Rotss T7 - chapitre 3
Mêlée Générale
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Traduction : Raitei
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Où le cours de la bataille allait-il les mener ? Trop de possibilités, bien trop pour que l’on puisse tout prévoir. Avec plusieurs équipes dans un affrontement de mêlée générale, c’était d’autant plus imprévisible : la moindre malchance au commencement pouvait sceller l’issue du combat.
— Oh, attends, Nanao, prévint Yuri. — Le souffle de dragon est actif par ici.
— Hm.
Trois jours s’étaient écoulés depuis la phase préliminaire. Le vrai combat approchait, mais dans la salle d’attente du premier étage, les coéquipiers d’Oliver étaient absorbés par un jeu, sans montrer le moindre signe de nervosité.
— …
Oliver savait pertinemment qu’il était inutile de s’inquiéter. Il leur avait déjà bien inculqué les principes de base et les stratégies défensives élémentaires, il ne leur restait plus qu’à faire preuve de souplesse et à s’adapter au fil du combat. Se détendre était peut-être ce qu’ils pouvaient faire de mieux à cet instant. Bien mieux que de se laisser consumer par le stress. Pourtant…
— Hmm, les golems sont alignés. Je crois que je peux les combiner à présent !
— Oh, joli coup, Nanao. Laisse-moi vérifier la règle. Heu… Une fois fusionnés, les golems de terre gagnent en résistance et en attaque…
— …Huit fois plus, dans cette version, corrigea Oliver, incapable de rester les bras croisés en les voyant fouiller dans ce grimoire de règles épais comme un dictionnaire.
Il jeta un regard blasé au plateau de jeu, envahi de figurines de toutes tailles et de toutes formes.
— Le match est sur le point de commencer, et vous vous amusez encore avec ce jeu chaotique et absurde ?
— C’est justement ça qui est fun ! Tu n’as jamais joué à Magic Chess Dynamic ?
— …J’ai commencé avec la quinzième édition, Coolish, et suivi jusqu’à la vingt-huitième, Invisible. Mais j’ai fini par apprendre le truc. Les règles changent chaque mois, et à chaque fois, elles chamboulent les fondamentaux de l’édition précédente. Les échecs classiques sont bien plus raffinés. Je les préfère largement.
Alors même qu’il parlait, Oliver grimaça. Il s’entendait parler comme son père. Les souvenirs affluaient. Sa mère, championne invaincue, son père, défait une fois de plus, hurlant : « Noll, rejoue avec moi ! » Mais peu importait lequel des deux était en face de lui, il finissait toujours à bout de nerfs.
— Cinq minutes avant le début. À vos postes.
La voix d’un aîné le tira de sa rêverie. Nanao et Yuri lâchèrent leur jeu.
— Oh, c’est l’heure !
— En effet.
Ils se levèrent, Oliver les suivit. Une voix retentit depuis le plafond.
— Avant que le match ne commence, rappel des règles.
***
À mesure que dix heures approchaient, Garland entama son commentaire. Le flux de retransmission des golems de surveillance affichait les douze participants sur le point de s’affronter.
— Il s’agit d’un affrontement de mêlée générale entre quatre équipes. Tous les groupes entreront sur le terrain au début du match. Sorts et lames autorisés. Chaque élimination d’un membre d’équipe adverse rapporte un point, et toute équipe encore debout à la fin du match gagne deux points supplémentaires. L’équipe ayant le total de points le plus élevé est déclarée victorieuse.
Garland poursuivit :
— Comme annoncé, les familiers et golems sont autorisés. Ceux qui souhaitent en utiliser sans en avoir à disposition peuvent emprunter des unités basiques fournies par l’administration de la ligue. N’hésitez pas à demander.
Ces unités standardisées étaient surtout pensées pour les équipes de deuxième année. Les élèves de troisième année étaient censés disposer de familiers pour la reconnaissance et la transmission de messages, mais il était peu réaliste d’en demander autant aux plus jeunes. Cela dit, tous les participants ici étaient des troisième année. Le problème ne se posait pas.
— Il s’agit de la division inférieure alors des sorts de protection ont été appliqués. Des contrats garantissent que la létalité des sorts se limite à des dégâts non critiques, et le terrain est enchanté pour prévenir tout accident malencontreux, comme une mauvaise chute. Autrement dit, l’état physique réel des participants ne suffit pas pour déterminer blessures ou éliminations. C’est là que les anneaux entrent en jeu : vous les voyez aux poignets, aux chevilles, et autour du cou.
— Ceux-ci, exactement ! lança Glenda en se levant pour les montrer.
Garland poursuivit :
— Ces anneaux détectent la chaleur extrême, le froid, les impacts, bref, toute interférence offensive visant la chair. Lorsque les seuils sont dépassés, le sort s’active, provoquant une paralysie locale autour de l’anneau. Si un sort frôle l’anneau du poignet gauche, le bras gauche perd en sensibilité, s’il touche de plein fouet, c’est l’usage du bras entier qui est perdu. Un coup porté à la tête ou au torse est enregistré par l’anneau du cou : il ne provoque pas de paralysie, mais une perte de conscience, autrement dit, une élimination. Même si l’anneau du cou reste intact, si les quatre membres sont neutralisés, le participant est considéré comme éliminé.
Il marqua une pause et tourna les yeux vers Glenda. Elle comprit l’allusion et dégaina son athamé, le tenant de sa main droite dominante. L’image se rapprocha sur l’écran.
— Le point important ici est que la perte de la main dominante n’entraîne pas l’élimination immédiate. Contrairement à un duel classique, ceci est un combat d’équipe. Même sans pouvoir lancer de sorts ni manier une lame, tant que l’on peut courir, on peut contribuer à la victoire. Soyez-en bien conscients : on s’attend à ce que chacun se démène comme jamais.
Dans les règles habituelles, les mages ne peuvent manier leur baguette qu’avec leur main dominante. En duel, une coupure à cette main signifie la défaite. Mais en équipe, c’était autre chose. On pouvait encore servir d’appât, encaisser les coups à la place des autres, ou se concentrer sur la gestion de familiers.
— Plusieurs terrains ont été préparés, et l’un d’eux sera tiré au sort à chaque mêlée. Le temps imparti est d’une heure. Vous êtes libres de combattre comme bon vous semble dans les limites des règles, mais toute tentative de se cacher, de fuir ou d’éviter l’affrontement trop longtemps sera considérée comme un refus de combat. Dans ce cas, vos anneaux s’activeront pour vous éliminer. Prenez garde à cela.
Combattre et survivre… Un thème vieux comme le monde, mais fondamental. Garland n’avait pas encore terminé.
— Sont interdits : tout comportement dangereux pouvant mener à la mort ou à des séquelles permanentes. Cela inclut toutes les malédictions. Même au-delà de cela, infliger une douleur excessive ou inutile est évidemment proscrit. Tout comportement de ce genre sera sanctionné par un avertissement, une pénalité, voire une disqualification immédiate si la faute est jugée grave. Des ainés sont postés tout autour du terrain pour faire office d’arbitres. Gardez à l’esprit que leurs yeux et les miens seront braqués sur vous.
— Alors jouez pas au con ! rugit Glenda.
Une manière concise de résumer la chose. Garland hocha la tête. Glenda se tourna vers les deux autres élèves présents à la table des commentateurs.
— Pour ce match, nous ne serons pas seulement avec l’Instructeur Garland et moi ! Nous avons aussi invité deux des candidats à la présidence du Conseil. Miss Miligan, Mr. Whalley, un mot chacun avant le coup d’envoi ?
— Vera Miligan, candidate à la présidence. C’est un honneur de siéger ici. Dommage que la compagnie soit si déplaisante.
— Percival Whalley, candidat à la présidence. J’ignorerai ces inepties à côté de moi pour simplement dire ceci : je suis prêt à endurer n’importe quelle épreuve pour le futur de Kimberly.
Ils étaient déjà à couteaux tirés.
— Aïe ! Voilà qui promet ! s’esclaffa Glenda.
Mais ses yeux étaient rivés sur l’horloge.
— Oh ! Plus que deux minutes avant le coup d’envoi. Accueillons les combattants sur le terrain !
— En avant, c’est l’heure ! ordonna l’aîné chargé de l’administration.
Le tissu recouvrant un côté de la pièce tomba, révélant une fresque de falaises escarpées. Tous comprirent aussitôt : c’était l’entrée du champ de bataille. Nanao et Yuri trépignaient d’impatience. Oliver donna sa première instruction.
— Mettez vos capuches. Prêts ?
— Bien sûr !
— J’en peux plus d’attendre !
Leurs visages enthousiastes disparurent sous leurs capuches. Leur excitation surpassait largement toute appréhension. Oliver n’avait pas besoin de les motiver davantage. Tous trois s’avancèrent d’un même pas, puis plongèrent dans la fresque rocheuse. Pendant quelques secondes, ils chutèrent dans le noir… avant d’être projetés dans un espace ouvert. Atterrissant sans un bruit, ils inspectèrent aussitôt les environs.
— …Le tableau ne mentait pas.
Un terrain escarpé, des rochers baignés d’une lumière ocre. Peu de signes de vie, mais même les yeux fermés, n’importe quel mage digne de ce nom sentirait l’énergie qui émanait du sol. Sans même une analyse complète, Oliver comprit exactement quel type de terrain c’était.
— Le premier match aura lieu dans les réserves de beldite ! Grâce à la magitechnologie du labyrinthe, nos terrains de combat reproduisent fidèlement des environnements réels dans un périmètre restreint ! Nos deux invités ont de l’expérience en combat d’équipe. Que pensez-vous de ce champ ?
Glenda impliquait déjà ses invités dans le commentaire. La sorcière à l’oeil de serpent esquissa un sourire en coin.
— Une zone riche en minerais ? Un terrain idéal pour déstabiliser un débutant. Premier test : savoir lire les propriétés du terrain. Le second : savoir comment les intégrer à sa stratégie. Une belle occasion pour nos adorables cadets de prouver leur valeur.
Le plus simple était de leur montrer. Sur cette pensée, Oliver insuffla un peu de mana au sol à ses pieds. Une colonne de roche en jaillit, s’élevant jusqu’à sa taille en un instant.
— Oh !
— Waaaah.
Nanao et Yuri observèrent le phénomène avec fascination. C’était une simple manipulation de terrain selon la posture de la terre du style Lanoff, mais en temps normal, un effet aussi immédiat serait impossible sans incantation. Cela montrait à quel point ce terrain était spécial.
— Comme vous le voyez, le sol ici est essentiellement composé de beldite, une pierre magique à forte capacité de mana. Les sorts pouvant modifier le terrain bénéficient d’un énorme renforcement. Même un sort comme Clypeus sera bien plus efficace. À l’inverse, les sorts d’élément opposé seront absorbés par la roche et perdront de leur puissance. Gardez ça en tête.
En expliquant cela, Oliver ne pouvait s’empêcher de penser que ce terrain était particulièrement complexe. Sa propre technique reposait largement sur la posture de la terre, ce qui l’avantageait, mais il était difficile de prédire ce que cela donnerait pour les adversaires qu’ils connaissaient encore bien trop peu. Ils allaient devoir s’adapter au terrain avant même de songer au combat.
— Une faible quantité de mana suffit à produire de grands effets. Mais si vous oubliez cela, vous pourriez vous surprendre vous-mêmes, soit par la puissance, soit par son absence. Vous êtes prévenus.
Quant aux précautions minimales à prendre, il choisit délibérément de ne pas les détailler. Un exposé oral ne leur serait pas aussi utile qu’un ressenti. Il passa donc à d’autres sujets.
— Leik, comment ça se passe de ton côté ?
— Uh… Pas terrible. Les voix sont très faibles… Je les entends à peine.
Yuri posait la main sur une pierre proche, secouant la tête. Son pouvoir restait mystérieux, mais les voix de la nature qu’il percevait ne lui seraient d’aucun secours ici. Ce terrain n’était en rien un environnement naturel, il avait été aménagé artificiellement par les organisateurs de la ligue.
— Alors on va faire sans, déclara Oliver avec un hochement de tête.
Il leva son athamé.
— SATUS SURSUM !
À son incantation, trois ombres s’échappèrent de sa robe, filant chacune dans une direction différente. De petits golems, à l’image d’oiseaux. Ils entamèrent un rapide survol du champ de bataille, relayant à Oliver leur vision.
— …Ngh…
Observer quatre angles à la fois lui donnait une légère nausée, mais il s’y habitua en quelques secondes. Il ferma les yeux, concentré sur l’analyse.
— …J’ai mes golems en éclaireurs. Ils cartographient le terrain et localisent les autres équipes dans la mesure du possible.
— On commence tous par se cacher pour jauger la situation, hein ?
— Évidemment. Si on nous attaque, on réagira, mais personne ne va foncer sans information. La position relative des équipes va jouer un rôle crucial. Si plusieurs équipes nous encerclent, c’est fini.
Il tendit son athamé entre Nanao et Yuri. Comprenant aussitôt son intention, ils firent de même et l’image mentale qu’Oliver avait formée se transmit à leurs esprits. Cette méthode exigeait une certaine connaissance des principes et un peu d’entraînement, mais les mages pouvaient ainsi relier leurs pensées.
— Transmission de l’image. Vous la voyez ? J’ai établi des directions provisoires, mais nous sommes au sud-est de la carte. Aucun ennemi dans un rayon d’environ deux cents mètres. Quelques zones boisées en périphérie, mais le relief s’élève à mesure que l’on se rapproche du centre, jusqu’à un pic imposant. Restez discrets, mais cap vers là-bas à toute vitesse.
— Mm-hmm, compris.
— Se positionner en hauteur. Un principe de base en stratégie militaire.
Tous acquiescèrent, puis s’élancèrent d’un même mouvement vers leur première destination. Yuri jeta un coup d’œil par-dessus un rocher, plusieurs petits golems voltigeaient dans les airs. Ceux de l’administration, mais aussi les éclaireurs des équipes adverses.
Comme l’équipe d’Oliver, les autres étaient déjà en mouvement.
— Des réserves de beldite ? On est vernis.
Jürgen Liebert, chef d’une équipe de troisième année, examinait une pierre dans sa paume. Les deux qui l’accompagnaient acquiescèrent. La fille aux yeux de rapace se nommait Camilla Asmus, et le garçon aux cheveux blonds et en bataille, Thomas Chatwin, les deux autres membres de l’équipe Liebert.
— Alors, c’est parti.
— Tu vas sortir le grand jeu, chef ?
— Oh que oui. Avec de la beldite de cette qualité… la construction va être idéale.
Liebert dégaina son athamé et le pointa vers le sol à ses pieds. Son premier sort aplanit le terrain alentour. Puis une lueur s’échappa de la pointe, traçant des lignes sur le sol. Tandis qu’il s’activait, il donnait ses instructions.
— Plan A-3. Vous l’avez en tête ?
— Yep.
— Impossible d’oublier, après tout cet entraînement.
Chacun se mit alors à l’œuvre, traçant lettres et schémas sur le sol comme sur une toile, ébauchant un vaste cercle magique à l’ornementation complexe.
— Horn au sud-est, Ames au nord-ouest, Mistral au sud-ouest, les trois équipes sont en mouvement. Toutes convergent vers le sommet au centre ! Elles ont commencé à peu près à la même distance… alors qui y parviendra le premier ?!
Les golems de surveillance suivaient chaque recoin du champ, et le public voyait très clairement ce que faisait chaque équipe. Tandis que les trois groupes convergeaient vers les hauteurs, Miligan porta la main à son menton.
— Oui… L’équipe d’Horn est visiblement la plus rapide. D’Oliver et Nanao, je m’y attendais. Mais je suis surprise que Mr. Leik suive le rythme. Il a été transféré l’an dernier, et ne s’est pas vraiment distingué… peut-être ne le connaissions-nous tout simplement pas.
— Hmph, la vitesse ne suffit pas. Dans ces conditions, atteindre seul les hauteurs revient à devenir la cible de toutes les autres équipes. Ont-ils seulement envisagé ce qui les attend au terme de cette course ?
Sentant que sa rivale politique soutenait Oliver, Whalley contre-attaqua aussitôt. Les invités se querellaient à nouveau, et Glenda esquissa un sourire en coin, c’était son rôle d’entretenir la tension.
— Mais cette course à trois n’est pas la seule attraction ! Regardez au nord-est, l’équipe Liebert ! Ils n’ont pas bougé d’un pouce depuis leur position de départ !
— Éviter la course pour le point le plus haut est une stratégie en soi… mais je ne vois pas bien ce qu’ils ont à gagner à rester là. Ils dessinent quelque chose, certes… mais vont-ils camper sur place ?
Whalley croisa les bras, perplexe. Pour ne pas influencer le combat, les golems de surveillance maintenaient une certaine distance, ce qui empêchait de deviner ce qui était tracé au sol. Miligan semblait tout aussi perplexe.
— Même s’ils optaient pour une défense totale en espérant que les autres s’éliminent entre eux, ils sont encore bien trop loin de l’action principale. Ils risquent d’être sanctionnés pour refus de combat, et donc disqualifiés. Alors, quel est leur plan ?
Huit minutes après le début du match, dont les dernières furent consacrées à gravir une pente très abrupte, l’équipe d’Oliver atteignit le sommet.
— Eh bien, c’était facile, commenta Yuri.
— Restez vigilants. Pas d’embuscade, mais il y a fort à parier que l’ennemi rôde, les avertit Oliver. CLYPEUS !
Il ajusta le terrain par magie et balaya les environs du regard. Ses golems éclaireurs étaient toujours en vol, mais il devait les maintenir haut dans les airs, sous peine de les voir abattus. Et puis leur vision n’égalait en rien celle d’un mage. Se poster en hauteur lui permettait d’avoir une bien meilleure vue d’ensemble, de surveiller les environs et de libérer les golems pour un repérage à plus grande échelle.
— D’abord, on localise l’ennemi. Ensuite, on fonce sur l’équipe la plus proche en contrebas. L’objectif, c’est toujours l’attaque rapide, équipe contre équipe, pas de défendre cette position.
La hauteur leur donnait un avantage visuel, mais Oliver n’avait nullement l’intention de camper là. L’atout stratégique ne valait pas le risque d’un encerclement. Pourtant, s’ils laissaient cette position à l’ennemi, cela deviendrait délicat. Tandis qu’ils repéraient les environs, tous trois posaient des sorts au sol, traçant des pièges magiques. Un tiers seulement était réel, les autres factices, mais le simple fait de semer le doute suffisait à ralentir un adversaire. Les dépôts minéraux renforçaient grandement la magie de terre.
— …??? Il y a une équipe au nord-est, mais elle ne bouge pas. Elle trace quelque chose sur le sol… mais impossible de savoir quoi. Ils ne semblent pas vouloir attaquer pour l’instant…
Cela le tracassait, aussi laissa-t-il un golem en vol stationnaire au-dessus. Nanao et Yuri observaient dans les autres directions. Il leur jeta un regard.
— Hmm, rien à signaler.
— Moi non plus. Ils se cachent bien.
Oliver hocha la tête, sans se troubler. À moins d’être spécialisée comme Teresa, se mouvoir discrètement dans un tel champ relevait du miracle. S’ils échappaient à la détection, c’est qu’ils ne bougeaient presque pas, ou pas du tout. Ils attendaient, probablement tapis derrière un rocher. Mais évaluer précisément les alentours dans ces conditions et leurs possibles emplacements était difficile. Peut-être était-il temps de les faire sortir.
Alors qu’Oliver y songeait, une vibration parcourut le sol. Tous trois virent des fragments de pierre dévaler la pente.
— Hmm, le sol tremble, fit Nanao.
— Un tremblement de terre ? lâcha Yuri.
Les deux échangèrent un regard inquiet. Mais la cause était déjà connue, le golem de surveillance d’Oliver au nord-est observait le sol s’élever à une vitesse prodigieuse.
— ???!
— Construction achevée, déclara Liebert alors que le sort se déployait.
Il s’essuya le front. Lui et ses compagnons se retrouvaient dans un décor bien différent. Une tour avait surgi du sol, les emportant avec elle. Son sommet dépassait désormais le pic central, surplombant toute la zone. Mais ce n’était pas un simple amas de pierres. L’intérieur était creux, des fenêtres ornaient ses parois, et une muraille défensive entourait la base plane. Une forteresse à proprement parler, née de la roche brute.
— Pas mal.
— Ouf, heureux que ça ne se soit pas effondré à mi-chemin.
Baguettes blanches en main, Camilla et Thomas visaient déjà les hauteurs. Tandis qu’ils se mettaient en position, Liebert s’assit avec lourdeur, son œuvre accomplie.
— Je me repose un peu. Elle est assez haute, non ? Vous pouvez viser ?
— Évidemment.
— Je les vois. Là-haut, sur leur petite colline.
Ils ajustèrent leur visée, vers ce qui était, jusque-là, le point culminant du champ.
Baguettes pointées, ils entamèrent leur incantation :
— FLAMMA !
— TONITRUS !
— CLYPEUS !
Des flammes et des éclairs fusèrent du sommet de la tour. Oliver érigea une barrière sans attendre. Elle se mit à vibrer sous la puissance des sorts, tandis que des vents brûlants et électrifiés fouettaient les alentours. Encore pris de court par ce brusque retournement, il ordonna sèchement :
— Lanceurs de sorts, au nord-est ! Ne ripostez pas ! Restez à couvert !
