Nuit promise
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Traduction : Raitei
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Revenons brièvement en arrière, du début avril à la fin mars. Ce jour-là, je fus actif un peu avant 7h du matin. Il y avait des affaires chronophages nécessitant ma pleine attention. Alors que 8h approchait, les Infos matinales débutèrent sur la télévision allumée plus tôt. C’est avec ce bruit de fond dans ma chambre, j’envoyai un message à Ichinose.
Moi — Je serai absent jusqu’à environ 15h aujourd’hui, mais viens dans ma chambre quand tu veux après ça.
Le message ne contenait aucun détail particulier. C’était une promesse qui avait été réitérée à maintes reprises depuis l’année dernière jusqu’à récemment. Il n’y avait donc pas besoin d’entrer dans les détails maintenant. Bien sûr, la situation avait considérablement changé entre l’avant et l’après examen spécial de fin d’année. Ichinose avait apparemment eu de la fièvre après l’examen, raté la cérémonie de clôture et ne s’était pas montrée dehors une seule fois pendant les vacances de printemps.
Les dommages que je lui avais infligés étaient importants et elle ne s’était toujours pas remise. Le message que je lui avais envoyé restait non lu. Dormait-elle ? Faisait-elle semblant de ne pas le voir ou autre chose ? Je tentai d’appeler, mais il n’y eut même pas une sonnerie. Seul son répondeur se déclencha, indiquant que son téléphone était soit éteint, soit hors réseau.
Moi — Contacte-moi quand tu verras mon message.
J’envoyai un autre message, bref, mais clair. Ichinose savait sans aucun doute que c’était aujourd’hui le jour promis. En gardant cela à l’esprit, si je n’avais pas de nouvelles d’elle avant la fin de cette journée, j’allais devoir prendre moi-même une décision concernant cette affaire. La télévision diffusait maintenant le bulletin météo, annonçant un temps clair dans la journée. Cependant, de fortes pluies étaient attendues de la nuit jusqu’à l’aube. Alors que je nettoyais ma chambre, mon téléphone se mit à sonner. L’espace d’un instant, je pensai que c’était Ichinose, mais il s’agissait de quelqu’un d’autre.
Moi — Allô ?
Ishizaki — Hé Ayanokôji ! Sors maintenant, on doit se voir !
Sa voix était si forte que je dus éloigner légèrement mon téléphone.
Ayanokôji — … Maintenant ? Il est à peine 8h du matin, tu sais ?
Ishizaki — On s’en fiche, c’est les vacs ! J’ai un truc à te dire.
Moi — Si tu le dis. J’ai une heure devant moi. On se retrouve où ?
Un silence s’installa de l’autre côté de la ligne, comme si Ishizaki n’avait pas encore décidé du lieu de rendez-vous.
Ishizaki — Ça suffira. Où ? Heu… dehors pour l’instant, dehors.
Son invitation était tellement vague que je commençai à soupçonner qu’il n’avait pas de véritable raison de vouloir me voir.
Moi — Trouve au moins un endroit précis.
Ishizaki — Quoi, heu… Bon, devant le dortoir… Non, attends, au Keyaki.
Au Keyaki ? Le centre était pourtant fermé à cette heure. Mais avec aucun élève dans les parages, ça faisait un endroit idéal pour discuter au calme.
Moi — D’accord.
Ishizaki — Parfait. J’y serai dans environ dix minutes. À toute !
Sur ces mots, Ishizaki raccrocha.
Il semblait de bonne humeur dès le matin, ce qui était un peu inquiétant.
Enfin, je comprendrais en y allant.
1
Comme il ne restait plus beaucoup de temps avant l’heure du rendez-vous, je quittai immédiatement le dortoir et me dirigeai vers le Keyaki comme convenu.
Moi — Bon…
Tenant mon téléphone, je jetai un coup d’œil aux alentours, mais il n’y avait encore personne. Même après cinq minutes, toujours aucun signe de lui. J’hésitai à le contacter ou à simplement attendre en silence, lorsque…
— Ayanokôji-kun.
Ce fut Shiina Hiyori qui m’aborda, dans la même classe qu’Ishizaki d’ailleurs.
Moi — Salut. C’est une coïncidence, j’imagine ?
Hiyori — En effet.
Je me demandai tout de même si c’en était réellement une. Tomber sur quelqu’un au Keyaki à cette heure-ci, qui plus est, dans la même classe que celui qui m’avait appelé ici. Cette probabilité me semblait extrêmement faible.
Hiyori — En fait, je viens de recevoir un appel d’Ishizaki-kun. Je suis sortie sans trop comprendre, mais… toi aussi, Ayanokôji-kun ?
Il semblait qu’Hiyori nourrissait les mêmes doutes que moi.
Moi — C’est bien ça. Ishizaki m’a aussi appelé. Il ne m’a pas dit pourquoi.
Hiyori, les mains jointes, sembla légèrement soulagée, voire ravie.
Hiyori — Moi non plus. Mais… qu’est-ce que ça peut bien être ?
Moi — J’aimerais penser que ce n’est rien de grave…
— Hé, salut vous deux, vous êtes en avance~ !
Alors que nous échangions un regard, Ishizaki s’approcha d’un ton insouciant.
Moi — C’est toi qui as dit que tu serais là dans dix minutes, Ishizaki.
Ishizaki — Je suis sorti juste en chemise, et il faisait super froid. Du coup, je suis retourné chercher un truc de plus. Puis, sur le chemin, j’ai croisé un pote et… Bon, on va pas chipoter. Je suis là maintenant, non ?
Moi — « On va pas chipoter ». Oui, ce sont en effet des détails mineurs.
J’étais habitué à ce que les gens arrivent à l’heure, voire en avance. Peut-être me suis-je tellement habitué à cela que j’en suis devenu un peu trop sensible.
Ishizaki — Pas vrai ?
Alors qu’Ishizaki acquiesçait en riant, je me surpris à réfléchir. Les relations entre les gens changent chaque jour, mais j’ai l’impression de le voir plus familier avec moi…Non, plutôt amical. J’avais déjà ressenti une impression similaire avec Ishizaki par le passé. Cependant, en repensant aux changements dans notre relation, je trouvais cette évolution intéressante. Était-ce quelque chose de commun à tout le monde ? Ou était-ce propre à moi, qui n’avais jamais vraiment construit de relations sociales auparavant ? Je n’en savais rien.
Hiyori — Bonjour, Ishizaki-kun.
Après avoir observé notre conversation avec un sourire, Hiyori salua Ishizaki à son tour.
Ishizaki — Hé hé, salut !
Moi — Alors, pourquoi nous avoir appelés ici ?
Lorsque je l’encourageai à poursuivre la discussion, il marqua une pause volontaire avant de lâcher un rire exagéré. Puis, il serra son poing avec force avant de le lever devant moi.
Ishizaki — Devenons des camarades dès maintenant !!
Sa voix résonna bruyamment à travers le Keyaki en ce début de matinée. À cause de son volume sonore, un oiseau perché sur un arbre prit son envol.
Moi — Désolé, mais je crois que je ne capte pas encore l’ambiance de la situation. C’est quoi, cette histoire ?
Comme il n’y avait eu aucune explication claire, je ne comprenais ni ses paroles ni ses actes.
Ishizaki — En gros, ça veut dire changer de classe ! Changer de classe !
Moi — Tu voulais me voir soudainement et si tôt pour ça ?
Ishizaki — Ouais. Avril approche alors j’me suis dit qu’il fallait t’inviter.
Ishizaki hocha la tête et croisa les bras avant de renifler de satisfaction.
Hiyori — Ton invitation est une idée merveilleuse, Ishizaki-kun. Cependant, Ayanokôji-kun est déjà monté en Classe A. Malheureusement, je ne pense pas qu’il soit possible pour lui de redescendre dans une classe inférieure maintenant.
Hiyori expliqua doucement la situation actuelle à Ishizaki. C’était une explication claire et logique, mais il n’était pas convaincu.
Ishizaki — Mais l’écart de points entre les classes n’est pas si grand. À partir de maintenant, Ryuuen-san va foncer avec une force incroyable. Et puis, si notre classe dépasse la leur plus tard et qu’il change à ce moment-là, ça va ruiner la réputation d’Ayanokôji, non ? C’est mieux s’il nous rejoint tant qu’on est encore en dessous.
Il parlait avec désinvolture, mais son raisonnement n’était pas mauvais. En règle générale, le plus logique était de rejoindre la Classe A établie. Cependant, si l’on voulait préserver son image et sa réputation, ce timing n’était pas une mauvaise option. D’ailleurs, j’avais bien prévu de changer de classe, mais pas de rejoindre celle de Ryuuen.
Ishizaki — Si on ne l’invite pas maintenant, quelqu’un d’autre le fera.
Il semblerait que son instinct ait pressenti mon transfert. Face à un tel argument, même Hiyori sembla quelque peu convaincue, mais afficha tout de même une mine impressionnée.
Ishizaki — Tu vois ?! C’est pour ça que je te demande de venir chez nous, Ayanokôji. Je me répète, mais si toi et Ryuuen-san faites équipe, on sera les plus forts, non ? Hein ? Hein ?
Même si Ishizaki insistait, il n’y avait rien que je puisse faire.
Moi — Désolé, mais c’est impossible. Ou plutôt, il n’y a pas besoin.
Ishizaki — Comment ça, « pas besoin » ?
En réfléchissant à la meilleure façon de lui faire accepter la situation, une méthode évidente me vint à l’esprit.
Moi — Récemment, Ryuuen a vaincu Sakayanagi, et il s’est beaucoup rapproché de la Classe A. Même sans moi, vous avez de grandes chances de gagner. Et comme tu l’as toi-même dit, Ishizaki, Ryuuen va encore progresser. Il n’a donc pas besoin de renforts. À moins que tu sois en train de dire que Ryuuen ne pourra pas gagner sans moi à l’avenir ?
S’il entendait ça, Ryuuen serait sans aucun doute furieux. Et ça, Ishizaki pouvait facilement l’imaginer.
Ishizaki — Non, pas du tout !
Moi — Voilà. Toi, en tant que proche allié, tu ne devrais pas douter de Ryuuen. Tu dois croire en ses capacités. Depuis que Katsuragi a rejoint votre classe, les lacunes ont pratiquement été comblées.
Avec ça, Ishizaki ne pouvait plus insister davantage.
Ishizaki — Mais… mais moi…
Il montra un dernier signe de résistance, balbutiant quelques mots. Mais il comprit rapidement qu’il ne pouvait plus poursuivre sa tentative de recrutement maladroite. Puisqu’il était impensable que Ryuuen choisisse un jour de faire équipe avec moi, l’invitation d’Ishizaki allait en quelque sorte à l’encontre de la volonté de son leader.
Ishizaki — Mais ce n’est pas juste ça…
Pourtant, il afficha une expression sérieuse et insista malgré tout.
