REIGN OF V1 : ÉPILOGUE

Épilogue

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Traduction : Colonel Raclette
Correction : Raitei
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Ce soir-là, Katie se réveilla sur un lit à l’infirmerie, entourée de ses amis. Oliver leur expliqua à tous ce qui s’était passé.

— Je déteste être le porteur de mauvaises nouvelles, Katie… mais c’est ce qui s’est passé.

— ……

La fille aux cheveux bouclés s’assit en silence sur son lit. Oliver continua, comme s’il tenait quelque chose de fragile.

— Miss Miligan ne te voulait aucun mal. Quand tu avais commencé à essayer de communiquer avec le troll, je suis sûr qu’elle t’a aidé par pure bonne volonté. Tout ce qu’elle voulait faire, c’était aider un ami qui partageait les mêmes valeurs.

Dit-il, en pensant que cela pourrait être un réconfort. Mais il n’était pas sûr que cela serve à grand-chose. Voyant qu’Oliver fût dans une mauvaise passe, Chela prit le relais.

— Mais tu as fait quelque chose qu’elle n’aurait jamais imaginé. Ce troll qu’elle avait abandonné comme un échec de ses expériences a parlé notre langue grâce à tes tentatives de communication. Cela a dû être un grand choc pour elle après des années de dur labeur sans rien réussir.

Ce n’était pas forcément une bonne chose d’avoir l’attention d’un mage. Même le titre de militant pour les droits civiques n’était pas une garantie que son humanité reste intacte. Oliver réalisait à quel point il était encore naïf de ne comprendre cela que maintenant.

— J’ai déjà informé Godfrey de la situation, dit-il —- Au début, il était choqué, mais il a accepté une fois qu’il a entendu le troll parler le langage humain. Maintenant qu’il la surveille, Miligan ne peut plus faire les horreurs qu’elle faisait avant.

Oliver prit soin de régler tous les détails laissés en suspens pendant si longtemps. Après tout ce qu’elle leur avait fait subir, Miligan méritait une punition appropriée. Il était tout à fait naturel qu’elle soit mise sous surveillance et elle devait des excuses à Katie.

— …Je veux juste savoir, dit Katie calmement, voyant qu’il avait fini d’expliquer. —- Que va-t-il arriver au troll ?

— Ironiquement, c’est le seul et unique exemple dans le monde d’une intellectualisation réussie. Je pense que l’on peut supposer qu’il ne sera pas exécuté. Et vu qu’il n’y a pas meilleur partenaire que toi pour communiquer avec lui, il est possible qu’on puisse améliorer sa vie.

Ceci, au moins, était le bon côté de la situation. Oliver ne pouvait que deviner, mais il pensait que c’était la personnalité de Katie qui avait fait sortir des mots humains du troll. Elle s’efforçait toujours de voir les choses d’une perspective différente, même en mangeant la même nourriture et en chantant ensemble. Petit à petit, elle se rapprocha de son cœur. Ce n’était pas quelque chose que la sorcière aux yeux de serpent pouvait reproduire, peu importe ses efforts : des interactions humaines chaleureuses. Katie expira brièvement.

— J’ai compris. On s’en sort pas si mal finalement ?

— Katie…

Il n’y avait aucun moyen que ça soit si simple. La pitié remplissait les yeux d’Oliver alors qu’il l’étudiait, quand soudain elle poussa un cri aigu.

— Oliver ! Garde-à-vous !

Il se redressa instinctivement sur sa chaise. Katie sauta du lit, s’approcha de lui et posa ses lèvres sur sa joue avant qu’il ne puisse dire un mot.

— ?!?!?!?!

— …Ouf ! Ok, Nanao, à ton tour !

— Mm ?!

Katie rougit en déposant un baiser sur Nanao, elle aussi. Leurs amis restèrent bouche bée.

— C’est en remerciement pour m’avoir sauvée ! dit-elle bruyamment, debout au milieu du groupe —- Bien sûr, c’est loin d’être suffisant pour vous rembourser, alors considérez ça comme un acompte. Merci, vous deux. Et je suis désolée de toujours me mettre en danger.

Dit-elle en leur prenant la main. Alors qu’ils étaient encore sous le choc, elle serra leurs mains dans ses poings.

— Mais ne vous inquiétez pas ! Je ne vais pas laisser cela m’abattre ! J’ai peut-être été élevée dans un cocon, mais si on me met trop souvent à terre, je reviendrai juste plus forte. Tu dis que ce troll s’est fait triturer le cerveau ? Que j’ai été kidnappée par quelqu’un en qui j’avais confiance et presque disséquée ? Ah-ha-ha ! je m’en fiche ?! cria Katie.

Elle était triste et pleine de rancune, refusant d’être brisée. Heureusement, il n’y avait pas d’autres patients dans l’infirmerie. Elle mit une main sur sa poitrine et prit une profonde inspiration pour se calmer, puis continua.

— Je vais être honnête. Cet endroit, Kimberly, est vraiment horrible. Mais c’est le lot de la société magique. Si je reste ici, j’aurai de nombreuses occasions d’en découdre avec les problèmes de ce monde, annonça-t- elle. Son regard était puissant et elle souriait sans crainte —- C’est bon signe. J’en suis sortie victorieuse cette fois-ci, non ? Je me suis battue et j’ai gagné le droit de vivre de ce troll. J’ai perdu quelques batailles en cours de route, et l’avenir sera certainement épineux, mais je ne suis pas restée à terre après avoir été battue. Et bien sûr, c’est en grande partie grâce à vous tous. Je ne peux toujours pas me protéger… mais je jure que je ne resterai pas comme ça. Je vais devenir forte, moi aussi, pour pouvoir vivre une vie qui me rendra fière.

Oliver écarquilla les yeux de surprise. Alors qu’il se demandait comment la réconforter, elle avait déjà décidé de continuer à se battre. Même après avoir connu le caractère redoutable de Kimberly et avoir fait l’expérience de la cruauté du monde, elle avait fait le choix de continuer à se battre, peu importe qu’elle soit couverte de sang et de boue en chemin.

Je te reconnais à peine, pensa Oliver du fond du cœur. Elle n’était plus de loin la Katie Aalto qui avait failli abandonner après son premier jour de cours de biologie magique. Elle n’était plus un ange qui ne parlait que d’idéaux fantaisistes.

— Je pense que ma première tâche du jour sera d’aller gifler Miss Miligan. C’est une traîtresse pourrie, mais elle reste quand même la première ainée à avoir sympathisé avec moi. Je vais lui dire ce que je pense, et quand ce sera fait, je réfléchirai longuement à l’avenir de notre relation.

Ses amis la regardèrent avec étonnement, incapables de comprendre qu’elle soit encore prête à interagir avec quelqu’un qui lui avait fait subir tant de choses. Comprenant leur inquiétude, Katie secoua fermement la tête.

— Si je coupe tout contact et que je reste dans ma coquille, j’aurai toujours peur de mes rencontres. On ne va pas se mentir, où que j’aille, cette école est pleine de gens comme elle.

C’était une chose effrayante à souligner, mais personne ne pouvait le nier. Katie rigola en dérision.