Tout en réparant la défense de son sort, il poussa Nanao et Yuri vers les positions défensives. Il aurait volontiers riposté lui-même, mais les ennemis étaient bien trop loin. À cette distance, il aurait fallu un miracle pour que leurs sorts atteignent leur cible. Et il y avait les autres équipes à surveiller. Mieux valait rester en défense.
— Wow, c’est quelque chose. Une vraie tour, sortie de la terre !
— En effet. Ce n’est pas comme ça que je pensais perdre l’avantage en hauteur…
Leur étonnement était sincère, et Oliver ne put retenir un léger rire, tout en analysant les implications de cette nouvelle situation.
— …Je dirais que c’est un golem de type forteresse. Jamais vu un de cette taille.
— Wahou ! s’écria Glenda. — L’équipe Liebert nous sort une construction de folie ! Une tour entière sortie du sol pour s’emparer de la plus haute position sans chichi ! Ou plutôt par une incroyable maîtrise ! Et aussitôt construite, voilà qu’ils se mettent à canarder l’équipe Horn !
— Un golem-forteresse, confirma Garland. Bien joué, Mr. Liebert. Une mise en œuvre avancée des techniques traditionnelles du domaine.
On aurait pu s’attendre à ce qu’il développe davantage, mais l’instructeur d’arts de l’épée s’interrompit, le regard tourné vers ses invités.
Comprenant le signal, Miligan et Whalley prirent la parole.
— Permettez-moi d’éclairer ce point. Les golems modernes, dans leur version la plus courante, privilégient une construction rigoureuse, tant dans le choix des matériaux que dans la conception des schémas. Les méthodes golem classiques, en revanche, se contentent de préparer une formule de base pour le noyau, puis utilisent les matériaux disponibles sur place pour achever la création. L’avantage principal est évident : il suffit de transporter un petit noyau avec soi pour pouvoir ériger un golem de grande taille.
— L’inconvénient, c’est que la taille et la qualité des golems dépendent fortement des matériaux disponibles sur place. Une terre ordinaire ne produira guère mieux que de médiocres hommes de boue et la pauvreté du sol peut même rendre la construction totalement impossible. Mais bien sûr… l’inverse est tout aussi vrai, comme c’est le cas ici. Un champ riche en minerai à sort à haute capacité constitue un environnement idéal pour l’édification de golems. Dans des conditions normales, trois élèves des classes inférieures n’auraient jamais assez de mana pour bâtir une structure de cette taille. Mais ici, avec un invocateur suffisamment compétent, c’est envisageable. Même si, de toute évidence, il en ressort bien fatigué…
Comme Whalley l’avait noté, Liebert laissait désormais le combat à ses camarades et récupérait son énergie. Un choix parfaitement compréhensible après un tel exploit, pensa Miligan.
— Plus un golem est grand, plus il consomme de mana pour se mouvoir, poursuivit la sorcière à l’œil de serpent. — Mais il existe un courant de pensée selon lequel il n’est nul besoin qu’un golem bouge. En essence, un golem est un contenant, bras et jambes ne sont pas nécessaires. Ce golem-forteresse repose manifestement sur ce principe. Une véritable base mobile pour mage.
Garland hocha la tête, approbateur.
— Une excellente explication, vous deux. Si je puis ajouter une chose : une construction de cette ampleur ne se limite pas à enterrer un noyau de golem et incanter un sort.
Il poursuivit :
— Il faut une connaissance approfondie de la composition du sol, et l’appui de cercles magiques appropriés pour assurer la stabilité de l’édifice tout au long de la construction. Rien que cela est extrêmement difficile. Mais l’équipe Liebert y est parvenue sans le moindre accroc, en moins de dix minutes après le début du match. Les compétences de Mr. Liebert en matière de construction sont indéniables, mais cela prouve surtout que toute l’équipe était parfaitement préparée. En clair, ils viennent d’annuler l’avantage de terrain que l’équipe Horn avait obtenu grâce à sa vitesse. Elle est déjà en difficulté et s’ils font le mauvais choix maintenant, ils risquent d’être encerclés très rapidement.
Au pied de la montagne rocheuse occupée par l’équipe d’Oliver, une autre équipe se préparait à passer à l’action.
— L’équipe Liebert entre en scène. Du beau spectacle.
Il s’agissait de l’équipe dirigée par Rosé Mistral. Comme l’avait supposé Oliver, ils s’étaient dissimulés derrière des rochers, attendant une ouverture. Et cette opportunité venait tout juste de se présenter.
— Il est temps d’entrer en jeu. EFFINGO FRABLE !
Il ferma les yeux, entamant une incantation. Un fluide informe jaillit de sa baguette, et peu à peu, une silhouette se précisa. Deux copies parfaites de Rosé Mistral se tenaient désormais devant lui.
— CLYPEUS ! Allons vite en contrebas ! Ce n’est plus le point le plus haut, alors inutile de rester là ! lança Oliver en renforçant la barrière contre les puissants sorts qui pleuvaient depuis le nord-est.
Yuri se tourna dans la direction opposée.
— Hmm. Si on veut éviter les lanceurs embusqués, il faudrait descendre vers l’ouest…, dit-il en jetant un œil en contrebas.
Un sort de foudre frappa les rochers tout proches, l’obligeant à se rabattre aussitôt à couvert, éclaboussé d’étincelles.
— Mais, heu, c’est occupé. On est pris en sandwich en haut et en bas.
— Je vois des équipes complètes au nord-ouest et au sud-ouest. On va percer par le sud-ouest.
Le fruit de sa reconnaissance orienta la décision d’Oliver. En se servant de la montagne elle-même comme couverture contre les tirs venus du nord-est, ils dévaleraient la pente vers le sud-ouest, profitant de l’élan du terrain pour briser les lignes ennemies, ou même les balayer au passage. Le changement de configuration avait été une surprise, mais le plan restait le même : frapper une équipe à la fois, aussi fortement que possible. L’objectif établi, ils s’élancèrent. Mais Yuri s’arrêta net.
— Hm ? Que se passe-t-il, Leik ? Si on ne bouge pas maintenant, on va servir de cible.
— …Hmm… mais quand même…
Yuri tapota son front, silencieux.
— Tu ressens quelque chose ? demanda Oliver.
— …Je crois ? C’est subtil, mais quelque chose me parle. Hmmm…
Yuri se mit à pencher la tête, visiblement troublé. Cela n’augurait rien de bon. Oliver inspecta à nouveau les environs. Il avait une idée assez précise des positions ennemies, mais était-il en train de passer à côté de quelque chose ?
Alors que ses pensées s’entrechoquaient, d’autres tirs lointains plurent du ciel. Nanao renforça la paroi rocheuse d’un sort. Sentant la chaleur des vents électriques balayer la roche, la jeune fille murmura :
— Impressionnant. Une telle puissance, à une telle distance.
Elle n’avait exprimé qu’une admiration pure. Pourtant, ces mots résonnèrent dans l’esprit d’Oliver avec une persistance étrange.
— …Non, ça ne colle pas.
— Hm ?
— C’est parfaitement illogique. Une équipe à l’est, deux à l’ouest… et pourtant, ce sont les tirs de l’est qui sont les plus puissants.
À chaque seconde, le malaise grandissait. Du point de vue de leurs adversaires, c’était le moment idéal pour se liguer à trois contre eux. Il n’y avait aucune raison pour que quiconque retienne ses coups. Et s’ils voulaient maintenir l’angle de tir de la tour, pousser l’équipe Horn vers l’est aurait été logique. Ce qui aurait supposé plus de pression depuis l’ouest. Mais ce n’était pas le cas. Les attaques depuis l’ouest étaient nettement moins intenses.
Il devait y avoir une raison. Oliver ordonna à un golem de reconnaissance de survoler le sommet où ils se trouvaient. Là, il aperçut trois silhouettes dissimulées contre la paroi rocheuse, se camouflant dans les éclairs et les impacts du bombardement.
— Derrière toi, Nanao !
La jeune fille se retourna d’un coup, au moment où une des silhouettes bondissait par-dessus la barrière, droit sur elle. Katana en main, elle s’apprêtait à parer, mais à l’instant même où l’adversaire l’atteignait, deux sorts de foudre le rejoignirent.
— Huh !
Une couverture magique, minutieusement synchronisée avec l’assaut. Trois frappes simultanées arrivaient. Nanao savait qu’elle ne pourrait pas toutes les bloquer. Elle prit une décision rapide : un pas ferme sur la gauche pour esquiver le tir de droite, une parade sur l’estocade visant sa poitrine, puis une contre-attaque pour repousser l’adversaire. Inévitablement, le tir de gauche toucha son coude du même côté.
— Audacieuse et décisive. Ta réputation est méritée.
— TONITRUS !
— IMPETUS !
Oliver et Yuri répliquèrent aussitôt avec leurs sorts, mais la silhouette virevolta entre les attaques avant de regagner les hauteurs. Dans le vent soulevé par sa retraite, sa capuche se releva, révélant de longues mèches caractéristiques.
— Mais nous avons touché un bras. La prochaine fois, ce sera ta tête.
— Miss Ames… !
Ainsi, Ames disparut entre les blocs rocheux à l’est. Avec les tirs qui ne faiblissaient pas, aucune poursuite n’était envisageable. Oliver envoya un golem la suivre, puis courut vers Nanao. Son bras gauche pendait mollement.
— Mon bras gauche est inutilisable. Je ne pouvais pas me permettre de perdre le droit ou la poitrine.
— Ce n’est pas ta faute. C’est moi qui ai mal évalué la situation. Je croyais avoir repéré tous nos adversaires… et ils ont exploité cet angle mort. Ces trois-là ont dû contourner par le sud, ce qui signifie que la moitié des ennemis que j’ai repérés étaient des leurres.
Autant dire qu’Oliver était à la fois impressionné et furieux. Tout s’éclairait à présent. Si l’offensive à l’ouest avait semblé faiblarde, c’était parce qu’il n’y avait qu’une seule équipe. Les leurres avaient simplement donné l’illusion d’une seconde présence. Et avant qu’il ne réalise l’erreur, l’équipe Ames avait traversé les tirs ennemis, frappé depuis le sud… puis s’était repliée à l’est, rendant toute poursuite impossible. Attaque éclair, zéro blessé côté adverse.
S’il ne l’avait pas anticipé, c’était pour plusieurs raisons. D’abord, l’incroyable qualité des leurres. En temps normal, les illusions ou répliques ne bougent pas comme les vrais, mais tout ce qu’il avait vu par les yeux de ses golems semblait parfaitement naturel. Était-ce une manipulation directe ? Ou avaient-ils une autonomie inhabituelle ? Quoi qu’il en soit, ces leurres étaient une réelle menace.
Deuxième facteur : le bombardement du nord-est. Difficile à gérer à lui seul, il avait en plus servi à masquer l’approche de l’équipe Ames. Grâce aux leurres, ils croyaient connaître la position des ennemis, et donc, aucun d’eux ne surveillait la pente sud. Sans l’intuition de Yuri, ils auraient subi bien pire que la perte du bras de Nanao.
— Le pire, conclut Oliver, — c’est que nos ennemis collaborent. Une telle stratégie n’est pas possible sans coordination préalable. Depuis le début, ils se sont alliés pour nous abattre.
— Trois contre un ? Une pratique classique quand une équipe se démarque nettement. Mais ils ne cherchent même pas à le cacher.
Miligan fronçait les sourcils, réévaluant le déroulement du match.
— Cela ne te plaît pas ? railla Whalley. — Moi, je les félicite. Ils font ce qu’il faut pour gagner. Voilà ce que doit être un élève de Kimberly. Cela ne contrevient à aucune règle n’est-ce pas, maître Garland ?
Il se tourna vers l’instructeur, qui répondit par un sourire muet. Encouragé, Whalley accusa sa rivale politique.
— Pour éviter ce scénario, l’équipe Horn aurait dû prendre les devants. S’ils avaient obtenu une seule alliance, le match aurait pris une tout autre tournure. Leur inaction révèle leur suffisance. Ou vas-tu contester cela, Miligan ?
Il la défia du regard. Mais la sorcière à l’œil de serpent ignora délibérément la pique. L’obsession de la victoire était une chose, mais un mage avait aussi sa fierté, son style. Et ce n’était pas à elle de le prouver, mais aux cadets qui combattaient devant eux.
— …Message de l’équipe Ames. Attaque-surprise réussie. Miss Hibiya a perdu l’usage de son bras gauche.
Un signal transmis via fréquence de mana par un golem éclaireur, à destination de l’équipe Mistral, retranchée dans les contreforts rocheux à l’ouest. Le membre qui réceptionna l’information la relaya aussitôt à leur chef.
— Alors elle ne peut plus recourir à sa fameuse technique à deux mains, se réjouit Rosé Mistral dans un éclat de rire. — Le vent tourne en notre faveur !
— Je veux pas casser l’ambiance, mais ils arrivent droit sur nous. Et ils ont repéré les leurres, ajouta le troisième membre de l’équipe.
Mistral fit craquer sa nuque.
— Qu’ils viennent. J’ai encore montré à peine un dixième des petits tours du Clan Mistral !
Pendant ce temps, l’équipe Horn, sous la pression de trois adversaires, devait prendre une décision.
— …Ils sont bien positionnés, marmonna Oliver, l’œil intérieur connecté à la vision de ses golems éclaireurs. — Peu importe où l’on va, on aura au moins deux regards sur nous.
Leur avantage en hauteur perdu, il ne servait plus à rien de rester au sommet. Restait à déterminer comment en redescendre. La descente était barrée par les tirs ennemis et à éviter absolument, mais partir vers l’ouest signifiait affronter deux équipes en même temps. Maintenant qu’ils savaient leurs adversaires alliés, il était plus crucial que jamais de les affronter un par un. Oliver arrêta son choix en fonction de cela, puis se tourna vers ses coéquipiers.
— On va tenter de les surprendre. Grand saut par là-bas.
Il désigna le nord-ouest du menton.
— Prêts pour un peu d’acrobatie ?
Nanao et Yuri comprirent son intention et acquiescèrent. Les trois se placèrent côte à côte, dans la même direction. Athamés en main, ils les pointèrent vers leurs pieds et scandèrent d’une seule voix :
— !!! CLYPEUS !!!
La précision d’Oliver permit d’unir les trois sorts en une seule impulsion. Le sol enrichi en pierres magiques leur donna un élan phénoménal et la roche jaillit de sous leurs pieds pour les propulser dans les airs, les projetant comme des flèches vers le nord-ouest.
— Wooooaah ! C’est génial !
— Vraiment l’éclate !
— Profitez-en tant que vous pouvez, mais préparez-vous à atterrir. ELLETARDUS !
Le vol fut bref. Le sol approchait vite. Leur sort de décélération s’activa juste avant l’impact. Ils avaient volontairement conservé un peu d’élan pour atterrir en pleine course.
— En avant ! rugit Oliver en tête. — Droit sur l’équipe Mistral ! On les neutralise !
— Avec plaisir !
— Avant que l’équipe Ames n’arrive !
Tous motivés, ils foncèrent à travers une zone rocheuse vers leur cible. En termes de position, ils n’étaient pas mal du tout. Ils avaient atterri au sud de l’équipe Mistral. Si ces derniers tentaient de fuir, ce serait vers le nord, mais comme l’équipe Ames se trouvait à l’extrémité sud-ouest du champ, cela creuserait la distance entre elles. Oliver voulait les isoler. Et avec un terrain aussi accidenté, l’équipe Liebert n’avait aucune visibilité vers le nord-est.
— …Hmm, ils ne fuient pas, constata Oliver.
Ses adversaires savaient visiblement qu’il était inutile de fuir. Ses golems lui montraient que l’équipe Mistral se tenait prête au combat. Encore quelques secondes de course, et ils furent en vue directe.
— Je ne m’attendais pas à ce saut. Tu es bien pressé, Mr. Horn !
— Mr. Mistral…
L’équipe d’Oliver s’immobilisa brusquement. Devant eux s’élevait un petit bosquet de colonnes de pierre, et au milieu, trois silhouettes encapuchonnées. Les capuches tombèrent… révélant trois visages identiques. Derrière les colonnes de pierre, à gauche et à droite, trois autres silhouettes surgirent, il y avait désormais six Rosé Mistral face à eux.
— On vous a préparé un comité d’accueil ! Que la fête commence !
Les six adversaires se lancèrent à l’assaut. Nanao leva son katana d’une main, tandis que Yuri battait des paupières avec stupeur.
— Wouah ! Ils ont tous la même tête ! Des sextuplés ?
— Y’a des Leurres et des transformations mixés ensemble ! cria Oliver.
— Ne vous laissez pas berner, car les leurres ne peuvent pas lancer de sorts !
C’était la meilleure explication qu’il avait.
Il savait que cet adversaire était capable de créer des illusions d’une qualité stupéfiante, car sur les six devant eux, trois étaient sans doute des leurres et les trois autres, Rosé Mistral et ses deux compagnons transformés.
— J’y vais !
— FRIGUS !
Un sort interrompit le fil de ses pensées. Oliver le para avec un sort de contre. En déduisant que le lanceur devait être réel, il visa cette cible, mais l’ennemi se dissimula aussitôt derrière une colonne. Un autre vint le rejoindre, puis chacun réapparut de part et d’autre. Oliver grimaça.
— …S’ils se relaient ainsi, impossible de garder une trace des vrais.
— Alors on les abat dès qu’on les repère ! hurla Yuri.
Lui et Nanao s’élancèrent au combat. Oliver approuva cette stratégie. Cela pouvait paraître téméraire, mais afficher une détermination sans faille était le meilleur choix. Les leurres divisaient la force de l’ennemi alors en attaquant à fond, ils pouvaient le submerger.
— GLADIO !
Le sort tranchant de Nanao renversa une colonne de pierre. Si ces obstacles permettaient aux véritables adversaires et à leurs clônes d’échanger leurs places, autant les éliminer. Naturellement, si elle pouvait faucher au passage un ennemi, elle n’allait pas s’en priver. Tandis qu’elle gardait la pression, Yuri passa à l’offensive.
— Ces bruits de pas sonnent faux. Donc toi, t’es réel !
Dès qu’il perçut un détail suspect, il fonça droit sur sa cible. Oliver et Nanao couvrirent sa charge avec des sorts pour empêcher toute interférence ennemie. En un éclair, Yuri arriva au corps-à-corps.
— Hein ?
Mais son athamé suspendu, il s’arrêta net, dans une posture étrangement maladroite. Le Mistral face à lui esquissa un rictus.
— Keh-keh-keh ! Mauvais choix !
Le corps de l’adversaire s’illumina en blanc puis explosa en un feu d’artifice éblouissant. Yuri bondit aussitôt en arrière, échappant à l’onde de choc… mais pas à la lumière. Il fut aveuglé. L’ennemi profita de l’ouverture pour lancer un sort sur son flanc exposé.
— FLAMMA !
Oliver lança son propre sort juste à temps pour l’annuler en vol. Lui et Nanao accoururent côte à côte, écartant les projectiles.
— TONITRUS ! Ça va, Leik ?!
— Je gère ! C’était moins une.
Sa vision revint en quelques secondes. Remis, Yuri reprit aussitôt le combat. Assuré qu’il n’était pas blessé, Oliver revint à l’analyse, enrichie de données précieuses sur les capacités de leur ennemi.
— …Magie d’autodestruction intégrée aux leurres. Une jolie ruse, Mr. Mistral.
— Quel honneur ! Je suis ému.
— On accepte les pourboires !
— Mais… lequel de nous est réel ?
Cinq ennemis tournoyaient autour de cinq colonnes. Si les leurres explosaient, il devenait difficile d’ouvrir une brèche. Eux-mêmes n’avaient guère d’options offensives, mais le but de Mistral était évident : gagner du temps, jusqu’à ce que l’équipe Ames arrive, alors peu importait. La logique de la stratégie était claire à présent. Oliver allait réévaluer leur plan, mais Yuri semblait encore affecté par son erreur.
— Tch… ça n’a aucun sens. J’étais sûr de pouvoir les distinguer.
— C’est précisément ce qu’il voulait te faire croire. Je suppose que…
Mais au milieu de sa phrase, Oliver se retourna soudainement.
— FRAGOR !
Le sort fusa dans les airs et une silhouette surgit de derrière une colonne, à l’exact opposé de la position des autres Mistral. Un septième adversaire.
— Celui-là est réel, Nanao !
La jeune fille fonçait déjà, comme une flèche. L’équipe Horn s’étant interposée entre lui et les autres, le nouveau venu ne pouvait recevoir aucune aide. Conscient qu’il devrait se débrouiller seul, il dégaina son athamé. Nanao ne dévia pas de sa trajectoire.
— TONITRUS !
— TENEBRIS !
L’éclair fut aveuglant, alors Nanao lança un sort de ténèbres. Les deux sorts se percutèrent, s’annulant. L’adversaire tenta un nouveau sort, reculant d’un bond.
— Gah !
Une lame s’enfonça dans sa gorge. Encore en posture d’incantation, Nanao avait transpercé son ennemi à travers l’échange de sorts.
— Miss Hibiya l’emporte ! Une frappe en pleine gorge ! Premier combattant hors-jeu !
— Il a mal évalué la distance. Il a dû croire qu’en l’absence de son coup spécial à deux mains, son sort l’atteindrait.