Ishizaki — Je t’aime bien, c’est tout. Si on reste dans des classes différentes et qu’on finit par s’affronter dans des exams serrés, on deviendra de vrais ennemis. On n’aura plus aucune chance de s’amuser. Mais maintenant, avec Ryuuen-san, Albert, Shiina, et toi, on pourrait tous être camarades. J’aimerais qu’on passe du bon temps ensemble.
Il marqua une courte pause, puis déclara avec détermination :
Ishizaki — Si t’acceptes, je suis prêt à me prendre un coup de poing de Ryuuen-san !
Ishizaki, qui soutenait Ryuuen plus que quiconque, exprimait maintenant ses véritables sentiments, prêt à se faire réprimander juste pour continuer à me convaincre. Et ce n’était pas seulement une question de compétences.
Moi — Ça ne me déplaît pas de t’entendre dire ça. J’aime bien passer du temps avec Hiyori et toi. En fait, c’est même parfois plus reposant que dans la classe de Horikita.
Ishizaki — Hein !? Bah voilà.
Ses yeux pétillèrent de joie, mais je ne pouvais pas lui donner de faux espoirs trop longtemps.
Moi — Cependant, je ne peux pas changer de classe uniquement pour cette raison. Et puis, obtenir le nombre nécessaire de points privés est un obstacle majeur, sans compter que les autres camarades de classe, en dehors de Ryuuen, accepteraient difficilement mon transfert. Il y aurait forcément des oppositions. Ibuki s’y opposerait à coup sûr.
Ishizaki — Si c’est juste Ibuki, je peux la faire taire !
Moi — Ibuki n’est qu’un exemple. Si l’histoire sortait brusquement, tout le monde se méfierait. Si ça tournait mal, certains pourraient même penser que j’ai été envoyé par la classe de Horikita pour saboter celle de Ryuuen de l’intérieur après mon transfert.
Comme ils étaient proches de la classe A, l’on pouvait me rejeter pour ça.
Moi — Et comme Hiyori l’a dit au début, la classe de Horikita est sur le point d’entrer en A. Je ne veux pas prendre le risque de redescendre.
Ishizaki — Ça, c’est… ! Bon alors ! Faisons comme ça !
Moi — …Comment ça ?
J’essayai de l’amener à abandonner l’idée, mais il semblait toujours aussi déterminé. Je ne savais pas ce qu’il avait en tête, mais c’était inutile, car je n’avais absolument pas l’intention de rejoindre la classe de Ryuuen.
Ishizaki — Si tu viens, tu pourras sortir avec Shiina ! T’en dis quoi ?
Sur ces mots, Ishizaki attrapa ma main et celle d’Hiyori, puis nous força à nous la serrer.
Hiyori — Eh, eh… ?
Hiyori, qui avait souri jusque-là face aux idées farfelues d’Ishizaki, resta figée.
Moi — … C’est quoi cette proposition, sérieux ?
Et nos sentiments alors ? C’était audacieux. Ou plutôt, complètement absurde.
Ishizaki — C’est un truc que votre classe n’a pas, mais que la nôtre a !
Moi — J’ai déjà une copine, tu sais ?
Ishizaki — Et ? Tu n’as qu’à larguer Karuizawa en changeant de classe !
Moi — C’est vraiment absurde.
Ishizaki — Alors, ça veut dire que tu n’aimes pas Shiina ?
Moi — Je ne la déteste pas.
Ça, je pouvais l’affirmer clairement.
Ishizaki — Dans ce cas, il n’y a pas de problème, non ? Toi aussi, tu aimes bien Ayanokôji, pas vrai, Shiina ?
Hiyori — Eh… !?
Moi — Évite de dire de mettre mal à l’aise les autres, Ishizaki.
Ishizaki — Mais non, mais non, je ne dérange personne. Au contraire, c’est mieux de dire ces choses-là franchement. Si l’amour est réciproque, alors c’est simple. C’est du gagnant-gagnant !
Son raisonnement était forcé, mais ce n’était clairement pas ses affaires.
Hiyori — Arrêtons de causer des soucis à Ayanokôji-kun.
Elle tenta de calmer Ishizaki, alors que nos mains étaient toujours jointes.
Ishizaki — Moi, je suis du genre à foncer à fond quand une fille me plaît.
Hiyori — Mais… Ayanokôji-kun a déjà une merveilleuse petite amie.
Ishizaki — Dans ce cas, que feras-tu s’il rompt avec Karuizawa ?
Hiyori — Eh… ?
Ishizaki — Alors ? Si tu fais rien, c’est juste parce qu’il est casé, non ?

Moi — Assez, tu embarrasses Hiyori là. C’est cruel de forcer quelqu’un à exprimer ses sentiments, quels qu’ils soient, devant la personne concernée. Peu de gens peuvent dire ce genre de choses en face.
Ishizaki — Mais tu sais, Shiina est plutôt directe quand elle veut.
Hiyori, qui affichait habituellement peu d’expressions sur son visage, semblait troublée l’insistance d’Ishizaki. Sa main se faisait de plus en plus chaude. En effet, Hiyori paraissait un peu différente de celle qu’elle était auparavant.
Hiyori — Hum… c’est embarrassant…
Elle semblait chercher à échapper à l’emprise d’Ishizaki, mais elle n’y arrivait pas. Il n’exerçait pourtant pas une force excessive, mais pour Hiyori, le repousser brutalement aurait été trop agressif. Après un léger avertissement, je forçai Ishizaki à lâcher prise. Cela permit à Hiyori de libérer sa main de la mienne. Cependant, alors que je relâchais ma prise, elle resserra légèrement son étreinte, plus que lorsqu’elle avait été forcée de la joindre.
Moi — … Hiyori ?
Hiyori — Puis-je dire juste une chose, même si je connais la réponse ?
Elle leva les yeux vers moi avec un regard déterminé.
Ishizaki — Ne me dis pas que c’est une déclaration !?
Ignorant l’interruption d’Ishizaki, Hiyori prit une profonde inspiration.
Hiyori — Si tu pouvais venir dans notre classe, Ayanokôji-kun, je serais vraiment heureuse de t’accueillir, mais c’est impossible, n’est-ce pas ?
Moi — C’est…
J’expliquai à nouveau les raisons qui rendaient cela impossible, de manière à ce qu’Ishizaki puisse aussi comprendre. Hiyori, elle, avait sans doute déjà saisi la situation. Pourtant, elle avait trouvé le courage de m’inviter malgré tout.
Ishizaki — Ah, c’est bien joué, Shiina ! T’es bien plus efficace.
Maintenant que j’y pensais, Ishizaki et Hiyori, tout comme Albert, avaient toujours cherché à m’accueillir chaleureusement. Et en cet instant, je ressentais plus que jamais la sincérité de leurs intentions.
Moi — C’est trop bien pour quelqu’un comme moi.
Oui… si je pouvais tout oublier, changer pour la classe de Ryuuen serait certainement l’option la plus agréable. Je passerais ma dernière année entouré d’amis proches, sans me soucier des compétitions entre classes. C’était exactement ce que j’avais désiré en intégrant cette école. Cette réalité était sans doute juste devant moi. Si je demandais leur aide, Ishizaki et les autres me soutiendraient sans aucun doute.
Moi — J’apprécie vraiment, mais je ne peux pas accepter.
Hiyori — Je vois… Je suis désolée. J’en ai trop demandé, n’est-ce pas ?
Elle relâcha lentement sa prise visiblement à contrecœur.
Ishizaki — Merde, c’est foutu ? Tu dois vraiment être attaché à ta classe. Je pensais pas que t’étais du genre à t’accrocher à ce genre de truc.
Même la tentative de Hiyori, qu’il considérait comme son dernier recours, avait échoué. Ishizaki n’avait plus d’autre choix que d’abandonner.
Moi — Je vous suis encore une fois reconnaissant de m’avoir invité. Peut-être que l’année prochaine, à cette période, je regretterai de ne pas avoir accepté votre offre.
D’ici un an, personne ne pouvait dire avec certitude quelle classe l’emporterait. Ishizaki, Hiyori et leurs camarades avaient une réelle chance de gagner. La classe de Horikita également. Et si possible, j’espérais que les deux autres classes, laissées à la traîne, puissent également se battre jusqu’au bout. Pour cela, il fallait maintenir l’espoir.
Tant qu’il y avait de l’espoir, les élèves continueraient à se battre de toutes leurs forces jusqu’à la fin. C’est pourquoi je devais bâtir les fondations nécessaires pour que la compétition reste vive. Et la réponse à la façon dont je pourrais y parvenir…
Je la trouverais probablement très bientôt.
2
Après avoir poliment décliné l’invitation d’Ishizaki et Hiyori, au lieu de nous séparer immédiatement, nous continuâmes à discuter un moment. Bien qu’ils aient dû être déçus par mon refus, ils n’abordèrent plus le sujet du transfert et semblèrent simplement profiter de la conversation. Lorsque le keyaki ouvrit enfin, ils m’invitèrent à prendre un thé, mais je dus décliner en raison d’un autre engagement. Je retournai au dortoir vers 9h, mais Ichinose n’avait toujours pas donné signe de vie. En accord avec mon emploi du temps, je me rendis au Keyaki à 10h, rencontrai la personne avec qui j’avais rendez-vous et passai un peu de temps avec elle.
Quand je revins dans ma chambre, il était 14h passée. Les heures défilèrent ensuite tranquillement. Je ne lui envoyai pas d’autre message ni ne tentai de l’appeler, me contentant d’attendre sa réponse dans ma chambre. Ce qu’elle avait prévu lui appartenait entièrement, car ce jour pouvait être décisif pour Ichinose. Je voulais que la dernière décision vienne d’elle. Je nettoyai ainsi ma chambre et réorganisai quelques affaires.
Puis, je préparai le dîner et le savoura tranquillement, seul. À l’approche du couvre-feu, à 20h, il n’y avait toujours aucun message, le mien étant toujours non lu. Cependant, le couvre-feu ne signifiait pas que la décision finale était prise. Il était seulement interdit à ce moment-là de nous rendre dans les étages des élèves du sexe opposé, mais techniquement, Ichinose pouvait encore venir dans ma chambre même si elle risquait un avertissement. Enfin…
Ces règles avaient plus ou moins fini par devenir une simple formalité. Depuis ma relation avec Karuizawa, j’avais fini par comprendre que c’était assez flou. Il restait quatre heures avant la fin de ce jour promis. Je pris ma douche tranquillement, puis regardai la télévision. Les informations du matin étaient intéressantes, mais je n’arrivais toujours pas à apprécier les émissions de variétés du soir. Impossible d’entrer dans l’ambiance. À la fin de mon brossage de dents, il était déjà 21h passé.
Moi — Encore un peu moins de trois heures…
Ceux qui se levaient tôt devaient déjà être en train de se coucher. Cependant, la possibilité qu’Ichinose dorme était quasiment nulle. Elle devait être en train de se torturer l’esprit. La nuit avançait, et le temps continuait de s’écouler sans interruption. Aux alentours de 21h30, on pouvait entendre le bruit des gouttes de pluie frapper la fenêtre. Lorsque je l’ouvris légèrement, une averse se mit à tomber subitement. Je me souvenais que les prévisions météorologiques avaient annoncé qu’il allait pleuvoir des cordes du soir jusqu’à l’aube. Même après avoir refermé la fenêtre, le son de la pluie se faisait bien ressentir.
