Voyage — Jour 3
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Traduction : Nova
Correction : Raitei
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Le bus partit du ryokan à 9h, arrivant à destination moins de 50 minutes plus tard. Il s’arrêta près de la gare de Sapporo, l’endroit où nous allions commencer notre journée. C’était là où se trouvait non seulement la tour de l’horloge, mais également de nombreuses attractions touristiques.
Comme toujours, nous étions rassemblés par groupe, avec cette fois-ci une petite variante : l’école nous avait légèrement mis à l’épreuve. En effet, avant 17h, chaque groupe devait visiter six lieux au choix sur une liste de quinze, photos à l’appui. Se séparer pour réussir n’était pas permis. En cas d’échec, les élèves n’allaient pas pouvoir jouir de la journée libre du lendemain pour assister à une séance de cours dans le ryokan jusqu’à 16h.
Chaque spot était associé à un nombre de points. Le groupe ayant accumulé un total d’au moins 20 points pour les six lieux visités allait se voir récompensé de 30 000 points privés. Ce n’était toutefois qu’un bonus, la seule cause de disqualification étant de visiter moins de six endroits. La photo devait bien entendu être assez nette pour identifier les personnes. Récompense ou pas, la coopération était de mise car la journée du lendemain en dépendait !
En outre, nous avions la possibilité d’utiliser les transports, à l’exception des taxis. Les élèves devaient également fournir un mini compte-rendu des visites. Si beaucoup devaient trouver barbant qu’on nous force à faire du tourisme, dans mon cas je trouvais que c’était une super idée. Après tout, sans ça, les élèves s’en seraient tenus aux pistes de ski et à deux sites touristes qui se battent en duel. J’avais hâte de vraiment visiter Hokkaidô !
Une fois descendus du bus, on nous remit une brochure. L’établissement nous donna des informations sur les lieux que nous devions visiter. Les sites qui valaient 1 point étaient la tour de l’horloge, la tour de télévision et le musée d’art moderne. Le parc de l’île Nakanaka et le sanctuaire valaient 2 points. Le zoo Enmaruyama, le musée et le marché de gros central valaient 3 points. Le parc Moerenuma et le parc Shiroi Koibito pas moins de 4 points. Le mont Moerenuma Iwaizan avait une valeur de 5 points.
L’Aquarium Sunpiazza était coté à 6 points et nous pouvions obtenir 7 points pour les sources chaudes de Jozankei. Pour finir, le lac Utonai était le plus juteux avec 8 points. À noter qu’aller sur place n’était pas suffisant. Pour le zoo de Maruyama par exemple, il fallait prendre une photo avec un ours polaire ou avec le pavillon des ours polaires en arrière-plan pour valider sa visite !
Kushida — C’est bien le genre de ce bahut, ça.
Kushida descendit du bus tout en disant ça, à personne en particulier.
Moi — Qu’est-ce que tu veux dire ?
Kushida — Ahh, désolée, je ne t’avais pas remarqué.
J’étais juste à côté d’elle, m’enfin bon. Elle tourna la tête et sourit.
Kushida — Disons que ça fait mal au cul de risquer de trimer toute la journée de demain, car tu ne relèves pas le défi d’aujourd’hui. Peut-être était-ce pour ça qu’ils nous ont au moins laissés la journée libre hier.
Moi — Oui, sans doute.
Le temps libre ou les points privés ? Car ne viser que les lieux ayant la plus grande valeur en points ne garantissait pas de visiter six endroits dans le délai imparti. Notre groupe allait devoir définir une politique. À première vue, la plupart des groupes semblaient aller vers la même direction.
Kushida — On dirait que du monde se dirige vers la tour de l’horloge de Sapporo. Je pense que ça peut être un bon point de départ.
Nous aurions pu directement aller au lac Utonai, mais c’était risqué.
Moi — Oui, autant discuter en marchant.
L’idée de Kushida n’était pas mauvaise : aller à la tour de l’horloge, prendre des photos à l’endroit indiqué puis passer par le parc Oodori pour se rendre à la tour de télévision. Ce parcours optimisé nous permettait de visiter déjà deux endroits. Toutefois, si on visait les 20 points, pas sûr que c’était la meilleure stratégie. Les autres membres de notre groupe nous rejoignirent enfin.
Amikura — J’ai essayé de voir les itinéraires. Même en ayant eu accès aux taxis, nous n’aurions pas pu visiter les 6 lieux qui valent le plus de points dans le temps imparti !
Donc nous n’aurions pas eu le temps même dans les meilleures conditions.
Watanabe — Quelqu’un ici sait quelque chose sur Hokkaidô ?
Hélas, tout le monde sembla répondre par la négative. Et comme les autres, je ne connaissais rien à Hokkaidô, donc impossible de me projeter.
Amikura — Hmm. Même si la carte m’a un peu renseignée, c’est compliqué quand tu n’arrives pas à visualiser exactement les spots.
Amikura semblait taper des destinations au hasard alors qu’elle se débattait avec l’application map. Et elle n’avait pas tort. D’une, les endroits étaient répartis dans toutes les directions autour de la gare. De deux, rien ne nous disait qu’il était forcément facile d’accès, que ce soit par les transports ou tout simplement physiquement.
Watanabe — 30 000 points… Est-ce que ça vaut vraiment le coup ? Autant se faire plaisir et juste faire du tourisme tranquillement…
La suggestion de Watanabe était emplie de sagesse. Après tout, courir après les 20 points allait nous obliger à avoir un rythme très soutenu, donc ne pas du tout savourer les lieux visités.
Watanabe — Alors pas besoin d’aller si loin, du coup !
Kushida — Oui, c’est vrai. Je serais bien branchée par le zoo ou autre !
Le zoo, l’aquarium… Des lieux impossibles d’accès dans notre lycée. Il était naturel de vouloir saisir l’occasion d’y aller.
Amikura — C’est quoi vos envies, tout le monde ? On pourra faire une synthèse ensuite.
Amikura proposa qu’on indique tous nos préférences, sans tenir compte des scores. Nous étions six à être favorables à cette idée, mais cela devait être discuté et décidé par l’ensemble du groupe ; ainsi, c’était sans compter sur Kitô et Ryuuen.
Watanabe — Qu’en penses-tu, Kitô ?
Watanabe s’adressa à Kitô, qui était resté silencieux jusqu’ici.
Kitô — Je n’ai pas d’objection.
Watanabe et les autres furent soulagés. Ne restait donc plus que Ryuuen, qui demeurait silencieux.
Watanabe — Alors, du coup…
Watanabe hésitant à demander, je pris la relève.
Moi — Devons-nous considérer ton silence comme un accord ?
Cependant, connaissant Ryuuen et son objectif de 800 millions de points, la réponse était pour moi évidente.
Ryuuen — Toujours les points.
Une réponse sans équivoque, en désaccord avec l’entièreté du groupe. Il n’y avait pas de bon ou de mauvais choix, mais les discussions à rallonge étaient inévitables dans un groupe avec des avis divergents. Watanabe était de plus en plus effrayé, je décidai donc de garder la main.
Moi — Qu’est-ce qui te motive particulièrement ?
Ryuuen — Ce n’est pas juste 30 000 points, pour moi.
En effet, en comptant Nishino et lui, c’était 60 000 au total pour sa classe. Cela semblait une goutte d’eau par rapport aux 800 millions, mais ce n’était pas non plus négligeable.
Ryuuen — Il y a aucune raison de cracher sur des points gratuits. Donc bouclez-la et on fait comme je dis.
Vu comme ça, si on mettait de côté le risque de manquer de temps, cela en valait la chandelle. S’asseoir sur quelque chose de facile à gagner est dommage. Mais il n’y avait aucune chance que Kitô garde le silence face à l’arrogance de Ryuuen devant la majorité du groupe.
Kitô — Monsieur a dit, donc on obéit tous ?
Ryuuen — Oui. Un problème avec ça ?
Kitô — Quel mépris flagrant de démocratie. Nous devrions tout simplement trancher par un vote à la majorité.
Ryuuen — Me fais pas rire. Depuis quand ce groupe est une démocratie ?
