Vraie nature
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Traduction : Nova
Correction : Raitei
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Nous étions à l’aube du septième jour et, jusqu’à présent, j’avais accumulé un total de 67 points. Dans l’hypothèse où un groupe de quatre personnes renonçait à toute participation aux tâches et se concentrait uniquement sur l’obtention de toutes les primes d’arrivée, il obtiendrait 92 points. De ce point de vue, mon score pouvait donner l’impression que j’étais dans une situation difficile, mais… il y avait plus que cela dans cet examen. Mon classement général n’avait cessé de progresser ces derniers jours, et j’étais maintenant à la 51e place. Cela illustrait bien la difficulté de traverser l’île en continu sans manquer aucune zone désignée.
Il y avait de fortes chances qu’environ la moitié des groupes avaient tout donné durant les trois ou quatre premiers jours, jusqu’à épuiser leurs réserves initiales de provisions. Leur progression avait ensuite stagné au cinquième jour au point qu’ils soient forcés de revenir à la zone de l’embarcadère pour se réapprovisionner. Mais la fatigue du corps ne disparaissait pas en un clin d’œil et il y avait aussi un épuisement mental qui allait de pair. Comme ils n’avaient pas d’autre choix que d’essayer de limiter la perte de points à cause de l’absence de zones désignées, ils devaient avoir recours à des alternatives comme envoyer un seul des membres de leur groupe pour les atteindre. Cependant, même si cela leur permettait d’éviter la pénalité, ils étaient obligés de renoncer à toutes les primes de vitesse et ne recevaient qu’un seul point pour la prime d’arrivée.
J’avais personnellement réussi à conserver mon énergie. Je me sentais à peu près comme au début de l’examen et j’étais prêt à passer à la vitesse supérieure maintenant que nous faisions notre entrée dans la seconde moitié. Kôenji lui, n’avait cessé d’avancer et il ne semblait pas prêt de ralentir. Il occupait actuellement la deuxième place du classement et était distancé par le groupe de Nagumo de seulement huit points. Concernant les groupes de 1ère dans le top 10, le groupe de Ryuuen et Katsuragi avait gagné une place. Il était donc 9ème.
Après toute ces réflexions, je finis de me laver le visage dans la rivière et retournai sur mes pas pour surveiller la tente. Au cours des derniers jours, Nanase se levait toujours tôt. Mais aujourd’hui, alors qu’il était déjà 6 h 50, elle n’était toujours pas sortie. Je ne pouvais m’empêcher de me demander si elle avait simplement trop dormi ou si son état de santé s’était détérioré.
En effet, la charge sur son corps devait être grande en raison de tout ce qu’on avait effectué comme effort quotidiennement. Après m’être essuyé le visage avec une serviette, je m’approchai de sa tente et fouillai un peu bruyamment dans mon sac pour sortir ma tablette.
À cause du bruit, Nanase sortit finalement de sa tente.
Nanase — …Bonjour, Ayanokôji-senpai.
Moi — Salut. Ça va comme tu veux ?
Nanase — Eh ? Ah, oui. Je me sens parfaitement bien…
Alors que je m’attendais à ce qu’elle montre des signes de fatigue, ni ses paroles ni ses mouvements ne donnaient cette impression. Elle n’avait apparemment pas très bien dormi car de très légers cernes étaient visibles sous ses yeux.
Moi — J’ai vérifié le classement pendant que j’attendais dehors. Il y a un groupe de seconde qui s’est bien débrouillé jusqu’à présent.
Sur les dix groupes actuellement en tête, il y avait six groupes de terminale, trois groupes de première et un groupe de seconde. Cet actuel top 10 était logique dans la mesure où les senpai avaient plus d’expérience.
Moi — Le groupe qui se porte bien est celui d’Utomiya-kun et Yagami-kun, c’est ça ?
Hier, ils étaient en septième position. Ce matin, ils avaient atteint la sixième place. Le groupe était composé de trois garçons : Takahashi Osamu de la 2nde A, Yagami Takuya de la 2nde B, et Utomiya Riku de la 2nde C.
Nanase — Parmi les 2nde, eh bien… ils font certainement partie des meilleurs.
Elle émit une réserve malgré le compliment.
Nanase — En tant qu’élève de 2nde D, il m’est honnêtement difficile de les soutenir dans leurs efforts.
Moi — Logique.
Compte tenu de la situation, la 2nde D préférerait probablement voir les élèves des autres années scolaires réussir plutôt que de voir le groupe de Takahashi entrer dans le top 3.
Nanase — Il faut dire que les élèves de terminale sont vraiment impressionnants n’est-ce pas ? Toutes les classes, de la A à D, sont représentées dans ce top 10.
J’avais également pensé la même chose. Depuis ce matin, le nombre de groupes de terminale dans le top 10 est passé à six avec le groupe de Nagumo en première position. Non seulement il avait participé à plus de tâches que n’importe quel autre groupe, mais il avait également remporté le plus grand nombre de victoires dans ces dernières, et ce, par une avance écrasante. C’était comme s’il voulait montrer à tous la force des terminale.
Nanase — Cela dit, tu es également impressionnant, Ayanokôji-senpai. Tout seul, tu as réussi à réunir bon nombre de points.
Moi — Même si c’est vrai, il ne sera pas facile pour moi de me hisser dans les premiers rangs au vu de mon classement. Au final, si on ne fait pas partie des trois premiers, ce n’est pas si intéressant.
Éviter l’expulsion et prendre la récompense donnée aux 50 % des meilleurs groupes n’allait pas suffire à rembourser les points que j’avais empruntés à Horikita.
Nanase — Tu dis que ce ne sera pas facile mais ça ne semble pas te gêner plus que ça, senpai.
Moi — J’espère un miracle. Il y aura bien des abandons au bout d’un moment.
Nanase — …Certainement…
Alors que notre conversation touchait à sa fin, nous levâmes les yeux au ciel à peu près au même moment. Nous avions eu la chance de bénéficier d’un temps presque idéal ces six derniers jours mais, à partir d’aujourd’hui, il semblait que les choses allaient être très différentes.
D’épais nuages gris tapissaient le ciel et il semblerait qu’il allait se mettre à pleuvoir à tout moment. D’après les prévisions météo, il devait commencer à pleuvoir dans le courant de la matinée, ce qui signifiait qu’il nous restait deux ou trois heures tout au plus.
Personnellement, je n’avais dépensé aucun de mes points provisionnels pour des vêtements de pluie. Si par malheur j’étais trempé, il allait me falloir plus d’énergie pour supporter le poids de ma tenue en plus du froid. Qui plus est, la boue allait limiter nos déplacements, ce qui allait rendre notre marche encore plus difficile qu’elle ne l’était déjà. Nous ne pouvions pas non plus vérifier le classement d’un groupe qui ne faisait pas partie des dix premiers ou des dix derniers. Je m’étais donc demandé si Horikita, qui voyageait aussi seule, allait s’en sortir. Après tout, nous ne nous étions pas vus du tout depuis notre conversation au début de l’examen. Si elle devait tomber malade ou se blesser, c’en serait fini d’elle.
Quoi qu’il en soit, je voulais m’occuper de la première zone désignée avant que le temps ne se gâte. Après avoir emballé nos affaires, je regardais quelle zone avait été désignée en premier. Heureusement, la première désignation de la journée était proche de C3 donc nous pouvions y arriver en peu de temps. Juste au moment où j’allais ranger ma tablette, une notification apparut sur l’écran. C’était une notification globale qu’avait envoyée l’établissement.
『Selon l’état de la météo, l’examen pourrait être à l’arrêt jusqu’à nouvel ordre. Veillez à garder un œil sur vos tablettes pour suivre l’avancement de la situation. 』
Apparemment, la météo avait contraint les organisateurs à prendre une décision difficile quant au déroulement de l’examen. En effet, perdre la possibilité de gagner des points pendant une période prolongée pouvait s’avérer fatal pour les groupes moins bien classés. L’établissement allait donc attendre le dernier moment avant de prendre une décision aussi drastique.
Moi — On y va.
Après avoir fait quelques pas, je remarquai que Nanase ne me suivait pas. Quand je regardai derrière moi, je vis qu’elle était perdue dans ses pensées. Elle ne s’était pas rendu compte que j’avais commencé à marcher.
Moi — Nanase ?
Ce n’est qu’après avoir appelé son nom qu’elle réalisa la chose.
Nanase — Je m’excuse, j’arrive.
Elle courra à vive allure pour me rattraper. Si elle n’avait aucun problème physique, son souci devait être au niveau mental. Quoi qu’il en soit, la seule chose dont je pouvais être sûr, c’était que quelque chose en elle avait changé depuis hier. Pourtant, je n’avais rien relevé de bizarre dans ses interactions et elle n’avait pas eu l’occasion de parler avec une autre personne dans mon dos.
1
Après avoir obtenu la prime de rapidité de dix points pour notre première zone, nous décidâmes d’attendre qu’une tâche apparaisse dans les environs. Mais, peut-être à cause du mauvais temps, il y en avait bien moins qu’hier et nous n’en avions trouvé aucune à laquelle participer. Finalement, nous passâmes une heure et demie à tuer le temps car à 9h, la deuxième zone de la journée fut annoncée. Cette fois, notre destination était E2, une désignation aléatoire qui s’avérait heureusement très proche. J’aurais bien aimé y aller mais…
Nanase — Nous devons vraiment réfléchir à la façon dont nous allons nous y rendre, n’est-ce pas ?
Moi — Ouais.
Si nous voulions l’atteindre rapidement, il fallait probablement emprunter un chemin direct en traversant les montagnes en D2 et D3. Si les conditions extérieures avaient été les mêmes qu’hier, j’aurais choisi cet itinéraire sans hésiter mais le temps n’allait pas continuer à être clément. Or dès qu’il commence à pleuvoir, même un chemin facile devient compliqué à arpenter.
Nanase — Comment devons-nous procéder ?
Moi — Voyons voir… Il serait plus sûr de faire un détour.
Ainsi, s’il commençait à pleuvoir, on pouvait revenir sur nos pas facilement.
Nanase — C’est compréhensible. Nous sommes dépendants de la météo. Nous pourrions même nous retrouver bloqués en route.
Bien qu’elle comprenne, elle avait l’air insatisfaite.
Nanase — Mais je préfère quand même franchir la montagne.
Moi — S’il se met à pleuvoir, il sera difficile de trouver un bon point d’appui une fois en phase d’escalade. C’est trop dangereux.
Même moi, je ne pouvais pas dire que je n’avais pas peur de glisser.
Nanase — La plupart de nos rivaux choisiront de faire un détour à cause de la météo. C’est pourquoi c’est une occasion en or pour toi d’empocher une autre prime de rapidité. Nous ferions donc mieux d’en tirer profit avant qu’il ne se mette définitivement à pleuvoir.
Durant tout ce temps passé ensemble, elle ne s’était jamais opposée une seule fois à mes décisions. C’était le moins qu’elle puisse faire pour quelqu’un qui avait accepté de l’accompagner pour lui rendre service. Bien sûr, Nanase devait en être consciente. Et ce n’était pas comme si elle cherchait forcément à me convaincre.
Moi — Et si je ne choisis pas de passer par la montagne ?
Afin de le découvrir par moi-même, je décidai de lui poser cette question. Pendant une fraction de seconde, elle sembla hésiter mais elle regarda finalement droit dans les yeux.
Nanase —…Dans ce cas, je prendrai cet itinéraire tout seule.
Moi — Il faut être réaliste. Hôsen et Amasawa n’atteindront peut-être même pas E2 à temps pour faire la différence.