— Alors je vais juste m’endurcir, déclara-t-elle—- Et si je vois une ouverture, je m’assurerai d’y mettre mon grain de sel. Je jure que je ne serai pas toujours du côté des perdants, attendez voir. Je vais me battre, et j’espère que d’ici le diplôme, cette école sera devenue un tout petit peu moins cruelle ! clama-t-elle haut et fort !

Des larmes coulèrent sur les joues d’Oliver en la voyant ainsi.

— Huh-O-Oliver ? ! Qu-qu’est-ce qui te prend ?

Elle s’attendit à ce qu’ils disent, « Oh, cette Katie », mais même dans ses rêves les plus fous, elle ne put prévoir que quelqu’un pleurerait. Elle paniqua aussitôt, s’occupant de lui, mais ne sachant pas trop quoi faire.

— Désolée ! Je suis désolée ! Est-ce que tu pleures parce que je suis trop téméraire ? Devrais-je commencer par un objectif plus réaliste ? Dit-elle inquiète, mais Oliver secoua la tête et sourit malgré les larmes.

— Non. Non, ce n’est pas ça, Katie. J’ai juste…

Petit à petit, les mots jaillirent alors qu’il se souvenait de ses inquiétudes passées. Elle finira bien par craquer un jour, se surprit-il à penser. À un moment donné, quelque chose allait être la goutte d’eau qui ferait déborder le vase, et l’ombre de la défaite envahirait ses yeux. Secrètement, il s’était préparé à cette éventualité après le dernier incident. Mais il avait tort. La fille qui se tenait devant lui était plus forte, mais n’avait rien perdu de sa gentillesse dans ses yeux. Elle devra faire face à de nombreuses épreuves à l’avenir, il en était sûr. Elle connaîtra aussi une douleur inimaginable. Mais même ainsi, elle ne se laisserait pas abattre pour de bon. Elle continuera à aller de l’avant. Katie Aalto brillait tellement qu’il ne pouvait s’empêcher de croire en elle.

— …Cela vous dérange si je considère cela comme une victoire pour moi aussi ? Que même moi ai été capable de protéger quelque chose ?

Marmonna Oliver en larmes. Son seul souhait éternel était que les gens purs puissent rester insouciants, mais dans ce monde, cela semblait être un souhait irréel. Aujourd’hui, cependant, dans une certaine mesure, son souhait fut exaucé, grâce à cette fille. C’était une chose si joyeuse, si aveuglante, que ses larmes ne voulaient tout simplement pas s’arrêter.

Minuit, environ une semaine après l’incident impliquant Katie et le troll.

— Vous êtes donc venu, Mr. Horn.

Une voix lourde fit écho dans l’obscurité du labyrinthe, pas différente de l’impression qu’elle donnait en classe.

— …Oui.

Oliver se tint devant l’homme qui l’avait convoqué, l’expression fermée.

— Suivez-moi et ne traînez pas. Vous le savez déjà, mais il est infiniment plus dangereux de rester ici, dans les profondeurs du labyrinthe, que dans les strates supérieures. Assurez-vous de ne pas me perdre de vue.

— …Compris.

Le professeur d’alchimie se retourna et se dirigea vers un couloir du labyrinthe. Oliver suivit sans rien dire. Leurs pas résonnaient dans l’espace vide, ayant pour seul compagnon l’empiètement qui les entourait de sa sinistre étreinte.

— Où allons-nous ?

— Tu veux vraiment le savoir ? demanda Darius avec un air dramatique.

Oliver hocha la tête, et le professeur baissa la voix.

— Juste avant que vous ne commenciez vos cours ici, un étudiant a été consumé par le sort. On se dirige vers son atelier.

— … !

— Il va sans dire que nous sommes ici pour récupérer et préserver ses recherches. En règle générale, ce sont d’autres étudiants qui s’en occupent, mais lorsque les choses sont trop dangereuses, nous envoyons un professeur comme c’est le cas actuellement. C’était un étudiant très brillant, voyez-vous.

Darius s’arrêta, tendit sa baguette vers un mur proche et fit une incantation. Immédiatement, le mur disparut pour révéler un escalier. Il s’agissait probablement d’un raccourci vers les couches inférieures que seuls les membres du corps professoral connaissaient. Oliver suivit Darius, sur ses gardes en cas de danger potentiel.

— Être consumé par le sort est la plus grande peur d’un mage, mais en même temps, c’est aussi la mort la plus honorable possible. C’est l’ultime preuve que notre relation avec la magie est devenue extrêmement étroite, après tout. Mais surtout, ces personnes laissent toujours des résultats derrière elles. Leur essence de vie elle-même devient la pierre angulaire de notre ascension vers le domaine suivant.

Darius afficha un sourire audacieux pendant qu’il prêchait. Oliver resta silencieux, répondant de manière minimaliste. Ils avaient marché pendant près d’une heure, empruntant de nombreux passages secrets.

Oliver put sentir les particules de magie se densifier, et il devenait de plus en plus difficile de respirer. Enfin, au bout d’un long couloir, Darius s’arrêta devant une porte.

— C’est ici. Une fois à l’intérieur, ne vous avancez pas d’un pas après l’entrée, prévient-il.

L’homme dégaina son athamé et appliqua un sort. La porte s’ouvrit instantanément, et l’odeur du sang et de la chair en décomposition se rependit.

— Nous avons de la compagnie.

— … !

La première chose qu’Oliver vit à l’intérieur de la vaste chambre fut le nombre sans fin de cadavres recouvrant le sol–– des cadavres de bêtes magiques. On aurait dit qu’il y avait eu une violente lutte entre les créatures, avec des survivants ayant mangé les morts. Et au-dessus d’eux se tenait une étrange silhouette.

— Comme je m’y attendais, la Porte a été laissée ouverte. De sales bêtes ont réussi à s’échapper.

Darius renifla. Trois bêtes avaient survécu encore dans la pièce, comme des restes tourbillonnant au fond d’une fiole de poison : un Nídhögg [4], entièrement recouvert d’écailles rouge vif ; un Bicorne[5], dont la peau d’un blanc immaculé fut tâchée de sang et un Zahhak[6], avec des serpents borgnes dépassant de ses épaules. Ils dégageaient tous des niveaux de mana époustouflants, mais le Zahhak au fond de la salle fit frissonner Oliver. Celui-là était une calamité. Il était très probablement à un pas du statut de créature mythique, à un niveau similaire à celui du Garuda avant qu’il ne soit affaiblit.

— Moi, Darius Grenville, serai votre dernier adversaire. Vous devriez en être honorés, dit l’instructeur, faisant face aux bêtes de manière impassible.

[4] Ou Níðhöggr en vieux norrois est un dragon/serpent de la mythologie nordique.

[5] Créature mythologique à deux cornes.

[6] Ou Bivar-Asp, est un personnage mythique de la Perse antique. Un homme avec deux têtes de serpent sur les épaules.