Kitô — Pourquoi se donner du mal pour des clopinettes ? Tu es encore plus bête que je ne l’imaginais !
Ryuuen — Je te retourne le compliment !
Je ne compte plus le nombre de fois où ils s’étaient chamaillés, et personne n’arrive jamais à les arrêter.
Kitô — Avoue-le, t’avais juste envie de foutre la merde !
Ryuuen — J’avoue que c’est sympa de te voir câbler…
Les choses risquaient de devenir très moches si on les laissait continuer.
Kitô — Et les dépenses pour les transports, du coup ? On risque de faire tout ça pour bien moins que 30 000 points au final.
Je n’avais pas les montants exacts, mais il était sûr que le déplacement n’allait pas être gratuit.
Ryuuen — Même 20 000 points ça m’irait toujours très bien.
Nous étions le seul groupe à proximité de la gare routière.
Ryuuen — On perd un temps précieux là, Kitô. T’en es bien conscient ?
Il essayait de le faire céder. Du Ryuuen tout craché. Mais Kitô n’allait pas se laisser faire, encore moins après cette ultime provocation.
Kitô — C’est toi qui ignores la volonté générale. Je ne coopérerai pas, donc non seulement tu n’auras pas tes points, mais en plus tu passeras la journée de demain enfermé !
Donc Kitô était prêt à aller loin pour contrer Ryuuen.
Ryuuen — Kukuku, c’est toi qui vas finir en minorité Kitô. Tout le monde va finir par me suivre au bout d’un moment.
Allions-nous nous lancer dans un inutile concours de patience ? Puisque Ryuuen n’avait aucune chance de céder, le mieux était de convaincre Kitô. 30 000 points n’étaient pas une si mauvaise affaire. D’autant que si on arrivait malgré tout à remplir l’objectif des six lieux, on pouvait en profiter pour utiliser la journée libre du lendemain pour visiter. Le tout était de rendre l’opinion de Ryuuen majoritaire.
Kitô — Je ne te suivrai pas, même si j’en étais forcé.
Si c’était vrai, Kitô endosserait le mauvais rôle.
Ryuuen — J’avoue, bousiller le groupe peut valoir le coup de renoncer à la tune. Pas vrai ?
Kitô — Parle pour toi.
Kitô ne montrait aucun signe d’abdication, comme s’il était habitué à être le grand méchant.
Watanabe — Allez, Kitô !!
Watanabe, qui avait été timide jusqu’à ce moment-là, n’eut pas eu d’autre choix que d’intervenir.
Kitô — Quoi ? Tu interviens bien entendu pour dire à quel point tu trouves l’idée de Ryuuen stupide, n’est-ce pas ?
Watanabe se demandait ce qu’il devait faire.
Watanabe — O-oui, c’est vrai. Nishino, tu ne peux pas le convaincre ?
Nishino — J’aime bien lui pourrir la vie. Mais autant te dire que c’est peine perdue que d’essayer de le faire changer d’avis.
Nishino, qui le connaissait depuis un moment, savait sûrement à quoi s’en tenir avec lui. Donc elle avait répondu à demi-mot en disant ça.
Kushida — Hé, on fait quoi là ?
Kushida me tira le bras et prit un peu de distance, discrètement.
Kushida — Je me disais qu’il valait mieux suivre Ryuuen-kun. Mais Kitô nous fait la même chose. Ce sont des gars vraiment égoïstes.
Leurs aspects les plus négatifs avaient été exposés au grand jour.
Moi — Il y a bien une solution.
Kushida — Ah oui ?
Moi — C’est juste que je préfère éviter d’y avoir recours.
Kushida — Dis-m ’en un peu plus.
Moi — Nous on veut profiter du voyage, tout comme Kitô. Ryuuen veut les points.
Kushida — Oui. Les deux sont opposés.
Moi — Alors si on se cotise tous, sauf Kitô, en refilant à Ryuuen 5000 points par personne, tout le monde serait content non ?
Kushida — Oh, je vois, c’est une façon de résoudre le problème !
Mais Ryuuen pouvait ne pas se contenter de 30 000 points. Tout d’abord, c’était 60 000 points que Ryuuen espérait en comptant les 30 000 de Nishino. Quand bien même cette dernière restait correcte avec nous, Ryuuen n’allait sûrement pas s’asseoir sur sa part et nous la réclamer. Autrement dit, nous allions devoir verser 12 000 points par personne pour arriver à un total de 60 000. Cela faisait cher le tourisme…
Kushida — Oui, donc en gros ce n’est pas très bon marché…
Ce qui était censé être une journée ne pouvant qu’apporter un gain en premier lieu aller se révéler être une perte. Non seulement la visite allait nous laisser un goût amer, mais en plus céder à l’agressivité de la minorité allait créer un très mauvais précédent dans ce groupe.
Moi — Et rien ne dit qu’il ne va pas user de la force pour augmenter encore plus le tarif par la suite.
Kushida — Mais il nous casse vraiment les couilles, celui-là.
Moi — Je ne te le fais pas dire.
Kushida — Du coup je te comprends, Ayanokôji-kun. Ce n’est pas une si bonne idée, après tout.
Moi — Du moins, ce serait super de pouvoir se débrouiller sans.
Kushida — Plus facile à dire qu’à faire, avec eux. Le dialogue est impossible.
Certes, il était peu probable que Ryuuen ou Kitô cèdent facilement. L’un comme l’autre allait forcément être lésé.
Moi — En effet, nous assistons à un enlisement. Néanmoins, cela va être dur de gagner les 20 points si on perd trop de temps ici.
La stratégie était donc de les laisser utiliser ce temps pour se disputer. Mais ce choix englobait aussi un certain nombre de problèmes.
Moi — Et si on a vraiment plus le temps, pas sûr que Ryuuen ne nous mette pas des bâtons dans les roues pour les visites. Ce sera un échec à la fin. Je suis presque sûr que le temps libre de demain sera perdu.
Kushida — Oh… Je vois.
Nous étions vraiment au pied du mur. Il nous fallait agir.
Moi — Et crois-moi, je n’ai pas envie de gaspiller cette précieuse journée. Je vais faire ce que je peux !
Kushida — Comment tu vas t’y prendre ?
J’avais une idée. Mais au même moment, je me rendis compte que Kushida et moi avions passé trop de temps à l’écart. Le fait que nous ayons eu une conversation privée avait clairement été grillé.
Watanabe — Tu sors avec Karuizawa, non ?
Me dit Watanabe avec un regard noir. Amikura me regarda d’un œil amusé pendant que nous revenions.
Moi — C’était une réunion stratégique. Pas vrai, Kushida ?
Kushida — Bien entendu. Je ne faisais que parler avec Ayanokôji-kun.
En disant cela, Kushida s’éloigna rapidement de moi. Comme si elle s’éloignait de quelqu’un qui la dégoûtait. C’était un peu exagéré, et ce n’était pas ultra agréable ! Néanmoins, Watanabe et les autres semblaient n’y avoir vu que du feu. Mon sang froid retrouvé, je revins vers Kitô qui regardait toujours Ryuuen avec insistance, ce dernier fixant son téléphone sans se soucier de son interlocuteur. Je leur tournai ensuite le dos pour faire face aux cinq autres.
Moi — Je voudrais que vous me confirmiez tous quelque chose, sauf Ryuuen et Kitô. Je veux faire le point sur l’opinion générale : visite touristique ou points privés ? Si quelqu’un a changé d’avis, qu’il n’hésite pas à lever la main. Ne pensez pas aux autres, dites simplement ce dont vous avez envie.
Watanabe et les autres se regardèrent, mais aucun d’entre eux ne leva la main. Je pouvais dire par leur comportement que personne ne mentait. Autrement dit, personne n’était vraiment pour la quête aux points.
Ryuuen — Et alors ? Je ne changerai pas d’avis, Ayanokôji.
Je savais qu’il se fichait de savoir s’il avait des alliés pour le soutenir.
Moi — Désolé, mais je dois vous parler à vous cinq.
Je détournai rapidement mon regard de Ryuuen et me retournai pour continuer à parler aux cinq autres.
