REIGN OF V3 - CHAPITRE 2

La forêt effervescente

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Traduction : Colonel Raclette
Correction : Raitei
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Les arts de la magie se transmettent de génération en génération. Ainsi, leurs pratiques sont inévitablement liées aux idées et aux secrets de la famille gardienne. De parent à enfant et ainsi de suite, les lignées familiales de mages peuvent se ramifier, mais sans jamais se briser. Bien qu’il ne soit pas aussi simple d’affirmer que l’ancienneté était un critère majeur concernant les lignées familiales, les maisons ayant une longue histoire inspiraient le respect et la crainte. Leur histoire représentait des années de prestige avec d’innombrables succès et échecs. Tout cela au cours d’une période tout aussi longue aboutit aux spécificités de ces maisons.

La famille Salvadori est l’une de ces Maisons de mages avec une histoire distinguée que l’on ne retrouve pas dans beaucoup d’autres. Ses débuts remontent à avant même l’établissement du Grand Calendrier, lorsque les relations entre humains et demi-humains n’étaient pas aussi tendues. Pour preuve, les succubes[1] de sang pur, géniteurs de la lignée Salvadori, sont aujourd’hui considérés comme éteints.

  • Un grand nombre de graines de créatures vont se mélanger ici, telle la cuisson dans un chaudron.

Elle caressa son abdomen du bout d’un doigt blanc. Ophelia parla du destin que sa famille lui avait accordé. De l’autre côté de la table, écoutant son discours, était assise une personne un peu plus âgée, Carlos Whitrow.

  • Apparemment, les succubes étaient à l’origine extrêmement disposés à s’accoupler avec d’autres espèces, poursuivit Ophelia. —— Si on attirait leur attention, ils séduisaient leur cible, extrayaient de force sa semence et transmettaient ses propriétés uniques à leurs enfants. C’était la stratégie de survie choisie.

Sa voix était posée, mais Carlos pouvait sentir qu’elle regardait son expression. Elle cherchait clairement à susciter une réaction de sa part pour réagir ensuite.

  • Mais si tu te demandes si c’était la bonne décision, alors il semble que non. Toute cette belle postérité est morte avec les succubes quand ils se sont éteints. Ma mère prétend qu’ils ont confondu leurs méthodes avec leurs objectifs. À un moment donné, les succubes devaient choisir une direction claire. Ironique, vu que chercher une direction est exactement la raison pour laquelle ils écartaient les jambes pour n’importe quel homme… Heh.

Le son de son propre gloussement l’avait interrompue. Cela faisait mal à Carlos de la voir rire de si bon cœur de sa propre lignée de sang. Quels ordres terribles avait-elle acceptés sans se plaindre à sa famille pour en arriver à une autodérision aussi pitoyable ?

  • C’est drôle, n’est-ce pas ? Les succubes étaient si imbus d’eux-mêmes, flirtant avec tous les hommes possibles et imaginables, pour finir par mourir comme des prostitués rejetés.
  • ……

Carlos chercha les bons mots, mais n’avait pas réussi à les trouver. Il y avait beaucoup de choses à dire et s’épuiser la voix pour la contredire aurait été de mise pour Carlos, mais peu importe ce qu’on lui disait, il savait que cela tomberait dans l’oreille d’un sourd. Ophelia leva la tête, perplexe, tandis que Carlos souffrait en silence. Une légère hésitation apparut sur son visage. Comme surprise par cette réaction, elle l’effaça rapidement et continua à parler.

  • Et pourtant, nos ancêtres ne seraient-ils pas choqués de nous savoir Salvadori, maintenant ?

Ses lèvres se fendirent d’un sourire et elle scruta les alentours. D’étranges gémissements remplissaient la pièce sombre tandis que d’innombrables créatures grotesques rampaient.

  • ……

Carlos ne devait jamais permettre qu’une seule grimace apparaisse sur son visage. C’était la règle qu’il avait décidé à mettre en place lorsqu’on lui avait montré cette pièce. Certaines des créatures tordues qui y résidaient avaient été engendrées par Ophelia elle-même.

  • Ou nous réprimanderaient-ils pour avoir donné naissance à d’innombrables reprises non pas pour la survie de l’espèce, mais pour la recherche d’un nouvel être hybride ?  Seraient-ils dégoûtés de voir leur descendance être devenue une aussi grande salade génétique ?

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Lentement, très lentement, sa conscience revint…Lentement…

  • Ungh…

Il avait du mal à respirer. Il détestait son réveil de toutes les fibres de son être. Tout son corps était léthargique comme s’il refusait de bouger ne serait-ce qu’un seul doigt, mais c’était désagréable, car il ne pouvait rester endormi ne serait-ce qu’une seconde de plus.

  • ……Hah…ah… !

Pete poussa ses mains contre le sol à la chaleur malsaine pour se lever lentement. Sa vision était floue. Il avait instinctivement levé une main vers son visage pour constater que ses lunettes avaient disparu. Paniqué, il chercha dans sa robe et finit heureusement par les trouver.

En les mettant, sa vision s’éclaircit, mais en même temps, l’intensité écrasante de ce qu’il voyait lui dévasta l’esprit.

  • — ?

Le sol sous sa main pulsait étrangement, et l’élasticité unique de la chair vivante lui repoussait sa paume. Les murs étaient de construction similaire, tandis qu’à l’avant se trouvait ce qui semblait être des barres de fer. En y regardant de plus près, celles-ci sortaient en fait du sol.  Une prison de chair. C’était la seule façon de décrire cet endroit.

  • …O-où suis-je… ?

Alors que le brouillard dans son esprit se dissipait, ses souvenirs revenaient lentement. Il se rappela être descendu dans le labyrinthe avec ses amis, d’avoir assisté au duel entre eux et leurs camarades de classe, d’avoir été complètement captivé par la réserve apparemment sans fin de tours d’épée d’Oliver et de l’apparition de ces créatures magiques au moment où le duel se termina, perturbant leur bref répit.

  • Est-ce que tout le monde a été capturé… ?

Il regarda autour de la cellule et vit un grand nombre d’étudiants dans exactement la même situation. Ils étaient plus de dix, pour la plupart des première et deuxième année. D’après leurs ronflements, il pouvait dire qu’ils étaient vivants, mais aucun ne semblait près de se réveiller. Il réalisa qu’il avait dû se trouver à la même place il y a quelques instants. Il tendit prudemment la main vers l’un d’entre eux pour essayer de le réveiller quand tout à coup, il entendit des pas.

  • … !

Il s’était laissé tomber sur le sol et fit de son mieux pour feindre le sommeil. Il n’y avait pas de raisonnement profond derrière cela. Il semblait simplement, à un niveau instinctif, qu’être le seul éveillé était dangereux. Les bruits de pas provenant de l’extérieur de la cellule se rapprochèrent rapidement de lui. Il pouvait sentir quelqu’un ou quelque chose le regarder, mais il avait trop peur de jeter un coup d’œil. Il concentra tous ses efforts pour paraître inconscient quand il entendit un murmure :

  • Tous endormis… Soyez de bons petits maintenant et restez comme ça. Si vous ne vous réveillez pas, ce ne sera qu’un mauvais rêve.

Pete faillit hurler, mais il réussit tant bien que mal à se contenir. Cette voix lui était à jamais inoubliable. Elle appartenait à un étudiant plus âgé qu’il avait rencontré pendant une phase d’empiètement de l’école avec Oliver et Chela, cette nuit-là, peu après la cérémonie d’entrée.

  • ……

Après un moment, les pas de la personne s’estompèrent au loin. Mais Pete resta immobile pendant un long moment avant de se lever prudemment. Un seul faux mouvement et c’était la mort. Il ne comprenait peut-être pas la situation dans laquelle il se trouvait, mais son instinct avait saisi au moins cela.

Réprimant l’envie de sombrer dans le désespoir, il réfléchit désespérément à augmenter ses chances de survie notamment aux actions qui lui permettaient de remonter vivant à la surface.

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La première couche du labyrinthe était inhabituellement vide. Ils avaient marché pendant plus d’une heure, mais n’avaient rencontré aucun autre élève. L’application de la loi martiale par le Président Godfrey semblait être efficace.

  • ……

Pour Oliver, le silence renforçait le fait que la situation actuelle était anormale pour un endroit aussi dangereux de base que Kimberly.

  • Laissez-moi vous dire certaines choses pendant que j’en ai encore l’occasion.

Miligan, le chef de leur groupe de sauvetage avait soudainement rompu le silence. Les trois amis écoutèrent attentivement les mots de la sorcière.

  • Premièrement, Ophelia Salvadori me surclasse. Même une estimation prudente la situerait au double de mes capacités. Considérez que c’est une défaite garantie si nous nous attaquons à elle de front.

Ce premier fait suffit à refroidir l’échine d’Oliver. Leur bataille presque mortelle contre la sorcière aux yeux de serpent était encore fraîche dans sa mémoire. Ils avaient remporté la victoire à un poil près, mais il était clair que Miligan avait joué avec eux pendant tout ce temps. Si elle avait utilisé toute sa puissance, Oliver et Nanao n’auraient jamais eu la moindre chance. Et maintenant, cette terrifiante sorcière leur disait qu’elle était sûre de perdre contre Ophelia Salvadori.

  • Donc, ce qu’on doit avoir en tête, c’est comment sauver Pete sans être découvert. Tout le monde est d’accord avec ça ?
  • …Aucune objection ici, répondit Chela. —— Avez-vous la moindre idée de l’endroit où Pete est détenu ?
  • Dans son atelier. J’en suis presque certaine. J’ai aussi une bonne idée de ce qu’elle fera de lui.
  • Que va-t-il arriver à notre ami ?! cria Chela.

Miligan porta une main à son menton, pensif.

  • Je soupçonne qu’elle est en train de le vider de sa vitalité. Elle ne va pas chercher sa semence en lui-même, mais le mana attribué à son sexe masculin. Ophelia en a besoin pour ses rituels. En temps normal, elle l’obtient durant des relations charnelles, mais dans ce cas-là, elle en a tellement besoin qu’elle a fini par kidnapper un groupe de jeunes étudiants pour accélérer le processus.
  • …Ce « processus » implique-t-il de la douleur ? demanda Chela.  
  • Non. Elle va endormir ses captifs pour les empêcher de se débattre, donc ça ne devrait pas être particulièrement douloureux. Il est possible qu’ils expérimentent des cauchemars, cependant, déclara la sorcière d’un ton neutre, bien que ce soit plus par indifférence que pour tenter de consoler Chela.

Oliver fronça les sourcils. Cette façon de penser devait être plutôt l’apanage des quatrième année.

  • Cependant, chaque jour qui passe affaiblit les captifs puisque leur vitalité est drainée. Mais je ne peux pas dire avec certitude si elle compte vider Pete complètement. Vous devriez lui demander vous-même.

Miligan redevint silencieuse. Soudainement, l’expression de Chela changea.

