Parent et enfant, enfant et parent
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Traduction : Raitei
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Pour les vacances de printemps de cette année, il y avait eu plus de problèmes à gérer que l’année précédente. La plupart avaient été résolus, mais l’un des soucis restants allait probablement être réglé bientôt. Cela dit, je n’y pouvais rien, il fallait laisser le temps faire les choses.
Il était 16h en ce 1er avril. Vêtu de mon uniforme, je quittai le dortoir et me dirigeai vers l’école. J’allais assister à une réunion parent-prof qui commençait à 16h30. Initialement prévue dans le dernier créneau, à 17h, elle avait été avancée après un appel de Chabashira-sensei pendant les vacances de printemps. J’avais donc pris le créneau de Kôenji et lui le mien. Ce changement d’horaire était quelque chose qui préoccupait cet homme.
D’ailleurs, les élèves avaient reçu pour instruction de patienter dans leur salle de classe respective 15 min avant l’heure prévue. Je pouvais donc me permettre d’avancer tranquillement et d’arriver à l’heure. Chaque famille disposait de 15 min pour leur réunion, avec des intervalles de 30 min entre chaque rendez-vous.
Allait-il vraiment venir ?
À ce stade, c’était du cinquante-cinquante, mais pour l’instant, aucune annulation n’avait été signalée.
« Nous ne nous reverrons plus jamais ici ».
Ces mots à l’époque[1] s’adressaient à M. Sakayanagi, et non à moi. Cependant, il était raisonnable de les interpréter comme signifiant qu’il ne remettrait plus jamais les pieds dans cette école.
Pourtant, s’il revenait sur ses paroles et assistait à cette réunion, c’est qu’il y avait forcément une raison.
J’avais envisagé la possibilité qu’Ishigami, qui avait des liens avec cet homme, ait cherché à entrer en contact d’une manière ou d’une autre. Pourtant, à ce jour, il n’avait entrepris aucune action.
Moi — Je suppose qu’y réfléchir ne sert à rien, après tout.
Puisque cela relevait de considérations totalement distinctes de la vie scolaire, les choses allaient probablement suivre leur cours naturellement.
Bien qu’il soit habituel de tenir des réunions tripartites dans les salles de classe, cette école, peut-être par respect pour la vie privée des familles, utilisait des espaces tels que la salle d’accueil, la salle de consultation et la salle du conseil des élèves. Pour la classe de Horikita, la salle de consultation avait été désignée comme lieu de réunion, ce qui était un peu éloigné de la salle de classe où nous attendions.
Assis à mon bureau dans la salle vide, j’attendis que l’heure arrive. Dix minutes avant l’heure prévue, je reçus un message de Chabashira-sensei. La réunion précédente s’était terminée, et elle m’invita à venir.
Bon… Il est temps de se débarrasser de cette réunion.
1
Alors que j’arrivais devant la salle, Chabashira-sensei, qui se tenait devant la porte, me remarqua. Il restait environ cinq minutes avant l’heure de la réunion, mais cet homme n’était toujours pas là.
Moi — Mon père n’est pas encore arrivé. Sera-t-il absent ?
Mlle Chabashira — Non, je n’ai reçu aucune notification en ce sens.
Je n’allais donc pas obtenir la réponse que j’attendais. Cependant, il n’était toujours pas encore là, et Chabashira-sensei semblait un peu anxieuse. En tant que professeur principal, elle devait aussi gérer l’organisation globale des réunions. Puisqu’on ne pouvait rien faire d’autre qu’attendre, nous restâmes silencieux à observer le couloir, laissant passer une ambiance pesante. Peut-être pour rompre avec le malaise, Chabashira-sensei aborda un autre sujet.
Mlle Chabashira — À propos de Chie… Tu l’as revue depuis ?
Moi — Non, je ne l’ai pas encore contactée.
Mlle Chabashira — Je vois. Je sais que je n’ai rien à attendre d’un élève…
Moi — Ça prendra du temps, mais comme je l’ai mentionné l’autre jour, je ferai quelque chose pendant les vacances de printemps.
Mlle Chabashira — Que comptes-tu faire ? Chie semble bien décidée à me faire tomber. Je doute qu’elle se laisse convaincre si facilement.
Moi — Je comprends ce que vous voulez dire, mais dans ce cas, seriez-vous prête à renoncer à votre poste de professeur principal ?
Si Chabashira-sensei abandonnait, Hoshinomiya-sensei serait satisfaite.
Elle passerait l’année suivante en jouant comme il faut son rôle de professeur.
Mlle Chabashira — Ça… c’est quelque chose que je ne peux pas faire. J’ai le devoir de veiller sur vous tous.
Moi — Alors il est aussi important d’attendre patiemment. Chabashira-sensei, vous ne devriez pas agir de manière irréfléchie.
Elle avait besoin de patience et de courage. Je n’avais d’autre choix que de lui faire comprendre que continuer à observer était la meilleure solution.
Mlle Chabashira — …Compris. Mais s’il se passe quoi que ce soit, contacte-moi immédiatement.
Moi — Oui. D’ailleurs, je vous fais confiance et je compte sur vous.
Je l’avais sûrement pris de court en disant ça. Maintenant, cet homme allait-il venir ou pas ? Regardant le couloir, j’entendis de légers bruits de pas. Alors que l’heure prévue approchait de plus en plus, il apparut, semblable en tout point à l’an dernier. Il nous remarqua immédiatement, mais réduisit la distance sans afficher la moindre réaction.
Mlle Chabashira — Nous vous attendions. Je suis Chabashira, son professeur principal.
M. Ayanokôji — Ayanokôji. Merci de me recevoir.
Il répondit avec une expression grave avant de me jeter un bref regard.
M. Ayanokôji — Cela fait un moment, Kiyotaka. Je suis heureux de voir que tu vas bien. Ta vie scolaire se passe bien ?
J’aurais presque pu croire à une blague, mais il semblait bel et bien décidé à jouer son rôle de père devant elle. Si c’était le cas, jouer le jeu allait être facile. Pour le moment, je devais bien le considérer comme mon « père ».
Moi — On peut dire ça. J’ai réussi à me faire quelques bons amis.
M. Ayanokôji — Ah, c’est une bonne chose à entendre.
Aucun de nous ne croyait vraiment à ce qu’il disait, mais Chabashira-sensei poursuivit.
Mlle Chabashira — Veuillez entrer, je vous prie.
Elle sourit, ouvrit la porte et nous fit signe d’entrer dans la salle. Nous prîmes place côte à côte sur les chaises disposées à l’intérieur, tandis que Chabashira-sensei referma la porte pour s’assoir en face de nous.