Même si Nanase atteignait la zone désignée avant tout le monde, il n’y avait aucune garantie qu’elle mette la main sur la prime de rapidité. Et même si elle parvenait à franchir la montagne avant que le temps ne se déchaîne, cela ne servirait à rien si les deux autres membres de son groupe n’y arrivaient pas dans un délai similaire. Alors, pourquoi était-elle si motivée pour cette ascension inutile ?
Même si je n’avais pas vraiment de problème à la laisser partir seule, il était dangereux pour une fille d’essayer de franchir le col sans être accompagnée, qui plus est avec une météo instable. Même si je ne me sentais pas vraiment responsable d’elle, j’aurais au moins voulu la laisser partir en étant rassuré. Et puis, je n’avais toujours pas compris pourquoi elle avait demandé à passer l’examen avec moi en premier lieu. Si je choisissais de me séparer d’elle ici, je n’allais probablement jamais avoir la réponse.
Moi — Très bien. Si tu as déjà pris ta décision, je vais t’accompagner.
Nanase — Merci beaucoup, Senpai.
En regardant son expression, je compris quelque chose. Elle était absolument certaine que je choisirais de la suivre dans la montagne.
Nanase — Puisque nous avons décidé d’un itinéraire, nous devrions nous dépêcher d’y aller.
Ce serait pitoyable si nous ne parvenions qu’à gagner un point après tout ça.
Nous nous dirigeâmes vers l’est pendant un certain temps, mais peu après, le chemin devant nous commença à devenir de plus en plus incliné et le vent commença à se faire ressentir.
Le ciel se transforma progressivement en une nuance de gris encore plus profonde et plus sombre. Il semblait que la pluie allait commencer à tomber d’une minute à l’autre. J’ouvris ma tablette pour vérifier notre position actuelle, et le GPS indiqua que nous étions sur le point d’atteindre le bord de la zone D3. J’avais espéré que nous pourrions tenir jusqu’à la zone désignée mais je pouvais entendre Nanase derrière moi qui commençait à perdre le contrôle de sa respiration.
Nous n’avions encore rien fait de particulièrement éprouvant aujourd’hui, il était donc beaucoup trop tôt pour qu’elle soit déjà à bout de souffle. Était-ce à cause de toute la fatigue qu’elle avait accumulée ces derniers jours ? Si elle ne se sentait pas bien, le bon choix aurait été de monter une tente pour se reposer et attendre que le ciel se dégage. Si elle attrapait un rhume, sa mauvaise condition de santé allait être signalée à l’établissement vu qu’il surveillait la chose rigoureusement à distance.
Je décidai de ralentir légèrement mon rythme, de manière à ce qu’elle ne le remarque pas. Si elle décidait d’abandonner et de demander une pause, nous nous arrêterions sur-le-champ. Ceci étant dit, elle n’était certainement pas du genre à jeter l’éponge si facilement. Si je devais ralentir encore plus, je n’allais pas avoir d’autre choix que de lui proposer de faire une pause.
Pas à pas, nous remontâmes silencieusement la pente montagneuse. La température avait fortement baissé et l’humidité augmentait petit à petit. Nous portions tous les deux des chaussures de sport basiques, fournies par l’établissement, qui n’étaient pas adaptées pour traverser une route comme celle-ci. Bien sûr, plus nous marchions, plus Nanase continuait à ralentir. Le temps était venu pour moi de prendre une décision. J’arrêtai de marcher et me retournai pour lui faire face.
Nanase — Senpai… ! Je peux enco…
Moi — Donne-moi ton sac à dos !
Nanase — Eeh ?
Moi — Tu ne pourras pas me suivre en trimballant ce sac à dos avec toi.
Nanase — Pas question… Comment pourrais-je te demander de porter mes affaires pour moi, Senpai !
Moi — Tu pourras dire me ça une fois quand tu seras capable de suivre le rythme. À ce train-là, la prime de rapidité sera perdue. Alors ne discute pas plus longtemps et donne ton sac.
Le besoin de maintenir une façade et le besoin de faire face à la réalité s’opposaient l’un à l’autre. Et maintenant que j’avais abordé le sujet, elle n’avait plus le droit de refuser.
Nanase — Mais mon sac à dos est vraiment très lourd. Même pour toi senpai, ce ne sera pas facile à porter.
Moi — Je verrai ça quand tu me l’auras donné.
Nanase — …Je comprends…
À contrecœur, Nanase enleva son sac à dos et me le tendit l’air désolée. Bien que le contenu de son sac était différent, son poids n’était pas si éloigné du mien. Ainsi, j’étais en mesure de maintenir mon rythme initial sans difficulté supplémentaire.
Normalement, il aurait été plus facile d’utiliser les muscles du bas du dos pour aider à supporter le poids d’un sac à dos, mais étant donné que j’en portais déjà un, ce n’était pas vraiment une option ici. Au lieu de cela, je choisis de le tenir devant moi.
Nanase — tu es sûr que tu peux le porter ?
Moi — Si tu as le temps de poser des questions c’est que tu peux te mouvoir plus vite.
Prenant mon conseil à cœur, Nanase ferma rapidement la bouche et se mit à marcher.
Cette fois, elle resta près de moi, maintenant une distance constante d’environ deux mètres pendant que nous avancions.
2
Le ciel s’assombrit de seconde en seconde alors que la visibilité globale de notre environnement commençait à se dégrader considérablement. Le vent se renforçait également, et par moments, un coup de vent particulièrement violent venait souffler.
Malgré tout, la bonne nouvelle était que nous avions presque terminé notre ascension. Il ne nous restait plus qu’à suivre un chemin relativement plus lisse pour descendre de l’autre côté. Bien sûr, nous devions toujours nous assurer de ne pas perdre pied en redescendant… Ainsi, nous n’étions jamais vraiment trop prudents.
Nanase — Ça ira, maintenant que nous avons fait tout ce chemin. Mon sac… Je le porterai à nouveau d’ici.
Moi — Tu es sûre ? J’aimerais éviter qu’on ait à s’arrêter plus tard si tu dois tout me redonner.
Nanase — Oui, certaine. Merci beaucoup pour ton aide.
Je regardai pour confirmer une fois de plus, juste pour être sûr, mais elle semblait confiante, alors je lui rendis son sac. Cependant, au lieu de le porter en bandoulière comme elle l’avait fait précédemment, elle resta immobile et le fixa en le tenant dans ses mains.
Moi — Alors ? Prête à partir ?
Je lui demandai ça, mais elle n’essaya même pas de répondre. Ce n’était pas le genre de comportement de quelqu’un qui est pressée d’aller quelque part.
Nanase — Ayanokôji-senpai, j’ai quelque chose à te demander.
Moi — On dirait que tu as quelque chose de précis en tête depuis que tu es sortie de ta tente, ce matin.
Non, pour être précis, je dirais qu’elle avait cet air de curiosité dès qu’elle avait demandé à m’accompagner.
Nanase — Alors… tu as remarqué après tout, hein ?
Nanase n’avait pas semblé très surprise par cela, elle hocha juste la tête en même temps qu’elle parlait.
Nanase — Il y a une raison pour laquelle je t’ai accompagné ces derniers jours, Ayanokôji-senpai.
Elle resta là, immobile, alors qu’elle commençait à développer. C’était clairement assez profond, et elle était enfin prête à me donner la réponse que je cherchais.
Nanase — Mais avant cela, permets-moi de m’excuser pour quelque chose.
Elle me tourna le dos en allant poser son sac à dos au pied d’un grand arbre.
Nanase — Je crains que tu ne puisses pas atteindre la zone E2 aujourd’hui, Senpai.
Moi — Ah oui ? Mais nous ne sommes pas en train de nous y rendre, là ?
Nanase — La raison pour laquelle je voulais aller en haut de la montagne était pour t’attirer ici, Senpai.
Autrement dit, la destination cible de Nanase n’était pas E2, mais plutôt l’endroit où nous nous trouvions actuellement, la partie nord de D3.
Nanase — Nous sommes probablement les deux seules personnes ici en ce moment.
Moi — Oui, je le pense aussi.
Avec son sac à dos maintenant hors du chemin, Nanase se retourna pour me faire face.
Nanase — Au cours des six derniers jours passés avec toi, j’ai pu être témoin de toutes sortes de choses, Ayanokôji-senpai. Tu t’es fait beaucoup d’amis dans cette école et tu as acquis une grande confiance en toi. Et, lentement mais sûrement, tu as montré ce dont tu es vraiment capable.
En repensant à la première semaine de notre séjour sur l’île, Nanase commença à résumer ses impressions.
Nanase — J’aimerais également exprimer mon respect pour la profondeur de ta perspicacité et les prouesses physiques dont tu as pu faire preuve aussi.
Moi — Je ne me souviens pas avoir fait quoi que ce soit de spécial.
Nanase — Si c’est vraiment le cas, alors ça te rend encore plus incroyable, tu ne crois pas ?
Bien qu’elle me lança des louanges ça et là, son expression restait solennelle.
Nanase — Mais, Ayanokôji-senpai, je ne pense pas que tu aies ta place dans cette école.
À ce moment-là, l’aura qui l’entourait commença à se transformer en quelque chose de très différent de ce à quoi je m’étais habitué au cours des derniers jours.
Moi — Puis-je savoir pourquoi ?
A cela, Nanase acquiesça en se levant lentement et en se tournant pour me regarder dans les yeux.
Nanase — Tu es de la White Room, après tout.
Après tout ce temps, j’avais enfin entendu les mots « White Room » sortir de la bouche d’un autre élève. Très peu de gens connaissaient l’existence de cet endroit. Dans des circonstances plus normales, j’aurais pu dire sans l’ombre d’un doute qu’elle était l’exécuteur que Tsukishiro avait envoyé.
Nanase — Comme tu l’as peut-être déjà deviné, je me suis inscrite dans cette école sous les ordres du directeur intérimaire Tsukishiro. Et plus précisément, ses ordres étaient de te faire expulser.
La façon dont elle se dévoilait comme ça rendait difficile d’imaginer comment elle avait pu rester en retrait pendant si longtemps, cachant ses véritables intentions.
Moi — Tu n’as pas manqué d’occasion ces derniers jours… Alors pourquoi maintenant ? Tu dois avoir d’autres motifs, non ?
Nanase — T’assommer ici, faire déclencher ton alerte d’urgence de sorte à ce que les professeurs viennent te ramasser à la petite cuillère, te contraignant ainsi à abandonner et quitter cet établissement. Ou quelque chose dans ce genre.
Moi — Un peu comme avec Komiya et Kinoshita. Es-tu derrière tout ça ?
Nanase — Eh bien, hmm… Qu’en penses-tu senpai ?
Moi — Je ne pense pas vraiment que tu aurais pu faire l’aller-retour dans un délai aussi court, mais si tu es également de la White Room ce n’était peut-être pas si impossible.
De toute façon, ça n’avait plus d’importance à ce stade.
Moi — Que se passe-t-il si je dis à l’équipe pédagogique que c’est toi qui m’as attaqué ?
Nanase — Je ne pense pas que cela t’aidera beaucoup. Pourquoi ? Car ce sera probablement le directeur lui-même qui se déplacera en personne !
Ça ne servait à rien d’essayer de me défendre. Après tout, peu importe les preuves que j’allais avoir, Tsukishiro allait pouvoir les balayer d’un revers de main.
Moi — Je vois. Donc en gros, perdre contre toi ici reviendrait à être expulsé.
Je commençais lentement à enlever mon sac à dos. Et puis, après l’avoir posé à côté d’un arbre approprié, je me retournai pour faire face à Nanase une fois de plus.
