ne comprends rien. Qu’est-ce qu’on vient de voir ? Une estocade à distance ?!

— …Un autre type de Suspension, grogna Garland, tandis que la foule rugissait enfin.

Il semblait plus inquiet qu’émerveillé.

— Le processus fondamental est le même que celui démontré par Miss Valois dans le match précédent. Mais l’application, elle, est radicalement différente. Miss Valois utilisait la Suspension pour rendre ses mouvements illisibles. Miss McFarlane, elle, s’en est servie comme propulseur. Le sort qu’elle a lancé avant n’était pas une attaque, mais un balisage. Une ligne tracée dans l’élément opposé, menant droit à sa cible. Contrairement à une Suspension ordinaire, qui repose sur le sol existant, celle-ci s’appuie sur une ligne de répulsion entièrement visualisée dans l’élément magique opposé, maximisant ainsi l’effet propulsif.



Telle était la nature de l’énigme qui avait terrassé Rossi. En lisant la trajectoire du sort et en l’évitant par un mouvement minimaliste, il avait, sans le savoir, scellé sa propre défaite. Chela l’attendait au bout du chemin. Garland, bien sûr, n’avait aucune intention de lui reprocher cet échec. Il aurait été absurde d’attendre d’un élève de troisième année qu’il esquive pareille technique à l’aveugle. C’était tout simplement au-delà de toute entendement humain.

— Un secret du style Rizett qu’on nomme Étincelle. C’est facile à expliquer en théorie, mais seulement en théorie. Allier l’accélération d’un pas parfaitement équilibré à la propulsion d’une Suspension propulsive… une telle vitesse ne peut être atteinte qu’avec une maîtrise de très haut niveau. L’équivalent de transformer son propre corps en boulet de canon. La moindre erreur, et on fonce tout droit dans le décor.

Même en l’analysant, Garland peinait à croire que l’exploit n’avait pas tourné au désastre. La manœuvre exécutée par Chela n’échappait pas seulement aux formes de base, elle dépassait tout ce que l’on pouvait attendre d’une élève. Ce n’était pas un don, ni même du génie. C’était de l’inconcevable, du surnaturel. Des mots que l’on avait un jour employés pour le décrire lui-même, mais même Garland n’aurait jamais atteint ce niveau à son âge.

— À ma connaissance, aucun mage n’a jamais réussi cela durant l’adolescence. On pourrait feuilleter toute l’histoire de la magie… sans jamais trouver de précédent. Mais aujourd’hui, nous avons assisté à un tel exploit en direct.

— …

Après avoir éjecté Rossi hors de l’aire de combat, Chela pivota sur ses talons, se dirigeant calmement vers son dernier adversaire. L’électricité crépitait autour d’elle. Andrews se racla la gorge avec difficulté. Il sentait son cœur s’alourdir… mais un sourire crispé étirait ses lèvres.

— Ça me rappelle notre première rencontre…

La scène présente se superposait à un souvenir lointain. Ses parents l’avaient emmené au manoir des McFarlane. Et dès l’instant où ils s’étaient croisés, sa position avait été exactement la même qu’aujourd’hui. Les adultes avaient trouvé amusant qu’ils se montrent leurs sorts, mais ce fut suffisant pour détruire la fragile confiance du jeune garçon.

Il n’était qu’une version inférieure de cette fille. Une claque brutale portée à son ego naissant, et cette blessure l’avait poursuivi des années durant. Chela affirmait qu’ils étaient égaux, qu’elle voulait seulement être amie, mais il avait toujours détourné le regard de cet appel. Car il ne pouvait l’accepter.

Sa lignée n’était pas de celles qui autorisaient l’abandon de l’orgueil. Le conflit s’était envenimé, le poussant à vouloir prouver sa force par tous les moyens. Pour protéger son ego, il avait préféré reléguer Michela McFarlane dans un recoin de sa mémoire. Et, peu à peu, c’était devenu sa manière de vivre. Il n’affrontait que ceux qu’il savait pouvoir battre. Il fuyait systématiquement les plus forts. Admettre cela était douloureux, mais il s’y accrochait sans en avoir conscience. Jusqu’au jour où…

— …Je le savais. Tu étais meilleure que moi à l’époque. Et tu l’es toujours.

— Rick…

— Et pourtant !