Mlle Chabashira — Tout d’abord, même brièvement, je souhaiterais vous faire un compte rendu sur les résultats scolaires et la vie lycéenne d’Ayanokôji Kiyotaka-kun au cours des deux dernières années.
Elle fit glisser sur la table deux copies des documents qu’elle avait préparés à l’avance. Mon père en prit une et commença à l’examiner. Je fis de même.
Mlle Chabashira — Pendant que vous les consultez, permettez-moi de vous expliquer. Concernant son attitude quotidienne et en cours, je ne relève pas de problème. Il est très responsable alors soyez rassuré.
Deux ans de vie scolaire s’étaient écoulés. Des examens écrits et spéciaux avaient été organisés, et les résultats étaient consignés. L’école évaluait ses élèves en notant leurs points forts et leurs points faibles.
M. Ayanokôji — Puis-je poser une question ?
Mlle Chabashira — Bien sûr. Que voulez-vous savoir ?
M. Ayanokôji — Qu’est-ce que cet OAA ?
Tout en jouant le rôle d’un père ordinaire soucieux de l’évolution de son enfant, il pointa du doigt le document.
Mlle Chabashira — C’est un nouveau système. Vous pouvez le considérer tel un bulletin simplifié. Il est mis à jour mensuellement et l’évaluation des performances fluctue en fonction des capacités du moment.
M. Ayanokôji — C’est une initiative intéressante.
Il n’était pas facile de saisir l’ensemble des informations d’un seul coup d’œil, malgré le détail, mais ça permettait d’obtenir une vue d’ensemble rapide. Au 31 mars de cette année, mon OAA semblait être le suivant :
Ayanokôji Kiyotaka
- Capacité académique : A (87)
- Capacité physique : B (73)
- Adaptabilité : C (54)
- Contribution sociale : B (70)
- Capacité globale : B (71)
M. Ayanokôji — Pourriez-vous me dire comment il se positionne par rapport aux autres élèves ?
Mlle Chabashira — Il fait partie des 5 % les plus performants de la promotion. Je pense qu’on peut le considérer comme un élève modèle, ou peut-être même au-delà de cela. L’OAA établit une moyenne des résultats obtenus au cours des deux dernières années, mais rien que ces six derniers mois, il a montré une progression exceptionnelle.
À la même période l’an dernier, ma capacité globale était de 51.
En y repensant, elle avait effectivement beaucoup augmenté.
M. Ayanokôji — C’est rassurant. En tant que parent, cela me permet de suivre son évolution l’esprit tranquille.
Mon père déclara cela en hochant la tête avec conviction. La conversation parent-professeur se poursuivait sans accroc. Pendant ce temps, j’écoutais en silence, acquiesçant et répondant lorsque c’était nécessaire. Après avoir expliqué les documents, Chabashira-sensei passa au sujet suivant.
Mlle Chabashira — Alors, Ayanokôji-san, que pensez-vous de l’orientation future de Kiyotaka-kun ?
M. Ayanokôji — Que voulez-vous dire ?
Mlle Chabashira — Au vu de ses capacités académiques, je pense qu’il devrait viser une université prestigieuse. Les études ne font pas tout dans la vie, mais selon moi, lui offrir un environnement où il pourra exploiter pleinement son potentiel serait le meilleur choix.
M. Ayanokôji — Bien sûr. En tant que parent, je serais heureux que mon fils intègre une bonne université. Mais le plus important c’est ce qu’il pense, lui. S’il n’en a pas l’intention alors aucun intérêt à discuter ici.
Chabashira-sensei sembla satisfaite de la réponse de mon père, puis tourna son regard vers moi. Il semblait qu’on attendait de moi une réponse type.
Moi — Si mes parents m’y autorisent, je pense que poursuivre mes études ne serait pas une mauvaise option.
M. Ayanokôji — Je n’y vois aucun inconvénient. Tu as une fac en tête ?
Moi — Je m’intéresse à celle de mes senpais qui ont pris soin de moi.
Mlle Chabashira — Tu parles de Horikita et Nagumo ?
Moi — Oui, Chabashira-sensei.
Mlle Chabashira — C’est une bonne idée. Les obstacles à surmonter ne sont pas minces, mais c’est tout à fait envisageable.
Chabashira-sensei ravie, comme si cela la concernait personnellement, mentionna le nom de l’université et l’expliqua à mon père.
M. Ayanokôji — Je vois… L’une des trois grandes universités nationales…
Mon père fit mine d’être impressionné, comme s’il jouait un rôle.
M. Ayanokôji — Si c’est ce que tu souhaites, alors tu devrais sans aucun doute viser cet objectif.
Mlle Chabashira — C’est une excellente nouvelle. Si ta famille te soutient, c’est très rassurant.
Moi — Oui, en effet.
M. Ayanokôji — Mais Kiyotaka, même si je ne m’oppose pas à ce que tu vises l’université, que vois-tu au-delà de ça ?
Quel tournure étrange… Mon père voulait connaître mon avis. Cette mascarade allait-elle continuer jusqu’à la fin de la réunion ? Il n’était pas obligatoire d’utiliser tout le temps imparti et nous étions déjà à la moitié. Arrêter la réunion ici n’était pas déconnant. Surtout qu’il n’était pas là pour faire semblant de jouer au père. Il faisait donc exprès de prendre le temps.
Moi — Au-delà ?
Tout en feignant de réfléchir, je réévaluai les intentions de mon père. Il allongeait une réunion qui aurait pu se terminer en cinq ou dix minutes, observant ce que cela pouvait provoquer. Que se passerait-il si la réunion dépassait l’horaire prévu ? Naturellement, cela aurait un impact sur la réunion suivante avec la famille de Kôenji. Autrement dit, il cherchait à créer un prétexte pour établir un contact sous couvert d’une coïncidence.
M. Ayanokôji — C’est exact. Entrer dans une université prestigieuse est une chose admirable, mais quel en est le but ? Quels sont tes projets d’avenir ? Je veux entendre ta réponse avant de valider ton orientation.
Chabashira-sensei, ignorante des manigances de mon père, écoutait avec enthousiasme cette conversation père-fils.
Moi — Je suis désolé, mais je n’ai encore rien décidé. C’est trop tard si j’y réfléchis une fois à l’université ?
M. Ayanokôji — Non, si rien n’est pas encore décidé, ce n’est pas un problème. Cependant, si tu considères l’université uniquement pour faire plaisir à tes parents et que cela t’éloigne de ce que tu veux réellement poursuivre, alors c’est une erreur.
Moi — Et si je veux travailler, tu l’accepterais père ?
M. Ayanokôji — En tant que parent, c’est une évidence.
Moi — Merci.