Moi — Si le directeur Tsukishiro t’as envoyée en pensant que tu serais capable de me mettre à terre, alors il semble qu’il n’y aura pas moyen d’éviter de devoir se battre sérieusement. Bien que, ceci dit, lever la main sur une fille pourrait facilement devenir un problème majeur en soi.
Cela n’allait probablement pas se terminer comme une bagarre inoffensive et enfantine. Même si j’arrivais à lui rendre la pareille, ce serait plus que suffisant pour justifier une sanction. Il n’y avait aucune garantie que Tsukishiro ne choisisse pas de nous disqualifier, ou plutôt de nous expulser tous les deux, juste pour avoir échangé des coups. Si nous étions à égalité, c’était moi le perdant.
Nanase — Si tu cherches un moyen de t’en sortir, senpai, alors je crois que ta seule option est d’abandonner ton sac et de t’enfuir.
Moi — Peut-être.
Nanase — Mais, j’ai peur que ce soit également inutile.
Essayer de poursuivre l’examen sans tablette, sans tente, ou sans autres provisions était du suicide. Pour Nanase, cela signifiait que quel que soit le choix que je faisais, elle était prête à s’adapter.
Nanase — Alors, que vas-tu faire ?
Moi — Puisqu’on en est là, il n’y a qu’un seul choix possible.
Je regardai Nanase dans les yeux et pris la résolution de me battre.
Nanase — Tu as donc choisi de te battre. Mais, penses-tu être sauvé en faisant cela ? Cela peut sembler lâche de ma part de le dire, mais ma défaite sera ta défaite, Ayanokôji-senpai.
Moi — Peut-être bien.
Au fur et à mesure que la conversation avançait, je créais une ouverture, me rendant vulnérable à toute attaque qu’elle pouvait lancer contre moi. Cependant, Nanase ne s’était pas engagée immédiatement, se méfiant visiblement de l’ouverture avec laquelle je la testais. Elle n’avait pas l’air d’être du genre à se battre de façon téméraire : elle avait plutôt adopté une approche plus orthodoxe en cherchant à me pousser psychologiquement dans mes derniers retranchements.
Faire un effort conscient pour éviter de se laisser entraîner par le rythme de son adversaire avait été le bon choix à faire pour elle.
Nanase — Bon, je vais donc ouvrir les hostilités.
En plus de tout cela, le fait qu’elle ait fait tout son possible pour me prévenir à l’avance était une preuve suffisante qu’elle n’aimait pas beaucoup les complots. Bien sûr, cela pouvait facilement n’être rien de plus qu’une feinte aussi. Bien que le sol sous nos pieds soit relativement mou, il semblait pouvoir remplir son rôle de fondation pour notre combat.
Nanase — Hyaaah ! !!
En donnant un coup de pied dans le sol, Nanase avait réduit la distance entre nous en un seul souffle. Chercherait-elle à frapper avec ses bras ou allait-elle compter sur ses jambes ? Ou peut-être les deux ? De façon générale, il était important d’analyser le style de combat de son adversaire. D’autant que là, si je devais riposter sans réfléchir, Nanase pouvait être gravement blessée.
Or, comme ça avait été dit plus tôt, cela pouvait s’avérer plus que contre-productif. J’avais donc pensé à la bloquer par la force, mais je craignais qu’elle n’ait pris cela en considération. Et puis, j’avais senti une présence qui nous suivait tout au long de la journée d’aujourd’hui, malgré tout ce qu’elle m’avait dit… Il y avait donc certainement une ou plusieurs personnes qui nous observaient, d’assez loin. Qui qu’ils soient, s’ils n’étaient pas des renforts, alors il était probablement prudent de supposer qu’ils avaient été chargés d’enregistrer des preuves concluantes de ce qui s’était passé avec une tablette ou quelque chose comme ça.
Par conséquent, étant donné la situation, le seul choix réel que je pouvais faire ici était…
Après avoir fait une feinte sur sa gauche, Nanase se jeta sur moi avec son bras tendu. Elle ne s’était pas approchée de moi avec un poing, mais avec une paume douce et ouverte. Elle avait choisi de m’engager avec une technique de grappin.
En voyant cela, j’agis, et bien que mes mouvements aient été retardés, j’avais facilement dépassé la vitesse de l’attaque de Nanase. Évitant son bras, je tendis le mien, le coup visant directement son visage. Mon poing, fortement serré, s’arrêta quelques centimètres avant d’entrer en contact avec le front de Nanase.
Nanase — …!
Comme sa vision périphérique était bien meilleure que celle d’une personne ordinaire, la menace de l’impact l’avait inconsciemment fait se raidir.
Moi — Et de un.
Si je n’avais pas choisi d’arrêter mon poing, elle aurait déjà été envoyée au pays des rêves avec son corps valsant par terre.
Moi — Nanase, tu es fatiguée ? Ou c’était de l’hésitation ? Tu devrais être capable de bien plus que ça.
Compte tenu de tout ce qu’elle m’avait montré ces derniers jours, elle devait au moins être capable d’atteindre un niveau supérieur à celui-ci. Finalement, sa détermination à me traquer et à me mettre au pied du mur n’était pas assez forte.
Nanase — Tu crois pouvoir me vaincre sans même essayer de te défendre… ? Est-ce bien cela ?
Je retirai mon poing sans lui donner de réponse, et ce faisant, Nanase recula, mettant environ deux mètres entre nous. Mais ce n’était que temporaire, car elle avait de nouveau donné un coup de pied au sol en se rapprochant de moi un peu plus rapidement que la dernière fois. Sa main gauche était serrée en un poing et, étant donné la façon dont elle avait baissé sa position, elle semblait chercher à frapper avec un uppercut.
En esquivant sur le côté juste avant qu’elle n’entre en contact, j’envoyai mon propre poing en avant, visant directement sa joue. Bien sûr, comme la dernière fois, je m’étais arrêté un ou deux centimètres avant de faire le contact.
Moi — Et c’est le deuxième. Si j’étais allé jusqu’au bout, j’aurais pu t’assommer deux fois maintenant.
Nanase — Mais tu ne l’as pas fait.
Ses yeux étaient fixés sur mon poing, figé en l’air devant elle, mais elle ne semblait pas effrayée le moins du monde.
Moi — C’est vrai.
Nanase — Bien que tu sois libre de faire cette démonstration de domination, tu n’as aucune chance de gagner si tu ne te défends pas réellement.
Moi — Parce que mes chances seraient plus grandes en le faisant ?
Nanase — En effet, l’un comme l’autre tu n’as pas le choix.
D’après ce que j’avais compris, Nanase n’avait pas encore pris ça au sérieux non plus. Elle me regardait attentivement, examinant mes mouvements. Elle passait à l’offensive en réfléchissant à la façon d’esquiver ce que je lui lançais ensuite.
Moi — Je ne suis pas encore sûr.
Nanase — Ce serait bien si tu pouvais t’en assurer tant que tu tiens encore sur tes deux jambes !
À ce moment-là, elle se mit soudainement en action et saisit mon bras droit avec une dextérité et une force qui semblaient indiquer qu’elle prenait enfin les choses au sérieux. Il semblait qu’elle avait l’intention de me tirer directement vers le sol, alors je me mis en garde, contrebalançant sa force avec la mienne.
Il existait de nombreuses formes d’arts martiaux qui permettaient de prendre le dessus sur la force brute avec de la technique et de l’habileté, indépendamment du sexe ou du physique de l’adversaire. Cependant c’était le cas que lorsque l’on faisait face à un adversaire qui n’était pas excessivement plus costaud.
Nanase — Qu’est-ce que… ?
Voyant qu’elle était prise au dépourvu par la rigidité de mon corps, je profitais de l’ouverture pour attaquer. Je tentais un uppercut au moment où elle cessait d’essayer de tirer sur mon bras. Mon poing gauche fendit l’air, ne s’arrêtant qu’à moins d’un centimètre de sa mâchoire inférieure. La force du swing[1] était telle que ses longs cheveux s’envolèrent, même en l’absence d’impact.
Nanase — !!!
Elle fixa mon poing, les yeux écarquillés, avant de se tourner vers moi.
Moi — Je vais le dire au cas où tu l’aurais oublié, mais ça fait trois désormais.
Pour la première fois, ses yeux commencèrent à vaciller alors qu’elle répondait à mon regard.
Nanase — Il semble que ta force soit exactement comme le présentent les rumeurs, Ayanokôji-senpai…
Je ne pouvais pas me permettre de me défendre sérieusement en ce moment. Briser l’esprit de combat de Nanase sans la blesser était le seul moyen que j’avais à ma disposition. Je devais lui faire comprendre que j’étais un adversaire contre lequel elle ne pouvait jamais gagner.
Nanase — Je sais ce que tu essayes de faire ici, senpai…
Apparemment, Nanase était aussi au courant.
Nanase — C’est vrai qu’il est improbable que je puisse gagner contre toi si on continue comme ça. Je l’admets.
Avais-je déjà brisé sa détermination… ? Non, ce n’était tout simplement pas possible. Ses yeux étaient remplis d’un mélange clair de haine et de ferveur lorsqu’elle me regardait.
Nanase — Je… pourrais ne pas être capable de te battre.
Nanase avait été à ma merci tout au long de notre combat jusqu’à présent. Mais maintenant, alors qu’elle parlait, les légères traces d’incertitude dans son expression, dans sa façon de se comporter, commençaient à disparaître. Ou plutôt, c’était comme si elle n’avait jamais eu d’incertitude en premier lieu. C’était comme si elle essayait de rassembler toutes ses pensées, tous ses sentiments et toutes ses émotions et de les consolider pour atteindre un état d’unité intérieure.
Après une brève période de silence, Nanase donna un coup de pied au sol une fois de plus, faisant une charge en avant à grande vitesse. Je n’eus plus le temps d’analyser calmement la situation et fus contraint de concentrer toute mon attention sur une esquive d’urgence. Ses mouvements étaient maintenant deux fois plus rapides qu’avant.
Je m’éloignais suffisamment pour éviter son coup, puis je fis quelques pas de plus pour m’éloigner d’elle. Elle me regarda droit dans les yeux avec un regard si acéré qu’il aurait pu tuer un homme. C’était un changement si radical qu’il était difficile de croire qu’elle était toujours la même personne. Si j’avais encaissé directement sa dernière attaque, j’aurais subi des dégâts considérables. Si j’avais dérapé ne serait-ce qu’une seule fois, elle aurait pu finir par prendre le dessus.
L’aura qu’elle dégageait était bien différent de tout ce que j’avais vu d’elle auparavant.
Nanase — Par conséquent… Je vais… Ici et maintenant…
Le changement de « Watashi » à « Boku« [2]… Ce n’était pas comme si changer de pronom allait lui donner plus de force, non ? Mais, même ainsi, on ne pouvait nier que cette dernière attaque était d’un niveau complètement différent des trois premières qu’elle avait lancées.
Moi — Qui es-tu ?
Vu les circonstances, je ne pus m’empêcher de lui poser cette question.
Nanase — Je suis sorti de là pour te rendre une petite visite !
Moi — « de là » ?
Pendant un moment, j’avais pensé qu’elle faisait peut-être référence à la White Room, mais cela ne semblait pas être le cas.
Nanase — De cet endroit… sombre… et lugubre… Je suis revenu.
Même si je ne comprenais pas de quoi elle parlait, je ne pouvais pas me permettre d’être négligent. Cette nouvelle Nanase, qui se genrait elle-même au masculin, avait changé de style de combat, passant du jiu-jitsu au karaté. Elle m’avait attaqué à plusieurs reprises avec des coups et des directs rapides meurtriers qui, s’ils avaient fait mouche, aurait pu probablement assommer un homme adulte. Après avoir pris le rythme de parer et d’esquiver ses attaques répétées, je commençais à me demander pourquoi elle avait changé de pronom d’un seul coup.