Moi — J’en suis arrivé à la conclusion que l’unanimité était impossible.
Nishino — Alors tu proposes quoi ?
Nishino, qui voulait faire du tourisme, peinait à cacher son mécontentement.
Moi — Certes, il faut tenir compte au mieux des envies de chacun. Mais que ce soit Kitô ou Ryuuen, 1/8e n’a pas à décider pour tous. Même sans me compter, vous disposez de 5/8e des voix, plus de la moitié.
Nishino — Je sais bien, c’est justement ça le problème non ? À quoi bon avoir une majorité sans unanimité ?
Moi — Certes. Mais, indiscutablement, c’est nous qui sommes légitimes à décider de la direction à prendre. Vous n’êtes pas obligés de suivre Ryuuen et son envie de points privés, et on peut tout à fait l’obliger à y renoncer… en organisant notre journée libre aujourd’hui.
Watanabe — Donc on dit au revoir à la journée libre de demain ?
Moi — En suivant Ryuuen, pas sûr qu’on y ait droit de toute façon. Sans compter qu’on est toujours plantés là bientôt une demi-heure après l’arrivée des bus. Mais on a une journée à disposition aujourd’hui…
Nishino — Mais seulement jusqu’à 17h, non ?
Moi — 17h est l’heure limite pour relever le défi de l’école. Mais en théorie nous sommes libres de faire ce que l’on veut jusqu’au couvre-feu. Nous balader, rejoindre des amis d’un autre groupe… L’école n’a pas son mot à dire là-dessus.
Abandonner le quatrième jour et faire du troisième jour un jour d’activité totalement libre… Tel était le plan.
Moi — Il s’agit de l’autorité absolue que seuls les cinq d’entre vous possèdent. Ce n’est pas à Ryuuen ou à Kitô de décider de ce qu’il faut faire, donc je veux que vous considériez tous cette proposition.
Kushida — Je suis partante !
Kushida regarda les autres dans les yeux, sans un mot, convaincue que tout le monde était plus ou moins sur la même longueur d’onde.
Kushida — Ryuuen-kun… Tout ne tourne pas autour des points privés. On veut prendre du bon temps… Si tu ne veux pas, ce n’est pas grave, fais ta journée de ton côté pendant qu’on s’amuse. Éventuellement, demain, comme l’a dit Ayanokôji-kun, nous passerons une super journée à étudier.
Nishino rit à ces mots. Amikura, Watanabe et Yamamura hochèrent la tête, comme s’ils étaient prêts pour la journée à venir. Kitô sourit en coin.
Kitô — C’est plutôt intéressant, d’un coup. J’achète !
Kitô, qui jusqu’ici fonctionnait par opposition à Ryuuen, se rangea de notre côté. Pour la première fois, Ryuuen n’avait plus de moyen de pression : qu’il nous suive ou non, il s’asseyait sur les points privés dans tous les cas, avec même une petite journée d’étude à la clé !
Ryuuen — J’avoue ma défaite, Ayanokôji.
Il exprimait son mécontentement, et je suppose que le commun des gens l’aurait compris ainsi. Mais il ne semblait pas vraiment l’être.
Ryuuen — Plutôt crever que d’étudier ici, franchement.
Je me demandais jusqu’où il irait, mais Ryuuen fit un pas en arrière. Sûrement qu’il n’aurait pas hésité à faire faux bond au groupe s’il avait pu gagner ses points privés seul. Mais comme il n’avait plus rien à gagner, il se contenta de se rétracter.
Après cela, notre groupe débuta enfin sa journée conformément aux consignes de l’établissement. Nous avions visité tous les spots situés au centre-ville, mais également le zoo, où nous semblions tous vouloir nous rendre. En conséquence, bien entendu, nous n’étions pas parvenus à atteindre les 20 points, mais la journée fut plus que satisfaisante.
1
Vint enfin l’heure du dîner. Jusqu’ici nous avions eu droit à des repas traditionnels, style Kaiseki[1]. Toutefois, dès ce soir-là et jusqu’au jour de notre départ, le ryokan avait mis en place un buffet à volonté. C’était la première fois de ma vie que j’expérimentais ça !
Comme d’habitude, les repas étaient libres et chacun mangeait un peu où il voulait. Les élèves tournaient avec leur plateau. Kei était entourée de nombreuses filles, et je les entendais ricaner de là où j’étais. Puisque je n’avais rien de prévu, je prenais le temps de regarder comment les autres s’y prenaient avec ce buffet. Il suffisait donc de prendre un plateau, les couverts puis de tout simplement choisir nos mets en suivant un parcours bien précis. Le chemin débutait par les salades et autres condiments – laitue, tomates, oignons, cornichons, etc. Il n’y avait pas moins de cinq vinaigrettes différentes alors je me laissai tenter par celle aux oignons.
Moi — Intéressant.
Contrairement à un repas où l’on nous sert quelque chose, nous avions ici un fort sentiment d’individualité avec nos propres choix. Je me dirigeai naturellement vers de la nourriture présentant un intérêt nutritif. Il semblait y avoir plusieurs politiques chez les autres : certains prenaient simplement la même chose que les gens avec qui ils mangeaient, d’autres prenaient un peu de tout. Je décidai de directement faire la queue pour les plats, mais celle-ci s’allongea très vite derrière moi. Je pensais être le seul à sauter les amuse-gueules puisqu’il était encore un peu tôt, mais c’était tout le contraire. En plus de la nourriture principalement japonaise, il y avait aussi des steaks, du shumai, de la soupe de maïs et j’en passe.
Ishizaki — Yo, Ayanokôji. Tu bouffes tout seul ?
Alors que j’essayais de trouver un siège avec mon plateau bien garni, je fus abordé par Ishizaki qui avait les mains vides.
Moi — En effet.
Ishizaki — Bah viens avec moi ! J’ai aussi proposé à Nishino qui mangeait toute seule. Ça doit être chiant non ?
Moi — O-oui… Si tu veux.
Pourquoi refuser, après tout ? C’était demandé si gentiment. Je le suivis donc jusqu’à notre table, où Nishino me fit un signe de la main. Albert était également présent, et j’eus l’impression que nos regards s’étaient croisés à travers ses lunettes de soleil. Je posais mon plateau à côté d’un autre qui était sûrement celui d’Ishizaki.
Ishizaki — Je vais voir la bouffe, vous pouvez commencer.
S’il avait les mains vides quand il m’a parlé, c’est probablement qu’il cherchait à se resservir. Ishizaki sifflota en retournant vers le buffet.
Moi — Alors toi aussi il t’a conviée.
Nishino — Je voulais refuser, mais il a insisté.
Moi — C’est le genre à ne pas laisser ses amis tranquilles, non ?
Nishino — Je ne sais pas… En vrai, il a grave changé depuis le début.
Il semblait radieux ces derniers temps, à des années-lumière de son état depuis notre arrivée ici. Je disais ça, mais nous ne nous fréquentions pas plus que ça alors je n’avais pas constaté ce changement au fur et à mesure.
Nishino — Au début, il semblait ne pas aimer Ryuuen. Il était un peu rebelle sur les bords.
On parlait de changement, mais c’était peut-être simplement le vrai Ishizaki qui pouvait enfin s’exprimer. En revanche, Albert semblait plus ou moins le même. Il utilisait avec dextérité des baguettes avec ses grandes mains.
Ishizaki — Hé ! J’ai apporté une tonne de crabes ! Je suis en mode crabe là, je fais du sale !!!!!!!
Ishizaki revint en effet avec un plateau rempli de crabe. Les pâtes débordaient même sur la table.
Moi — Ah ouais, quand même… !
Ishizaki — Si y a bien un truc connu d’Hokkaidô, c’est les crabes. Je les voulais tous… Donc j’ai pris un peu ce que je pouvais, à l’arrache.
Nishino — Quel morfal !
En effet, la région était réputée pour les crabes. Pour preuve, malgré le buffet très varié, de nombreux élèves étaient rassemblés vers les produits de la mer. Tellement que j’avais abandonné la queue pour éviter la foule.
Ishizaki — Morfal ? C’est une razzia ! Pas de pitié dans les razzias !!!