Au moment où il fit un pas en avant, les créatures tournèrent toutes leur attention vers lui. Des vagues de mana s’écrasèrent sur Darius, montrant leur hostilité. Les bêtes attaquèrent, leur malice restant inchangée. Le plus rapide d’entre eux, le Bicorne, chargea en premier. Ses cornes jumelles abritaient des élémentaires de glace et de foudre, qui conféraient une protection bénie à l’élan de son hôte. Une fois que le bicorne est à une certaine distance de sa proie, elle était déjà morte. La gèle d’abord et la foudre réduisant ensuite tout en miettes, c’était son style de chasse. Ses deux cornes se rapprochèrent de Darius alors que la créature se précipitait en avant.

— Mule futile. Tu ne peux même pas reconnaître tes supérieurs ?

Pesta Darius. Le bicorne s’envola juste en face de lui et s’écrasa contre un mur avant de basculer. Sa tête fut coupée avant qu’elle puisse finir sa course. Oliver grimaça. Il n’avait même pas vu ce que l’homme avait fait. Puis vint le Nídhögg, apparemment peu gêné par la mort du Bicorne. Ses écailles rougeoyantes brillèrent encore plus intensément, et la chaleur qui se combinait dans son corps se transforma en une boule de feu géante qu’il éjecta. Elle était facilement dix fois plus grosse que l’une des boules de feu d’Oliver. Les boules s’enchainèrent sans cesse de la gueule du redoutable dragon.

— Je vais garder les écailles. Le reste, je n’en ai pas l’utilité.

Darius réussit à passer entre les boules de feu alors qu’une seule était assez chaude pour transformer tout son corps en cendres au moindre contact. Il les esquiva d’un cheveu, pourtant, pas une once de peur ne fut aperçue sur son visage grâce à ses prédictions précises et à sa confiance. Le dragon réussit à lancer trois boules de feu avant que Darius ne s’approche. Avant qu’il ne puisse lancer la suivante, Darius trancha la tête de la bête. Il n’eut même pas le temps d’attaquer avec ses crocs ou ses griffes.

— Maintenant, il ne reste plus que vous.

Darius se repositionna pour faire face à sa dernière cible, le Zahhak. Il se précipita sur Darius, tenant des lames sombres dans ses mains flétries. D’abord il rasa le sol en tentant de poignarder le professeur, puis il se tordit en un mouvement de hachage. Darius para les coups effrénés avec facilité.

— Hmph, vous avez une once de talent. Peut-être étiez-vous un mage, il y a fort longtemps ?

Le Zahhak avait échappé aux limites du corps humain il y a bien longtemps. Il y avait un rythme unique à son jeu de jambes, comme l’écoulement d’un liquide dense. Par conséquent, il était difficile de jauger ses attaques. Darius échangea ses premiers coups avec sa cible.

— Mais ta vie antérieure n’a aucune importance pour moi, dit-il après avoir bloqué un balayage horizontal—- Tu n’es rien de plus qu’un homme consumé par le sort.

Le combat se termina aussi vite qu’il avait commencé. Le Zahhak tenta de poignarder la poitrine de l’homme, mais ne toucha que de l’air, le déséquilibrant légèrement. Darius utilisa cette ouverture pour glisser sa lame dans son cou. La tête coupée sans visage tomba sur le sol et roula, face vers le haut. Darius piétina la cavité faciale sans hésitation.

— Hmph. Il ne valait même pas la peine de faire l’effort.

Même sans un visage, sa tête semblait être le cœur du Zahhak. Son corps sans tête fut parcouru de spasmes, puis se transforma en brume noire et disparut, ne laissant même pas de cadavre derrière lui. Oliver lutta pour fermer sa bouche béante alors qu’il se tenait à l’entrée.

— …C’était une démonstration d’épée incroyable. Vous avez pris ces trois bêtes en même temps et sans même invoquer un sortilège.

— Affirmer l’évidence ne vous donnera pas ma sympathie Mr. Horn, dit le professeur d’un ton sec, mais les coins de sa bouche furent légèrement relevés—-, Mais vous n’avez pas tort. À l’exception de notre vénérable directrice, je suis le meilleur épéiste de tout Kimberly. Je ferais un bien meilleur instructeur des arts de l’épée que ce pleutre de Garland.

Darius ne lésina pas sur les termes. Sa mention de Maître Garland confirma une chose qu’Oliver avait déjà entendue : autrefois, Luther Garland et Darius Grenville s’étaient affrontés pour le titre d’instructeur en arts de l’épée.

— Cependant, ma position actuelle est ce qu’elle est. Contrairement à Garland, j’ai de la valeur en dehors de la maîtrise de l’épée. J’ai une vocation plus élevée : enseigner et guider mes élèves dans leurs études. Je ne peux pas me permettre de négliger mon devoir de professeur.

Il expira par le nez, puis s’avança dans la pièce, fixant l’espace tordu qui dépassait du sol. Ce devait être la « Porte » par laquelle les bêtes avaient rampé. Autour d’elle, il y avait des strates et des strates de cercles magiques. L’homme pointa sa baguette sur celles-ci et effaça une section de l’équation. La section effilochée de l’espace se referma rapidement.

— Maintenant la Porte a été fermée. Tout ce qu’il reste à faire est de récupérer les résultats des recherches dans l’atelier. Vous pouvez bouger maintenant, mais ne touchez à rien. Le QG d’un mage contient de nombreux outils qui peuvent tuer à la moindre erreur d’utilisation.

Et sur cet avertissement, Darius se mit à enquêter dans la pièce. Il chassa les corps de son chemin à coups de pied, légèrement irrité par l’état de désordre de la pièce. Avec précaution, Oliver s’approcha de lui.

— …Puis-je poser une question ? demanda-t-il calmement tandis que Darius poursuivait sa recherche.

— Allez-y, je vous écoute.

Répondit Darius, sans se détourner de sa tâche. Oliver prit une inspiration.

— Vous étiez au courant pour le cerveau de ce troll, n’est-ce pas ?

Quelques secondes de silence s’écoulèrent. Darius continua ses recherches, sans confirmer ou nier la question.

— Oh ? Qu’est-ce qui vous fait penser ça ? demanda-t-il en retour.

— Il m’a semblé anormal que vous soyez si pressé d’exécuter le troll, et que ça ne soit pas le professeur en charge des bêtes magiques. Je ne pense pas qu’il soit exagéré de dire que vous vouliez détruire toute preuve de son cerveau manipulé avant que quelqu’un ne le découvre.

— Sous-entendez vous que je couvrais Miligan ?

— Oui. Vous lui avez fourni toutes sortes de demi-humains pendant des années, donc je pensais que c’était assez clair.

Dit Oliver, révélant la preuve accablante. Un sourire se dessina sur les lèvres de Darius.

— Vous avez fait vos recherches. Est-ce une autre de vos spécialités ?

— On peut dire ça. Il y a juste une chose que je ne comprends pas. Pourquoi avez-vous soutenu les recherches de Miss Miligan ? Vous ne vous souciez pas de l’amélioration de la condition des demi-humains.

Oliver savait ce que cet homme avait fait, mais le motif lui échappait. Il l’étudia, mais le professeur rigola de façon désintéressée.