Nanase — Tu penses vraiment que tu peux continuer à esquiver pour toujours ?
Nanase pensait sûrement que si elle continuait à attaquer, dix, vingt fois, elle finirait par toucher la cible. C’est pour cette raison qu’elle n’avait pas hésité et qu’elle continuait sans relâche. Et n’importe quel spectateur aurait sûrement pensé la même chose, à savoir que j’étais bien obligé de riposter à un moment donné pour essayer de me défendre.
Nanase — Ha, Haaa ! !!
La respiration de Nanase devenait de plus en plus lourde alors qu’elle continuait son attaque. Naturellement, il n’y avait aucune chance qu’elle puisse continuer à assurer son barrage rapide d’attaques pour toujours. Pourtant, si je ne finissais pas par me défendre, elle allait être capable de récupérer ses forces à tout moment.
Nanase — Whew… Haaa… !
Comme prévu, Nanase s’essouffla et s’éloigna pour essayer de reprendre le contrôle.
Nanase — Oui… Je vais te battre… Absolument…
Elle récitait ces quelques mots choisis comme un moine bouddhiste le ferait d’un mantra, tout en me regardant comme si j’étais un meurtrier.
Nanase — Je suis revenu… Je suis revenu pour te faire tomber.
Moi — Tu es revenu…? De quoi tu parles ?
Cela faisait un moment que je n’arrivais pas à comprendre ce que Nanase voulait dire.
Nanase — C’est logique que tu ne comprennes pas, après tout, nous ne nous sommes pas rencontrés en personne auparavant.
Si c’était vraiment vrai, alors cette haine excessive qu’elle avait pour moi n’avait pas vraiment de sens. Je pouvais imaginer que l’élève de la White Room pouvait m’en vouloir, même si je ne l’avais jamais rencontré auparavant. Cependant, Nanase venait-elle vraiment de là-bas ?
Le ton de sa voix était légèrement différent de l’habitude. Alors qu’elle ressemblait toujours à une fille à l’extérieur, il semblait que sa personnalité était devenue celle d’un homme.
Nanase — Si tu ne veux pas te battre, c’est ta décision. Néanmoins, je ne vais pas arrêter tant que tu ne seras pas au sol.
Cela faisait moins de vingt secondes qu’elle avait cessé d’attaquer, mais il semblait que cela avait été juste assez long pour qu’elle récupère son énergie.
Nanase — Hyaaah ! !!
Ses sentiments de haine envers moi semblaient l’encourager de plus en plus, car elle s’était approchée de moi avec le coup le plus rapide que j’avais vu d’elle aujourd’hui. Sa fine main blanche fonça droit sur mon visage et son poing avait à peine effleuré la pointe de ma frange. Elle semblait être la Nanase habituelle à l’extérieur, mais était-elle devenue quelqu’un d’autre à l’intérieur ?
En me posant cette question, une autre pensée me vint à l’esprit. À savoir, la notion de dédoublement de personnalité, ou ce qui était officiellement connu sous le nom de trouble dissociatif de l’identité. En termes simples, il s’agit d’un trouble mental dans lequel deux ou plusieurs personnalités distinctes cohabitent chez un même individu. Cela aurait expliqué cette situation un peu étrange.
Mais il y avait plus dans ce trouble qu’un simple changement de personnalité. D’après ce qu’on m’avait dit, il y avait de rares cas où l’une des personnalités souffrait d’une maladie chronique, mais la maladie disparaissait dès que le patient passait à une autre personnalité. Selon cette même logique, il était plus que possible que cette personnalité masculine dispose de capacités physiques supérieures à la Nanase ordinaire. Et, si cette personnalité était celle d’un homme, alors elle pouvait même être capable de démontrer une force effectivement identique.
Moi — Tu ne ressembles plus à Nanase.
En m’entendant dire cela, Nanase arrêta momentanément son attaque, une expression visiblement irritée sur le visage.
Nanase — Tu ne comprends toujours pas, n’est-ce pas ?
Elle me regardait fixement, le bras tendu devant elle ; ses poings tremblaient de rage tout autant que le son de sa voix.
Nanase — Je ne suis pas Nanase. Celui qui se tient ici devant toi en ce moment est… Matsuo Eiichiro.
Moi — Matsuo Eiichiro ?
J’avais déjà entendu le nom de famille « Matsuo » auparavant, et cela ne faisait même pas si longtemps que je l’avais entendu la dernière fois… Le nom était sorti de la bouche de cet homme lors de sa visite sur le campus. Compte tenu de tout cela, j’avais une assez bonne idée de la tournure que prenaient les événements.
Nanase — Le fils d’un homme qui a été tué par ton père.
Voyant que je ne semblais toujours pas comprendre où elle voulait en venir, elle reprit la parole, ayant complètement perdu patience.
Nanase — Ce corps a été emprunté. Je suis ici pour te faire tomber une bonne fois pour toute !
Moi — Emprunté ? On se paye ma tête là ?
Il n’était tout simplement pas possible pour quelqu’un de prendre la personnalité d’un autre être humain.
Nanase — Si tu penses que je plaisante, alors je vais te montrer.
Nanase donna un coup de pied contre le sol une fois de plus, ses bras tremblant violemment. Le style d’attaque traditionnel et orthodoxe qu’elle avait utilisé jusqu’à présent commença progressivement à se transformer en quelque chose de beaucoup plus brutal et sans retenue.
Nanase — Je… Je suis venu jusqu’ici pour te vaincre !
Et ce n’était pas seulement son style d’attaque, ses mouvements en général étaient passés de décisifs et contrôlés à sauvages et violents. Son objectif était d’essayer de me submerger par la vitesse et la force, bien que ses mouvements étaient devenus un peu moins efficaces en contrepartie. Cela dit, qu’ils soient raffinés ou non, cela n’avait pas grande importance tant qu’elle parviendrait à me toucher.
Nanase — Je vais m’assurer que tu subisses un châtiment !
Même si elle avait augmenté l’intensité, je n’allais pas me laisser faire si facilement. Et après tout ce qui s’était passé, Nanase devait être plus que consciente de cela aussi. Bien qu’elle fasse semblant d’être calme et posée, c’est elle qui était vraiment dos au mur ici, pas moi. Peu importe le nombre de courtes pauses qu’elle prenait afin de récupérer son endurance, il était clair, à la façon dont ses épaules se soulevaient et s’abaissaient, qu’elle avait atteint sa limite.
Cependant, il était inutile d’essayer d’attendre que cette limite la rattrape. Il n’y avait aucune chance qu’elle choisisse de reculer de sitôt. En fait, elle allait probablement choisir de continuer à me défier jusqu’à la fin. Je n’avais vraiment pas d’autre choix que de briser son esprit de combat.
Nanase — C’est la première fois que je rencontre un adversaire capable d’esquiver autant d’attaques comme ça. …Mais, il n’y a aucune chance que tu puisses continuer comme ça pour toujours. Si c’est moi… Si je suis celui contre qui tu te bats… Alors je vais définitivement te battre ! Je le sais !
Même si je réduisais lentement sa volonté d’aller de l’avant, elle montrait toujours les crocs en essayant de mordre ce qu’elle pouvait.
Moi — Je crois que je comprends ce que tu essayes de dire.
Bien que je ne connaisse pas les détails exacts de la situation, il y avait au moins une chose que j’avais constatée dans tout cela. Après quelques instants de réflexion interne, j’avais fini de mettre de l’ordre dans mes idées et commençais à parler.
Moi — Nanase, tu n’as pas de personnalités multiples, et la personnalité de quelqu’un d’autre n’a pas pris le dessus sur toi.
Nanase — Je te l’ai déjà dit, si tu penses que je plaisante, alors qu’il en soit ainsi. Mais sois bien conscient que ça ne changera rien à la situation dans laquelle tu te trouves !
Elle haussa la voix en signe de dénégation tout en tapant des pieds dans le sol. Mais, ça et ça seul était une preuve suffisante qu’il n’existait pas.
Moi — Non, c’est malheureux, mais je ne te crois pas. Si ta personnalité alternative n’avait pas été une personne qui existe réellement ailleurs, je suppose que j’aurais pu te croire mais tu dis que Matsuo Eiichiro a emprunté ton corps. Désolé, mais c’est beaucoup trop irréaliste.
Nanase — Comment expliques-tu alors que je suis ici, devant toi ?
Il n’y avait pas besoin de réfléchir très longuement à la réponse à cette question. Ce n’était vraiment pas très compliqué.
Moi — Tu as juste pris la liberté de rêver d’une autre personnalité à l’intérieur de toi. La raison pour laquelle tu as délibérément choisi de parler de toi au masculin était dans ce but.
Nanase était, fondamentalement, une personne non violente. Elle n’aimait pas l’idée d’utiliser la violence et la force pour que ses adversaires se soumettent à elle. Malgré tout, puisqu’elle devait se battre, elle n’avait pas d’autre choix que de faire appel à une personnalité qui se battrait pour elle. Ou, plus simplement, elle n’avait pas d’autre choix que de « jouer » cette personnalité.
Nanase — Plus que tout, cette force, cette puissance est la preuve que je suis réel !
Sur ce, son poing s’envola dans ma direction, sans doute plus rapide et plus fort que tous les coups qu’elle avait donnés avant le changement.
Moi — Tu ne me montres rien de plus que la force que tu as toujours eue en toi, Nanase.
Le visage de Nanase pâlit, apparemment ébranlé par le fait que j’avais réussi à toucher le cœur du problème.
Nanase — T…Tu te trompes… Je suis Matsuo !!
Moi — Si tu es vraiment ce Matsuo, alors tu n’as pas besoin d’être si contrarié par ce que je dis.
En tant que Matsuo, elle pouvait simplement lever le nez et rire de mon raisonnement manifestement erroné.
Moi — Il y avait quelque chose de pas normal dans ta façon de parler quand tu as changé ton pronom. Ce n’est rien d’autre qu’une forme d’auto persuation.
Elle utilisait juste le pronom masculin comme une sorte de déclencheur pour se transformer en une personne plus agressive.
Nanase — Non ! !
Moi — Tu veux croire que la personnalité de Matsuo réside en toi… Non, je parie qu’au fond, même toi tu n’y crois pas !!!
Elle essayait désespérément d’embrasser cette apparence illusoire, mais elle ne pouvait pas.
Nanase — AAAAAAAAHHHHHHH !!!
Incapable d’écouter mes paroles une seconde de plus, Nanase cria et se jeta sur moi. La vitesse et l’acuité dont elle avait fait preuve plus tôt n’existaient plus. C’en était arrivé au point où j’allais être probablement capable de l’éviter les yeux fermés.
Moi — Il est temps d’abandonner Nanase. Tu ne peux pas me battre.
Nanase — Oh que si je le peux !!
Elle tendit son bras gauche et s’empara du col de mon tee-shirt. Puis, ayant décidé que c’était sa chance, elle leva son poing droit et l’élança vers moi. J’étais une cible facile avec plein d’ouvertures. Et généralement, il n’y avait probablement aucun moyen pour quelqu’un d’esquiver dans ma position. Mais, bien que mes mouvements soient limités par sa prise de col, j’avais habilement évité le coup de poing qui fonçait droit sur mon visage.
Nanase — Tsk !
Un autre coup de poing avait été envoyé vers moi immédiatement après, mais je l’avais esquivé de la même manière que le premier.
Nanase — Pourquoi ! ? Pourquoi ça ne marche pas !?!? Pourquoi est-ce que ça arrive !?!?
Un troisième, un quatrième et un cinquième coup de poing s’envolèrent, mais elle avait beau essayer, chaque tentative aboutissait au même résultat.