Il était facile de suivre le mouvement, mais l’atmosphère était loin d’être agréable. Même en sachant que ce n’était qu’un rôle, observer mon père de si près n’avait rien de plaisant.
Par la suite, il continua d’échanger des trivialités avec Chabashira-sensei, jusqu’à finalement utiliser tout le temps imparti… et même légèrement le dépasser.
2
Cette pénible réunion parent-professeur prit fin, et nous nous levâmes tous les trois. Ces quinze minutes avaient semblé interminables.
M. Ayanokôji — Merci pour aujourd’hui.
Mon père s’inclina poliment devant Chabashira-sensei, qui s’empressa de répondre avec une profonde révérence.
Mlle Chabashira — Non, merci à vous d’être venu malgré votre emploi du temps chargé.
Avec cela, son rôle était terminé. Enfin, c’est ce que j’aurais aimé penser… mais ces espoirs s’évaporèrent instantanément.
M. Ayanokôji — Au fait, Sensei. Cela n’a rien à voir avec mon fils, mais pourrais-je vous retenir un instant ?
Juste après avoir quitté la salle, mon père s’adressa à Chabashira-sensei, qui s’apprêtait à nous raccompagner.
Mlle Chabashira — Bien sûr. Quelque chose qui vous préoccupe ?
En vérité, elle aurait préféré contacter Kôenji dans la foulée, mais comme elle ne pouvait pas le renvoyer brusquement, elle continua de répondre avec sérieux, sans montrer la moindre réticence. Heureusement, cette discussion ne me concernait pas. Je l’écoutais distraitement, l’esprit vide.
Regardant par la fenêtre, je n’avais qu’une envie : rentrer chez moi. Ne pouvant pas utiliser mon téléphone, je ne savais pas exactement l’heure qu’il était, mais leur échange dura probablement cinq minutes. Alors que des signes d’impatience apparaissaient sur le visage de Chabashira-sensei, mon père hocha finalement la tête d’un air satisfait.
M. Ayanokôji — Vous avez répondu à toutes mes interrogations.
Mlle Chabashira — Tant mieux.
Cette période, mélangeant tension et relâchement, toucha à sa fin alors que Chabashira-sensei poussa un léger soupir de soulagement.
M. Ayanokôji — Merci d’avoir pris le temps aujourd’hui.
Mlle Chabashira — Merci à vous d’avoir fait le déplacement jusqu’à l’école. Je pense que Kiyotaka-kun est également ravi.
Non, je ne l’étais pas. Cependant… pour adopter une posture mature, j’acquiesçai fermement. Mon père remercia une dernière fois Chabashira-sensei, puis, juste avant de partir, il posa son regard sur moi.
M. Ayanokôji — Ne te surmène pas trop pour ta dernière année.
Moi — Ouais…
Après un court instant de silence, cette réunion finalement très banale prit fin. Sans s’attarder davantage, mon père tourna les talons et s’éloigna rapidement.
Mlle Chabashira — Il a l’air aimant. Je ne l’imaginais pas comme ça.
Comme prévu, Chabashira-sensei voyait en nous une relation normale.
Moi — C’est possible.
Il n’y avait aucun intérêt à lui expliquer quoi que ce soit d’autre.
Mlle Chabashira — Bon… un obstacle de franchi, mais il en reste un dernier. Une fois cela réglé, je pourrai enfin souffler un peu.
Moi — Kôenji, c’est ça ? J’espère que ça se passera aussi calmement que pour nous.
Mlle Chabashira — Exactement. Tu as été coopératif, mais avec Kôenji, c’est difficile d’imaginer comment ça va tourner.
Elle espérait sans doute qu’il passe de lion à chaton[2] devant ses parents, mais c’était peu probable.
Soudain, Chabashira-sensei fixa le bout du couloir. Suivant son regard, je vis que mon père s’était arrêté pour nous observer. Visiblement, il m’attendait…
Mlle Chabashira — Ton père t’attend. Profites-en pour lui dire ce que tu as à lui dire, tant que tu en as l’occasion.
Moi — Je vais y aller.
Nous avions pourtant déjà suffisamment parlé. Comptait-il prolonger cette mascarade rien qu’entre nous deux ? Ou bien allait-il enfin passer à l’action contre moi ? Quoi qu’il en soit, il était impossible d’y échapper. Il ne me restait plus qu’à encaisser. Je m’inclinai légèrement, puis Chabashira-sensei retourna rapidement dans la salle. À contrecœur, je me dirigeai lentement vers mon père… non, vers cet homme. Je m’arrêtai à ses côtés, mais il ne prit pas la parole immédiatement.
Moi — Il n’y avait aucune raison d’attendre autant n’est-ce pas ?
Je pouvais l’ignorer, mais j’avais choisi de parler pour comprendre. Même s’il avait un objectif précis en tête, il n’allait pas être facile de le lui faire avouer.
M. Ayanokôji — Nous sommes père et fils, après tout. Je me suis dit que nous pourrions au moins échanger quelques mots.
Moi — Père et fils, hein ? Malheureusement, je n’ai jamais vu notre relation sous cet angle.
M. Ayanokôji — J’imagine que non.
Une chose était certaine : je n’éprouvais aucune rancune particulière envers cet homme. Notre lien s’apparentait bien plus à celui d’un professeur et d’un élève qu’à celui d’un parent et de son enfant.
Non… Même cette expression était peut-être incorrecte. Il s’agissait d’une relation hiérarchique plus distante encore, un fossé insurmontable.
M. Ayanokôji — Depuis un an, je me creuse la tête pour décider de ce que je ferai de toi après ta remise de diplôme.
Moi — Pas besoin d’explications, je comprends. Et je n’ai pas l’intention de m’y opposer.
M. Ayanokôji — Je vais te nommer à la tête de la White Room et créer la prochaine génération qui te surpassera.
Malgré mes mots, cet homme prit la peine de le mentionner clairement.
M. Ayanokôji — Si je pense « long terme », c’est l’option la plus sûre. Si tu deviens le leader et que tu administres la White Room, d’ici vingt ans, j’aurai peut-être enfin ce groupe d’élite que je désire tant.
En imaginant cet avenir, il parla d’un ton indifférent.
M. Ayanokôji — Mais cette option sûre repose sur un futur lointain, et franchement, ce n’est qu’un vœu pieux. Tout comme la situation mondiale change d’instant en instant, mon environnement a considérablement évolué en seulement un an.
Moi — Ce n’est pas comme si j’étais intéressé.
M. Ayanokôji — Je me fiche aussi de ton environnement. Ce qui importe, c’est comment exploiter ce talent.
Moi — Et du coup ? Qu’est-ce qu’on doit attendre de moi ?
