RoTSS T11 - chapitre 3
Présagcs
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Traduction : Raitei
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La maison de Katie était la seule à se trouver à l’étranger, si bien que leur voyage de retour reprenait le même itinéraire qu’à l’aller. Mais plutôt que de filer droit vers Yelgland, ils s’accordèrent quelques détours.
— Oui, oui, inutile de me le dire, déclara Tullio Rossi en leur adressant un geste théâtral, le regard chargé d’une pitié grandiloquente.
Ils se trouvaient dans un port ytallien animé, baigné d’un soleil éclatant.
— …Je vous ai manqué, non ? Je n’avais aucun moyen de vous accompagner dans votre périple.
Pete et Guy échangèrent un regard peu convaincu.
— On devrait pouvoir visiter le musée d’art aujourd’hui.
— Mais d’abord… quelqu’un a faim ?
— Je n’abandonne pas ! lança Rossi avec un grand rire. Ce n’est pas parce que ma première salve est ignorée que je vais me décourager !
Oliver fit un pas en avant pour lui serrer la main.
— Merci d’être venu, Rossi. J’avoue que je ne pensais pas que tu tiendrais parole. C’est très aimable de prendre ainsi nos politesses au sérieux.
— Mais non, voyons ! Les Ytalliens ont le sourire au cœur et ne s’encombrent pas de broutilles. Puise notre soleil fondre un peu ces esprits tordus par le froid et l’humidité yelglandais !
L’échange piquant se conclut par une poignée de main, laissant Katie perplexe.
— …C’est moi ou Oliver agit bizarrement ?
— Il n’est pas du genre sarcastique, d’habitude. C’est Rossi qui lui fait cet effet ? demanda Pete.
— …Non, il se montre simplement poli, expliqua Chela d’un ton docte. — Vous connaissez la tradition yelglandaise un peu douteuse consistant à échanger des insultes entre amis, n’est-ce pas ? Vous avez dû voir certains de nos professeurs s’y livrer à Kimberly. Les piques ironiques sont une marque d’amitié sincère.
— Oui, je sais, admit Katie, — mais Oliver n’est pas vraiment ce type de personne.
— C’est vrai. Mais ici, il rend la pareille. Observe la tenue de Mr. Rossi.
Leur ami ytallien portait une chemise aux motifs tapageurs et un manteau visiblement taillé sur mesure. L’ensemble lui allait parfaitement, mais lui donnait aussi un air d’escroc accompli.
— Son style et sa coiffure sont impeccables, non, mieux : il a ajouté à chaque détail la juste touche de négligé. C’est l’image même du dandy ytallien. Dès qu’Oliver a vu ça, il a su qu’il devait incarner le parfait gentleman yelglandais !
Chela, tout à son analyse, ne remarqua même pas que les deux intéressés poursuivaient déjà leur duel verbal.
— J’ai entendu dire que les Ytalliens savaient désormais lire des phrases de plus de trois lignes. Tu veux bien m’emmener dans une librairie ? Peut-être ont-ils réussi à condenser Beauté et Honte d’Arnaud en seulement deux cents volumes.
— Rassure-toi, ils le vendent en un seul tome, même pour les têtes dures comme toi, ça passe. Mais je t’assure qu’un poème se récite. Murmuré à l’oreille de celle qu’on courtise. Ce doit être bien pénible d’avoir à chercher ton livre sur une étagère chaque fois, eh ?
Les piques fusaient comme des flèches, et Guy comme Katie croisèrent les bras, consternés.
— …Alors…
— …Ils sont super proches, c’est ça ?
Quand ils quittèrent le port pour gagner la ville, Oliver relâcha enfin un soupir.
— Merci encore d’être venu, Rossi. Mais je crois que ça suffira. Tenir ce ton pendant tout le séjour serait épuisant.

— Nah-ha-ha ! s’esclaffa Rossi. — Bel effort ! Je savais que tu jouerais le jeu ! L’humour ethnique est un pilier de la comédie magique, non ?
Le sourire d’Oliver se fit un peu forcé. Il savait très bien ce que Rossi attendait sans qu’il ait besoin de le dire. Trois années passées ensemble à Kimberly suffisaient à créer ce genre de compréhension tacite. Assez pour que l’eau et l’huile commencent à se mélanger.
— Alors, que désirez-vous voir ? proposa Rossi avec un geste théâtral. — Je peux vous guider vers tous nos lieux les plus fameux. Les gentlemen ytalliens apprennent cela : faire visiter les dames.
— Ces exagérations ne font que renforcer les stéréotypes, observa Pete.
— En effet, renchérit Chela. — Même en Ytalli, il doit bien exister des hommes timides et sincères !
Rossi haussa les épaules en sifflotant.
— Il y en a, oui. Mon frère en est un. Je ne l’ai pas vu depuis des lustres, et nous avons à peine réussi à nous parler.
— Là-dessus, je suis d’accord, buffone[1].
Tous se retournèrent. Un jeune homme au port appliqué, portant de petites lunettes rondes, venait de s’approcher. Malgré son air sérieux, il avait bien quelque chose de la prestance de Rossi.
— Dario ?! s’écria Rossi. — Qu…Que fais-tu ici ? Tu ne travaillais pas ?
— J’ai insisté pour me libérer, répondit Dario d’un ton calme. — Je ne pouvais pas me défaire de l’impression que tu étais en train de salir activement notre nom de famille.
Comprenant que c’était du frère dont il venait d’être question, le groupe s’empressa de le saluer.
— Vous êtes donc le frère de… Tullio ? Enchanté, dit Oliver.
— Dario Rossi. Pardonnez cette entrée abrupte, élèves de Kimberly. Mais je ne pouvais pas laisser les choses entre les mains de mon imbécile de frère. Qu’on soit clair : il ne représente pas la Maison Rossi. C’est… notre mouton noir.
— Comment ça, mouton noir ?! protesta Tullio. — Tu devrais être fier ! J’étudie dans une grande école !
Dario l’ignora superbement.
— Je ne suis que de passage précisa-t-il. — Disons que j’ai tiré quelques ficelles. Rien de fou, mais cela devrait faciliter votre séjour. Où que vous alliez, vous serez bien reçus.
— C’est… très généreux. Nous vous en sommes reconnaissants, répondit Chela, consciente que son nom de McFarlane n’y était sans doute pas étranger.
— Pas du tout. J’ai bien peu fait, sans doute pas assez, surtout après toutes les inconvenances que mon frère a sûrement commises à Kimberly.
— Pourquoi partir de ce principe ?! Tu me fais du tort, Dario ! Je fais honneur à notre nom !
— J’ai entendu dire que tu n’avais toujours pas vaincu Mr. Horn ?
— Je ne t’entends pas ! Mes oreilles me trahissent !
Rossi se boucha les oreilles, tournant la tête avec un air boudeur. Dario esquissa un mince sourire et se tourna vers les invités.
— Il est insupportable, mais il aime bien faire. J’espère que vous profiterez de votre séjour.
— L’honneur est pour nous, répondit Oliver en s’inclinant.
Dario salua brièvement et repartit aussitôt, fidèle à sa parole.
Rossi pinça les lèvres, dépité.
— Ugh, foutu frère, il m’a coupé l’herbe sous le pied. Je suis épuisé… Je peux rentrer chez moi ?
— Pas besoin de bouder, Rossi, dit Guy en riant. — C’était hilarant.