Il semblait que l’averse allait s’intensifier et il était déjà presque 22 h. J’avais fini tout ce que j’avais à faire chez moi. Il ne restait plus que deux heures. Je pris mon téléphone pour vérifier la messagerie et aucune réponse. Cependant, un changement significatif s’était produit depuis tout à l’heure. Le message que j’avais envoyé fut enfin lu. Ichinose était donc bel et bien réveillée. Dix minutes passèrent, puis vingt, mais aucune réponse ne vint. Ichinose était libre d’ignorer ce jour, mais était-ce là sa réponse ?
Elle opta donc pour le silence. Honnêtement, je m’étais attendu à une réaction, même minime, mais peut-être en attendais-je trop. Si elle avait choisi le silence, alors ma décision était déjà claire. Je devais considérer que j’avais laissé à Ichinose tout le temps nécessaire pour réfléchir. Cependant…
Je me redressai lentement sur mon lit. Je voulais encore vérifier par moi-même. Depuis un an, j’avais influencé Ichinose Honami pour mes propres intérêts. Il était donc naturel que je veuille voir le résultat de tout cela.
Être rejeté ne me dérangeait pas. Mais je voulais savoir dans quel état elle se trouvait. Ce désir naquit naturellement en moi.
À la toute fin, même si je devais m’incliner…
Autant aller confirmer la réponse de mes propres yeux.
3
À 22h30, je pris la décision de sortir pour aller vérifier de moi-même, une initiative risquée au vu de l’heure. Heureusement, à cause de la pluie battante, il n’y avait personne dans le couloir. Je me dirigeai vers l’escalier de secours et me rendis devant la chambre d’Ichinose. Puis, j’appuyai sur la sonnette. Le son résonna faiblement, mais peu importe le temps que j’attendais, il n’y eut aucune réponse. Elle ne pouvait pas savoir que c’était moi alors cela montrait clairement son intention de ne rencontrer personne. Je sortis mon téléphone et appuyai sur le bouton d’appel. La tonalité retentit, signe que son téléphone n’était pas éteint depuis la lecture de mon message. Cinq, six sonneries…puis dix, elle ne décrocha pas. Je mis fin à l’appel et frappai doucement à la porte.
Moi — C’est moi. L’échéance de notre promesse approche.
Je prononçai ces mots à haute voix. Même en tenant compte de la pluie battante, parler ainsi représentait un risque, car n’importe quelle autre fille aurait pu me surprendre devant cette porte. Cela n’aurait pas provoqué un scandale immédiat, mais celle qui me verrait serait dans l’obligation de me dénoncer, et j’en porterais la responsabilité. C’est pourquoi je ne comptais pas me répéter indéfiniment. Si Ichinose ne répondait toujours pas, je n’avais pas l’intention d’insister davantage. Je voulais connaître la réponse, certes, mais je ne pouvais pas prendre un risque aussi élevé. Je devrais simplement accepter cela comme étant sa décision. De l’autre côté de la porte, le silence persistait.
Moi — J’attends encore trois minutes. Après je partirai.
Je commençai alors à compter mentalement les 180 secondes. Pendant ce temps, j’observai la pluie battante à travers la fenêtre du couloir. 50 secondes, 40 secondes… le temps continuait de s’écouler. Alors que j’allais entamer les 30 dernières secondes, mon téléphone vibra légèrement. C’était un message.
— Pourquoi es-tu venu ?
Il venait d’Ichinose elle-même, se trouvant juste derrière cette porte. Si elle voulait communiquer ainsi alors j’allais faire de même.
Moi — Je te l’ai dit. Aujourd’hui est le jour de la promesse.
Ichinose — Il est déjà tard. Le couvre-feu est passé.
Alors que je rédigeais ma réponse, un autre message d’Ichinose arriva.
Ichinose — J’n’ai pas le courage d’aller chez toi Ayanokôji-kun. Désolée.
Moi — Je m’en doute. C’est pour ça que je suis là.
Elle lut immédiatement ma réponse, mais aucun autre message ne suivit.
Moi — J’attendrai encore une minute. Si la porte ne s’ouvre pas d’ici là, faisons comme si cette promesse n’avait jamais existé.
Ce message aussi fut bien lu. À présent, la décision lui appartenait. Elle pouvait me détester ou se méfier de moi, si elle choisissait malgré tout de continuer à se battre l’année prochaine alors c’était son choix. Elle pouvait aussi se sentir écœurée par cette école et décider de partir volontairement. Ou bien, elle pouvait faire quelque chose que je n’aurais jamais pu anticiper. Plusieurs chemins s’offraient à elle et après avoir trouvé sa réponse, il lui suffisait de me le dire. Il restait dix secondes. J’étais sur le point de me résigner et de partir lorsque mon téléphone vibra à nouveau.
Ichinose — La porte est déverrouillée, entre.
Déverrouillée ? Je lus ces mots encore et encore. Quelque chose semblait anormal. Récemment, je savais qu’Ichinose ne sortait plus du tout et évitait toute rencontre. Alors logiquement, cette porte, son seul lien avec l’extérieur, aurait dû être verrouillée. Quelqu’un lui avait-il rendu visite ? La probabilité restait faible. Ou alors avait-elle envisagé la possibilité que je vienne la voir aujourd’hui ? Difficile à dire.
Si cela avait été un appel ou une conversation en face à face, j’aurais pu sonder ses intentions. Mais à travers de simples messages, il était impossible de deviner ses pensées. Ce message inattendu me surprit légèrement, mais je décidai d’avancer. J’attrapai prudemment la poignée de la porte. Effectivement, elle s’ouvrit sans résistance. Cependant, au-delà de l’entrée, il n’y avait ni lumière ni accueil. La pièce était plongée dans l’obscurité et le silence.
Moi — Ichinose, tu es là ?
Je murmurai ces mots, mais aucune réponse ne vint. Je refermai doucement la porte derrière moi. Sans lumière, il était pratiquement impossible d’y voir quoi que ce soit, et aucun son ne se faisait entendre. Le seul bruit perceptible était un léger ronronnement provenant du compresseur du réfrigérateur.
Moi — Ichinose ?
J’appelai à nouveau, mais toujours aucune réponse. Je ne pouvais pas simplement entrer sans enlever mes chaussures, alors je choisis d’attendre. Ne pouvant pas encore saisir pleinement la situation, je pris mon temps pour m’adapter au noir. Peu à peu, je finis par distinguer Ichinose, recroquevillée dans un coin, les genoux serrés contre la poitrine et le visage enfoui.
Ichinose — Même après le couvre-feu, ça ne te dérange pas ?
Moi — C’est aussi valable pour toi. Puisque tu m’as laissé entrer, Ichinose, tu portes une part de responsabilité.
Ichinose — … C’est vrai.
Pour la première fois depuis longtemps, j’entendis enfin sa voix. Elle semblait plus en forme que je ne l’avais imaginé et ne paraissait pas en mauvaise santé.
Ichinose — Tu y accordes bien plus d’importance que prévu.
Elle murmura cela, comprenant que j’avais pris le risque de venir jusqu’ici.
Ichinose — Mais tu le fais pour toi, pas vrai, Ayanokôji-kun ?
Elle devait déjà l’avoir compris depuis longtemps.
Moi — Oui.
Je hochai la tête sans hésitation et poursuivis.
Moi — J’ai pris ma décision il y a un an. Aujourd’hui est le jour où j’exécute le kaishaku[1] de l’élève Ichinose Honami.
Si quelqu’un m’entendait, il pourrait s’indigner en me demandant de clarifier.
Ichinose — Kaishaku… Dans quel sens dois-je le comprendre ?
Elle murmura cela calmement. En général, quand on entendait « kaishaku », on en retenait uniquement le sens négatif. On l’associait instinctivement à l’acte de donner le coup de grâce lors d’un seppuku. Mais kaishaku pouvait signifier l’exact opposé : veiller sur quelqu’un et l’aider.
Moi — Tu comprendras bientôt.
Ichinose — … Je vois.
Moi — Si ça ne te dérange pas, puis-je entrer ?
Ichinose — … Fais donc. Assure-toi juste de bien verrouiller la porte.
Il était peu probable que quelqu’un vienne à cette heure, mais il valait mieux être prudent. Suivant sa demande, je verrouillai la porte, retirai mes chaussures et entrai dans la chambre. L’obscurité rendait difficile la vision, mais la pièce était ordonnée et semblait dégagée de tout obstacle. Malgré le noir, je m’arrêtai une fois arrivé à une position où je pouvais la voir clairement.
Moi — Tu ne veux peut-être pas me voir. Peut-être même que tu ne veux plus jamais voir mon visage. Mais aujourd’hui, je voulais te parler. Ce sera peut-être la dernière fois que nous pourrons discuter librement.
Ichinose — Dernière… On ne pourra même pas rester amis, hein ?
Moi — En effet.
Si nous décidons que c’est la meilleure option, alors ce sera nécessaire. Ichinose aurait pu me rejeter dès le départ, affirmant qu’elle ne voulait même pas rester amie avec moi. Si c’était le pire scénario pour elle, c’était parce qu’elle regrettait son manque de discernement. Ce que j’allais lui dire maintenant était d’une cruauté sans nom.
Moi — Y a-t-il quelque chose que tu veux me dire en premier ? Sinon, je suis prêt à te donner ma réponse.
Si elle ne voulait pas de conversation inutile, autant aller droit au but.
Ichinose — … Oui. Dis-moi.
Sans relever la tête, Ichinose acquiesça, comme si elle s’était résolue.
Moi — Le résultat de l’examen spécial a été un véritable tournant. Si ta classe perdait, il aurait été pratiquement impossible de s’en relever. On peut dire que c’était une bataille que vous ne pouviez absolument pas vous permettre de perdre. Mais le résultat fut la victoire de la classe de Horikita. Autrement dit, le chemin vers la Classe A s’est refermé.
Ichinose — C’est vrai. Je pense qu’il y a encore beaucoup de gens dans la classe qui n’ont pas abandonné, mais… c’est impossible. Parce que je n’ai pas pu te vaincre. J’ai brisé les rêves de tout le monde.
Moi — C’est exact. La classe a été vaincue parce que son leader, toi, était trop faible. Tu portes une grande responsabilité. Mais n’importe qui pourrait te reprocher cela. Si ce n’était que ça, je n’aurais pas eu besoin de venir ici pour exécuter le kaishaku.
Elle ne bougea pas. Préparée ou non, elle garda la tête baissée, fixant le sol.
Moi — Pourtant, il existe encore une possibilité de retour.
Ichinose — Ah oui ? Pourtant je n’entrevois aucun chemin.
Moi — Si c’est toi qui restes à la tête de la classe, oui.
Pour la première fois, les épaules d’Ichinose tressaillirent.