Il raffermit sa voix, couvrant celle de Chela. Il ne fuyait plus. Comme cette fille qui avait affronté un garuda sans savoir lancer un sort correct. Comme ce garçon qui s’était tenu à ses côtés. Richard Andrews voulait devenir comme eux. Ils l’avaient désigné comme un « camarade » et il voulait mériter ce titre. Ce jour-là, pour la première fois, il était fier de ce qu’il était. Alors :

— Il y a une chose qui a changé. Je ne détourne plus le regard. Ni de toi… ni de mes propres faiblesses, dit-il. Voilà ma réponse : viens, Chela !

De toutes ses forces, il braqua sa baguette vers son amie d’enfance.

Il étouffa la voix en lui qui lui hurlait de fuir car il n’avait aucune chance. Elle était bien plus puissante que tous ceux qu’il avait affrontés, mais cette fois, il ne reculerait pas.

— …Alors j’arrive.

Chela accepta sa détermination et se mit en garde, tenant l’athamé à mi-hauteur. Rien que l’aura émise par la pointe suffisait à lui donner le vertige. Mais Nanao Hibiya, ou Oliver Horn, n’auraient pas flanché. Leurs images gravées dans son esprit lui donnaient du courage. Il superposa leurs silhouettes à la sienne, les mots de son sort prêts à jaillir de ses lèvres, quand…

 

— Ça suffit !

Une voix venue d’en haut, tranchante comme un coup de hache.

Les deux jeunes levèrent les yeux d’un même élan. Suspendu à l’envers, les pieds posés sur la face inférieure d’un balai, un homme élégant vêtu de brun les regardait. Theodore McFarlane les avait observés… et avait jugé qu’il était temps d’intervenir.

— P… Père.

— Tu as été bien vilaine, Chela. Ce n’est pas ce que nous avions convenu.

Il sauta du balai, effectua une vrille parfaite en l’air, et atterrit devant elle sans un bruit. Son sourire paraissait identique à celui qu’il arborait d’ordinaire. Mais Chela le vit tout de suite : c’était l’une de ces expressions rarissimes qu’il ne réservait qu’à ses moments de colère véritable.

— Tu peux participer à la ligue de combat. Tu peux croiser le fer avec tes camarades. Mais tu ne dois pas te battre à fond. Tel était notre accord.

Son ton restait calme, se contentant d’énoncer les faits.

Andrews, lui, ne comprenait pas ce qu’il voyait. Mais la main tenant la baguette de Chela tremblait. Et sa voix n’était qu’un murmure emporté par le vent du nord.

— …Je voulais juste… que Stace gagne…

— C’était leur combat. Tes talents n’ont rien à y faire là-dedans.

Il énonçait des vérités dures, implacables, et Chela faillit chanceler sous leur poids. Pourtant, elle leva les yeux, soutint son regard et arracha ses mots comme on crache du sang.

— Je le sais. Mais… je voulais leur rendre un peu de ce qu’on leur a volé. Rien qu’une part de ce qu’ils auraient dû avoir…

Elle dévoilait enfin son désir. Sa demi-sœur avait été privée de tant de choses dès la naissance… et son père avait été l’un des principaux artisans de ce vol. Chela vivait avec cette douleur depuis longtemps.

Un silence tomba. Un sourire moqueur flotta sur les lèvres de Theodore… mais nul ne pouvait dire à qui il était destiné. À elle ? Ou à lui-même ?

— C’est impossible, Chela. Et tu le sais bien. Tu es ma fille. Tu es condamnée à une vie où tu ne fais que prendre.

— !!

Ce mot la fit exploser.

C’était la seule chose qu’elle ne pouvait accepter. Elle réagit avec tout ce qu’elle avait, dans un élan de rage pure, se jetant en avant, prête à en assumer les conséquences. Une attaque aveugle, brutale, le coup le plus puissant qu’elle fût capable de porter. Une estocade qu’aucun autre élève de son année n’aurait même pu percevoir, lancée droit vers son cœur.

— Hah…

Et tout fut terminé.

— Une queue de dragon, pensa Andrews.