— Tu as un bon frère, ajouta Chela. — Tu devrais faire ta part pour le rassurer.
— Je commencerais déjà par ne draguer qu’une fille à la fois, conseilla Katie.
— Et maintenant tout le monde s’y met, hein ?! J’en ai assez !
Il fit mine de s’éloigner, mais Oliver l’attrapa par le col. Et ainsi, dans ce joyeux tumulte, leur visite d’Ytalli débuta vraiment.
Ils visitèrent les lieux emblématiques, partagèrent un repas, puis vint l’heure de retourner, à contrecœur, vers leur bateau.
— À la prochaine ! lança Rossi en agitant les bras. — Revenez me voir, hein ?
Oliver resta à lui faire signe jusqu’à ce que le jeune homme disparaisse sur les quais, puis se tourna vers ses compagnons. De là, plus d’escales : cap droit vers Yelgland.
— …Ainsi s’achève notre tournée de l’Union, dit-il.
— C’est dommage, répondit Chela. — Mais je suis heureuse d’être venue. Il y aura d’autres occasions.
— Ouais ! Et si le cœur nous en dit, on pourra toujours venir en balai pour le week-end ! lança Guy.
— Tu parles bien du balai qui est tombé en panne de mana au-dessus de la mer ? répliqua Oliver.
Alors que leurs amis échangeaient plaisanteries et éclats de rire, Oliver se tourna vers Chela.
— Il est temps de reprendre notre tournée des maisons yelglandaises. C’est ton tour.
— Oui, ils doivent déjà nous attendre. Mais… j’avoue être nerveuse. Je ne peux pas garantir que l’endroit vous plaira.
— Je suis surtout inquiet qu’on nous laisse pas passer la porte, plaisanta Guy. — J’ai mis mes plus beaux habits, mais…
— Ce ne sera pas un problème. Si votre tenue n’est pas à la hauteur, on vous en taillera une sur place.
— Ça, c’est encore plus terrifiant, Chela…
— Dis, ton manoir est assorti à ta coiffure ? glissa Katie, malicieuse.
Chela se contenta de sourire mystérieusement, tandis qu’Oliver fronçait les sourcils.
— Tu dis que ton père est trop occupé pour venir, mais… je n’arrive pas à me défaire de l’idée que le professeur Theodore nous attendra en embuscade. Il adore ce genre de surprises.
— Pas cette fois, je te le promets. J’ai la personne parfaite pour le tenir à distance.
Une phrase intrigante, sur laquelle elle n’ajouta rien. Mais son sourire suffisait à en dire long.
Ils débarquèrent dans le même port du sud de Yelgland d’où ils étaient partis, puis prirent un ferry vers l’intérieur des terres. Après cela, ils marchèrent une bonne demi-heure sur une route pavée bordée de maisons ordinaires, quand Guy s’étonna :
— …On a marché pas mal, là. On n’est toujours pas arrivés chez toi ?
— Difficile à dire, répondit Chela. — En fait, nous sommes sur les terres McFarlane depuis un bon moment déjà.
Elle dit cela avec un naturel désarmant, tandis que Guy la fixait, bouche bée.
— …?! Tout ça ?! Mais ce sont juste des maisons !
— Les domaines ont besoin de beaucoup de monde pour fonctionner. En les logeant tous, on obtient vite une petite ville. Et les McFarlane attendent de leurs gens qu’ils subviennent eux-mêmes à leurs besoins.
Personne n’avait imaginé un domaine d’une telle ampleur. Et tandis qu’ils avançaient, les habitants commencèrent à saluer Chela.
— Oh, regardez ! Lady McFarlane est de retour !
— Vous êtes encore plus belle qu’avant ! Dépêchez-vous, on vous attend avec impatience !
Chela répondait d’un geste de la main, un peu gênée, tandis que Nanao croisait les bras, songeuse.
— Aha ! Tout s’éclaire.
— Nanao ?
— Je me disais bien : l’ambiance me rappelait celle d’une cité seigneuriale. Le peuple vivant dans la prospérité sous le regard d’un seigneur éclairé. Il est naturel qu’ils voient en Chela une princesse.
— Une… princesse ? protesta Chela. — N’exagérons rien.
Ils finirent par atteindre un vaste manoir, où un majordome en livrée vint les accueillir.
— Bienvenue chez vous, Lady Michela. Veuillez patienter à l’intérieur avec vos invités.
On les guida dans une immense salle. Assis sur de larges canapés, Oliver regarda autour de lui.
— …C’est la maison d’amis ?
— Très drôle, Oliver. C’est évidemment une simple salle d’attente.
— Pas possible, c’est plus grand que toute ma baraque ! s’écria Guy.
— Chela, demanda Katie d’une voix tremblante, — sois honnête : ma maison avait l’air minable à côté, pas vrai ?
Le majordome reparut vite et échangea un regard avec Chela. Celle-ci se leva.
— Elle est prête. Préparez-vous, tout le monde. Ma mère est… disons, une personne très particulière.
Ils sortirent par l’arrière et s’engagèrent dans une allée longue et impeccablement entretenue, au bout de laquelle se dressait un bâtiment aussi imposant qu’un palais. À l’intérieur, un couloir sans fin les mena jusqu’à une porte, d’où s’échappait une odeur reconnaissable.
— …C’est… ?
— …De la fumée de tabac… ?
Chela frappa doucement. Une voix répondit. Tous se regardèrent, puis entrèrent.
— Tu es là, ma fille ?
Au fond de la pièce, derrière un large bureau, siégeait une elfe, un cigare à la main. Sa peau, plus mate que celle de Chela, contrastait avec ses boucles blondes, et le manteau jeté sur ses épaules accentuait son autorité naturelle.

Alors que les autres demeuraient figés, Chela s’avança et mit un genou à terre.
— Oui. Cela faisait bien trop longtemps, Mère.
— Hm.
L’elfe écrasa son cigare dans le cendrier, se leva… et disparut de leur champ de vision.
— Banal
— Hein ?
La voix venait de derrière Guy. Il se retourna brusquement, et découvrit la dame déjà postée dans son dos. Tous sursautèrent. La main de Teresa s’abattit sur son athamé.
Personne n’avait eu le temps de réagir. Pas avant que la maîtresse des lieux ne soit déjà à leur côté.
— Banal
Katie fut la suivante à être jaugée, suivie de Pete.
— Hmm, un Reversi. Banal plus.
Puis la femme se tourna vers Nanao, la détaillant de haut en bas.
— Jolie pour un être à la vie éphémère, commenta-t-elle. Top.
Un léger sourire effleura ses lèvres avant qu’elle ne lance un regard de biais à Oliver.
— Le regarder m’est insupportable. Pas de note.
Oliver déglutit. La femme s’approcha alors de Chela.
— Ces deux-là pourraient servir de domestique. Et ne pense même pas à lui pour autre chose.
— Mère, ce sont tous mes amis proches.
La voix de Chela, à la fois polie et ferme, arracha à sa mère un sourire adouci.
L’elfe tira un nouveau cigare de sa poche.
— Pardonne-moi, Chela. — L’instinct maternel a pris le dessus… Tu me l’allumes ?
Chela fit apparaître une flamme au bout de sa baguette. La femme alluma son cigare, tira quelques bouffées, puis relâcha une épaisse volute.
