RoTSS T13 - Prologue
Prologue
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Traduction : Raitei
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Dans une région reculée de Lantshire s’étend un territoire interdit. Des gouffres où, dit-on, même l’herbe refuse de pousser.
En réalité, même les mages l’évitent autant qu’ils le peuvent. S’ils y sont emmenés, un sort funeste les attend presque à coup sûr. S’y aventurer de leur plein gré les ferait passer pour des imbéciles finis, ou pour des fous perdus, incapables de distinguer leur foyer de la potence.
— Hah… hah… hah…
Le regard rivé au ciel gris, haletant, Godfrey espéra être au moins de la première catégorie. Les terrains d’entraînement du quartier général des chasseurs de Gnostiques voyaient de nouvelles recrues éparpillées dans l’enceinte de ce charnier. Leur fête de bienvenue venait de s’achever.
— C’est bon. On en reste là jusqu’à l’entraînement 4D. Jusqu’à nouvel ordre, mangez et reposez-vous.
Sur ces mots, leur instructeur s’éloigna. Mais ceux qui écoutaient n’étaient en état de faire ni l’un ni l’autre.
Des cadavres de magifaunes. Des débris de golems. Amassés en tas si hauts qu’il n’y avait plus d’endroit sûr où poser le pied et, entre eux, des cratères grands et petits creusés dans le sol de la zone d’exercice. Les recrues allongées là, à bout de souffle, avaient presque toutes subi des blessures bien au-delà de quelques os brisés, toutes en état d’épuisement extrême et à court de mana.
Les souffles rauques étaient plutôt bon signe. Certains ne semblaient pas respirer du tout. Ils auraient préféré des soins d’urgence à de la nourriture et du sommeil, mais ce genre de considérations n’entrait pas en ligne de compte ici.
— …Tu es en vie, Lesedi ? demanda Godfrey, parvenant à reprendre son souffle.
— On va dire que oui. Les deux derrière toi ? répondit sa partenaire sans se relever.
Godfrey se hissa sur ses pieds en vacillant et se dirigea vers les deux recrues les plus proches. Ils lui en voulaient au début de l’entraînement, mais à présent, même en étant optimiste, ils étaient à moitié morts. Privés de plusieurs membres et depuis longtemps inconscients, ils portaient des blessures qui auraient été fatales au commun des mortels. Mais selon les standards des chasseurs de Gnostiques, tous deux étaient censés se remettre avec un peu de nourriture et de repos.
S’agenouillant pour prendre leur pouls, Godfrey poussa un soupir de soulagement.
— Ils respirent encore. Désolé, je ne suis pas un grand guérisseur, tenez bon jusqu’à ce qu’on atteigne le service médical.
— …Donne-m’en un. Il me reste assez pour porter.
Lesedi parvint à se redresser, bien qu’elle n’ait plus une goutte de mana, elle hissa l’un des blessés sur son dos et se mit en route. Godfrey suivit, songeant un instant à ramasser les membres sectionnés.
Mais vu l’état du terrain d’entraînement, il serait quasiment impossible de les retrouver, et rien ne garantissait qu’ils étaient intacts. Il chassa vite l’idée.
— Et ce n’était qu’un échauffement, grogna Lesedi. — Je n’ose même pas imaginer ce que c’est sur le terrain. Surtout si tu comptes camper sur tes positions.
— …
Godfrey se contenta d’acquiescer.
Elle observa son profil un moment, puis se tourna de nouveau vers l’avant, en silence.
— Encore un tour en enfer. Comme si je n’en avais pas déjà vu assez.
Une âpre vérité, dite sans passion. Cela ramena à l’esprit de Godfrey une foule de souvenirs.
Les ténèbres sur le campus, les gestes de bonté du meilleur ami qu’il avait perdu, le regard esseulé de sa cadette qu’il n’avait pas su sauver, l’allure enjouée dans la démarche de ce camarade qu’il avait laissé derrière lui. Ce qu’ils avaient traversé ne se laissait pas oublier.
— Je ne compte pas en rester à une simple visite, dit Godfrey. — Si je suis là, je veux améliorer les choses. Comme je l’ai fait à Kimberly.
— Audacieux. Tu réalises que c’est ni plus ni moins que vouloir améliorer le monde lui-même ? répliqua Lesedi, enfonçant sciemment le clou pour qu’il mesure bien la portée, comme elle le faisait toujours.
Et cet échange familier finit par lui tirer un sourire assuré.
— Tout le monde dit que c’est impossible, lui dit-il. — Autrement dit, c’est exactement comme le jour où on a commencé.
Sa décision était prise. Il recommencerait. De Kimberly, il était passé au monde entier. Ses cibles n’étaient plus des élèves Consumés par le Sort, mais des Gnostiques corrompus par les divinités Tír. Et pourtant, Purgatoire lui-même restait inchangé.
Encore une fois dans la brèche. Qu’on le montre du doigt, qu’on le traite d’imbécile. Il avait les mains dans la boue, il versait son sang, priant seulement d’être, cette fois, un peu meilleur sot que la précédente.
Encore une fois dans la brèche. Qu’on le montre du doigt, qu’on le traite d’imbécile. Il était dans la poussière, versant son sang, tout en priant d’être, cette fois, un brin meilleur sot que la fois précédente.