— L’amélioration des pseudo-humains, eh ? Certainement, je n’ai aucun intérêt pour des recherches aussi stupides.

— Alors pourquoi ? demanda à nouveau Oliver. Darius cessa de fouiller la pièce et se tourna vers lui.

— Éradiquer la stupidité de la race humaine est mon plus grand souhait, répondit-il, révélant son désir ultime en tant que mage. —- Vous savez que depuis l’Antiquité, l’Humanité est composée de 10% de sages et de 90% d’idiots. Peu importe le fil de l’Histoire, ce ratio reste le même. Grâce à la diffusion du savoir, cela a un peu changé, mais il y a toujours une limite. Ceux qui naissent en tant que singes peuvent jouer aux humains, mais ils ne pourront jamais s’élever au rang de sages.

Darius insista sur le fait que la majorité de l’Humanité était des singes. Et que lui, la seule personne qui déplorait ce fait, était l’un de ces soi-disant sages.

— Pour changer cette loi de la nature, je dois réviser l’intellect humain lui- même. Prendre un élément inférieur et le transformer en quelque chose de précieux, tel est le véritable principe de l’alchimie. Les recherches de Miligan n’étaient qu’une des nombreuses approches spécifiques à ce sujet. Je ne me suis intéressé qu’aux possibilités offertes par ses recherches, pas aux intentions qui les sous-jacentes.

Tout était question de méthodes, semblait prétendre Darius. Quand Oliver comprit ce qu’il disait, son expression se raidit.

— Donc vous… vouliez appliquer l’intellectualisation des demi-humains aux humains ?

— C’est exact. Ces pseudo-humains faisaient de bons sujets de test pour au moins améliorer la technique, répondit Darius. Puis il s’agaça —-, Mais Miligan était incorrigible. Elle n’avait aucun problème à ouvrir d’innombrables demi-humains au nom de ses recherches, mais elle ne m’a pas permis d’exécuter le troll pour éviter les complications. Elle a fait appel à Garland qui s’est mêlé de la décision de garder la créature en vie. Et maintenant ses recherches sont en suspens. Ridicule que ces priorités faussées.

La décision de tuer le troll pour autre chose que la recherche était la raison pour laquelle leurs positions étaient différentes. Maintenant, tout faisait sens pour Oliver. Vera Miligan avait commis d’innombrables atrocités contre des demi-humains au nom de gagner leurs droits civiques. Derrière cette logique tordue, il y avait au moins un courant de justice et d’amour qui lui était propre. Elle avait découpé des centaines d’entre eux dans son atelier, mais quand il s’agissait de sacrifier un troll pour préserver sa lutte, elle ne put s’y résoudre.

— ……

Oliver se souvint d’un vieil adage : pour une centaine de mages, vous trouverez une centaine de formes différentes de folie. Il resta figé sur place, un air sinistre sur le visage.

— C’est vraiment déprimant, dit Darius avec un gros soupir —- Une autre année, un autre flot d’imbéciles rejoint l’académie. Il y a une certaine joie à passer au crible la plèbe pour trouver les perles rares, mais une fois fini, il ne reste plus que la tâche herculéenne d’élever l’intelligence des hordes d’imbéciles restantes. Rien que d’y penser me rend malade.

— ……

— Pourtant, ce n’est pas leur faute s’ils sont nés limités. Ainsi, en tant qu’éducateur, je dois leur montrer le chemin. Jusqu’à ce que nous trouvions une solution plus définitive que les méthodes d’enseignement actuelles, je n’ai pas d’autre choix que de m’épuiser pour le bien de tous, se lamenta-t-il. Puis fixa soudain Oliver du regard.

— Maintenant que notre travail sur le cerveau de ce troll a été rendu public, il ne sera pas facile de produire des sujets de test. Les recherches de Miligan vont être arrêtées dans un avenir proche. Je ne peux pas vous en vouloir, puisque vous n’étiez qu’une de ses victimes, mais j’espère que vous prendrez conscience de ma déception.

— …Que voulez-vous de moi ? demanda calmement, Oliver.

— Devenez mon apprenti et aidez-moi dans toutes les recherches que je mène, proclama Darius. —- Les gens comme vous qui excellent dans tout font de parfaits assistants. Rejoignez-moi, et avec mon intelligence, je vous emmènerai vers des sommets que vous n’auriez jamais pu atteindre par vous-même.

D’après son attitude orgueilleuse, il était clair qu’il considérait lui-même qu’il n’y avait pas de plus grand honneur. Oliver serra les poings et baissa les yeux.

— Des sommets que je n’aurais jamais pu atteindre par moi-même, huh ?

Vous avez certainement déjà pris votre décision à ce sujet.

— Ce n’est pas ma décision, c’est un fait. Vous comprenez mes dires, n’est-ce pas ? Dit Darius, essayant d’enfoncer le clou plus profondément. Comme s’il avait déjà vu l’avenir —- Vous n’avez pas de talents notables, mais d’un autre côté, vous pouvez résoudre la plupart des problèmes facilement. Mais vous ne pourrez jamais espérer vous distinguer dans un domaine particulier. Vous êtes semblable à une sorte de livre ordinaire en tant que mage—- c’est une évidence. Refuser de l’accepter ne fera que vous nuire à l’avenir.

Ses mots nièrent complètement l’avenir radieux qu’Oliver pouvait avoir, et pourtant, il n’y avait aucune malice derrière. À sa manière, l’homme essayait de donner un avertissement attentionné.

— Mais il y a des parties de vous pour lesquelles j’ai de l’espoir. Indépendamment de votre talent magique, vous avez de l’esprit. Votre capacité à discerner les choses comme la relation entre Miligan et moi est impressionnante. Vous avez tendance à chercher les ennuis, mais cette insouciance se calmera avec le temps.

Oliver sourit ironiquement. Il n’arriverait jamais à rien en tant que mage, mais il était parfait pour le rôle de serviteur, chargé du sale boulot. C’est ce que le discours de Darius signifiait essentiellement.

— …j’ai entendu dire que vous dites la même chose à beaucoup d’étudiants en cette période de l’année.

— Je ne vais pas le nier. C’est ma politique de tendre la main à tous les nouveaux dans lesquels je vois un potentiel. Au fil des années, le bon grain sera séparé de l’ivraie, et votre nombre diminuera naturellement.

Oliver ne ressentait pas le besoin de s’énerver et d’avancer des contre- arguments. Il y avait une ambiance humoristique étrange à voir les choses se dérouler exactement comme Andrews l’avait dit.

— Je comprends ce que vous essayez de dire, professeur. Aussi, puis-je poser une autre question ? C’est sur un sujet complètement différent.

— Allez-y.

Darius n’était pas vraiment triste d’entendre Oliver changer de sujet. Il n’était probablement pas dans l’urgence de convaincre le garçon de le rejoindre. Darius se retourna une fois de plus pour reprendre ses recherches.

— La nuit du 8 avril 1525 du Grand Calendrier, chuchota Oliver —- Où étiez-vous, et que faisiez-vous ?

L’air se figea immédiatement et Oliver sentit que ses mots touchèrent une corde sensible.