Ichinose — Tu es en train de me dire de renoncer à mon rôle de leader ?
Moi — Si tu veux gagner pour le bien de ta classe, alors fais-le vite.
Ichinose — Je vois… Mais si c’est le cas, ça ne tardera pas à arriver. Je n’ai plus ni les qualifications ni la confiance pour diriger la classe…
Je pouvais sentir la force qu’elle mettait dans ses mains serrées.
Moi — Désolé, mais ça ne suffit pas. Se retirer de la position de leader est une évidence, mais au-delà de ça, il faut quelqu’un capable de mener la classe vers la victoire. Ce n’est qu’à cette condition que votre classe pourra retrouver son potentiel pour atteindre la Classe A.
Ichinose — Un leader capable… Tu penses à qui ? Kanzaki-kun ?
Moi — À personne en particulier. Actuellement, il n’y a personne dans ta classe capable d’effectuer un retour en force.
Ichinose — Si c’est le cas, alors c’est une cause perdue dès le départ…
Moi — Pas si vous prenez quelqu’un d’une autre classe.
Ichinose — … Qu’est-ce que tu veux dire… ?
Moi — Je vais être transféré dans ta classe afin de la guider.
C’était l’une des stratégies que j’avais élaborées. Ici, je lui révélai mon plan.
Ichinose — Ayanokôji-kun, toi… ?
Moi — Tu devrais déjà connaître mes capacités. L’écart de 500 points avec la classe de Horikita n’est pas facile à combler, mais je peux y arriver en un an sans difficulté.
Ichinose — Après être enfin monté en Classe A, tu serais prêt à tout abandonner pour rejoindre une classe inférieure… ?
Moi — C’est une idée qui peut sembler difficile à comprendre. Mais sois-en certaine, si j’y parviens, je pourrai faire en sorte que ta classe actuelle obtienne la Classe A, comme tu le souhaites.
Pour la première fois, Ichinose, qui avait gardé ses genoux serrés contre elle, leva les yeux. Je pensais qu’elle était en train de pleurer, mais il n’en était rien.
Ichinose — Ah… Je vois. C’est donc ça…
Elle semblait avoir compris quelque chose, affichant une expression de profonde lucidité. Puis, lentement, elle tourna son regard vers moi. Peut-être que j’apparaissais tel un bourreau venu mettre fin à sa vie.
Ichinose — Le plan était que je te batte lors de l’examen, Ayanokôji-kun. Si j’avais gagné, cette proposition n’aurait jamais vu le jour…
Si elle l’avait emporté, le classement aurait été équilibré. Dans ce cas, il n’y aurait eu aucune raison pour moi de changer de classe. C’était à moitié vrai.
Moi — Oui et non. Si tu m’avais vaincu et que tu avais prouvé que ma présence était inutile, j’aurais aussi accepté cette issue.
Ichinose — Je vois. C’est vrai que c’est bien pour notre classe objectivement si tu me remplaces en tant que leader. On devrait s’en réjouir.
Moi — C’est exact. Mais tu l’as deviné, n’est-ce pas ?
Ichinose — Oui… Il doit y avoir une condition, non ?
Se contenter de prendre sa place ne suffisait pas à rendre ce plan viable.
Moi — Je vais intégrer ta classe et la mener jusqu’en A, mais en échange, je demande que toi, Ichinose Honami, quittes cette école.
C’était la seule condition que j’exigeais. Si elle acceptait, l’accord serait conclu.
Ichinose — …Que je quitte l’école…
Qu’allait-elle penser ? Comment allait-elle réagir ? Depuis ce matin, j’étais curieux de connaître sa réponse. Nous étions à un carrefour où plusieurs de mes stratégies se croisaient. Quelle que soit l’issue, j’avais déjà envisagé plusieurs possibilités, mais c’était à Ichinose de décider du chemin à suivre.
Ichinose — Désolée. Je n’ai pas assez de points privés…
Moi — Pas de souci. Le transfert en soi n’est pas compliqué. Nous rassemblerons tous les points privés que tu possèdes, bien sûr, mais aussi ceux de tes camarades. Et si cela ne suffit pas, nous emprunterons aux élèves de seconde. Avec la promesse d’un remboursement avec intérêts, certains accepteront. Avec la confiance que tu inspires, il ne sera pas difficile de réunir les points manquants en leur garantissant un retour sur investissement. Même si nous n’atteignons pas les 20M immédiatement, il existe plusieurs moyens d’obtenir le reste.
Avec ça, le simple transfert de classe serait accompli. 20 millions de points privés garantissaient l’accès à la Classe A.
Ichinose — Même si c’est réalisable… quel est ton but dans tout ça ?
Moi — Un certain diplômé m’a dit un jour de marquer les esprits. Les leaders de chaque classe sont pleinement conscients de mes capacités et petit à petit, les autres élèves commencent aussi à me remarquer.
Que cette prise de conscience soit bonne ou non, ça n’avait pas d’importance.
Moi — Avec ce transfert, je deviendrai un élève ayant marqué les esprits.
Ichinose — … Je vois.
Moi — Tu te souviens de ce que je t’ai dit il y a un an ? Rester fidèle à toi-même. Que pendant cette année, tu allais avancer avec ta classe aussi loin que possible avec des moments heureux et d’autres, plus difficiles. Même écrasé ou découragé, il ne fallait pas t’arrêter.
C’était la véritable signification du message que je lui avais transmis.
Moi — C’était aussi pour éviter d’endommager la valeur de la classe. En faisant ça, nous pouvions maintenir le nombre initial de 40 élèves. Donc même si tu pars, quelqu’un d’autre pourra entrer dans la classe, nous permettant de commencer la dernière année avec toujours 40 élèves.
Je contrôlais et gérais l’état initial de la classe de mes propres mains.
Moi — C’est parce que je considère qu’il est idéal de reprendre à la base.
Ichinose — Si je reste, il y aura 41 personnes, ce qui n’est pas possible.
Moi — Et ce n’est pas la seule raison. Ton existence est un obstacle pour la classe. Ton attitude fait que tu as un pouvoir que je ne peux contrôler.
Si elle me montrait de la résistance, ceux qui la suivraient ne se limiteraient pas à une ou deux personnes. Cela entraverait le fonctionnement de la classe.
Ichinose — Je vois… Incroyable, Ayanokôji-kun. Tu envisages vraiment tous les scénarios possibles…
Cependant, cette divergence différait légèrement de l’avenir que j’avais initialement envisagé. Depuis le départ de Sakayanagi, les choses ne s’étaient pas déroulées comme prévu, me forçant à corriger la trajectoire.
Ichinose — Si je me retire volontairement, les points de classe chuteront encore plus. Pourras-tu toujours gagner ?
Moi — C’est difficile, car accumuler plus de 800 points de classe dépend uniquement des récompenses offertes par l’école. Mais les mots que tu viens de dire sont la clé de la stratégie. Si nous forçons les élèves des autres classes à abandonner par des moyens non officiels, non seulement nous pouvons combler l’écart avec les points gagnés, mais nous pouvons aussi le faire en profitant des points qu’ils perdent suite aux sabotages.
Elle ne pouvait pas emmener ses amis en classe A avec ses propres capacités. Mais si elle assumait la responsabilité et se retirait volontairement, elle pouvait s’assurer que ses amis obtiennent leur diplôme là-bas. Ichinose, ressentant une grande responsabilité pour son échec, avait deux options possibles. C’était en effet la dernière croisée des chemins pour elle.
Ichinose — Si je me retire vraiment, nous mèneras-tu à la classe A ?
Moi — Je te le promets.
C’était la vérité. Je négociais avec l’intention de mener sa classe à la victoire.
Ichinose — Alors, je v…
Moi — Mais Ichinose, laisse-moi te dire quelque chose d’important d’abord. Je mènerai ta classe en A, mais je ne peux pas garantir la remise des diplômes à tes 39 camarades, en m’excluant moi-même.
Ichinose — Eh… ?
Moi — Bien sûr. Nous ne pouvons pas nous permettre de traîner des poids morts. Si je considère qu’un élève est inutile, je l’éliminerai naturellement. Pour combler l’écart important des points de classe, éliminer les faiblesses est l’une des priorités absolues. S’il y a une occasion de forcer quelqu’un à partir à travers des examens spéciaux, je l’utiliserai sans hésitation. Que ce soit Amikura, Norihito, ou quelqu’un qui t’es proche, je ne ferai aucune distinction. Comme avec Maezono.
Ce précédent avec Maezono a fait qu’Ichinose avait eu une expérience directe avec une réalité qui ne laissait aucune place aux rêves.
Moi — Mais au maximum, seuls quelques-uns disparaîtront.
La réponse se réduisait à deux choix. Accepter ma proposition actuelle en me faisant entrer dans sa classe avant qu’elle ne quitte l’école. Le second était de rejeter ma proposition et de continuer en tant que leader, alimentée par la haine. Non, en réalité, il ne restait plus qu’une seule option. Ichinose Honami ne pouvait pas abandonner ses camarades. Il y avait 99 % de chances qu’elle se relève en tant que leader et reprenne la lutte. À partir de là, je n’aurais pas d’autre choix que d’orchestrer de force la bataille entre les quatre classes. Cependant, il était peu probable que l’équilibre entre elles soit bien maintenu. C’était inévitable. Mais aucune de ces réponses n’était celle que je désirais. Ce que je cherchais réellement, c’était une troisième réponse. Je me surpris à espérer ce que je n’avais pas encore envisagé.
Ichinose — C’est cruel, n’est-ce pas… ?
Moi — En effet.
C’était un souhait futile. Elle allait bientôt se relever, emplie de colère, arrivant à la conclusion qu’il faut se battre. C’est ce que je désirais également, car j’avais implanté en elle la chose il y a un an, le jour où j’avais décidé de mettre en œuvre le kaishaku sur la dénommée Ichinose Honami. J’ai semé les graines du contrôle des émotions romantiques, qu’elles soient positives ou négatives, chez un être humain.
Non, ce n’était pas limité à l’amour. Être aidé puis trahi, recevoir de la bienveillance puis de l’hostilité. J’avais interagi avec elle dans le but de mêler ces émotions contradictoires. En peu de temps, une multitude d’émotions positives et négatives s’étaient violemment entrechoquées en Ichinose. Et elles avaient atteint leur apogée.
Sans aucun doute, la bienveillance d’Ichinose s’était inversée en raison de ma trahison. En termes psychologiques, cet état était appelé ambivalence. L’ambivalence amplifiait particulièrement l’influence des sentiments les moins désirables. Lorsque j’étais dans le White Room, j’avais découvert son existence au cours de mes études. Par conséquent, il était hautement probable qu’Ichinose, consumée par la haine, me combatte ensuite.
Je voulais simplement observer de près quels changements elle subirait en tant que nouveau sujet d’expérience. Et Ichinose était effectivement le cobaye parfait pour cela. Désormais, sa haine envers moi surpassait ses sentiments d’affection. Plus l’amour était profond, plus la haine devenait intense. Parfois, cela pouvait mener à un état psychologique assez grave pour provoquer une névrose, un phénomène à ne pas prendre à la légère.