— Ahh… délicieux. Le goût n’est jamais le même quand ça vient de toi.
Elle embrassa tendrement la joue de sa fille, puis regagna son bureau.
— Mishakua McFarlane. Vous devez être les amis de ma fille.
Cette présentation solennelle eut pour effet immédiat de les redresser tous d’un coup. Ils venaient de reprendre pleinement conscience de qui se tenait devant eux : l’épouse elfe de Theodore McFarlane.
— Repos. Pas la peine de vous crisper. Je déteste les humains, mais j’adore les enfants. Faiblesse elfique : vous voir me donne envie de distribuer des bonbons.
Mishakua leur adressa un signe de la main pour qu’ils s’assoient sur le canapé face au bureau. L’atmosphère était tendue, et Oliver, encore sonné par le « pas de note » qu’elle lui avait infligé, hésita.
— …Et selon vous, jusqu’à quel âge reste-t-on des enfants ?
— Tant que cette étiquette t’agace encore, mon garçon, répondit-elle en soufflant une traînée de fumée.
Chela voulut protester, mais Oliver fit signe que non avant de s’asseoir. Il ne s’était pas vexé ; il pressentait simplement que cette femme apprécierait qu’on lui tienne tête.
— Oliver Horn. Nous sommes tous de bons amis de votre fille, et nous vous remercions de votre accueil.
— K… Katie Aalto.
— Guy Greenwood…
Un peu déboussolés, les autres se présentèrent à leur tour.
Mishakua hocha la tête, satisfaite.
— Je retiendrai vos noms. Bien. Que fait-on maintenant ?
— …Pardon ? demanda Oliver, pris au dépourvu.
— Ma fille m’amène des amis, il faut bien s’amuser.
Elle posa son cigare et tourna les yeux vers la fenêtre.
— Rester assis est si ennuyeux. Allons voler un peu.
Avant que quiconque n’ait le temps de comprendre, elle les avait conduits jusqu’au terrain de vol sur balai du domaine.
— Seiiiiiiiiiii !
— Ha-ha-ha-ha ! Magnifique ! Montre-moi que tu y crois vraiment !
Là-haut, Mishakua et Nanao s’affrontaient dans un duel aérien d’une intensité redoutable.
Au sol, Katie, allongée sur le dos, souffla :
— Chela…
— Oui ?
— Pourquoi ta mère nous a fait tomber sans y aller de main morte ?
— …Elle est comme ça, répondit Chela avec un soupir. — Comment dire… d’un enthousiasme sans fin. C’est, à ses yeux, une manière d’accueillir ses invités.
Oliver se redressa.
— Alors elle joue vraiment ? Comme une mère avec les amis de sa fille ?
— Aussi incroyable que cela puisse paraître, oui. Elle ne peut pas être plus sincère. Quand elle décide de jouer, elle le fait jusqu’au coucher du soleil. Je parierais qu’elle a annulé toutes ses obligations pour la durée de notre séjour.
Oliver eut un sourire résigné. Ce n’était pas de la condescendance, elle croyait vraiment qu’ils étaient des enfants. Et avec un tel entrain, difficile de lui en vouloir.
— Je vois. Dans ce cas, on ne peut pas être les premiers à abandonner.
— …Ouais. Zut. J’aurais dû m’entraîner davantage au vol.
— J’y retourne ! cria Katie. — Je suis prête !
— …Moi aussi. Pas question qu’elle pense que les élèves de Kimberly lâchent si vite ! grogna Pete.
Ils reprirent tous leur envol. Et jusqu’au crépuscule, ils « jouèrent » avec la mère de leur amie.
Au soir, tous étaient affalés au sol, en perte de souffle.
— Suffisant, déclara Mishakua avec un reniflement satisfait. — Bain, puis dîner !
Des serviteurs les escortèrent chacun vers une salle de bain privée. Une fois lavés, ils furent conduits dans la salle à manger, où une succession de plats raffinés les attendait.
Katie et Guy, tiraillés entre admiration et désespoir, s’exclamèrent :
— Augh ! C’est trop bon !
— M-mais j’ai tellement faim que je peux même pas savourer !
Ils avaient dépensé une énergie folle en vol, et leurs corps réclamaient de quoi compenser. Les autres n’étaient pas en reste, même s’ils conservaient un minimum de tenue, notamment face à la maîtresse de maison, occupée à découper un filet mignon avec un calme impressionnant.
— …Je vois que vous mangez de la viande, fit remarquer Oliver.
— J’ai choisi la voie de la sorcellerie humaine. C’est bon ! Seulement un peu nauséeux.
Cette réponse fit tourner plus encore les rouages de son esprit. Entre les cigares et le steak, Mishakua s’éloignait à grands pas de l’image typique de l’elfe. Qu’elle ait épousé un humain en disait déjà long.
Elle essuya sa bouche, jeta un regard circulaire autour de la table.
— Vous avez tenu jusqu’au coucher du soleil, donc votre entraînement est solide. Après le dîner, laissez-moi voir vos mouvements.
— Mère, merci bien, mais nous sommes tous épuisés par le voyage…
— Ça ne me dérange pas.
— Moi non plus !
— Tant que j’ai mangé, je peux continuer !
Pete, Katie et Guy étaient déjà partants. Oliver n’eut plus le choix : lui aussi était un élève de Kimberly, et ce genre de défi rallumait toujours une flamme en lui.
— Whoaaaaaa !
— Aughhhhhh !
Mishakua les poursuivait sur un grand disque suspendu qui tournait à une vitesse imprévisible.
— Sympa, non ? lança-t-elle. C’est ainsi que les McFarlane entraînent leur Marche Murale. Si c’est trop lent, je peux accélérer.
— Volontiers ! répondit Nanao avec enthousiasme.
— A-attends, Nanao ! On n’est pas prêts ! hurla Pete.
Teresa, elle, avait préféré s’abstenir. Assise sur le côté avec Marco et Oliver, le disque ne supportait que quatre participants et elle observait le manège.
— …Les installations sont à la hauteur de leur réputation. Pas étonnant que tu sois devenue si forte, dit Oliver.
— Heh-heh, le disque n’est qu’un début, répondit Chela. — Il y a ici toute une collection d’appareils d’entraînement.
— …Dommage qu’on ne reste que quelques jours. On pourrait y passer toutes nos vacances.
— Épouse-moi, et ils seront à toi pour toujours.
— Ne me tente pas.
Oliver eut un petit rire, puis regarda autour de lui.
— Mais ça m’inquiète un peu : à part ta mère, on n’a croisé aucun mage.
— C’est voulu. Difficile de se détendre entouré des plus puissants du clan. Notre famille compte des mages ayant plusieurs siècles de pratique…
— Oui, croiser un tel monstre me donnerait une crise cardiaque. Mais… ta mère n’en fait-elle pas partie ?
— Si. Elle fêtera ses trois cent quatre-vingts ans cette année. Son mariage avec mon père a provoqué un beau scandale à l’époque, surtout qu’elle est plus âgée que l’arrière-grand-mère de mon père.
Oliver tenta d’imaginer la scène, puis renonça : il n’existait pas de scénario capable de rendre justice à un tel couple.
— Je me demande surtout comment les elfes ont fini par être acceptés dans la maison McFarlane. Le professeur Theodore reste toujours évasif sur le sujet.
— Ce n’est pas un secret. Il préfère simplement ne pas en parler. C’était, d’après lui, une période sombre. Mais ils ont fini par s’entendre.