Ishizaki semblait enjoué, nous faisant remarquer qu’il ne fallait rien regretter.
Nishino — « Razzia »… gros malaise.
Ishizaki — Quel mot est mieux approprié pour un buffet ?
Nishino — Je sais pas… « Buffet », par hasard ?
Ishizaki — Rhoo, ça le fait tellement pas !
Nishino semblait particulièrement préoccupée par l’assiette pleine de crabes.
Ishizaki — Allez, tout ça c’est que du détail… J’attendais le buffet avec impatience !
Nishino — Oui mais il faudrait penser un peu aux autres. Tu n’étais sûrement pas le seul à vouloir goûter au crabe, la spécialité ici.
Ishizaki — Si c’est pas moi, ce sera d’autres. Puis vu que c’est à volonté, ils doivent en avoir plein, nan ?
Il marquait un point, Ishizaki montrant du doigt les chefs en train de réapprovisionner du crabe. Puis s’il mangeait tout sans gaspillage, elle ne pouvait rien lui dire.
Nishino — Grr, peu importe !
Nishino détourna son regard d’Ishizaki et mit une cuillère de riz cuit à la vapeur en bouche. Albert, qui mangeait tranquillement à côté d’elle, avait un assortiment : des aubergines frites, des épinards à la pâte de sésame, des divers sashimis, une soupe miso et du riz. Globalement, du japonais.
Moi — Notre nourriture a l’air de te plaire.
Albert posa soigneusement ses baguettes et leva silencieusement le pouce, avant de retourner à son repas. Il mangeait très soigneusement, plus qu’Ishizaki, qui dévorait sa nourriture.
Ishizaki — Ah oui, Ayanokôji, t’es dans le groupe de Ryuuen-san, nan ?
Moi — Oui, mais tout se passe bien. Mon groupe est sympa, on fait plein de choses.
Ishizaki — Et le petit accrochage à la station de ski ?
Nishino, en tant que personne impliquée, soupira.
Ishizaki — J’ai entendu dire que vous vous êtes frittés avec des mecs d’une autre école. Pourquoi je suis jamais là quand c’est drôle !!
Nishino — Heureusement que tu n’étais pas là, ça n’aurait fait qu’envenimer les choses. Pourquoi les mecs ne pensent qu’à se battre ?
Cocasse venant d’elle, qui était plutôt du genre téméraire. Elle n’avait pas hésité à s’interposer entre Yamamura et les gars.
Ishizaki — T’as quand même pas mal le sang chaud, je te signale !
Ishizaki ricana en même temps, mastiquant un crabe.
Nishino — Crache-moi ta bouffe dessus, je te dirai rien !!
Ishizaki — Tu cherches pas la merde avec Ryuuen-san, pas vrai ?
Nishino — Et pourquoi pas ? Je suis pas sa chienne !
Ils avaient l’air de bien s’entendre malgré les apparences. Elle connaissait bien le spécimen. D’autant que Nishino semblait avoir bon cœur, vu la façon dont elle avait protégé Yamamura.
Moi — Je me demandais, Nishino… Ryuuen ne te fait pas peur ?
Nishino — Il est carrément flippant quand il est sérieux ! Mais avec mon cassos de frère, on va dire que j’ai un peu l’habitude.
Alors elle avait quelqu’un de ce genre chez elle ? Ce qui expliquerait pourquoi elle était n’avait pas peur de répondre, encore moins l’autre jour.
Nishino — Sans études tu fais quoi ? Mon frère était un dragueur débile qui a lâché le lycée pour galérer dans des boulots de merde.
Elle soupira lourdement, comme si elle s’était rappelée de quelque chose qu’il ne fallait pas.
Moi — Du coup que fait-il, en ce moment ?
Nishino — Il travaille pour une entreprise de BTP qui a bien voulu de lui. Il se casse le cul tous les jours sur les chantiers en étant payé au lance-pierre.
Donc sa consternation face à Ryuuen et Ishizaki, venait de sa propre histoire. La vie n’allait pas leur faire de cadeaux s’ils continuaient ainsi. En mettant de côté les milieux tels que le divertissement, la création ou le sport où le talent prime avant tout, il valait mieux avoir un bon parcours scolaire. En tout cas, un bagage académique ne peut que faciliter la vie future.
Ishizaki — T’es grave posée et réfléchie, en fait.
Nishino — « En fait » ? Enfin, c’est sûr qu’à côté de toi j’ai l’air d’un génie.
Ishizaki — Ha ha ! T’as pas tort !
Du point de vue d’Ishizaki, tous les élèves passaient en effet pour des puits de sagesse. En partant après avoir fini mon repas, je remarquai Katsuragi. Il mangeait seul à une table dans un coin, portant silencieusement la nourriture à sa bouche. J’étais curieux de sa situation, alors je l’observai un peu. Ce qui m’amena à assister à une scène étrange. Oda, un élève de la classe de Ryuuen, s’apprêtait à aller parler à Katsuragi lorsque Matoba et Baba, des élèves de la classe A, le devancèrent. Oda alla donc voir un autre élève tout en observant Katsuragi, de loin. C’était comme s’ils essayaient d’empêcher Oda de contacter Katsuragi, car les élèves de la classe A allaient et venaient.
Matoba et Katsuragi étaient dans le même groupe. Il aurait donc été logique qu’ils mangent ensemble, mais cela ne semblait pas être le cas. Les élèves de la classe A étaient vraiment imprévisibles. J’aurais pu laisser tomber, mais je décidai de tout de même de contacter Katsuragi. Matoba, sentant que j’approchai, s’interposa.
Matoba — Nous avons une petite discussion de groupe. Si tu pouvais nous laisser ?
Je vois. Ce prétexte suffisait même à écarter des camarades de classes, ce qui expliquait le comportement d’Oda. Matoba agissait-il seul, ou tout ça faisait partie d’un plan de la classe A visant à saboter la classe de Ryuuen ? D’un point de vue extérieur, du moins, cela ressemblait à de l’intimidation pure et simple. C’était sans compter sur l’apparition de quelqu’un d’autre… Il pensait l’arrêter tout comme il l’avait fait avec moi, mais il se rétracta immédiatement.
Matoba — Oh !
Matoba déglutit et se retourna, comme s’il se faisait le plus petit possible.
Ryuuen — Hé, Katsuragi. T’en tires une de ces tronches !
Pas étonnant que Matoba se soit écrasé, l’arrivant n’étant autre que Ryuuen. Il claqua la langue à l’apparition inattendue du leader de la classe C avant de déguerpir. Sans même accorder un regard à Matoba, il s’assit en face de Katsuragi.
Katsuragi — Je suis en train de manger. Qu’est-ce que tu veux ?
Ryuuen — Je voulais regarder de plus près ton misérable visage.
Katsuragi — Je ne comprends pas.
Ryuuen — « Je ne comprends pas » … Voilà ce que c’est que de trahir sa classe. C’est trop tard pour le regretter maintenant, Katsuragi.
Katsuragi — Je n’ai aucun regret. Je suis prêt à tout donner pour ma nouvelle classe.
Peut-être cachait-il ses véritables pensées, mais je pouvais dire qu’il prenait sa nouvelle position très au sérieux. Bien qu’il semblât un peu distant.
Ryuuen — Je vois.
Ryuuen tira une chaise bruyamment et s’assit en face de moi, me glissant un verre vide.
Ryuuen — Apporte-moi de l’eau, Ayanokôji.
Moi — Moi ?
Ryuuen — Fais pas ta chochotte, on est en public là !
Moi — Je sais que tu as été plutôt dominant envers les autres membres du groupe… Mais tu n’avais pas été comme ça avec moi.
Ryuuen — Y a un début à tout !
Je ne savais pas à quel degré j’allais pouvoir en savoir plus sur leur situation. Bon, il se trouvait que j’avais soif aussi, donc ça tombait bien. De même que j’avais pu entrevoir que Ryuuen semblait hautement préoccupé par Kasturagi.
J’allais me contenter de ça pour l’instant.
2
Ryuuen, Katsuragi et moi quittions le réfectoire. Je vis Kushida assise tranquillement sur une chaise, près de l’entrée. Elle se leva dès qu’elle nous vit, s’approchant sans même réfléchir.