Cependant, on ne pouvait pas appeler cela une expérience nouvelle. Accroître la haine et briser l’esprit, cela avait déjà été réalisé lors d’expériences passées, et les résultats étaient connus. Ce que je voulais réellement voir, c’était une issue différente. Le 1 % d’inconnu. Était-ce trop en demander ?
Ichinose — Je… Je ne veux absolument pas blesser mes amis.
Moi — Alors, tu n’as pas d’autre choix que de continuer à te battre seule.
Ichinose — Mais, ça ne nous mènera sûrement pas en classe A.
Ce qui l’attendait n’était qu’une année futile.
Moi — Alors choisiras-tu de partir et de me confier cette tâche ?
Ichinose — Partir ou non, c’est la réponse que tu attends, mais…
C’était exact. Je ne niai rien.
Ichinose — J’ai l’impression qu’aucune de ces réponses n’est la bonne.
Des mots que je ne pensais pas entendre aussi tôt sortirent de sa bouche. Je ne pus cacher la forte stimulation qui parcourut mon cerveau.
Moi — Ah oui ? Alors, selon toi, quelle est la bonne réponse ?
Ichinose — Je ne veux perdre aucun de mes amis. Je ne peux pas me permettre de les perdre.
Moi — Ce n’est qu’un idéal, et c’est égoïste.
Ichinose — Oui, c’est probablement impossible avec mes seules capacités. Mais avec toi, Ayanokôji-kun, ça peut être réalisé.
Moi — Tu ne quittes pas l’école, mais tu veux quand même que je sois transféré dans ta classe… c’est ce que tu veux dire ?
Lorsque je posai la question, Ichinose sourit pour la première fois aujourd’hui et secoua la tête de gauche à droite, en signe de négation. Puis, elle exprima le chemin qu’elle avait imaginé, un chemin sans chemin. Elle présenta une méthode pour équilibrer les quatre classes de sa propre réflexion. Elle avait ainsi atteint ce 1 % que j’espérais.
Moi — Alors, c’est… la solution que tu as trouvée.
Ichinose — Est-ce que je me trompe ?
Moi — … Non.
Je perdis mes mots, ne pouvant pas immédiatement continuer. Les camarades de classe d’Ichinose l’admiraient et visaient la classe A à ses côtés.
C’était la seule possibilité qui ne laissait personne de côté à la remise des diplômes. Elle venait de saisir les éléments qui lui manquaient en tant que leader. Si l’on parlait uniquement en termes de potentiel, Ichinose pourrait bien surpasser Horikita et Ryuuen. Si elle parvenait à surmonter complètement sa faiblesse mentale et à abandonner sa naïveté, l’issue de l’année à venir était véritablement incertaine. Je m’approchai d’Ichinose et lui tendis la main.
Moi — Pour concrétiser ce choix, nous devons maintenir une distance appropriée l’un et l’autre pour communiquer. Bien sûr, la force motrice peut être la haine. Il n’est pas nécessaire que tu m’apprécies.
Ichinose — Ce n’est pas ça, Ayanokôji-kun.
Ichinose, qui se releva en prenant ma main, réfuta immédiatement mes propos.
Ichinose — Pendant tout ce temps où je suis restée enfermée, j’ai essayé de te détester à plusieurs reprises. Mais je n’y suis pas arrivée. Même si je sais que c’est stupide. Aujourd’hui encore, peu importe à quel point tes paroles ont été cruelles, mon affection pour toi est toujours là.
Un parfum d’agrume flotta dans l’air. Ce parfum provenait d’Ichinose, qui s’était longtemps isolée. Dans l’obscurité, je remarquai la brillance de ses cheveux. Peut-être avais-je fait une énorme erreur d’appréciation. Je pensais avoir tout dirigé et contrôlé aujourd’hui. Mais en réalité…
Moi — Tu savais que je viendrais ici ?
Ichinose — Oui. Tu allais forcément venir voir dans quel état j’étais et scruter mes pensées. Tu ne pouvais pas réprimer cette envie.
Elle était certaine que je viendrais la voir, peu importe l’heure. Les messages dénués d’émotion sur le téléphone. La porte qui n’était pas verrouillée. La chambre qui était nettoyée et le fait qu’elle était habillée comme si elle attendait quelqu’un. Tout cela signifiait qu’elle avait tout préparé. Je ne m’attendais pas à ça, mais je ne suis pas non plus entièrement surpris. Il n’était pas impossible qu’Ichinose ait tout ressenti, même si elle ne savait pas tout.
Ichinose — Il est déjà bien tard. Si tu quittes la chambre maintenant, quelqu’un pourrait te voir. Ça risquerait d’interférer avec les plans. Alors, je vais devoir faire de toi mon complice.
Elle dépassa mon imagination, non pas une, mais deux fois. En effet, Ichinose était remarquable.
Moi — Comment comptes-tu faire de moi un complice ?
Ichinose — Je ne veux plus qu’il y ait de secrets inutiles entre toi et moi, Ayanokôji-kun. Je ne veux pas.
Ichinose attrapa ma main. Elle ne dit rien, mais tira avec force. Puis, comme si elle voulait me rapprocher d’elle, elle poussa fortement mon torse. je sentis cette intention de me faire assoir sur son lit, ce que je fis. Ichinose, debout devant moi, me regarda d’en haut.
Ichinose — Je pense mieux comprendre Karuizawa-san maintenant.
Moi — …Qu’est-ce que tu veux dire ?
Ichinose — Elle a probablement touché à ton obscurité, a été sauvée, puis a vu l’enfer à nouveau. Et tu penses que c’est nécessaire pour elle.
Moi — Peut-être.
Ichinose — C’est assez unilatéral, non ? Même si cela finit par être une forme de salut, personne ne peut affirmer que la méthode est juste. Tu blesses et brises la personne par tes propres mains puis tu la répares.
Elle ne savait pas encore que j’avais rompu avec Karuizawa. Mais à travers le déroulement des événements, elle avait compris que c’était mon intention.
Ichinose — Je suis pareille, non ? Tout comme Karuizawa-san, non… comme les autres élèves. Nous dansons tous dans le creux de ta main.
Ses yeux étaient magnifiques. Clairs dans les ténèbres. Forts, faibles, aiguisés. Affichant mille nuances, ils brillaient maintenant d’une intensité encore plus grande. Une couleur qui dépassait mes calculs, indéfinie, ni claire, ni obscure.
Ichinose — Tu es…
Elle attrapa mes épaules et exerça un poids, me poussant en arrière.
Ichinose — Ayanokôji-kun, tu m’utilises. Donc, j’ai aussi le droit de t’utiliser, non ?
Moi — Je ne peux en tout cas pas t’enlever ce droit.
Ichinose — Mes sentiments pour toi ne peuvent pas changer. Je ne peux pas t’oublier. Au contraire, j’ai désespérément voulu te voir. Plus que mes camarades de classe, plus que ma famille, je ne peux penser qu’à toi. Mais Ayanokôji-kun, toi, tu es différent. Tu ne me regardes pas. Tu vois plus large, et tu ne penses qu’à toi-même.
Décelant mes véritables sentiments, Ichinose sourit.
Ichinose — Ça ne me dérange pas, mais je ne te pardonnerai pas. Tout comme tu as gravé ton existence en moi sans ma permission, je veux aussi graver mon existence en toi de mon propre chef.
Le poids de son corps s’appuya sur mes mains posées contre son lit grinçant légèrement. Elle attrapa mes mains et les guida. Le battement de cœur d’Ichinose, que je n’aurais normalement pas dû entendre, se transmit à travers mes paumes.
Il était évident qu’elle était dans un état de grande tension, son rythme cardiaque était extrêmement rapide, loin d’être calme. Dehors, la pluie frappait contre la vitre non sans une valse violente.
Ichinose — Tu fais quelque chose d’horrible à Karuizawa-san. Si elle l’apprenait… tu imagines ce qu’elle pourrait ressentir ?
Moi — Désolé, mais j’ai rompu avec Karuizawa avant de venir ici. Je visite la chambre d’une fille en pleine nuit alors j’ai déjà évalué les risques.

Cette pensée venait à l’origine de la possibilité qu’elle me piège par haine.
Ichinose — Je vois. Je suis restée enfermée dans ma chambre ces derniers temps, donc je ne savais pas.
Ce n’était pas surprenant. Cela s’était produit aujourd’hui, le 30 mars.
Ichinose — Donc je ne peux pas utiliser ça comme une menace.
Elle obstruait complètement mon champ de vision ce qui emplit l’obscurité.
Ichinose — Mais je n’ai pas l’intention de te menacer.
Murmurant à mon oreille, Ichinose rougit légèrement, mais ne changea pas son attitude affirmée. Elle posa ses lèvres sur les miennes. Le mouvement fut rapide, et nos dents s’entrechoquèrent légèrement, faisant sursauter Ichinose.
Ichinose — Désolée, je ne suis pas douée. C’est mon premier baiser…
Après cela, elle déposa lentement et délicatement ses lèvres sur les miennes.
Ichinose — C’est comme ça… ? C’est bien comme ça qu’il faut faire ?
Moi — Ouais…
Ichinose — Tu ne vas pas t’enfuir ?
Moi — Ce n’est pas une option. Fuir de force ici serait encore plus risqué.
Elle avait pris la ferme décision de m’empêcher de fuir. Si j’essayais de me dégager de force, cela se terminerait par une altercation dans le pire des cas. Le sort d’un garçon qui s’était introduit tard dans la nuit à l’étage interdit des filles…
Un simple avertissement n’allait pas suffire.
Telle était la résolution d’Ichinose. Alors, moi aussi, je devais répondre à cette résolution. J’attrapai les vêtements d’Ichinose et commençai à les retirer.
Elle hésita un instant car son corps se figea, mais bientôt, elle se détendit et enleva son haut d’elle-même. C’était déjà un territoire dépassant la raison. J’avais été pris dans son piège. Dès l’instant où j’avais mis les pieds dans cette chambre, toute retraite m’avait été coupée.
Et en même temps, j’étais attiré par son charme inconnu. Moi qui pensais en avoir fini avec l’apprentissage.
Mais peut-être que cela ne faisait que commencer.
Dans cette pièce, juste tous les deux, la nuit continua de s’assombrir. Ce n’était pas un rituel pour devenir amants. Si ça l’avait été, cela n’aurait jamais fonctionné dès le départ.
C’était un contrat absolu, être nécessaire et avoir besoin de l’autre…
Et ainsi, nous fûmes liés par ce contrat, sombrant toujours plus profondément et nous dévorant l’un l’autre sans en voir la fin.
4
Quelques jours après cette nuit pluvieuse, Ayanokôji et Ichinose promirent de réduire considérablement la distance entre eux. Au début du mois d’avril, alors que les vacances de printemps touchaient à leur fin, six élèves de la classe d’Ichinose se rassemblèrent près de l’entrée d’un café au Keyaki, affichant des expressions solennelles. Ichinose, qui s’était enfermée dans sa chambre, refusant de voir ou de contacter qui que ce soit, envoya soudainement un message annonçant son retour.