  • Attendez… Elle extrait son mana masculin ? répéta la jeune fille aux bouclettes avant de regarder Oliver à côté d’elle. Il hocha la tête en signe de compréhension.
  • Oliver… !
  • Ouais… ça sent mauvais.
  • …Hmm ? Qu’est-ce qui vous tracasse ?

Confuse, Miligan pencha la tête. Oliver se demanda s’il devait s’expliquer, mais Nanao le devança.

  • Pete s’est récemment éveillé en tant que Reversi.
  • Nanao ?!

Il la regarda d’un air incrédule, mais Nanao secoua doucement la tête.

  • Si on doit être partenaires dans cette expédition, alors ce n’est pas quelque chose que l’on doit cacher. Nos querelles passées mises à part, ne sommes-nous pas tous frères et sœurs dans cette quête vers les profondeurs du Mal ?

Elle le regarda avec tant de sérieux que les mots moururent dans la gorge d’Oliver. Sa capacité à accepter les gens comme ennemis ou alliés en un instant était stupéfiante, très probablement une autre qualité forgée sur le champ de bataille. Comprenant enfin la situation, la sorcière aux yeux de serpent sourit.

  • Oui, il serait utile de ne pas se garder des secrets. Alors… un reversi. C’est un phénomène assez rare. Et avec un timing si… parfait, en plus.

Oliver et Chela étaient totalement d’accord sur ce point. Cela tombait vraiment mal. Le sexe de Pete pouvait changer entre mâle et femelle presque quotidiennement, ruinant toute chance pour Ophelia d’extraire paisiblement le mana masculin qu’elle désirait tant.

  • Malheureusement, c’est juste une autre raison pour laquelle nous devons nous dépêcher. Normalement, cela ferait de lui un spécimen rare, donnant une raison de prolonger sa vie. Mais avec Ophelia consumée par le sort, elle ne verra un reversi que comme une entrave à son rituel. Si elle le découvre, sa vie sera définitivement mise sur la sellette.
  • Raison de plus pour se dépêcher !

Le pas de Chela s’accéléra sous l’effet de la panique. Cependant, Miligan posa doucement une main sur son épaule.

  • Pas trop de hâte, Miss McFarlane. L’atelier d’Ophelia se trouve quelque part dans la troisième couche. Tu n’as pas oublié, n’est-ce pas ? Pour y aller, nous devons d’abord traverser le deuxième niveau.

Son ton était glacial, et Chela fut arrêtée dans son élan. Oliver hocha lourdement la tête, lui aussi. Elle avait raison. La vitesse n’était pas la priorité absolue ; ils devaient d’abord trouver un moyen d’atteindre Pete vivant.

  • Se précipiter est synonyme de mort instantanée. Vous trois n’avez connu que l’entrée du labyrinthe. Je vous promets que nous irons aussi vite que possible, alors écoutez simplement les conseils de votre aînée, ok ?
  • …Compris. Je m’excuse. J’ai perdu mon calme.

Une fois calmée, Chela s’excusa. Miligan sourit et détourna son regard sur le chemin devant elle.

  • Bonne fille. Regarde, nous sommes presque à votre base secrète.

Sans s’en rendre compte, elles avaient posé le pied sur un terrain familier. Ils se dirigèrent vers la porte cachée dans le mur, prononcèrent le mot de passe en entrant dans l’atelier dans lequel les six amis avaient autrefois passé la nuit. Le groupe de quatre personnes avait traversé le salon vide pour se rendre dans la grande salle commune située à côté.

  • Marco… ! Tu vas bien !

Au moment où ils ouvrirent la porte, ils avaient repéré une grande silhouette recroquevillée dans un coin ; Oliver n’avait pas pu s’empêcher de crier son nom. Marco sortit de sa torpeur et leva la tête.

  • Unh—Oliver. Je bien. Où Katie ?
  • Elle va bien, elle aussi ! Je suis désolé de t’avoir laissé derrière !

Les premières pensées de Marco étaient pour la sécurité de Katie, alors Oliver courut vers lui et le mit au courant. Miligan, qui entrait dans la pièce derrière eux, laissa échapper un sifflement grave.

  • Eh bien, si ce n’est pas un bon présage. Marco, la chimère ne t’a pas poursuivi ?
  • Unh. Elles pas poursuit, répondit Marco en se reculant contre le mur.

Il l’observait avec crainte et inquiétude. Pas étonnant, vu ce qu’elle lui avait fait. Miligan, cependant, ne semblait pas s’en soucier du tout et hocha la tête.

  • Cela confirme mon hypothèse, dit Miligan.
  • Les chimères ne sont pas devenues folles, elles agissent sur les ordres d’Ophelia. Elle est encore dotée de raison, du moins pour le moment.

L’expression de Chela fut moins morne. Certes c’était une tranquillité d’esprit temporaire, mais c’était leur première bonne nouvelle depuis tout ce temps.

  • Même si elle découvre son état de reversi, Ophelia n’a aucune raison d’essayer activement de tuer Pete. C’est un étudiant de première année, pas vraiment quelqu’un dont elle doit s’inquiéter. Si elle a encore toute sa tête, elle peut simplement l’endormir. Si elle le tue, cela signifiera qu’elle est sur le point de se perdre totalement.
  • …Donc nous avons un peu de temps ?
  • À mon avis, oui. C’est juste basé sur mon expérience en allant à l’école avec elle pendant les quatre dernières années, mais Ophelia a un self-control assez impressionnant. Même sur le point d’être consumée par le sort, elle ne perdra pas la tête si facilement. J’ai foi en cela.

Miligan l’avait dit très clairement. Ophelia Salvadori n’était qu’une ainée monstrueuse pour les trois amis, mais pour Miligan, sa camarade de classe depuis quatre ans, elle avait eu le temps de cerner sa personnalité.

  • Les première année qui m’inquiètent le plus sont vous trois. Même avec mon aide, je ne sais pas si vous pourrez atteindre la troisième couche en un seul morceau.

L’expression de Miligan était étrangement sérieuse. Elle était retournée dans le salon pour ramasser des vivres. Les trois amis la suivirent pour reprendre leur progression. Ils ne pouvaient pas se permettre de rester assis et de se détendre ici. Ils s’empressèrent de distribuer des rations à Marco.

  • On reviendra te chercher dans quelques jours, dit Oliver.
  • Désolée Marco, mais s’il te plaît reste à l’intérieur de l’atelier en attendant que ça se calme. On ne sait pas quel genre de danger se trouve dehors.
  • Ok. Oliver, Nanao, Chela… soyez prudents.

Il donna à chacun d’eux une grande poignée de main. En se promettant de se revoir bientôt, ils quittèrent la base secrète avec Miligan. Un jour, les pétales de la Rose des lames se réuniront à nouveau.

  • Mm ?

Ils avaient commencé à marcher dans le labyrinthe, et alors qu’ils approchaient de l’entrée de la deuxième couche, Miligan sentit quelque chose et s’arrêta. Oliver et les filles remarquèrent la chose une seconde plus tard, à savoir, la présence d’une entité étrange provenant des profondeurs. Plus grand que n’importe quel humain, cette chose leur barrait la route.

  • Notre premier obstacle. C’est donc cette chose qui vous a fait déguerpir ?
  • … !

Ils avancèrent parés, athamés dégainés. Ils virent enfin une masse géante de plus de six mètres de haut et densément couverte de tentacules se tortillant. Chela déglutit de manière audible. Il n’y avait aucun moyen de savoir si c’était exactement la même que celle de cette nuit, mais c’était définitivement une chimère comme celle qui avait enlevé Albright, Willock et Pete sous leurs yeux.

Miligan s’avança, sans se soucier de rester hors du champ de vision, ce qui fait que la chimère remarqua rapidement leur présence. La sorcière aux yeux de serpent affronta la bête à une quinzaine de mètres de distance.

  • Vous avez fait le bon choix en battant en retraite, dit Miligan. —— Si vous aviez essayé d’affronter une des chimères d’Ophelia sans plan, vous seriez tous prisonniers en ce moment. Il faut être au moins en troisième année pour vaincre une telle chose.

La sorcière avait approuvé leur décision. Oliver et Chela s’étaient souvenus du moment où Pete avait été kidnappé et où leurs cœurs furent happés par la douleur. Cette nuit-là, ils avaient été impuissants face à cette créature magique.

  • Mais si on ne passe pas à travers ce monstre, on ne pourra pas sauver Pete. Ce ne sera pas facile. Alors que devons-nous faire à votre avis ? demanda Miligan en faisant un pas en avant.

Son visage ne laissait pas une once d’hésitation ou de peur transparaître tandis qu’elle faisait face à la bête.

  • La réponse est simple… Observez et apprenez.

Elle bondit vers la bête, ses tentacules se précipitant à sa rencontre. Oliver se mit à déglutir en voyant la scène. Comment avait-elle prévu de faire face à autant de tentacules à bout portant ?

  • DEFORMATIO !

Elle incanta un sortilège et des rayons de lumière jaillirent de son athamé, frappant le sol en de multiples endroits. Instantanément, le sol de pierre se souleva, comme s’il avait été façonné par une main invisible ; le résultat était un morceau de pierre vacillant de la taille d’un homme. Son centre de gravité était bas, ce qui lui permettait de basculer sans jamais se renverser. C’était une sorte de jouet à bascule.

  • Première leçon : Ces choses sont pratiquement aveugles !

Au cri de Miligan, un tentacule sortit et attrapa le leurre. Les première années, bouche bée, virent le jouet à bascule faire basculer la bête. Miligan ignora leur surprise et continua.

  • Ces tentacules sont comme des franges : Elles lui rendent la vue difficile ! Bon c’était une blague. La réponse simple est que la chimère n’est pas capable à la fois de bien voir et de contrôler tous ses tentacules. C’est quelque chose que vous apprendrez éventuellement en biologie magique : Le système nerveux a ses limites, expliqua-t-elle avec une conviction inébranlable.
  • DEFORMATIO !

Les leurres nouvellement formés différaient en taille et en forme. Miligan jaugeait la réaction de la bête.

  • Donc, s’il n’utilise pas la vision, alors quel sens utilise-t-il pour essayer de nous capturer ? Le toucher est à éliminer d’office, puisqu’elle doit d’abord entrer en contact avec nous. Il faut donc tester l’ouïe et sa détection thermique. Autrement dit, les vibrations et la chaleur. Il me suffit de perturber ces éléments avec n’importe quel bon vieux sort. FLAMMUMNA !

Elle ajouta un autre sortilège, une application pratique d’un sort de feu sous forme de pilier. Il continua à brûler à l’endroit où il avait été lancé et se mélangea aux autres leurres. Le sol entourant Miligan devint rouge et les tentacules commencèrent à se tordre de façon encore plus chaotique.

  • Bingo. Donc soixante-dix pour cent de vibrations, trente pour cent au niveau de la chaleur. Et environ quatre-vingt-dix pour cent de son évaluation du monde extérieur se fait grâce aux organes sensoriels des tentacules qui recouvrent son corps. Il peut aussi sentir le mana, bien sûr, mais il n’a pas la précision nécessaire pour extrapoler la localisation d’un humain en mouvement. On peut l’ignorer.