— Oh ? Tu t’interroges sur ma situation ?
Oliver sursauta. Mishakua se tenait soudain derrière lui.
— Mère ? Et le disque alors ?
— Ils sont tous à terre. Tu peux les voir tourner, non ?
— Alors il faut arrêter le disque !
Chela fila vers les commandes, et sa mère la regarda s’éloigner.
— Imagine ce que tu veux. L’histoire n’est pas bien compliquée. Ce fou furieux est arrivé dans notre village pile au moment où j’avais envie de changement. J’ai profité de l’occasion, voilà tout. Même si, en chemin, ça a bien failli déclencher une guerre.
— Cette version courte semble masquer des horreurs. Il n’existe pas une loi interdisant les unions mixtes ?
— Les elfes n’ont aucun avenir s’ils s’y accrochent. Sur ce point, je partage l’opinion de cette vaurienne réfugiée à Kimberly. Si je ne l’avais pas fait, quelqu’un d’autre s’en serait chargé.
Sa conviction était sans faille. La « vaurienne » dont elle parlait devait être Khiirgi Albschuch. Vu sa situation fragile, il n’était pas difficile d’imaginer comment Mishakua, partageant certaines de ses idées, avait pu contribuer à son admission.
Chela finit par arrêter le disque, libérant ses amis, encore titubants.
— Ma tête tourne encore…
— Guy… je ne peux plus marcher droit…
— Ce fut divertissant, conclut Mishakua. — C’est tout pour aujourd’hui. Dormez bien. Demain, vous aiderez aux festivités.
— …Ohhh, fit Chela, pensive. — C’est vrai, c’est cette période de l’année.
Le lendemain soir, le vaste domaine McFarlane vibrait de par l’animation. Tables chargées de plats et de boissons, rires et musique : la fête battait son plein, ouverte à tous les habitants. Chela et ses amis y prirent part, dans un rôle pour le moins inattendu.
— Alors, as-tu été un vilain enfant ?
Des enfants couraient dans tous les sens, les bras pleins de friandises, lorsque surgit Mishakua, affublée d’un horrible masque de bois. Les petits hurlèrent et secouèrent la tête de toutes leurs forces.
— Aiiiieee !
— Non, j’suis pas méchant ! Je rentre à la maison !
— Vraiment ? Tu ne mens pas, hein ?!
Elle les menaça un moment encore, d’une voix caverneuse, avant de les relâcher et de leur tendre des sachets de sucreries. Une fois sa représentation terminée, Mishakua ôta son masque et se tourna vers Oliver et ses compagnons.
— Voilà comment on fait. Effrayez-les pour de bon, pas de demi-mesure ! Faites-les pleurer, sinon ça n’a aucun intérêt !
Sur ces mots, elle s’éloigna, engloutie par la foule en liesse, les laissant bouche bée.
— …J’avais entendu parler d’une fête comme ça dans le sud, murmura Guy, — mais jamais je n’aurais cru y participer.
— Et encore moins du côté des monstres, ajouta Pete.
Ils portaient tous de vieilles robes noires déchirées, des masques fait de bois et de fausses oreilles pointues. Leur rôle ? Incarner les « elfes mangeurs d’hommes » de la légende, terrifier les enfants qui traînaient dehors après la tombée du jour… puis leur offrir des bonbons.
— Cette fête existe depuis longtemps dans la région, expliqua Chela, —mais ma mère la préside chaque année. Elle dit que c’est un bon prétexte pour faire connaissance avec les voisins.
— Elle veut améliorer son image… ou la ruiner ? demanda Guy.
— Je crois que ça marche, répondit Katie. — Regarde-les : les enfants s’éclatent.
— En effet ! s’exclama Nanao, radieuse. — Mon pays a un festival semblable !
Ils passèrent un bon moment à courir partout, effrayant les plus jeunes, jusqu’à ce qu’une pensée frappe Oliver.
— …Chela, comment tout cela se termine-t-il ?
— Que veux-tu dire ?
— Eh bien, chaque fête de ce genre a sa conclusion, non ? Si celle-ci s’inspire des contes d’elfes voleurs d’enfants, alors…
— Exactement. Ça se conclut par la défaite de l’elfe. Ma mère s’en donne toujours à cœur joie.
— …Elle est décidément… très investie.
— Heh-heh-heh. Mais il y a une petite variante. Regarde, ça commence.
Mishakua venait d’apparaître sur la grande estrade au centre de la place, attirant tous les regards.
— Mwahhhh ! Comment est-ce possible ?! J’ai cherché partout et je n’ai trouvé aucun enfant désobéissant ! Comment vais-je en attraper ne serait-ce qu’un seul ?!
L’« elfe mangeuse d’hommes » se prit la tête à deux mains en geignant de désespoir. Puis une nouvelle silhouette fit irruption sur scène.
— Assez, vile elfe ! Tu n’enlèveras aucun enfant ici ! Retourne dans ta forêt !
— Hng ?! Et qui es-tu donc, toi ?!
Mishakua leva une longue baguette. Son adversaire, lui, avait le corps d’un cheval et le torse d’un homme.
— Hein ?! s’écria Katie. Un centaure ?!
— Chut, répondit Chela. C’est le chasseur.
Ils s’installèrent pour regarder le spectacle.
— Arrière, quadrupède ! hurla Mishakua. — Devant moi s’étend un festin, et je ne partirai pas ainsi !
— Alors je te réduirai en cendres ! À l’assaut !
Le centaure dégaina son athamé, et le combat s’engagea avec fracas. Même pour des élèves de Kimberly, le duel était impressionnant : jets de flammes et d’éclairs, lames s’entrechoquant, une chorégraphie d’une virtuosité qui n’avait rien à envier à un véritable affrontement.
— Maudits soient tes quatre sabots ! rugit l’elfe. — Mon corps peut faiblir, mais je t’emporterai dans ma malédiction !
— Alors, avec l’aide des hommes, j’apporterai la lumière dans tes ténèbres ! FRAGOR !
— Gahhhhhhhh !
Touchée par le sort, Mishakua explosa dans un éclat aveuglant. La foule rugit d’enthousiasme. Un final si spectaculaire que Guy en resta bouche bée.
— …Euh, ta mère vient littéralement d’exploser.
— Plus grandiose que d’habitude, répondit Chela, imperturbable. — Ne t’en fais pas, elle doit déjà rallumer un cigare derrière la scène.
— Euh, Chela ! s’écria Katie, les yeux brillants.
— Je m’en doutais, fit Chela avec un sourire complice. — Allons saluer le chasseur.
Chela mena le groupe derrière la scène, où s’entassaient outils et accessoires. Trois silhouettes étaient attablées au centre, un verre à la main.
— Tu rends ça plus extravagant chaque année, Misha, râla l’homme-cheval. On va finir par y laisser notre peau.
— Ne sois pas bête, Torlia. Si l’on veut émerveiller les enfants, il faut viser toujours plus haut. Si on se repose sur nos lauriers, ils s’ennuieront. Autant mourir sur scène !
— Heh-heh-heh ! lança la troisième personne, une naine solidement bâtie. — À ce compte-là, je devrais peut-être participer ! En elfe mangeur d’hommes nain !
— N’importe quoi, Luluim. Pas la peine d’inventer une nouvelle légende absurde, répliqua Mishakua.