Le message fut envoyé dans la discussion du groupe de classe, et ses camarades, qui espéraient son rétablissement, répondirent rapidement avec des messages chaleureux. Ichinose s’excusa d’abord de ne pas avoir répondu puis expliqua qu’elle avait pris le temps d’organiser ses pensées sur les futures stratégies de la classe. Elle voulait partager la chose. Beaucoup d’élèves voulaient participer, mais Kanzaki prit immédiatement les choses en main.
Compte tenu de la situation actuelle où il était difficile d’avoir une vision d’ensemble, il suggéra qu’il serait préférable d’en parler avec un groupe plus restreint. Kanzaki sélectionna alors les participants, et personne, y compris Ichinose, ne s’y opposa. Les participants appelés par Kanzaki étaient Shibata, Hamaguchi, Amikura, Himeno, Shiranami et Norihito. Cette sélection fit ressentir à certains une certaine gêne, car il y avait des personnes importantes et d’autres beaucoup moins.
C’était un choix délibéré de Kanzaki, qui avait inclus des proches d’Ichinose tout en y mêlant Hamaguchi et Himeno, qui partageaient ses opinions, afin de dissimuler ses véritables intentions. Même si la discussion menait à un vote majoritaire, Kanzaki était convaincu qu’il pouvait s’assurer d’au moins trois voix en faveur de ses idées. Étant donné que l’état actuel d’Ichinose était inconnu, Kanzaki voulait aborder la situation avec une préparation totale. Sur le chemin, Kanzaki retrouva Shibata et ils arrivèrent ensemble au café.
Amikura — Shibata-kun, Kanzaki-kun, bonjour.
Amikura était une élève qui passait souvent son temps avec Ichinose, que ce soit en semaine ou pendant les jours de repos. Elle était considérée comme sa plus proche amie. Elle fut la première à arriver et les salua en les rejoignant.
Shibata — Hey Amikura ! C’est un soulagement qu’elle nous contacte.
Amikura — Vraiment. J’étais à deux doigts de pleurer après le message.
Depuis sa défaite, Ichinose n’avait rencontré personne. Même Amikura, sa meilleure amie, qui avait essayé de lui rendre visite, s’était fait repousser, ce qui avait rendu la situation difficile. Tout le monde avait continué à l’encourager via messages, mais Amikura se demandait si cela n’avait pas eu l’effet inverse. Mais elle n’avait rien trouvé de mieux pour l’aider.
Amikura — Mais attendons de la voir d’abord. Il paraît qu’elle a assisté à l’entretien parent-prof, mais pourra-t-elle vraiment se montrer devant tout le monde ? On ne sait pas si Honami-chan va bien au final…
Elle craignait que cette réunion ne mène à rien. Le souvenir d’Ichinose prenant la responsabilité de leur défaite lors du dernier examen était encore frais.
Shibata — Non, elle viendra. Ce n’est pas quelqu’un d’irresponsable.
Shibata répondit avec confiance, sans la moindre hésitation.
Amikura — Certes mais elle ne sortait plus du tous ces derniers temps.
Il était compréhensible qu’elle n’ait pas le courage de faire face à tout le monde, alors Shibata prit les devants pour la défendre.
Shibata — Si ça arrive, on n’a qu’à être plus indulgents.
Kanzaki — Ce n’est pas un problème si facile à résoudre.
Juste après leurs remarques optimistes, Kanzaki eut un ton irrité.
Amikura — Qu’est-ce que tu veux dire par là ?
Kanzaki — Notre défaite a été le dernier clou dans le cercueil de notre classe. Ça fait plus de deux semaines, et on n’a trouvé aucune nouvelle stratégie. On ne peut plus se permettre de perdre du temps.
Il souligna que si, après avoir convoqué ses camarades, Ichinose n’était même pas capable de se montrer, ce serait problématique.
Shibata — Ce n’est pas juste la faute d’Ichinose si on a perdu. Tu étais représentant et tu as perdu aussi, et nous, les participants, on aurait pu contribuer davantage. C’est la responsabilité de toute la classe.
Kanzaki — Il ne s’agit pas de savoir où se trouve la responsabilité. Je dis juste qu’il est bien trop tard pour juste commencer à discuter de la suite.
Les vacances de printemps touchaient à leur fin, et ils allaient bientôt entrer en terminale. Le temps de se préparer diminuait à mesure qu’ils parlaient.
Shibata — Hein ? Il suffit d’être plus unis et de travailler dur, c’est tout.
Kanzaki — Non, notre classe n’a plus aucune chance de gagner.
Il était prêt à encaisser, pas seulement Shibata, mais aussi les autres réactions.
Shibata — De quoi tu parles, Kanzaki ? Ce n’est pas vrai.
Kanzaki — Shibata, tu ne vois toujours pas la situation ?
Amikura — Hé, hé, tous les deux, calmez-vous un instant.
Elle pointa du doigt la direction où Norihito agitait joyeusement la main. Après cela, Himeno, Hamaguchi et Shiranami les rejoignirent. Une fois les sept membres nécessaires réunis, ils entrèrent dans le café.
Norihito — C’était quoi, tout ce grabuge ?
Dès qu’ils s’assirent, Norihito demanda à Kanzaki et Shibata, qui s’étaient fusillés du regard plus tôt, la raison de leur dispute.
Shibata — Kanzaki disait que je ne comprenais pas la situation.
Norihito — Comment ça ?
Kanzaki réitéra alors sa vision des choses pour le futur.
Kanzaki — Réveille-toi, Shibata. Hoshinomiya-sensei me donne raison.
Shibata — C’est toi qui ne vois pas la réalité. Il nous reste encore un an. On peut nous aussi réussir à accumuler des points comme Horikita.
Shibata, qui refusait d’abandonner, s’opposa à Kanzaki, qui suggérait le contraire. Il semblait que Norihito et les autres comprenaient parfaitement l’objet de leur dispute.
Kanzaki — As-tu analysé comment cette classe a accumulé des points ? Ils ont beaucoup d’élèves en dessous de la moyenne, mais aussi plusieurs avec des capacités exceptionnelles. Mais nous, nous n’avons pas de Kôenji. Tu te souviens de ses actions sur l’île déserte ?
Shibata — C’est…
Il continua à presser, comme s’il évacuait la frustration de ces vacances.
Kanzaki — On n’a pas un Ayanokôji non plus, qui a complètement écrasé Ichinose lors de l’examen. Il n’y a aucun moyen qu’on puisse gagner.
Shibata — Attends, ce que tu dis sur Kôenji est peut-être vrai, mais Ayanokôji a juste eu de la chance. On ne connaît même pas les détails.
Kanzaki — …Voilà pourquoi nous sommes finis. Tu ne vois rien. Notre classe coule déjà. On devrait plutôt essayer de sauver un max de gens.
Amikura — Attends, Kanzaki-kun, c’est un peu trop là… !
Amikura, qui écoutait jusque-là, ne put s’empêcher d’intervenir.
Kanzaki — Ce n’est pas trop. C’est la vérité.
Shibata — Si c’est le cas, raison de plus pour s’unir et retirer l’eau tous ensemble pour remonter à la surface. On ne laissera tomber personne.
Himeno — Shibata-kun. Est-ce qu’on peut vraiment faire ça… ?
Shibata — Hein ?
Himeno, bien que timide, s’opposa à Shibata, qui débattait contre Kanzaki.
Himeno — La montée en classe A n’a plus rien de facile là…
Shibata — Oui, c’est précisément pour ça qu’on doit être plus unis que jamais. Être pessimiste comme Kanzaki n’aidera en rien, en fait !
Il était toujours optimiste, tout le contraire de Kanzaki qui avait tendance à voir les choses négativement. Le choc était inévitable.
Kanzaki — Ça suffit. Ça ne mène nulle part.
Ne pouvant plus supporter ça, il tenta de mettre fin à la discussion.
Shibata — Tu veux arrêter ? Moi, je suis d’humeur à aller jusqu’au bout.
Kanzaki — Aucun intérêt à discuter avec quelqu’un qui ne veut voir que ce qui l’arrange. Tu es trop optimiste à tort.
Shibata — Non, non, c’est toi qui es juste bien trop négatif.
Kanzaki — Commence déjà à regarder la réalité en face et t…
Une ombre s’immisça soudainement entre eux.
Ichinose — Arrêtez de vous battre, ok ? Ce n’est pas bien.
En plein échange passionné, l’étudiante tant attendue arriva à l’improviste. Shibata, qui fixait Kanzaki d’un air agacé, ouvrit la bouche, surpris.
Shibata — … Ichinose. Tu es vraiment venue.
Kanzaki, de son côté, avait à moitié douté de sa venue. Pendant ce temps, Shiranami la regardait avec inquiétude, semblant presque au bord des larmes.
Shiranami — Est-ce que ça va ? Honami-chan…
Ichinose — Oui. Désolée de vous avoir inquiétés. Je vais bien maintenant.
Ses camarades craignaient que, peu importe à quel point ses paroles étaient positives, elles ne sonnaient que comme une simple façade. Cependant, Ichinose, qui se tenait devant eux, semblait réellement en forme. Surtout Shibata, sur l’épaule duquel Ichinose posa sa main, il ressentit que l’éclat de ses yeux était aussi fort, voire plus intense, qu’auparavant.
Shibata — Ah, tu vas bien, Ichinose. Je suis vraiment soulagé…
Avec son parfum dans les narines, Shibata rougit et répondit malgré lui.
Ichinose — Je t’ai inquiété, pas vrai ?
Shibata — Non, pas du tout. J’ai toujours cru que tu allais bien… haha.
Influencé par une aura un peu plus mature que l’Ichinose qu’il avait connue jusqu’à présent, Shibata se sentit gêné d’être observé d’aussi près et détourna involontairement le regard.

Sa main quitta doucement son épaule. Elle regarda ensuite tout le monde.
Ichinose — Je suis vraiment désolée d’avoir autant attendu.
Amikura — Pas grave. Mais tu vas vraiment bien maintenant ?
Shiranami hocha plusieurs fois la tête, exprimant son inquiétude aussi.
Ichinose — Oui. Justement, j’aimerais qu’on ait une vraie discussion.
Ichinose sourit doucement et s’assit sur le siège vacant entre Amikura et Shiranami. Tous les regards se tournèrent naturellement vers elle. Ils se demandaient si ce sourire n’était qu’une façade, combien de blessures de cet examen spécial restaient encore, et surtout, ce qui allait se passer désormais. Avant qu’elle ne prenne une pause de l’école à cause d’un rhume, Ichinose avait montré des signes indiquant qu’elle comptait abandonner son rôle de leader. Hoshinomiya l’avait interrompue juste avant qu’elle ne puisse en dire plus, mais il n’aurait pas été étonnant pour tous qu’elle décide de se retirer.