Garland s’interrompit, lançant un regard vers les commentateurs invités. Miligan enchaîna aussitôt :
— Ténèbres contre foudre. Une superbe utilisation d’un contre élémentaire. Pour les première année, précisons ceci : il est possible de neutraliser un sort sans recourir à son opposé, par exemple, repousser le feu avec du feu. Mais dans ce cas, les deux sorts demeurent en conflit, s’affrontant dans les airs tant que dure la lutte magique, et aucun mage ne peut traverser cet espace tant qu’il est instable. Cela conduit à une confrontation à distance, où chacun se contente d’échanger des sorts. Or, l’équipe Horn doit abattre ses adversaires un par un, le plus rapidement possible. Nanao devait éviter cet enlisement.
Une explication limpide, et une belle démonstration de sa capacité à instruire les plus jeunes.
Whalley, refusant de la laisser briller seule, s’empressa d’intervenir :
— En revanche, si vous utilisez bel et bien l’élément opposé, les deux sorts s’annulent et disparaissent rapidement. Et s’ils sont de puissance comparable, vous pouvez suivre votre sort et fondre sur l’adversaire dans la foulée. Il faut cependant identifier l’élément utilisé par votre ennemi, ce qui devient d’autant plus difficile que vous êtes proches. Mais si vous y parvenez, vous êtes sur lui un instant à peine après avoir lancé votre sort. Qu’on juge ce choix pertinent ou non dans ce cas précis, sa détermination et son audace méritent d’être saluées. Pour ma part, j’aurais opté pour une neutralisation plus classique.
Whalley conclut son intervention avec une pointe d’amertume, et Miligan lui adressa un sourire en coin. Elle savait parfaitement que, quoi qu’il en dise, il était bien trop rationnel pour sous-estimer l’exploit que Nanao venait d’accomplir. Faire une percée au travers d’une annulation de sort par opposition élémentaire était une manœuvre à laquelle elle ne recourait habituellement pas. Le style principal de Nanao Hibiya consistait à intercepter les sorts adverses grâce à son fameux flow cut[1] à deux mains, avant d’ouvrir la voie avec sa lame.
Ce qui rendait sa prouesse remarquable, c’était précisément la facilité avec laquelle elle avait exécuté une technique dont elle n’avait, en principe, nul besoin. Une tactique purement situationnelle, qu’elle avait pourtant manifestement travaillée jusqu’à pouvoir l’appliquer par pur réflexe. Et Percival Whalley n’était pas homme à mépriser ce genre de progression lente, patiente, rigoureuse. Ce fut pourquoi Miligan sauta sur l’occasion pour s’en vanter.
— Ha-ha ! On a vite fait d’être ébloui par ses aptitudes peu communes, mais Nanao a manifestement acquis les bases du duel magique de A à Z. Oliver ne l’aurait jamais laissée négliger cet aspect.
— Mais rien n’est encore joué, répondit Whalley en fronçant les sourcils. — Ce n’était pas Mr. Mistral lui-même qui a été éliminé.
Sur l’écran, la situation évoluait déjà à grande vitesse.
Dès que Nanao mit hors-jeu un membre de l’équipe Mistral, deux des ennemis restants se volatilisèrent.
— Moins de leurres, nota Oliver. — Je commence à saisir leur astuce.
Il s’avança et l’équipe Mistral prit aussitôt la fuite. Mais Oliver savait parfaitement qu’aucune autre équipe ne se trouvait devant eux, aussi, il se lança à leur poursuite.
— Après eux !
— Ok, je te suis ! lança Yuri. — Mais j’aurais bien aimé un petit topo, là. Ma tête tourne encore !
Oliver vérifia que Nanao suivait, puis commença son explication.
— Il y a deux types de leurres : des copies physiques détaillées, capables d’exploser, et des ombres plus grossières, plus faciles à détecter. Les premières étaient sans doute contrôlées directement par Mistral, les secondes par celui que l’on vient d’éliminer.
Il gardait son explication simple. Lorsque l’affrontement avait débuté, ils s’étaient retrouvés face à Mistral lui-même, un élève déguisé, un autre dissimulé derrière un rocher, deux leurres physiques, et deux ombres. Sept ennemis en tout. Comme les leurres physiques semblaient plus consistants, ils avaient naturellement supposé qu’ils étaient réels, un piège qui exploitait les réflexes instinctifs du combattant.
— Hm, je vois… Donc celui que j’ai cru authentique n’était qu’un leurre physique. Mais alors, comment as-tu su qu’un ennemi était caché dans les environs ? demanda Yuri.
— C’est une vieille stratégie. Des manœuvres tape-à-l’œil pour détourner l’attention de la vraie menace. Une technique classique en prestidigitation magique, de la diversion pure. Voilà pourquoi j’ai laissé un golem en vol stationnaire pour surveiller la zone, ce qui m’a permis de repérer l’ennemi planqué.
Les sorts de camouflage sont plus faciles à repérer en mouvement. Partant du principe qu’un ennemi se dissimulait non loin, Oliver avait volontairement tourné le dos, feignant l’exposition. Dès que le guetteur s’était mis en mouvement, le golem l’avait repéré, et Oliver avait tiré un sort pour le faire sortir, envoyant Nanao achever l’action.
Cela dit, certains éléments l’avaient surpris. Oliver avait supposé que celui dissimulé dirigeait les leurres physiques, mais en réalité, il contrôlait les ombres. Ce qui voulait dire qu’il restait encore au moins un leurre capable d’exploser, ce qui en faisait une menace d’autant plus sérieuse. Et bien sûr, Mistral était toujours en jeu.
— S’ils s’allient avec une autre équipe, ce sera compliqué. Il faut en finir maintenant.
— Compte sur moi ! lança Nanao.
Elle les avait rattrapés, et tous trois poursuivaient leur course. L’équipe d’Oliver avait l’avantage en vitesse, et l’écart se réduisait peu à peu. Oliver dégaina son athamé, sûr de les avoir…
— ?!
Un frisson lui parcourut l’échine. Il sauta en arrière. Nanao et Yuri imitèrent son geste, juste à temps pour voir le sol exploser devant eux.
— N’allez pas croire que vous allez m’échapper aussi facilement, marmonna Camilla Asmus.
Elle se tenait au sommet de la tour du nord-est, baguette blanche en main. Naturellement, elle ne voyait pas du tout l’équipe d’Oliver depuis sa position. Ils étaient bien trop loin, et les formations rocheuses escarpées bloquaient entièrement son champ de vision. Aucune concentration visuelle ne suffirait à les localiser. Mais cela ne valait que pour les yeux du corps humain. Elle se repérait avec la vision de ce qui flottait au-dessus des cibles.
— MAGNUS FRAGOR !
Un second sort, tiré à très haute trajectoire. Il décrivit une large courbe dans le ciel avant de retomber en cloche, droit sur l’équipe d’Oliver, de l’autre côté de l’obstacle rocheux.
— Bingo ! lança Thomas Chatwin, les yeux rivés sur le sort de sa camarade. — Ajuster ses tirs en se basant sur les golems éclaireurs … C’est impressionnant.
Il s’était déjà éloigné un peu de la tour. Dès que l’équipe Horn avait quitté le sommet pour se diriger vers l’ouest, il avait cessé de lancer des sorts pour se replier au sol. Il n’était pas mauvais tireur lui-même, mais incapable de rivaliser avec Camilla.
— Pas le temps de rêver. Faut que je me bouge. Argh, y a trop à faire !
Grommelant, il lança un sort vers le sol, érigeant un mur. Tandis que le combat faisait rage ailleurs, il profitait du calme pour préparer la suite.
Un second sort à explosion chuta juste devant l’équipe d’Oliver. Ce n’était pas un tir raté, s’ils avaient emprunté la trajectoire la plus courte en poursuivant l’équipe Mistral, ils auraient été pile en dessous.
— Ils arrivent à viser sans même nous voir… ! frissonna Oliver.
Et la tour était située à une distance considérable, rares étaient ceux capables de tirer si loin, même avec une visée directe.
Il existait trois obstacles majeurs au tir magique à longue distance. Le premier : atteindre la cible. Le second : la toucher. Et le troisième : prévoir où elle se trouverait. Le premier nécessitait une puissance magique considérable, ainsi qu’une image mentale parfaitement affinée. Le second demandait une technique rodée et une incantation stable. Quant au troisième… il relevait à la fois de l’expérience pure et d’un instinct inné pour la lecture du combat. Trois défis de taille et leur adversaire venait d’en ajouter un quatrième : viser par-dessus un obstacle physique. Ils devaient sûrement s’appuyer sur des golems éclaireurs postés dans les airs pour tirer en cloche. Mais une telle prouesse restait hors de portée du commun des mages.
— Ne vous rapprochez pas trop les uns des autres ! hurla Oliver.
Nanao et Yuri s’écartèrent aussitôt. Cela suffirait à éviter qu’un seul sort ne les élimine ensemble, mais ils allaient avoir besoin d’un bien meilleur plan, et vite. Tandis qu’Oliver cherchait fébrilement une solution, Yuri leva la main.
— Je m’occupe des tirs à distance. Je ne pourrai pas me battre, mais vous pouvez gérer un trois contre deux, non ?
— …Fais-le ! répondit Oliver en hochant la tête.
Avec l’un d’entre eux concentré sur le ciel, les deux autres pourraient accorder moins d’attention aux tirs lointains.
Cela réduisait leur puissance offensive, mais l’équipe Mistral avait déjà perdu un membre, malgré les leurres restants. Oliver et Nanao à eux seuls suffiraient à gérer la situation. La chasse reprit. Yuri restait un peu en arrière, les yeux levés, tandis que les deux autres gagnaient du terrain. S’en rendant compte, l’un des quatre Mistral paniqua :
— Ils s’approchent ! Qu’est-ce qu’on fait ? On retourne au combat ? On se disperse et on prie ?
— Hya-ha ! Pas de panique, ricana le véritable Mistral. — Le moment idéal pour tendre un piège, c’est quand nos ennemis croient avoir l’avantage.
— Retourner ? Se disperser ? Allons, soyons sérieux ! On fait ce qu’on sait faire : on les embrouille !
Et il joignit le geste à la parole. Repérant un gros rocher, deux Mistral contournèrent l’obstacle de chaque côté, intervertissant leurres et véritables membres. Les nouvelles paires s’enfuirent dans des directions opposées.
Mais l’équipe Horn s’y attendait.
— Nanao, à droite ! Leik, avec elle !
— Ça marche !
— Entendu !
Ils se séparèrent, et Oliver fit mine de poursuivre la paire de gauche. Mais en passant près du rocher utilisé pour brouiller les pistes…
— TONITRUS !
Il lança un sort sans même regarder, tendant simplement le bras de côté. L’éclair frappa la surface du bloc, révélant une silhouette qui jaillit d’un sort de camouflage mis à mal.
— …Merde… ! jura la forme, grimaçante.
L’équipe Mistral avait fait croire à une séparation en deux groupes, mais en réalité, ils avaient ajouté un leurre, dissimulé derrière le rocher pour tendre une embuscade. Oliver avait vu clair dans la supercherie, et l’embusqué, pris de vitesse, n’avait pas esquivé à temps. Il se retrouvait maintenant à genoux.
Son athamé portait la marque d’un élément opposé : ce n’était pas un leurre. Son adversaire blessé ne pouvait plus fuir, mais Oliver s’approcha avec prudence.
— C’est la deuxième fois que tu joues ce tour-là. Tu es le vrai Mistral !
À portée d’un pas, d’un sort, il se projeta en avant. Avec une jambe hors service, l’autre n’avait aucune chance. Oliver savait qu’il le tenait, mais à cet instant, un éclair jaillit sur son flanc.
— ?!
Il recula d’un bond et lança un sort pour garder Mistral en place. En même temps, il balaya les alentours du regard. Sur un rocher à l’arrière gauche, une jeune fille à la frange tombante se tenait debout.
— J’ai failli arriver trop tard, murmura Jasmine Ames, légèrement essoufflée, athamé en main.
Oliver, parfaitement conscient du danger, se replia derrière un rocher, calculant son prochain mouvement. Elle les avait rattrapés bien plus vite que prévu, et il ne pouvait se permettre aucune erreur. En gardant les rochers entre leurs sorts et lui, Oliver s’enfuit vers le nord. Une fois certaine qu’il se retirait, Ames baissa sa lame, soupira doucement.
— Une retraite éclair. Cet homme ne surestime jamais ses capacités. C’est admirable.
— Ha-ha… tu m’as sauvé la mise, c’est clair, dit Mistral en s’essuyant le front.
Ames s’approcha calmement.
— Je ne peux plus aider ton camarade. Les chances que ton équipe s’en sorte sont minces Mr. Mistral, mais puis-je te demander un dernier service ?
Son ton était froid, et la pointe de son athamé dirigée vers lui.
C’était un ordre sous forme de requête, et Mistral n’avait d’autre choix que d’obtempérer.
Une fois la crise passée, il revenait aux commentateurs de faire le point. Miligan souriait, bras croisés.
— Un combat vraiment intéressant. L’adaptabilité de l’équipe Horn mérite tous les éloges. Tu n’es pas d’accord, Mr. Whalley ?
Elle lança une pique à son rival politique, qui se contenta de froncer les sourcils. Garland intervint à sa place.
— Deux types de leurres, de nature très différente. Ajoutez à cela des camarades transformés, des échanges de place, et une attaquante embusquée dans leur angle mort… Les stratégies de l’équipe Mistral avaient leur valeur. Que l’équipe Horn ait pu gérer cela aussi vite comme l’a souligné Miss Miligan, mérite en effet d’être salué.
Cela suffisait pour que l’orgueil de la sorcière à l’œil de serpent soit flatté.
— C’est Oliver qui mène la danse ici. Nanao, elle, trouve le chemin de la victoire à l’instinct pur, mais ce n’est pas le cas d’Oliver. Lui, il doit combiner une quantité affolante de projections, littéralement vertigineuse, et les intégrer à leur stratégie en temps réel. Dès l’instant où il a compris que leurs adversaires utilisaient des leurres, il était déjà prêt à contrer ce genre de piège.
Craignant que cela ne dure éternellement, Whalley coupa court.
— Il prend des décisions aussi précises sur la base de simples conjectures ? Quel genre d’entraînement a-t-il bien pu suivre ?
— Tu es curieux ? répondit Miligan en se penchant vers lui. — Tu veux que je t’enseigne l’art secret du discernement absolu ? Hmm ?
Dans les gradins, Guy suivait la scène d’un air interdit.
— Elle en manque pas une, celle-là. On dirait qu’elle essaie déjà de s’attribuer le mérite.
— Eh bien… Heu… elle nous apprend des trucs, quand même… dit Katie, visiblement très partagée.
Miligan supervisait effectivement Katie de façon régulière, mais ce n’était pas le cas de Nanao ni d’Oliver.
Cela dit, comme ils soutenaient tous sa candidature à la présidence, faire remarquer ce petit détail semblait peu avisé. Dans la cabine des commentateurs, les deux rivaux continuaient leur passe d’armes.
Whalley s’était légèrement éloigné de Miligan.
— Assez parlé de l’équipe Horn ! déclara-t-il. — Les mouvements de Miss Ames méritent tout autant d’éloges. Aucun déplacement ordinaire ne l’aurait menée à temps jusqu’à Mistral. Elle a réduit la distance d’un seul bond, en utilisant, elle aussi, la magie de convergence. Être partie seule a allongé sa trajectoire, mais ce choix s’est avéré payant.
— Absolument, répondit Miligan sans se faire prier. — J’ai pensé dès le départ que ses déplacements surpassaient de loin ceux de ses camarades. Une fille de ce niveau aurait dû se faire remarquer depuis longtemps… Je suis tout bonnement stupéfaite d’en entendre parler seulement maintenant. Aurait-elle sciemment dissimulé ses talents ?
— Oh ! s’écria Glenda. Miss Hibiya a rattrapé le dernier membre de l’équipe Mistral ! Malgré leur chef blessé, l’équipe Horn renverse une situation clairement désavantageuse ! Quelle sera la suite des évènements pour chaque équipe ?
L’équipe Mistral avait commis plusieurs erreurs, mais la plus fatale fut d’avoir sous-estimé à quel point la perte d’un bras ralentissait peu Nanao Hibiya.
— FLAMMA !
En la voyant surgir derrière lui, le dernier membre de l’équipe Mistral comprit sans doute que fuir n’était plus une option. Il lança un sort pour intercepter son approche. L’athamé de Nanao était une arme à deux mains. Il était naturel de penser que perdre un bras constituait un sérieux handicap. Moins de pression dans les échanges de lames, une perte de vitesse lors de l’incantation gestuelle : deux désavantages évidents dans un duel de sortilèges. Et, de fait, elle en souffrait bel et bien.
— FRIGUS !
Elle dut donc compenser. Éviter l’échange prolongé de sortilèges. Employer juste la puissance nécessaire pour annuler les sorts inévitables sur l’approche, et rediriger la magie économisée vers ses jambes, afin de réduire encore la distance. La précision de ses actions forçait l’admiration. Dès qu’elle entendait la première syllabe de l’incantation ennemie, elle identifiait l’élément opposé et commençait déjà à incanter le sien. Une fois le sort lancé, elle ne prenait pas le temps d’attendre sa dissipation : elle fonçait droit à travers l’espace de l’impact. Un tel mouvement exigeait un jugement instantané et un sang-froid absolu.
— TONITRUS… !
Le Mistral incanta désespérément un autre sort, pensant : Ce n’était pas censé se passer comme ça !
D’ordinaire, les éléments opposés sont surtout employés par ceux dont la puissance magique est limitée. Après tout, dans un duel classique, celui qui possède le plus d’énergie brute n’a pas besoin de choisir.
Peu importe l’élément, il peut forcer le passage, et concentrer toute son attention sur la vitesse et la précision. Mais lorsqu’on est en désavantage de puissance, ce luxe n’existe pas. Il faut alors compenser et l’usage des éléments opposés devient essentiel. Même si l’annulation totale du sort adverse est hors de portée, il reste possible de le dévier, améliorant ainsi ses chances d’esquive. Avec des éléments strictement opposés, les effets du choc sont simples à prévoir. Si l’on utilise d’autres affinités, en revanche, les réactions deviennent bien plus aléatoires. Un mage peut alors se retrouver à encaisser de plein fouet une flambée inattendue, et la crainte d’un tel contrecoup suffit souvent à faire trembler ses appuis.
Ce qui rendait la chose exceptionnelle, dans le cas de Nanao Hibiya, c’est qu’à son niveau optimal, elle n’avait aucune de ces inquiétudes. Sa puissance magique figurait parmi les plus élevées de sa promotion, et elle était encore appelée à croître. Rarement confrontée à des situations nécessitant une gestion fine des oppositions élémentaires, elle s’en remettait en général à son célèbre Flow Cut à deux mains, qui tranchait net les sorts sans tergiverser. Ce genre de précision dans l’incantation, elle n’y avait presque jamais recours.
S’entraîner à cela aurait dû être une priorité secondaire, du moins, c’est ce que tout le monde pensait. L’équipe Mistral la première. C’est là qu’ils avaient commis leur erreur : en négligeant l’influence d’Oliver Horn. En oubliant que grâce à son accompagnement, Nanao Hibiya avait acquis une maîtrise complète de tout ce qu’un mage digne de ce nom devait savoir.
— Gah… CLYPEUS !
À portée de sa lame, le membre de l’équipe Mistral risquait fort de subir le même sort que son camarade. Pris de panique à l’idée de cette fin, il lança un sort de protection. Le minerai dans le sol renforça sa barrière, érigeant devant lui un solide mur de roche…
— GLADIO !
Que Nanao trancha net, avant de frapper son torse.
— Kah… !
Le coup fut jugé fatal. L’anneau autour de son cou s’illumina et le plongea dans l’inconscience.
Une seconde avant que ses sens ne le quittent, il comprit la cause de sa défaite. Les barrières de magie défensive sont efficaces contre la plupart des sorts, mais il y a toujours un délai entre l’incantation et l’émergence complète du mur. Il connaissait cette faiblesse, et avait donc privilégié une invocation rapide… au détriment de la qualité. Son image mentale du sort s’en était trouvée altérée, et la barrière obtenue était trop fragile pour résister à une section aussi nette.
— …Merde…
Le juron à peine soufflé, il s’effondra. Lorsqu’elle fut certaine qu’il ne bougerait plus, Nanao abaissa silencieusement sa lame.
— Oh, tu l’as déjà eu ? Rapide, comme toujours, Nanao ! lança Yuri en la rejoignant.
Les golems d’observation au-dessus d’eux leur indiquèrent de rester en attente. Ni l’un ni l’autre ne bougea. Moins de deux minutes plus tard, Oliver arriva depuis l’ouest. Il avait tout vu à travers les yeux de ses golems.
— J’ai éliminé ceux de gauche. Un leurre physique et un d’ombre. Le second a disparu très vite.
— Hrm ? Et le dernier membre ?
— Caché derrière un rocher pendant qu’ils simulaient leur séparation. Je l’ai repéré et ai touché sa jambe, mais Miss Ames est intervenue avant que je ne puisse en finir.
Tout en parlant, il observa le visage du garçon que Nanao venait de neutraliser. La transformation s’était dissipée à cause de la perte de connaissance.
Il reprit :
— Ce n’est pas Mistral non plus. Ce qui signifie que celui que j’ai blessé l’était. Il lui reste des leurres physiques, alors restez sur vos gardes pour la suite.