M. Ayanokôji — Tu dois bien avoir une idée, non ?
Son regard s’accrocha au mien. Que ce soit son intuition ou autre chose, il manipulait habilement la conversation pour semer une confusion profonde.
Moi — Qui sait.
M. Ayanokôji — Quoi qu’il en soit, la préparation prendra du temps. Fais ce que tu veux pendant encore un an. Je n’interviendrai pas du tout.
Il allait donc laisser finir ma scolarité tranquillement. Mais je n’avais aucune confiance en lui. Il ne m’aurait pas surpris s’il changeait d’avis le lendemain en m’envoyant nouvel assassin de manière éhontée.
Moi — Et si je changeais d’avis et entrais en rébellion ?
M. Ayanokôji — Te rebeller ? Peu probable. Tu devrais être capable de tout comprendre. Pour démontrer pleinement ta valeur et ta raison d’être, ma coopération est essentielle. Mais si tu venais à te dresser contre moi… il n’y aurait qu’une seule issue.
Ce n’était pas une question de liberté, mais de vie ou de mort. Que je sois son fils biologique ou non… cela n’avait aucune importance pour lui.
M. Ayanokôji — Peu importe à quel point tu fais confiance en ta force, une balle perdue peut mettre fin à tout en un instant.
24h/24, 365 jours/an. Il est impossible de se protéger complètement. En réalité, dans la White Room, j’avais été tué un nombre incalculable de fois en simulation. Une attaque dans mon sommeil. Un tir provenant d’un angle mort. Ou un piège dissimulé dans ma nourriture. Bien que j’aie été formé pour aiguiser mon instinct au maximum et améliorer mon taux de survie, j’avais aussi appris que la vie n’était jamais absolue.
M. Ayanokôji — Ne pense pas à des choses inutiles, Kiyotaka.
Cette histoire absurde de poursuite d’études était comprise dedans.
M. Ayanokôji — Si tu veux que cela continue ainsi, tu devras continuer à me prouver que tu m’es bénéfique.
Moi — Ho ? Ah oui ? Comment au juste ?
Il parlait comme s’il était incapable d’imaginer que je puisse avoir la moindre envie. Effectivement, je n’avais aucun désir matériel.
Moi — Qu’est-il arrivé à Yagami, qui avait été envoyé pour m’expulser… non, pour évaluer mon état ?
M. Ayanokôji — C’est donc ce que tu veux savoir ?
Cela m’importait peu, mais pour Amasawa, c’était une autre histoire.
M. Ayanokôji — Je l’ai éliminé. C’est ce que j’aurais dit jusqu’à l’an passé.
Il marqua une pause, affichant une mine indéchiffrable, avant de poursuivre.
M. Ayanokôji — Cela dit, il faisait partie des élèves les plus prometteurs de la White Room. Il est actuellement en rééducation.
Moi — De la rééducation, hein ?
M. Ayanokôji — Contrairement à toi, je lui ai donné trop d’émotions. On peut aussi voir cela comme un test pour les lui retirer.
Moi — Alors, Amasawa suivra-t-elle le même chemin que Yagami ?
M. Ayanokôji — C’est exact. Mais je vais la laisser ainsi encore deux ans. Après son diplôme ou une éventuelle expulsion, je la récupérerai et j’étudierai ses différences avec Yagami.
Moi — J’espère qu’elle se montrera docile.
M. Ayanokôji — Nous les formons pour qu’ils obéissent. Tout comme toi, malgré ton talent, tu ne peux pas te rebeller facilement contre moi. Et si, par hasard, elle refusait d’obéir, elle en paiera le prix.
Il n’est pas si simple d’influencer entièrement la vie d’une personne, encore moins d’avoir un droit de vie ou de mort. Mais cet homme le pouvait. Du moins, pour les enfants destinés à entrer au sein de la White Room avant même leur naissance, il connaissait sans doute les moindres détails de leur passé.
Même si Amasawa développait une forme de rébellion durant sa vie scolaire, il suffirait d’utiliser Yagami comme levier contre elle. Amasawa ne pouvait pas abandonner Yagami. C’était précisément parce qu’elle avait été chargée d’émotions que cela finirait par se retourner contre elle.
Non… indépendamment de ces émotions, le résultat pourrait bien être le même. Objectivement, Amasawa semblait avoir les moyens d’ignorer les ordres de cet homme. Sauf si l’adversaire était un traqueur d’exception, elle s’en sortirait.
Il était également envisageable d’exposer l’existence de la White Room au grand public et de saboter le projet par la force. Cependant, je ne pensais pas qu’Amasawa ferait une telle chose. Pour l’instant, même moi, je n’y avais pas réfléchi. Il serait plus juste de dire que c’était impensable. L’éducation reçue dès le plus jeune âge était profondément ancrée, bien trop pour être effacée.
M. Ayanokôji — Tu tiens donc à Yagami et Amasawa, hein ?
Moi — Même si je ne les connaissais pas personnellement, ils sont comme des petits frères et sœurs pour moi.
M. Ayanokôji — Amusant. Il semblerait que ces deux années passées comme un élève ordinaire aient définitivement laissé une trace en toi.
Il n’y avait absolument rien d’amusant dans l’éducation de la White Room.
Moi — Ce changement en moi serait-il une bonne chose ? Ou non ?
M. Ayanokôji — Plutôt une bonne chose. Tu étais une machine parfaite dans la White Room, pour le meilleur et pour le pire. Le fait qu’un semblant d’humanité ait émergé en toi sera un atout à l’avenir.
Si, au final, il pouvait le contrôler, ce n’était pas un sujet d’inquiétude.
Moi — Maintenant que j’ai tout dit, je peux partir ?
M. Ayanokôji — Ne sois pas pressé. Les occasions de discuter avec moi ne sont pas fréquentes.
Moi — Ce n’est pas comme si je les cherchais de toute manière.
De façon inquiétante, cet homme continuait à perdre du temps.
M. Ayanokôji — Tout à l’heure, ton professeur a mentionné dans la conversation que la classe a progressé grâce à tes efforts. Ce n’est qu’un petit monde limité à une salle de classe, mais la faire monter en classe A n’est pas une mauvaise chose. Bien joué.
Moi — C’est surprenant d’avoir un éloge d’un détail aussi trivial.
M. Ayanokôji — Avec tes capacités, monter en classe A ne devrait pas être un problème. Ce n’est pas pour cela que je te félicite, mais pour ton attitude visant à atteindre le sommet. Avant d’entrer dans cette école, tu ne te serais jamais soucié de telles choses.
Moi — Peut-être. Mais il y a méprise. Je ne fais pas cela pour atteindre le sommet. Pour preuve, je prévois de passer dans une classe inférieure.
M. Ayanokôji — Ho ? Tu comptes redescendre volontairement ? Faire grimper une classe au sommet, puis la faire plonger tout en bas ?