Complètement dépassés par les multiples leurres et piliers de flammes, les tentacules de la bête n’avaient pas réussi à trouver sa proie. Cela semblait confirmer les dires de Miligan. Si elle avait une bonne vue, elle n’aurait pas eu tant de mal à distinguer les leurres des humains.

  • Deuxième leçon : La règle d’or pour affronter les grandes bêtes magiques est de ne jamais se tenir en face d’elles. Si elle attaquait avec tous ses tentacules en même temps, même moi ne serais pas en capacité de me défendre. Alors il faut continuer à bouger. Ne vous arrêtez pas une seule seconde, divisez la concentration de votre adversaire. C’est là que les leurres magiques sont vraiment utiles !

Miligan continuait à voltiger, sans jamais s’arrêter. Oliver gardait les yeux écarquillés aussi grands que possible, pour ne pas en manquer un seul instant. Son jeu de jambes fantasmagorique, une combinaison de contrôle de son centre de gravité et de son territoire magique, devait la faire ressembler à de la brume pour la bête malvoyante.

  • Un ou deux tentacules ne sont pas une menace. En fait, ces attaques sont votre chance de contrer et d’affaiblir votre adversaire. Vous ne devez jamais précipiter le combat, car l’endurance d’une grande bête magique est fondamentalement différente de la nôtre. Frappez où vous pouvez, et ne tentez de la tuer qu’une fois bien vulnérable. IMPETUS !

Elle lança un sort lors de ses esquives risquées, découpant un morceau du corps de la chimère. Avec ses tentacules distraits par ses multiples leurres, son corps principal fut grandement exposé. La créature géante, qui avait tout de même résisté à la double incantation de Chela alors protégée par ses tentacules, grimaça lorsque la lame de vent de Miligan la trancha.

  • Cela dit, nous n’avons pas un temps illimité. Un combat plus bruyant attirera l’attention des autres bêtes, si cette chose n’est pas déjà en train d’appeler ses amis. Le vent pourrait tourner si un autre se montre. Troisième leçon : Ne vous battez pas sans réfléchir. Prévoyez les étapes à franchir pour porter le coup final, puis exécutez votre plan avec constance.

À chaque leçon qu’elle donnait, le combat progressait lentement mais sûrement. Encore quelques frappes affaiblissantes et elle était prête à la tuer, du moins c’est ce que pensaient Oliver et les filles. Mais soudainement la bête fit un mouvement inattendu. Les tentacules distraits par les leurres se regroupèrent avant de fendre l’air en direction de Miligan. La sorcière sauta sur le côté et esquiva, les lèvres retroussées en un sourire.

  • Il a commencé à apprendre. C’est ce qui est ennuyeux avec les chimères d’Ophelia : Elles ne sont pas stupides. Si vous utilisez la même stratégie assez longtemps, elles s’adapteront. Elles ont donc appris à faire la différence entre mes leurres et moi. Il est temps de redistribuer les cartes.

Et avec cette annonce, Miligan changea de tactique. Elle avait commencé à marcher tout droit vers la bête sans aucune ruse, comme si ses mouvements rapides et compliqués précédents n’étaient qu’une illusion. Elle se promenait vers la créature ; Oliver tomba des nues. Mais cela n’eut pas d’importance, car la bête n’avait pas réagi le moins du monde à son plan suicidaire. Ses tentacules erraient, comme si elle avait de nouveau perdu de vue la proie sur laquelle elle s’était précédemment focalisée.

  • Désolée, c’est la fin. TONITRUS !!

Miligan s’approcha de la face de la bête et la planta impitoyablement son athamé dans son crâne exposé. Simultanément, elle incanta un sortilège et de l’électricité traversa ses organes internes, lui grillant le cerveau. La bête convulsa et s’effondra sans même un cri.

  • Elle savait que les mouvements simples étaient mes leurres, et que les mouvements compliqués venaient de moi, alors j’ai inversé le concept à ses dépens.

La sorcière aux yeux de serpent regarda le cadavre de la bête, sans un cheveu de travers. C’était une fin de bataille incroyablement dramatique, bien au-delà de ce qu’Oliver avait imaginé.

  • Ça avait l’air si facile… murmura Chela pour elle-même.

Miligan se retourna pour leur faire face et sourit.

  • Tu vois maintenant, miss. McFarlane ? Le fait que ses tentacules résistent à l’électricité indique clairement que son corps interne était faible face à cela. Une fois le point faible de l’adversaire déterminé, une seule incantation est plus que suffisante. Comprendre l’origine de la bête, vous permet de restreindre naturellement la localisation de son cerveau et son cœur.

Elle désigna le cadavre géant derrière elle. Oliver était d’accord. Il avait le sentiment que cette chimère était basée sur une espèce de Vouivre sans ailes. On pouvait ajouter des organes comme des tentacules après coup, mais le cerveau et la moelle épinière, les parties les plus fondamentales de l’espèce, n’étaient pas si faciles à modifier.

  • Plus facile à dire qu’à faire, bien sûr, poursuivit Miligan. —— L’idéal serait de décomposer le processus en plusieurs étapes distinctes : observer la biologie de l’espèce, déterminer le point faible, et élaborer une stratégie. Si la bête a déjà été documentée, les deux premières étapes peuvent être réalisées en étudiant la littérature correspondante. Les chimères d’Ophelia, cependant, sont fondamentalement chacune une nouvelle espèce, ce qui complique les choses.

Miligan haussa les épaules. Elle avait tout à fait raison. Lorsqu’ils avaient fait face aux chimères, c’était la première fois qu’ils les voyaient. Ils avaient été rapidement dépassés. Mais maintenant qu’elle avait décortiqué les faits, ces chimères n’étaient certainement en rien supérieures au Garuda. Raison de plus pour laquelle il était impératif de connaître son ennemi.

  • Je ne vous dirai pas de reproduire par vous-mêmes ce que je viens de faire. En revanche, je veux que vous appreniez tous les trois à le faire ensemble. C’est mon exigence minimale avant que je vous emmène à la troisième couche.
  • —- !
  • Si vous ne pouvez pas accomplir cette tâche avant de quitter le deuxième niveau, eh bien, je suis désolée, mais votre aventure devra s’arrêter là. Ne vous inquiétez pas cependant, je vous escorterai jusqu’à la surface, leur assura gentiment la sorcière.

Répéter ce qu’elle venait de faire avant de quitter la deuxième couche ? Oliver et Chela étaient visiblement anxieux devant une mission aussi lourde. La jeune aziane prit la parole, imperturbable.

  • Nous réussirons la troisième étape.
  • Nanao ?
  • On peut le faire, Oliver. Rappelle-toi notre combat contre le Garuda.

Nanao lui sourit comme pour l’encourager. Oliver repensa à cette nuit. Bien qu’il ait eu quelques connaissances préalables, le Garuda était en effet une créature qu’il n’avait jamais affrontée auparavant.

  • En effet, vous êtes des tueurs de Garuda, dit Miligan. —— Je l’avais peut-être affaibli, mais c’était une bête divine à part entière. Je ne vous aurais pas amenés ici autrement. Et toi, miss McFarlane ? Tu penses avoir ce qu’il faut pour faire la même chose ?

Miligan se retourna pour faire face à Chela, qui hocha vigoureusement la tête comme pour chasser ses inquiétudes.

  • Votre leçon était si détaillée. Il serait impossible de faire marche arrière.

Sa dignité habituelle retrouvée, Chela se retourna vers la jeune aziane.

  • Et, Nanao ! Arrête de te jeter dans la gueule du loup. Nous allons tout faire ensemble ! Observer, déterminer les faiblesses et élaborer une stratégie.
  • Mm, qu’il en soit ainsi. Je tenterai d’utiliser mon cerveau.

Nanao croisa les bras en s’efforçant de faire tourner ses méninges. Oliver grimaça. Il semblerait qu’elle s’était lancée dans cette tâche dangereuse non pas par sens du devoir, mais simplement pour éviter un rôle qui nécessite de réfléchir.

  • …On va définitivement maîtriser la chose. Vous nous apprendrez, miss Miligan ? demanda Oliver, encouragé par la confiance des filles.

Le coin des lèvres de Miligan se retroussa en un sourire en coin.

  • Bien sûr. C’est exactement pour ça que je ne me lasse pas de guider les jeunes étudiants !

Miligan tourna ensuite son regard vers le cadavre de la bête magique.

  • À partir de maintenant, nous allons entrer dans la deuxième couche, la forêt effervescente. Même sans les chimères d’Ophelia rampant autour, c’est un endroit dangereux, assez pour être nommé le cimetière des première année. Je vais vous apprendre à tous étape par étape. Oliver, Nanao, Chela, ne traînez pas et suivez-moi.
  • Oui, miss Miligan !

Il y avait un ton plus amical dans sa voix, et les trois lui emboitèrent le pas. Bien sûr, ils ne pouvaient pas oublier les événements passés. Mais pour l’instant, elle était un professeur inestimable qui leur montrerait comment survivre dans le labyrinthe.

Ils se jurèrent de ne pas manquer un seul mot de la Sorcière aux yeux de serpent alors qu’ils la suivaient jusqu’à la couche suivante.

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Au même moment, juste avant d’entrer dans la deuxième couche, dans un coin de la forêt animée, épaisse d’arbres verts et abritant d’innombrables créatures magiques…

  • IGNIS !
  • GYAAAAAAAAAAAAHHHH !

Un torrent de flammes s’abattit sur la chimère. Les vagues de vent brûlant qui s’échappaient en disaient long sur la chaleur intense générée. Elle n’avait pas dû esquiver le sort d’incantation unique à cause de sa confiance en son corps robuste. Ce n’était certainement pas une erreur. L’armure d’écailles qui recouvrait son corps aurait dû dévier la plupart des sortilèges. Mais ce n’était pas n’importe qui derrière.

  • AAH… AAH…

Même ses hurlements d’agonie n’avaient pas duré très longtemps. Entouré d’une chaleur incroyable, son corps se transforma rapidement en cendres. Des choses insignifiantes comme une résistance naturelle ne posaient aucun problème aux flammes. Quand il s’agissait de puissance magique pure, toute tentative de se mesurer à Alvin Godfrey était une grave erreur. Carlos Whitrow s’en rappela alors qu’ils regardaient la bataille.

  • Toutes les chimères que nous avons rencontrées jusqu’à présent étaient de nouvelles espèces… Nous ne pouvons pas baisser nos gardes même pour une seconde.

Godfrey rengaina son athamé et soupira. Les préfets s’étaient séparés en paires après être entrés dans le labyrinthe. Jusqu’à présent, Carlos et Godfrey avaient rencontré et tué six chimères au cours de leur expédition.

  • Je n’en attendais pas moins étant donné le sérieux de Lia, dit Carlos. — C’est une expérience effrayante pour quiconque de combattre une bête magique inconnue. Surtout en essayant de conserver son mana. Ça nous fait passer pour des chasseurs de Gnostiques.