Sous ses yeux, le corps de Chela fut projeté sur le côté si soudainement que cela en devint presque absurde. Elle roula au sol sans aucun contrôle, sans pouvoir se rattraper, sans même comprendre ce qui venait de se passer. Le coup porté à sa joue avait fauché sa conscience, l’avait plongée dans l’obscurité. Emportée par son élan, elle glissa jusqu’aux abords de l’arène, sans émettre le moindre son. Son père lui avait arraché même la possibilité d’un gémissement.

— Ça, c’est pour avoir rompu ta promesse. Tu méditeras tes fautes au lit quelque temps.

Theodore se tenait droit comme un I, le bras simplement levé devant lui. Chela, elle, restait inerte. Ce n’est qu’alors qu’Andrews comprit : il ne s’agissait que d’une gifle. Une simple gifle sur la joue. Délivrée sans posture, sans élan. Et pourtant, elle ne lui avait laissé aucune échappatoire.

Il ne pouvait même pas frémir. Cela n’aurait eu aucune valeur face à ce qu’il venait d’être témoin. Cette démonstration n’inscrivait qu’une seule chose dans son cœur : ce monde recelait des forces qui dépassaient son entendement.

— …Et ne t’inquiète pas. Ces deux-là ne seront pas séparés si facilement. Maîtriser la transformation d’un loup-garou est une prouesse que tout le monde reconnaîtra. Nul besoin d’une victoire en ligue de combat pour valider cela. La famille Cornwallis a la tête dure, certes, mais j’insisterai. En tant qu’étranger, c’est tout ce que je peux faire.

Theodore savait parfaitement que ses paroles n’atteignaient plus les oreilles de Chela. Il s’approcha de sa silhouette étendue, la souleva dans ses bras, puis revint vers Andrews… qu’il dépassa sans s’arrêter.

— Pardonne-moi ce spectacle peu agréable. La victoire te revient, Mr. Andrews. Sois-en fier.

Sur ces mots, le père et la fille quittèrent l’arène. Andrews regarda leur dos s’éloigner, puis leva les yeux vers le ciel… et se perdit dans sa propre impuissance.

— Euh… bon…

Glenda fut incapable de commenter ce qu’elle venait de voir. Elle se tourna vers les enseignants à ses côtés. Après un long silence, Garland secoua la tête et ferma les yeux.

— …Nous ne pouvons intervenir dans les affaires des McFarlane. Désolé, Miss Glenda.

Elle déglutit. Elle savait que c’était la seule réponse possible. Et pourtant, elle avait osé espérer, l’éclat de ce duel avorté avait été tellement captivant. Tout ce qu’elle voulait… c’était le voir jusqu’au bout.

Le public semblait partager ce sentiment, et Glenda dut se faire violence pour prononcer l’issue du match.

— …Ligue de combat : deuxième affrontement. L’équipe Cornwallis cède la victoire à l’équipe Andrews.

— Chela !

— Tu vas bien ?!

À peine le match terminé, Katie et Guy avaient quitté les gradins pour courir jusqu’à l’infirmerie. Ils tombèrent d’abord sur Albright, en train de se faire soigner par la médecin de Kimberly. Puis leurs yeux cherchèrent et trouvèrent Chela, allongée sur un lit près de la fenêtre, les yeux ouverts.

— …J’ai causé bien des tracas, n’est-ce pas ? Je vais m’en remettre, je vous le promets. Il me suffit de me reposer un peu et je serai debout à nouveau.

Elle leur adressa un sourire pâle tandis qu’ils accouraient à son chevet. La médecin avait déjà fait disparaître une bonne partie de l’enflure laissée par Theodore, mais Chela restait incapable de s’asseoir seule. Le coup avait été porté avec une précision calculée pour l’immobiliser quelque temps.

Elle choisit donc ses mots en fonction.

— Mais je crains que nous devions nous retirer du reste du tournoi. Il y a mon état, bien sûr, mais nous avons aussi trop exigé de Mr. Willock. Il est hors de question qu’il se transforme à nouveau de si tôt. Je suis certaine que Stace dira la même chose en se réveillant.

— Oh… oui…

— Après ce combat, ça ne m’étonne pas.

Deux autres lits bordaient celui de Chela, et ses coéquipiers y reposaient encore. Stacy et Fay n’avaient pas rouvert les yeux. Ce n’était pas tant la douleur que l’épuisement qui les tenaient ainsi. On peut soigner une blessure en un clin d’œil… mais la régénération de mana, elle, demande du temps. Ce dont ils avaient besoin, c’était avant tout de repos.

