RoTSS T10 - prologue
Prologue
—————————————-
Traduction : Rookie
Correction : Raitei
———————————————–
Un seul fil ressortait sur les vêtements qu’il avait préparé, tellement petit qu’il fallait le chercher pour le remarquer. Le matin du cinquième jour après avoir appris ce fait, le tailleur fut retrouvé pendu à un arbre dans son jardin. Il n’avait laissé aucune trace sur l’herbe sous ses pieds. Un suicide des plus irréprochables. Personne ne l’avait spécifiquement ordonné mais même le plus insignifiant des serviteurs de la Maison Echevalria partageait cet état d’esprit. Effectuer parfaitement leurs tâches, puis donner leur vie lorsqu’ils réalisaient que leurs compétences se détérioraient, c’était comme si ce concept de perfection était une malédiction qui pesait sur eux.
« Une erreur conduit à la suivante. Telle est la nature des hommes. » C’était les mots du serviteur le plus âgé en charge d’habiller le jeune maître. Regardant les mains ridées qui fermaient les boutons de sa chemise, le garçon écoutait en silence. Ses traits étaient aussi fins et agréable visuellement que l’était n’importe quelle statue malgré un visage dénué d’expression.
— Ce fil qui dépassait n’était sans doute pas la seule raison de son passage à l’acte. Il avait soixante-deux ans. Certains supposent qu’il savait que sa concentration nécessaire pour assurer son poste se détériorait. Ainsi, il a choisi de prendre sa retraite plus tôt. Avant que les imperfections ne viennent gâcher votre vision, Maitre, expliqua le serviteur. — Votre père en est bien conscient. Il n’accepte dans son manoir rien d’autre que la perfection. Tout est fait pour que vous deveniez le mage parfait.
Le garçon acquiesça. Même dans sa plus tendre enfance, il connaissait la vision de cette maison. Les roses avec le moindre flétrissement sur les pétales étaient immédiatement retirées des vases. Une seule écaille manquante repérée sur un poisson d’ornement signifiait que la prochaine fois qu’il passerait devant cet aquarium, le poisson ne serait plus là. Les humains ne faisaient pas exceptions. Cet endroit était contrôlé par ces règles bien avant qu’il soit né.
— Affinez-vous jusqu’à la perfection, Maitre Leoncio. Toutes les vies ici existent dans ce but.
Ce n’était pas la première fois qu’il entendait ce sermon. Deux mois plus tôt, cet homme (qui l’avait servi plus longtemps qui quiconque) avait bu du poison avec le même objectif que le tailleur. D’après la lettre trouvée dans sa chambre, la raison : son dos ne lui permettait plus de se tenir droit. Ces souvenirs traversèrent l’esprit de Leoncio alors que les flammes lui brûlaient le côté droit du visage.
— …Haha…
Il essaya de sourire mais ses joues s’y refusèrent. Il pouvait ressentir l’asymétrie, et cela lui parut hilarant, son sourire narquois grandissant encore plus. Il savait alors, qu’il n’était plus parfait. Ces brûlures faisant de lui une existence inacceptable dans ce manoir. Comme les roses flétries, le poisson sans écailles, ce tailleur maladroit et ce serviteur qui ne se tenait plus droit. Il était devenu une tâche souillant cette perfection de ses défauts.
— Soigne ça, Leoncio. Je peux attendre.
C’était lui, l’auteur de cette imperfection, qui venait de parler. Il se tenait là, droit, la baguette dans une main calcinée par ses propres flammes, face à celui qu’il avait tenté, dans un élan insensé, de protéger. Son regard, dur et fixé sur lui, ne tremblait pas.
Rien en lui n’évoquait la perfection. Ni ses traits, ni ses vêtements, ni sa façon de s’exprimer ne montrait un quelconque raffinement. Il suffisait d’un regard pour voir en lui un chien errant. Depuis le jour de sa naissance, cet homme n’aurait jamais eu sa place dans le manoir Echevalria.
Alors pourquoi ne baissait-il pas les yeux ?
— …Ça ira, dit Leoncio avec un sourire.
Son visage ne portait plus ses dignes trait d’avant mais il n’en avait que faire. Cette perfection apparente s’était déjà volatilisée, brûlant ainsi toute raison de s’y accrocher. Maintenant il était libre. Libre d’affronter ce qui se trouvait à l’intérieur.
— Tu t’es endormi, Leo ?
Une voix féminine amusée tira Leoncio de sa sieste sur le canapé de leur QG. Il ouvrit les yeux.
— …Seulement un souvenir. Sur le jour où j’ai reçu ces brûlures.
— Ah ! Ceci explique ton réveil, susurra Khiirgi, ses yeux glissant le long de sa taille jusqu’au niveau de l’entrejambe.
Il était doté d’un engin colossal et voilà maintenant que ce dernier se dressait comme un énorme serpent tentant d’atteindre le plafond. L’elfe caressa le bout avec un doigt, lui chuchotant :
— Ta dévotion te perdra. Ta grosse baguette n’est en aucun cas problématique physiquement pour les mages que nous sommes. Tu ferais bien mieux de t’entourer de cinq ou six partenaires entièrement voués à la chouchouter, plutôt que de la laisser de côté pour un homme qui ne te cédera rien.
Ne prêtant pas attention à ses remontrances, Leoncio la repoussa. Khiirgi secoua sa main brûlante, en soufflant.
— Quel délice que de se donner à un être tout en rêvant d’un autre.
— Tu es l’incarnation du mauvais goût, Khiirgi.
Dit une voix calme venant du coin de la pièce. C’était le Barman, Gino Beltrami, polissant ses verres derrière le comptoir. Il regarda l’horloge murale.
— Il est l’heure d’y aller. On ne veut pas faire attendre Percy.
Il posa son verre et sorti de derrière le bar. Leoncio se leva du canapé après un reniflement.
— Notre présence ne fera pas de différence. Percy va gagner. Je lui en ai donné l’ordre après tout.