Moi — Qui sait ? Ce pourrait être ça… ou peut-être pas.
À ce sujet, je laissais simplement les choses suivre leur cours. Ne pas chercher à fixer un résultat précis rendait les choses plus intéressantes à mes yeux.
M. Ayanokôji — C’est intrigant, je dois dire.
Je n’avais aucune intention de perdre plus de temps ici, mais il ne semblait toujours pas prêt à me laisser partir.
M. Ayanokôji — Ton objectif est…
J’en avais assez. Alors que j’allais lui répondre directement, j’entendis des pas monter les escaliers. C’était l’heure pour la famille Kôenji d’arriver. Au moment où l’auteur de ces pas apparut, l’expression de cet homme changea radicalement. C’était le père de Kôenji. Il était grand et avait une carrure imposante. En nous apercevant immobiles au bout du couloir, il termina de gravir les marches, puis s’arrêta un instant. Saisissant ce timing, cet homme se mit en mouvement et prit la parole.
M. Ayanokôji — Ne serait-ce pas là notre cher président[3] Kôenji ?
Celui qui venait de bloquer le passage de manière volontaire avança d’un pas, feignant la surprise, et inclina légèrement la tête. À l’endroit même où se tenaient les réunions, une rencontre mise en scène entre certains pères et fils venait d’avoir lieu. M. Kôenji fixa cet homme sans prononcer un mot. Sa prestance et son aura intimidante étaient impressionnantes.
M. Kôenji — Excusez ma curiosité, mais qui êtes-vous ?
Sans perdre une seconde, il sortit une carte de visite, la tendant à Kôenji père.
M. Ayanokôji — Je vous prie d’excuser cette introduction tardive. Je suis Ayanokôji Atsuomi, membre du Parti Kyôei. Depuis longtemps, je souhaitais vous rencontrer. De là à imaginer que cela se produise ici, lors de ces réunions. La vie fait bien les choses.
M. Kôenji — Il est dans mes principes de refuser les cartes de visite inutiles.
M. Ayanokôji — Vraiment ? Alors, je m’efforcerai de la rendre acceptable à vos yeux. Si possible, pourrais-je vous demander un peu de votre temps après votre réunion avec votre fils ? Je vous garantis que vous ne le regretterez pas.
L’homme s’inclina à nouveau. Je ne savais pas pourquoi il s’intéressait au père de Kôenji, et je n’avais pas envie de le savoir. Quoi qu’il en soit, je voulais qu’il gère cette situation seul.
M. Kôenji — Désolé, mais j’ai un rendez-vous après cette réunion tripartite. Je vais devoir décliner.
Il s’était approché sous couvert d’une rencontre fortuite, mais il semblait que le père de Kôenji avait vu clair dans son jeu. Cet homme n’allait pas lâcher aussi facilement, mais restait à voir comment il allait réagir.
M. Ayanokôji — …Je vois. Ce rendez-vous dont vous parlez m’intéresse beaucoup, Président Kôenji.
Il releva légèrement la tête en prononçant ces mots, comme s’il avait déjà fait ses recherches et compris la situation interne. C’était une menace implicite. À ce stade, cette rencontre soi-disant fortuite était pratiquement dévoilée comme un mensonge. Il savait pertinemment que cela ne laisserait pas une bonne impression. Mais s’il pouvait forcer une conversation, il croyait pouvoir l’amener sur son propre terrain.
M. Kôenji — Il est l’heure. Si vous voulez bien m’excuser.
Après ces paroles, cet homme s’écarta lentement. Alors qu’ils se croisaient, mes yeux rencontrèrent un instant ceux du père de Kôenji. L’intensité et la netteté de son regard surpassaient même celles d’Ayanokôji Atsuomi. On pouvait dire que ce n’était pas seulement une question de statut ou de titre, mais une manifestation de confiance provenant d’un corps parfaitement maîtrisé. Bien qu’il ne fût plus au top physiquement, étant dans la quarantaine ou cinquantaine, je pouvais ressentir qu’il était un homme d’une puissance incommensurable. Le talent de Kôenji venait sans aucun doute de lui.
M. Kôenji — Pour un enfant, tu sembles…
Il s’apprêtait à me dire quelque chose, mais il s’interrompit. Sans s’arrêter, il se dirigea droit vers la salle au bout du couloir.
M. Ayanokôji — L’attraper ne sera pas facile… Le contraire aurait été surprenant.
Moi — Je savais depuis le début que ma réunion n’avait pas d’intérêt. Le véritable objectif était donc de rencontrer le père de Kôenji.
Ayant remarqué que mon nom était inscrit juste avant celui de Kôenji, il avait décidé de venir à l’école au dernier moment.
L’horaire avait été modifié, bien que cela ne soit probablement pas dû à ses instructions. Cependant, si la date ou l’heure de la réunion tripartite de Kôenji avait été très différente, il ne serait peut-être pas venu.
M. Ayanokôji — Cet homme est sans doute le plus grand soutien du Parti des Citoyens. Il ne se montre pas en public, ne prend pas la parole, mais il est l’un des principaux contributeurs.
Cela signifiait qu’aux yeux de cet homme, il soutenait l’ennemi.
M. Ayanokôji — Si nous pouvions le faire changer de camp, la situation évoluerait de manière significative.
Moi — Alors, ce n’était pas nécessaire de venir jusqu’ici, non ?
M. Ayanokôji — Ça ne fonctionnerait pas autrement. Sa vie privée est entourée de mystère, et il passe la majorité de son temps à l’étranger. Même en essayant vraiment de le coincer, ce n’est en rien aisé.
C’est donc pour cette raison qu’il s’était précipité ici. Il savait que cet homme insaisissable se montrerait à cet endroit.
M. Ayanokôji — Mais il m’a évincé assez facilement.
Comme si cela ne le préoccupait pas, il sortit son téléphone et prit un appel.
M. Ayanokôji — …Oui. Je vais m’adapter.
Après cet échange bref, il raccrocha.
Puis, sans me dire un mot, il commença à descendre les escaliers.
Il avait établi son contact.
À ses yeux, tout moment supplémentaire passé avec moi n’était désormais qu’une pure perte de temps.
N’ayant aucune intention de descendre les escaliers à ses côtés, je me contentai de l’observer s’éloigner.
3
Alors que j’observais son dos disparaître dans l’escalier, Kôenji Rokusuke, le fils, fit son apparition comme pour le remplacer. Il avançait dans le couloir en fredonnant un air. Je pensais qu’il allait simplement passer, mais il s’arrêta en même temps que son fredonnement.
Kôenji — Ayanokôji boy, puis-je avoir de ton temps un instant ?