Kushida — Ryuuen-kun, pourrais-je te parler ?
Elle semblait l’avoir attendu depuis tout à l’heure, laissant ses amies partir avant elle. Elle avait donc forcément quelque chose à lui dire. Katsuragi, lisant peut-être l’humeur, se dirigea tout seul vers sa chambre.
Ryuuen — Hein ? Hein ? Qu’est-ce que tu veux ?
Kushida — C’est… Si possible, j’aimerais aller ailleurs…
Kushida était en mode « public », mais son comportement était étrange.
Ryuuen — Désolé, t’es pas mon genre en fait !
Kushida — Haha, quelle finesse. Non, sérieusement, c’est important. Promis, c’est pas pour te faire crever. Pas encore…
Kushida, tout en prêtant attention à ce qui se passait autour d’elle, tourna le dos à la salle pour regarder Ryuuen avec son regard meurtrier typique.
Ryuuen — Bon, ok, je vais t’écouter un peu. On se débarrasse des indésirables avant ?
L’indésirable était certainement moi. Ainsi, ils s’éloignèrent vers une zone déserte. Je préférais ne pas les laisser seuls, donc je les suivis en faisant le plus attention possible. Ces précautions n’étaient pas de trop à en juger par la prudence de Ryuuen quant à son environnement.
Ryuuen — Alors ? De quoi tu veux me parler ?
Kushida — De toi. Pourrais-tu, s’il te plaît, arrêter de débiter de la merde quand on est en groupe ? Ça me gave.
Ryuuen, à deux reprises, avait lancé de gros pics à Kushida. Il était logique qu’elle ne le prenne pas bien.
Kushida — Qu’est-ce que tu veux de moi ?
Ryuuen — Hmm. Rien… Pour l’instant !
Kushida — Donc un jour ça pourrait changer ?
D’après le son de sa voix, Kushida n’avait pas l’air tranquille.
Ryuuen — T’as littéralement vendu ton âme au diable pour faire expulser Suzune. T’espérais que ce soit sans conséquence ? Tu ne peux pas effacer le passé comme ça, n’est-ce pas ?
Kushida — Certes. Tu as raison.
Ryuuen — D’ailleurs, depuis quand t’as les couilles de me convoquer, comme ça ? Ce n’est pas dans tes habitudes.
Ryuuen sentit que quelque chose n’allait pas. Sans même être au courant de ce qui s’était passé, il avait une sorte de 6e sens.
Ryuuen — Est-ce que, par hasard, une nouvelle personne connait ta vraie nature ?
Kushida — Occupe-toi de tes fesses !!
Ryuuen — Kukuku. Quoi qu’il en soit, tu es une de mes pièces maîtresses. Chaque fois que j’aurai affaire à la classe de Suzune, j’utiliserai cette arme sans pitié.
Il avait peu mentionné Kushida jusqu’à présent. Comme s’il n’allait avoir besoin d’elle que plus tard. Une situation pesante pour Kushida, qui avait décidé d’avancer et de tourner le dos à cette relation.
Ryuuen — Du coup, t’es venue pour quoi ? Me supplier à genoux de la fermer ? Ou bien essayer de me faire expulser ? Dans les deux cas tu vas galérer !
Kushida — Je suis…
Je n’avais pas prévu de laisser Kushida choisir la moindre de ces deux options. En fait, les « choix » étaient illusoires.
Moi — Je suis désolé, Ryuuen, mais j’ai aussi mon mot à dire. Lâche-la.
Je décidai de sortir de ma cachette.
Ryuuen — Merde. Je savais que tu me suivais.
Kushida — Ayanokôji-kun ?
Moi — Et je me disais que tu t’en doutais probablement.
Ryuuen — Cool, alors… Bref, qu’est-ce que tu voulais dire par « lâche-la ? ».
Moi — Exactement ce que tu as compris. Je sais que tu vas tout balancer sur Kushida, mais j’apprécierais que tu ne le fasses pas.
Ryuuen rit et frappa ses mains en s’amusant de l’avertissement.
Ryuuen — Kukuku ! Ayanokôji le chevalier servant de Kushida… C’est une blague ? Enfin, si tu agis ainsi, ça veut dire que Kushida n’est plus le cancer de votre classe.
Ryuuen sourit agréablement, ayant eu les réponses à ses questions.
Moi — En effet. Kushida est devenue une nouvelle personne en se rangeant aux côtés de Horikita. Je ne vais pas te laisser tout gâcher.
Ryuuen — Désolé, mais ce que tu viens de dire me donne encore plus envie de le faire !
Kushida — Parce que quelqu’un va te croire, Ryuuen-kun ?
Kushida osa directement se confronter à Ryuuen. Ce dernier ne se découragea pas pour autant.
Ryuuen — T’as l’air bien sûre de toi… Si on essayait, du coup ?
Ce qu’il fallait maintenant, ce n’était pas une dissuasion verbale timide, mais une neutralisation totale.
Ryuuen — Si je décide de t’exposer, personne ne pourra m’arrêter.
Il fit une petite tape sur l’épaule de Kushida. Elle ne pouvait pas cacher son anxiété et son exaspération, humiliée.
Moi — Mais si tu fais ça, bye bye ton objectif de battre Sakayanagi aux examens finaux.
Ryuuen — Oh ? Et pourquoi ?
Moi — Ce sera compliqué si je m’en occupe d’une façon non civilisée.
Suite à mes paroles, le sourire de Ryuuen s’effaça instantanément. Tout comme la dernière fois où il avait fait passer un mauvais quart d’heure à Kei.
Ryuuen — La vache… Ça fait longtemps que j’ai pas vu ce visage !!
J’intervins entre Ryuuen et Kushida, poussant Ryuuen.
Kushida — Même s’il garde le silence maintenant, rien ne dit qu’il ne va pas faire un coup de pute plus tard !
Kushida semblait forte, mais ses mains levées trahirent une certaine peur.
Ryuuen — N’en parlons plus. Je ne vais pas me servir de Kikyô pour attaquer votre classe. Ça aurait eu du sens avant, si Ayanokôji avait pu faire le sale boulot.
Kushida — Comment ça ?
Ryuuen — T’es pas au courant ? Pas plus tard qu’hier, il m’a dit qu’il ne voulait plus te faire expulser. Ce qui veut dire que tu n’es plus un moyen de pression valable.
Moi — On peut dire que j’ai bien fait…
Ryuuen — Donc je vais pas me prendre la tête avec une stratégie qui va fonctionner qu’à moitié. Avec toi ça ne suffira pas, Ayanokôji.
J’étais sûr qu’il avait bien d’autres surprises en réserve pour affronter Horikita. Des choses auxquelles même moi je n’avais pas pensé.
Ryuuen — Allez, je retourne dans ma chambre. À plus Kushida ! Essaye de profiter de ta vie scolaire !
Alors il ne l’appelait plus « Kikyô », mais « Kushida », désormais. Intrigant. Elle et moi étions désormais seuls, un silence de mort régna.
Kushida — Pourquoi es-tu venu m’aider ? Quel est ton intérêt ?
Moi — C’est simple, tu es une personne essentielle à la classe. Pas sûr que Ryuuen t’aurait balancé même si je n’étais pas intervenu. Mais tu me semblais un peu en difficulté. Et il est toujours mieux d’être sûr qu’il ne parlera pas.
Kushida — C’est… Eh bien…
Moi — Ryuuen n’est pas un adversaire pour toi. T’engager dans ce genre de combat sans y être préparée ne t’attirera que des ennuis.
Kushida — Alors tu me dis que c’est un adversaire pour toi ?
Moi — Au moins pour l’instant, je gère contre lui.
Kushida — Sans déconner ?
Moi — Enfin, tu n’as plus à te préoccuper de ça pour l’instant. Tu devrais juste prendre soin de toi à partir de maintenant.
Kushida — C’est réel ce qui se passe ? T’as besoin de moi à ce point pour la classe ?
Moi — Je dois dire que oui, également.
Kushida — « Également » ?