Amikura — …Heu, Honami-chan ?
Amikura prit la parole, incapable de contenir ses pensées plus longtemps.
Ichinose — Oui, qu’est-ce qu’il y a ?
Amikura — Tu n’es pas en train de nous dire que tu vas partir, hein ?
Amikura s’inquiétait pour Ichinose, car elle avait déjà énormément de pression sur ses épaules. Elle savait qu’elle n’avait pas le droit de l’en empêcher si elle souhaitait renoncer vu son caractère et son statut de leader. Mais en tant qu’amie, elle voulait vérifier si elle en était venue à haïr cette école. Elle craignait qu’elle annonce un départ pour prendre ses responsabilités.
Ichinose — Tu n’as pas à t’inquiéter pour ça. J’ai appris que Sakayanagi-san a décidé de partir, et grâce à ça, sa classe va perdre 300 points.
Elle, qui détestait plus que tout être un fardeau pour sa classe, la rassura. Mais voyant son attitude, Kanzaki tenta de confirmer ses véritables intentions.
Kanzaki — Si on était sûrs de ne pas perdre de points de classe, tu envisagerais de partir volontairement ?
Amikura — Ka-Kanzaki-kun, ne dis pas les choses comme ça !
Amikura s’énerva en entendant ces mots, qui semblaient briser la volonté d’Ichinose, alors qu’elle venait tout juste d’exprimer son envie de rester.
Norihito — Oui. Fais un peu attention à la formulation de tes propos.
Voyant la situation, Norihito acquiesça avec fermeté.
Ichinose — Ne t’inquiète pas, Mako-chan. Même s’il n’y avait aucune pénalité pour un départ volontaire, je ne quitterai pas l’école.
Amikura poussa un profond soupir de soulagement.
Kanzaki — Dans ce cas, serais-tu prête à accepter un départ bénéfique pour la classe ? Si ton départ signifie gagner 300 pc, que ferais-tu ?
Kanzaki cherchait à obtenir une réponse à une décision irréaliste et absurde.
Ichinose — Les conditions sont différentes, mais si mon départ garantissait la classe A à tous alors je partirais sans hésitation.
Amikura — Non, tu ne peux pas faire ça, Honami-chan !
Ichinose — Je sais. Mais je ne serai jamais forcée de faire un tel choix. J’ai l’intention de me battre avec vous pour que l’on soit diplômé en A.
Shibata — On peut considérer que tu es remise sur pied alors ?
Il demanda cela avec empressement, se penchant en avant.
Ichinose — Oui. Le temps que j’ai pris pour réfléchir m’a aidé à organiser toutes les choses en suspens. Si vous êtes toujours prêts à m’accepter comme votre leader, je continuerai avec vous.
Amikura — Bien sûr, Honami-chan. Notre leader c’est toi et person…
BANG ! Kanzaki frappa brutalement la table, coupant la conversation.
Kanzaki — Ça suffit avec avec le rôle de leader ! Désolé, mais je n’arrive même pas à croire qu’elle soit remise sur pied. Qu’est-ce qui a changé entre hier, où elle était enfermée et déprimée, et aujourd’hui ? C’est juste une façade et un fardeau supplémentaire pour la classe.
Shibata — Hé, Kanza—
Shibata se précipita pour avertir Kanzaki, mais Ichinose l’arrêta calmement.
Ichinose — Oui, tous ces jours enfermés ont été un véritable enfer. Perdre l’examen spécial de fin d’année a été un gros choc pour la classe, et le fait de penser qu’on aurait peut-être pu le gagner l’a rendu encore plus douloureux. J’ai pensé à quitter l’école de nombreuses fois. C’était dur et frustrant, et j’ai pleuré à plusieurs reprises. Mais…
Après une respiration, ses grands yeux se tournèrent vers Kanzaki, puis vers les autres.
Ichinose — Je ne suis plus la même qu’avant. Je suis bien au top !
Kanzaki — Tu as l’air plus énergique, mais sur quoi te bases-tu ?
Ichinose — Je dois vraiment le dire ?
Kanzaki — Bien sûr. Si tu affirmes que tu es remise, il doit y avoir eu un élément déclencheur significatif.
Ce n’était pas une blessure qui pouvait guérir toute seule, fit remarquer Kanzaki. Si elle disait que le temps l’avait guérie, il était prêt à rejeter cette explication comme un mensonge.
Ichinose — C’est vrai. Tous les doutes que j’avais ont été dissipés.
Kanzaki — Les doutes que tu avais ?
Ichinose — Oui. Comment continuer à me battre à partir de maintenant, comment atteindre la classe A sans perdre un seul camarade, si j’ai le droit d’être un leader, tous ces doutes ont été levés.
Kanzaki — … Comment ?
Ichinose — Parce que quelqu’un m’a sauvée.
« Quelqu’un ». Kanzaki fut le seul présent à penser immédiatement à Ayanokôji en entendant ces mots. Après tout, il avait vaincu Ichinose lors de l’examen spécial de fin d’année. Le fait qu’Ichinose ait des sentiments pour lui et qu’Ayanokôji semblait s’intéresser à sa classe semblait secondaire à ce stade. C’est pourquoi les autres pensèrent d’abord à des profs ou amis.
Shibata — C’est incroyable. Qui t’a aidée ?
Shibata, simplement curieux, posa la question sans la moindre suspicion. Comme si elle gravait cette question dans son cœur, Ichinose afficha son regard le plus chaleureux de la journée.
Ichinose — C’était Ayanokôji-kun.
Dès qu’il entendit ce nom tant redouté, Kanzaki afficha immédiatement une expression de colère.
Kanzaki — Ayanokôji est clairement un ennemi. Il t’a vaincue à l’examen spécial de fin d’année, et pourtant, tu dis qu’il t’a sauvée ?
Ichinose — Oui. Ayanokôji-kun m’a sauvée. C’est un fait indéniable.
Kanzaki prit une profonde inspiration, essayant de se calmer et de ne pas laisser sa colère dominer ses émotions. Kanzaki lui-même avait été sauvé par Ayanokôji à plusieurs reprises. Effectivement, tant qu’il était un allié, il était un atout indéniable, mais ce ne fut pas le cas lors de l’examen spécial. Il avait vaincu Ichinose, plongeant sa classe dans le désespoir. Entretenir une amitié à moitié sincère ne menait à rien de bon. Kanzaki en était conscient.
Kanzaki — Sauvé par Ayanokôji, hein ? J’aimerais croire que c’est un mensonge, mais si ce n’en est pas un, c’est un gros problème. Il est même suspect de se demander si tu as vraiment été sauvée.
Son ton accusateur laissa Shibata et les autres à la fois furieux et consternés.
Shibata — Hé, Kanzaki, si Ichinose dit qu’Ayanokôji l’a aidée, on devrait au moins lui en être reconnaissants.
Kanzaki — Mais tu ne sais pas à quel point Ayanokôji est dangereux !
Shibata — Comment ça ? Ayanokôji n’est pas un mauvais gars, non ?
Ici, Kanzaki hésita à révéler toutes les informations qu’il détenait. Le fils du respecté Ayanokôji Atsuomi. Il n’y avait aucun doute sur ses capacités, mais il ne pouvait pas transmettre cela avec ferveur aux autres. Surtout maintenant…
Ichinose — Kanzaki-kun.
Kanzaki — … Quoi ?
Ichinose — Avant que tu n’ailles plus loin, tu pourrais m’écouter ?
Comme si elle avait anticipé ses pensées, les mots d’Ichinose coupèrent momentanément Kanzaki. Ce n’était ni une intimidation ni une menace. Juste son ton et expression habituels qui le laissèrent sans voix sans aucune raison.
Ichinose — Si j’ai perdu l’examen spécial de fin d’année, c’est parce que j’avais été faible mentalement. Peu importe le contenu de l’examen ou l’adversaire, j’aurais dû au moins être à leur niveau, voire au-dessus.
Elle expliqua à ses camarades ses réflexions qu’elles n’avaient pas pu partager.
Ichinose — J’ai perdu contre Ayanokôji-kun parce que j’ai perdu de vue l’essence même de l’épreuve. Je veux que vous sachiez dans quel état psychologique j’étais à ce moment-là.
C’était des sentiments qu’elle n’avait encore jamais exprimés à voix haute.
Ichinose — J’aime Ayanokôji-kun depuis un moment déjà.
Elle laissa ses camarades entendre ses sentiments sans rougir ni paniquer. Shibata fut le plus surpris. Il ouvrit grand la bouche et ne trouva pas les mots. Ichinose continua, sans prêter attention à sa réaction.
Ichinose — J’étais persuadée qu’Ayanokôji-kun pensait aussi à moi à ce moment-là. Mais dès que l’examen a commencé, cette illusion naïve s’est effondrée.
Elle raconta ensuite tout le déroulé que ce soit le fait d’utiliser les droits de désignation de l’intrus d’un commun accord ou bien son implication contre son gré dans l’expulsion de Maezono. Ils écoutèrent tous attentivement cette révélation inédite. En même temps, cela toucha du doigt la véritable nature d’Ayanokôji, que Kanzaki voulait leur faire comprendre. Un élève qui ne se faisait pas remarquer, mais ce n’était qu’une façade. En réalité, il était d’un calme absolu et capable de jugements d’une précision effrayante. Ichinose voulait transmettre sa supériorité avec ses mots et non par ceux de Kanzaki.
Himeno — Ayanokôji-kun est vraiment aussi incroyable que ça ?
Himeno avait du mal à comprendre, et comme si elle-même était en train d’être complimentée, Ichinose lui adressa un regard chaleureux. Himeno pressentait qu’il n’était pas un élève ordinaire, mais elle ne s’attendait pas à cet écart énorme de perception.
Ichinose — Moi aussi… je ne l’ai vraiment compris qu’au cours de cet examen. Ce n’était pas le seul facteur, mais sans Ayanokôji-kun, la classe de Horikita-san ne serait jamais arrivée en classe A.
En réalité, ce n’était pas la classe de Horikita, mais bien celle d’Ayanokôji.
Shibata — Wow, non, wow… wow, Ayanokôji, il est si impressionnant que ça ? Wow…Je ne lui ai jamais vraiment parlé, alors ça me surprend. Mais au final, c’est plus du respect que de l’amour, non ?
Pris de panique, Shibata pria pour qu’Ichinose ne fasse qu’une erreur d’interprétation ou qu’elle se méprenne sur ses propres sentiments.
Ichinose — Je le respecte. Mais plus que ça, j’aime Ayanokôji-kun.
Elle répondit avec assurance, sentant son corps s’échauffer. Ce n’était pas à cause du contact, mais probablement parce qu’elle avait momentanément entrevu un côté d’Ayanokôji que même Karuizawa n’avait jamais vu.
Norihito — Woah… pour que tu dises ça… Qu’est-ce qui s’est passé… ?