Lassée de voir que ses coups de poing ne faisaient pas mouche, elle tendit la main pour essayer de m’attraper par les cheveux. Elle avait probablement pensé que, si elle pouvait m’empêcher de bouger la tête, elle allait enfin pouvoir me frapper.
Je la saisis par le poignet au moment où elle était assez proche.
Nanase — Lâche-moi !
Moi — Même si je lâchais prise, rien ne changerait.
Nanase — Lâche-moi je te dis !
Elle arracha sa main avec force avant de répéter le cycle insignifiant une fois de plus. Son poing partit vers moi, pour ensuite frapper à nouveau dans le vent. À ce stade, j’avais déjà perdu le compte du nombre de fois où nous avions fait ça.
Nanase — Haa ! Haa ! Haaaa… !
Elle avait finalement atteint sa limite, tant physiquement que mentalement.
Nanase — Pourquoi… Pourquoi... Je suis si proche et pourtant… Juste un peu plus, et pourtant !
La détermination de Nanase avait disparu. Tremblant aux genoux, elle essaya tant bien que mal de faire tourner ses jambes vers l’avant, mais son corps refusa de lutter.
Moi — Dès le début, tu as eu tort de te dire que tu finirais par me toucher tant que tu continuais à essayer. Vu ton niveau, même si tu continuais jusqu’à la mort, tu n’arriverais jamais à me toucher. Pas même une fois.
Bien sûr, c’était juste du bluff. Personne ne pouvait éviter d’être frappé pour toujours, pas même moi. Nanase, cependant, venait juste d’être forcée d’accepter le fait qu’elle n’avait pas réussi à me frapper une seule fois, donc mes mots avaient probablement eut un impact en elle.
Moi — Si tu veux vraiment que je sois expulsé, ta meilleure chance est de commencer à jouer la victime maintenant. Déchire un peu tes vêtements et fais croire « tu sais quoi ».
Même si j’avais l’impression d’aider l’ennemi, je savais que Nanase n’aurait pas choisi de faire ça. Après tout, je ne pensais pas qu’elle voulait réellement me faire renvoyer.
Nanase — Je… Je… !!!
Elle cria lorsque ses genoux finirent par céder, puis s’effondra sur le sol.
Peu importe l’étendue de la combativité d’une personne, tout geste est vain si, au fond d’elle-même, elle avait déjà abandonné.
3
(????)
Le son du vent violent résonnait dans la forêt alors que je m’efforçais de suivre les traces de deux personnes.
À quel point avais-je dû travailler dur pour arriver à la zone D3 ce matin… ? Cela ne devait durer qu’un peu plus longtemps… Ou du moins, c’est ce que je me disais en avançant, mes jambes tremblant à chacun de mes pas.
S’ils découvraient que je les suivais, alors tout ce que j’avais fait, tous mes efforts jusqu’à présent, auraient été vains.
Normalement, lorsque l’on suit quelqu’un, il faut le garder en ligne de mire à tout moment pour ne pas le perdre de vue. Mais la contrepartie est que la personne suivie peut nous remarquer. Il y a certains risques inévitables à faire quelque chose comme ça.
Mais, peu importe qui est l’autre partie, il n’y avait absolument aucune chance qu’ils découvrent ce que je faisais. Après tout, même moi, je n’étais pas capable de voir Ayanokôji, ma cible, de là où je me trouvais en ce moment. La clé était un talkie-walkie caché dans la poche de ma tenue. Grâce à ce talkie-walkie, j’avais pu rester en contact avec une certaine personne qui m’aidait à repérer constamment l’emplacement exact d’Ayanokôji.
Depuis le sixième jour, tous les élèves avaient reçu l’autorisation d’utiliser ses points sur la fonction » Recherche GPS » de nos tablettes. Ainsi, il nous avait été possible, à mon complice et à moi, de nous faire une idée approximative de l’emplacement d’Ayanokôji. Même si le pire devait arriver, j’étais prêt à liquider volontiers ma propre réserve de points pour le retrouver.
Quelle que soit la méthode, il y avait quelque chose sur lequel je devais absolument mettre la main : une preuve décisive.
D’une manière ou d’une autre, je devais mettre la main sur suffisamment de preuves concluantes pour faire expulser Ayanokôji. Je n’avais plus d’autres options. L’expulsion de Horikita n’était pas ce que j’aurais dû privilégier pendant tout ce temps. J’avais vraiment honte d’avoir toujours choisi de fermer les yeux, alors que j’avais toujours été vaguement consciente de son véritable potentiel. D’autre part, j’aurais dû être plus méfiante quand Ryuuen avait cessé de chercher « X » en classe D.
Ayanokôji avait été impliqué dans tout ce qui s’était passé à l’époque. Même après avoir ouvert les yeux sur la vérité, une partie de moi avait encore du mal à le croire. Après tout, il n’avait jamais semblé être autre chose que le lycéen moyen, sans particularité, sans histoire.
Mon talkie-walkie résonna dans ma poche. Je portais une oreillette sans fil, ce qui me permettait de l’écouter sans avoir à m’arrêter.
- Un peu de patience, Kushida-senpai. Il semblerait qu’ils se soient arrêtés pas très loin de toi.
Moi — Haa, haa… vraiment ? Ils font enfin une pause… ?
Suivant les instructions que j’avais reçues, je m’étais arrêtée avec plaisir. Je pouvais enfin me reposer pendant un moment.
Je devais rester vaillante !! Le moment de vérité allait arriver bien assez tôt, et quand il allait arriver, il n’y allait plus rien avoir sur mon chemin. Mon complice n’avait pas dû pouvoir entendre ce que je disais puisque je n’avais pas maintenu le bouton de transmission enfoncé, mais il avait l’air de comprendre parfaitement ma situation actuelle.
- Ah, je te comprends !
À ce stade, j’étais tout simplement irritée. J’avais l’impression qu’une carotte se balançait juste devant mes yeux, tout juste hors de portée. J’étais dehors à risquer mes fesses toute seule depuis le lever du soleil, et il y avait encore une tonne d’autres choses que je devais faire après ça aussi…
Ma pause bien méritée ne dura que cinq petites minutes, interrompue par de nouvelles instructions transmises par le talkie-walkie.
— Il n’y a aucun signe de mouvement. Il semble qu’ils se soient complètement arrêtés. Fais de ton mieux pour dissimuler ta présence et dirige-toi lentement vers le nord-ouest. Aussi, n’oublie pas d’enregistrer avec ta tablette.
La façon formelle et abrutissante avec laquelle ma complice expliquait les choses me gonflait au plus haut point. Je n’en pouvais plus. Mais j’avais hâte d’en finir.
Réprimant l’envie de courir, je sortis ma tablette de mon sac à dos et commençais à me diriger vers le nord-ouest. Peu de temps après, j’aperçus deux personnes au loin devant moi.
Je regardais Nanase, figée sur place, regarder soudain par-dessus son épaule et dire quelque chose à Ayanokôji. Étant donné qu’aucun d’entre eux ne semblait porter de sac à dos, je m’étais demandé s’ils faisaient vraiment une pause.
Je lançais l’application caméra sur ma tablette et passai en mode enregistrement. Puis je m’approchai le plus lentement possible, au plus près, me cachant soigneusement entre les arbres, mais j’avais beau me concentrer, le vent était si fort que je ne parvenais pas à comprendre ce qu’ils disaient.
Une vague d’impatience parcourut mes veines. Mon sang bouillonnait de l’envie dévorante de les voir commencer à se frapper l’un l’autre. J’aurais pu avoir une meilleure idée de leur situation si j’avais pu entendre ce dont ils parlaient, mais c’était trop dangereux. Si j’essayais de m’approcher davantage, je courrais le risque de me faire repérer par Nanase maintenant qu’elle avait la tête tournée.
Pour l’instant, je devais maîtriser mes émotions. C’était un peu risqué, mais mon seul choix à ce stade était de me calmer et de faire le tour pour trouver un angle plus sûr. Je retins ma respiration alors que je commençais tranquillement à bouger.
Après avoir pris un peu de distance avec eux, mon plan était de contourner le périmètre et…
Moi — Q… !?
J’étais supposée être seule, pourtant une main vint soudainement de nulle part et attrapa mon épaule. Et juste au moment où j’allais élever la voix en signe de choc, une autre main se tendit immédiatement pour me couvrir la bouche. Face à une telle tournure inattendue des événements, je commençai rapidement à paniquer.
Alors que je le faisais, une paire de lèvres brillantes et séduisantes s’approcha de mon oreille.
— Shh~. Je comprends que tu sois surprise, mais tu dois rester calme, Kushida-senpai. Ce serait très mauvais si Ayanokôji-senpai et Nanase-chan te surprenaient, hein ?
De ces lèvres sensuelles sortit une voix qui semblait pouvoir transpercer mon âme. Il s’agissait d’Amasawa Ichika de la 2nde A, une fille avec laquelle je n’avais jamais eu de vraie conversation auparavant. En fait, on pouvait même dire que c’était la première fois que nous nous rencontrions. Et pourtant, Amasawa me connaissait clairement, vu qu’elle utilisa mon nom.
Après avoir été efficacement traîné loin de l’endroit où se trouvaient Ayanokôji et Nanase, Amasawa me lâcha finalement.
Moi — Euh… Que fais-tu ici, Amasawa-san ?
Je réussis à retrouver un peu mon calme en m’adressant à elle, impatient de la faire dégager. Si la dispute devait éclater pendant que je perdais du temps avec elle, alors tout allait tomber à l’eau. Je sentais ma pression sanguine monter, mais malgré tout, je ne pouvais pas me permettre de perdre mon sang-froid ici.
Amasawa — Je passais juste par là quand je t’ai vue agir sournoisement, senpai.
Moi — Je ne faisais rien de tel. J’étais juste… Eh bien, je me promenais seule, c’est tout.
Je savais que c’était une mauvaise excuse. Après tout, j’agissais indépendamment, séparée de mon groupe. Toute personne ayant des yeux pouvait voir que c’était une situation étrange. De plus, Amasawa elle-même avait déjà dit que ce serait mauvais si Ayanokôji et Nanase découvraient ce que je faisais… En partant de ce principe, elle savait donc déjà de ce que je faisais ici. Il fallait dire qu’une partie des 2nde commençait à vraiment me connaître.
Amasawa — Hmmm… Vraiment ?
Amasawa s’approcha de moi avec un regard quelque peu suspicieux. Maintenant que j’y pensais, comment cette Amasawa avait réussi à venir jusqu’ici sans la moindre tablette ou même un…
*PAF !!!*
Un son sec résonna dans la forêt. Il était, bien sûr, sans doute noyé dans le bruit dominant du vent. Au moment où je commençais à me demander d’où venait ce bruit, je sentis une douleur vive et piquante dans ma joue droite en la couvrant par ma main.
Moi — H-Hein !?
Amasawa — Tu es venue faire une petite promenade alors, senpai ?
Moi — Qu’est-ce que tu veux dire ? De quoi parles-tu, Amasawa-san !?
Amasawa — Oh ? Je suis vraiment curieuse de voir combien de temps tu vas pouvoir te cacher derrière ce masque.
Elle se rapprocha une fois de plus tandis que je feignais la terreur et la crainte qu’elle m’ait soudainement giflée.
Moi — A-arrête !
Amasawa — Je ne vais pas m’arrêter maintenant, petite effrontée.
En disant cela, elle leva une paume en l’air. J’avais immédiatement essayé de me recroqueviller et de me protéger, mais elle avait tout de même forcé le passage.
*PAF !!!*
Cette fois, elle frappa mon autre joue. Même très fort. Malgré tous mes efforts pour la bloquer, je n’avais pas été assez rapide.