La tristesse colorait ses traits androgynes. Personne à Kimberly ne connaissait mieux que Carlos celle qui était derrière tous ces problèmes. Godfrey s’était éloigné des cendres de la chimère, une expression troublée sur le visage.

  • Dans ce cas, je devrais lui être reconnaissant. Elle me fournit une précieuse expérience de terrain.
  • Oh ? As-tu déjà décidé de ce que tu feras après ton diplôme ? Il me semble qu’hier encore, tu étais toujours partagé.
  • Rien n’est gravé dans la pierre. Mais en fin de compte, me battre est la seule chose pour laquelle je suis doué. Tant que je me bats pour protéger quelqu’un, je peux m’imaginer faire la même chose lorsque je quitterai l’école, répondit Godfrey avec un soupir.

Après cinq ans à Kimberly, il n’avait que trop bien appris ce dont il était capable, ses limites ainsi que le genre de personne qu’il y avait dans ce monde. En considérant les sentiments et l’avenir potentiel de leur ami, l’expression de Carlos s’assombrit.

  • L’enfer des chasseurs de Gnostiques n’est rien comparé à Kimberly, dit Carlos. — Et il n’y a aucune garantie que tu trouveras des âmes saines comme ici… Tu penses vraiment y arriver ?
  • Je ne sais pas… Mais si tu venais avec moi, ça rendrait les choses beaucoup plus faciles.

Godfrey murmura ses véritables sentiments sans hésiter. Une seconde plus tard, il réalisa son erreur et ferma la bouche, embarrassé. Un sourire bienveillant apparut sur le visage de son vieil ami.

  • Je suis désolé de ne pas pouvoir venir avec toi… Peut-être que mes inquiétudes ne sont pas fondées, cependant. Il y a beaucoup d’autres personnes qui te suivraient n’importe où, dit Carlos.
  • C’est agréable à entendre, mais savoir si je peux leur confier mes arrières est un sujet différent. Je ne veux pas amener quelqu’un qui risque de mourir sur le champ de bataille.

L’expression de Godfrey était teintée de morosité. Il était vrai qu’il avait de nombreux alliés actuellement. N’importe lequel d’entre eux l’accompagnerait dans la tombe sans hésiter s’il le demandait. Mais cela rendait sa demande d’autant plus difficile. Carlos, qui comprenait mieux que quiconque son conflit intérieur, hocha la tête.

  • Et c’est exactement pourquoi je pense que les chasseurs de Gnostiques te voudraient tellement.
  • …Je n’en suis pas si sûr. J’ai l’impression qu’il y a plein de 6e et 7e année encore plus forts que moi.
  • Malgré cela, c’est un fait que tous les étudiants de l’école te craignent. Y compris les monstres de 6e et 7e année.

Carlos énonça la chose avec franchise. Mais malgré son évaluation, une amertume apparut sur le visage de Godfrey.

  • Je préfèrerais être aimé que craint. Surtout par mes cadets.
  • L’un n’empêche pas l’autre. Bien sûr, je ne te crains pas, Al.

Carlos eut un large sourire, allant jusqu’aux oreilles. Godfrey pinça ses lèvres et se gratta l’arrière du crâne. Il réussissait toujours à l’avoir avec ce visage depuis le tout début de leur scolarité. Ils continuèrent ensuite à marcher en silence pendant un moment, lorsque Godfrey s’arrêta soudainement.

  • Quelqu’un arrive.

Ils s’étaient mis en position défensive. Quelques secondes plus tard, les buissons devant eux tremblèrent, et quelqu’un en sortit en rampant. Il était petit de taille, couvert de terre et de boue. Son uniforme scolaire était méconnaissable, mais heureusement, la couleur de sa cravate l’identifiait comme un élève de sixième année. En voyant Godfrey et Carlos, le visage du sixième année s’était éclairé.

  • …Oh ? Ohhh ? Ohhhh ? C’est mon jour de chance !
  • Mr. Walker ?

Godfrey fut pris de court par cette rencontre inattendue. Kevin Walker, en sixième année à l’école de Magie de Kimberly, alias le Survivant. Il était l’actuel président du club des gourmets du labyrinthe et célèbre parmi le corps étudiant pour être revenu vivant après avoir passé une demi-année dans les profondeurs du labyrinthe.

  • Quelle chance ! Je me suis dit que cette route pourrait être la bonne si je tombais sur vous ! Bon, d’accord, c’était juste une intuition. Mais le fait est que j’attendais que quelqu’un passe par là pour lui donner ça ! …Oh, vous avez faim ? J’ai une crevette des marais que j’ai attrapée dans la tourbière là-bas. Vous voulez faire un barbecue ?
  • S-s’il te plaît, calme-toi, dit Godfrey.
  • Tu nous attendais, Kevin ? demande Carlos.
  • Hmm ? Ah, oui, je t’attendais. Tiens, je voulais te donner ça.

Walker se frappa les mains en se rappelant sa mission. Il sortit un vieux carnet usé de sa poche et le tendit à Carlos. Il le prit pour en analyser le contenu pendant que Godfrey regardait par-dessus son épaule.

  • C’est…
  • Une carte de la troisième couche. Tout ce que j’ai pu explorer, je l’ai recopié là-dedans. L’environnement a vraiment changé récemment, probablement avec l’influence de Lia. Soyez prudents. L’endroit grouille de chimères comme j’en ai jamais vu, dit Walker, comme s’il avait vu les créatures lui-même.

La mâchoire de Godfrey se décrocha de surprise, réalisant qu’il n’était pas venu de faire de la figuration. Ce qu’il disait était…

  • …Tu es descendu dans la troisième couche tout seul ? Malgré le chaos ?
  • Ouaip. Mais je dois m’excuser— je n’ai pas pu trouver son atelier. Les première année ont été kidnappées cette fois-ci, donc on doit se dépêcher. Cela devrait utile pour votre mission de sauvetage, donc je le partage avec vous—— Oh ?

Son discours rapide fut soudainement interrompu. Les bras longs et fins de Carlos avaient enlacé le petit gabarit du sixième année. Ce dernier ne semblait pas du tout gêné par la boue et la saleté.

  • Merci, Kevin. Merci…
  • Carlos…

Godfrey était aussi ému que son ami. Aucun des deux n’exagérait d’ailleurs. Quel que soit l’époque, il y avait très peu d’ainés qui étaient prêts à donner un coup de main. Après quelques instants, Walker tapota l’épaule de Carlos.

  • Ha-ha ! Qu’est-ce que tu racontes, Carlos ? Un ainé doit aider ses cadets, même sans qu’on le lui demande. Vous pensez la même chose, pas vrai ? dit-il, comme si c’était la chose la plus naturelle du monde, montrant ainsi qu’il approuvait leurs efforts.

Carlos sourit et laissa Walker partir. Ce dernier se retourna et dit :

  • De toute façon, je pense que je vais m’aventurer de nouveau en bas. J’ai appris à connaître le terrain la dernière fois, donc je devrais être capable de chercher plus profondément maintenant.
  • Qu…? Attends une seconde. Tu pourrais venir avec nous ! dit Godfrey.
  • Mm, naaan merci. Je préfère être seul. Vous le savez, non ?

Il fit un léger signe d’au revoir et s’enfonça de nouveau dans les broussailles. Ils avaient essayé de l’appeler et de l’arrêter, mais Walker resta ferme.

  • Je vais m’en sortir. Je ne mourrai pas dans le labyrinthe. Bref, à plus !

Et sur ce, le Survivant disparu dans l’obscurité. Godfrey le suivit du regard pendant un moment, abasourdi, puis poussa un gros soupir.

  • …Il ne changera jamais.
  • Non. Il a toujours été d’une grande aide pour nous depuis notre première année, dit Carlos en souriant et hochant la tête.

Walker était un peu comme un mentor et dans sa définition la plus pure. Il n’aidait clairement pas par intérêt. Avec toute la reconnaissance du monde, Godfrey et Carlos se reconcentrèrent sur le chemin à suivre.

  • Grâce à lui, on est beaucoup plus proches de Lia ! Allons-y, Al.
  • Ouais. Dépêchons-nous.

Les deux amis se firent un signe de tête, puis se remirent en route. Il y avait encore un long chemin à parcourir et il ne restait plus beaucoup de temps.

——————————————————————

Après avoir franchi leur premier obstacle en entrant dans la deuxième couche, ils pénétrèrent dans un paysage dépassant tout ce que pouvait imaginer Oliver.

  • Prenez ce fruit, par exemple. Il a l’air délicieux, pas vrai ? Cependant…

Tout en continuant sa leçon, la sorcière aux yeux de serpent tendit sa main gauche vers le petit arbre fruitier. Soudainement, le fruit s’ouvrit et se jeta sur elle comme un chien affamé. Elle retira rapidement sa main, et l’arbre fruitier ne put manger que de l’air, claquant des dents à la recherche d’une proie.

  • Si tu essaies de le manger, il te mangera. Perdre un doigt à cause d’un de ces arbres est considéré comme un des baptêmes de la seconde couche. C’est l’un des pièges les plus mignons qui existent ici, mais perdre sa main dominante est synonyme de ne plus pouvoir utiliser sa baguette ce qui est un grand frein. Si vous devez toucher quelque chose d’inconnu, prenez les précautions nécessaires, à savoir utiliser l’autre main dans ce genre de cas.

Miligan s’était lancée dans sa leçon pour le deuxième niveau. Nanao étudia le violent arbre fruitier avec les sourcils froncés.

  • Mmm. Alors ce n’est pas comestible ? demanda-t-elle.
  • Oh, ça l’est. Il suffit de lancer un sort pour l’assommer, puis de couper le fruit. Il a probablement mangé les doigts d’un tas d’étudiants, mais si ça ne te dérange pas, vas-y.
  • …Nanao, je ne dis pas que tu ne peux rien manger ici, mais trouvons au moins quelque chose de moins carnivore.

Oliver dut la tirer en arrière alors qu’elle fixait intensément les fruits, et tous les quatre reprirent leur marche dans la forêt. La verdure luxuriante envoûtait leur narine tandis que des ombres de diverses tailles grouillaient aux alentours. Oliver et les filles avançaient prudemment.  Miligan inspira un grand coup.

  • Heh-heh-heh. C’est amusant. La deuxième couche est mon endroit préféré pour les promenades. L’écosystème de plantes et d’animaux est si varié qu’il y a toujours quelque chose d’intéressant à proximité. Je veux amener Katie ici un autre jour.
  • Une simple promenade, huh… ? murmura Chela, à moitié incrédule et étonnée.

Ils ne pouvaient pas se résoudre à se détendre comme Miligan, car on ne pouvait pas savoir quand une menace allait surgir. Elle rit de leur nervosité.