— Quelle question intéressante.

Darius se retourna lentement, son sourire acéré ne contenant plus aucune trace de sa générosité antérieure.

— Peut-être trop intéressante. Attention aux buissons dans lesquels vous allez fouiller, vous pourriez y trouver un dragon au lieu d’un serpent. Regardez-moi dans les yeux et dites-moi ce que vous savez ?

L’homme débordait d’un mana dangereux, dominant le garçon d’une pression écrasante. Cela aurait pu arrêter le cœur de quelqu’un de moins préparé, mais Oliver lui rendit son regard.

— C’est moi qui pose les questions ici, Darius Grenville,

Dit Oliver, abandonnant sa dernière marque de respect et appelant l’homme par son nom complet. Il lui fit comprendre qu’ils n’étaient plus professeur et élève, mais ennemis.

— …Je vois. Alors c’était votre objectif depuis le début, eh ?

Darius réalisa rapidement que ce n’était pas un accident. Les mots qu’il avait choisis, le ton tranchant de sa voix, et plus que tout, le fait qu’ils soient seuls dans les tréfonds du labyrinthe, tout cela en disait long sur le but du garçon.

— Penser que cette femme aurait encore des proches. C’est si ennuyeux. Sept ans se sont écoulés, et pourtant je dois continuer à nettoyer ce désordre.

Dit-il en faisant claquer sa langue. Oliver secoua la tête en silence.

— Pas d’inquiétude à ce sujet. À vrai dire, aujourd’hui est le dernier jour où vous devrez vous inquiéter de quoi que ce soit.

La veine de la tempe de Darius se gonfla. Oliver put dire qu’il avait définitivement ouvert la boîte de pandore en disant cela.

— Cette comédie à assez duré. Un sort d’affliction et puis de confession vous fera tout révéler. Je vais vous presser jusqu’à la moelle. Plus vous serez impertinent, moins je serai généreux.

Dit Darius, avec l’intention de le faire taire. Oliver sourit. Ce n’était pas une menace en l’air, ça c’était sûr. Une fois désarmé, cet homme commencerait avec joie à torturer sa cible sans défense de toutes les manières imaginables, comme il l’avait fait à une certaine femme il y a des années. Oliver savait même exactement quel genre de sourire dépravé il avait arboré en le faisant.

— …Laissez-moi au moins vous remercier.

— ?

— Merci de ne pas avoir changé. Merci d’être resté le Darius Grenville que j’ai détesté pendant ces sept années, dit Oliver.

Il pensait chaque mot du plus profond de son être. Désormais, dans les derniers moments précédant le franchissement du point de non-retour, il était reconnaissant envers son adversaire de ne pas avoir fait distiller le moindre doute dans son esprit.

— Commençons. Nous sommes déjà à la distance d’un pas, d’un sort.

Dégainez quand vous voulez, Grenville.

Dit le garçon sans crainte, presque comme s’il s’adressait à un nouveau partenaire d’entraînement.

Le fait qu’un si jeune garçon prenne ce ton avec lui semblait faire remémorer des années de rage au sein de Darius.

— Ne vous attendez pas à une mort humaine, jeune homme.

L’homme attrapa l’athamé à sa taille. Au même moment, Oliver plaça sa main sur la poignée de son épée, prêt à dégainer. Une question longtemps débattue parmi les mages fut de savoir si une prédiction parfaite était possible. Comme le mot l’indique, une prédiction consiste à avoir connaissance de l’avenir avant qu’il ne survienne. Il existe de nombreuses méthodes pour tenter cela, comme la divination dans le monde magique. Ces méthodes sont toutes très variées, allant du simple soulagement suite à un sort de poussée de croissance des cheveux à celles qui nécessitent des préparations et d’importants sacrifices.

Ce qui décide de la valeur d’une prédiction est, en fin de compte, sa précision. Si une diseuse de bonne aventure affirme que le temps de demain sera soit « ensoleillé », soit « autre chose », il ne s’ensuit pas logiquement que ses prédictions sont exactes à 50 %. Une prédiction ne peut commencer que lorsqu’un individu veut connaître les résultats futurs d’une action présente. Cependant, aussi loin que l’on remonte dans l’histoire des mages, un voyant capable de faire une prédiction parfaite n’existe pas. Il est presque réconfortant de constater que chaque voyant célèbre a eu au moins une prédiction manquée dans sa carrière. Pourquoi en est-il ainsi ? Est-ce vraiment le signe qu’ils soient tous incompétents ?

Il y a environ trois cents ans, un mage trouva une réponse à ce problème. Selon lui, il n’était pas possible de prédire parfaitement l’avenir, car la prédiction elle-même le modifie. En fait, prédire parfaitement l’avenir nécessite que le futur soit stable, sans jamais vaciller. Cela n’était possible que dans un espace- temps « rigide » par définition. Mais le monde dans lequel nous vivons peut-il remplir ces conditions ? La réponse est non. La montagne de fausses prédictions en témoigne. Ce mage énonça ainsi que la prédiction ne consistait pas à connaître l’avenir. Nous nous étions toujours efforcés de décider de l’avenir. Ainsi, toutes les prédictions, présentes et futures, n’étaient rien de plus que de petits indicateurs posés en amont de notre chemin.

Lorsque l’attraction qui en découlait conduisait à un avenir bénéfique, nous l’exprimions simplement par « La prédiction était correcte ». Ce fut un changement de paradigme pour le monde magique. Depuis lors, les connaissances générales concernant les prédictions avaient changé.

Si nous appliquions cette théorie à l’échelle micro, alors nous pouvons dire que les résultats de la bataille entre Oliver Horn et Darius Grenville n’étaient pas prédestinés. Ainsi, il y avait une chance sur dix mille–- non, une sur cent mille qu’Oliver, qui était clairement d’un niveau bien inférieur en arts de l’épée, gagne. Parmi toutes les innombrables possibilités qu’il soit tué par Darius, il n’existait qu’un nombre infime de futurs où l’inverse se produisait.

Toutes les façons possibles dont cette bataille pouvait se dérouler, les nombreux fils du destin qui reliaient le présent au futur, Oliver les ressentaient alors qu’il y avait un vaste nombre de fils dérivés dans l’infinie obscurité. La plupart de ces fils furent coupés immédiatement. Ils indiquèrent tous des futurs où Oliver perdait. Ainsi, il n’y avait qu’une seule chose qu’il devait faire, choisir un fil non coupé et l’emprunter légèrement plus tôt.

— …… !

À partir de ce moment, il fut entraîné dans le futur. L’ordre séquentiel fut complètement renversé. Au lieu de construire le présent dans la direction du futur, il fit face au futur prédit et l’amena dans son présent. Avec l’attraction du destin inversé, le flux du temps poussa Oliver Horn vers une seule issue, l’attirant vers son seul coup d’épée unique sur dix mille.

Pour fait court, c’était la quatrième Spellblade, Angustavia, le fil qui traverse l’abîme.

Le moment arriva. Deux silhouettes se déplacèrent, se chevauchant. Leurs lames remplies de mana se confrontèrent. L’instant d’après, la main droite de Darius tomba au sol, l’athamé toujours dans sa main.