Norihito fut stupéfait par les paroles d’Ichinose, qui allaient bien au-delà d’un simple béguin. Son regard se porta brièvement sur Amikura, dont il était amoureux. Amikura, elle, semblait ravie de voir Ichinose capable d’exprimer ses sentiments aussi clairement. Elle avait le sentiment qu’une relation inattendue s’était développée entre eux.
Shibata — Ouais, mais quand même… Ayanokôji a une copine, non ?
Amikura — Shibata-kun… Heu, c’est un peu difficile à dire, mais… J’ai entendu dire que Karuizawa-san et lui ont récemment rompu.
Amikura ne voulait pas briser les espoirs de Shibata, mais elle choisit de l’informer rapidement. Aussitôt, il s’affaissa sur la table et cessa de bouger.
Kanzaki — Bref…, vous avez compris. Nous n’avons aucune chance.
Kanzaki, qui écoutait la discussion d’une oreille distraite jusque-là, profita de l’occasion pour imposer son idée. Il voulait orienter le débat vers une nouvelle stratégie et corriger le cap.
Kanzaki — C’est maintenant qu’on doit passer à l’accumulation de points privés.
Un changement total, abandonnant l’objectif de la classe A. Ichinose avait déjà utilisé les fonds de la classe pour ses camarades, mais elle recommençait à économiser. S’ils maximisaient leur épargne, ils pourraient peut-être obtenir plusieurs tickets pour la classe A.
Norihito — Kanzaki, tu penses vraiment qu’il vaut mieux abandonner ?
Kanzaki — Désolé, mais je ne suis pas en train de demander ton avis, Norihito ou celui des autres. Réponds-moi, Ichinose.
Son optimisme n’était qu’une diversion dans cette situation.
Ichinose — En effet, si atteindre la classe A est difficile, compter sur les points privés n’est pas une mauvaise idée. Même l’ancienne classe A a dû envisager cette option plusieurs fois.
En terminale, c’était une confrontation entre la classe de Horikita et celle de Ryuuen qui se profilait. Certains élèves commençaient à accepter cette réalité.
Ichinose — Mais je crois toujours en notre potentiel. On peut le faire !
Kanzaki — C’est impossible. Je ne crois pas que tu aies vraiment saisi.
Norihito — Hé, Kanzaki. Même si c’est difficile de rattraper notre retard comme tu dis, viser cet objectif n’est pas une mauvaise chose, non ? Avoir un but à atteindre fait une énorme différence sur la motivation.
Peut-être influencé par Ichinose, Norihito tenta de persuader Kanzaki malgré sa mise de sur la touche. Mais sans base concrète, il ne pouvait pas l’accepter.
Kanzaki — C’est inefficace. Bien sûr, vous êtes libres de viser ce que vous voulez, mais naturellement, cette liberté a un coût.
Norihito — Je ne sais pas. Est-ce qu’il y a vraiment un coût ?
Kanzaki — Oui, beaucoup. Si on a un examen où il faut renforcer nos effectifs pour gagner, utiliser des points privés peut être la clé de la victoire. Et ce n’est pas limité à ce cas. Obtenir des informations ou éviter une pénalité coûte aussi des points. Ou alors… si notre classe est confrontée à une expulsion ? Est-ce que vous allez prévoir 20 millions de points privés à chaque fois ?
La stratégie de Kanzaki impliquait de ne pas gaspiller de ressources. S’ils renonçaient à la plupart des batailles, ils pouvaient économiser sur la durée.
Ichinose — Tu comptes abandonner la classe A et tes camarades aussi ?
Kanzaki — Il faut que toute la classe pense de cette manière.
Norihito — Non, pas tout le monde…
Kanzaki saisit ce moment pour continuer à faire pression.
Kanzaki — Himeno, Hamaguchi, et vous ? Vous en pensez quoi ?
Il chercha à rallier ces deux-là comme alliés.
Himeno — Hem… Pour être honnête, c’est une chose à envisager.
Hamaguchi — Oui. Économiser n’est pas une mauvaise idée.
Kanzaki — Vous voyez ? Je ne suis pas le seul. Il y a d’autres élèves dans la classe qui pensent pareil.
Shibata — Vous êtes sérieux là ? Vous plaisantez, j’espère. Sacrifier nos amis pour transférer une ou deux personnes en classe A ? C’est hors de question. On gagne ou on perd ensemble, comme convenu.
Jusqu’ici affalé sur son bureau, Shibata releva la tête et prit la parole. Ses yeux étaient légèrement humides, mais il ne pouvait pas rester silencieux.
Ichinose — Moi aussi, je pense comme Shibata-kun.
Shibata — V-Vraiment… ? Ichinose… ?
Voyant le sourire approbateur d’Ichinose, Shibata sentit son cœur se briser encore plus et enfouit son visage dans le bureau.
Kanzaki — Assez avec cet idéalisme.
Ichinose — C’est vrai que c’est de l’idéalisme.
Face à la remarque de Kanzaki, Ichinose acquiesça immédiatement.
Ichinose — Jusqu’ici, nous avons combattu sans expulser personne. C’est indéniablement une force, mais on ne peut pas nier que nous avons perdu des points de classe en conséquence. Cependant… parfois, ces idéaux portent leurs fruits.
Elle répondit avec assurance, mais Kanzaki ne voyait aucune vision claire dans ses paroles. Cela ressemblait simplement à des rêves et des idéaux irréalistes.
Ichinose — Encore une fois, je veux obtenir mon diplôme en classe A sans perdre un seul camarade.
Kanzaki — Même si tu sais que c’est impossible ?
Ichinose — Non, ce n’est pas impossible.
Kanzaki — Je ne peux pas croire ça. Je reconnais que tu t’es remise mentalement, mais ne parle pas de la classe A à la légère.
Ichinose — Tu as raison. Il ne suffit plus de simplement dire que c’est possible, il faut qu’on le prouve avec des actes. Ces deux dernières années, nous sommes passés de la classe B à la classe D.
Prenant en compte les paroles pointues de Kanzaki, Ichinose hocha la tête comme si cela allait de soi.
Ichinose — Mais pouvez-vous attendre jusqu’au lendemain de la fin des vacances de printemps ?
Kanzaki — Tu es en train de dire que tu prouveras cela d’ici là ?
Ichinose — Oui. Si la réponse ne te satisfait pas à ce moment-là, alors j’examinerai sérieusement ta proposition, Kanzaki-kun.
La stratégie passerait d’un objectif de victoire en points de classe à une accumulation de points privés. Si Ichinose acceptait, leurs camarades suivraient, bien qu’à contrecœur. Il restait encore quelques jours et le temps était précieux, mais cela valait la peine d’accepter ces conditions.
Kanzaki — Tu ne reviendras pas sur tes paroles ?
Ichinose — Non. Je n’ai ni le droit ni la qualification pour garantir que je pourrai faire obtenir à tout le monde un diplôme en classe A. Mais je promets d’amener notre classe dans une lutte équitable pour ça.
Ichinose balaya du regard ses camarades rassemblés, cherchant leur approbation. Bien que confus, ils hochèrent la tête, repoussant la conclusion pour plus tard. Puis, Ichinose redevint elle-même. Avec joie et tristesse, elle partagea les événements des deux dernières semaines.
Shibata voulait demander à propos d’Ayanokôji durant tout ce temps. Cependant, peut-être en pensant qu’il était difficile de poser des questions sensibles devant les autres, il finit par ne rien dire. Rien n’avait encore évolué. S’accrochant à cet espoir, il décida d’attendre. L’atmosphère chaleureuse au sein de la classe d’Ichinose était de retour. Kanzaki observait cela d’un regard froid, mais il endura, ayant promis d’attendre quelques jours de plus. Puis, alors qu’il se levait pour aller se laver les mains, Ichinose le suivit.
Ichinose — Kanzaki-kun.
Kanzaki — …Quoi ?
Ichinose — Tu n’as rien à me rapporter ?
Kanzaki — Quelque chose à te rapporter ?
S’arrêtant net et se retournant, Kanzaki ne pouvait pas prévoir où la conversation allait mener. Il regarda Ichinose avec méfiance.
Ichinose — Je considère que les résultats de l’examen spécial sont de ma responsabilité. Cependant, Kanzaki-kun, ne penses-tu pas que tu me doives des explications en tant que représentant sur ton attitude cette fois-là ? Ou alors tu n’as rien à me dire à ce sujet ?
Kanzaki — J’ai combattu sérieusement et j’ai perdu face à Horikita. C’est frustrant, mais c’est la vérité.
Ichinose — Avais-tu décidé avant l’examen de supplier ton adversaire d’abandonner la victoire ?
Kanzaki — Ça, c’est…
Ichinose — Tu avais déjà abandonné la victoire dès le départ. J’aurais aimé que tu nous en parles.
Kanzaki — Tu… Tu as entendu ça de la bouche de Horikita… ? Ou…
Ichinose — Peu importe qui me l’a dit.
Kanzaki — O-oui. Cependant… c’était la seule stratégie que j’estimais gagnante. Je me fiche des apparences, je n’avais pas le choix. À ce moment-là, j’ai jugé que c’était la seule chose que je pouvais faire.
Kanzaki tenta de continuer son explication avec assurance en regardant Ichinose dans les yeux. Cependant, il s’arrêta immédiatement, coupé dans son élan. C’était complètement différent de l’Ichinose qui écoutait les paroles de leurs camarades un instant plus tôt.
Kanzaki — Devant Shibata et les autres, leur dire que j’ai supplié pour obtenir la victoire ferait forcément chuter le moral de la classe. C’est la seule raison pour laquelle je ne l’ai pas dit.
Il finit par donner des excuses désespérées, même s’il n’était pas acculé.
Ichinose — Tu avais conclu que je ne pouvais pas battre Ayanokôji-kun ?
Kanzaki — C’est…
Ses yeux perçants saisirent les véritables intentions de Kanzaki.
Ichinose — Je comprends bien cette anxiété. Je sais à quel point c’est dur de se sentir incompris. Mais, ça ira maintenant.
« Ça ira » ? Kanzaki n’eut pas le courage de lui demander la signification de ces mots.
Kanzaki — Désolé. En effet, ma façon de me battre n’était pas louable…
Ichinose — Si jamais tu rencontres des difficultés, n’hésite pas à venir me consulter. Je serai là pour te soutenir lorsque tu te sentiras seul.
Ce furent des mots doux. Cependant, Kanzaki ressentit un frisson le long de sa colonne vertébrale. C’était comme un avertissement de ne plus jamais prendre de décisions égoïstes. Ichinose se retourna et rejoignit ses camarades. Et lorsqu’elle s’assit, son expression ne semblait pas différente de d’habitude.
Kanzaki — C’était vraiment Ichinose… ?
Ce n’était ni la confiance affichée juste avant l’examen spécial de fin d’année ni l’épuisement visible juste après. Il y avait quelque chose d’étrange, une sensation troublante émanant d’elle.
[1] Kaishaku (介錯人) est un terme historiquement associé au suicide rituel (seppuku), où une seconde personne portait le coup final. Cependant, il possède aussi un autre sens, signifiant prendre soin de quelqu’un et l’assister.