CLASSROOM Y2 V12,5 : CHAPITRE 8

Célébration

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Traduction : Raitei
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Après avoir changé de vêtements et vérifié les actus sur mon téléphone, le son du cuiseur signalant que le riz était prêt résonna dans la pièce. Depuis une semaine, je gagnais du temps pour mes repas, mangeant soit à l’extérieur, soit en achetant de la nourriture au conbini[1]. Cependant, à partir d’aujourd’hui, je comptais revitaliser mon mode de vie basé sur du fait maison. En ouvrant le couvercle du cuiseur, un doux arôme de riz fraîchement cuit se répandit.

Cet arôme, qui éveillait mon appétit, provenait de composés appelés carbonyle, produits lorsque les acides aminés issus de la dégradation des protéines du riz réagissaient avec les sucres issus de la dégradation de l’amidon. Je pris un bol dans ma main gauche et une spatule à riz dans ma main droite. Puis, je servis une portion normale de riz dans mon bol et la plaçai sur le plateau. Ensuite, sans réfléchir, ma main gauche se dirigea vers un autre bol pour servir une portion plus petite… mais elle ne rencontra que du vide.

Moi — Ah… Ce n’est plus nécessaire.

Il semblait que les restes d’une habitude acquise ces derniers mois avaient refait surface. J’ajoutai des accompagnements et une soupe miso au plateau, puis le portai jusqu’à la table du salon. En me retournant, je constatai que la pièce était devenue considérablement plus vide par rapport à il y a quelques jours. Depuis que nous avions commencé à sortir ensemble jusqu’à récemment, les affaires de Karuizawa avaient progressivement envahi mon espace.

Il n’était pas surprenant qu’elles aient disparu d’un coup, et que ma chambre ait retrouvé son état d’origine. D’ailleurs, plusieurs amies de Karuizawa étaient venues récupérer ses affaires accumulées, Satô, Sonoda et Ishikura. Elle-même ne semblait pas encore capable de me faire face, mais c’était bien qu’elle ait des amies pour l’aider. Parmi elles, Satô semblait toujours se demander si Karuizawa avait réellement pris l’initiative de la rupture.

Mais en apparence, la réalité restait inchangée.

Je finis par répéter à plusieurs reprises que c’était moi qui avais été largué. J’étais conscient qu’insister trop lourdement sur un démenti aurait été maladroit. C’était le meilleur choix. Karuizawa Kei, bien que maladroite, était bénie par son apparence, ses amies et sa position au sein de la classe.

De mon côté, j’étais plutôt quelqu’un de l’ombre. Faire croire que c’était moi qui avais mis fin à notre relation ne ferait que ternir son avenir alors qu’elle n’avait commis aucune faute. C’est en mangeant mon petit-déjeuner avec la télévision allumée en bruit de fond que l’écran de mon téléphone s’illumina.

— Bonjour. Si tu as du temps aujourd’hui, on peut se voir ?

Ce message apparut.

Alors que j’envisageais de ne le lire qu’après avoir fini mon repas, un second suivit immédiatement.

— Tu dois bien avoir du temps libre maintenant que tu t’es fait larguer.

Moi — Donc, la nouvelle est déjà parvenue aux oreilles de Horikita.

Je pensais que l’information mettrait plus de temps à circuler, étant donné que nous étions en vacances et que l’école était fermée… Mais peut-être que le réseau d’information des filles se propageait vraiment à la vitesse de la lumière.

À contrecœur, je pris mon téléphone pour lui répondre.

Moi Je suis disponible après 10h.

Horikita — Retrouvons-nous à 11h au café Keyaki alors.

Après ce bref échange de messages, notre rencontre fut fixée.

1

Je retrouvai Horikita à l’entrée du Keyaki, puis nous nous rendîmes au café. Cependant, celui-ci était particulièrement bondé aujourd’hui. Toutes les places étaient occupées, et plusieurs groupes attendaient déjà.

Horikita — C’est embêtant.

Moi — Devons-nous attendre ou changer d’endroit ? Ça m’est égal.

Je laissai le choix à Horikita, qui hésita légèrement.