Moi — Mais tu es malade ! Tu es consciente de ce que tu fais ?!
Amasawa — Je sais que ça n’en a pas l’air, mais je suis assez douce avec toi. Ça ne devrait pas faire si mal que ça donc.
Moi — Mais pourquoi ? Rien de tout ça n’a de sens !
Amasawa — Alors tu ne comprends pas, hein ? Bon, d’accord. Je me demande si mon poing va t’aider à mieux comprendre.
Moi — Quoi ?
Mon cerveau était encore en train de traiter ses mots quand ma vision commença soudainement à se déformer et devenir trouble. Ce n’est que peu de temps après que j’entendis le bruit d’un choc et, avant même de m’en rendre compte, j’étais déjà au sol et je regardais le ciel nuageux.
Est-ce que… Est-ce que je venais de me faire frapper… ? Un côté de mon visage semblait enflammé, comme si le sang s’y accumulait lentement sous ma peau. Ma joue commença à brûler et à enfler douloureusement.
Moi — …Qu.. ah… Ah !!
Amasawa — Je parie que ça fait un peu mal, hein ? Je suis sûre que tu dois pas avoir l’habitude en même temps, non ?
Je n’arrivais pas à comprendre. Cette fille était sortie de nulle part et avait commencé à se battre avec moi, mais pourquoi ?? Et le fait qu’elle soit si excessivement violente rendait tout ça encore moins logique.
Amasawa — Et si je m’attaquais à ton autre joue après ?
Avec ça, Amasawa recommença à m’approcher.
Pour l’instant, la seule chose dont j’étais sûre, c’est qu’elle ne blaguait pas. Je voulais éviter d’être battue sans raison plus que je ne l’avais déjà été, quel qu’en soit le prix. Je fis de mon mieux pour repousser la main tendue d’Amasawa, en repoussant son bras.
Moi — Ah, euh, je-je suis désolée de t’avoir poussée, mais tu m’as frappé si soudainement…
Amasawa — Tu te comportes toujours comme une sainte-nitouche, hein ? Tu vois, je te connais vraiment, vraiment bien Kushida-senpai. Tu es une vile jeune fille qui mise tout sur sa jolie frimousse. Tu te nourris des secrets les plus sombres des autres, et si jamais tu as des problèmes, tu es le genre à t’autodétruire volontiers pour entraîner tout le monde dans ta chute. C’est un travail à temps plein, n’est-ce pas ?
Moi — Je ne comprends pas vraiment de quoi tu parles, Amasawa-san… Mais, la violence n’est pas… autorisée.
Amasawa — Alors pourquoi tu ne vas pas pleurnicher et voir les profs ? Tu pourrais même réussir à me faire expulser. Mais sache que si tu fais ça, je devrai te laisser un cadeau d’adieu, d’accord ? Juste pour toi, je dévoilerai tous les secrets du collège que tu as essayé de garder cachés et je te retirerai ton statut.
Moi — Comment… ?
L’apparition soudaine d’Amasawa, sans même une bouteille d’eau à la main n’était pas une simple coïncidence. Non… Quelque chose n’allait pas du tout ici.
Amasawa — Comment je peux connaître ton secret hein ? À voir ta tête, on dirait que tu crois que je l’ai appris par Ayanokôji-senpai, pas vrai ?
Elle m’avait regardé avec des yeux qui semblaient voir à travers tout.
Amasawa — Mais, ce serait incorrect~. Rien dans ce monde ne m’échappe. Je suis si spéciale, après tout.
Moi — Rien dans ce monde…
Amasawa — Et si je te donnais un exemple ? Je me souviens que tu as essayé de te rapprocher du président du Conseil des élèves Nagumo, mais il t’a claqué la porte au nez ? Honnêtement, même si ça avait marché pour toi, je doute qu’il soit prêt à soutenir ta cause maintenant que Horikita-senpai a rejoint le Conseil.
Moi —Comment… Comment es-tu au courant de ça ?
Amasawa — Oh, mon Dieu, comment ? En effet…
Amasawa me sourit comme si je n’étais qu’un jouet avec lequel elle pouvait s’amuser, et c’est ainsi que j’atteignis les limites de ma patience.
Moi — Qui… Qui te l’a dit, putain !?!?
Amasawa — Ooo, tu as enfin montré ta vraie nature ! Cela dit, tu dois vraiment te taire, hein ? Je sais que l’île est vraiment immense et qu’on peut avoir l’impression qu’il n’y a personne en ce moment, mais on ne peut pas savoir quand quelqu’un d’autre va se montrer.
Amasawa s’accroupit et me donna une petite tape sur le nez, en m’adressant un léger avertissement condescendant. Son attitude pourrie, suffisante et condescendante m’avait énervé au plus haut point.
Moi — ARRÊTE TOUT DE SUITE, SALOPE !!
Dans un accès de rage incontrôlable, une voix jaillit du fond de mon cœur. Pour une personne n’ayant vu que le masque extérieur de la jeune fille nommée « Kushida Kikyô », mes paroles auraient certainement été choquantes. Mais Amasawa ne semblait pas surprise le moins du monde. Au contraire, elle laissa échapper un rire étourdissant.
Amasawa — Ahahahaha ! Mmm, maintenant ça te va beaucoup mieux Kushida-senpai~ !
Bien sûr, cette nana savait tout de moi, des choses que j’avais faites. En fait, elle semblait en savoir beaucoup, beaucoup plus que les gens comme Ayanokôji et Horikita…
Moi — Qu’est-ce… T’es qui bordel ?!
Amasawa — Je ne sais pas trop comment répondre à une telle question. Je suis juste… eh bien, je suis juste ici pour sauver Ayanokôji-senpai.
Moi — Sauver ? Hein ?
Amasawa — N’essaie pas de le cacher, Kushida-senpai. Je peux voir à travers chacun de tes mouvements. Tu avais l’intention de filmer Ayanokôji-senpai avec cette tablette que tu as déposée là-bas pour essayer de le faire expulser, n’est-ce pas ?
Moi — Je ne comprends pas de quoi tu parles. Le filmer pour le faire expulser ? Hein ?
Merde. Cette fille avait déjà tout vu…
Une petite partie de moi savait qu’il était inutile d’essayer de résister plus longtemps, mais malgré cela, je sentais que je n’avais pas d’autre choix que de continuer à le faire, niant la vérité jusqu’au bout.
Amasawa — Tu es sa camarade depuis plus d’un an déjà, et pourtant tu ne comprends toujours rien, n’est-ce pas senpai ? Il est impossible qu’Ayanokôji-senpai se sente menacée par un tel étalage de médiocrité.
Amasawa tourna son regard vers l’endroit où devaient se trouver Ayanokôji et Nanase.
Amasawa — Aaah, je voulais vraiment m’asseoir et regarder depuis le premier rang. Je suis sûr qu’il va battre Nanase-chan sans même la blesser. Je voulais vraiment voir ça…
Après avoir marmonné quelques mots pour elle-même, elle se retourna pour me faire face à nouveau.
Amasawa — Je ne sais pas qui t’a poussé à faire ça, mais tu te laisses vraiment utiliser, hein Kushida-senpai ? Peu importe comment vont les choses là-bas avec Nanase-chan, je suis presque certain qu’Ayanokôji-senpai a déjà remarqué ce que tu faisais. C’est impossible qu’il ne l’ait pas fait, étant donné l’amateurisme dont tu fais preuve.
Moi — M-mais j’ai mis beaucoup de distance entre nous… !
Amasawa — Eh ? Beaucoup de distance, hmmm ? Est-ce que je viens de t’entendre admettre que tu le stalkais ?
Moi — Eh bien… Je pensais juste que ces deux-là ensemble étaient un peu bizarres, c’est tout…
Amasawa — Alors tu les as suivis par curiosité ? Tu as remonté ce chemin de montagne toute seule ?
J’avais l’impression que je devais arrêter de chercher des excuses et lui répondre honnêtement, mais mon impulsion habituelle à essayer de m’échapper l’avait finalement emporté. Je n’avais pas d’autre choix que de reconnaître Amasawa comme une ennemie redoutable.
Moi — Quand bien même, ça ne te regarde pas.
Amasawa — Oui, oui, je me doutais que tu ne serais toujours pas coopérative. Mais le fait est que cela a en fait pas mal de choses à voir avec moi. Après tout, Ayanokôji-senpai est une personne très spéciale pour moi.
Moi — Huh ? Qu’est-ce que… ? Est-ce que tu l’aimes ?
Amasawa — Je préférerais que tu ne parviennes pas à une conclusion aussi vulgaire. Ce n’est pas que je l’aime romantiquement, c’est plutôt que je l’aime… ? Non, je suppose que c’est beaucoup, beaucoup plus que ça… Un sentiment qui va bien au-delà de l’amour.
Moi — Quoi ?
Amasawa — J’ai dit ce que j’avais à dire. Quoi qu’il en soit, j’ai fait tout mon possible pour te dire beaucoup de choses, alors si tu descendais de la montagne et retournais voir ton groupe comme une bonne fille ? Le temps va se gâter d’un moment à l’autre. Ce sera probablement ta dernière chance de faire demi-tour.
Moi — …Mais dégage, tu commences sérieusement à me faire chier !!
Je pris en main une motte de terre humide et la jetai sur Amasawa pour lui montrer ce que je pensais de sa proposition.
Moi — Je vais filmer Ayanokôji dans une situation qui le mettra en porte-à-faux. Comme ça, il sera viré une bonne fois pour toute !
Amasawa — Même si tu le fais expulser, ça ne résoudra rien. Tu le sais, n’est-ce pas ?
J’avais fait tout ce chemin, désespérant de voir mes ambitions se réaliser. Malgré tout, il était hors de question que je m’incline devant une élève de 2nde comme elle et que je reparte les mains vides.
Amasawa — Je vais le répéter. Ayanokôji-senpai est une personne très spéciale pour moi. Je ne permettrai jamais qu’il soit expulsé par une tierce personne comme toi.
Amasawa tendit le bras et s’empara sans pitié de ma frange, redressant ma tête pour que mes yeux soient au niveau des siens.
Moi — Ah ! !! Lâche-moi !
Amasawa — Pourquoi ferais-je ça ?
Les yeux colorés d’Amasawa semblaient vides. Les yeux d’une personne qui avaient perdu le contact avec la réalité. Mon corps se mit à trembler alors que mes instincts me disaient de m’échapper, me suppliant de fuir.
Moi — Tu es un monstre ! Tu n’es pas normale…!
Amasawa — Comme c’est curieux ! De penser que tu as peur d’une fille plus jeune que toi. Mais, bon, je pense que c’est mieux que tu chérisses ce merveilleux sentiment, Kushida-senpai.
Amasawa dit du bien de moi d’une manière étrange, presque insultante. Elle continua, visiblement peu intéressée par ce que j’avais à dire.
Amasawa — Tu te crois plus mignonne que tout le monde, plus intelligente que tout le monde, meilleure que tout le monde… En bref, tu es juste désespérément amoureuse de toi-même, n’est-ce pas Kushida-senpai ? Tu as l’eau à la bouche à l’idée d’affirmer ta domination, toujours désireuse de t’emparer des secrets des autres. Néanmoins, tu détestes l’idée de perdre ce contrôle, incapable à jamais de pardonner à ceux qui connaissent tes propres secrets. Personnellement, je n’ai rien contre ta personnalité détraquée.
Je retins l’envie de répondre mais me contentai plutôt d’analyser la situation.
Clairement, cette nana… cette pétasse savait déjà tout ce qu’il y avait à savoir sur moi. Pour l’instant, je dus mettre de côté le pourquoi du comment de son apparition. Avec cette idée en tête, je calmai mon cœur qui s’emballait et je me levai.