— Nous étions arrivés si loin, donc c’est un peu triste de ne pas pouvoir affronter l’équipe d’Oliver pour la dernière phase. Mais rien n’est encore décidé. L’équipe d’Andrews est très forte. Honnêtement, je ne sais pas du tout ce qu’il adviendra s’ils donnent tout face à nos amis.

Pour Chela, c’était une simple constatation. Stacy et Fay avaient mis au point un plan bien pensé. Contre n’importe qui d’autre, il aurait très certainement fonctionné. Mais l’équipe Andrews avait tenu bon avec une ténacité remarquable, révélant des capacités bien supérieures à ce qu’elle avait estimé. Chela avait une confiance absolue en Oliver et Nanao, et pourtant… elle ne pouvait prédire leur victoire.

— Mais je crois aussi que c’est grâce à eux que l’équipe Andrews est devenue si forte. C’est pour cela que j’ai hâte de voir comment ils vont y répondre.

Elle formula enfin son désir. Le règlement interdisait aux équipes finalistes de se croiser hors des matchs, donc ils ne pouvaient venir la voir ici. Ils connaissaient sans doute le résultat… mais ignoraient probablement que Chela était alitée. Et elle s’en réjouissait. Ils se préparaient à affronter un adversaire redoutable.

Elle ne voulait pas que ses problèmes les détournent de cet objectif. L’équipe Horn et l’équipe Andrews étaient si proches en niveau… qu’une simple distraction pouvait suffire à les faire perdre.

 

— Ça commence à faire long.

Depuis l’interruption brutale du second match, le public patientait dans les gradins, attendant que quelque chose se passe. L’équipe Carste, éliminée lors du tournoi principal, s’était installée avec leur ami Peter Cornish. Teresa avait encore disparu quelque part, laissant son siège vide. À côté de cette place inoccupée, Dean croisa les bras en soupirant bruyamment.

— Franchement ! Qu’est-ce qu’ils foutent là-derrière ? Ils se disputent ou quoi ?

— Est-ce possible d’être plus débile que toi ? Après une interruption pareille, c’est évident qu’ils s’engueulent.

Aucune tentative pour édulcorer l’insulte. Teresa n’était toujours pas revenue, et la personne qui venait de parler était assise de l’autre côté de son siège.

— Ah ouais ? rétorqua Dean en lançant un regard noir à la fille installée là. — Merci pour l’avis non sollicité. Mais d’ailleurs… Pourquoi t’es là, toi ? Y’avait plein de places libres quand t’es arrivée.

— J’ai simplement ressenti que c’était ici que je devais être. Même si cela impliquait de chasser l’occupante précédente.

Elle croisa gracieusement les jambes, ses mèches blondes scintillant à la lumière. Il s’agissait de la cheffe de l’autre équipe de deuxième année qualifiée : Felicia Echevalria. Sœur du tristement célèbre Leoncio Echevalria, figure de proue de l’ancienne faction du conseil des élèves.

Rita Appleton, assise de l’autre côté de Dean, se pencha vers lui, lui chuchotant à l’oreille :

— Waouh, Dean, depuis quand t’es pote avec Miss Echevalria ?

— Je le suis pas, grommela Dean en fronçant les sourcils. On a juste commenté un match ensemble, et depuis, elle me colle. J’aimerais bien savoir pourquoi.

Un court silence suivit, puis Felicia reprit la parole.

— C’est dommage que le dernier match ait été interrompu. J’aurais aimé voir Miss McFarlane se battre plus longtemps.

— …Tu me parles, là ?

— Ne prends pas tes rêves pour la réalité. Je parlais toute seule. Cela dit, je suis d’une générosité sans bornes, alors si tu insistes pour converser avec moi, je pourrais me laisser tenter.

— Non merci.

Dean détourna le regard, manifestant son désintérêt. Une veine palpitante apparut aussitôt sur la tempe de Felicia.

— Dean, ne sois pas impoli ! siffla Rita. Elle essaie clairement de te parler !

— Je sais. Mais je veux qu’elle l’avoue.

— Elle est sûrement du genre difficile à apprivoiser. Comme Teresa !