Horikita — … Très bien, changeons d’endroit. On peut juste trouver un banc quelque part ?

N’ayant aucune objection, j’acceptai sa proposition, et nous nous déplaçâmes. Un banc près des distributeurs automatiques, non loin des toilettes du deuxième étage, était libre. Nous nous y installâmes.

Horikita — C’est moi qui t’invite.

Moi — Vraiment ? Si c’est le cas, j’aurais préféré être invité au café. On y retourne ?

Horikita — Au café, je ne t’aurais pas invité. On y retourne ?

Moi — … Je vois.

Horikita — Alors, que vas-tu faire ? Si tu veux acheter quelque chose avec ton propre argent, je ne t’en empêcherai pas.

Moi — Dans ce cas, un café noir, chaud.

Puisque répondre mal aurait signifié ne pas être invité, je décidai de faire ma demande poliment. Honnêtement, je risquais d’être à court d’argent à l’avenir, donc je voulais économiser autant que possible. Horikita acheta deux cafés identiques au distributeur et m’en tendit un.

Horikita — Profite-en tant qu’il est chaud. Il devrait convenir parfaitement à quelqu’un de célibataire.

Moi — C’est censé me réconforter ou me provoquer ? Lequel des deux ?

Horikita — À ton avis ?

Elle était sûrement…non, sans aucun doute, en train de me provoquer. Après m’avoir observé intensément, Horikita inclina légèrement la tête, intriguée.

Horikita — C’est vrai que toi et Karuizawa-san avez rompu ? J’ai du mal à y croire.

Moi — Il n’y a rien à cacher mais oui, c’est vrai. Où as-tu entendu ça ?

Horikita — Kushida-san était toute excitée de me l’annoncer. Apparemment, tu t’es fait jeter assez brutalement. Tu veux les détails ?

Par précaution, je voulais savoir comment l’histoire s’était répandue.

Moi — J’aimerais bien, oui.

Horikita — Tu aurais pleuré et supplié en t’accrochant aux jambes de Karuizawa-san, en criant que tu ne voulais pas rompre.

… C’était un peu, non, complètement exagéré.

Horikita — Je ne peux pas t’imaginer faire une chose pareille, mais… qui sait ?

Moi — Ahh…

Horikita — Je plaisante. Même Kushida-san ne connaissait pas les détails exacts de la rupture.

J’avais choisi une salle de karaoké justement pour éviter les regards indiscrets. Bien sûr, si Karuizawa avait raconté les choses ainsi, je n’aurais eu d’autre choix que d’accepter et de laisser passer. Mais si la rumeur était allée aussi loin, j’aurais naturellement voulu la nier, donc j’étais soulagé. J’avais anticipé cette situation à un certain degré, mais il y avait des limites. C’était une bonne leçon pour l’avenir.

Moi — Quoi qu’il en soit, je suppose que nous n’étions pas faits l’un pour l’autre.

Horikita — Vraiment ? Pourtant, j’avais l’impression que Karuizawa-san tenait beaucoup à toi.

Moi — Les femmes sont des actrices, non ? Ou peut-être a-t-elle trouvé quelqu’un de mieux.

À mon explication détachée, Horikita prit une expression légèrement troublée.

Horikita — Je ne peux pas nier cette possibilité…

Moi — Pourquoi ce regard si intense ?

Horikita — Je pensais te voir abattu, et j’avais hâte de le constater, mais tu sembles aller très bien.

Si ce n’était pas si important, un simple message ou un appel aurait suffi.

Moi — Tu voulais juste me voir pour vérifier mon état ?

Horikita — Exactement.

Quel sale caractère.

Horikita — Je ne suis pas là pour commenter ta vie amoureuse, alors passons à autre chose.

Moi — Bonne idée.

À cet instant, Horikita en vint enfin au sujet principal.

Horikita — Après l’examen spécial, il y a eu le problème avec Maezono-san, donc l’ambiance n’était pas vraiment à la célébration. Même maintenant, tout le monde semble un peu perturbé.