Moi — Tout à l’heure… Que voulais-tu dire exactement ?
Je triai le reste de mes pensées, retrouvant enfin mon calme. Plus je laissais mes émotions prendre le dessus, plus je me laissais entraîner par son rythme.
Amasawa — Tu sais, c’est vraiment étonnant que tu sois arrivée jusqu’ici toute seule. Bien sûr, tu as ta tablette et quelqu’un qui aide, mais ça ne change rien au fait que tu as marché jusqu’ici avec tes deux jambes. Tu as dû avoir du mal à mentir aux autres membres de ton groupe aussi. Après tout, se séparer de son groupe comporte un certain nombre de risques, n’est-ce pas ? Tu te rapproches de plus en plus de l’expulsion en réduisant les points que tu gagnes…
Une fois de plus, Amasawa me prit de haut.
Amasawa — Mais la jolie petite Kushida-senpai ne négligerait pas quelque chose d’aussi simple, n’est-ce pas ? Même si tes actions ont mis en danger la position de ton groupe et que tu as sombré en bas du classement, je suppose que tu as au moins économisé les points privés nécessaires pour assurer ta propre survie, pas vrai ?
Inutile de dire que son hypothèse fit mouche. Je n’agissais de manière aussi imprudente que parce que j’avais obtenu les deux millions de points nécessaires pour rester hors de danger. Dont 1,3 million de ma poche. Le reste avait été fourni par cette personne.
Moi — Je ne perdrai jamais… Quoi qu’il arrive, je n’abandonnerai jamais jusqu’à la fin…
Amasawa — Alors, comment comptes-tu t’y prendre ? J’ai l’impression que tu es entre mes mains, senpai.
Ce qu’Amasawa disait était vrai, mais…
Moi — Et quoi ? Bien sûr que tu m’as gênée, mais quand est-ce que j’ai perdu exactement ?
Les flammes de la détermination qui brûlaient en moi ne s’éteindraient jamais à cause d’une chose aussi insignifiante. Au lieu de me sentir secouée, j’avais progressivement commencé à reprendre le contrôle de mes émotions. Il n’y avait pas besoin de paniquer. Cela signifiait juste que je devais aussi me débarrasser d’Amasawa. De tous ceux qui allaient se mettre en travers de ma route.
Mais, ce n’était pas la seule chose.
Amasawa — Oh… ? C’est bien plus que ce que j’imaginais. Tu es vraiment une sale garce, Kushida-senpai, mais il y a quand même une chose que j’admire chez toi. Ta force, au sens mental du terme, est tout à fait digne d’éloges. Plutôt que de peur, c’est plutôt de haine que tu débordes. Et elle n’est pas seulement dirigée contre moi, mais contre quiconque découvrira la vérité sur ton passé.
Sans même enlever la saleté et la boue sur ma tenue, je me remis debout. J’avais l’intention de me relever encore et encore s’il le fallait et lui foutre une raclée, ici et maintenant.
Amasawa — N’y pense même pas. Tu n’aurais aucune chance contre moi, même si j’avais les mains liées. À plus tard, Kushida-senpai.
Elle avait parlé comme si elle savait exactement ce que je prévoyais et avait commencé à me tourner le dos, me donnant une occasion parfaite de me jeter sur elle. Je n’avais rien d’autre en tête que l’idée alléchante de la pousser et de la plaquer au sol. Cependant, elle avait apparemment prédit que j’allais faire ça, car elle avait esquivé mon coup sans effort, juste à temps.
Moins d’une seconde plus tard, mes jambes me lâchèrent et me retrouvai de nouveau au sol. Cela s’était produit tellement de fois que je ne les comptais même plus.
Moi — G-gah… ! Merde !
Amasawa — Nous ne nous entendons pas très bien, n’est-ce pas senpai ? Je sais que tu traites les secrets des autres comme des armes pour obtenir ce que tu veux, mais je n’en ai aucun que tu puisses utiliser contre moi. Même si tu essayes de me menacer par la violence, je suis plus forte que la plupart des garçons. Je ne suis pas non plus particulièrement proche de quelqu’un, donc prendre un otage ne fonctionnera pas non plus. Si je devais trouver quelque chose, je suppose qu’Ayanokôji-senpai pourrait être considéré comme une certaine faiblesse, mais… pour quelqu’un comme toi, le battre serait à peu près aussi difficile que de me battre. Est-ce que c’est compris ?
Et elle reprit ses petits discours, encore avec le même genre de ton condescendant et désinvolte qu’un professeur à la con.
Amasawa — Bon, et si tu abandonnais maintenant ? Je dois encore aller voir Ayanokôji-senpai.
Moi — …Que vas-tu faire ? Lui dire que je le poursuivais ?
Amasawa — Non non, je t’ai déjà dit que ça ne sert à rien de faire ça, banane. Il le sait déjà. Mais, qui sait, peut-être que les choses se dérouleront exactement comme tu le souhaites, Kushida-senpai. Peut-être que cette petite prise de bec avec Nanase se terminera par le renvoi d’Ayanokôji-senpai de l’école. On dirait que ton rêve devient réalité.
Moi —…Après le départ d’Ayanokôji, ce sera ton tour… Je t’écraserai à coup sûr.
Amasawa — Aww, Kushida-senpai~. C’est mignon, mais l’issue de notre match était décidée avant même qu’il ne commence. Je comprends que l’expulsion de ceux qui connaissent ton secret est ton seul moyen de te protéger, mais cela ne fonctionne vraiment qu’avec des gentlemen comme Ayanokôji-senpai qui ne se promènent pas en disant la vérité à tout le monde. Si c’était moi, je ferais tout ce qui est en mon pouvoir pour m’assurer que ton secret soit dévoilé avant de quitter l’école, tu le sais, n’est-ce pas ?
Moi — Hah… ! Ne me fais pas rire. C’est vrai qu’une sale grosse pute comme toi irait probablement en parler, mais ce n’est pas comme si quelqu’un allait te croire. Au mieux on prendra ce que tu dis pour les mensonges de quelqu’un prêt à se barrer de cet endroit.
Amasawa — Bien évidemment. Je doute que très nombreux soient ceux qui croient tout ce que je dis. Cependant, cela parviendrait quand même à mettre une fissure dans le personnage superficiellement impeccable de Kushida Kikyô que tu t’es créé. N’est-ce pas plus que suffisant ?
Ayant apparemment dit tout ce qu’elle jugeait nécessaire, Amasawa disparut dans la forêt, se dirigeant vers l’endroit où se trouvaient Ayanokôji et Nanase.
Il ne m’était pas impossible de lui courir après, mais si je le faisais… Il n’y avait aucun doute dans mon esprit qu’elle aurait répondu sans pitié que ce soit physiquement, ou peut-être même en dévoilant des choses sur moi. Et cela aurait signifié ma défaite complète et totale.
Je m’assis seule, dans la forêt, paralysée, en regardant le ciel. Des gouttes de pluie commencèrent à tomber à travers les interstices du feuillage dense. Elles atterrirent sur mes joues et commencèrent à couler sur ma nuque.
Moi — Je… Qu’est-ce que je fais… ?
Je prononçais ces mots, telle une coquille vide, pour moi-même. Tout me semblait creux. À tel point que je ne pouvais trouver en moi la force d’être en colère. D’abord Ayanokôji et maintenant Amasawa… Les personnes menaçant de perturber ma vie calme et paisible ne cessaient de se présenter les unes après les autres.
Non… Ce n’était pas seulement ces deux-là.
Ce n’était pas la seule raison pour laquelle j’avais été obligée de ramper à genoux dans la boue aujourd’hui.
Je commençais à me rappeler où tout cela avait commencé…
La raison pour laquelle tout avait fini comme ça en premier lieu.
4
(Kushida)
Le cinquième jour sur l’île déserte, j’étais tombé sur un élève de seconde assez solitaire. Rencontrer un autre élève n’était pas un événement particulièrement inhabituel. Si quelqu’un avait été laissé libre de voyager à sa guise sur une île aussi vaste et spacieuse, il était naturel qu’il finisse par croiser le chemin de quelqu’un, qu’il s’agisse d’un camarade de classe ou non. Mais de tels cas n’étaient, pour la plupart, que des coïncidences.
Cependant pour cette rencontre spécifique, les choses étaient un peu différentes. J’avais été contactée via un talkie-walkie qui m’avait été secrètement confié, et j’avais délibérément pris des dispositions pour rencontrer cette personne à l’avance.
Après tout, étant donné les circonstances, je n’avais pas d’autre choix que de le rencontrer en personne. J’avais été accueillie par un visage souriant lorsque nous vîmes enfin, un sourire auquel j’avais répondu par le mien en me rapprochant. Et puis, après avoir confirmé qu’il n’y avait personne d’autre dans les environs, je brisai la glace.
Moi — J’ai reçu ton rapport par talkie-walkie ce matin. Tu vas tout m’expliquer, n’est-ce pas ?
Après une brève pause sans réponse, je décidai de mentionner son nom.
Moi — Yagami-kun.
Le leader de la 2nde B : Yagami Takuya.
Yagami — Merci beaucoup d’être venue jusqu’ici aussi vite !
Moi — Laisse tomber les formalités. Je te demande de t’expliquer.
En réponse à mon urgence, Yagami détourna son regard comme s’il était troublé par quelque chose. Peu de temps après, il se retourna et me regarda une fois de plus.
Yagami — Les choses peuvent prendre une tournure assez inattendue parfois, Kushida-senpai.
La façon dont il avait parlé comme si c’était le problème de quelqu’un d’autre m’avait rendue furieuse. Il semblait que ça n’allait aller nulle part si je continuais à me cacher derrière mon masque.
Moi — Qu’est-ce que tu veux dire par « inattendue » ? C’est ta faute si ces 2nde ont découvert mon passé, non ?
Lorsque Yagami m’avait contacté ce matin, il m’avait dit qu’un groupe de seconde, Takahashi Osamu de la 2nde A, Tsubaki Sakurako et Utomiya Riku de la classe 2nde C, et Hôsen Kazuomi de la 2nde D, avaient fait pression sur lui pour qu’il dise tout à mon sujet. Tous les quatre auraient eu des soupçons sur notre relation dès le début et il était apparemment impossible pour Yagami de s’en sortir.
Ce n’était en aucun cas un problème qui pouvait être balayé sous le tapis avec le type de réponse peu convaincante qu’il me donnait.
Yagami — S’il te plaît, permets-moi de m’excuser pour ça…
Moi — Sérieusement ? Même si tu t’excuses, ce n’est pas comme si ça allait changer quelque chose.
Il y avait maintenant quatre personnes de plus qui connaissaient mon secret.
À ce stade, il n’y avait plus rien que je puisse faire par moi-même.
Yagami — Tsubaki-san et les autres avaient été plus informés que je ne le pensais. C’était une surprise pour moi aussi.
Moi — Une surprise ? C’est stupide.
Yagami — S’il te plaît calme-toi Kushida-senpai. Tsubaki-san et les autres 2nde ne sont pas ce qui est important en ce moment.
Moi — Quoi ?
Yagami — Leur objectif est purement de faire expulser Ayanokôji-senpai de l’école. Je ne pense pas qu’ils soient très intéressés par ton passé, Kushida-senpai.
Peu importe qu’ils soient intéressés ou non. Je ne pouvais tout simplement pas supporter l’idée de vivre dans le même espace que quelqu’un qui avait mis la main sur mes informations sensibles. Pourquoi personne d’autre ne pouvait comprendre ça ?
Yagami — De plus, ces quatre-là sont tous en seconde. Ils n’ont rien à voir avec une 1ère comme toi, Kushida-senpai.