  • Bien entendu, c’est un peu différent maintenant. On peut tomber sur l’une des chimères d’Ophelia à tout moment. Mais je suis suffisamment à l’aise pour qu’on puisse discuter un peu, si vous le souhaitez.
  • …Je vois. Alors ça te dérange si je teste quelque chose ? suggéra Oliver, saisissant l’occasion tant qu’il n’y avait pas de danger immédiat.

Miligan s’approcha, curieuse. Le garçon avait décidé qu’il serait plus rapide de lui montrer que d’expliquer. Tout d’abord, il sortit une graine de sa pochette à cordon et la jeta sur le sol. Ensuite, il sortit sa baguette et lança un sort de croissance. La graine avait germé et s’était épanouie sous ses yeux, devenant un jeune arbre. Il grandit en une courbe jusqu’à ce que la pointe finisse par percer le sol à nouveau, formant une barrière en forme d’arche devant eux.

  • Ooh, une graine de Plantoutil ? Ça a poussé vite. Et c’est bien dur aussi. C’est vraiment de la très bonne qualité que tu as là.

Miligan donna des coups de pied à la fin du processus de transformation afin de confirmer ses soupçons. Oliver hocha la tête.

  • C’est le travail de Guy. Ça devrait être utile pour coincer une bête magique pendant une bataille.
  • C’est Mr. Greenwood qui a fait ça ? …Hmm, pas mal. J’utilise beaucoup de Plantoutils, mais celle-là est assez bonne pour être vendue. Elles sont tout à fait à l’aise dans le sol de la deuxième couche, aussi.
  • Heh, c’est si qualitatif que cela ? C’est vrai qu’il a la main verte quand il s’agit de flore magique, se vanta Chela comme une mère fière.

Miligan hocha la tête, puis se retourna vers Oliver.

  • La créativité sera ton plus grand allié, alors vas-y et expérimente à ta guise. Je peux couvrir la plupart de tes échecs.
  • Merci, répondit Oliver, avant de remettre le sachet de graines de Plantoutils dans son sac.

Soudainement, il sentit qu’on tirait sur sa manche.

  • Oliver, je commence à avoir faim.

Dans le même temps, un fort grognement se fit entendre depuis l’estomac de Nanao. Oliver se pinça instinctivement le front.

  • Ce grognement était assez fort pour attirer une chimère. Miss Miligan, je crois qu’il est temps de manger.
  • Il est vrai que cela fait environ cinq heures que nous marchons. Nous avons encore un long chemin à parcourir, alors prenons une pause.

Tout le monde était d’accord, et les quatre se mirent donc en quête d’un endroit pour manger. Ils tombèrent sur un endroit entouré d’arbres, mais encore assez ouvert ; avec de la magie, ils dégagèrent un peu la zone pour en faire une aire de repos. Ils conclurent avec quatre chaises improvisées faites à partir de Plantoutils, puis s’assirent.

  • Profitez bien de votre repos. Lors d’expéditions longues, les pauses sont aussi importantes que les déplacements. Et bien sûr, il ne faut pas oublier de se nourrir correctement.

Miligan ouvrit le sac posé sur ses genoux et en sortit les rations. Oliver et les filles avaient fait de même et commencèrent à manger. En ouvrant les paquets de Guy, ils découvrirent un gâteau long et dense, simple et rustique.

  • Il est un peu tôt pour ça, mais je vais quand même vous le dire maintenant, à partir de cette couche, l’installation d’un camp comporte quelques règles. N’allumez surtout pas des feux, suis-je bien clair ? C’est le moyen le plus rapide d’attirer des bêtes magiques. Il y a quelques autres points à garder en tête.

Alors qu’ils mangeaient, Miligan continua sa leçon. Tout en écoutant, Oliver coupait son gâteau avec l’athamé avant d’en porter un bout à sa bouche. L’éponge extrêmement sucrée fondit à l’intérieur, mais conservait une texture agréable grâce aux noix et aux fruits secs. La douceur forte était comme un baume pour son corps, le soulageant de tous ses efforts.

  • Oliver, c’est assez bon.
  • …Oui. Très bon.
  • Vraiment délicieux.

Les trois amis hochèrent la tête avec sérieux. Cela semblait piquer la curiosité de Miligan, alors Chela lui échangea un morceau de gâteau contre une bouchée de sa ration. Les yeux de la sorcière s’écarquillèrent dès qu’elle mordit dedans.

  • Qu’est-ce que c’est ? Ce n’est pas juste de me cacher un tel plaisir !

Alors que Miligan fit l’éloge du gâteau, Chela fut fière de la réussite de son ami comme si c’était la sienne. Oliver regardait les filles profiter paisiblement de leur repas, mais son esprit était concentré ailleurs.

[…Tu es là, n’est-ce pas, Miss Carste ?]

Il ne parlait pas avec sa voix, mais avec une micro-fréquence de mana. Il prenait soin de garder son débit aussi bas que possible, afin de ne pas alerter les autres. Mais même s’ils le percevaient, il leur serait impossible de le reconnaître comme des mots sans un cryptage prédéterminé.

[…Je suis ici. Je serais bien à tes côtés, mais je ne peux pas risquer d’être remarqué par la sorcière aux yeux de Serpent.]

Instantanément, une réponse arriva par micro-fréquence depuis probablement le haut des arbres. De l’extérieur, Oliver semblait bavarder agréablement et se reposer, mais en dessous de tout cela, il poursuivait sa conversation avec Teresa Carste, maître de l’invisibilité.

[Tant mieux. Sais-tu à quelle profondeur sont mon frère et ma sœur ?]

[Je les ai rencontrés dans la première couche il y a environ huit heures. Ils doivent être devant nous maintenant. J’ai également repéré certains de nos alliés et d’autres élèves plus âgés.]

Oliver acquiesça intérieurement. Il ne doutait pas que le Président Godfrey et une foule d’autres élèves essayaient de contenir la situation, mais c’était rassurant à entendre. Mais tomber sur l’un d’entre eux pouvait s’avérer problématique, étant donné qu’ils n’étaient que des première année.

[Je dois vous dire que j’ai reçu l’ordre de vous ramener à l’école immédiatement après vous avoir localisé dans le labyrinthe].

Oliver se tut, puis répondit en essayant de la comprendre.

[…Pourquoi tu ne le fais pas ?]

[Après votre couronnement, vous êtes devenu mon maître en nom et en substance. Il est tout à fait naturel que je donne la priorité à vos désirs plutôt qu’aux ordres de Miss Shannon et Mr. Gwyn].

Teresa répondit sans hésiter, et Oliver fut légèrement décontenancé par sa position. Elle semblait très sérieuse dans son rôle de proche subordonnée. Apparemment, il n’avait pas à s’inquiéter d’essayer de la rallier à sa cause.

[Plus important encore, le remplaçant de Darius Grenville ne va pas tarder à apparaître. Considérant comment ces monstres sont très puissants, il ne faut pas hésiter à affronter cette catin de Salvadori. C’est une bonne occasion de tester notre force. N’êtes-vous pas d’accord, monseigneur ?]

Ses mots frappèrent le dos d’Oliver plus fort que n’importe quel fouet. Elle avait raison, ses véritables cibles surpassaient de loin Ophelia. Les méthodes d’entraînement normales ne lui permettraient jamais de les égaler. En ce sens, il devait accueillir cette situation comme une opportunité de devenir plus fort. Il était aussi bien de reconfirmer à quel point Teresa était une subordonnée fiable. Donc Oliver suggéra un plan.

[Ton invisibilité se prouverait-elle utile contre les chimères d’Ophelia Salvadori ou contre la sorcière elle-même ?]

[À une certaine distance, je peux rester indétectable sans problème si je suis seule. Si vous le souhaitez, je peux également faire office d’éclaireur.]

[Ce serait utile. Si tu trouves quoi que ce soit de dangereux sur notre chemin, fais-le moi savoir. Mais ne te mets absolument pas en danger.]

[Oui, monseigneur !]

Sa réponse fut enjouée. Vu son innocence, cela tira sur la corde sensible d’Oliver. Il savait qu’il l’envoyait en mission suicide.

[Ne vous inquiétez pas. Un seigneur se doit d’utiliser ses vassaux au maximum de leurs capacités. Je suis toute à votre disposition.]

Teresa s’exprima comme si elle sentait son agitation à travers la fréquence du mana. Cela le fit se sentir encore plus coupable, mais Oliver ravala ses émotions et renvoya un simple « Va ».

[Il y a… autre chose aussi.]

Teresa laissa un silence. L’instant d’après, la fréquence augmenta d’intensité malgré le contrôle qu’elle avait exercé plus tôt.

[J’ai toujours parlé de cette manière. Lors de notre réunion précédente, vous avez suggéré que cela pourrait être forcé. Mais ça ne l’est pas. Je le jure !]

Teresa s’entêta, criant si fort que sa voix résonna pratiquement aux oreilles d’Oliver. Il fut surpris, encore plus lorsque Nanao se leva d’un bond.

  • Qu’est-ce qu’il y a, Nanao ?
  • Il y a quelqu’un ici.

Elle fixa intensément les arbres, ses sens aiguisés ayant apparemment perçu les ondulations du mana. Oliver paniqua, mais était aussi légèrement soulagé. Un tel faux pas était la preuve que Teresa était toujours une enfant à l’intérieur.

  • Peut-être que nous sommes surveillés par une bête magique. Il n’est pas sage de rester au même endroit trop longtemps. Nous devrions avancer, Miss Miligan, commenta Oliver, essayant de créer une diversion.

Il se leva ensuite.

  • Bonne idée, dit Miligan avec un hochement de tête.
  • Continuons.

——————————————————————

Ils avaient encore marché deux heures dans la forêt avant de tomber sur un spectacle complètement différent.

  • Maintenant, ça va un peu être une situation délicate.
  • Wow…

Oliver n’avait pas pu identifier immédiatement ce qu’il regardait. C’était un arbre extrêmement grand. Il était impossible de dire où se terminait le tronc et où commençaient les branches, ni même ce qui était une racine. Tout s’enroulait et se tordait ensemble. Certaines branches s’étiraient dans les airs et faisaient pousser des feuilles tandis que d’autres s’enfonçaient dans le sol, soutenant le corps principal. Même à son point le plus fin, l’arbre atteignait facilement un diamètre de dix mètres.

— C’est un Irminsul, la porte d’entrée de la seconde couche du labyrinthe. À la surface, c’est une espèce en voie de disparition. Regardez bien, dit Miligan en caressant l’écorce la plus proche pendant qu’elle en expliqua plus.

  • On dit que ces arbres ne poussent que sur les cadavres de Béhémoths. Dans les temps anciens, la terre était couverte de ces choses. C’est fascinant quand on y pense. Oh, et voici notre fête de bienvenue.

Elle leva les yeux. Des créatures aux ailes osseuses, aux longues queues et aux grands becs tournaient au-dessus d’eux, leurs cris stridents résonnant sans fin.