Moi — C’est possible. Tout le monde était focalisé sur les bouleversements des autres classes.

Dans des circonstances normales, avec un tel résultat, il aurait été logique d’être heureux et de célébrer la victoire. Mais pour l’instant, les discussions tournaient uniquement autour des changements les autres classes.

Horikita — Oui. C’est pourquoi je me disais que, avant de devenir des élèves terminale, nous devrions organiser une petite célébration pour notre promotion avec toute la classe.

Moi — Une célébration pour notre promotion ?

Horikita — Rien de compliqué. Juste réunir tout le monde et porter un toast.

Elle voulait savoir ce que j’en pensais.

Moi — C’est difficile pour les autres élèves d’initier quelque chose comme ça, non ?

Horikita — C’est vrai.

Cette fois, Maezono avait été expulsée pour assurer la victoire. Jusqu’aux vacances de printemps, une atmosphère pesante continuait de peser sur la classe. Horikita pensait qu’atténuer cela, même un peu, serait la meilleure chose à faire.

Moi — Ce n’est pas une mauvaise idée… Non, c’est plutôt une très bonne idée. Mais où comptais-tu l’organiser ?

Horikita — Si près de quarante personnes se réunissent, nous risquons de déranger les autres si nous choisissons mal l’endroit, non ? Du coup, je pensais utiliser une salle de classe un jour où il n’y a pas cours. Ça ne coûterait pas grand-chose, juste des boissons. Que dis-tu de vendredi prochain ?

Ce jour-là, toutes les activités de club allaient être suspendues, ce qui en faisait une date idéale. Il ne restait plus qu’à obtenir l’accord de l’école.

Moi — Ça me va.

Horikita — Tu participeras aussi ?

Moi — Je n’ai aucune raison de refuser.

Horikita — Bien, c’est réglé alors.

Elle semblait satisfaite et soulagée, mais peu à peu, son expression s’assombrit.

Horikita — Il y a une autre raison pour laquelle je t’ai appelé. Tu pourrais trouver ça prétentieux de ma part…

Elle commença à parler, mais s’arrêta quelques secondes, comme si elle cherchait ses mots.

Horikita — Je me demandais si tu allais bien… émotionnellement.

Moi — Émotionnellement ?

Horikita — Tu as priorisé la victoire pour la classe. Et à cause de ça, Maezono-san a été expulsée. Cette décision t’a forcément mis une lourde pression.

Moi — C’est moi qui ai choisi d’endosser le rôle du général. Tu n’as pas besoin de t’inquiéter pour ça, Horikita.

Horikita — Ce n’est pas la première fois. C’était pareil pour Sakura-san. Tu prends toujours sur toi ce que personne d’autre ne veut assumer, tout ça pour aider la classe, non ?

Elle me regarda, les yeux légèrement tremblants.

Horikita — Parce que je suis faible… j’ai placé un fardeau énorme sur tes épaules…

Moi — Tout ce que j’ai fait, je l’ai fait de mon propre chef. Tu n’as absolument pas à te sentir responsable.

Horikita — Je le ressens quand même. Je ne peux pas faire autrement. Mais je suis aussi consciente de mes propres limites.

Elle prit une petite inspiration avant de poursuivre.

Horikita — Je veux au moins te soutenir, ne serait-ce qu’émotionnellement. Si tu ressens le poids de tout ça, parle-moi franchement. Laisse-moi t’aider.

Je comprenais ce qu’elle voulait dire. En effet, si un autre élève avait pris les mêmes décisions que moi, il en aurait sûrement été affecté émotionnellement. Mais malheureusement, je ne possédais pas ce genre de sentiments. Ce qui était efficace et ce qui ne l’était pas. Qui éliminer et qui garder. Je jugeais tout comme une machine.

Il n’y avait aucune raison de faire comprendre cela à Horikita, ni de le lui expliquer. Non… Même si je lui disais la vérité, elle pourrait croire que je faisais juste semblant d’être fort.

Moi — Je comprends ce que tu veux dire, mais je vais bien. Si un jour ce n’est plus le cas, je viendrai te voir, c’est promis.