— ……

Après que lui et le garçon aient échangé leurs frappes, Darius regarda derrière, hébété voire confus, le moignon où se trouvait une fois sa main droite.

— Qu’est-ce que… ?

Marmona-t-il. Incapable de comprendre ce qu’il voyait, incapable de digérer la réalité, il eut une régurgitation. Avant qu’il ne puisse retrouver ses esprits, un choc lui transperça tout le corps.

— Gah… ?!

Darius bascula en avant, la sensation dans ses membres disparaissant. Oliver, après avoir lancé un sort de paralysie, pointa son épée sur l’homme.

— Comme c’est étrange que vous soyez resté immobile après avoir été tranché, dit-il froidement —- Même si votre main est coupée et que votre épée n’est plus là, vous avez toujours deux jambes pour essayer de vous échapper.

Oliver n’était pas indemne lui-même. Ses yeux, son nez, même ses oreilles, une quantité effrayante de sang s’écoulaient de ses orifices. Ce n’était pas l’œuvre de Darius, cependant. C’était clairement une sorte de surcharge en conséquence de la technique qu’il venait d’utiliser.

— Ou était-ce un si grand choc d’être tranché par quelqu’un de si jeune dans une confrontation en un contre un ?

Malgré sa vision teintée de pourpre, le ton d’Oliver était calme. Les lèvres de Darius, encore capables d’un certain mouvement, se mirent à trembler.

— Comment… ?

Il haleta, ayant repris ses esprits et tentant de comprendre ce qui lui était arrivé.

— Comment… ?! Cette Spellblade était censée être perdue ! Elle aurait dû mourir avec elle il y a sept ans !

Cria Darius, comprenant, mais refusant d’accepter la réalité.    La réponse d’Oliver ne se fit pas attendre.

— Il y a des choses que vous pouviez voler à ma mère, et d’autres que vous ne pouviez pas. Voilà la réponse.

Dès qu’il entendit cela, le choc dans les yeux de Darius fut encore plus grand.

— Alors tu es… ?

— Nous ne nous ressemblons pas, n’est-ce pas ? Je suis d’accord.

Oliver se moqua, à la fois de Darius et de lui-même, puis secoua la tête en silence.

— Mais ce n’est pas si grave. Si je lui ressemblais ne serait-ce qu’un peu, je n’aurais pas été autorisé à remplir ma mission.

Et d’un coup d’épée, il redirigea la conversation.

— Votre spécialité est l’éducation par la douleur, donc vous devez savoir qu’un sort d’affliction ne peut reproduire que la douleur que l’utilisateur a déjà connue. Elle ne ramasse que la souffrance dans la mer de la mémoire et l’inflige par magie à la victime, expliqua-t-il en s’agenouillant.

Il approcha son visage de l’homme allongé au sol.

— Ne vous inquiétez donc pas. Les cent vingt-huit marques de douleur que vous avez infligées à ma mère il y a sept ans, j’ai expérimenté chacune d’entre elles personnellement. Je me suis assuré de ne pas en manquer une seule.

— …… !

C’est alors que Darius fut témoin de la folie d’Oliver Horn.

— Écoutez bien, Darius Grenville. Vous allez devoir chercher les mots, dit le garçon, le visage toujours extrêmement proche.

Plus il parlait, plus son ton s’échauffait jusqu’à ressembler à la lave elle-même.

— Je vais continuer à vous torturer jusqu’à ce que vous disiez les bons mots. Une par une, nous allons passer en revue toutes les douleurs que vous avez infligées à ma mère. Si nous parcourons les cent vingt-huit sans résultat… alors une douleur que je suis le seul à connaître suivra.

Il expliqua en détail les actes horribles qu’il s’apprêtait à commettre. Darius était bien conscient à quel point ça allait être terrifiant. C’était l’une des techniques préférées de Darius.

— Alors faites de votre mieux pour trouver ces bons mots. Souffrez et cherchez-les comme si votre vie en dépendait. Trouvez les mots magiques qui me permettront de pardonner vos actions, de vous pardonner d’exister.

Le garçon recula et se leva, réajustant la position de son épée. Paniqué, Darius commença à parler.

— Attends–

DOLOR

Oliver l’interrompit avec un sort. Instantanément, la douleur explosa dans le ventre de Darius, et ses yeux roulèrent en arrière, lui faisant ouvrir la bouche grande ouverte.

— Guh—- !

C’était l’expérience de serres d’acier ratissant ses entrailles, l’agonie d’une proie dévorée par un prédateur déchirant ses entrailles. C’était si horriblement vivant. La douleur dura exactement dix secondes. Oliver mit fin à la première séance de torture et regarda l’homme qui se tordait encore sur le sol.

— Avez-vous trouvé les mots ? demanda-t-il.

— Ugh… T-toi… ! Te rends-tu compte de ce que tu fais ? Je suis un professeur de Kimberly ! Tu veux avoir tout l’académie contre toi ?

— Non. DOLOR !

Instantanément, Darius put sentir ses membres se tordent de toutes parts. Cette fois, ce n’était pas une douleur soudaine. C’était la même vitesse que quelqu’un qui essorerait un tissu, ce qui ne faisait qu’empirer les choses. Finalement, ses tendons s’étirèrent jusqu’à leurs limites, commençant à se rompre un par un.

— Ah… Uwoooh… Gah… !

La douleur intermittente devint de plus en plus intense avec le temps. L’un de ses tendons se rompit bruyamment, et un énorme filet de bave suinta de sa bouche. Après dix secondes, la douleur s’arrêta et Oliver répéta sa question sur le même ton.

— Avez-vous trouvé les mots ?

— Huff… Huff… Huff… Tu ne t’en sortiras pas comme ça ! Tes amis et ta famille seront tous tués ! Tu apprendras bientôt comment la directrice traite ses ennemis ! Si tu veux éviter cela, alors laisse-moi…

— Je vois que non. DOLOR !

— Gwaaaaaaaaah !

Une chaleur brûlante explosa au cœur de ses os. Ses entrailles ne pouvaient pas brûler, si c’était le cas, il serait déjà mort. Mais il vivait alors que la chaleur le cautérisait. Cette fois, le cri de gorge de Darius dura les dix secondes.

— Avez-vous trouvé les mots ?

— …Att…a-attend… ! Je comprends. Je vais écouter ! Que veux-tu ?! Avec ma position, je peux te donner quasiment tout ce que tu–

— Non. DOLOR !

— GEEYAAAAAAAAH !

Ce ressenti répugnant était comme de l’acide qui rongeait chaque parcelle de sa peau. De nouvelles vagues de douleur l’envahissaient à travers ses nerfs exposés. Sa vision devint blanche.

— Avez-vous trouvé les mots ?

Après dix secondes supplémentaires, Oliver se répéta. Heureusement, à ce moment-là, la capacité de penser de Darius revint, et sa bouche s’ouvrit.

— …P-pardon… ! De toutes les fibres de mon être, je m’excuse pour le mal que j’ai fait à ta mère… ! Mais écoute-moi ! Ce n’est pas arrivé sans aucune raison ! À la source de tout ça, ta mère–

— Non. DOLOR !