— Il ne peut pas bouger très vite dans son état. Tu penses qu’il peut encore en produire ? demanda Yuri.
Oliver réfléchit.
— Des reflets aussi détaillés doivent drainer énormément de mana. Il ne semblait pas avoir une réserve exceptionnelle. S’il peut encore en créer, ce sera deux au maximum. Ceux d’ombre sont une autre histoire, mais ils ne sont utilisables qu’à proximité du lanceur.
Au pire, deux explosions à prévoir. C’était en somme le dernier souffle de l’équipe Mistral. Oliver se reconcentra sur ses golems. Celui à l’ouest ne montrait plus que le rocher, désormais désert.
— …L’équipe Ames s’est dispersée et s’est cachée. On pourrait les traquer, mais il faudrait du temps pour les faire sortir. Et si les leurres de Mistral viennent nous retarder en plus… Sans compter que, si l’équipe Liebert en profite pour se diriger vers le centre de la carte, ils deviendront un vrai problème. Par mesure de précaution, on ferait mieux de contourner.
— L’initiative assure la victoire, approuva Nanao.
Oliver hocha la tête et tourna les yeux vers l’est.
— Si on sprinte, l’équipe Ames ne pourra pas suivre. Cap sur cette tour.
Tous trois s’élancèrent, et une fois leur allure stabilisée, Oliver reprit d’un ton bas :
— Encore une chose. J’en profite tant qu’on est en chemin. J’ai remarqué une chose pendant que mes golems scannaient toute la carte. Ce terrain pourrait bien…
Pendant ce temps, tout en haut de la tour lointaine, l’équipe Liebert avait déjà repéré l’approche de l’équipe Horn. Camilla, la tireuse d’élite, qui patientait depuis un long moment, murmura :
— Deux membres de l’équipe Mistral au tapis… Ils viennent pour nous.
— Je m’en doutais, répondit Thomas avec un haussement d’épaules. — Pas de chance qu’ils n’en aient pas emporté au moins un.
Il venait à peine de rentrer après avoir préparé le terrain à l’extérieur. Il jeta un regard par-dessus son épaule, leur chef, Jürgen Liebert, était toujours assis.
— Chef, ça va ?
Liebert ouvrit les yeux, se releva.
— …Je suis prêt. Plus qu’à les descendre.
Sa voix ne trembla pas. Ses deux coéquipiers acquiescèrent en même temps.
— LUTUOM LIMUS !
Le sort d’Oliver frappa un rocher droit devant, le faisant fondre. Ils prenaient les itinéraires les plus praticables, mais les obstacles se multipliaient.
— Toutes ces parois qui nous ralentissent. Le plan d’une autre équipe ? demanda Yuri.
— LUTUOM LIMUS ! Oui. Pendant qu’on se battait, ils ont modifié le terrain, sachant qu’on viendrait par là.
— Je vois… Whoa, au-dessus ! FRIGUS !
Yuri intercepta un sort venant de la tour. Facile à contrer, mais cela l’obligeait à se concentrer, ralentissant sa course. Et cela l’agaçait.
— Ce chemin est dans leur ligne de mire, et il est truffé d’obstacles. On ferait peut-être mieux de contourner la montagne ?
— Non. C’est le bon chemin. On va faire semblant de contourner.
Oliver bifurqua vers la droite. Nanao et Yuri le suivirent. Peu après, deux éclairs jaillirent du sommet de la tour. Des sortilèges lancés.
— Maintenant ! À gauche !
Tous trois virèrent brusquement, reprenant leur trajectoire initiale. Quelques secondes plus tard, les sorts frappèrent le versant droit, déclenchant un glissement de pierres et de sable rocheux.
— Un éboulement ?! s’écria Nanao.
— Ouf, heureusement qu’on n’y était pas ! lança Yuri.
— Ils ont fragilisé le sol, puis lancé un sort d’impact. À leur place, j’aurais fait de même. C’est là que j’aurais attendu une attaque.
Il avait anticipé leur piège. Cela le réconfortait, un peu. Oliver leva les yeux vers la tour.
— Pour les mêmes raisons, je n’évite pas les blocs sur notre route. Ils essaient sûrement de nous attirer vers un chemin plus dégagé. Mieux vaut rencontrer des murs rocheux bien visibles que des pièges cachés.
— Hmm. Hmm… Hmmmmmm.
Yuri le rejoignit et se mit à le fixer intensément.
— Hm ? Quelque chose sur mon visage ? Concentre-toi, Leik.
— Ah-ha-ha, désolé ! Je viens juste de réaliser à quel point je suis content d’être dans ton équipe.
— Heu… merci ? Mais franchement, c’est à double tranchant. C’est nous qu’ils visaient, et tu te retrouves embarqué dans tout ça.
C’était vrai. C’est parce qu’ils s’en prenaient à Oliver et Nanao que tout ce chaos avait commencé.
— Il ne parle pas du résultat, dit Nanao avec un sourire radieux. — N’est-ce pas, Yuri ?
Yuri répondit par un sourire enfantin, pur et éclatant.
— Je sais pas trop comment le dire. C’est juste que… tout devient plus clair quand t’es là, Oliver. Peut-être parce que t’expliques bien ? En tout cas, je m’amuse vraiment.
Ce compliment inattendu laissa Oliver sans voix. Il détourna la tête, toussota, puis changea de sujet.
— …La tour est proche. Une fois sur place, ce sera la guerre. Restez sur vos gardes.
— Yep !
— Je suis bien prête !
Les deux confirmèrent leur motivation. Et Oliver réalisa alors quelque chose. Niché sous la tension, sous la concentration nécessaire… se trouvait un sentiment qu’il ne pouvait nier : lui aussi prenait plaisir à ce match.
Au sommet de la tour, Thomas lançait des sorts depuis le toit avec Camilla, les nerfs à vif devant leurs plans tombés à l’eau.
— Pourquoi ils mordent pas à l’hameçon ?! C’est pas juste !
— C’est Horn qui est aux commandes. Je n’en attendais pas moins, déclara Liebert. — Cesse de râler et ralentis-les.
Leur chef était le genre d’homme à ne jamais traverser un pont de pierre sans l’abattre pour en reconstruire un en acier. Il ne comptait jamais sur les erreurs de l’adversaire. Pour lui, c’était la preuve que tout se passait selon le plan. Logique, méthodique, il devinait sans mal la façon de penser d’Oliver.
— Tirez encore quelques salves, puis redescendez. Faites attention à ne pas vous faire repérer.
— Ça marche.
— Entendu.
Aucun des deux équipiers ne montrait d’inquiétude. Leur confiance en leur chef était aussi solide que celle de l’équipe Horn envers le leur.
— Hmm, on aperçoit la base, dit Nanao en s’arrêtant.
Oliver observa la zone à travers ses golems éclaireurs. Les irrégularités du sol cédaient la place à une pente douce menant à un cratère circulaire, au fond duquel se dressait la base de la tour, où un mur haut d’environ trois mètres s’élevait. Il partagea cette vision via leurs athamés.
— Ce mur enveloppe toute la tour, constata Yuri. — Tu vois quelque chose ?
— Non, rien, répondit Oliver en secouant la tête. — Depuis qu’ils ont quitté le toit, plus un mouvement.
Il surveillait attentivement la zone avec deux golems, mais rien n’apparaissait ni à la base ni aux fenêtres. Il aurait pu en envoyer un à l’intérieur, mais ces golems spécialisés en reconnaissance étaient faciles à abattre s’ils étaient repérés. Et comme l’équipe Ames était toujours intacte, il ne pouvait se permettre de perdre ces précieux atouts.
Après quelques secondes de réflexion, Oliver formula son plan.
— …On passe d’abord ce mur, et on entre par le rez-de-chaussée. S’ils viennent à notre rencontre, on les affronte là. Mais s’ils se retranchent, on utilisera la magie de convergence pour faire s’effondrer la tour par sa base.
— Une stratégie audacieuse !
— Ça promet d’être amusant… mais c’est presque dommage, commenta Yuri.
Oliver baissa la voix.
— Infiltration simultanée par trois directions. Leik à gauche, moi au centre, Nanao à droite. Attendez-vous à des pièges autant qu’à des attaques.
Se répartir ainsi éviterait de concentrer les tirs ennemis sur une seule cible. Une fois en place, Oliver lança un sort vers le mur.
— LUTUOM LIM…
Mais à peine avait-il entamé l’incantation qu’un sort de vent transperça le mur. Oliver esquiva de justesse. Le trou, à peine plus large qu’un doigt, lui glaça le sang. Une telle précision prouvait que le tireur visait précisément.
— Woah ?!
— Hngh !
Des cris retentirent de chaque côté. Yuri et Nanao avaient subi le même assaut. Par pur réflexe, ils parvinrent à esquiver, et une voix calme s’éleva à travers le mur :
— Vous avez bien progressé… mais la phase suivante sera plus longue. IMPETUS !
— IMPETUS !
Tous trois reculèrent vivement tandis que de nouveaux sorts fusaient vers eux, visant des zones vitales. Pour les éviter, ils se mirent à courir le long des défenses.
— Ils tirent à travers le mur ?! Nanao, Leik ! Bouchez la vue du dessus ! COVELL !
Oliver déploya une barrière de ténèbres au-dessus d’eux, aussitôt imité par les autres. Le premier tir les avait pris de court, mais Oliver avait lui-même utilisé cette méthode contre Miligan. Les adversaires n’avaient donc pas de ligne de vue directe. Le voile devrait bloquer leurs golems de surveillance, mais…
— ?!
Deux nouveaux sorts passèrent tout près, l’un devant, l’autre derrière.
— Leur précision ne faiblit pas… ?! Ils ne nous observent pas d’en haut alors… Comment ?
Le regard d’Oliver parcourut les environs à la recherche d’un indice. En baissant les yeux, il comprit. Le sol était bien trop plat. Même pour un golem-forteresse, un terrain aussi lisse n’était pas nécessaire, sauf si on cherchait à faciliter autre chose.
— Non… C’est une blague ?! Le sol… !
Derrière le mur, l’équipe Horn était en difficulté. Les trois membres de l’équipe Liebert ne les voyaient pas, mais savaient exactement où ils étaient. Des cartes magiques intégrées au sol affichaient trois points mobiles.
— IMPETUS ! Alors, ça vous plaît, de danser dans notre main ?!
— IMPETUS ! Ne vous emballez pas. Ils finiront par comprendre, grogna Liebert en lançant un sort qui manqua de peu sa cible.
— …Le sol fait partie du golem ! On est sur l’enveloppe de l’ennemi ! hurla Oliver en courant le long du mur sous le feu.
Cette conclusion laissa ses camarades stupéfaits.
— Tu veux dire… que le sol nous sent ? Comme quand on sent un insecte sur la peau ? La tour sait où on est ?
— C’est exactement ça ! Ils peuvent nous localiser avec précision !
Son esprit tournait à toute vitesse. Le terrain très plat, l’absence de pièges magiques, tout cela permettait une détection plus précise. Pression, chaleur ou mana, peu importait le mécanisme exact : ils n’avaient pas le temps de le déterminer. L’équipe Ames approchait par l’ouest, dans probablement moins de cinq minutes.
— On devrait peut-être juste riposter ? proposa Yuri. — Si ces murs forment un cercle autour de la tour, alors ils sont au centre, non ? On devrait bien en toucher un ou deux avec des tirs au hasard !
— J’y ai pensé. Mais les faces intérieure et extérieure de ce mur ne réagissent pas de la même manière aux attaques. Nos sorts ne percent pas aussi bien que les leurs. Un échange de tirs à travers le mur nous désavantagerait.
Ils auraient pu faire passer leurs sorts par-dessus, en cloche, mais cela rallongeait leur trajectoire, contrairement à celle de leurs adversaires. Il aurait été préférable percer directement un trou dans le mur, mais cela exigeait de concentrer un sort au même endroit pendant plusieurs secondes, ce que le bombardement constant rendait impossible. Il avait même envisagé de courir sur le mur pour le franchir d’un bond, mais l’ennemi les guettait sans doute, et la moindre apparition de leur visage serait accueillie par un tir ciblé. Ils seraient immédiatement mis hors-jeu.
Il leur fallait passer ce mur, mais toute approche agressive se retournerait contre eux. Partant de là, il se demanda s’il n’existait pas une autre solution à cette impasse.
— Mais quelle partie ? demanda Nanao, courant non loin de lui.
Oliver et Yuri tournèrent la tête vers elle, esquissant des feintes dans leur course pour brouiller la visée adverse. Si ce sol est une sorte de peau, alors quelle partie du corps ? Le dessus des pieds ? Les paumes ? Le front ? Peut-être la poitrine ou le ventre ?
— Hein ? C’était une métaphore…
— Ah, je comprends.
Elle fronça les sourcils.
— Pris au pied de la lettre, je me suis dit que la sensibilité pouvait varier selon l’endroit.
Une idée toute simple, mais qui interpela Oliver.
— …Tu tiens peut-être quelque chose.
— IMPETUS ! Vous voyez ? Vous êtes impuissants !
L’équipe Liebert poursuivait son offensive… jusqu’à ce que les tirs s’interrompent. Leur stratégie reposait sur les cartes magiques au sol, mais les trois points avaient cessé de bouger… puis disparu.
— …?
— Chef ! On les voit plus sur la carte !
Camilla et Thomas se tournèrent vers leur leader. Liebert, lui, fixait le mur avec un air sombre.
— …Bien joué.
De l’autre côté, l’équipe Horn était toujours en mouvement, mais plus sur le sol. Tous trois utilisaient la marche murale, pieds posés contre la paroi.
— Chute drastique de la précision des tirs ! Les capteurs n’étaient que sur le sol !
Les sorts continuaient de pleuvoir, mais très loin de leurs positions, preuve qu’ils avaient trouvé la solution.
— Ooooh, pas mal, commenta Yuri. — Si le sol ne fonctionne pas… il faut tester les parois rocheuses ! Bien joué, Nanao !
— Je n’ai rien fait en soi. Mais si c’est la bonne réponse, je m’en réjouis.
Ils murmuraient à peine, courant avec légèreté, pour ne pas révéler leur emplacement par la voix. Plus certain que jamais de sa théorie, Oliver se concentra sur l’autre côté du mur.
— Ils sont sur les parois… !
Leurs pas résonnaient.
— On ne peut pas savoir où exactement ? C’est pas censé faire partie du golem ? demanda Camilla.
— …Non. Aucun capteur sur les murs. Il aurait fallu le prévoir dans le schéma initial.
Liebert était visiblement contrarié. Il s’était bien douté qu’ils pourraient tenter de courir sur le mur, mais il pensait que son équipe saurait gérer cela en fonction de l’endroit où leur course avait commencé. Il ne s’attendait pas à ce qu’ils transforment la surface du mur en terrain principal. Et comme ils se déplaçaient à la verticale, perpendiculaires au sol, ils représentaient des cibles bien plus réduites. Les viser ainsi devenait très difficile, et Thomas laissa échapper un gémissement :
— Il me faut de la hauteur… ! Je peux grimper au sommet du mur ?
— Hors de question, trancha Liebert. Tu te ferais descendre avant même d’y arriver !
D’en haut, ils auraient certes une vue dégagée sur leurs adversaires, mais l’équipe Horn n’allait certainement pas les regarder se repositionner sans rien faire. Le seul rempart contre leur percée, c’était le déluge ininterrompu de sorts que les trois lançaient. Et si ce barrage cessait, ne serait-ce qu’un instant…
— Pas de panique, ricana Camilla. — On a d’autres murs. Ils vont devoir en percer un, et ça nous donnera une cible.
Cela eut le mérite de ramener Thomas sur terre. Avec une partie de leur mana mobilisée pour maintenir la marche murale, doubler les incantations devenait difficile, même pour un élève de troisième année. Si l’équipe Horn voulait ouvrir une brèche dans le mur, elle allait devoir se rassembler et enchaîner les sorts à incantation simple. Et le trou lui-même trahirait leur position. Leur visée resterait approximative, ne couvrant qu’une zone large, mais ils pourraient compenser par la taille et la quantité des projectiles.
Le plan en tête, ils attendirent le bon moment. Et ils ne s’étaient pas trompés, bientôt, un sort transforma une portion du mur nord-ouest, la pierre grise virant au brun sombre. Camilla y dirigea sa baguette.
— Tu vois ? MAGNUS FRAGOR !
— !! MAGNUS FRAGOR !! répétèrent-ils à l’unisson.
Ce n’était pas qu’un seul sort. Deux, trois double-incantations fusèrent depuis l’intérieur. L’équipe d’Oliver les observa passer loin de leur position sur le mur… et reprit sa course.
— Trois double-incantations ! C’est le moment, passez !
Les ennemis avaient eux-mêmes détruit le mur, et ils s’y engouffrèrent, se projetant vers l’intérieur. Percer une brèche révélait forcément des indices visibles depuis l’autre côté. Ils savaient pertinemment qu’ils s’exposaient.
Le sort de liquéfaction n’avait servi qu’à amorcer l’engrenage. Ils s’étaient aussitôt repliés, contraignant l’équipe Liebert à ouvrir elle-même un passage. Incapables de localiser précisément l’équipe Horn, ils avaient dû augmenter la taille de la zone touchée, lançant plusieurs double-incantations pour faire sauter un large pan du mur.
Mais franchir un mur ne signifiait pas qu’ils pouvaient immédiatement engager le combat. À peine avaient-ils pénétré dans la zone… qu’un second mur jaillit du sol devant eux. Yuri cligna des yeux, stupéfait.
— Hein ? Un autre mur ?!
— Ils en ont de rechange ?!
— Pas d’inquiétude, on applique le même plan. On choisit notre moment, et on passe !
Oliver ouvrit la marche. Il ne s’était jamais imaginé qu’une seule ligne défensive suffirait. Une fois n’était pas coutume : ils s’y prendraient deux fois, trois fois s’il le fallait. Lui, Nanao et Yuri se mirent à courir le long du second mur.
L’équipe Liebert avait prévu trois murs pour défendre la tour. Puisqu’ils avaient franchi le premier, et donc compris que le sol était sensible, la zone devant le deuxième mur était truffée de pièges magiques. Mais aucun de ces pièges n’avait été conçu pour des ennemis courant sur la paroi. L’équipe Horn avait simplement sauté de l’intérieur du premier mur à l’extérieur du second, sans jamais poser le pied au sol, empêchant toute activation.
Et le fait que ce soit leurs propres sorts qui aient permis cette percée avait fait hésiter l’équipe Liebert. Sentant cela, Oliver et les siens ouvrirent eux-mêmes une brèche et franchirent rapidement le deuxième mur. Le dernier mur s’élevait à une dizaine de mètres de la tour.
— Merde ! s’écria Thomas, sentant leurs adversaires les coller. — C’est le dernier ! Touchez-les, bordel, touchez-les ! IMPETUS ! Gah !
Il tirait frénétiquement. Camilla lui flanqua un coup de pied dans le dos. Il s’écroula au sol, éberlué.
— Reprends-toi, grogna la tireuse, baguette pointée sur le mur. — Si tu te mets à prier pour toucher, autant ne plus tirer du tout.
Il y avait une colère grondante dans sa voix, nourrie par les innombrables heures passées à perfectionner son art. C’était sa fierté de tireuse d’élite.
— Ne prie pas. Vise. Peu importe s’ils sont trop loin, trop rapides, hors de vue. Tant qu’ils existent, ils laissent une trace.
Des mots légués par son mentor. Des enseignements directs de la Sorcière Millénaire. Camilla Asmus concentra tous ses sens. La situation était tendue, mais d’un autre point de vue, plutôt favorable, car à cette distance, il était plus facile de détecter leurs ennemis. L’ouïe l’emportait sur la vue, les pas sur le mur suffisaient.
Elle perçut un mouvement diagonal sur la paroi. Pas assez précis pour viser, mais suffisant pour poser les gêner.
— FRAGOR !
La baguette de Camilla libéra un sort de type explosion, son image mentale entièrement axée sur la pénétration. Le projectile était conçu pour se déclencher juste après avoir traversé.
Comme la majeure partie du mana était consacrée à percer le mur, la détonation en elle-même n’était pas particulièrement puissante, mais aucun adversaire ne pouvait ignorer une explosion en pleine trajectoire. Surtout en pleine Marche Murale. Il leur faudrait soit changer de direction, soit ralentir, et l’un comme l’autre rendait difficile le maintien de la technique.
Le résultat était inévitable, ils ne pouvaient plus tromper la gravité. Et elle les rattrapait, les tirait vers le bas. Un point clignota sur la carte magique à ses pieds. En cet instant, elle sut précisément où se trouvait son adversaire, malgré l’épaisseur du mur.
— FORTIS IMPETUS !
Son tir verrouillé, un souffle déchaîné s’échappa de sa baguette. La zone d’impact s’étendait largement de part et d’autre. Ce tir était plus proche de sa cible que tous les précédents, et ces derniers venaient tout juste d’atterrir, encore déséquilibrés. Ils n’avaient aucune chance d’esquiver. Elle les avait.
— …Tu l’as eue ?
Les bruits de pas s’étaient tus. Jetant un œil aux alentours, Thomas se pencha au bord de l’ouverture, s’attendant à y découvrir un ennemi à terre, mais ce fut Camilla qui répondit la première.