Moi — Hah ! Ne me fais pas rire… Tu sais que nous sommes en train de nous battre sur une île en ce moment même, n’est-ce pas ? Quand le moment viendra où je devrai m’opposer à eux, ils auront quelque chose à se mettre sous la dent !
Inévitablement, cela allait finir par me mettre dans une situation désavantageuse. S’ils me faisaient chanter en me menaçant de tout révéler, peu importe l’année scolaire dans laquelle ils se trouvaient, je n’aurais d’autre choix que de me plier à toutes leurs exigences.
Yagami — Oui, je suppose que c’est vrai. Avec ton point de vue de senpai, cela doit être terriblement important.
Yagami concéda, admettant comprendre où je voulais en venir.
Yagami — Mais il serait presque impossible de faire expulser ces quatre-là maintenant. Non ?
Moi — Arrête un peu tes conneries.
Yagami — …Je suis désolé. Mais j’ai toujours l’impression d’avoir fait le meilleur choix à ce moment-là.
En quoi c’était le « meilleur choix » de révéler mes secrets sans ma permission ?
J’avais à peine réussi à réprimer l’envie de le frapper en plein dans le nez.
Yagami — Tu te souviens de ce que je t’ai dit sur le bateau ? De la façon dont je concevais une stratégie pour expulser Ayanokôji-senpai ?
Bien sûr, je m’en étais souvenue. Yagami avait élaboré un plan secret pour forcer Ayanokôji à quitter l’école, plan qu’il allait mettre en œuvre une fois effectivement sur l’île. Cependant, il ne m’avait remis qu’un talkie-walkie à ce moment-là, me laissant dans l’ignorance des détails exacts de ce qu’il préparait.
Yagami — Pour ton bien, Kushida-senpai, je vais ajouter quelques éléments à ma stratégie.
Moi — Ajouter ?
Yagami — Une fois qu’on se sera occupé d’Ayanokôji-senpai, je veillerai à ce que ces quatre… perturbateurs soient également mis dans de beaux draps. Cela devrait régler le problème, non ?
Yagami parla sans la moindre trace de culpabilité dans sa voix.
Yagami — Pour l’instant, pensons à prendre de l’avance sur les autres. Dans l’état actuel des choses, même si l’expulsion d’Ayanokôji-senpai se passe sans encombre, la plupart des crédits iront à Tsubaki-san et au reste de la 2nde C. Toi et moi n’aurons pas une grande part des 20 millions.
Moi — Je me fiche des points.
Yagami — Je comprends, mais avoir une énorme somme de points à sa disposition constitue un meilleur filet de sécurité sur lequel s’appuyer.
Pendant tout ce temps, j’avais suivi à contrecœur toutes les idées de Yagami.
Même si je ne le voulais pas, je n’avais pas vraiment d’autre choix vu la situation dans laquelle je me trouvais. Cependant, j’étais à ma limite. Je ne pouvais pas me permettre de rester assise plus longtemps sur ce bateau qui coulait.
Moi — J’en ai fini avec toi. Il est déjà assez clair que j’ai décidé de suivre la mauvaise personne.
Je n’avais pas fait tout ce chemin aujourd’hui juste pour que Yagami me donne des ordres comme ça. Au contraire, j’étais venue pour tracer la ligne et prendre mes distances avec lui.
Yagami — Il n’est pas trop tard.
Moi — Non, c’est terminé.
Yagami — Au contraire. C’est notre chance je dirais. Actuellement, Ayanokôji-senpai a les mains pleines avec Nanase-san qui s’accroche à lui.
Moi — Nanase ? La fille de la 2nde D ? Ne me dis pas qu’elle est aussi…
Yagami — Ne t’inquiétes pas. Tu peux être assurée que Nanase-san ne sait rien de ton passé, Senpai.
Moi — Tu sais que je ne peux plus te croire, n’est-ce pas ?
Yagami — Je m’excuse sincèrement d’avoir trahi ta confiance. Mais, s’il te plaît, écoute-moi au moins.
Bien que j’aie fait comprendre à quel point j’étais irritée depuis un certain temps déjà, Yagami refusait d’arrêter de parler.
Yagami — Elle travaille avec Hôsen-kun pour essayer de faire expulser Ayanokôji-senpai, n’est-ce pas ? Eh bien, j’ai une idée générale de ce qu’est leur stratégie.
Moi —…Alors ? Qu’est-ce que c’est ? Accouche !
Yagami — Étant donné que c’est Hôsen-kun qui en a eu l’idée, je suis à peu près certain qu’elle tournera autour de la violence.
Moi — La violence ? Ce serait problématique, mais je suppose que le directeur a dit que l’école ne s’intéresserait pas aux disputes mineures entre élèves. Je ne peux pas imaginer que ce soit suffisant pour justifier une expulsion.
Yagami — Si ce n’est rien de plus qu’une légère bagarre, alors oui, ça pourrait être vrai. Mais si c’est violent au point de se transformer en un horrible bain de sang ? Que se passe-t-il alors ?
Moi — Hôsen semble certainement assez brutal pour faire quelque chose comme ça, mais il serait le seul à être expulsé si Ayanokôji se fait unilatéralement botter le cul, n’est-ce pas ?
Bien qu’Ayanokôji soit disqualifié de l’examen en raison de ses blessures, j’avais du mal à croire qu’il soit expulsé dans ce cas.
Yagami — Je ne pense pas que ce soit Hôsen-kun qui affrontera Ayanokôji-senpai cette fois-ci. Comme tu l’as dit, Hôsen-kun a déjà un peu de réputation, donc si une bagarre devait éclater, il porterait le poids de la suspicion de l’école.
Moi — Si tu dis ça, alors…
Yagami — Oui. Celle qui affrontera Ayanokôji-senpai sera plutôt Nanase-san. Bien que, même si elle lève la main sur lui, je n’imagine pas qu’il riposte tout de suite. Cependant, si elle s’y met vraiment à fond, il devra inévitablement faire quelque chose pour la tenir à distance. Peut-être finira-t-il par la frapper ? Ou peut-être qu’il se mettra sur elle et l’immobilisera ? Quoi qu’il en soit, le spectacle serait sûrement très disgracieux.
En effet, si ces deux-là devaient se battre l’un contre l’autre… Inutile de dire que cela pouvait être une grosse affaire.
Moi — Donc… Tu dis que leur plan est de faire dire à Nanase qu’Ayanokôji l’a frappé… ?
Yagami — Précisément, et c’est pourquoi nous devons garder un œil sur elle. Une fois qu’elle aura agi, nous frapperons pendant que le fer est chaud.
Moi — Si tu as raison, ce n’est pas comme si on pouvait faire quelque chose sans savoir quand le combat aura lieu, non ? Ce n’est pas comme si on pouvait leur tourner autour 24h/24 et 7j/7.
Yagami — Je m’en suis déjà occupé. Une certaine personne m’a dit quel jour cela aura lieu.
Moi — Une certaine personne… ?
Yagami — Bien que je ne puisse pas divulguer son identité, elle est très fiable.
De toute façon, Nanase-san allait passer à l’action le septième jour de l’examen. Bien que le calendrier exact ne soit pas encore établi, il y a des chances que tout ça se produise une fois qu’ils allaient se retrouver isolés. C’est à ce moment-là que les choses commenceront à tourner au vinaigre.
Moi — Donc, quel est exactement ton plan ici ? Ton plan pour avoir une longueur d’avance sur les autres 2nde ?
Yagami — Nos tablettes ont la capacité d’enregistrer des vidéos, non ? Si nous l’utilisons pour enregistrer leur combat, il nous serait possible de mettre la main sur des preuves vidéo compromettantes.
Si on avait remis la preuve vidéo de leur dispute à l’école, l’expulsion aurait certainement été sur la table.
Moi — Mais, une seule vidéo pourrait ne pas être suffisante pour garantir son expulsion.
Yagami — Ce serait au moins suffisant pour l’utiliser comme une menace. Il est même possible qu’il choisisse d’abandonner de son propre chef.
Je compris l’essentiel de ce que Yagami essayait de me dire. Si tout se passait comme il le disait, l’enregistrement était un avantage.
Yagami — J’aimerais te confier la tâche d’enregistrer la vidéo, Kushida-senpai.
Moi — Huh ? Pourquoi ça doit être moi… ? Tu ne peux pas le faire toi-même ?
Yagami — Contrairement à moi, cela ne semblera pas anormal si c’est toi qui l’approche.
Moi — C’est ce que tu penses. Mais Ayanokôji est déjà super méfiant à mon égard.
Yagami — Je suis un homme. À un certain niveau, on attendrait de moi que j’intervienne si une bagarre éclatait devant moi, ce qui rendrait trop suspect le fait que je reste là à prendre une vidéo. Cependant, tu aurais l’excuse d’être une jeune fille délicate et terrifiée qui, même si elle n’a pas eu le courage d’intervenir directement, a au moins réussi à allumer sa tablette et à enregistrer ce qui se passait. Tu serais en mesure de représenter la droiture, refusant de te recroqueviller face à l’injustice, même si l’auteur du crime était un camarade de classe.
Moi — Bien que la droiture soit une bonne chose et tout, je pourrais finir par être méprisée par mes camarades pour avoir vendu l’un des nôtres.
Yagami — Dans ce cas, tu peux juste me donner la vidéo. Je dirai que je l’ai obtenue d’une source anonyme et j’en resterai là.
Yagami faisait de son mieux pour me persuader, mais en ce qui me concernait, je pouvais parfaitement laisser Nanase ou n’importe qui d’autre se débarrasser d’Ayanokôji pour moi. Cela dit, cela valait également la peine que je fasse des efforts si cela devait augmenter mes chances de réussite, ne serait-ce que de 1 %.
Moi — Je ne veux plus être sur un bateau qui coule.
Yagami — C’est logique.
Moi —… Alors quel est ton rôle dans tout ça ? Tu vas juste me faire faire tout le travail et en récolter les fruits ?
Yagami — Bien sûr que non. Le jour J, je te fournirai des renforts par talkie-walkie. Dès que la fonction « Recherche GPS » sera disponible demain, je pourrai te transmettre la position d’Ayanokôji-senpai à tout moment. De cette façon, tu seras en mesure de maintenir une distance de sécurité pendant que tu les suis. De plus…
Moi — De plus ?
Yagami — Il y a une chance que Tsubaki-san complote quelque chose aussi. Elle pourrait essayer de faire quelque chose en même temps que nous, donc je vais fouiner pour essayer de découvrir ce qu’ils préparent aussi.
Moi — Et ce type, Utomiya, avec qui tu es en groupe ?
Yagami — Il n’est rien de plus que le pion de Tsubaki-san. Il n’y a pas besoin de s’inquiéter de ce qu’il peut faire.
Il était important, voire nécessaire, de prendre tout ce que Yagami avait à dire avec des pincettes. Mais pour l’instant, je n’avais pas vraiment mon mot à dire sur la question de toute façon.
Yagami — Tu le feras pour moi, n’est-ce pas Kushida-senpai ?
Moi — …Ce n’est pas comme si j’avais le choix.
Il n’y avait plus d’issue pour moi. Dans le but de protéger ma position dans cet établissement…
Mon statut…
Je ne pouvais pas me permettre de faire d’autres erreurs.
[1] Coup de poing balancé
[2] Pour rappel, watashi est un pronom marquant la 1ère personne du singulier, généralement utilisé par les femmes ou par les deux sexes dans un cadre très formel. Boku, également un pronom de première personne, est quant à lui exclusivement utilisé par les individus masculins. En VO, Nanase se met à utiliser « boku », un pronom masculin, ce qui interpelle naturellement Ayanokôji.