— GUUUUUUUUUHHHHHHHH !

Quelque chose commença à limer la plante de ses pieds. Des protubérances métalliques grossières grattaient sa chair. Une fois qu’elles traversèrent la peau pour atteindre l’os, la vibration de ce dernier rasé parvint à ses oreilles et déclencha un dégoût encore plus grand que la douleur qu’il ressentait. La torture se poursuivit, chaque séance durant exactement dix secondes. Lors des pauses, Darius essayait parfois de supplier, mais Oliver ne répondait que par un bref refus.

Non. Non. Non. Non. Non. Non.

Non. Non. Non. Non. Non, non, non, non, non—

— …Bizarre. Pourquoi vous ne dites rien ?

Torture et interrogatoire. La boucle sans fin sembla durer une éternité, mais n’avait duré en réalité que dix minutes. Le garçon baissa les yeux vers Darius Grenville, recroquevillé et brisé. Il n’était plus capable de parler désormais.

— Nous n’avons atteint que le numéro cinquante-sept. Ce n’est même pas la moitié de l’agonie que vous aviez infligée à ma mère. La douleur, la colère, la négociation, la dépression, le regret, le désespoir, vous devriez avoir encore beaucoup de choses à raconter.

Dit Oliver sans une once d’émotion. L’homme fut allongé sur le sol et ne bougeait pas. Il y avait des larmes dans ses yeux et une mousse teintée de sang aux coins de sa bouche. Il n’avait plus la capacité mentale de penser, se contentant de se recroqueviller dans la crainte de la prochaine douleur. Comparé à il y a une heure, il était une créature complètement différente. Cette silhouette affaiblie fit remonter à la surface toutes les émotions d’Oliver.

— …Parle plus fort. Parle plus fort, Darius Grenville ! Je t’ai dit de trouver les mots !

— UU… AA…

Des sons dénués de sens s’échappèrent de ses lèvres tremblantes. Cela ne fit qu’accroître la colère d’Oliver.

— Pathétique ! Ce ne peut pas être tout ce qu’il y a de Darius Grenville, cet être que je hais depuis si longtemps ! Où est passée cette conviction immonde ? Cette fierté qui vous permettait de traiter quelqu’un d’insensé pour avoir osé se soucier de quelqu’un d’autre ? Où est-elle passée ? J’ai imaginé la douleur pendant des années ! La douleur qui vous briserait l’esprit et effacerait cette fierté ! J’ai même préparé beaucoup, beaucoup plus que les cent vingt-huit méthodes de douleur que vous m’aviez enseignées.

En fin de compte, il était pratiquement en train de crier. Il tomba à genoux et saisit Darius par le col, le forçant à se redresser. Oliver secoua violemment cet homme qu’il considérait comme son ennemi mortel.

— Où sont les mots ?! Vous ne les avez toujours pas trouvés, Grenville ?

Cria-t-il, presque en suppliant. Finalement, les lèvres de l’homme commencèrent à bouger légèrement.

— A…

Les yeux d’Oliver s’écarquillèrent de joie. Oui ! Ce n’est pas encore fini ! Bien sûr, ça ne se terminerait pas si facilement. Il rapprocha son visage de celui de Darius, impatient d’entendre ce qu’il allait dire ensuite.

— Achève-moi… je t’en prie…

Cela faisait si longtemps que l’homme n’avait rien dit d’intelligible. Au moment où Oliver entendit ces mots, toutes ses émotions montantes furent comme aspirées vers un vide sans fond.

— Oui, répondit-il sans vie.

Puis, après avoir allongé l’homme sur le sol, il plaça son athamé sur son cou. Sans un moment d’hésitation, il abattit sa main droite. Il put sentir la lame s’enfoncer dans la chair et l’os se sectionner sans grande résistance. Le crâne de l’homme rencontra le sol avec un bruit sourd. Avant qu’il ne le réalise, Darius Grenville se transforma en un cadavre éternellement silencieux.

— C’est fini, Noll ?

Oliver fut tellement étourdi qu’il n’avait même pas remarqué les deux silhouettes qui marchaient derrière lui. L’une était la fille aux cheveux blond pâle qu’il avait présentée à ses amis comme sa cousine. L’autre, celui qui avait parlé, était un grand jeune homme à l’allure robuste, et aux cheveux cuivrés.

— …Oui, c’est fini, mon frère, répondit Oliver sans émotion, sans prendre la peine de se retourner.

Il semblait prêt à disparaître en un instant. La jeune fille, incapable de supporter cela, se mise à courir vers lui.

— Noll–

  • S’il te plaît, ne t’approche pas de moi, frangine.

Il fut ferme dans son refus. La fille avala sa salive et resta immobile.

— Je ne veux pas que tu attrapes ça. Je ne veux pas qu’un centimètre de cette saleté te touche, dit-il la voix tremblante.

La fille était au bord des larmes après son rejet. À sa place, le jeune homme qu’Oliver avait appelé frère, s’avança.

— Tu as arrêté de saigner. Comment était la tension sur ton corps ?

— Comme d’habitude, pour le meilleur et pour le pire

Répondit Oliver en essuyant grossièrement le sang de son visage avec sa manche. Il ne saignait plus, et même sa vision tachée de rouge revint lentement à la normale.

— Il n’y a pas lieu de s’inquiéter. Mais ce n’est rien comparé au fait de l’utiliser deux fois. Et à la troisième fois… Je devrais me préparer à mourir.

D’après ses expériences passées, c’était la frontière entre la vie et la mort à partir de là. En même temps, il avait réalisé une fois de plus que cette technique ne devait pas être utilisée à la légère. Sa situation était différente de celle de la fille aziane. Cette Spellblade n’était pas censée lui appartenir. C’est plutôt ce qu’il l’empruntait à son propriétaire d’origine. Par conséquent, le simple fait d’essayer de la manier était plus qu’éprouvant pour lui. En guise de paiement pour avoir rendu possible une frappe sur dix mille, son corps hurlait à cause de l’exposition aux torrents du destin. S’il baissait sa garde une seule seconde, sa vie s’éteindrait en un instant.

— Alors il t’est interdit de l’utiliser trois fois. Si tu meurs, tout s’arrêtera, dit sévèrement le jeune homme.

La rude affection cachée sous la surface apaisa un peu le cœur d’Oliver.

— Les choses se sont bien passées cette fois-ci, mais la prochaine fois, ce ne sera certainement pas le cas. Écoute-moi bien. Ne perds jamais ton sang-froid. En tant que mage, retiens ton pouvoir et attends le moment idéal. Nous ouvrirons la voie pour toi.

Ses conseils étaient sincères, et Oliver les écouta attentivement. L’instant suivant, quelqu’un apparut à côté de lui soudainement.

— — ?!

— Calme-toi. C’est une alliée.

Oliver sortit son épée, mais le jeune homme resta calme et lui expliqua. À côté de lui, agenouillée dans la direction d’Oliver, se trouva une fille de petite taille.