— Hah…
C’était Nanao Hibiya. Un genou à terre, le katana tendu devant elle dans sa main droite, la détermination dans son regard n’avait pas faibli d’un iota. Cette seule vision suffit à Camilla pour comprendre le sort qu’avait connu son attaque.
— …Pas mal, murmura-t-elle, un éloge échappé sans qu’elle s’en rende compte.
Objectivement, son tir avait frôlé la perfection. La vitesse, la force, le moment choisi, tout avait été calculé pour rendre l’esquive ou la parade presque impossible. S’il y avait eu une faille, elle résidait en une seule chose : une adversaire qui s’attendait à être prise pour cible en atterrissant, et qui avait déjà commencé une double-incantation d’opposition dès l’instant où ses pieds avaient quitté le mur.
— FRAGOR !
Un instant plus tard, deux silhouettes bondirent à travers la brèche que Camilla avait elle-même ouverte. Tandis qu’ils franchissaient ce dernier rempart, Oliver et Yuri lancèrent un sort pour faire vaciller l’équipe Liebert. Puis ils se séparèrent, prenant leurs adversaires à revers. Nanao, elle, s’élança droit au centre. Voyant leur défense sur le point de s’effondrer, Camilla cria :
— À toi, chef !
— Avec plaisir ! CLYPEUS !
Laissant derrière lui un petit bouclier en guise de soutien modeste, Liebert fit volte-face et prit la fuite. Un affrontement à trois contre trois, à une telle distance, ne leur donnerait aucune chance, et ils étaient de toute façon bien au-delà du point de non-retour. Liebert avait encore un rôle à jouer, et les autres seraient son rempart. Leurs rôles avaient été définis de longue date.
Camilla leva simplement sa baguette. Thomas se plaça à ses côtés. Toute trace de sa précédente agitation avait disparu. Il semblait presque anormalement calme. L’échec de son tir sur Nanao avait balayé toutes les émotions superflues.
— Désolé. Je suis de nouveau concentré.
— Parfait. Alors superpose ton tir au mien.
Oliver et Yuri tentaient de les prendre à revers, mais les piliers de la tour et les barrières laissées par Liebert leur offraient encore un bref couvert. Sans perdre un instant à réfléchir à ce qu’il adviendrait une fois cette protection tombée, ils dirigèrent leurs baguettes vers une seule cible : Nanao Hibiya. Leur instinct de mage ne s’y trompait pas, même privée d’un bras, elle restait la menace principale.
— FLAMMA !
— FRIGUS !
En Alors qu’elle fonçait droit sur eux, Thomas et Camilla tirèrent deux sorts d’éléments opposés, parfaitement synchronisés. Même si Nanao en annulait un par l’opposition, l’autre la frapperait de plein fouet.
Elle courait à pleine vitesse, sans possibilité d’esquiver par les flancs. À elle seule, elle ne pourrait jamais bloquer cette attaque.
— FLAMMA !
Mais Oliver avait anticipé. Son sort intercepta celui de ses adversaires, annulant la seconde incantation. Nanao neutralisa la première grâce à l’opposition, tandis que la foudre de Yuri frappait Thomas en pleine poitrine. Camilla échangea sa baguette pour son athamé, mais il était déjà trop tard : Nanao était sur elle, et sa lame lui transperça la poitrine avant même qu’elle ait pu lever la sienne.
— Superbe tir, dit la jeune fille aziane.
— Merci.
Un bref échange en passant. Puis les anneaux s’activèrent. Thomas et Camilla tombèrent à terre, et l’équipe Horn ne s’arrêta même pas, fonçant droit sur leur dernier adversaire.
— … !
Les yeux d’Oliver s’écarquillèrent. Liebert les ignorait complètement, son athamé pointé vers ses pieds. Il se tenait en plein centre du rez-de-chaussée, au cœur même des fondations de la tour. Une intuition, non, une certitude, fit courir un frisson glacé le long de son échine.
— DEICITIS !
Et l’incantation qui suivit donna raison à ses craintes. Le sol s’effondra sous Liebert, l’engloutissant, tandis que des fissures se propageaient, remontant le long des piliers jusqu’au plafond. Les ondes de destruction montèrent en flèche, et le golem forteresse s’effondra, moins d’une heure après avoir été érigé.
Le sol était jonché des décombres de la tour, soulevant un nuage de poussière si dense que la visibilité se mesurait en mètres.
Un garçon scrutait les alentours, seul au milieu du chaos.
— Ils ont détruit la tour eux-mêmes ?! J’espère que tout le monde va bien, dit Yuri Leik.
Ce n’était peut-être qu’un golem, mais cette forteresse restait un bâtiment à part entière. Son effondrement avait pris un certain temps, suffisamment pour que ceux qui s’y trouvaient puissent s’échapper avant d’être ensevelis. Mais chacun avait fui dans une direction différente, et Yuri n’avait pas pu confirmer si ses camarades allaient bien. Il aurait aimé crier, mais l’équipe Ames était probablement tout près, ce qui aurait trahi sa position.
— Envoyer une fréquence de mana aux golems là-haut… Non, mauvais plan. Avec cette visibilité nulle, il les disperserait, et les golems ennemis capteraient mon signal. Hmm, que faire… ?
— Par ici, Leik.
Alors qu’il réfléchissait à un moyen de retrouver ses coéquipiers, une voix retentit, bien plus proche qu’il ne l’aurait cru. Yuri fit volte-face et aperçut un amas de gravats, haut comme une maison. La voix de son ami provenait de là.
— Mon bras est coincé… sous les décombres…
— Oliver ?! Bouge pas, je vais te sortir de là !
Yuri accourut aussitôt. Il s’apprêta à lancer un sort, mais sans connaître précisément la position d’Oliver sous les gravats, il devait d’abord vérifier. Il se pencha, tentant d’apercevoir quelque chose entre les failles.
— Hein ?
Un son soudain le fit reculer d’instinct, son corps bondit en arrière avant même qu’il ne comprenne. Les décombres explosèrent de l’intérieur, une lame jaillissant droit vers sa gorge. Yuri eut à peine le temps de lever son athamé pour dévier le coup.
— Whoa ?!
— …Tu l’as bloqué ?
La silhouette recula d’un pas, se plaçant face à lui à une portée d’un sort, d’un coup. Une fille à la longue frange lui faisait face, Jasmine Ames. Le cerveau de Yuri raccrocha enfin les morceaux.
— Miss Ames… Tu as imité sa voix ? Fascinant !
Il semblait le prendre avec un flegme joyeux. Ames s’approcha encore d’un pas.
— Tu es une énigme, mais je manque de temps. Je dois te sortir du jeu, Mr. Leik.
— Parfait, allons-y !
Il acquiesça avec enthousiasme, ravi de pouvoir croiser le fer avec une adversaire de cette trempe.
— Leik, où es-tu ? Réponds !
— Yuri ! Montre-toi !
Oliver, lui aussi, cherchait son équipe dans la poussière. Il avait retrouvé Nanao et n’avait plus besoin de garder le silence. Yuri devait être dans les parages. Ils concentrèrent donc leurs efforts sur sa localisation et commencèrent à l’appeler à voix haute. Puis leurs oreilles captèrent un indice : des pas crissant sur des pierres instables. Ils se précipitèrent dans cette direction…
— Woah —
…et ils le virent : les yeux de Yuri brillaient d’une vive curiosité, un contraste saisissant avec la scène en contrebas. L’athamé d’Ames venait de se planter droit dans sa poitrine.
— Yuri !
— … !
Nanao et Oliver levèrent leurs lames d’un même mouvement, mais l’anneau s’activa, mettant Yuri hors-jeu. Ames utilisa alors son corps comme bouclier. Lorsqu’ils suspendirent leur attaque, elle le repoussa dans leur direction et prit la fuite. Ils tentèrent de la poursuivre, mais deux éclairs jaillirent au-dessus de ses épaules.
— Un rien de plus et j’y passais… Mais au moins, nous en avons éliminé un. Il reste de l’espoir.
Elle laissa échapper ces mots dans son sillage, et Oliver aperçut deux autres silhouettes dans la poussière tourbillonnante.
Une fois de plus, elle avait envoyé le membre le plus mobile en éclaireur, ses coéquipiers fermant la marche… avant qu’elle ne frappe Yuri en l’isolant.
Oliver se prépara à encaisser la suite. Une fois qu’elle se fut suffisamment éloignée de lui et de Nanao, Ames leva les yeux vers la tour écroulée.
— L’équipe Liebert s’était préparée à tout, et pourtant vous les avez abattus en un rien de temps. Une prouesse remarquable.
— …Ça faisait partie de ton grand plan ? Même le fait de ne pas arriver à temps ?
Sa question portait une pointe d’ironie. Oliver cherchait surtout à gagner du temps, le temps que la poussière retombe. Mais un sourire effleura les lèvres d’Ames, avant qu’elle ne pousse un léger soupir.
— Si seulement. Tu me surestimes. Le fait que vous soyez encore en lice pendant que les autres tombent est exactement l’inverse de ce que nous avions prévu.
Elle n’avait aucune raison de dissimuler cela et s’accorda même un instant d’autodérision. Leur situation n’était pas assez bonne pour arracher la victoire. Ils n’avaient pas tardé à secourir l’équipe Liebert : ils étaient tout simplement arrivés trop tard. Ames, partie en éclaireuse, n’avait fait qu’arriver à la chute de la tour, sans pouvoir intervenir dans le combat.
— Cela dit, Mr. Leik est hors-jeu, et Miss Hibiya a perdu son bras gauche. Bien loin de ce que nous espérions, certes, mais pas encore de quoi se lamenter. Cela dit, ce n’est pas l’heure des bavardages. Comme promis, je suis venue chercher ta tête.
Sur cette déclaration pleine d’aplomb, l’équipe Ames passa à l’offensive. Tandis que la poussière s’amenuisait, Oliver et Nanao s’étaient déjà mis en position.
— CLYPEUS !
— GLADIO !
L’équipe Horn frappa la première. Dès le début, Oliver érigea une barrière devant eux. Nanao bondit derrière, lançant son sort tranchant à travers le mur, le principe même qui avait permis à l’équipe Liebert de les harceler. Ames et l’un de ses coéquipiers esquivèrent à l’instant de l’incantation, mais la troisième fut touchée à la cuisse.
— Guh… !
— Haaah !
L’anneau à sa cheville s’activa, engourdissant totalement sa jambe droite. Ralentissant son mouvement, elle permit à Nanao d’approcher. Ames s’interposa et para in extremis. Oliver lança un sort sur la même cible, que le dernier membre parvint de justesse à annuler. Enfin, l’initiative changea de camp, les trois membres de l’équipe Ames reculèrent.
— Pardon, Jaz… !
— C’est bon, murmura Ames. — Comme je le craignais, à trois contre deux, ça ne suffit pas.
Un seul échange avait suffi à démontrer leur désavantage. Oliver et Nanao couvraient mutuellement leurs arrières, exprimant tout leur potentiel, tandis qu’Ames devait compenser pour ses camarades, rendant ses propres attaques timides. Avec un membre à mobilité réduite, la situation ne ferait qu’empirer. Si le combat se poursuivait, leur équipe ne tiendrait pas. En toute lucidité, Ames changea de stratégie, et posa les bases de la suivante.
— Alors, Mr. Mistral… on lancer le dernier feu d’artifice.
— Keh-heh… ricana Mistral.
Derrière un rocher à l’extrémité ouest du champ, bien loin de l’action. Avec sa jambe en moins, il n’aurait pu rejoindre les autres. Mais cela ne l’empêchait pas de se battre.
— Plus de mana de toute façon. Autant tout balancer !
Il se motiva en criant, puis concentra ce qui lui restait pour activer les deux leurres qu’il avait envoyés vers la tour effondrée.
Deux silhouettes surgirent d’un monticule de gravats. Oliver et Nanao sentirent aussitôt leur approche depuis le sud.
— Hmm— !
— …Je m’en doutais !
Ils n’étaient pas difficiles à repérer. C’était le seul timing logique pour que les leurres interviennent. Et comme la construction de la tour avait épuisé toutes les pierres magiques du secteur, la visibilité était parfaite. Ils avaient veillé à ne pas se laisser attirer dans un terrain trop encombré, gardant à l’œil chaque direction. Tant qu’ils gardaient la main, c’était un jeu d’enfant.
— Je m’occupe des leurres ! Continue à harceler l’équipe Ames !
— Avec plaisir !
Ils bougèrent aussitôt. Tous deux bien plus rapides que les leurres et tout indiquait que ces derniers ne pouvaient attaquer qu’en explosant à proximité. Tant que l’équipe Ames était sous pression, ces leurres ne pouvaient approcher. Et s’ils tentaient quoi que ce soit pendant leur repli, ils seraient vite balayés. Il n’y avait aucune situation favorable pour les petits tours de Mistral.
— Keh-heh !
— Ou du moins, c’est ce que vous croyez !
Les leurres esquissèrent un sourire énigmatique, et la donne changea. Laissant leur chef derrière, les deux coéquipiers d’Ames s’élancèrent vers le sud. Oliver fronça les sourcils.
— Ils partent ? Ils vont faire équipe avec les leurres ?
Ils avaient déjà du mal à trois, alors se diviser davantage ne semblait pas être une bonne idée. Leur camp n’aurait qu’à les cueillir un par un, et même s’ils parvenaient à rejoindre les leurres, il était peu probable qu’ils coopèrent efficacement. Et encore fallait-il qu’ils y parviennent. Sans Ames à proximité pour les couvrir, Oliver et les siens pouvaient facilement les balayer tous les deux.
— C’est l’heure de s’amuser !
Estimant que c’était la suite la plus logique, Oliver et Nanao se tournèrent vers les deux coéquipiers d’Ames. Mais du coin de l’œil, ils virent les deux leurres de Mistral exploser. Oliver ne s’attendait pas à ce qu’ils s’autodétruisent là, mais en voyant la fumée épaisse qui s’en dégageait, il comprit.
— Des sphères fumigènes… !
Mistral avait confié des outils magiques à ses leurres, déclenchés par leur autodestruction, et le souffle de l’explosion avait largement dispersé la fumée. Le duo de l’équipe Ames s’y engouffra sans attendre. Oliver réévalua immédiatement la situation. Ils pouvaient encore les rattraper, mais à ce rythme, ils seraient déjà dans le nuage.
— Il ne faut pas foncer là-dedans. On commence par Ames !
— En effet !
Lui et Nanao bifurquèrent plein nord, fonçant droit sur Ames. Le pire scénario serait de poursuivre les autres dans la fumée et d’exposer ainsi leur dos à la lame d’Ames. Dans ce cas, il ne restait qu’une solution : la neutraliser en premier. Il n’avait pas encore évalué l’étendue de ses compétences, mais avec Nanao à ses côtés, il ne pouvait imaginer échouer.
Nanao avait pris les devants en descendant vers le sud, si bien qu’en changeant brusquement de direction, leurs positions s’étaient temporairement inversées. Ce qui la plaçait derrière Oliver, à peine quelques mètres en retrait.
En temps normal, cela n’aurait posé aucun problème, mais l’instant d’après, le sol se souleva brusquement entre eux.
— Quoi — ?!
— Oliver !
Un mur surgit, là, juste devant les yeux de Nanao, à un souffle des talons d’Oliver, sans aucun avertissement. Incapables d’interpréter la situation, tous deux s’immobilisèrent… et Ames n’hésita pas. Elle se jeta sur Oliver, et leurs athamés s’entrechoquèrent violemment. Elle lança à ses compagnons restés à distance :
— C’est le moment !
— FORTIS FLAMMA !
— FORTIS FLAMMA !
Le duo avait fait volte-face, leurs sorts déjà prêts. Deux double-incantations et Nanao, coincée contre le mur, n’eut d’autre choix que d’esquiver.
Mais en quittant sa position, elle s’éloigna encore plus d’Oliver. Celui-ci grimaça en repoussant la lame d’Ames avec force.
— …Un coup de Liebert… ?
— Tu ne rates jamais rien, répondit-elle avec un compliment à contrecœur.
Oliver, lui, était plus impressionné que surpris. Leurs adversaires avaient visiblement préparé toutes sortes de manœuvres pour faire tomber leur équipe.
— …Il comprendra ce que cela signifie, murmura Liebert en abaissant sa baguette.
Il se trouvait dans une sorte de crypte souterraine, juste sous les pieds des duellistes.
— Et voilà tout mon mana épuisé. À toi de le finir, Ames.
Ses yeux étaient rivés sur le mur face à lui, sur une carte magique semblable à celles qu’ils avaient utilisées lors du combat contre l’équipe Horn. Cette fois, cependant, elle n’affichait pas les défenses de la tour effondrée, mais une zone située plus à l’est, l’endroit exact où se déroulait le combat actuel. Il avait fallu l’effort combiné des trois équipes pour attirer le groupe d’Oliver jusqu’à cette aire de bataille finale. L’équipe Liebert avait préparé plusieurs plans de secours au cas où leur forteresse tomberait.
Le premier : l’autodestruction de la tour, conçue, naturellement, pour emporter leurs adversaires dans sa chute. Le deuxième : ce bunker souterrain, une voie d’évacuation réservée à celui qui déclenchait la destruction. C’est ainsi que Liebert s’était retrouvé ici.
Et le troisième : une zone de détection rattachée au golem-forteresse, implantée à quelque distance de la tour, et une carte magique permettant de suivre les cibles dans son rayon d’action. Grâce à cela, il pouvait suivre l’évolution du combat depuis les profondeurs. Il n’était pas enterré bien profondément, et le minérai dans le sol amplifiait certains types de magie, lui permettant d’influer sur la surface.
Grâce à la carte magique, il repérait la position des autres équipes. Liebert avait passé plusieurs minutes à observer les points lumineux, identifiant quelle équipe correspondait à chaque point et analysant le déroulement de la bataille.
Il ne savait pas exactement quel impact aurait la séparation de l’équipe Horn sur l’issue du combat. Mais quoi qu’il advienne désormais, il avait rempli sa part. Le sort qu’il venait de lancer avait consommé jusqu’à sa dernière once de mana, et il n’était même plus en état de creuser pour remonter à la surface. Il ne lui restait plus qu’à espérer une victoire de l’équipe Ames… et attendre que le personnel de la ligue vienne le chercher. C’est sur cette pensée qu’il s’adossa au mur…
— …Hein… ?
Liebert sentit une puissante vibration monter depuis les profondeurs, et se retrouva en train de flotter.
Le sol s’illumina, se mit à trembler, et leurs corps furent aspirés vers le plafond. Oliver et Ames réagirent aussitôt.
— Hah — !
— Tsk — !
Leurs athamés étaient croisés en garde, mais ils s’en servirent pour se repousser mutuellement, ouvrant ainsi un espace entre eux. Ils commencèrent à incanter.
— FLAMMA — IMPETUS — TONITRUS !
— FRIGUS — PROHIBERE — TENEBRIS !
Privés de tout contact avec le sol, le combat devenait un simple échange de sorts en apesanteur. Les sorts se heurtaient dans les airs, s’annulant les uns les autres. Pendant ce temps, tous deux chutaient vers le plafond. Tout en incantant, ils pivotèrent dans les airs pour se réceptionner tête la première.
— !!! ELLETARDUS !!!
Des sorts de décélération, lancés une fraction de seconde avant l’impact.
Chacun amortit sa chute par une roulade latérale, puis se releva aussitôt, athamé braqué sur l’adversaire. Des blocs de pierre, eux aussi entraînés dans l’ascension, s’écrasèrent tout autour comme une pluie de météores. De nouveau face à face, ils se tinrent prêts. Leur gestion de la situation avait été si parfaitement identique qu’on aurait dit deux reflets dans un miroir.
— Magnifique, déclara Ames. — Tu savais que cela allait se produire, n’est-ce pas ?
— Oui… à force d’éviter les tirs, j’ai été forcé d’élargir ma perception du terrain.
Tout en répondant, Oliver surveillait les alentours. Après tout ce temps sur des rochers de taille inégales, ce plafond était étonnamment plat, en forme de dôme doté d’une pente douce. Le résultat d’un sort de renversement à grande échelle lancé sur la quasi-totalité de la carte.
Le phénomène s’était déclenché sans avertissement, mais pas sans signes précurseurs. Quiconque connaissait le penchant de Kimberly pour les artifices de grande ampleur pouvait y voir venir un coup tordu. L’observation attentive du terrain révélait quelques indices, notamment la répartition du minérai. Bien camouflée, la formation passait inaperçue au sol, mais vue du ciel, les affleurements rocheux dessinaient des lignes. Et ces lignes formaient un motif. Un cercle magique d’envergure.
— Je pensais qu’il s’activerait à la fin du match, dit Ames. — Mais… probablement à cause de l’énorme quantité de pierres utilisées par Mr. Liebert pour bâtir la tour, une partie du cercle a été rendue inactive. Je ne m’attendais pas à ce que nous soyons séparés selon les polarités.
— Oliver !
— Jaz !
Des voix retentirent au-dessus d’eux, là où se trouvaient encore Nanao et les coéquipiers d’Ames. Le sort de renversement avait attrapé Oliver et Ames, mais les autres, plus proches de la tour, se trouvaient dans la portion inactive du cercle. Lorsque le sort s’était déclenché, ils étaient restés en bas, mais Oliver ne pouvait se permettre de détourner le regard. Les yeux rivés sur son adversaire, il cria :
— Ne franchissez pas la zone de renversement ! Vous vous feriez cueillir en chutant !