Rita tentait visiblement de faire en sorte que cela fonctionne, et le simple fait qu’elle mentionne Teresa poussa Dean à revoir un peu son jugement. Comparée à cette dernière durant sa première année, Felicia était beaucoup plus facile à gérer. Au moins, elle lui adressait la parole de son plein gré. Il tourna de nouveau les yeux vers elle.

— …T’as pas d’amis ?

— Je n’étais pas d’humeur à me trimballer une bande de laquais. Mais si j’en avais besoin, j’en ai des dizaines à disposition.

— Mh. Donc en gros, t’es venue voir McFarlane combattre ?

— Il est rare de pouvoir assister à une attaque secrète du style Rizett en direct. Il y aura sans doute foule pour visionner l’enregistrement de ce match, évidemment. Mais sans doute cette discussion est-elle inutile pour quelqu’un sans la moindre ambition.

— Nah, je comprends l’intérêt. C’est juste que… je me demande si je pigerais ce que je vois. Perso, je préfère revoir ce que Rossi a fait. Son style baston de rue, c’est plus mon genre.

— Ha ! Voilà bien la racaille qui trouve grâce à la fange. Se rouler dans la boue avec un loup-garou… quelle vulgarité. Si tu ressens de l’attirance pour pareille hérésie, ta valeur comme mage est sujette à caution.

— Je dis pas que j’ai été bien élevé. Bref, Teresa, c’est quoi ton combat préféré ?

— Mr. Horn. Les autres sont sans importance.

La voix venait de ce qui semblait être… le vide. Felicia bondit sur place. Une petite fille était installée tranquillement sur un siège qui, quelques instants plus tôt, était bel et bien vide. Elle ne l’avait absolument pas remarquée jusqu’à ce qu’elle parle.

— ………?! Depuis quand est-elle là ?!

— Hein ? Ça fait genre deux minutes. Trop petite pour que tu la remarques, j’imagine ?

— Encore une fois, le séquoia ne sait que se vanter de sa taille, dit Teresa.

— Très bien. On va régler nos comptes dehors après si tu veux.

Teresa et Dean reprirent leur chamaillerie habituelle. Felicia les observa un instant, le visage fermé. Mais avant qu’elle ne trouve quelque chose à ajouter, Peter s’écria :

— Oh, regardez ! Quelqu’un est dans l’arène !

Theodore venait de réapparaître sous les yeux du public, tout le monde espérant savoir ce qu’il en était de la situation. Il se plaça au centre de l’aire de combat, et balaya les gradins du regard.

— Ahem. Veuillez nous excuser pour ce long délai. Je déteste être porteur de mauvaises nouvelles, mais l’équipe Cornwallis et l’équipe Valois ont toutes deux déclaré forfait. Par conséquent, le match suivant, équipe Horn contre équipe Andrews, déterminera le vainqueur de la ligue.

Une onde de choc parcourut la foule. L’annonce ne passa pas bien. Une attente interminable suivie d’un coup dur, la colère éclata de toutes parts.

— C’est quoi ce délire ?!

— La moitié des matchs annulée ?!

— C’est juste un tournoi comme les autres, maintenant !

— En gros, vous nous dites d’aller nous faire voir, à nous et à la ligue !

Theodore hocha la tête à chaque remarque. Il savait parfaitement comment sa déclaration allait être reçue, et l’assumait. Acceptant l’inévitable, il poursuivit :

— Oui, oui, c’est parfaitement compréhensible. Mais les circonstances ne nous ont laissé aucun choix. Aucune des deux équipes n’était en état de combattre. Aucun professeur ici n’envisagerait de les forcer à venir sur l’aire de combat.

La justification était sensée, mais le fait que Theodore soit intervenu lui-même dans le deuxième match rendait la pilule difficile à avaler. Alors que la clameur montait encore, il s’empressa d’éteindre l’incendie.

— Bien sûr, c’est entièrement ma faute si nous en sommes là, notamment pour l’interruption précédente. Je suis prêt à endosser toutes vos critiques. Mais j’ai aussi prévu un petit dédommagement. Je vous demande simplement de m’écouter avant de me jeter ces regards explosifs.

Le tumulte s’apaisa. Si Theodore avait mieux à offrir que des misérables excuses, alors chacun était curieux de savoir quoi. C’était là un trait bien propre aux élèves de Kimberly, tout comme lui, à son époque. Affichant un large sourire, il énonça la nature de son « dédommagement ».