Horikita — … Tu es sûr ?

Moi — Désolé de t’avoir inquiétée.

Horikita — Ce n’est pas ça… Je voulais juste être là pour toi.

Moi — Ce que tu dis pourrait prêter à confusion.

Horikita — … À confusion ?

Ne comprenant pas l’allusion, elle inclina légèrement la tête.

Moi — Ça ressemblait presque à une déclaration.

Horikita — … Hein ?

Moi — Maintenant que je suis officiellement célibataire, doit-on te considérer comme une candidate potentielle ?

En abordant directement ce sujet, Horikita sembla enfin comprendre où je voulais en venir.

Horikita — … Hah, tu commences vraiment à dire n’importe quoi.

Elle me lança un regard noir, accompagné d’un soupir.

Moi — Plutôt que de penser à l’expulsion, je fais juste semblant d’être fort pour cacher mon chagrin d’avoir été largué. Pardonne-moi.

Horikita — C’est justement ce que je ne comprends pas… Tu ne donnes pas du tout cette impression.

Après cela, nous continuâmes à discuter encore un moment, même après avoir fini nos boissons.

2

Sur le chemin du retour, Horikita se sépara d’Ayanokôji, qui s’était arrêté à une librairie, et se dirigea seule vers le dortoir. La douce brise printanière soufflait légèrement, faisant danser ses longs cheveux au vent.

Horikita — Une candidate potentielle, hein… ?

Elle trouva cette blague plutôt absurde, mais en y réfléchissant, cela faisait déjà deux ans qu’elle avait rencontré Ayanokôji. Il n’était pas étonnant qu’ils soient devenus assez proches pour plaisanter de ce genre de choses. Mais malgré tout, certaines pensées la dérangeaient.

Horikita — Mais il est le seul avec qui je peux parler de cette façon…

Ce n’était pas qu’elle ne voulait pas parler aux autres ainsi. Mais elle ne pouvait pas. Ni avec Kushida, ni avec Ibuki, ni avec quiconque d’autre. Une partie d’elle-même ne pouvait pas leur accorder une confiance totale.

Elle réalisait qu’Ayanokôji occupait une place différente de celle de ses camarades de classe ou de ses amis. Il était plus proche d’elle que n’importe qui d’autre et l’avait toujours observée. Ces deux années passées ensemble avaient brisé les barrières inconsciemment imposées.

Horikita — Mais malgré tout… être sa petite amie…

C’est absurde.

Tout en pensant cela, elle sentit pourtant son cœur battre légèrement plus vite. Un signal corporel insignifiant, qu’elle n’aurait même pas remarqué si son environnement avait été plus bruyant.

Horikita — … Qu’est-ce que c’était, ça… ?

Une sensation de malaise inconnue lui serra le cœur.

De la nervosité ?

Elle rejeta aussitôt cette idée, réalisant que c’était autre chose.

Alors, pourquoi mon cœur s’est-il accéléré… ?

Elle se remémora les paroles pompeuses qu’Ayanokôji avait laissées avant de disparaître de son champ de vision. « Maintenant que je suis officiellement célibataire, doit-on te considérer comme une candidate potentielle ? ».

Quelle attitude condescendante et incompréhensible.

Et puis, pourquoi devrais-je me considérer comme la potentielle petite-amie d’un garçon que je n’aime même pas ?

Qu’est-ce que ça signifie, aimer quelqu’un ?

Et ne pas aimer quelqu’un ?

Elle, qui n’avait jamais été dans la recherche de ces choses, pouvait-elle seulement comprendre cela ?

Horikita — Non, ce n’était qu’une blague de toute façon. C’est ridicule de le prendre au sérieux.

Même si elle tentait de chasser ces pensées encombrantes, elle n’y parvint pas.

Une émotion indescriptible et trouble.

Horikita — … Ça ne va pas, je devrais arrêter d’y penser.

Elle décida de faire le vide dans son esprit.

Elle comprenait que réfléchir davantage ne ferait que l’embourber encore plus dans ses pensées.


[1] Signifie « Convenience store ». Les épiceries/commerces de proximité.

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