Moi — Je sens qu’on s’est rapprochés, qu’on parle plus librement.
Le fait de connaître les deux facettes de la personnalité de Kushida m’avait permis de mieux la comprendre et l’anticiper.
Kushida — Arrête tes conneries. Comment quelqu’un qui connaît ma vraie nature peut penser ça ?
Elle était bien consciente d’avoir une personnalité que les gens n’appréciaient pas forcément. C’était le nœud du problème depuis le départ.
Moi — Je te trouve sympa, moi.
Kushida — Puis je ne sais jamais si t’es sérieux quand tu parles. On ne peut jamais te faire confiance !
Normalement, Kushida aurait répondu d’un rire diabolique, mais son expression sembla figée.
Moi — Il y a des gens qui seraient beaucoup plus à l’aise avec ton vrai visage, tu sais.
Kushida — Comme si c’était possible…
Kushida me regarda, ouvrit grand la bouche avant de s’immobiliser. Puis elle se dirigea vers le mur.
Moi — Qu’est-ce que tu fais ?
Immédiatement après, elle écarta les mains, paumes ouvertes, puis frappa ses mains sur le mur aussi fort qu’elle le pouvait.
Kushida — Ok, ok…
Elle marmonna quelque chose et arrêta de bouger. Alors que je la regardais, Kushida se retourna vers moi, ayant retrouvé son calme.
Kushida — J’avais un peu la nausée, mais ça va là !
Kushida avait élevé la voix d’une manière un peu étrange. J’étais très perturbé par ce que je venais de voir.
Moi — Tu es sûre que tu vas bien ?
Même si elle ne semblait pas être dans un état normal, Kushida revint à son visage habituel.
Kushida — Oui oui, ça va !
Moi — Si tu le dis…
Lire les émotions de Kushida était vraiment difficile.
Kushida — J’ai en quelque sorte été sauvée par Ayanokôji-kun, n’est-ce pas ? Merci…
Moi — Peut-être. Mais j’ai l’impression que tu me remercies de plus en plus ces derniers temps… Faut que je m’y habitue !
Kushida — Je vais essayer de ne plus calculer Ryuuen-kun à partir de maintenant.
Moi — Sage décision.
Kushida — Allez, je retourne dans ma chambre. À demain !
Moi — À plus tard !
Kushida marchait dans le couloir avec une expression qui semblait être complètement revenue à la normale. Mais en chemin, elle trébucha et tomba par terre, faisant voltiger une de ses pantoufles.
Moi — Qu’est-ce qui se passe ?
Kushida — Je vais bien ! Je vais bien ! Ne t’inquiète pas !
Elle me repoussa de la main, me disant de ne pas l’approcher. Elle se releva ensuite en titubant et remit sa pantoufle.
3
J’attendais, dos au mur, dans le couloir, prêt pour mon rendez-vous avec Horikita.
Horikita — Désolée, je suis un peu en retard.
Horikita s’excusa, mais elle n’était pas si en retard que ça.
Horikita — Bon, alors…
Moi — Tu veux vraiment discuter ici ?
Les gens entraient et sortaient constamment des différentes salles à proximité. C’était l’un des endroits les moins appropriés pour parler discrètement.
Horikita — Tu marques un point. Allons chercher une boisson au distributeur, ensuite on fera une petite marche. Ça te va ?
C’était probablement la chose la plus sûre à faire. J’acceptais donc. Parler en marchant passe mieux que de rester debout.
Moi — Juste en face des bains, y a un distributeur qui vend un lait fruité super bon.
C’était quelque chose à boire après le bain, et j’avais plutôt bien apprécié.
Horikita — Merci pour cette suggestion enfantine. Mais cela ne me semble pas approprié pour une boisson de milieu de soirée.
Fallait-il la boire à un moment précis ? Ou alors les filles avaient-elles des contraintes différentes ?
Horikita — M’enfin, c’est ce qui est le plus proche de nous, donc allons-y.
Elle marchait lentement, comme pour prioriser la conversation.
Horikita — À propos du festival culturel… Nous n’avions pas vraiment eu l’occasion d’en parler… Et ça me préoccupait pas mal.
Moi — Un coup de fatigue ça arrive, tu sais. Tu exposais ton visage endormi, sans défense, au monde entier !
Horikita — Tu veux un coup, hein ?
Sa posture de combat me fit rapidement capituler.
Moi — Ok, ok… Attends !
Horikita — Je ne peux pas croire qu’un garçon m’ait vu dormir. Tu viens de ternir ma réputation.
Moi — Pourquoi ça te préoccupe autant ?
Horikita — Il est normal de s’en inquiéter… Enfin, ce n’était pas tout à fait de ça que je voulais discuter, mais de ce jour-là globalement.
Faisant fi de sa propre honte d’un geste de la main, Horikita adopta une expression sérieuse.
Horikita — Ce qui s’est passé dans la salle du Conseil des élèves… Aurais-tu par hasard quelque chose à voir dans cette histoire ?
« Le festival », « ce jour-là », « la salle du Conseil des élèves », il n’y avait qu’un seul événement auquel elle pouvait faire référence…
Horikita — As-tu fait en sorte que Yagami soit expulsé ?
Moi — Qu’est-ce qui te fait dire ça ?
J’étais intéressé par son raisonnement pour en être arrivé à cette conclusion.
Horikita — Je ne sais pas si tu étais au courant, mais Yagami essayait de te faire expulser. En fait, son comportement au Conseil ne laissait quasi aucun doute à ce sujet.
Horikita, de son côté, semblait avoir quelques éléments. Peut-être avait-elle découvert des choses en rassemblant les pièces du puzzle.
Moi — Je ne savais pas pour Yagami, mais je suppose que ce n’est pas une surprise. Après tout, on savait déjà pour Hôsen, pas vrai ?
Horikita —Vingt millions de points privés à la clé.
Moi — Et Yagami guettait la moindre faille pour rafler la mise ?
Horikita — Cela semblerait logique, mais non, il n’avait pas l’air nécessairement intéressé par cette récompense ?
Horikita, en coulisses, semblait en savoir plus que je ne l’imaginais.
Horikita — J’aimerais bien sûr avoir les réponses à ces questions. Mais ce n’est pas le plus important, pour l’instant.
Moi — Alors que veux-tu savoir, au juste ?
Horikita — Qui tu es. Il m’est impossible de te considérer comme un élève ordinaire, ça c’est certain.
Moi — C’est troublant… Qui suis-je, si ce n’est un élève ordinaire ?
Horikita — Je ne sais pas, justement… Je ne parle même pas de capacités ou autre. Mais vraiment le genre de personne que tu es.
Le genre de personne qu’était Ayanokôji Kiyokata… C’était vraiment ce qu’elle voulait savoir ?
Moi — Il n’y a rien de spécial à dire. Rien qui vaille spécialement la peine d’être mentionné.
Horikita — Si je te le demandais… Me répondrais-tu ? D’où viens-tu ? Quelle était ton école primaire ? As-tu déjà participé à des compétitions ou des évènements ? Peut-être recevais-tu l’école à la maison, ou alors pas mal de cours particuliers ?
Je n’étais même pas sûr qu’on pose autant de questions dans le cadre d’un rendez-vous arrangé.
Moi — Je vois ce que tu veux dire. Mais je ne suis pas prêt à aborder ce genre de détails.
Horikita détourna le regard, se pinçant les lèvres de frustration.
Moi — Je vais tout de même te révéler quelques petites choses.
Horikita — Quel genre de choses ?
Moi — Tout d’abord, j’ai en effet été impliqué avec Yagami.
Horikita — Réellement ? Parce qu’il tentait de te faire renvoyer ?
Moi — Pour être exact, j’ai tendu un piège à un élève tentant de me faire expulser sans savoir qu’il s’agissait de Yagami. Il se trouve que c’est lui qui a mordu à l’hameçon. J’ai tout manigancé en ce sens.
Jusqu’à présent, je n’aurais pas vu l’intérêt de raconter ça à Horikita. Mais c’était une façon très indirecte de répondre à ses questions. Cela pouvait me servir, plus tard.