  • Ce sont de petits oiseaux de type wyverns. Des petites coquines intelligentes qui changent leur mode de chasse en fonction de leur proie. Elles attendent que les proies les plus fortes meurent, pour récupérer les restes. Mais si la créature semble faible, le groupe attaque comme un seul homme. Ils mangent tout, même les os, c’est pourquoi on les surnomme « nettoyeurs d’Irminsul ». Le professeur Hedges veut un enterrement dans le ciel, non ? Il devrait demander à ces choses de le manger, plaisanta Miligan avant de s’appuyer sur une branche géante, marchant dessus.

Oliver et les filles avaient suivi son exemple. La branche était comme une route, coupant le ciel. Le groupe avançait prudemment alors que les wyverns au-dessus les surveillaient de près.

  • …Ils vont nous regarder jusqu’à ce qu’on passe cet arbre ? demanda Chela.     
  • Probablement. Mais ce n’est pas une mauvaise chose. Leur schéma de vol changera si une grande créature magique est à proximité. Considérez-les comme des chiens de garde.

Miligan ne semblait pas perturbée, mais Oliver et les filles n’étaient jamais venus ici auparavant, et ils ne pouvaient donc pas être aussi audacieux. Les wyverns au-dessus d’eux prenaient une grande partie de leur attention, mais ils pouvaient aussi sentir d’innombrables présences cachées au-dessus des branches enchevêtrées. Il n’y avait aucun moyen de savoir d’où pouvait venir une attaque.

  • Il y a techniquement un détour. Et c’est un peu plus sûr, aussi. Mais ça prendrait une journée entière pour——  
  • Alors on va par là.
  • Oui, chaque seconde est précieuse.

Nanao et Chela répondirent instantanément. Oliver également hocha la tête, en regardant Miligan devant eux.

  • Je suppose que je n’avais pas besoin d’en parler, dit-elle.
  • Très bien, nous allons grimper. Suivez-moi.

Ils commencèrent donc ce qui ressemblait plus à l’ascension d’une montagne que d’un arbre. En gardant les yeux rivés sur leur destination, ils grimpèrent de branche en branche. Lorsque la branche suivante était trop loin ou trop haute, ils utilisaient leurs balais, mais Miligan insistait pour qu’ils grimpent la majorité du temps. Selon elle, tenter de faciliter le voyage et de voler alors qu’ils ne comprenaient pas la géographie ou l’écosystème était le bon moyen pour aller vers un désastre.

  • C’est un chemin assez difficile, je dois dire.
  • Vous pouvez essayer de vous faire un chemin, mais il sera vite envahi par la végétation. Faites attention de ne pas trébucher.
  • …J’aurais dû demander plus tôt, mais comment se fait-il qu’il y ait un soleil ici ? dit Chela, en jetant un coup d’œil aux rayons de lumière qui brillaient d’en haut alors qu’ils grimpaient des branches escarpées.

Miligan répondit en dégageant le lierre du chemin devant eux.

  • C’est un héritage de l’après Grand Calendrier. Il est pratiquement impossible de reproduire le sortilège de nos jours. Il en va de même pour ce labyrinthe. Cela dit, il a été presque entièrement analysé, et nous savons maintenant que la source de son mana se trouve dans une couche plus profonde. Mais même moi, je n’ai aucune idée de ce que c’est.

Oliver plissa les yeux et regarda le soleil artificiel tout en écoutant. Beaucoup de techniques magiques avaient été perdues au fil du temps, et les recréer était un énorme casse-tête pour les mages d’aujourd’hui. C’était pour cette raison que la rétro-ingénierie était un domaine si respecté de l’ingénierie magique. Il était important de récupérer ces anciennes connaissances.

  • Contrairement à la surface, ce soleil ne se couche jamais. Et pour les plantes, qui n’ont pas besoin de dormir, cet endroit est un paradis. Il pleut même périodiquement.
  • …Alors c’est un biotope[2] ? Je me doute que cet environnement a été créé par l’homme pour l’approfondissement des recherches en biologie magique, dit Chela.
  • Si tu veux le savoir, tu devrais étudier la labyrinthologie. Quant à la raison pour laquelle le labyrinthe a été créé, eh bien, nous n’avons toujours pas de réponse claire à cette question, expliqua Miligan.

La conversation s’arrêta alors que les quatre se hâtaient d’avancer. Le chemin n’était jamais plat, et les collines et vallées extrêmes sapaient leurs forces.

  • Hup… !

C’était la bonne décision de ne pas emmener Katie et Guy, pensa Oliver en lançant « Impulsion tombale » pour créer un point d’appui afin de sauter à la branche suivante. Se frayer un chemin sur ce terrain nécessitait un certain niveau de jeu de jambes, et actuellement, même avec un guide, ces deux-là n’auraient jamais été capables de suivre.

  • …Hmm. Ils se sont rapprochés, marmonna Miligan en ralentissant.

Oliver, prit de court, scruta leur environnement et vit d’innombrables yeux scintiller derrière chaque branche possible. Chela déglutit fortement. Elle avait senti leur présence, mais n’avait aucune idée qu’ils étaient devenus plus nombreux.

  • Miss Miligan…
  • Ne bougez pas. Vous allez les exciter. Soyez juste prêts à dégainer à tout moment, répondit Miligan d’un ton égal, en exhortant ses cadets de rester calmes.—— Un groupe de quatre personnes à 50% de chances de passer ici sans incident. Cela dépend aussi de leur degré de faim. Et si c’est la saison des amours, ces bêtes peuvent attaquer directement. Heureusement pour nous, elles n’ont pas l’air d’être à cran aujourd’hui.
  • …Ils ne comptent pas sur leur nombre pour attaquer, alors ? demanda Chela.
  • C’est déjà arrivé dans le passé, et ça avait mal tourné pour eux. Ils ont peur des mages. Et ils n’ont aucun moyen de savoir que trois d’entre nous ne sont que des première année.

Le but de Miligan était d’apaiser les inquiétudes de Chela, mais le sang d’Oliver s’était glacé. Cela signifiait qu’il était très inhabituel que trois étudiants de première année se trouvent aussi loin dans le labyrinthe.

  • On ne peut pas en dire autant de ce qui nous attend, cependant. Voilà le Chef.

Miligan s’arrêta. Ses yeux étaient concentrés sur une section d’arbre où des dizaines de branches semblables à celles qu’ils avaient traversées se tordaient pour fusionner, formant un îlot en forme de bassin. Le « sol » était recouvert d’une terre épaisse, comme si un tas de feuilles mortes avait été transformé en paillis. Et au centre de l’îlot se trouvait un nid fait de branches de la taille d’un arbre. De l’intérieur de ce nid, une ombre massive émergea, faisant trembler les arbres à chacun de ses pas.

  • — !
  • … ?!
  • Hoh.
  • Tenez votre position. Regardez-le droit dans les yeux. Ne montrez aucune peur. C’est le chef de la face ouest de l’Irminsul.

Miligan ne bougea pas d’un pouce face au singe géant qui s’approchait. Il faisait facilement trois à cinq fois leur taille, dépassant les 4,5m de haut. Tout son corps était recouvert de fourrure noire, à l’exception de son visage. Ses bras étaient fins et longs par rapport à ses jambes et à son torse ; il semblait capable de marcher sur deux pieds, mais pour l’instant, il s’approchait d’eux à quatre pattes. Oliver connaissait de nombreuses espèces de singes démoniaques qui vivaient dans les arbres, mais aucune qui était aussi grande. Peut-être était-ce une espèce unique des Irminsuls.

  • Qu’est-ce qui se passe, West ? Pourquoi es-tu si nerveux ? Tu n’as jamais été du genre à t’inquiéter des groupes de personnes qui passent par là, demanda calmement Miligan à la bête tout en l’analysant de la tête aux pieds.

Il lui manquait des morceaux de fourrure partout et sa peau était lacérée à plusieurs reprises, des muscles noirs et rouges apparaissant à l’intérieur. Après une inspection plus attentive, il était difficile de ne pas trouver une partie de son corps qui n’était pas blessée. Il lui manquait même deux doigts entiers à la main droite.

  • …Blessé, hein ? Je vois. Un combat avec les chimères d’Ophelia, c’est ça ?

Miligan avait retracé l’origine des blessures d’un simple coup d’œil. Le singe démoniaque lui montra les crocs et siffla de façon menaçante. La main d’Oliver se dirigea vers l’athamé à sa taille. Contrairement aux créatures qu’ils avaient rencontrées jusqu’à présent, ce singe était clairement énervé.

  • On ne te veut aucun mal, mais il semble que tu ne sois pas d’humeur à écouter… Oh, puis bon.

Miligan l’avait également senti et dut renoncer à essayer de passer pacifiquement. Toujours prête à en découdre avec le singe, elle souleva la frange qui couvrait son œil gauche. Dès qu’il aperçut l’œil du basilic, le pelage du singe se hérissa.

  • Donc tu ne reculeras pas même après avoir vu mon œil. Cela signifie qu’on va devoir se battre. Préparez-vous, tous les trois ! cria-t-elle en dégainant son athamé.

L’intense confrontation de regards se poursuit, mais le singe ne montre aucun signe de recul. Voyant qu’ils ne pouvaient pas éviter le combat, Oliver et Chela tendirent la main vers leur taille.

  • Attendez un moment, Miss Miligan.

Une voix douce refroidit leurs esprits. La jeune fille aziane fit un pas vers le singe démoniaque, et les yeux de Miligan sortirent de leurs orbites.

  • …Nanao ?
  • Il est trop tôt pour dégainer. Nous n’avons pas encore présenté nos respects.

Et immédiatement, Nanao s’était mise à genoux. Elle retira son épée de sa taille et la posa sur le sol, faisant face au singe démoniaque sans arme. Son dos était droit comme une flèche, et ses trois compagnons ne pouvaient s’empêcher de rester bouche bée.

  • Nous sommes au milieu d’un voyage pour sauver un ami. Le temps nous est compté, et nous devons donc brutalement couper à travers votre domaine.

Elle parla doucement, restant en position. Après l’avoir regardée dans les yeux pendant quelques secondes, le singe se pencha soudainement en avant et rapprocha son visage du sien, assez près pour lui arracher la tête. Il renifla.

  • Nanao… !
  • Attends, Chela !

Chela, incapable de regarder, tenta de retirer son athamé, mais Oliver l’arrêta instinctivement. Quelque chose était différent. La situation semblait dangereuse au possible, mais l’agressivité dont le singe avait fait preuve quelques instants plus tôt n’était plus.

  • Ce n’est pas mon souhait d’ouvrir notre chemin par la violence. Nous accorderez-vous le passage ? dit Nanao en exprima son désir directement, sans jamais rompre le contact visuel.


Le silence s’installa entre la jeune fille et le singe, jusqu’à ce que ce dernier se retourne lentement. Sous le regard étonné de ses amis, le singe démoniaque retourna dans son nid, leur tournant le dos.

  • Il s’est retiré, dit Oliver, incrédule.
  • Bonté divine… Quel tour as-tu utilisé, Nanao ? demanda Miligan avec excitation, en scrutant le visage de la jeune fille.