Autour de la table siégeaient donc Mishakua, le centaure Torlia et la naine Luluim, tous trois bavardant paisiblement en sirotant leurs boissons, un tableau surréaliste qui cloua Guy sur place.
— …Wow. Une elfe, une naine et un centaure qui trinquent ensemble.
— Et sans s’étriper, ajouta Pete. — C’est presque émouvant.
— Je les ai aperçus pendant le festival, expliqua Oliver.
— Les contacts interespèces se multiplient dans le sud. Ma mère y a beaucoup contribué. Ce sont de sacrés personnages, mais de braves gens.
Chela les présenta d’un ton cordial.
— Ah, vous voilà tous. Michela, comment as-tu trouvé ma prestation ?
— Quel don pour jouer les méchantes, Mère. Et merci, Mr. Torlia, d’avoir cédé à son enthousiasme. Vous devez avoir mieux à faire que de participer à ses lubies.
Le centaure lui répondit d’un large sourire.
— Nulle raison de s’excuser, Michela. C’est une excellente occasion pour mon peuple de se rapprocher des humains. Supporter le tempérament de ta mère est un petit prix à payer.
— Tant mieux, dit Chela avant de se tourner vers la naine. — Et vos moustaches sont plus resplendissantes que jamais, Lady Luluim.
Même les dames naines arboraient fièrement leur pilosité, symbole de beauté dans leur culture.
— H-hé, Chela, murmura Katie, lui tirant la manche. — Ce sont… ?
— Des amis de la famille. Mr. Torlia et Lady Luluim, représentants respectifs des centaures et des nains du sud. Présente-toi, Katie.
Rougissante, Katie s’avança sous les regards bienveillants des deux non-humains.
— E-enchantée ! Je suis Katie Aalto, mage humaine !
— Ah, vous êtes les camarades de Chela, alors ? Merci d’avoir aidé pour la fête.
— Bon travail ! servez-vous à boire et à manger. Vous, les humains, êtes si maigrichons !
Tous deux éclatèrent de rire. Le groupe prit place autour de la table.
— Euh… je suis pro droit civique pour les demis ! lança Katie, incapable de se contenir. — J’ai tellement de questions à vous poser… !
— Nous ne bougeons pas, répondit Torlia. — Assieds-toi, prends ton temps.
— Et ne t’inquiète pas, ajouta Luluim en riant. — On ne mord pas. La chair humaine manque de goût. Mwa-ha-ha !
Cette blague fit grimacer Torlia, et les élèves s’assirent en silence, incertains s’il fallait rire ou non.
L’atmosphère se détendit vite. Tous deux étaient plus accessibles que Mishakua, et bientôt, la conversation coulait d’elle-même.
— Je n’avais jamais vu de mage centaure, avoua Oliver, — mais votre duel était impressionnant, Mr. Torlia.
— Ha-ha, ce n’était que de la mise en scène. En vérité, je passe la moitié du temps à éviter que Misha ne me tue accidentellement et gâche la fête.
— Tu fais le modeste, Gardien des Forêts, répliqua Luluim. — Tu es le héros de la Guerre de Soixante Ans ! Il reste des mages qui tremblent encore en entendant ton nom.
Les trois élèves sursautèrent. La Guerre de Soixante Ans… la célèbre rébellion des centaures. Et le Gardien des Forêts en était le commandant légendaire. Ils se retrouvaient face à un héros en chair et en os.
— Ma réputation est exagérée, maugréa Torlia. — Aujourd’hui, elle ne fait que compliquer mes rapports avec les humains.
— Puis-je vous poser une question ? Je fais moi-même une activiste pour les droits des demis… J’aimerais beaucoup entendre comment les centaures ont obtenu leur statut actuel, directement de votre bouche, dit Katie.
— Bien sûr, je veux bien dire les choses, mais…
— Mr. Torlia ! Vous êtes là !
Un homme ordinaire accourait, essoufflé. Voyant à qui il venait de s’adresser, et surtout les invités présents, il pâlit aussitôt, mais Chela lui fit signe.
— Allez-y, ne faites pas attention à nous. C’est urgent, non ?
L’homme s’approcha et murmura quelque chose à l’oreille du centaure. Son expression se durcit aussitôt.
— …Je m’en doutais. Il va falloir agir.
Il se leva, posa sa chope.
— Désolé, Miss Aalto. Pas le temps de bavarder. Luluim, viens. Pas une gorgée de plus.
— Quoi, on part au combat ? demanda la naine en attrapant la poignée de sa hache.
— Hélas, oui. Des tensions étaient là avec les gobelombres, et ils ont lancé une offensive. Une ville voisine a été rasée.
Tous blêmirent.
— Je vais diriger la contre-attaque, précisa Torlia. — On tentera de négocier, mais le sang coulera sans doute. Pas d’inquiétude : le combat n’atteindra pas ces terres. Profitez de la fête tant qu’elle dure.
— Pourquoi ne pas les emmener ? proposa alors Mishakua.
Tous se tournèrent vers elle, stupéfaits, mais l’elfe ne cilla pas.
— Ils se rendront utiles. Ce sont des élèves de quatrième année de Kimberly, et je garantis leur compétence.
Un silence suivit. Torlia croisa les bras, réfléchissant, puis acquiesça.
— …C’est vrai, nous manquons de bras. J’ai beaucoup de soldats non magiques dans cette bataille. Même sans combattre, si vous pouvez soigner les blessés, votre aide sera précieuse.
— Ne craignez rien, lança Luluim avec un sourire carnassier. — Restez derrière moi, et je vous garde entiers.
Ils échangèrent des regards incertains. L’invitation était inattendue, mais légitime. Et surtout, ils étaient sur les terres de Chela. Refuser aurait été impensable. Sauf si…
— …Qu’en dis-tu, Katie ? demanda Guy.
— …J’en suis, répondit-elle après un silence. — C’est un travail de mage.
La tension marquait son visage, mais sa résolution était claire. Et puisque Katie acceptait, aucun des autres ne se voyait refuser. Quand tous eurent hoché la tête, elle reprit :
— Mais je veux être certaine d’une chose. Que fait-on des ennemis qui refusent de se battre, ou de ceux qui se rendent ?
— On les neutralise et on les capture après le combat, répondit Torlia. — Durant les interrogatoires, s’ils acceptent d’abandonner la voie de la conquête et de redevenir des « gobelins », on leur fournit une éducation adaptée pour travailler dans les manufactures. À peu près pareil pour les kobolds qui vivent avec eux.
— …Des usines, donc.
— Ça te chiffonne aussi ? Tu es décidément une militante, toi. J’sais pas si ça t’apaisera, mais leurs logements respecteront les normes légales du Sud. On a une elfe, Mishakua, qui vient vérifier régulièrement. C’est déjà bien mieux que les régions gérées par des humains seuls.
Katie croisa les bras, songeuse.
— C’est déjà un traitement plus clément que ce que le camp perdant obtient d’ordinaire, ajouta Luluim en haussant les épaules. — Autrefois, on les laissait à la merci de leurs victimes. Mais ça les rendait moins enclins à se rendre. Et on a vite compris que le drapeau blanc, c’est encore ce qu’il y a de mieux pour tout le monde.
Oliver approuva d’un signe de tête. Mettre en place un protocole d’après-reddition, c’était une démarche rare et réfléchie.