Moi — Au passage, le président du Conseil et Ryuuen ne sont pas de mèche. Je les ai approchés séparément.
Horikita — Je m’en doute. Y repenser me met encore mal à l’aise !
Nous empruntions les escaliers pour monter au deuxième étage où se trouvaient les grandes salles de bain. Arrivés sur une aire de repos avec des distributeurs automatiques par la suite, nous pûmes apercevoir deux enseignantes monopolisant les deux chaises de massage.
Elles s’adonnaient au massage avec des expressions détendues et ne semblaient pas nous remarquer.
Elles nous regardèrent. J’aurais pu les ignorer, mais Horikita choisit de les interpeler.
Horikita — Vous avez l’air de passer du bon temps !
Mlle. Hoshinomiya — Hein ? Ah ? Horikita-san ?
Hoshinomiya-sensei répondit, levant les bras d’embarras.
Horikita — N’y a-t-il pas encore du temps avant l’heure de coucher des élèves ? Vous n’êtes pas de garde ?
Mll. Hoshinomiya — Ce soir, c’est congé ! N’est-ce pas, Sae-chan ?
Mlle. Chabashira — En effet.
Chabashira-sensei fermait les yeux, happée par le fauteuil vibrant.
Moi — C’est si bon que ça ?
J’avais toujours voulu m’en servir, mais vu que c’était proche des toilettes principales je n’avais jamais osé, peur du regard des autres.
Mlle. Chabashira — Avec l’âge, les massages deviennent indispensables. Il y a beaucoup de difficultés que vous, les jeunes, ne comprenez pas.
On dit que le déclin physique s’accompagne d’un besoin d’équipement pour le compenser.
Mlle. Hoshinomiya —Surtout dans le cas de Sae-chan, ses épaules sont très raides.
Mlle. Chabashira — On se passera de tes commentaires inutiles.
Pendant un instant, elles se regardèrent de façon complice.
Mlle Hoshinomiya — Au fait, Horikita-san, tu es devenu un vrai leader. Es-tu toujours à l’aise en classe B ? Ah, comment l’ancien professeur principal de la classe B peut-il te poser une telle question…
Horikita — Non, mon objectif est la A. Ce n’est qu’un point de passage.
Mlle. Hoshinomiya — Je vois.
Je mis la conversation de côté et pris la télécommande reliée à la machine de massage de Chabashira-sensei. Il semblait y avoir cinq niveaux d’intensité. Naturellement, plus l’intensité est forte, meilleur est l’effet. D’une manière ou d’une autre, j’étais curieux de savoir comment le cinquième niveau d’intensité serait ressenti, alors je tentai le coup pour essayer.
Mlle. Chabashira — Nn, hya, nn, nn !
La machine commença à émettre un son puissant. Je m’attendais à une augmentation de 40% des fonctionnalités, mais ça pouvait être plus que ça.
Mlle. Chabashira — Ah, Ayanokōji… hnnn ! Non… Repose ça !!!
Elle tendit la main vers la télécommande, visiblement paniquée. La télécommande me tomba des mains alors qu’elle tirait de force sur le cordon.
Mlle. Chabashira — Ugh ! Hya, ha… Cesse immédiatement !
Je pris la télécommande et diminuai la force du niveau 5 au niveau 3.
Mlle. Chabashira — Haa, haa… Haa, haa… Qu’avais-tu derrière la tête ?
Moi — J’étais plutôt curieux. Je pensais que plus c’était fort, mieux c’était.
Mlle. Chabashira — Bien sûr que non ! Chaque personne a une intensité qui lui est propre.
Avec son visage rouge vif et une expression diabolique inédite, elle ne cachait pas sa colère. L’intensité était peut-être un peu trop forte pour elle.
Horikita — À quoi tu joues ?
Je fus aussi réprimandé par Horikita.
Horikita — Désolée de vous avoir interrompues pendant votre pause. Allons-y, Ayanokôji-kun.
Mlle. Hoshinomiya — Allez-vous prendre un bain ? Vous ne pouvez pas y aller ensemble, je vous préviens !!
Horikita s’en alla, ignorant la boutade de Hoshinomiya-sensei.
Mlle. Hoshinomiya — Attends, Horikita-san.
Hoshinomiya-sensei, qui avait plaisanté jusqu’à présent, prit une expression beaucoup plus sérieuse.
Mlle. Hoshinomiya — En effet, je pense que la classe de Horikita-san fait des progrès remarquables ; la classe B n’est qu’un point de passage et tu devrais viser la A. Je suis vraiment très admirative.
Ses mots sonnaient comme des louanges, mais il y avait autre chose.
Mlle. Chabashira — Chie, ne dis rien d’inutile.
Mlle. Hoshinomiya — Ça n’a pas d’importance. J’essaie juste de dire ce que je pense.
Mlle. Chabashira — Justement. Tu n’en as pas tout à fait le droit.
Horikita — Je vous en prie.
Horikita insista, comme si elle était curieuse du vrai sens des paroles de Hoshinomiya-sensei.
Mlle. Hoshinomiya — Très bien. J’ai toujours pensé que les quatre professeurs principaux étaient en compétition. Si je devais utiliser une analogie, nous pourrions dire que nous sommes en plein Trou du cul[2].
Horikita — Trou du… ?
Mlle. Hoshinomiya — Tu connais les règles, n’est-ce pas ?
Horikita — Oui, eh bien…
Mlle. Hoshinomiya — Tu composes avec des cartes qui t’ont été distribuées, et tu te bats pendant trois ans pour déterminer qui arrive de la première à la quatrième place. Les cartes sont numérotées de 1 à 13. En laissant de côté les variantes locales, grossomodo, les cartes avec les plus grands nombres sont plus fortes et les cartes avec les plus petits nombres sont plus faibles. Si un élève qui n’a que 3 s’oppose à un élève qui a 6, c’est bien sûr ce dernier qui gagne. Dans la classe A de Mashima, les cartes en main sont en moyenne toutes autour de 10 et 11. De l’autre côté, plus on descend vers la classe D, plus il y a de 3 et de 4. Tu comprends où je veux en venir.
En disant cela, Hoshinomiya-sensei prit la télécommande et augmenta la force de la vibration d’un niveau. Elle était au niveau 3.
Mlle. Hoshinomiya — Bien sûr, les élèves changent. Je suis sûre que certains qui valaient 3 ou 4 vont grandir et devenir des 12 ou 13, ou dans de rares cas, le chiffre le plus fort, 2. Donc les fluctuations de classe se produisent, et parfois la classe D peut passer à la classe B. C’est extrêmement rare cependant. Mais l’important est de se battre à armes égales. Chaque classe se bat toujours entre les chiffres 1 et 13. Vous ne voulez pas qu’il y ait d’injustice ou de tricherie dans une classe particulière, n’est-ce pas ?
Horikita — En effet.
Mlle. Hoshinomiya — Mais vous savez quoi ? Vous ne pensez pas qu’il y a une carte dans votre classe qui ne devrait pas être jouée ?
Horikita — Une carte ne devant pas être jouée… ?
Hoshinomiya-sensei rit et tourna son regard vers moi.
Mlle. Hoshinomiya — Oui, c’est de la triche. La classe de Sae-chan est la seule à avoir un joker.
Horikita sembla perturbée par son regard perçant.
Mlle. Chabashira — Chie. Arrête ça.
Mlle. Hoshinomiya — C’est bien beau de faire son mieux et de se battre. Mais un joker peut tout bouleverser. Pire que ça, ici c’est un joker que vous avez en permanence, réutilisable à souhait, il ne disparait pas de votre main après utilisation.
En tant que professeur, cela sonnait comme un aveu de défaite pour elle.
Horikita — Quand bien même, comptez-vous dire cela à vos élèves ?
Les élèves de la classe d’Ichinose seraient probablement très choqués s’ils avaient entendu ça.
Mlle. Hoshinomiya — Je vois. Désolée, désolée. Peut-être que le massage m’a un peu lassée.
Sur ce, elle éteignit la machine.
Mlle. Hoshinomiya — Sae et toi avez eu de la chance. Ce n’est pas de la triche hein ? Il est normal d’utiliser ses atouts.