Moi — Oui. C’est rare que tu viennes me voir en premier.
Kôenji — Cela te dérange-t-il de parler avec moi ?
Moi — Non. Comme ce n’est pas ton genre, ça m’a surpris.
Kôenji esquissa un sourire en coin et repoussa ses cheveux en arrière.
Kôenji — Je voulais te donner un petit avertissement. Ces derniers temps, tes actions sont de plus en plus visibles.
Moi — Visibles ? Je ne vois pas de quoi tu parles.
Kôenji — Ne joue pas les innocents. Par exemple, l’examen spécial.
D’après son ton, ce n’était pas le seul événement auquel il faisait référence.
Moi — Avec Maezono ? C’était un choix que j’ai dû faire pour assurer la victoire de la classe. J’ai expliqué la situation après l’examen, non ?
Kôenji conserva son sourire assuré.
Kôenji — Te souviens-tu de ce que je t’ai dit auparavant ? Que je ne pouvais ni voir la vérité ni le mensonge en toi ?
Moi — Hm, peut-être.
Kôenji — Tes paroles sont souvent teintées d’impuretés. Tu prétends avoir simplement agi pour éliminer un traître et assurer notre victoire. Mais au fond, n’est-ce pas juste une excuse pour faire ce qui te plaît ?
Moi — On dirait que je suis terriblement mal compris.
C’était une perception de moi qui différait de celle de Kushida ou de Karuizawa.
Kôenji — Tu peux peut-être tromper la masse, mais pas moi.
Sans prévenir, Kôenji sortit un petit miroir de poche et le plaça devant moi.
Kôenji — Regarde ton expression dans ce miroir. N’y vois-tu pas la vérité, clairement reflétée ?
Dans le miroir, je ne vis que mon visage habituel.
Moi — Désolé, mais je ne comprends pas. Un miroir n’est qu’un miroir. Il ne reflète que ce qui est devant lui.
Kôenji — Il semble que nous voyons les choses différemment. Ou peut-être que tu fais semblant de ne pas la voir.
Moi — Tu n’as aucun intérêt pour la classe, n’est-ce pas ? Ce qui arrive aux autres ne devrait pas t’importer. Alors pourquoi cet avertissement ?
Kôenji — Si des mouches ou des moustiques bourdonnent sans cesse devant tes yeux, n’essaierais-tu pas de les chasser d’un geste, même si tu n’as aucun intérêt pour eux ? C’est la même chose.
Moi — Dans ce cas, pas besoin de te retenir. Si c’est une gêne pour toi, le plus simple est de les écraser directement.
Je lui suggérais de régler le problème lui-même au lieu d’un avertissement.
Moi — Mais tu ne le feras pas, n’est-ce pas ? Même si c’est agaçant, ce n’est pas une nuisance directe.
Kôenji n’avait jamais été du genre à agir de lui-même sauf si la situation impliquait des débordements physiques, comme avec Yamauchi ou Hirata.
Moi — J’entends mais je n’agirai que selon ma propre volonté.
Même en le poussant, l’attitude de Kôenji ne changeait pas fondamentalement.
Kôenji — Fais ce que tu veux à partir de maintenant. Que tu analyses autrui, quand et où tu le fais, et comment tu poursuis tes désirs… Ceux qui manquent de pouvoir seront écrasés par les plus forts. C’est le destin des faibles. Dans ce monde, ni la morale ni le bon sens ne s’appliquent. Ceux qui ne peuvent rien faire n’ont aucun droit de se plaindre.
C’était bien cela. Kôenji Rokusuke était ce genre de personne. C’est pourquoi je doutais de la raison pour laquelle il s’était arrêté ici. La réunion allait commencer et ce n’était pas le moment de discuter inutilement. Et pourtant, il avait pris la peine de me donner un avertissement. Puisqu’il avait fait la comparaison avec une nuisance persistante, c’était que, d’une manière ou d’une autre, je l’affectais.
Moi — Si tu retiens tes véritables intentions, ne te gêne pas pour les dire. Après tout, je prends déjà le temps d’être ici.
Je décidai d’examiner un peu plus sa réaction. Dans la classe, le gérer était un défi. Je devais confirmer s’il représentait une menace pour Horikita ou non.
Kōenji — Tu comptes vraiment devenir le méchant de l’histoire.
Moi — Tu as compris mes intentions ?
Kôenji — Je les vois comme si je les tenais dans la paume de ma main. J’ai un certain instinct, tu sais ?
Intuitif ou non, la véritable raison importait peu à ce stade. Aucune discussion n’allait poser problème, car il était trop tard pour que cela entraine une gêne.
Kôenji — Quand je suis entré dans cette école, je me disais qu’être un simple élève ordinaire suffisait. Que passer trois années ici en toute tranquillité était une option acceptable.
Il continua, un éclat déterminé dans les yeux.
Kôenji — Mais au fil du temps de cette vie scolaire, j’ai trouvé quelque chose que je voulais faire. Maintenant, j’ai l’intention de poursuivre la chose.
Ses paroles étaient claires et franches.
Kôenji — Je ne veux pas que la lutte pour la classe A se termine avec un ou deux prétendants. Je veux que ce soit un jeu sans fin, entre trois ou quatre classes. C’est tout ce qu’il y a à savoir.

Kôenji — Tu comptes changer de classe pour rééquilibrer les choses ?
Comme prévu, il semblait que Kôenji savait que j’envisageais de partir.
Moi — Je ne vais pas le nier. Que cela puisse se réaliser dépendra des événements à venir. Mais en dehors d’un transfert, je suis prêt à tout pour maintenir l’équilibre entre les classes.
Kôenji — Fais comme bon te semble. Mais j’espère que tu te contenteras de jouer avec ta Little girl et ton Dragon boy
Moi — Désolé, mais je ne peux pas garantir que tout restera dans ces limites. Comme avec Sakura et Maezono, si je juge cela nécessaire, je n’hésiterai pas à expulser Wang Mei-Yui non plus.
Pour Kôenji, qui incarnait l’égoïsme absolu, l’existence de Mii-chan était peut-être la seule exception. Son expression était restée impassible jusque-là, mais cette fois, ses sourcils bougèrent légèrement.
Kôenji — Huhuhu.
Il était le seul à rire à ce moment-là.
Kôenji — Je t’ai dit maintes fois que cela ne m’intéressait pas… Tu me cherches tant que ça ?
Il semblait avoir bien reçu la provocation.
Moi — Qui sait ? Je ne t’ai jamais dit que tu devais faire quoi que ce soit.