— Un petit tournoi improvisé. Il aura lieu demain et réunira toutes les équipes lésées par cette décision. Les vainqueurs repartiront avec dix millions de belc, tirés de mes fonds personnels. Considérez cela comme un modeste geste de compensation.

Cette fois, c’est une tout autre onde qui traversa les gradins. Peu importait que cette pagaille soit due à l’administration de la ligue : une telle récompense valait largement le coup. Et qui irait se plaindre que les équipes éliminées sans préavis aient droit à une seconde chance ?

Alors que les élèves se lançaient dans des calculs mentaux à toute vitesse, Theodore poursuivit :

— On dirait que vous êtes convaincus. Laissez-moi vous expliquer le reste du programme pour aujourd’hui. Le match entre l’équipe Horn et l’équipe Andrews déterminera le champion de la ligue inférieure. Les affrontements précédents ont peut-être été écourtés et c’est entièrement de ma faute, mais même si la ligue s’était déroulée normalement, je suis convaincu que ces deux équipes auraient atteint la finale. Elles sont tout simplement trop fortes.

Il ne les flattait pas pour justifier les changements de programme. Cela transparaissait : c’était ce qu’il pensait réellement. Les forces individuelles pouvaient varier, mais les deux équipes éliminées étaient bien plus instables dans leur dynamique de groupe. En observant les matchs précédents, on voyait clairement que l’équipe Horn et l’équipe Andrews avaient joué avec en tête une vision à long terme.

Autrement dit : même si l’on sautait quelques étapes, le résultat restait le même. Et cela, il en était certain.

— Les combattants reviendront dans trente minutes. En attendant, nous allons vous présenter plus en détail ce petit tournoi. Écoutez bien.

Toutes les oreilles se dressèrent, aussi attentives que lors d’un cours magistral.

Theodore entama alors ses explications en bonne et due forme comme s’il donnait un cours magistral.

 

— …Je m’en doutais. L’équipe de Chela allait se retirer.

La nouvelle était parvenue jusqu’à la salle où patientait l’équipe Andrews. Albright avait survécu aux soins de la médecin et avait réintégré le groupe, profondément enfoncé dans un fauteuil.

— L’instructeur Theodore nous a sauvés la mise, la dernière fois, marmonna-t-il. — J’aurais jamais cru que la fille McFarlane était cinglée à ce point.

— En effet. Je n’ai même pas vu cette estocade. Elle pourrait me refaire le coup que je serais tout aussi impuissant. J’ai encore beaucoup de progrès à faire.

Allongé sur un banc, Rossi rejouait sans fin le souvenir de sa défaite.

— Je suis d’accord, acquiesça Andrews, dont l’affrontement contre Chela occupait tout autant ses pensées. — Mais même si le match avait continué, je pense que l’équipe Cornwallis aurait quand même déclaré forfait. Ces transformations épuisent beaucoup trop le corps de Mr. Willock, et Miss Cornwallis a brûlé trop de mana avec ses sorts en double incantation. Je doute que l’un ou l’autre aurait eu l’énergie de disputer un match supplémentaire.

Cette victoire ne leur avait donc pas été offerte. Comprenant où Andrews voulait en venir, Rossi se redressa brusquement.

Si impressionnante qu’ait été cette attaque, ils ne pouvaient se permettre de s’y attarder. Soulagé qu’il ait saisi le message, Andrews se tourna vers son autre coéquipier.

— Tu tiens le coup, Albright ? Les crocs de Willock ont mordu assez profond… Ça ne va pas t’handicaper ?

— Pas du tout. La plaie est guérie, et j’ai du mana en réserve. C’est pour ça que j’ai juste stoppé le saignement et laissé notre médecin faire le reste. J’ai de quoi tenir un dernier combat.

Son ton était ferme. Il avait refusé d’utiliser son propre mana pour se soigner tout ça au nom de la victoire. Andrews jugea que cette détermination méritait sa confiance. Rassuré quant à ses coéquipiers, il se concentra sur lui-même. Dans le match à venir, il devrait faire mieux que ses deux camarades.

— Qu’importe comment on est arrivés là, on y est. C’est le combat final. On élimine les distractions et on donne tout ce qu’on a.