— Je n’ai besoin d’aucune aide ! Occupez-vous de Miss Hibiya !
Ainsi, chacun pouvait se concentrer sur son propre combat. Puis, au milieu des rochers tombés avec eux, un élève chuta derrière eux : Liebert, entraîné jusqu’au plafond avec son abri. Le choc de la chute avait activé ses anneaux, et il était inconscient.
— Mr. Liebert… murmura Oliver, l’apercevant du coin de l’œil. — Pas étonnant qu’il n’ait plus de mana, le mur qui nous a séparés a dû le vider complètement.
— Il semble bien que ce soit le cas. Lui et Mr. Mistral se sont battus jusqu’au bout.
Ces mots, dits avec estime, poussèrent Oliver à repenser à leur second adversaire. Mistral avait sacrifié une grande quantité de mana pour ses leurres, et devait désormais être inconscient, quelque part à l’extrémité ouest du plafond. Même s’il avait évité un véritable K.O., Oliver était certain qu’il ne reviendrait plus dans l’arène.
— Et moi, je dois honorer leurs efforts. Tandis que mes camarades tiennent leur position… permets-moi d’en finir avec toi.
Ames changea de posture. Sa présence se fit plus acérée, et Oliver sentit un frisson lui parcourir la peau. Les quatre équipes s’étaient battues jusqu’à ce qu’il ne reste plus qu’un seul affrontement, ramené à l’essentiel : l’un des deux tomberait, et l’autre remonterait à la surface, vainqueur.
Elle avait l’air prête à bondir, alors Oliver ajusta son propre centre de gravité, le projetant légèrement vers l’avant.
— Tu veux en faire un duel en bonne et due forme. Tu as donc les moyens de le mener…
— Ils m’auraient été bien inutiles face à Miss Hibiya. Heureusement, c’est toi que j’affronte.
Un sourire confiant se dessina sur les lèvres d’Ames. Son ton suggérait qu’elle le jugeait inférieur à Nanao, mais Oliver ne s’en offusqua pas. Il se contenta de sourire à son tour.
— Épargne-moi les piques, Miss Ames. Ce n’est pas ton genre.
Son attitude portait un message clair, Nanao n’aurait jamais l’idée de temporiser en attendant que la situation évolue ailleurs. Et lui non plus ne fuirait pas ce duel, que les provocations d’Ames soient sincères ou non. Lorsqu’elle perçut son intention, son sourire se dissipa.
— …Pardonne-moi. Je te prierai d’oublier mes paroles.
Au moment où elle prononçait ces mots, une bourrasque souleva ses mèches. Dans ses yeux brillait une lueur de folie, et ses lèvres s’étirèrent en un sourire déconcertant.
— … !
— Permets-moi, en retour, de te montrer — la Spellblade d’Ames.
Le mince vernis de civilité s’était dissipé. Ce qui se dressait à présent devant Oliver, c’était une figure qu’il avait vue mille fois dans cet enfer : une arrogance qui ne concevait pas la défaite. Le sourire d’un véritable mage.
— Bon sang, le piège du terrain est activé ! Un sort de renversement tire tous les participants vers le plafond ! C’est le chaos total pour ce final !
Glenda était à son comble dans la cabine des commentateurs. Mais à ses côtés, dans le siège des invités, Whalley observait le spectacle d’un œil sévère.
— L’effet en lui-même me plaît… mais cette poussière est excessive. On ne distingue plus rien du combat au plafond.
Il exprimait tout haut ce que pensait l’ensemble du public. Les images transmises par les golems de surveillance ne montraient qu’un vaste nuage de poussière soulevé par l’activation du sort de renversement. Le plafond tout entier, où Oliver et Ames s’affrontaient, était plongé dans une brume opaque. Des huées montèrent des gradins, et Garland se frotta la tête, un peu gêné.
— C’est ma faute, reconnut-il. — Le sort de renversement n’aurait pas dû obscurcir à ce point la visibilité. Mais Mr. Liebert a prélevé de la terre tout autour de lui, bien plus que prévu, ce qui a généré énormément de débris. Et en plus, ça a désactivé une portion du cercle… Bref, il y a des ajustements à faire.
Tandis que l’instructeur d’arts de l’épée admettait un défaut de conception, Miligan fixait la brume de terre d’un air sombre.
— Quel gâchis qu’on ne puisse pas voir. Ce duel sera sans doute terminé avant même que la poussière ne retombe.
D’abord, il ne s’agirait pas d’une spellblade. C’était la première chose à laquelle pensa Oliver en faisant face à Ames.
Et la raison en était simple : si ça en était une, il ne pourrait pas gagner. Utiliser une spellblade contre elle ? Hors de question. Ce genre de sort devait être réservé aux situations où aucun œil ne vous observait, et à des ennemis que l’on avait décidé de tuer. Ce duel ne remplissait aucune de ces deux conditions.
Sa deuxième pensée, ce n’était pas non plus du bluff. Il s’en convainquit par un fait irréfutable : elle avait mis Yuri au tapis. Ce garçon n’était que réflexes et intuition, et pourtant sa lame avait réussi à l’atteindre. Peu importe la méthode, réussir une telle prouesse était loin d’être anodin.
Oliver en avait d’ailleurs fait l’expérience directe à l’entraînement,Yuri esquivait les attaques les plus inédites comme s’il avait été fait pour ça. Même pris totalement au dépourvu, son corps réagissait d’instinct, par des mécanismes qu’il ne comprenait pas lui-même.
Cela dit, ce n’était pas une défense infaillible. Oliver et Nanao avaient déjà réussi à le toucher plusieurs fois. Mais ces succès venaient au terme d’un affrontement prolongé, lorsqu’il était déjà à bout de souffle. Il était extrêmement rare que l’un ou l’autre y parvienne dès les premières secondes d’un duel. Tant que le corps de Yuri suivait ses intuitions, même un élève plus âgé serait impressionné par la difficulté à le toucher.
Et pourtant, Ames y était parvenue en un éclair.
Oliver n’avait pas assisté à l’affrontement dans son intégralité. Mais les faits parlaient d’eux-mêmes. Il les avait trouvés tous les deux peu après l’effondrement de la tour, sans avoir entendu le moindre sort ni le choc des lames. Le combat avait été décidé d’un seul coup, deux ou trois échanges tout au plus. C’était du moins son interprétation.
Elle possédait une technique capable d’éliminer Yuri en une poignée de mouvements. Même si ce n’était pas une spellblade, cela méritait la plus grande prudence. En gardant cela à l’esprit, Oliver commença à réfléchir à la nature possible de son attaque.
………
Dans les instants précédant leur offensive, il prit le temps d’observer. Ames adopta la position intermédiaire du style Rizett, la posture de l’Éclair. Une forme qu’il connaissait bien, Chela l’employait souvent. À la lumière de son affrontement contre Yuri, plusieurs éléments concordaient.
Quand il était arrivé, Yuri avait été transpercé de face, en pleine poitrine. Autrement dit, elle lui avait porté une estocade directe, et il n’avait ni paré ni esquivé. Quelles positions pouvaient rendre cela possible ? Le style Rizett reposait sur des estocs fulgurants et des élans vifs. Et la posture de l’Éclair comptait parmi les plus rapides. Quelle que soit la technique utilisée pour terrasser Yuri, il était naturel de penser que la vitesse en était l’élément clé. De ce qu’il avait vu jusqu’ici, Ames alternait entre les styles Lanoff et Rizett, cela restait donc cohérent.
La conclusion logique était que sa botte secrète était une vive estocade. Il existait des limites physiques à la vitesse d’exécution, aussi supposait-il qu’elle précédait le coup d’estoc de plusieurs feintes de haut niveau.
Oliver connaissait la seconde spellblade de réputation, et savait qu’elle ne nécessitait pas une telle approche, mais dans ce cas précis, il avait d’emblée écarté cette hypothèse.
— …Fuu…
La posture intermédiaire de Lanoff visait l’équilibre et ne lui permettait pas de prendre l’initiative face à l’Éclair. Réagir correctement à l’attaque qu’il anticipait serait la clé de sa survie.
Il lui faudrait parer l’estoc au bon moment, sans se laisser leurrer par les feintes qui la précédaient. Il devait observer la respiration de son adversaire, son centre de gravité, la direction de son regard, chacun de ses mouvements. Ne rien manquer, lire tous les signes de l’attaque à venir, et contre-attaquer. Une traversée sur le fil, sans la moindre marge d’erreur. Mais c’était son unique chance de l’emporter.
— …Ngh…
Facile à dire. Mais en pratique, la difficulté était telle qu’elle lui donnait la nausée. Il enrageait de n’avoir que deux yeux. Peu importait à quel point il les ouvrait, cela ne semblait jamais suffisant pour suivre des mouvements d’un tel niveau.
— Tu vois, c’est une mauvaise habitude.
Il se concentra si fort que ses oreilles se mirent à bourdonner et l’écho de cette voix lui revint en mémoire. Sa poitrine se serra. Il en eut presque envie de pleurer.
— Oh, ne fais pas cette tête. C’est pas grave. On a tous nos mauvaises manies. On ne peut pas les corriger aussi facilement, et le moment où tu crois les avoir effacées, c’est le plus dangereux. Ed est toujours un vrai désastre. Prenons notre temps, d’accord ?
Il se souvenait de ce moment. Il voulait faire ce qu’elle faisait, mais il n’y arrivait pas. Et c’était si frustrant, si décourageant… qu’il en avait pleuré. Les souvenirs affluaient, d’une clarté poignante. Sa main dans ses cheveux, la chaleur de sa paume.
— Mais, Noll, souviens-toi de ça. Quand un mage est vraiment en danger, il ne s’en remet pas à ses yeux, mais à son propre monde intérieur.
La voix de sa mère lui donna l’élan nécessaire. Sa tension se dénoua. Il détacha ses yeux de ce qu’ils voyaient et s’ouvrit à ce qu’il ressentait, laissant son être s’étendre dans cet espace qui lui appartenait. Il ne ressentait aucune peur. Et grâce à cela, il pouvait garder les yeux ouverts tout en détachant son esprit de la vision.
— Ah…
Dans cette conscience élargie, il sentit quelque chose de dur et de tranchant se mettre en mouvement. Ce ne furent ni ses yeux ni aucun de ses cinq sens qui le perçurent. Il n’avait besoin d’aucun organe sensoriel pour savoir ce qui se passait à l’intérieur de lui. Ce qu’un mage appelait son « moi », c’était l’ensemble de l’espace contenu dans son domaine.
— Si lente…
Son erreur lui apparut aussitôt. Il se déplaça vers cette sensation. De sa main gauche, il saisit le poignet d’Ames et écarta sa lame. De sa jambe droite, il pivota sur le côté, et trancha sa gorge. Nul besoin de réelle rapidité. Il fallait juste ressentir la chose.
Et ce fut seulement alors, en revenant à la perception visuelle, qu’il vit Ames amorcer son coup. Un frisson glacé lui parcourut l’échine. S’il avait compté sur ses yeux, il aurait regardé cette attaque droit dans les yeux, au moment même où la lame aurait traversé sa poitrine.
— …Splendide…
Un souffle, tout près de lui. Puis son corps s’effondra, mou, sur le sol. Ce ne fut qu’à cet instant que sa vision reprit ses droits, et qu’Oliver contempla la jeune fille qu’il venait de vaincre.
— Un art terrifiant, déclara-t-il solennellement. C’est une victoire dont je suis fier, Miss Ames.
Il éprouvait du respect pour son talent dans cet art magique et de la gratitude, pour lui avoir permis d’entendre à nouveau la voix de sa mère.
Avec Ames hors d’état de nuire, Oliver rejoignit Nanao en surface, et le combat s’acheva calmement. Privées de leur meneuse, les deux filles restantes ne purent opposer aucune résistance à l’équipe Horn et furent éliminées en moins de deux minutes. Mistral, quant à lui, gisait à moitié conscient du côté ouest du plafond. Tenant sa baguette à l’envers, il leva les mains, signe de reddition.
— Le match est terminé ! Trois équipes sur quatre éliminées, la victoire revient donc aux survivants, l’équipe Horn ! Malheureusement, une bonne partie du dénouement s’est déroulée hors de notre champ de vision, mais tous les participants se sont vaillamment battus ! Voilà un match digne d’inaugurer la ligue de combat !
Glenda, rayonnante, annonça la fin de l’épreuve.
— En effet, ajouta Miligan. — L’équipe Horn n’a cessé de contrecarrer les stratégies adverses, mais cela n’ôte rien à la qualité de ces dernières. L’équipe Liebert a bouleversé la topographie même du terrain avec son golem forteresse. L’équipe Ames s’est illustrée par ses assauts déstabilisants, et l’équipe Mistral par son usage des leurres et des transformations pour gagner du temps. Malgré la perte précoce du bras de Nanao, le déroulé du match a globalement joué en leur défaveur.
— Et pourtant, l’équipe Horn n’a jamais flanché, déclara Garland en croisant les bras. — Grâce à leurs réactions précises et à leur mobilité constante, ils ont empêché les autres équipes de s’unir. Si leur affrontement avec l’équipe Mistral ou leur échange de tirs avec l’équipe Liebert avait duré ne serait-ce qu’une minute de plus, l’équipe Ames aurait eu le temps d’intervenir et cela aurait pu leur être fatal.
Il jeta un coup d’œil en direction des invités, contraignant Whalley à rompre son silence morose.
— Je reconnais la pertinence des actions de l’équipe Horn. Mais j’ai du mal à ignorer qu’ils ont eux-mêmes compliqué les choses à plusieurs reprises. Plutôt que de jouer les équilibristes dans un trois-contre-un, pourquoi ne pas avoir noué une alliance pour équilibrer un peu le rapport de force ? Il me semble qu’ils ont fait preuve de suffisance en négligeant cet aspect.
— Hm, je ne pousserais pas aussi loin l’argument du marchandage en coulisses, répondit la Sorcière à l’œil de serpent. — La ligue a un côté festif, et ce genre de choses est toléré, mais si tous les matchs viraient aussi ouvertement à la combine, les organisateurs séviraient. La volonté de gagner est louable, mais il ne faut pas oublier que cette compétition est d’abord là pour confronter les techniques dans un esprit de bonne rivalité !
Whalley s’apprêtait à répliquer, puis se ravisa. Il comprit que tout ce qu’il pourrait dire à ce stade ressemblerait à de l’amertume mal dissimulée. Miligan, qui n’en perdait pas une miette, lui adressa son plus beau sourire. Elle avait elle-même entraîné l’équipe qui venait de triompher d’une rude épreuve, un résultat qui ne pouvait que servir sa campagne.
Le sauvetage des participants à terre se déroula sans encombre, et trente minutes après la fin du match, tous les élèves avaient regagné le bâtiment de l’école. Tandis que le campus bourdonnait de commentaires enfiévrés, Yuri se réveilla sur un lit dans la salle de repos.
— …Mm ? Où est-ce que je suis ?
— Tu t’es réveillé, Yuri !
Il plissa les yeux vers le plafond, puis se tourna pour découvrir ses camarades qui l’attendaient. Soudain lucide, Yuri se redressa d’un bond.
— Oliver, Nanao, alors… comment ça s’est fini ?!
— Les autres équipes ont toutes été éliminées, et on a gagné. Le combat a été rude du début à la fin.
Oliver poussa un long soupir. Yuri se hissa sur le bord du lit et lui fit face.
— Oh, donc vous avez gagné ? Alors, heu… vous avez vu ce truc que fait Miss Ames ? C’est trop stylé ! On dirait qu’elle ne bouge pas, mais en fait si, elle bouge… juste vachement lentement !
— Tu as percé sa technique à jour ?
— Je suis sidérée, dit Nanao en clignant des yeux.
Nanao cligna des yeux, tandis qu’Oliver restait bouche bée. Yuri venait de dévoiler, avec une désinvolture totale la botte secrète d’Ames. En termes simples, il s’agissait d’une forme d’illusion. Montrer à l’ennemi quelque chose d’erroné afin de le pousser à une réaction inadaptée, un grand classique. Mais le procédé utilisé ici allait bien plus loin.
En temps normal, on ne pouvait pas créer d’illusions aussi fines à l’aide de magie spatiale sans incantation. Même les leurres d’ombres employés par l’équipe Mistral nécessitaient au moins un sort simple, et leur manque de réalisme les rendait faciles à démasquer. Tout le monde savait que berner l’ennemi par illusion en plein duel magique relevait de l’exploit, raison pour laquelle cette stratégie était rarement employée. Mais la technique d’Ames venait bousculer toutes ces certitudes. Comment s’y prenait-elle ?
C’était simple : elle ne créait pas une illusion différente de la réalité. Elle ralentissait simplement la perception qu’avait son adversaire de cette réalité, jusqu’à la supplanter. Plus précisément, elle ralentissait la vitesse de la lumière de façon uniforme dans la zone de sa propre magie spatiale. Ainsi, son ennemi percevait ses mouvements avec un décalage d’une seconde, tandis qu’elle avançait lentement vers lui pour le transpercer. Si elle se déplaçait trop vite, les autres sens, l’ouïe, le souffle du vent, se déclenchaient et révélaient la supercherie. Quand Oliver avait murmuré « si lente », il fallait l’entendre littéralement.
Nanao le pressait d’explications, aussi Oliver résuma-t-il l’essentiel. Elle écouta avec un intérêt croissant, les yeux brillants, puis toucha du doigt la vraie question.
— Fascinant, fascinant. Mais alors, comment as-tu pu faire pour déjouer al chose, Oliver ? D’après ce que tu dis, tes yeux ne percevaient pas ses véritables mouvements.
— C’est vrai, mais je ne me fiais pas à ma vue. Tout mage possède un monde propre, une conscience innée de tout ce qui se trouve dans le champ de sa magie spatiale. J’ai suivi ses mouvements rien qu’avec cela. Quand on se passe de ses sens, on peut tout simplement savoir. Je suis sûr que vous l’avez déjà ressenti, tous les deux.
Oliver tendit les mains, désignant l’étendue. Ce sujet avait déjà été abordé, mais le concept qu’un mage se faisait de soi différait profondément de celui d’un humain ordinaire. Le trait le plus frappant en était cet « espace personnel » qu’ils possédaient tous. Il correspondait à la portée dans laquelle leur magie spatiale pouvait s’exercer, et pour eux, tout ce qui entrait dans cette zone faisait partie intégrante de leur être.
Naturellement, chacun est conscient de ce qui se passe en soi. Poussé à son extrême logique, cela signifie que l’on n’avait besoin d’aucun sens pour percevoir les choses à l’intérieur de cette sphère. La précision de cette conscience dépendait de chacun, mais elle peut être affinée avec de l’entraînement, jusqu’à permettre, au plus haut niveau, de compter les gouttes de pluie tombant derrière soi, comme savait le faire la mère d’Oliver.
— Le plus fort dans la technique d’Ames, ce n’était pas seulement l’effet de surprise dû au ralentissement de la lumière, reprit Oliver, — c’était que sa posture et ses mouvements laissaient croire à autre chose. En la voyant adopter une posture de type foudre, on s’attend forcément à une estocade ultra-rapide et tout mage normalement constitué se met alors à hyperfocaliser pour tenter de repérer un indice avant que le coup ne parte. Et c’est là que le piège se referme. Puisque sa magie ralentit littéralement la lumière, peu importe combien vous ouvrez les yeux, vous ne la verrez jamais bouger. Quand vous réalisez enfin ce qui se passe, elle vous a déjà transpercé.
Et sur ces mots s’acheva son exposé. Nanao semblait plus exaltée que jamais. Elle brûlait d’envie de l’assaillir de questions sur Ames et leur duel, mais Oliver leva la main pour l’interrompre.
— Une seconde, Nanao. Revenons un instant en arrière, dit-il en se tournant vers Yuri. — Je ne comprends pas, Leik. Si tu connaissais le fonctionnement de la technique de Miss Ames… pourquoi est-ce que tu t’es fait avoir ?
— Huh, ben… J’étais tellement impatient de voir ce que ça allait donner que j’ai complètement oublié d’esquiver. Désolé !
— Tu as oublié ?! Et tu crois qu’un « désolé » suffit ?! Tu as une idée du cauchemar que ça a été sans toi ?!
Oliver était prêt à lui passer un sacré savon, mais à ce moment-là, la porte de l’infirmerie s’ouvrit à la volée. Chela aperçut tous trois dans le coin de la pièce et son visage s’illumina.
— Nanao ! Oliver ! Mr. Leik ! Belle victoire !
— Oh, Chela !
— Whoa…
Avant même qu’ils aient le temps de lui répondre, Chela les avait déjà tous deux serrés dans ses bras. Elle était plus démonstrative qu’à l’accoutumée, et Yuri la regardait avec un air intensément jaloux.
— La chance ! Chela, moi j’ai pas droit à un câlin ?
— Peut-être dans deux ans, j’y réfléchirai, répondit-elle en se frottant les joues contre celles de ses amis.
Il lui fallut près d’une minute avant d’être satisfaite. Lorsqu’elle relâcha enfin son étreinte, elle se tourna vers Yuri.
— Cela dit, tu t’en es très bien sorti. Tu as éveillé ma curiosité. Quel entraînement te permet de bouger comme ça ?
— Heu, quelques trucs, mais… tu sais, bien manger, jouer à fond, dormir beaucoup !
Yuri lui adressa un pouce levé rayonnant.