Nos regards se croisèrent. Je savais parfaitement qu’il ne visait pas spécialement la classe A. De l’intérieur, je ne pouvais pas agir, mais une fois à l’extérieur, la situation allait changer radicalement. Si je quittais la classe de Horikita, cela aurait un impact majeur sur Kôenji.
Kôenji — Arrête ça. Je reconnais que tu es d’une ingéniosité inhabituelle, mais pas au point que cela fonctionne sur moi. Même les chiffres et lettres qui dansent sur le papier te feront honte si je me mets au sérieux.
Autrement dit il insinuait qu’il pouvait me surpasser même académiquement.
Moi — Si ce ne sont que des paroles en l’air, même Ike ou Hondô pourraient les dire. Peux-tu vraiment le prouver ?
Kôenji — Je n’en ai pas envie. J’apprends volontairement le strict minimum issu des études conventionnelles. Si je devais façonner ma pensée uniquement à partir des connaissances produites par ce monde, mon esprit deviendrait rigide. Ce serait inintéressant et je manquerais d’individualité. C’est évident rien qu’en te regardant.
Il est vrai que j’absorbais une grande quantité du savoir accumulé dans ce monde. J’utilisais ces connaissances comme base pour réfléchir et construire mes raisonnements.
Kôenji — C’est parce que je reste dans l’ignorance que je peux atteindre mes propres réponses et des uniques.
Sa manière de penser était pour le moins singulière, mais ce qu’il disait n’était probablement pas un mensonge.
En effet, malgré ses grandes capacités d’apprentissage, Kôenji semblait volontairement éviter d’absorber tout ce qu’il pouvait.
Puis, il rangea son miroir dans la poche et reprit avant de reprendre marche.
S’il pouvait commencer à agir d’une manière réellement bénéfique pour Horikita, plutôt que d’être un obstacle, ce serait intéressant.
Mais restait à savoir si ce jour viendrait.
Pour l’instant, cela restait incertain.
4
Dans le bureau du proviseur, se tenait Sakayanagi, droit et tendu, lui qui occupait habituellement cette pièce. Après avoir accueilli Kijima, le premier visiteur, un silence pesant s’installa dans la salle. L’atmosphère était si lourde qu’on n’osait même pas soupirer. Puis, un coup retentit à la porte, qui s’ouvrit aussitôt. C’était le signal que Sakayanagi attendait avec impatience : l’arrivée du deuxième invité.
— Monsieur le Premier Ministre, votre invité est arrivé.
À ces mots, Kijima fit un simple geste du bout des doigts pour l’inviter à entrer. Immédiatement après, un homme grand et élancé apparut : Kôenji. Dès que ce dernier avança d’un pas assuré, Kijima se leva et lui tendit la main.
M. Kijima — Cela faisait longtemps, Kôenji-san. J’attendais cette rencontre avec impatience.
M. Kôenji —Moi aussi Monsieur le Premier Ministre. Cela fait trois ans.
M. Kijima — C’est exact.
Tous deux échangèrent une poignée de main ferme avant de s’asseoir.
M. Kôenji — Il semblerait que vos affaires avancent bien.
M. Kijima — C’est grâce à vos efforts, Kôenji-san. Je peux agir à ma guise sans me soucier de ce qui se passe derrière moi.
M. Kôenji — Plus on s’élève, plus on est attaqué, aussi bien par ses alliés que par ses ennemis.
M. Kijima — Oui, je comprends que le monde de la politique fonctionne ainsi. Les troubles sont inévitables.
M. Kôenji — Je suis sincèrement ravi de voir émerger un leader capable de rivaliser sur la scène internationale.
Le respect mutuel entre eux était évident. Même Sakayanagi, qui ne faisait qu’écouter attentivement, le comprit rapidement.
— Attendez, monsieur ! Vous ne pouvez pas faire ça !
Alors que la voix paniquée d’un homme en noir retentit à l’extérieur du bureau, la porte s’ouvrit violemment.
— Excusez-moi.
Ayanokôji Atsuomi fit irruption peu après que les deux hommes eurent pris place. Sakayanagi en resta stupéfait, mais Kijima et Kôenji ne montrèrent aucun signe de trouble.
M. Sakayanagi — Ah, Ayanokôji-sens… !
Il s’interrompit, se reprenant immédiatement.
M. Sakayanagi — …Ayanokôji-san, nous sommes actuellement en pleine discussion avec un invité…
D’un ton hésitant, Sakayanagi s’apprêtait à lui demander de partir. Il fit un pas en avant, mais Kijima leva légèrement la main pour l’arrêter. Puis, affichant un sourire éclatant, il ouvrit doucement les bras comme pour l’accueillir.
M. Kijima — Cela ne me dérange pas du tout. De telles interruptions imprévues rendent parfois les choses plus intéressantes.
Après ces mots, Kijima chercha l’approbation de Kôenji d’un simple regard.
M. Ayanokôji — Mon Dieu, ça alors. Monsieur le Premier Ministre, je ne m’attendais pas à vous voir dans un tel endroit.
Feignant la surprise, il jaugea la situation. Kijima, lui, conserva son calme.
M. Kijima — Il n’y a rien de très étonnant. J’ai été ministre de l’Éducation, de la Culture, des Sports, des Sciences et de la Technologie. J’ai aussi modestement contribué au Lycée kôdo Ikusei.
Il marqua une courte pause avant de poursuivre.
M. Kijima — De plus, ma proximité avec le Président Kôenji est bien connue. En tant que membre de la Diète[4], vous devriez être au courant, Ayanokôji-san.
D’un ton posé, Kijima cherchait visiblement à évaluer la réaction d’Ayanokôji.
M. Ayanokôji — Je suis honoré que vous vous souveniez de moi.
Autrefois une figure clé du Parti des Citoyens et considéré comme la main droite du défunt Naoe, Ayanokôji avait été évincé du monde politique. Mais après avoir changé de parti, il était revenu sur la scène publique. Il nourrissait une certaine fierté vis-à-vis de sa notoriété.
M. Kôenji — Est-ce un homme connu ?
À cette question de Kôenji, Kijima ferma brièvement les yeux avant d’afficher un léger sourire.
M. Kijima — Peu importe qu’il soit connu ou non. Pour un Premier ministre, retenir les noms et visages des membres de la Diète est une évidence.
Il insista sur le fait qu’il connaissait Ayanokôji simplement comme un individu parmi tant d’autres, et non pour ses actions ou contributions. Kijima savait très bien que cette simple remarque pouvait agacer intérieurement un politicien avide de reconnaissance.
M. Ayanokôji — Vous avez un sacré sens de l’humour, Monsieur le Premier Ministre. Vous avez donc retenu tous les noms et visages ?