 

— Quoi ? Deux équipes abandonnent ? Pourquoi ?

Yuri était décontenancé. Dans leur propre salle d’attente, l’équipe Horn venait d’apprendre la nouvelle. Ne connaissant pas les tenants et aboutissants, le choc était d’autant plus grand. Ils devinèrent sans peine que la transformation de Fay Willock était à l’origine du retrait de l’équipe Cornwallis. Oliver évoqua alors l’autre forfait :

— J’imagine que c’est lié à l’état mental de Miss Valois. Je doute qu’elle se soit remise de sa défaite. C’est le genre de revers qui laisse des traces.

— Cela fait mal, dit Nanao en relevant la tête de son katana, — mais cette dame se relèvera. Et reviendra plus forte que jamais. J’en suis certaine.

Oliver la crut sans hésiter.

Quiconque affrontait Nanao les yeux dans les yeux finirait toujours par trouver la lumière au bout de la nuit. Il y avait, dans sa lame, une qualité qui inspirait foi et confiance.

L’information assimilée, il se tourna vers ses camarades. Le dernier combat approchait, leur ultime occasion de préparer leur stratégie.

— Quelles qu’en soient les raisons, il faut maintenant aller de l’avant. On affronte l’équipe Andrews. C’est de loin la meilleure équipe qu’on ait rencontrée, tant individuellement que dans la cohésion. Même à notre meilleur niveau, ce sera très serré.

Nanao et Yuri hochèrent la tête. Ils savaient tous que l’équipe Andrews serait le plus gros obstacle sur la route de la victoire. Ils pensèrent d’abord au match où l’équipe Aalto avait été éliminée, deux adversaires terrassés sans broncher. Briser leurs défenses ne serait pas une mince affaire.

— On connaît tous les styles de chacun, donc mieux vaut rester souples plutôt que de se figer dans une stratégie. Mais autant définir grossièrement qui affrontera qui. Ça nous aidera à déterminer le rythme du match.

— Dans ce cas, laissez-moi m’occuper de Mr. Albright. Je suis certaine que ce gentleman viendra droit sur moi.

— Je suis d’accord. C’est probablement le seul troisième année capable de t’affronter au corps-à-corps sans être balayé en quelques échanges. Et je suis sûr qu’il veut le prouver.

— Ça me laisse contre Rossi ? Parfait. J’aime bien les imprévus. On sait jamais ce qu’il va faire.

— Ton intuition contre ses attaques imprévisibles… Ce ne sera pas une mince affaire, mais c’est un choix logique. Tu dois être le seul qu’il n’a pas encore réussi à cerner. S’il est obligé de se concentrer uniquement sur toi, ce sera notre meilleure façon de le neutraliser.

Leur plan se dessina sans débat. Preuve qu’ils croyaient fermement dans les compétences des uns et des autres, et qu’ils faisaient confiance à leurs adversaires pour se battre loyalement. Il n’y aurait ici aucun coup tordu. Juste une lutte pure, directe, sans artifice.

— Ce qui signifie que j’affronte Mr. Andrews, conclut Oliver. — Un adversaire qui mettra mes capacités à rude épreuve. J’ai l’impression que nos styles sont proches. Il a sûrement bien préparé son approche contre nous. On va se battre comme deux joueurs d’échecs, chacun essayant d’anticiper les coups de l’autre.

— Alors tu n’as qu’à savourer cela. Comme une longue conversation entre vieux amis enfin réunis.

La métaphore de Nanao était bien choisie. Oliver acquiesça, le sourire aux lèvres. Il repassa mentalement leur échange, s’assura de n’avoir rien oublié, puis tourna son regard vers l’intérieur de lui-même. Un frisson d’excitation sans la moindre trace d’anxiété.

— …Parfait. On en reste là. Élaborer plus serait contre-productif. Utilisez le reste du temps comme vous le souhaitez.

Sur ces mots, ses coéquipiers se dispersèrent, et Oliver consulta l’horloge. Plus que vingt minutes avant le début du match. Ce n’était rien… mais chaque seconde semblait s’étirer à l’infini. Lorsqu’il comprit ce que cela signifiait, qu’il avait hâte, la surprise fut totale.

Il murmura alors :

— Ressens-tu la même chose… Mr. Andrews ?

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