— Je ne t’ai pas demandé le secret d’une bonne hygiène de vie, soupira Chela.
Impossible de dire s’il jouait les imbéciles ou s’il l’était vraiment. Dans le doute, elle renonça à tirer quoi que ce soit de lui et se tourna de nouveau vers ses amis.
— Si vous n’êtes pas blessés, allons vite retrouver nos places. Le prochain match va commencer.
— Oui, c’est l’équipe de Katie, non ?
Oliver hocha la tête. Leur affrontement était terminé, mais celui de leurs amis ne faisait que commencer.
— …J-je suis en train de stresser…
L’heure approchait. Dans la salle d’attente, Katie joignait nerveusement les mains.
— Détends-toi ! lança Guy en lui tapotant les épaules. — On est là pour s’amuser. Et puis, tout le monde est plus fort que nous, non ?
— Je ne suis pas aussi catégorique, répliqua sèchement Pete, les yeux rivés à ses outils magiques. — Mages, équipes, mêlée générale… La force dont il est question ici ne se résume pas si facilement.
— …Haha, t’as drôlement changé, toi, dit Guy en lui ébouriffant les cheveux.
Pete le repoussa d’un geste agacé. À ce moment, un aîné posté près de la porte les appela d’un signe de la main. Les trois se regardèrent brièvement.
— Bon, allons-y, dit Katie.
— Yep.
— Allez ! On va tout défoncer !
Ils croisèrent leurs athamés, puis plongèrent dans le tableau au fond de la salle. Quelques secondes d’obscurité… et leurs pieds foulèrent un terrain mou. L’air sentait l’humidité. Tous trois ouvrirent les yeux, découvrant le décor : des herbes hautes couvraient le terrain, et de l’eau entourait les îlots sur lesquels ils se trouvaient.
— C’est…
— Plutôt bucolique ! s’exclama Guy.
Katie, elle, courut directement jusqu’au bord de l’eau et s’agenouilla. Le clapotis des vagues était doux. L’eau, limpide et profonde. Elle en prit une poignée et la goûta.
— …Eau douce.
— Tous les participants sont désormais en place, et c’est parti pour le deuxième match ! Aujourd’hui, on s’affronte dans la zone du lac ! Un amas d’îles flottantes sur un grand plan d’eau ! Comme toujours, nous retrouvons l’instructeur Garland pour les commentaires… et nos nouvelles invitées : Miss Ingwe et Miss Albschuch !
Là où Miligan et Whalley siégeaient pendant le premier match, deux élèves plus âgées avaient désormais pris place. Lesedi Ingwe plissa les yeux en fixant le champ de bataille retransmis à l’écran, l’air peu convaincu.
— …Je suis pas fan de cette carte. Les deuxième année ne connaissent pas encore la Marche sur le Lac. C’est un gros désavantage.
— Ne fronce pas les sourcils comme ça, Lesedi. Ça ruine tes traits charmants.
Cette remarque moqueuse venait de Khiirgi Albschuch, une elfe de septième année. Elle s’attira pour tout remerciement une prise en tenaille sur la mâchoire.
— Silence. Ne parle plus. Ne respire plus. Ne cligne même plus des yeux. Que ton cœur cesse de battre.
— Heu… on tient quand même à ce que nos invitées participent au commentaire ! se lamenta Glenda depuis sa cabine.
Lesedi renifla et relâcha Khiirgi. Garland, quant à lui, choisit de répondre à la remarque initiale.
— L’inquiétude de Miss Ingwe est légitime, et nous l’avions anticipée. Nous avons mis en place un petit quelque chose pour compenser cet écart entre les années.
Sur ces mots, il leva sa baguette blanche. Sa voix se répercuta sur l’ensemble du champ de bataille.
— Ici Garland depuis la cabine des commentateurs. Vous m’entendez, participants ?
L’équipe de Katie tendit l’oreille à la voix venue du ciel. Garland marqua une courte pause, puis poursuivit :
— Comme vous pouvez le voir, cette manche se déroule dans une zone aquatique. C’est un avantage colossal pour les élèves de troisième année, car ils ont déjà maîtrisé la Marche du Lac, et peuvent donc se déplacer sur l’eau. Alors, comment avons-nous rééquilibré les choses ?
Il répondit lui-même à sa question.
— Les eaux autour de vous sont peuplées de créatures magiques. Elles prennent toutes sortes de formes et de tailles, et certaines sont enclines à attaquer les humains. Mais ces bêtes dangereuses ont toutes été entraînées à attaquer uniquement les élèves de troisième année. Elles ne représentent aucune menace pour les deuxième année.
Pete émit un son pensif, la main sur le menton. C’était un sacré handicap. Cela permettait aux plus jeunes de se concentrer sur le combat, tandis que les aînés devaient rester constamment sur leurs gardes contre la faune enragée.
— Comme tous les combattants ici présents, ces créatures sont sous l’effet d’un sort d’atténuation. Mais leur dressage sera le seul véritable désavantage pour ce match. À vous d’en tenir compte pour déterminer votre chemin vers la victoire. C’est tout pour moi. Que le combat soit glorieux.
La voix de Garland s’effaça, laissant le terrain dans un silence tendu. Guy se dissimula rapidement dans les broussailles proches et chuchota :
— Ça y est, hein ? Rien à voir avec le terrain d’Oliver, c’est clair.
— D’abord, faut repérer les lieux.
Un grand classique. Pete sortit des golems éclaireurs de sa robe et les libéra dans les airs. Tandis que ceux d’Oliver ressemblaient à des oiseaux, ceux de Pete ressemblaient davantage à des sauterelles. Ils s’éparpillèrent, explorant toute la zone en quelques minutes. Pete esquissa une carte flottante dans les airs avec sa baguette, tout en expliquant oralement à son équipe :
— On est dans le nord-ouest. Une des six îles du lac. Y a un peu de brume, mais rien qui gêne la visibilité. Aucun signe d’ennemis.
— Si personne n’est proche, rien ne presse. Pete, tu peux vérifier sous l’eau ? demanda Katie, les yeux rivés sur la surface.
Pete afficha un large sourire.
— Tu sais bien que mes golems sont amphibies !
Sur son ordre, deux des trois golems changèrent de trajectoire, plongeant dans l’eau. En une fraction de seconde, leurs ailes se rétractèrent et laissèrent place à des nageoires, leur permettant de fendre les eaux comme de véritables poissons. Une configuration spécialisée que Pete avait conçue dans le cadre de ses études en ingénierie magique.
Leur champ de vision n’était pas aussi précis que dans les airs, mais l’eau était claire, et la visibilité restait acceptable. Tandis qu’ils exploraient les fonds, Pete tendit sa baguette blanche à la fille à ses côtés.
— Pose ta baguette contre la mienne, Katie. Je vais te transmettre ce qu’ils voient.
— D’accord.
Elle posa sa baguette contre la sienne, laissant les deux flux visuels l’envahir. Les perspectives multiples lui donnèrent brièvement le vertige, mais elle s’était entraînée. Katie ferma les yeux un instant, s’immergeant dans les deux points de vue.
— …Œufs de grenouille à deux bosses… un banc de poissons-lances… une forêt d’algues à épines… un serpent d’eau à six yeux dissimulé à l’intérieur. Okay, okay, je vois le truc…
En observant l’écosystème, Katie hocha la tête. Vingt secondes plus tard, elle rouvrit les yeux et annonça sa conclusion.
— …C’est à coup sûr l’œuvre du professeur Vanessa. Tout dans la conception de cette carte correspond à ses goûts.
— Huh. T’arrives à deviner ça avec si peu ? demanda Guy.
— Ça fait deux ans qu’on se dispute régulièrement, fit Katie en grimaçant. — Mais au moins, aujourd’hui, ça paie. Je vais vous expliquer comment ce terrain va jouer en notre faveur.
— Whoa…
Sous les yeux de ses coéquipières, Dean posa prudemment un pied sur la surface… et s’enfonça aussitôt, éclaboussant l’eau autour de lui. Il regagna vite la terre ferme.
— …Ça suffit, dit Teresa. — J’ai compris.
— A-attends ! Encore un essai !
— Laisse tomber, Dean. Moi non plus, j’y arrive pas, dit Rita.
La plupart des deuxième année n’avaient pas encore appris à marcher sur l’eau. Dans leur équipe, seule Teresa y parvenait. Cela limitait lourdement leurs mouvements. Rita croisa les bras, réfléchissant à voix haute.
— Si on peut pas marcher sur l’eau, ça complique les choses. Au pire, Teresa peut y aller seule…
— Pas de souci pour moi. Mais vous serez éliminés aussitôt, lança Teresa avec un ricanement.
Dean resta à fixer ses chaussures trempées avec une moue résignée, puis, quelques secondes plus tard, il pivota brusquement et plongea de nouveau.
— Dean ? fit Rita, clignant des yeux.
Il refit surface dans un nuage de bulles, seul son visage dépassant de l’eau.
— Si on ne peut pas marcher dessus… alors on n’a qu’à nager. Moi, je sais nager !
Teresa et Rita échangèrent un regard. Il n’avait pas tort. C’était une solution comme une autre.
Pendant ce temps, Andrews, Rossi et Albright avaient terminé leur reconnaissance et se mettaient déjà en route.
— On les balaie dans le sens des aiguilles d’une montre. Des objections ? dit Andrews.
Un plan on ne peut plus simple. Ses coéquipiers haussèrent les épaules.
— Comme tu veux. C’est pareil dans l’autre sens.
— Je m’insurge ! L’inverse est objectivement supérieur !
Andrews ignora les élucubrations de Rossi et ouvrit la marche. Les deux autres le suivirent comme en promenade par beau temps.
— Pas besoin de subtilités, déclara Andrews. — On les trouve, on les bat, terminé.
L’équipe Andrews s’étant mise en mouvement avant les autres, l’agitation gagna les gradins.
— Whoa ! L’équipe Andrews passe déjà à l’action ! C’est la seule à ne pas se cacher ! Quelle audace !
— Ils savent qu’ils sont les plus puissants ici. Ce genre d’assurance, c’est typique.
— En effet ! Et nos invités, qu’en pensent-ils ? lança Glenda.
Les bras croisés, Lesedi déclara :
— Je suis d’accord avec le maître. La seule chose qui étonne, c’est que Mr. Andrews soit le chef d’équipe. J’aurais parié sur Mr. Albright.
— Ha-ha. Pas si vite, souffla Khiirgi. — Son regard aujourd’hui me plaît. Il me donne envie de lui lécher la gorge.
Résistant de justesse à l’envie de lui coller un coup de coude, Lesedi se contenta de reculer sa chaise d’un cran.
Une progression méthodique, dans le sens des aiguilles d’une montre, pour écraser les adversaires rencontrés, la stratégie d’Andrews ne passa pas inaperçue.
— …Regardez-moi ça.
Le premier malchanceux à croiser leur chemin fut une équipe de troisième année dirigée par Marcus Bowles. Il avait des golems en surveillance, mais les voir à l’œil nu rendait la menace bien réelle.
— Merde, déjà l’équipe Andrews…
— Pas besoin de se cacher, hein ? Sacré arrogance.
Les trois étaient tapis dans les fourrés au bord de l’eau. L’équipe Andrews passa à une centaine de mètres. Ils se mirent à les suivre.
— On reste planqués et on les suit. Dès qu’ils se battent avec quelqu’un d’autre, on balance nos sorts.
— Et on les fait bien souffrir. Je veux les entendre hurler.
— Crétin. Avant ça, faut aligner les bons éléments sinon ils…
Mais alors que Bowles soupirait face à tant de stupidité, Andrews dégaina son athamé.
— IMPETUS !
Il ne se retourna même pas. Le sort fusa, tiré à l’aveugle, et couvrit sans effort les cent mètres, percutant de plein fouet les buissons où se cachait l’équipe Bowles.
— Gah — !
— Hein ?
— Attends… !
C’était d’une facilité déconcertante. L’impact suffoquant coupa le souffle à l’un des membres de l’équipe qui s’effondra, inconscient. Tandis que les deux autres restaient figés de stupeur, une salve de sorts explosifs s’abattit dans la foulée. Le sol sous leurs pieds explosa, et leurs esprits finirent enfin par rattraper la réalité.
— I-Ils nous ont repérés !
— Merde, on dégage !
— Quelle vitesse ! Mr. Andrews a déjà éliminé Mr. Quark de l’équipe Bowles ! Visiblement, il ne s’était pas rendu compte qu’on l’avait repéré, et il n’a pas esquivé à temps !
— Mr. Andrews a bien joué la comédie avant de tirer, mais le véritable atout ici, c’est la reconnaissance de Mr. Albright, ajouta Garland. — Je n’avais jamais vu ce familier-là…
L’image se figea, zoomant sur un minuscule insecte. Les gradins s’agitèrent.
— Des abeilles… de très petite taille.
— Magnifiques, s’émerveilla Khiirgi. — Elles se fondent parfaitement dans l’écosystème. Deux ou trois qui bourdonnent autour de vous, et vous ne les remarquez même pas.
— Plus un familier est petit, plus il est difficile à repérer, confirma Garland. — Mais à cette taille, les capteurs embarqués sont très limités. Mr. Albright compense cela en déployant des dizaines, non, des centaines d’individus. Il compile toutes leurs données pour localiser les ennemis.
— Une reconnaissance transcendantale ! Ce n’est pas pour rien qu’il vient d’une lignée célèbre de chasseurs de Gnostiques ! Les autres équipes vont avoir bien du mal à se cacher !
Le bruit de la magie d’Andrews, qui venait de terrasser un adversaire, parvint bientôt aux oreilles de l’équipe de Katie. Pete, chargé de la reconnaissance, leva les yeux au ciel. Tous se tournèrent vers lui.
— Ça venait de l’équipe d’Andrews. Ils traversent l’île nord-est.
— Ils se baladent à découvert ? Voilà une belle occasion. On devrait s’approcher discrètement.
— Bouge pas !
Guy allait franchir les fourrés quand le sifflement de Katie l’arrêta net. Elle fixait les airs devant elle.
— Je viens de voir une abeille venir de leur direction. Peut-être que je me fais des idées, mais…
— Une abeille ?
— Pas du coin, je suppose ?
— Les abeilles aussi petites ne volent pas si haut. Et regarde autour : tu vois des fleurs à butiner, toi ?
Pete et Guy examinèrent leur environnement, et non, il n’y avait pratiquement aucune fleur. Mais ils ne l’auraient jamais remarqué sans l’œil affûté de Katie. Rien que sur sa seule analyse de l’écosystème, Pete se concentra sur ce que pouvaient être ces abeilles.
— Des familiers de la taille d’une abeille, c’est difficile à utiliser… mais Albright en serait bien capable. Je sais de source sûre qu’il a déjà employé une abeille piqueuse.
— Maaaais… on va pas rester planqués pour toujours, non ? Alors, on bouge comment ?
— Les abeilles ont une mauvaise vision. Il suffit de se déplacer quand elles ne sont pas directement sur nous. Soyez ultra attentifs à ce qui vous entoure, et maîtrisez votre flux de mana.
Tous trois acquiescèrent, se mirent en mouvement avec prudence. Pendant ce temps, les golems éclaireurs de Pete continuaient de suivre les autres équipes, relayant ce qu’ils voyaient.
— …L’équipe Andrews est de l’autre côté de l’île. Toujours à découvert. Ils semblent avancer dans le sens d’une aiguille d’une montre et éliminent tout sur leur chemin, fidèle à eux-mêmes.
— Parfait, qu’ils viennent ! On les attend de pied ferme.
— Ne fonce pas tête baissée, Guy, prévint Katie. — Il faut les prendre en embuscade. Depuis une position avantageuse.
Avec tous les éléments en tête, leurs compétences, l’adversaire, la configuration du terrain, l’écosystème, Katie élabora un plan. Le monde qu’elle percevait dans son coin menait à des idées qu’elle seule pouvait avoir.
— …Très bien. Je crois que j’ai un plan. Écoutez-moi bien, les garçons.
Environ cinq minutes plus tard, l’équipe Andrews marcha sur l’eau en direction de la prochaine île et aperçut trois silhouettes qui les attendaient.
— Hm.
Ils étaient encore loin, mais ce trio était reconnaissable entre mille. Katie, Guy et Pete, tous visiblement prêts à en découdre.
— Oh là ! siffla Rossi. — Je m’attendais à ce qu’ils se cachent.
— Hmph. Vu leurs expressions, ce sera un meilleur affrontement que les minables d’avant.
Albright sourit. Des incantations retentirent depuis les falaises au loin et, l’instant d’après, l’eau explosa sous ses pieds. Naturellement, la cabine des commentateurs ne manqua pas l’éclatement des hostilités.
— L’équipe Aalto attaque celle d’Andrews alors qu’ils traversent le lac ! Quelles sont leurs chances ?
— Plutôt bonnes. Leur timing est excellent : l’équipe Andrews doit consacrer une part de son mana à la Marche du Lac. L’équipe Aalto, restée à terre, conserve l’avantage en puissance de feu. L’équipe Andrews va vouloir regagner la rive au plus vite, mais l’équipe Aalto l’a anticipé et tire des sorts explosifs à proximité. Les vagues provoquées compliquent encore la Marche, ralentissent leurs mouvements, et siphonnant leur mana.
Garland détaillait les fondements tactiques de cette attaque. Contre un adversaire supérieur, il était crucial d’imposer le rythme et d’accumuler tous les avantages possibles.
— Et une fois ralentis, l’équipe Aalto maintient une pluie de sorts. Ils peuvent tenter des sorts opposés, mais avec un appui instable, viser avec précision devient difficile. Et s’ils esquivent, ils agitent encore plus l’eau. Même l’équipe Andrews ne s’en sortira pas facilement.
— L’équipe Aalto tire merveilleusement parti du terrain ! Peut-être l’assaut frontal d’Andrews était-il mal avisé !
Mais malgré les eaux agitées, l’équipe Andrews encaissait l’assaut sans sourciller.
— Je pars à droite.
— Alors j’irai à gauche !
Sur ce simple échange, ils se séparèrent. Ensemble, les vagues les touchaient tous. Séparés, chacun était moins affecté. L’évidence tactique que l’équipe Aalto avait anticipée.
— Séparation ! cria Katie. — Albright part à gauche, Rossi débarque à droite !
— Ouais, je m’y attendais, répondit Guy avec un sourire.
Il entama son incantation. Ses sorts frappèrent deux zones précises de l’île, là où, selon la topographie, leurs adversaires étaient les plus susceptibles d’arriver. À ces endroits, des arbres surgirent : des plantoutils que Guy avait placées à l’avance, prêtes à croître au moment opportun. Rossi et Albright virent leur avancée stoppée par des ronces épaisses.
— …Hmm.
— Oups. Ils nous avaient repérés.
Aucun ne semblait enchanté. Contourner ou brûler les broussailles leur coûterait du temps et tant qu’ils s’y heurtaient, l’équipe Aalto pouvait concentrer ses tirs sur Andrews. Seul, ballotté par les vagues, il semblait une cible de choix.
Mais la suite, personne ne l’avait anticipée.
Andrews plongea la main dans sa robe et en sortit une planche bien vernie haute comme lui. Il la laissa tomber à la surface de l’eau et monta dessus.
— IMPETUS !
Le sort s’activa et son corps fusa au-dessus du lac. Le vent dans le dos, il fendait l’eau à toute vitesse. Tous les sorts lancés contre lui retombaient loin derrière. Les vagues, au lieu de le ralentir, renforçaient encore son élan. L’équipe Aalto resta bouche bée.
— …?!
— C’est quoi, ça… ?! Il surfe ?!
— Ne relâchez rien ! Continuez à tirer ! hurla Pete.
Mais leur tir de barrage fut vain. Andrews virevoltait à gauche et à droite, se jouant de toutes les attaques et approchait de l’île.
— Wooooooow ! Mr. Andrews abandonne la Marche du Lac pour le surf ! Il esquive agilement les sorts et fonce vers la berge !
La foule était en délire. Garland, les yeux fixés sur l’écran, hocha la tête.
— Ah, intéressant. Cette méthode est en effet bien plus efficace quand les eaux sont agitées. Mais il faut être sacrément doué en magie du vent pour réussir un coup pareil.
— Et la réputation de Mr. Andrews n’est plus à faire ! Quelle sera la réponse de l’équipe Aalto ?
Non loin de l’île, Andrews avait ralenti, maintenant une distance prudente, tout en esquivant les tirs. À ce stade, l’équipe de Katie avait parfaitement compris à quel point il était difficile à toucher.
— Tellement rapide…
— Même si on le touche, ça ne suffira pas à le mettre hors-jeu.
— Repliez-vous vers le centre de l’île ! Vite, avant qu’ils atteignent la rive !
Ils abandonnèrent l’échange de tirs et battirent en retraite. Les barricades dressées autour de l’île volèrent en éclats, et deux silhouettes émergèrent des arbres de Guy.
— Quelle plaie.
— Ah… la terre ferme, quel délice !
Enfin libérés de l’obstacle, Albright et Rossi mirent pied à terre. Andrews atteignit la plage en face et descendit de sa planche.
— Tu fais du surf ? Faudra m’apprendre, lança Rossi en souriant.
— Moins polyvalent que ça en a l’air. Les balais restent plus rapides, répliqua Andrews sans s’attarder.
L’équipe de Katie s’était repositionnée au centre de l’île. Il s’arrêta à une cinquantaine de mètres.