— Le campement est vaste, reprit Torlia. — On prévoit peu de pertes, même parmi les troupes non-mages, mais les gobelombres peuvent se révéler redoutables sur un terrain qu’ils connaissent. Ce sera une bonne expérience pour vous tous.
Ils respirèrent profondément, chassant la légèreté du festival derrière eux.
Ils passèrent la nuit à se préparer, puis prirent la route de l’ouest selon les instructions de Torlia. Ils avaient hésité à utiliser un sort d’invocation pour transporter Marco, mais Mishakua apparut avec un grand chariot tiré par du bétail de mana et annonça qu’elle se joindrait elle aussi à l’expédition. Oliver comprit alors qu’elle faisait de tout cela une leçon grandeur nature.
Avec la puissance combinée des McFarlane et du Gardien des Forêts, la mission tenait davantage de l’exercice que d’une guerre : l’une ou l’autre de ces figures suffisait sans doute à raser un village de gobelombres à elle seule.
— Tout le monde est là. En avant !
Mais lorsqu’ils rejoignirent les troupes de Torlia, Oliver révisa son jugement. Le contingent comptait bien plus de soldats non mages qu’il ne l’aurait cru
— et il était évident qu’ils mèneraient l’assaut principal.
— J’assurerai votre retraite. Criez si un béhémoth se montre, lança Mishakua d’un ton neutre, s’arrêtant à l’entrée de la forêt.
Torlia acquiesça avec un sourire en coin. Oliver n’était pas surpris de la voir éviter les premières lignes : sa seule présence rendait difficile de prendre la mission au sérieux.
Les gobelombres pouvaient être dangereux, certes, mais des soldats bien équipés suffisaient à les tenir en respect. Torlia voulait sans doute offrir à ses hommes une expérience concrète.
Les huit camarades d’Oliver pénétrèrent dans la forêt à la suite des troupes.
— …Si on doit vraiment se battre…, commença Katie.
— Pas besoin de le dire, coupa Guy.
— On neutralise, sans blesser plus que nécessaire, hein ?
— Évidemment.
Guy et Pete étaient déjà sur la même longueur d’onde. Katie parut étonnée, et
Guy poursuivit :
— J’veux pas avoir mauvaise conscience, surtout après ce qu’on a vu en Farnland. C’est un village, y’aura des gosses aussi.
Oliver partageait pleinement ce sentiment. Il se promit de suivre la voie que le cœur de Katie choisirait.
Ils progressèrent prudemment entre les troncs jusqu’à ce que Torlia s’arrête et porte deux doigts à ses lèvres. Un sifflement d’oiseau s’éleva, un code commun aux gobelins comme aux gobelombres.
— Enfants sages de la forêt, lança Torlia d’une voix claire, — je suis Torlia, le Gardien des Forêts ! Mon alliance avec les McFarlane m’oblige à condamner vos attaques contre les villages humains. Si vous déposez les armes et vous rendez, aucun sang ne sera versé. Qu’en dites-vous ?!
Sa voix se perdit dans le silence des bois. La réponse vint sous forme d’une volée de flèches plantées à ses pieds.
Torlia soupira et saisit son athamé.
— Fin des négociations. En position !
— On prend la tête !
Sans attendre d’ordres, les mages s’avancèrent. S’ils devaient jouer un rôle plus important que prévu, c’était le moment.
— Hé, du calme ! protesta Luluim. — Restez derrière.
— Tranche-les, Nanao, coupa Oliver.
— GLADIO FERRUM !
Le sort de Nanao coupa net tous les arbres devant eux. Les troncs et les silhouettes ennemies s’effondrèrent d’un même coup, et déjà Oliver aboyait une nouvelle commande.
— À toi, Chela !
— MAGNUS TONITRUS !
La double incantation de Chela couvrit la zone d’un maillage électrique qui foudroya les embusqués. Guy et Katie bondirent dans la brèche.
— IMPEDIENDUM !
— IMPEDIENDUM !
Les survivants pris dans les mailles du sort furent aussitôt neutralisés.
Pendant ce temps, Pete contrôlait plusieurs golems éclaireurs.
— …Gros groupe au nord-ouest. Petits détachements à l’est et à l’ouest. Faut frapper avant qu’ils se regroupent.
— Reçu, répondit Oliver. — On ouvre la voie. Vous interceptez ceux qui passent. Marco, tu restes en arrière et tu protèges les soldats.
— Unh, compris.
Informé, Oliver coordonnait déjà le champ de bataille avec un sang-froid qui laissa les officiers médusés.
— …J’y crois pas, souffla Luluim.
— Mieux que prévu, admit Torlia avec un large sourire. — On n’aura peut-être même pas à intervenir.
Oliver menait l’offensive, Katie à ses côtés.
— Katie, tu sais bien…, commença-t-il.
— Oui, acquiesça-t-elle. — On agit sans attendre.
Ils savaient tous deux que Torlia voulait avant tout entraîner ses troupes de non-mages et que leur intervention risquait de leur voler cette occasion. Mais Katie avait choisi :
— Et alors ? Ce qui compte, c’est qu’ils rentrent tous vivants. C’est ma priorité.
— …Je comprends, répondit Oliver. C’est ton combat.
Pendant ce temps, plus loin dans la forêt, loin du tumulte des sorts, une voix d’homme résonna calmement :
— L’assaut a commencé. De bien tristes gens.
À ces mots répondit un chœur de grondements inhumains : les gémissements des égarés, indistincts entre douleur et extase.
— Mais n’ayez crainte. Vous n’êtes plus les misérables gobelins d’autrefois. Vous le sentez, n’est-ce pas ?
Portés par cette voix, ils s’élancèrent. Dans l’ombre, la silhouette parla encore, presque en prière :
— Montrez votre force. Tant que cette bénédiction repose sur vous.
La première phase de la bataille s’acheva, mais les mages restaient en alerte, scrutant les ténèbres.
— …C’est étrangement calme, nota Guy.
— Ils auraient déjà perdu courage ?
— Trop tôt pour ça. Ils devraient encore avoir des renforts…
Au moment où Oliver prononça ces mots, les épaules de Nanao se raidirent.
— Je ressens une présence funeste, dit-elle.
— Halte ! cria Oliver.
— Quoi ? fit Luluim, surprise. — On les a presque repoussés !
— Pas si l’instinct de Nanao dit le contraire. — Mr. Torlia ! Sommes-nous sûrs de n’affronter que des gobelins et des kobolds ?
— Hein ? répondit le centaure, perplexe. — Peut-être quelques wargs, mais rien de…
— En dessous ! cria Chela.
Les mages bondirent en arrière alors que le sol éclata sous leurs pieds.
— …Qu’est-ce que… ?! siffla Pete.
Des créatures jaillirent de la terre : des gobelombres, mais leurs bras s’étaient changés en forets d’acier. Ce spectacle fit blêmir Torlia.
— …Non… Ils sont devenus Gnostiques ?!
—GYYYYYAAAAAAAAAAAAAA !
Les monstres chargèrent, avec leur bras-foret qui tournoyaient.
— Formation défensive ! beugla Torlia. — Cercle de protection !
— Je solidifie le terrain ! FORTIS PROHIBERE !
La hache de Luluim s’abattit, durcissant la terre alentour pour bloquer toute attaque souterraine. Puis, dans un rugissement, elle fit voler plusieurs gobelombres d’un coup de hache. Les troupes non magiques purent se regrouper.