Nanao ramena son épée à sa taille, se leva et répondit.

  • D’après Katie, la plupart des créatures magiques ressemblant à des bêtes déterminent les intentions d’un adversaire à partir de leur mana et de leur odeur, des choses que nous émettons inconsciemment. Les propriétés changent en fonction de nos émotions. Ainsi, si l’on souhaite exprimer que l’on n’est pas une menace pour ces créatures, il faut se détendre et leur faire face le cœur tranquille. Plus ils sont excités, plus on se doit d’être calme, du moins c’est ce qu’elle prétend.

Elle sourit en prononçant le nom de son amie. Chela croisa les bras et considéra la méthode surprenante.

  • …Les affronter le cœur tranquille, dis-tu ? Je peux voir la logique, mais… C’est plus facile à dire qu’à faire contre une créature aussi féroce…
  • Mais c’est logique, convint Oliver. — La bête était blessée et agitée, c’est exactement pour ça qu’elle voulait éviter tout conflit inutile. Tu devais faire comprendre que tu n’étais pas une menace. Je vous jure, Katie et toi n’arrêtez pas de me surprendre.

Il se souvint des graines de Plantoutils que Guy lui avait données. Même s’ils n’avaient pas pu venir, Katie et Guy avaient quand même sauvé leurs fesses. Le groupe entier travaillait ensemble pour sauver Pete.

  • …La Rose des lames, huh ? chuchota Oliver.

Chela sourit à côté de lui, et il grimaça maladroitement. Elle pensait certainement la même chose. Miligan, après avoir entendu l’explication de Nanao, hocha vigoureusement la tête.

  • Vraiment fascinant. En tout cas, nous avons de la chance d’avoir évité ce combat. Maintenant, dépêchons. Nous devrons encore descendre après avoir passé cette zone.

Miligan indiqua la direction à suivre. Les première année lui emboîtèrent le pas et reprirent leur marche, mais dès qu’ils eurent dépassé le nid du singe démoniaque, Oliver remarqua un changement au-dessus d’eux.

  • Miss. Miligan… Les Wyverns.

Leurs fidèles suiveurs s’étaient séparés et volaient maintenant dans une autre direction. Alors que le groupe levait les yeux, ils avaient entendu un bruit fort derrière eux. Ils sursautèrent tous avant de se retourner pour voir le singe démoniaque de tout à l’heure bondir hors de son nid. Ils se préparèrent au combat, mais le singe les dépassa sans un regard.

  • Le Chef s’enfuit. Il se passe quelque chose là-bas.

Sentant que quelque chose n’allait pas, Miligan partit. Les trois amis la suivirent quand soudain Oliver reçut un message via sa fréquence de mana secrète.

[Soyez prudent, mon seigneur. Une chimère vous attend !]

Le visage d’Oliver se raidit à l’avertissement de Teresa. Vingt secondes de course plus loin, le chemin se transforma en une pente descendante. Il vit alors la menace en question. Droit devant, sur une branche non loin de l’île aux arbres, se trouvaient deux bêtes magiques enfermées dans un combat. D’un côté se trouvait le singe démoniaque. De l’autre, une chimère géante d’environ deux fois sa taille, moitié mante religieuse, moitié scarabée. Ses deux bras étaient des faux géantes, et des rangées de pattes segmentées se faufilaient sous son abdomen. Sur son thorax se trouvaient de multiples monticules d’aiguilles acérées. Le singe hurla et attaqua, mais la chimère tint sa position.

  • …Une chimère qui combat avec ce singe… ! dit Oliver.
  • Pas étonnant, quand elle ressemble à ça, et qu’elle s’est avancée sur le territoire du singe.

Cachés dans les branches tordues pour ne pas être repérés, tous les quatre regardaient le combat se dérouler. Le singe était rapide malgré sa taille, mais pour une raison quelconque, chaque fois qu’il s’approchait de la chimère, un nuage de sang jaillissait de son corps. Il n’avait pas été touché par les faux, alors comment ? Les yeux et les oreilles d’Oliver avaient rapidement trouvé la réponse. Des aiguilles sortaient du corps du singe. La chimère lançait les aiguilles sur son thorax avec une vitesse alarmante et un bruit explosif.  

Chaque fois que le singe s’approchait, il était frappé par une nouvelle attaque d’aiguilles. Et, incapable de s’approcher, le singe voyait ses blessures devenir de plus en plus critiques. Déjà blessé, donc le combat ne dura pas longtemps. Le singe tomba à genoux après avoir perdu trop de sang, et la chimère abattit sans pitié ses faux. D’un seul coup, elle avait décapité le singe Irminsul impuissant.

  • Le Chef de la face ouest est mort, huh ? Je suppose que c’était inévitable, vu qu’il était blessé, mais c’est un problème, marmonna Miligan en assistant à la conclusion du combat.


Oliver connaissait la signification de ce qui allait suivre sans qu’elle ait à le dire et il avala de travers.

  • Tuer le chef précédent signifie que cette zone est maintenant le territoire de cette chimère. Et elle se trouve en plein sur notre chemin. Techniquement, on pourrait se retirer et faire un détour, mais on devrait se préparer à une attaque sur un terrain encore pire… Alors que faire ?

Miligan se tourna vers ses cadets en leur demandant ça. Ils la regardèrent une seconde, puis hochèrent la tête à l’unisson. S’il était probable qu’ils se battent de toute façon, il valait mieux le faire ici plutôt que sur les branches où l’on ne pouvait pas marcher. Ils étaient assez proches de « l’îlot » pour pouvoir y leurrer la chimère.

  • Je n’avais pas besoin de demander. Ok, à votre tour. Je serai en support cette fois. Vous devez battre cette chimère.

Miligan acquiesça et fit un pas en arrière, les yeux brillants de par le suspens. Elle ajouta ensuite un conseil.

  • Je suis sûre que vous l’avez déjà remarqué, mais cette chimère est bien différente de celle de l’entrée de la deuxième couche. Celle-ci a été conçue pour tuer. Sa force et ses tactiques sont totalement différentes, mais surtout, échouer ici signifie mourir. Gardez ça en tête.

Il était bien conscient de ce fait, mais l’entendre dire à voix haute fit résonner cette vérité profondément dans la poitrine d’Oliver. Ses jambes semblaient sur le point de céder, mais il se força à se tenir debout, fixant leur futur adversaire.

  • …Elle ne nous a toujours pas vus. Doit-on continuer à l’observer à distance ? demanda Chela.
  • Non. On a déjà vu la composition de son corps et on l’a vu se battre avec une autre bête. Vu comme on est pressés par le temps, on ne peut pas espérer recueillir beaucoup plus d’informations.

Oliver abandonna l’idée et tourna les talons, se dirigeant vers l’îlot. Heureusement, elle n’était pas seulement spacieuse, elle était aussi couverte de terre. Une chance pour eux, pensa-t-il en regardant le paillis sous ses pieds.

  • Il est temps de se battre. Nous vaincrons cette chimère.

Il récupéra les graines de Plantoutils dans son sac et les répandit sur l’île.

  • BROGOROCCIO !

Il lança un sort sur les graines, et l’une après l’autre, elles commencèrent à germer : À chaque endroit, trois arbres poussèrent pour former de petits murs. Non seulement cela leur fournissait une protection, mais cela aidait également à ralentir la grande chimère. Ce n’était pas ce qu’il y a de plus solide, mais c’était mieux que rien.

  • …Tout le monde est prêt ?

Il se retourna en criant la chose. Nanao et Chela acquiescèrent vivement. Oliver leva son athamé en l’air.

  • FRAGOR !

Un éclair de lumière explosa au-dessus de sa tête, signalant le début du combat. La chimère, qui se gavait du cadavre du singe, leva sa tête insectoïde et se dirigea immédiatement vers l’îlot.

  • Viens ici !

Nanao se tenait au centre, prêt à la recevoir. La chimère frappa la première, balançant une faux verticalement sur elle. Elle esquiva d’un cheveu. Oliver l’avertit en criant :

  • Voilà les aiguilles !

Comme il l’avait prévu, la chimère éjecta ses aiguilles frontales en réponse à l’esquive de Nanao. Elles mesuraient environ 20 cm de long et semblaient être propulsées par un gaz à haute pression. Les aiguilles volaient si vite que même les robes magiquement renforcées du trio ne pouvaient les protéger. Un coup direct signifierait au mieux une blessure grave et au pire des dommages mortels.

  • Hah… !

Nanao se cacha derrière l’un des murs végétaux ; les aiguilles le frappèrent et restèrent enfoncées dedans, comme ils l’avaient espéré. Oliver laissa échapper un faible « ouais ! » d’autosatisfaction. Nanao pouvait probablement dévier les aiguilles avec son épée, mais comme le combat risquait de s’éterniser, il y avait beaucoup moins de risques de se blesser en procédant ainsi.

— C’est bien ! Ne te précipite pas, Nanao !

  • Compris ! répondit-elle en criant et en sortant de sa cachette.

La chimère, dont la faux se positionna pour détruire le mur, changea de cible pour Nanao et la visa. Elle sauta encore sur le côté, mais cette fois, il n’y eut pas d’attaque suivie d’aiguilles. Elle avait besoin de recharger le gaz à l’intérieur de son corps avant de pouvoir tirer une seconde volée. Tout était exactement comme dans son combat contre le singe démoniaque.

  • IMPETUS !
  • FRAGOR !

Oliver et Chela avaient simultanément incanté des sortilèges offensifs. En se basant sur la structure de la chimère, ils avaient déduit que ses points faibles étaient concentrés sur sa moitié supérieure. Malheureusement, leurs sorts rebondirent sur elle sans faire de dégâts.

  • C’est un corps assez solide qu’elle a… !
  • Pas une surprise ! Arrachons l’exosquelette et visons son ganglion !

Comme prévu, les sortilèges à une seule incantation n’avaient aucun effet sur sa carapace extérieure. Ils commencèrent rapidement à lancer leurs prochains sorts, et la chimère tourna son regard menaçant vers eux. Mais son attention fut attirée au sol par la jeune aziane qui profita de cette ouverture.

  • Ta jambe est à moi !

Nanao s’élança instantanément vers l’une de ses jambes et balança son sabre en direction de la carapace qui se présentait à elle. Elle découpa le membre de la chimère en deux, ce qui la fit tomber au sol. 

  • Je savais que tu pouvais le faire, Nanao !
  • Mmm !

Mais une jambe coupée n’était pas suffisante pour déstabiliser la chimère. Imperturbable, elle fit pleuvoir les aiguilles de son corps géant. Nanao plongea une fois de plus derrière un mur de Plantoutil en y échappant de justesse. Le visage d’Oliver se tendit. Elle avait esquivé cette fois, mais plus elle s’éloignait, plus le risque de se faire toucher était élevé. Mais le pire, c’est qu’une nouvelle jambe semblait déjà pousser à partir du segment sectionné.