Il était évident pour tout le monde ici qu’elle était brisée.
Mlle. Hoshinomiya — Mhhh~.
C’était une voix comme je n’en avais jamais entendu auparavant, qui semblait presque effrayée. Peut-être avait-elle repris ses esprits, car elle se leva et s’en alla subitement.
Mlle. Hoshinomiya — Je retourne dans ma chambre ! Sayonara !!
Légèrement énervée, Hoshinomiya-sensei fit un signe de la main et traversa le couloir à grandes enjambées.
Mlle. Chabashira — Je suis désolée. Comme elle l’a dit elle-même, elle devait avoir un peu d’alcool dans le sang.
Chabashira-sensei dit cela en se levant de son siège, comme pour défendre Hoshinomiya-sensei.
Horikita — C’est bon. Je vais considérer que ce sont les divagations d’une ivrogne.
Horikita répondit d’un ton désinvolte et dur, Chabashira-sensei toussa, embarrassée.
Mlle. Chabashira — C’est assez dur.
Horikita — Sensei, vous semblez un peu préoccupée par ses paroles ?
Mlle. Chabashira — Ce n’est pas que ça ne m’a pas traversé l’esprit, pour être honnête. Tout est si différent de ma dernière classe.
Il était vrai que la classe de Horikita avait une force unique.
Horikita — Je ne sais pas si Ayanokôji-kun est un joker, mais il est indéniable que c’est un camarade de classe puissant. Et il n’y a aucune raison de se retenir.
Sans même nous regarder, Horikita transmit ses pensées à Chabashira- sensei.
Horikita — Tant que c’est une carte qui a été distribuée à la classe, je l’utiliserai pour me battre de toutes mes forces. L’endroit que nous visons est la classe A, je vous le rappelle.
Mlle. Chabashira — C’est vrai. Je n’en attendais pas moins…
Cependant, je suis sûr que Chabashira-sensei elle-même pensait qu’elle n’avait peut-être pas encore le dessus. La classe A, menée par Sakayanagi, disposait d’une abondance de cartes solides. Même si nous pouvions gagner une manche, rien ne dit que nous allions en gagner 10 ou 20 autres.
Mlle. Chabashira — Eh bien, je vais chercher Chie. Si je la laisse partir comme ça, elle peut boire jusqu’au lever du soleil.
Elle ne pouvait pas laisser tomber son ancienne camarade de classe, alors elle la rattrapa.
Moi — C’est tout pour aujourd’hui, Horikita.
Horikita — Pas si vite, M. le Joker ! Nous n’en avons pas terminé !!
Moi — Je suis venu jusqu’ici et je ne serais pas contre un autre bain… Puis du monde commence à rappliquer.
Quelques élèves commençaient à se montrer pour profiter des sources chaudes avant d’aller se coucher.
Horikita — Tu répondras à mes questions plus tard. N’est-ce pas ?
Je hochai la tête, puis traversai les rideaux qui menaient aux bains masculins.
4
Il était presque 23h, l’extinction des feux approchait. Kitô se leva en silence et se dirigea vers le couloir, attrapant plusieurs des revues qu’il avait empruntées.
Moi — Ce gars passe son temps à lire quand il est dans la chambre !
Un amoureux des livres aime logiquement lire. Mais contrairement à Hiyori ou moi, il ne semblait pas un inconditionnel de la bibliothèque. Quelques minutes plus tard, Kitô revint avec de nouveaux magazines. Faisait-il son stock pour en avoir le lendemain matin ? Les magazines que Kitô lisait reflétaient fortement ses goûts personnels, et la plupart d’entre eux étaient en rapport avec la mode.
Moi — Je peux en lire quelques-uns, si cela ne te dérange pas ?
Je pensais qu’il allait me dire d’aller en chercher moi-même, mais Kitô en posa silencieusement sur la table. J’étais donc libre d’y jeter un œil ? Je ne me fis pas prier étant donné qu’il restait environ dix minutes avant l’extinction des feux. Le magazine présentait des choses comme des vêtements ou des accessoires à la mode. Pour être honnête, les photos et les articles du magazine étaient agréables, même si je ne comprenais pas vraiment leur sens. Mais Kitô semblait très concerné, ses tenues qui pouvaient sembler excentriques étaient arrangées selon son propre sens du style.
L’extinction des feux approcha de plus en plus, nous éteignîmes la lumière et partîmes nous coucher. Après avoir fixé tranquillement le plafond pendant un moment, ma vision s’habitua progressivement à l’obscurité. Il semblait que personne ne dormait encore, et je me demandais à quoi ils pensaient.
Watanabe — Nous serons des terminale dans six mois. Outre l’objectif de classe A, nous devons penser à notre avenir. Aller à l’université, ou travailler… Je n’arrive toujours pas à me projeter après le bac, il n’y a rien de particulier que je veuille faire. Et toi, Ayanokôji ?
Moi — Je veux faire des études supérieures. Bien que je n’aie pas encore choisi d’université.
Watanabe — Et toi, Kitô ?
Je n’étais pas sûr qu’on allait obtenir une réponse, mais Watanabe posa la question sans hésiter.
Kitô — Je vais devenir styliste.
Watanabe — Quoi ?!
Watanabe fut doublement surpris, à la fois par le fait qu’il ait reçu une réponse et par la réponse elle-même.
Kitô — Je me doute que vous êtes surpris. Après tout, ça ne colle pas tout à fait à mon apparence.
Watanabe — Non… Enfin, oui, ce n’est pas la première idée qui vient.
Mais vu les goûts vestimentaires de Kitô et le contenu des magazines qu’il lisait, c’était facile à deviner.
Ryuuen — Kukuku. « Tueur en série » aurait sûrement été plus évident comme réponse pour Watanabe !!
Je craignais que Kitô ne se mette à nouveau en colère contre ce pic direct de Ryuuen. Mais contre toute attente, rien ne se passa.
Watanabe — Rhoo, ne fais pas attention à ce qu’il dit, Kitô.
Kitô — J’ai l’habitude, vous savez. Quand j’en parle les gens sont ou surpris, ou carrément peu convaincus. D’ailleurs je ne m’attends pas à ce qu’on m’accepte facilement dans ce milieu, honnêtement.
Les préjugés ne devraient pas exister, mais ils existent et nous devons faire avec. Pour Kitô au visage fort et sévère, viser certaines professions pouvait naturellement être un obstacle.
Kitô — M’enfin, tant que je finis en classe A, je peux appréhender l’avenir sans trop me poser de questions. Puis une fois dans le milieu, il n’y aura qu’à faire taire les mauvaises langues avec mes compétences.
Pour Kitô, la fin du lycée allait certainement conditionner son futur.
Watanabe — Tu penses sérieusement à l’avenir, n’est-ce pas ? Tu as un vrai rêve, c’est super !
Watanabe était surpris, mais il éprouvait aussi de l’admiration pour Kitô dont les pensées étaient plus déterminées que les siennes. Les enfants doivent grandir et entrer dans le monde des adultes. Watanabe n’allait pas y faire exception, de même que Ryuuen qui ne parlait pas.
Watanabe — C’est dur, quand on y pense… Vous voyez ce que je veux dire ?
Watanabe marmonna cela d’une voix qui ressemblait à un rire amer.
Watanabe — Nous sommes chacun dans une classe différente. Donc seul un d’entre nous finira en classe A. Tout le monde a sûrement des projets, mais être diplômé en classe A veut dire que je prendrai forcément la place de quelqu’un d’autre.
Il est impossible de partager un rêve avec des rivaux. C’était ainsi que fonctionnait cette école. À l’image de la vie, où certains rient, d’autres pleurent.
Je me demandais si ce genre de discussions était courant quand des élèves du même âge passaient la nuit ensemble. Après tout, ça me rappelait celles que j’avais pu avoir avec Keisei et mes amis au camp de l’année dernière.
[1] Haute gastronomie traditionnelle japonaise. De nos jours, kaiseki est un type d’art où l’on cherche l’harmonie des goûts, de la texture, de l’apparence et des couleurs de la nourriture.
[2] Variante occidentale du jeu de cartes japonais Daifugō.