— Je ne l’avais pas vu venir, grogna Torlia. — Aucun signe d’activité Gnostique ici depuis des années. Que cela se produise justement avec vous…
— Voyez-le comme une chance, répondit Oliver. — Vous avez du renfort.
— …Katie, je crains que cela ne change tout, prévint Chela.
— On ne peut plus se retenir, ajouta Guy. — Désolé, mais on range les gants.
— …Ngh… D’accord !
Katie raffermit sa prise sur son athamé. À côté, Teresa scrutait les arbres, le visage fermé.
— Teresa ?
— …Quelque chose cloche.
Ce n’était pas une explication, mais Oliver acquiesça : si elle ressentait un danger, il fallait l’écouter.
Des kobolds Gnostiques jaillirent des buissons, se mêlant aux gobelombres. Les mages ripostaient sans relâche.
— Ils sont puissants ! pesta Guy. — Ces trucs étaient vraiment des gobelins et des kobolds normaux ?!
Leurs sorts faisaient mouche, mais les ennemis attaquaient en meute, avec une coordination effrayante. Leur résistance dépassait celle de toute créature ordinaire et à présent, ils tenaient tête à des mages de Kimberly.
— C’est la bénédiction Gnostique, expliqua Oliver. — Le seul moyen pour ceux n’ayant pas d’aptitudes d’affronter la magie… au prix de leur propre essence.
Mais son regard se durcit.
— …Quelque chose ne va pas. Ils sont trop puissants. Ce n’est pas un simple renforcement : ils se battent comme s’ils savaient manier leurs nouvelles formes. C’est possible, mais seulement avec du temps…
— Ils n’en ont pas eu, trancha Torlia. — Nous les surveillions jusqu’à ce matin. S’ils ont changé aussi vite, c’est qu’ils ont eu un instructeur.
Teresa, qui observait sans relâche les alentours, leva soudain la voix :
— Miss Hibiya.
— Mm ? Oui, Teresa ?
— Tranche les arbres derrière nous, à gauche. Sans regarder. En tournant. Une seule fois.
— GLADIO !
Nanao s’exécuta aussitôt.

Les troncs s’écroulèrent, révélant une silhouette dissimulée. Oliver pointa son athamé.
— Quelqu’un est là ! Ne le laissez pas fuir ! FLAMMA !
— FLAMMA ! FLAMMA ! FLAMMA !
Les flammes engloutirent les arbres abattus, forçant l’intrus à sortir.
— Hmm !
C’était un vieil homme, vêtu de simples robes rappelant celles d’un moine azian. Près de deux mètres dix, une silhouette sèche, toute en nerfs d’acier. Dans sa main, un long bâton pentagonal, presque aussi grand que lui. Son port, calme et assuré, trahissait une expérience immense.
— Vous avez de bons instincts, dit-il d’une voix grave. — J’aurais dû me garder de vous prendre pour des enfants.
La voix de l’homme était calme, presque admirative. Oliver et les autres se mirent aussitôt sur la défensive.
— …Un mage humain, souffla Chela.
— Recule, Katie. Tu le ressens, non ? Ce qu’il dégage ?
Même en parlant, Chela sentait la sueur couler dans son dos. Torlia et Luluim s’avancèrent pour les couvrir.
— Un prêtre de la Lumière Sacrée, grommela le centaure. — Et de haut rang, à en juger par son bâton… archevêque, peut-être ?
L’homme inclina légèrement la tête, appuyant son long bâton blanc contre son épaule.
— En effet. Je suis Evit, serviteur de la Lumière. Malgré mon âge, j’occupe le siège le plus bas du Pentagone.
Ces mots suffirent à glacer l’air.
Parmi les sectes Gnostiques, l’Ordre de la Lumière Sacrée figurait parmi les plus vastes, et aussi parmi les plus redoutés. Ses membres prêtaient serment à une divinité d’un Tír inconnu, s’écartant du chemin des mages véritables.
— Cinquante ans sur la liste noire des Chasseurs de Gnostiques ! lança Luluim. — Solide, le vieux. Jamais pensé te croiser sur les terres McFarlane. Tu bosses donc sans congé ?
— Là où il y a des âmes en peine, répondit Evit d’un ton doux, nous venons exaucer leurs prières.
Torlia brandit son athamé.
— Si tu t’es montré, c’est que tu veux mourir. Souhaites-tu qu’on grave ton nom sur ta tombe ?
— Inutile, héros centaure. C’est regrettable : j’aurais aimé parfaire ta forme, toi aussi.
Le bâton pentagonal se leva. Luluim jeta un coup d’œil en arrière vers les jeunes mages.
— On s’en charge. C’est pas un adversaire pour des gosses.
— …Sans vouloir être impoli, vous êtes sûrs de pouvoir le battre ? demanda Oliver.
La naine répondit par un grand sourire.
— Monte, partenaire !
— Ne tombe pas !
La hache en main, elle bondit sur le dos du centaure. Quatre sabots frappèrent la terre à l’unisson, et tous deux foncèrent.
— …Un assaut centaure… ! souffla Oliver, stupéfait.
Le prêtre leva son bâton, mais les deux combattants frappèrent avant lui.
— IMPETUS !
— RAAAHHHHHH !
La poussée magique força Evit à reculer, et la hache de Luluim s’abattit aussitôt, amplifiée par l’élan du galop.
Un choc titanesque.
Le vieux prêtre para, recula, mais ne céda pas.
— …Incroyable, murmura Katie.
— Ils combattent comme un seul être ! s’exclama Guy.
— Pas le temps d’admirer ! cria Chela. — Les gobelombres n’attendront pas !
La Rose des Lames laissa le duel aux vétérans et se rua de nouveau contre les gobelombres Gnostiques. Leur puissance faisait toute la différence : sans eux, jamais Torlia et Luluim n’auraient pu se concentrer sur Evit.
— Quelle ardeur ! soupira le prêtre en déviant un autre coup. — Trop pour ces vieux os…
Et pourtant, il n’avait pas l’air de forcer. Pas une goutte de sueur.
Torlia fronça les sourcils : il n’avait prononcé aucun sort, et ses déplacements frôlaient la perfection. Ce bâton pentagonal lui conférait une défense invisible.
— Mieux vaut neutraliser ses sabots. Manifestation des Piliers, ■■■ ■■.
Des colonnes de lumière jaillirent tout autour, emprisonnant le centaure.
Luluim frappa l’une d’elles de toutes ses forces : la lame rebondit avec un bruit de cloche.
— Tch ! Ça casse pas !
— Ciel. Pas grave, je passerai entre !
Torlia s’élança malgré tout, zigzaguant entre les piliers. Mais dès qu’un pilier s’interposa entre eux et leur cible… le prêtre disparut.
— Hein… ?!
— Je ne cherchais pas à vous ralentir, murmura Evit derrière eux, seulement à vous limiter.
Le bâton frappa, transperçant l’air et heurta le bras gauche de Luluim.
— Ghh… !
— Luluim !
Torlia recula pour la protéger. Oliver, voyant la scène, pâlit.
— …Qu’est-ce que… ? Comment a-t-il bougé si vite ?
— Arts géomartiaux de la Lumière Sacrée, expliqua Oliver. — Plus leurs mouvements approchent de la perfection géométrique, plus la bénédiction de leur divinité s’intensifie. Avec ces piliers pour tracer son terrain, Torlia est désavantagé.