  • Bien sûr il peut se régénérer, marmonna Oliver. —— Et comme il a été conçu pour le combat, il se régénère à une grande vitesse, aussi.
  • S’il ne peut pas être déstabilisé, alors le risque n’en vaut pas la peine. Évite de viser les jambes, Nanao, lui dit Chela.
  • Compris. C’est donc ça la méthode essai-erreur, hein ?

De hauts risques ne sont pas nécessairement accompagnés de hautes récompenses. Après en avoir fait personnellement l’expérience et avoir appris de son erreur, la jeune aziane leva à nouveau son sabre. L’attention de la chimère était toujours sur elle, comme si elle cherchait à se venger pour sa jambe coupée. Oliver et Chela en profitèrent pour ouvrir le bal.

  • FLAMMA !
  • FRIGUS !

Des sorts de feu et de glace furent lancés l’un après l’autre dans la course de l’adversaire. L’exosquelette de la chimère brûla, puis se figea instantanément. Immédiatement, ils enchaînèrent avec un autre sort en simultané.

  • FRAGOR !

Cette fois, ils lancèrent un sort d’explosion sur la zone précédemment endommagée, et au milieu des détonations, ils entendirent un son sec et craquant. Ils déglutirent et levèrent les yeux pour voir une section de l’exosquelette manquante, comme un morceau de poterie cassé, révélant un organe interne jaune.

  • On l’a brisé ! Affaiblir l’exosquelette avec la chaleur a finalement payé ! cria Chela. —— Explosons-le avec de la magie avant qu’il ne puisse se reprendre ! TONITRUS !

Le duo frappa rapidement à nouveau. Mais après deux coups, la chimère avait compris désormais leurs mouvements et balança vite son corps pour esquiver. Leurs sorts s’évanouirent sur une section solide de son exosquelette. Au même moment, une faux se dirigea droit sur eux pour les couper en deux. Ils sautèrent par réflexe en arrière pour esquiver.

  • Il protège la zone endommagée… !
  • Mais il ne peut pas régénérer l’exosquelette aussi rapidement ! Si on perce plus de trous dans son armure, on peut le faire ! répondit Chela, en donnant une tournure positive à la situation.

Elle reprit son incantation et Oliver suivit sans perdre une seconde.

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Miligan regardait le combat depuis une branche voisine.

  • …Oui. Oui. Bien, très bien murmura-t-elle, ravie, tandis que les trois élèves de première année se trouvaient en pleine bataille.

Leur premier combat contre une chimère dépassait de loin ses attentes.

  • Grâce à Nanao qui attire ses attaques, Oliver et Chela peuvent tâter le terrain beaucoup plus. Et leur décision d’enlever d’abord l’exosquelette de la chimère après avoir observé ses mouvements était tout à fait correcte. Sans parler de la rapidité avec laquelle ils ont cessé de viser les jambes après avoir découvert que le risque n’en valait pas la peine.

Son sourire s’accentua. Par rapport à leur premier combat, les mouvements de la fille aziane étaient plus nets, et le garçon s’était beaucoup amélioré. Chela n’avait pas déçu non plus. Ils étaient encore assez inexpérimentés, mais ils s’étaient remarquablement améliorés.

  • Je suis très impressionnée qu’après seulement une leçon, vous soyez déjà allés si loin. Votre capacité d’adaptation est remarquable. Mais je me demande si vous avez réalisé que le moment où vous entrevoyez la victoire dans un combat contre un adversaire inconnu est aussi le moment plus dangereux.

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Le combat continua durant plus de dix minutes. Lorsque les derniers murs de Plantoutils tombèrent, la bataille entra dans sa phase finale.

  • Il ne veut pas mourir ! On a fait exploser ses entrailles plus de dix fois, et il bouge toujours… !
  • Non, ça marche vraiment ! cria Oliver à Chela.
  • La chimère tire beaucoup moins d’aiguilles. C’est l’heure du coup final !

Voyant que leur adversaire était à court de munitions, Oliver prit la décision de l’achever. Les aiguilles étaient fabriquées dans le corps de la chimère alors elle ne pouvait pas en tirer à l’infini. Non seulement elle en avait déjà utilisé des tonnes pendant leur combat, mais elle en avait probablement gaspillé encore plus contre le singe démoniaque. Il y avait au moins une dizaine de trous dans l’exosquelette de la chimère, et ses mouvements ralentissaient à cause des dommages internes infligés par les sorts d’Oliver et de Chela. C’était l’occasion parfaite pour l’achever. Oliver en était certain alors il le fit savoir aux filles.

  • Je vais la distraire par devant ! Vous deux, faites le tour sur les côtés !
  • Très bien !
  • Compris !

Oliver prit la place de Nanao devant la chimère. La bête blessée hurla, et les filles attaquèrent ensemble sur les côtés.

  • FRAGOR !
  • Haaaaah !

Le sortilège d’explosion de Chela fut assourdissant ; Nanao décida d’attaquer à nouveau les jambes de la chimère. Sans ses aiguilles, la chimère était obligée de balayer ses ennemis avec ses faux. Ils esquivèrent tout juste et Oliver s’élança juste devant sa tête.

  • BROGOROCCIO !

Il dispersa les graines de sa main gauche tout en incantant un sort. Au début, rien ne s’était passé. La chimère le remarqua rapidement et balança sa tête vers le bas, droit sur lui. À court d’aiguilles et les bras occupés, son seul choix était d’attaquer la proie sous son nez avec ses mandibules.

Oliver activa l’impulsion tombale sous ses pieds, sautant en arrière et esquivant l’attaque d’un cheveu.

  • HISSSS ?!

Des Plantoutils jaillirent des deux côtés simultanément, bloquant la tête de la chimère en place. L’incantation à retardement d’Oliver impliquait que le sort prenait plus de temps à s’activer. Incapable de bouger, le haut du corps sans défense de la chimère fut exposé à lui. Dès le début, il se doutait qu’en se basant sur le modèle de corps de la chimère, l’emplacement de son ganglion supra-oesophagien, le cœur de ses fonctions vitales, devait être…

  • Ici !

Il se glissa dans l’espace entre la tête de la chimère et le sol, fixant le point faible de son ennemi sous ses yeux. C’était presque fini. Il leva rapidement son athamé.

  • — !

L’instant suivant, au moment où il s’apprêtait à insérer sa lame, un faisceau d’aiguilles apparut comme pour se moquer de sa tentative.

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Le son trop familier du gaz à haute pression. C’était tout ce dont Miligan avait besoin pour comprendre ce qui venait de se passer.

  • Aww, et de si près, en plus. Il l’a pris de plein fouet après tout.

Avec un soupir, elle dégaina son athamé et sauta de la branche depuis laquelle elle observait.

La bataille avait été tellement fantastique jusqu’à ce point qu’elle ne pouvait s’empêcher d’être terriblement déçue par l’échec de ses cadets à terminer le travail.

  • Mais je ne te blâme pas. C’est un sacré sale tour ; Ophelia conçoit toujours ses chimères en supposant que leurs points faibles seront découverts… Essaie de ne pas mourir immédiatement, Oliver. Je serai là pour te sauv…

 

Mais Miligan s’arrêta dix mètres avant de rejoindre la mêlée. Ce qu’elle vit lui fit écarquiller les yeux de surprise non seulement son œil humain, mais aussi son œil de basilic.

  • …Ha-ha. Je ne rêve pas ?

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  • Je l’avais prédit, aussi.

Oliver se moqua de son adversaire en brandissant un morceau de son exosquelette dans sa main gauche comme un bouclier, bloquant l’attaque finale de la chimère. Il l’avait prédit dès le milieu de la bataille, lorsqu’il avait découpé un morceau de la jambe que Nanao avait sectionnée en le glissant sous sa robe. Les morceaux retirés du corps de la chimère se détérioraient rapidement, mais il pouvait les garder frais avec de la magie spatiale. Il n’y avait aucune garantie que le petit bouclier bloquerait toutes les aiguilles, mais au moins, ses organes vitaux seraient préservés.

  • HISSSSSSSSS !

La chimère hurla sentant que la fin était proche. Son dernier piège désarmé, la créature n’avait plus aucun moyen de se défendre.

  • FRIGUS !

Oliver plongea profondément son athamé dans la bête et lança le sort, avec l’intention de mettre fin aux choses une fois pour toutes. De la glace se précipita de la pointe de l’athamé dans le corps de la chimère, gelant en quelques secondes les organes qui contrôlaient ses fonctions vitales. La lumière vacilla dans les yeux de la chimère. Oliver fit un bond en arrière au moment où son corps géant s’effondrait avec mollesse.

  • …Elle est…morte ? demanda Chela, témoin de la victoire, mais toujours peu désireuse de déposer son épée.

Oliver regarda le cadavre pendant quelques secondes, puis lança un autre sort au même endroit par précaution.

  • Oui, elle est morte, répondit-il avec un hochement de la tête confiant. —— J’ai gelé et détruit son ganglion. Elle est totalement morte.

La tension dans son corps se relâcha, et d’un seul coup, Oliver se sentit incroyablement lourd. Nanao se précipita dans sa direction avec excitation, complètement insensible.

  • Excellent travail, Oliver !
  • Pareil pour toi, Nanao.

Ils se frappèrent la paume de main, mais la réalité s’imposa à Oliver.

  • Et toi aussi, Chel…Ahh ?!
  • Hmm ?!

Oliver et Nanao se tournèrent pour inclure leur amie, mais ils eurent une grosse surprise : Elle se jeta sur eux, serrant leurs corps l’un contre l’autre dans une étreinte.

  • …On a gagné… ! On l’a vaincu ! Tous les trois on a vaincu cette terrible chimère !

Sa voix tremblait d’allégresse. Ils savouraient la joie de la victoire alors que Miligan s’approchait en applaudissant.

  • Félicitations pour votre première victoire. Pour une première, je suis assez impressionnée je dois dire. J’étais restée bouche bée.
  • Miss. Miligan…
  • Honnêtement, je vous aurais donné la note de passage rien que pour avoir arraché l’exosquelette de la chimère et l’avoir épuisée. Si Nanao avait essayé de déchaîner sa technique spéciale ou si Chela avait été forcée d’utiliser sa forme d’elfe, je serais intervenue… Mais en y repensant, je n’ai eu aucun moment où je pensais intervenir. J’ai juste eu à m’asseoir là et à me tourner les pouces.

Elle avait l’air déçue, mais ses lèvres étaient indubitablement courbées en un sourire. Elle était simplement heureuse de voir ses cadets dépasser ses attentes.

  • Maintenant, pouvons-nous continuer à avancer ? Il semble que votre aventure ne s’arrête pas là.

Miligan prit de nouveau les devants, louant l’évolution du trio. Et avec une nouvelle confiance dans leur cœur, les trois première année suivirent.  

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[1] Le terme succube est bien un terme masculin même si cela désigne un démon femelle. On dit donc « un succube » pour une femelle et « un incube » pour un mâle.

[2] En écologie, un biotope est un lieu de vie défini par des caractéristiques physiques et chimiques déterminées relativement uniformes

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