— Elle est née et a grandi dans le labyrinthe sous la supervision d’un camarade. Elle est officiellement censée commencer à l’académie l’année prochaine, mais pour le moment, nous sommes les seuls à savoir qu’elle est dans l’enceinte de l’école. Sa spécialité magique est… Eh bien, je ne pense pas avoir besoin de l’expliquer.

Oliver comprit ce qu’il voulait dire et avala sa salive. Il avait enfin franchi son premier obstacle et s’était un peu laissé aller, permettant à cette fille de s’approcher si près qu’il pouvait sentir son souffle avant de réaliser qu’elle était là. C’était un niveau de furtivité normalement impensable.

— C’est un plaisir de vous rencontrer, milord.

Dit-elle de sa jeune voix, levant des yeux miroitants vers lui. Elle s’exprima avec une formalité inhabituelle pour quelqu’un de son âge, et Oliver réalisa qu’elle avait été entraînée pendant des années pour ce moment.

— Vos idéaux, votre entraînement, votre passion, votre Spellblade… Avant même de m’en rendre compte, j’ai été entrainée par tout cela. Et maintenant, j’ai le sentiment ferme que chaque moment de ma vie jusqu’à présent a été destiné pour vous.

La jeune fille parlait sérieusement, essayant de transmettre les émotions qui l’habitaient. L’adoration et la foi emplissaient son visage rougi. Oliver eut l’impression que c’était une mauvaise blague.

— Je ne suis qu’une humble ombre, mais si vous voulez de moi, je serai à votre disposition. Aucun travail n’est trop petit ou trop sale. Sur l’écusson gravé sur mon corps, je jure d’être à la hauteur.

Déclara la jeune fille, pleine d’une confiance juvénile. Voyant que sa présentation était terminée, le jeune homme prit la parole.

— À partir d’aujourd’hui, elle est une extension de toi-même. Utilise-la comme bon te semble.

— …..

Prenant en compte les mots de son frère, Oliver imagina dans les moindres détails cette fille risquant sa vie en tant qu’espionne dans sa guerre personnelle, obéissant à tous ses ordres à un âge si jeune. Il pouvait l’imaginer au bord de la mort et lui refusant de s’arrêter. Sa bouche fut empreinte d’autodérision. Ce n’était pas un problème. Au bout du compte, il était un mage, lui aussi. Il piétinerait la morale et l’Humanité si cela lui permettait d’atteindre son objectif.

À cet égard, il était pareil à Vera Miligan. Alors qu’il serrait les dents avec amertume, le jeune homme sortit quelque chose de sa poche.

— Encore une chose : porte ceci chaque fois que nécessaire. Il est enchanté par un puissant sort de perturbation cognitive. Peu importe où tu es ou ce que tu fais, tu devras t’assurer de garder ton identité secrète.

Oliver sut ce qu’était l’objet au moment où il posa les yeux dessus. C’était un masque. Il était seulement assez grand pour couvrir la moitié supérieure de son visage, mais l’effet de camouflage magique minutieusement infusé semblait beaucoup plus fiable qu’un casque de fer. Il prit le masque et le regarda fixement.

— Tu n’aimes pas le style ? demanda son frère —- J’ai essayé de le garder aussi simple que possible.

— Non… Je pense que je pourrais très bien m’y habituer.

Répondit Oliver avec sérieux. Il plaça le masque sur son visage. Comme prévu, il lui allait comme un gant. Le visage du mage polyvalent et de l’étudiant s’enfoncèrent dans l’ombre, et à sa place apparut celui d’un vengeur masqué, le maître du labyrinthe nocturne.

— Camarades, rassemblez-vous !

Cria le jeune homme en voyant la transformation sur le visage d’Oliver. À son signal, de nouvelles entrées apparurent dans les murs environnants, et un flot de mages d’âges et de sexes différents arrivèrent. Ils se rassemblèrent devant Oliver et s’agenouillèrent.

— Tout le monde n’a pas pu venir, mais voici les principaux membres.

Contemplez vos vassaux, Noll. C’est votre couronnement,

Dit le jeune homme comme une sorte de conseiller royal. Puis lui et la fille aux cheveux blond pâle s’alignèrent et prirent place devant les vassaux agenouillés. Ils inclinèrent la tête et jurèrent fidélité à Oliver sous le regard terne de ce dernier.

— Règne sur nous. Dirige-nous !

Proclama son frère en tant que représentant de ses camarades.

— Tout est comme votre âme le désire, ouvert par le balancement de ta Spellblade. Nous jurons de tuer jusqu’au dernier ces scélérats qui ont trahi votre mère et qui lui ont ôté la vie.

Les cibles de la vengeance d’Oliver apparurent très clairement dans son esprit. Tous des professeurs de l’académie, et des mages aussi puissants les uns que les autres.

L’alchimiste de l’orgueil, Darius Grenville.

La Maîtresse des écosystèmes magiques, Vanessa Aldiss.

La Sorcière Suprême de Mille Ans, Frances Gilchrist.

Le Vieil aliéné de l’Architecture magique absurde, Enrico Forghieri.

Le Philosophe Ignorant, Demitrio Aristides.

La Sorcière qui se moquait de la vie elle-même, Baldia Muwezicamili.

Et la souveraine solitaire qui régnait sur eux tous…

Esmeralda, la directrice de Kimberly.

— Oui. Nous aurons notre vengeance.

Déclara solennellement Oliver devant les rangées de ses vassaux. Ce soir, il avait tué une de ses sept cibles. Il en restait six. Il n’y aura pas de pitié. Aucun ne sera laissé en vie.

— ……

Au même moment, une peur inébranlable s’empara de lui. Ces sept mages n’étaient pas les seuls qu’il devait tuer. Tant qu’ils se battraient pour la vengeance qu’ils désiraient tant, Oliver et ses camarades finiraient par faire de l’académie elle-même leur ennemi, même les personnes qui n’avaient pas fait de tort à sa mère.

La seconde moitié de son chemin, jonchée de corps et de torrents de sang, signifiait que toute personne autre que ses camarades pouvait devenir un ennemi.

Tous les professeurs, leurs étudiants, même Maître Garland, Oliver pouvait les voir se dresser sur son chemin à un moment donné dans le futur. Il était presque convaincu que cela devait arriver. Puis, il imagina quelque chose d’encore pire. Un autre utilisateur de spellblade, se mettant en travers de son chemin.

— …… !

Les mots qu’elle avait prononcés autrefois résonnèrent à présent à ses oreilles.

Ne profitez pas de l’épée de la vengeance, mais de l’épée de l’amour mutuel.

Qu’il le veuille ou non, il allait personnellement tester les limites de cette philosophie.

La distance d’un pas, d’un sort, où les mots perdent toute signification et où le choc des lames fait place au duel des sorts.

Dans cet espace se trouvent deux âmes mises à nu. Ainsi, l’amitié des mages est éphémère, mais tumultueuse.

Les destins s’entrecroisent tandis que les roues du destin continuent de tourner. Et c’est alors qu’ils tireront leurs épées.

Dans le royaume vacillant entre la vie et la mort… Les sept Spellblades règneront en maître.

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