Les deux vétérans grimaçaient, frustrés.
— Ses mouvements sont plus précis que les nôtres. Je le savais, mais à ce point…
— Tch. J’ai jamais aimé compter les angles, moi, grommela Luluim.
Elle raccourcit sa prise sur la hache et, sans hésiter, trancha sa propre chair.
Le sang coula.
Les attaques Gnostiques contaminaient. C’était sa seule façon de stopper la corruption.
— Tu as effacé le stigmate, observa Evit. — Accepte-le, et tu pourrais devenir l’une des nôtres.
— Pas question ! répliqua-t-elle. — Pas de monde sans vin ni chanson pour moi ! CLYPEUS !
Elle fit apparaître un nouveau pilier entre eux et lui. Le prêtre plissa les yeux.
— T’ajouter des obstacles ? Bien stupide !
— Stupide toi-même !
La hache s’abattit et le pilier éclata en cinq morceaux, projetés tout autour.
Luluim avait modifié sa visualisation avant de créer le sort.
— Va donc, essaie de garder tes angles parfaits maintenant !
— IMPETUS !
Les débris rompirent la symétrie du terrain ; le centaure en profita pour charger.
— …Brillants, reconnut Oliver. — Les morceaux tombent pile où il faut pour casser ses polygones.
— Et pour rendre le sol irrégulier, ajouta Chela. — Les arts de l’Ordre perdent leur précision dès qu’ils doivent sauter. Un centaure, lui, reste stable.
— Excellent… murmura le prêtre. — Vos soixante années de guerre ne furent pas vaines.
— T’as raison ! s’écria Luluim. — Le champ de bataille, c’est pas une salle de dessin !
Mais Evit planta son bâton dans le sol.
— Hélas pour vous, j’ai combattu les Chasseurs de Gnostiques pendant un siècle. Les centaures, avec leurs quatre jambes…
Luluim abattit sa hache. Il la bloqua d’un geste précis, se glissa sous le ventre de Torlia.
— …ne peuvent frapper en dessous. Fait bien connu.
Son mouvement laissa tout le monde sans voix. Mais Luluim éclata de rire. — Crétin ! T’as oublié mes deux bras ! IMPETUS !
Elle pointa sa baguette contre le flanc de Torlia : le manche s’enfonça dans ses côtes, et la lame lança un souffle de vent vers le bas.
— Hrrng… !
Le prêtre fut soufflé hors de sa cachette. Torlia fit volte-face, mais un craquement sec l’arrêta.
— …Unh…
— Désolée. J’t’ai fêlé une côte. Fallait frapper fort pour l’atteindre.
— …Je sais. Tu me paieras un verre.
Ils repartirent aussitôt à l’assaut. Evit se releva, épousseta calmement sa robe.
— Bon sang… Une naine et un centaure. Quelle plaie.
— On peut tenir toute la nuit, lança Luluim. — Si tu peux manier ton bâton à une seule main !
Son bras gauche pendait : la hache l’avait brisé net.
C’est à ce moment que le groupe de Kimberly accourut.
— Les gobelombres et kobolds Gnostiques sont neutralisés !
— On vient en renfort, déclara Chela, l’athamé levé. — Prêtre de la Lumière Sacrée, préparez-vous.
Evit fronça les sourcils.
— J’ai sous-estimé les enfants, on dirait. Je n’ai même pas eu le temps d’achever ma leçon. De là à imaginer que neuf mages abattraient tout un village de gobelombres.
Sa main droite glissa du bâton. Geste trompeur. Ses lèvres remuèrent.
— Accorde la soif insatiable, ■ ■■■■■. Que l’autorité divine règne, ne fût-ce qu’un instant.
— TONITRUS ! crièrent-ils tous à la fois.
Mais leurs éclairs furent avalés par un cube translucide qui s’était matérialisé dans l’air.
— Il a… aspiré nos sorts ?!
— Pas seulement, hurla Oliver. — Il absorbe l’air ! Reculez, vite !
Le cube se mit à gonfler, engloutissant tout sur son passage comme un trou béant. Les mages résistèrent au tirant, mais derrière eux, des cris s’élevèrent.
— Aaaaah !
— C’est… sec ! Ma peau !
Les soldats non-mages se desséchaient littéralement. Oliver comprit aussitôt.
— Éponge d’Urani ! Un artefact Tír qui s’étend en absorbant ! Si on reste, il nous avalera corps et âme !
Ils battirent en retraite, impuissants : tout sort lancé était aussitôt aspiré.
— Bon sang ! On ne peut même pas les protéger !
— FORTIS PROHIBERE RESISTIS !
Le monde s’arrêta net. Une triple incantation, bien au-delà de leur portée. L’air sembla bouché d’un coup.
— Ciel… murmura Torlia. — C’est pire qu’un béhémoth.
— Mère ! cria Chela.
Là-haut, sur son balai, baguette brandie, se tenait Mishakua McFarlane.
Son sort retenait le cube dans un duel de puissance invisible.
— Ah, te voilà, fit Evit, impassible. — Je suppose que c’est là que nous nous quittons.
— Pourquoi tant de hâte, petit prêtre ? J’ai tout mon temps pour t’écraser.
— L’honneur est mien, mais ni toi ni moi ne le souhaitons vraiment.
Il leva son bâton, dissipa la bénédiction. Un pilier diagonal jaillit du sol, et il l’escalada d’un bond, disparaissant dans les arbres.
— Nul besoin de se presser… le salut n’est jamais loin.
Et il s’évanouit dans la forêt.
Libérés de son influence, tous s’effondrèrent, épuisés.
Mishakua sauta de son balai, jeta un regard circulaire.
— J’aimerais poursuivre et lui faire ravaler sa Lumière Sacrée, mais nos soldats ne tiendront pas sans soins. Torlia, Luluim, encore debout ?
— …À peine…
— …Je douille, mais j’respire.
Mishakua hocha la tête, puis toisa les jeunes mages.
— Voilà, les enfants. C’est ça, la menace Gnostique. Vous avez bien retenu la leçon ?
Son sourire était presque fier.
Personne n’osa répondre.
Leur premier affrontement contre un mage Tír et leur premier contact direct avec la véritable horreur du monde.
Aucun d’eux ne l’oublierait jamais.
Pendant ce temps en Lantshire, deux mages franchissaient les lourdes portes d’acier d’une forteresse creusée dans la montagne. Les murs noirs, l’air saturé d’effluves de mort : ici, nul ornement, nulle compassion.
— …
— Hmph.
C’était le quartier général des Chasseurs de Gnostiques, un lieu sans équivalent au monde. Les deux mages, ayant quitté l’enfer de Kimberly, étaient tombés dans un chaudron encore plus ardent.
— …Tu le sens, Lesedi ? demanda Godfrey, les yeux rivés sur ce spectacle sinistre.
La femme à ses côtés acquiesça.
— Ouais. Ça me rappelle mon premier jour à Kimberly.
Ils échangèrent un sourire, trouvant un certain humour dans ce souvenir commun.
— Il est temps d’entrer.
— Je te suis.
Leur prochain pas ne pourrait plus être repris.
Chacun se demanda comment saluer ceux qui se trouvaient à l’intérieur ou quel sort leur lancer.
FIN
[1] Clown en italien.