— Nous avons éliminé notre désavantage. Désolé, Miss Aalto, mais cela ne durera pas.
— …Je n’en suis pas si sûre, répondit-elle.
Andrews et Rossi levèrent leurs athamés pour attaquer, mais soudainement, des colonnes d’eau jaillirent derrière eux, suivies de pas lourds.
— …Hmm ?
— Hein ? C’est une blague ?!
Ils se retournèrent précipitamment. Hauts de plus de deux mètres, gueules hérissées de crocs. Une dizaine de bêtes, semblables à des crocodiles marchant sur deux jambes, quittaient les eaux.
— Quoi ?! Les megaligators[2] remontent à la surface ! L’équipe Andrews se retrouve prise en tenaille entre eux et l’équipe Aalto ! Ils n’ont rien vu venir !
— Bravo, Miss Aalto. Une lecture du terrain exemplaire, dit Garland, visiblement impressionné. — Elle comprend clairement plus que quiconque la logique de cette carte.
Observant la magifaune derrière l’équipe Andrews, Katie murmura :
— Quand on écoute bien en biologie magique et qu’on observe l’environnement, on peut deviner… quel est le prédateur suprême sur cette carte.
— Tch…
— PROGRESSIO !
Alors qu’ils tentaient de forcer le passage par le centre, un sort de Guy frappa le sol. Une autre barrière de bois surgit. Ils avaient toujours prévu d’encercler leur proie, et Guy avait semé ses plantoutils en conséquence. Depuis l’abri végétal, il cria :
— Pas de chance, mais on ne compte pas se battre à la loyale.
— C’est ainsi que nous combattons. Aussi loin que cela nous mènera.
Incapables d’avancer ou de reculer, l’équipe Andrews se retrouva sous un nouveau déluge de sort tandis que les bêtes les chargeaient par-derrière.
— Ha-ha ! Pas mal du tout ! lança Rossi, esquivant une mâchoire féroce. — Vous n’avez pas passé tout ce temps avec Oliver ou Nanao pour rien.
Même en parlant, il lança un sort dans la gueule béante d’un monstre. L’électricité parcourut la bête, qui s’effondra, inconsciente. Une autre sauta par-dessus elle. Rossi la repoussa d’un coup de talon au menton et s’en servit comme bouclier contre un sort de Guy.
— …Mais nous non plus, on n’a pas chômé. Si vous croyez qu’un simple tour de passe-passe va vous donner l’avantage… vous vous trompez lourdement.
Un brin de vantardise, assurément.
— Je me charge de la défense contre les sorts, dit Andrews. — Occupez-vous des créatures.
— Juste une bande de nuisibles. Ça ne prendra pas longtemps.
Albright n’était pas plus inquiet que Rossi, jusqu’à ce qu’un petit être surgisse de la mêlée. Il fonça droit à sa gorge, et Albright esquiva de justesse. Il se retourna, mais l’intrus s’était déjà fondu dans le groupe. Il n’aperçut qu’une jeune fille minuscule.
— TONITRUS !
Un sort jaillit d’une direction inattendue, pas celle de l’équipe Aalto. Il l’annula d’un sort d’opposition élémentaire et ricana.
— Encore des inconnus qui s’invitent. Ça devient légèrement agaçant.
Le public voyait clairement les trois équipes engagées.
— L’équipe Carste était restée sous l’eau tout ce temps. Ils ont émergé en même temps que les megaligators et se sont joints à la mêlée ! Ils exploitent pleinement l’immunité des deuxième année face aux bêtes !
— Si c’était pour intervenir, c’était le moment. Je parie que l’équipe Aalto s’était préparée à cette éventualité. Il était crucial qu’ils frappent avant que l’équipe Andrews ne fasse une victime. Leur position est bonne. L’équipe Andrews encaisse de tous les côtés.
Garland admirait la stratégie. Mais en observant l’évolution du combat, son expression se durcit. Depuis le début de l’encerclement, la moitié des bêtes avait été abattue…
— Et ils n’ont pas flanché… Tous trois sont vraiment redoutables.
Même parfaitement piégée, l’équipe de Katie n’avait pas réussi à réduire le nombre de ses adversaires. Cela commençait à les atteindre. Heureusement, la barrière leur procurait un peu de sécurité. Mais les premiers en difficulté furent les deuxième année alliés aux mégaligators
— …Hah… hah… !
En particulier : Rita. Rester dissimulée et frapper à la volée, c’était le style de Teresa, pas le sien. Elle tenait grâce à l’habileté de sa coéquipière, qui détournait l’attention. Mais seule, elle aurait été repérée depuis longtemps. Et cet instant approchait. Moins il restait de bêtes, moins il y avait de cachettes.
Elle était à bout. Et alors qu’elle le sentait, Albright esquiva une attaque de Teresa, perdit l’équilibre, laissant son dos exposé. Son amie venait de lui offrir une ouverture en or. Rita ne pouvait pas la laisser passer.
— …Maintenant… !
La distance était idéale. Jusqu’ici, ses sorts avaient été bloqués, alors elle surgit d’entre les créatures, lame en avant, certaine de l’avoir. Mais son athamé s’arrêta net, et un coup puissant la frappa au ventre.
— Je t’ai eue, souffla Albright, le regard froid.
— Gah… ?!
Un coup de pied retourné, le mouvement dissimulé sous les plis de sa robe, exactement le même qu’Oliver lui avait jadis infligé. La technique de la Queue Furtive du style Lanoff. Il avait sciemment exposé son dos pour piéger son adversaire.
— IMPEDIENDUM ! Hmph. La plus grande aurait été plus facile à porter, mais tant pis.
Le sort de suivi mit immédiatement Rita hors de combat. Il la saisit d’une seule main et la projeta vers les bêtes. Celles-ci reculèrent, instinctivement, incapables de s’en prendre à une élève de deuxième année. Elle faisait désormais office de bouclier. Mais ce geste suscita une réaction inattendue.
— Quoi ?! Espèce d’enfoiré ! Lâche Rita !
— Augh ! Guy, non !
Incapable de supporter la scène, Guy brisa les consignes de son équipe, franchit la barrière et se rua sur Albright. Utiliser une camarade comme bouclier, c’était au-delà de ses limites. Surtout Rita, qu’il protégeait depuis le début.
— Hmph.
Alors qu’il chargeait, Albright lui lança le corps inanimé de Rita. Guy ne pouvait l’éviter. Il la rattrapa d’un bras, et quelque chose le frappa dans le dos.
— Très noble, oui, murmura Rossi à son oreille. — Mais aussi très stupide. Tu es en combat, souviens-toi.
— …Rossi, espèce de… salaud…
Ce fut tout ce qu’il put dire avant de tomber, toujours serrant Rita contre lui.
— C’était brutal ! Mr. Albright a transformé une deuxième année inconsciente en bouclier contre les bêtes ! Mr. Greenwood n’a pas supporté la chose et a sauté par-dessus la barrière pour la défendre… et s’est fait expulser sans pitié ! Il est éliminé !
— Les créatures magiques ne peuvent pas attaquer les deuxième année, donc cela ne viole pas la règle contre la cruauté gratuite. En combat réel, cette tactique serait même pertinente. L’acte de Mr. Greenwood est louable sur le plan humain… mais tactiquement, une erreur flagrante.
Les paroles de Garland étaient sévères. Et il percevait un basculement net dans le combat.
— Moins d’adversaires, moins de pression. Ils ne sont plus vraiment encerclés. L’équipe Andrews s’en sortira.
Guy et Rita étaient hors-jeu, et il ne restait plus qu’un tiers des megaligators. L’équipe Andrews n’avait plus à rester au centre.
— Assez. Prochaine île.
— Hmph.
— Comme vous voudrez !
Brisant les lignes, ils filèrent vers le nord-ouest, franchissant la falaise pour plonger dans les eaux. Mais à peine avaient-ils atterri que deux sorts explosifs jaillirent, non pas derrière, mais depuis l’île suivante, où deux silhouettes se tenaient sur la rive.
— Ils sont sérieux ? À quoi bon s’inviter si tard ?
— Des lâches sans intérêt.
Rossi et Albright les regardèrent avec mépris. L’équipe Bowles, réduite d’entrée, revenait à la charge, mais trop tard. L’opportunité avait été manquée. Traversant les flots agités, les trois mages ne percevaient aucune menace.
— Hm ?!
Mais une main surgit de l’eau, agrippa la cheville d’Albright. Malgré sa force physique et sa Marche du lac, les vagues l’empêchèrent de résister plus de quelques secondes, juste assez pour que les attaques suivantes le touchent.
— FRAGOR !
— FRAGOR !
Katie et Pete, restés en embuscade en haut de la falaise, lancèrent leurs sorts. Rossi et Andrews esquivèrent de justesse, mais Albright, maintenu par la cheville, ne le pouvait pas.
— Tch.
Il abandonna la lutte et se laissa entraîner sous l’eau avant que les sorts ne le frappent. Deux colonnes d’eau jaillirent, et la houle déséquilibra Rossi et Andrews, offrant une brèche à ceux restés sur la hauteur.
— Maintenant !
Katie, Pete et Teresa activèrent tous trois la Marche Murale et se lancèrent dans la descente de la falaise. Les sorts explosifs avaient agité l’eau comme pas possible, mais la paroi, elle, restait stable. Ils bénéficiaient d’un meilleur appui. Et ils pouvaient lancer des sorts en courant, tandis que le retour brutal des vagues empêchait Rossi et Andrews de viser avec précision. En théorie, du moins.
— …IMPETUS !
— ?!
— Hein ?!
— !
L’incantation d’Andrews déclencha une bourrasque de vent qui frappa les coureurs dans le dos. Il ne se contentait pas d’émettre un souffle magique, il invoquait les courants atmosphériques eux-mêmes, déchaînant des rafales depuis le sommet de la falaise. Katie tenta tant bien que mal de s’agripper à la roche, incapable de viser quoi que ce soit.
— Raaahhhh !
— Hah !
Pete et Teresa prirent une autre option. Ils se laissèrent emporter par le vent, se projetant depuis la falaise droit sur Rossi et Andrews. Les vagues déséquilibraient Rossi, qui basculait vers l’arrière. Pete engagea sa Charge héroïque du style Rizett
— Whoop !
Mais juste avant que sa lame n’atteigne sa cible, une douleur fulgurante lui transperça le ventre. Rossi, plié en arrière, paumes à plat sur l’eau, venait de l’envoyer valser d’un coup de pied au creux du ventre.
— Gah… !
— Dommage, Pete. Mon ancien moi n’y aurait pas survécu.
Marcher sur l’eau sur les mains, sur des vagues agitées, et décocher un tel coup à un adversaire en vol deux gestes qui demandaient du cran, et un talent hors du commun. Pete s’écrasa sur le dos et coula sous la surface.
— Ngh… !
— Pas mal… Tu dois être l’as des deuxième année.
Teresa, quant à elle, avait enchaîné deux feintes dans un coup… qu’Andrews para aisément. Elle recula, cherchant une ouverture. Son adversaire restait de marbre.
— Mais si ton premier coup échoue, tu as perdu ta seule chance.
Alors même qu’il parlait, Teresa tenta de repartir à l’assaut, et un éclair la frappa dans le dos.
— Guh… !
Elle s’effondra à la surface de l’eau. L’homme qui l’avait abattue se trouvait derrière elle, à demi immergé.
— Il m’a vraiment entraîné sous l’eau… Ce minus a du cran, grogna Albright, remontant aussitôt pour reprendre sa Marche du lac.
À côté de lui flottait un autre deuxième année, Dean, désormais inconscient. Son attaque-surprise l’avait brièvement tiré sous la surface, mais ce n’était pas suffisant pour rétablir l’équilibre.
— Pete ! hurla Katie, sautant de la falaise.
Elle courut vers l’endroit où Pete flottait et le ramena à la surface. Ils auraient pu l’intercepter, mais l’équipe Andrews n’en voyait plus l’intérêt. Ils attendirent que les deux survivants de l’équipe Aalto soient debout, puis levèrent leurs athamés.
— C’était plus amusant que je ne l’aurais imaginé. Reviens me défier, Pete, une fois que tu te seras bien entraîné.
— …Espèce de…
Mais le défi d’Albright était aussi un adieu. Trois sorts fusèrent en même temps. Sans aucun moyen d’y résister, Katie et Pete furent neutralisés.
— Oh ! Mr. Reston et Miss Aalto sont éliminés ! Ils ont tenu jusqu’au bout, mais voilà qui met fin à l’équipe Aalto et à l’équipe Carste !
— Ils ont commis leurs erreurs, mais les deux équipes ont livré une prestation solide. Cette victoire, on la doit avant tout à la capacité de l’équipe Andrews à tenir bon face à la tempête.
Garland résumait déjà le combat avant même la fin officielle. Pendant qu’il parlait, l’équipe Andrews se rendait rapidement sur l’île suivante et éliminait sans effort les survivants de l’équipe Bowles. Lorsque le signal final retentit, Glenda officialisa les résultats.
— Et les deux derniers membres de la dernière équipe sont éliminés ! L’équipe Andrews remporte la victoire, sans perdre un seul membre !
Ce soir-là, la Rose des Lame s’étaient réunies dans leur quartier général. Tous avaient livré de rudes combats.
— Oliver, Nanao, Chela, bravo pour votre qualification en finale ! Dommage que notre équipe ait perdu… Raaah, j’enrage ! s’exclama Katie.
Mais à ces mots, les chopes de cidre s’entrechoquèrent. La table était partagée entre vainqueurs et éliminés, mais Chela avait des compliments pour chacun d’eux.
— Vous pouvez tous trois être fiers. Vous vous êtes bien battus, et ce fut un plaisir de vous regarder. Garland vous a couverts d’éloges.
— Chela dit vrai. Vous avez bien combattu. Mais ils étaient simplement plus forts. Rossi et Albrigh, rien à dire, mais Mr. Andrews… la façon dont il s’est battu m’a vraiment ouvert les yeux.
Oliver était sincère, et Nanao hochait la tête sans discontinuer.
— En effet. Il débordait d’une ardeur vivace, et se mouvait avec une aisance totale. Un exploit rendu possible par la certitude née de l’avoir repensé et reforgé entièrement. À mes yeux, Andrews possède désormais l’étoffe d’un vrai guerrier.
— Oui, Rick est impressionnant ! Certes, il est incroyable, mais… Katie, Guy, Pete, ce match montrait les fruits de votre entraînement, vous n’étiez nullement inférieurs.
Partagée entre la fierté pour son vieil ami et la joie pour ses nouveaux camarades, Chela bafouillait. Mais ses paroles n’atteignaient guère leurs oreilles. Tous trois étaient encore rongés par la défaite.
— …C’est ma faute, dit Guy. Si je n’avais pas foncé comme ça…
— …Si j’avais été plus fort, si j’avais mis Rossi hors-jeu à la fin, peut-être qu’on aurait eu une chance…
— …Tout le plan venait de moi. Raaah, si je pouvais remonter le temps… Je suis sûr que je trouverais mieux maintenant… !
Chaque voix résonnait d’un regret amer. Oliver les observa, puis redressa le dos. Visiblement, aucun ne souhaitait être consolé ou félicité.
— Vous voulez autre chose que des encouragements ? Très bien. Passons aux réprimandes.
Il tourna son regard vers le grand garçon.
— Guy, comme tu le sais, foncer pour sauver Miss Appleton était irréfléchi. Dans un vrai combat, tu serais mort avec elle. Et tu aurais mis la vie de Katie et Pete en danger. Ta vie ne t’appartient pas seulement, elle conditionne la survie de tes camarades.
— Urgh…
Guy baissa la tête, les dents serrées. Oliver se tourna vers le garçon à lunettes.
— Pete, ton regret n’est pas ce que je pointerais du doigt. Tenter une Charge héroïque en fin de partie n’était pas une mauvaise idée en soi. Sans réduire le nombre d’adversaires, aucune chance de victoire. Il fallait prendre des risques. Ce que tu dois revoir, c’est ce qui s’est passé sur l’île. Tu étais trop focalisé sur la réussite de tes sorts. Résultat ? Tes intentions étaient bien trop lisibles.
— …Rrgh… !
Pete tomba à genoux, les poings tremblants. Oliver se tourna enfin vers la dernière, la fille aux boucles.
— Katie, ton plan d’utiliser l’écosystème du terrain était excellent. Je doute qu’un autre de notre promo en soit capable. Mais s’il faut pointer un défaut… je dirais que tu n’en as pas tiré tout le potentiel. Franchement, à ta place… j’aurais utilisé des doubles incantations, frappant à la fois l’ennemi et les bêtes.
— …Mais alors… !
Ce fut un coup dur. Sa voix vacilla. Oliver le savait parfaitement — mais il n’allait pas relâcher la pression.
— Je sais que tu y as pensé, et que tu as choisi de t’en abstenir. Même avec un sort atténué, tu ne voulais pas blesser une créature impliquée dans ton combat. Mais comme pour Guy, imagine que ce soit en situation réelle ? Ta réticence à blesser un animal t’empêche d’éliminer ton adversaire… et tes amis meurent. Évidemment, si tu es certaine de pouvoir faire ce choix difficile le moment venu, je n’ai rien à ajouter. Mais es-tu vraiment prête à cela ?
Katie baissa les yeux, bouleversée. Oliver regarda les trois, les yeux plissés.
— Les matchs d’aujourd’hui ont prouvé une chose : en tant que mages, vous progressez à une vitesse vertigineuse. Chela et moi en étions stupéfaits. Mais cela m’a aussi convaincu d’autre chose, tôt ou tard, chacun de vous agira en mage, au péril de sa vie… Et ce jour-là, je ne veux pas que vous hésitiez. Peu importe l’ennemi ou la cause.
Il y avait une supplication désespérée dans sa voix. Tous trois en sentirent le poids.
Un long silence s’ensuivit. Puis, Oliver soupira et se leva.
— Fin de la grande leçon. À mon tour maintenant.
— …Hein ?
— Hm ?
— Oh ?
Alors que ses amis le regardaient, Oliver pointa sa baguette blanche vers le tableau noir et se mit à y griffonner frénétiquement une série de mots. La mâchoire de Katie se décrocha. Le niveau de détail frôlait l’obsession, et chaque mot recensait une erreur qu’il avait commise.
— Chacune d’entre elles sans exception est une erreur que j’ai faite durant ce match ! Une accumulation de petites négligences qui ont conduit à des échecs catastrophiques ! Vous avez tous vu le combat, je suis sûr que certaines choses vous ont sauté aux yeux ! Allez, renversez les rôles. Prenez-moi pour un sac d’entraînement et défoulez-vous ! Je vous y autorise !
Il ne supportait pas de sermonner ses amis après de tels efforts. Et Chela fut la première à comprendre son intention. Elle sourit et ouvrit le bal :
— Du début à la fin, tu t’es reposé sur l’adaptabilité de Nanao et de Mr. Leik. Ta confiance en eux est louable, mais peux-tu vraiment appeler cela du leadership ?
— Urgh… !
La remarque était aussi brutale qu’il l’avait demandé, et elle le fit chanceler. En la voyant, Katie leva aussitôt la main.
— A-alors moi aussi j’en ai une… Euh… Les leurres de Mistral, ils n’étaient pas si difficiles que ça à différencier des vrais, tu sais ? J’ai passé tout le combat à me demander pourquoi tu galérais autant.
— ???! Attends, Katie, de quoi tu parles ?! Tu pouvais les distinguer depuis le début ?!
— O-oui. Je veux dire, les leurres d’ombres sont creux, mais pour les leurres physiques, la façon dont leurs muscles bougent est juste bizarre. Le corps d’un bipède, c’est super complexe en vrai.
Katie énonçait des évidences, sans avoir conscience du caractère prodigieux de ses observations. Oliver fut bouche bée. Guy, hilare, ajouta une pique :
— Pour quelqu’un qui parle de combat réel, t’as quand même choisi l’option la plus stylée à la fin. T’étais vraiment obligé d’affronter Miss Ames en duel ? On n’a pas vu le combat, mais je parierais que ce serait allé beaucoup plus vite si t’étais revenu auprès de Nanao.
— Gah… M-mais ils nous guettaient ! Revenir à la surface était risqué ! C’était un choix rationnel… !
— Si tu veux mon avis, intervint Pete, — après avoir mis hors-jeu deux membres de l’équipe Mistral, ignorer l’équipe Ames pour foncer sur l’équipe Liebert, c’était franchement douteux. Tu as clairement sous-estimé ce que représentait l’assaut d’un golem-forteresse. Ou plutôt… tu paniquais à cause des tirs de Miss Asmus. Mais tu savais très bien qu’elle seule pouvait viser d’aussi loin. Tu pouvais laisser Leik en couverture et il n’y avait plus de réel danger.
— Aughhhh !
Les paroles de Pete étaient un coup de poignard en plein cœur, et Oliver s’effondra en se tenant la poitrine.
Chacune de ces remarques déclencha des débats enflammés et une analyse détaillée des deux matchs.
Les critiques fusaient comme des sortilèges, mais toutes, sans exception, étaient nées d’une profonde bienveillance.
[1] Furô katto フローカット (Flow Cut). C’est donc en anglais dans le texte original. En français, l’on pourrait traduire littéralement par « Coupe fluide ».
[2] En anglais « Tallgators ». Contraction de « grand » et « aligators ».