M. Kijima — Évidemment.
Il répondit cela comme si c’était la chose la plus naturelle du monde. Et pourtant, le nombre de membres de la Diète dépassait les 700. Bien qu’Ayanokôji jugeât immédiatement cela comme un mensonge, il n’avait aucun moyen de vérifier cette déclaration dans la situation actuelle.
M. Kijima — Bien. Maintenant, puis-je savoir ce qui vous amène ici, Ayanokôji-san ?
M. Ayanokôji — J’ai pris la liberté de venir car je souhaitais m’entretenir avec le M. Kôenji. J’avais entendu dire qu’il serait ici.
M. Kôenji — Comment avez-vous obtenu cette information ?
Appuyé sur l’accoudoir, le menton posé sur sa main, Kôenji parla d’un ton intimidant.
M. Ayanokôji — Eh bien, je ne connais pas les détails, mais je pense qu’il s’agit d’un employé de cette école. Il a dû vous voir ici par hasard.
Bien sûr, ce n’était qu’un mensonge. Il avait simplement appris que Kijima et Kôenji allaient se rencontrer ici, à cette heure, après l’examen spécial de fin d’année. Cet échange n’était rien d’autre qu’une façade. Dans cet espace restreint, avec si peu de personnes présentes, il était rare d’avoir l’opportunité de parler à Kijima. Pour Ayanokôji, qui ne craignait pas d’être détesté, c’était une précieuse occasion de les évaluer.
Comparé à sa jeunesse, Kijima semblait plus fragile, moins menaçant. À tel point que certains pouvaient croire qu’ils pourraient aisément l’écraser. Beaucoup penseraient que Kôenji, assis à côté de lui, dégageait une aura bien plus écrasante. Cependant, Ayanokôji savait que ce genre de naïveté pouvait être fatal. Derrière son air d’innocence, cet homme avait tout accompli.
M. Kijima — Cela dit, Ayanokôji-san. Je pensais avoir décliné votre offre.
M. Ayanokôji — Je suis plutôt persistant. Je voulais voir s’il n’y avait vraiment aucun moyen de vous faire changer d’avis.
M. Kijima — En forçant le passage et en entrant ici sans autorisation ?
M. Ayanokôji — C’est juste dans ma nature.
Kôenji commença lui aussi à réévaluer cet homme effronté. Et Ayanokôji fit de même. C’était un moment clé pour déterminer s’ils valaient la peine d’être recrutés comme alliés ou s’ils devaient être éliminés en tant qu’ennemis.
M. Sakayanagi — Je ne vous le conseille pas, Ayanokôji-san. Il vaudrait mieux trouver une autre occasion…
Sakayanagi tenta d’intervenir, ne pouvant plus rester silencieux. Mais au lieu de reculer, Ayanokôji poussa encore plus loin. S’il n’y avait rien à perdre, autant aller jusqu’au bout.
M. Ayanokôji — Peut-être étiez-vous en pleine discussion d’affaires ?
M. Kijima — Non, non. Je suis juste venu voir un vieil ami, rien de plus.
Voyant Kijima nier cela avec douceur, Ayanokôji hocha la tête comme s’il comprenait.
M. Ayanokôji — Dans ce cas, puis-je me joindre à la conversation ?
M. Kôenji — Quelle audace… Vous devez avoir beaucoup d’ennemis.
Lui qui détestait ce genre de personnalité, sembla néanmoins apprécier.
M. Ayanokôji — Oui. Ami ou ennemi, je dis toujours ce que je pense.
M. Kôenji — Le Premier ministre doit en voir des politiciens comme vous.
M. Kijima — Il a autrefois travaillé sous Naoe-san, que je respecte plus que quiconque. Il n’est pas étonnant qu’il ait une telle audace.
Kijima sourit malicieusement, affichant une attitude plutôt positive face à Ayanokôji. Simultanément, Ayanokôji affina son attention. Cet homme… le connaissait vraiment. Il ne le considérait pas comme un simple politicien.
M. Kijima — Si le Président Kôenji est d’accord, nous pourrions poursuivre cette conversation un peu plus longtemps. Vous m’intéressez, Ayanokôji-san. Prenez donc place.
Kijima l’invita à s’asseoir, mais Ayanokôji refusa poliment.
M. Ayanokôji — Je préfère rester debout. Cela me convient bien mieux.
Après cette réponse, Kijima se tourna vers Kôenji pour obtenir son accord. Ce dernier n’affichait pas une grande ouverture, mais il accepta tout de même.
M. Kijima — Votre fils… Kiyotaka-kun ? est élève ici, n’est-ce pas ?
M. Ayanokôji — Vous connaissez donc le nom de mon fils.
M. Kijima — Je retiens bien plus que les noms des politiciens.
Ayanokôji écouta ces mots sans montrer la moindre réaction. Mais Sakayanagi, lui, ne put cacher un léger trouble. Il n’aurait jamais cru que Kijima s’intéressait autant à l’école, même s’il avait observé l’examen spécial.
M. Kijima — En réalité, j’ai récemment visité l’établissement pour voir le fils du président Kôenji, alors j’ai assisté à l’examen spécial de première. Je me souviens bien de votre fils, car il s’est bien démarqué.
Intérieurement, Ayanokôji savait déjà tout cela. Mais il ne laissa rien transparaître.
Le fait que Kijima ait observé l’examen spécial était censé être une information connue uniquement de lui et de certains membres du corps enseignant. Même Sakayanagi ignorait qu’Ayanokôji était au courant. C’était donc une opportunité pour ce dernier.
M. Ayanokôji — Comment avez-vous trouvé mon fils alors ?
Ce n’était qu’un simple examen, un jeu entre élèves. Mais puisqu’il avait pris la peine de noter l’existence de Kiyotaka, il était réellement curieux d’entendre son avis. Et de voir quelle évaluation il en donnerait.
M. Kijima — Il m’a semblé pouvoir devenir un meilleur politicien que vous ne l’êtes actuellement.
Il s’exprima immédiatement. Cela pouvait sembler être un compliment adressé à son fils… Mais en réalité, c’était tout le contraire. Il insinuait qu’Ayanokôji était un politicien moins compétent qu’un simple enfant.
M. Ayanokôji — Recevoir une telle considération de la part du Premier ministre lui-même… En tant que parent, je ne pourrais être plus heureux.
Ayanokôji prit délibérément ces paroles au pied de la lettre et exprima sa gratitude avec une joie feinte.
M. Kijima — Vos efforts ont dû jouer un rôle. Lui avez-vous donné une éducation particulière ?
M. Ayanokôji — Rien de spécial. C’est uniquement grâce à l’éducation de « cette » école.
Il fit subtilement référence à la White Room, mais comme la conversation s’était orientée vers son fils, Ayanokôji ne s’était pas laissé surprendre.
M. Kijima — Je comprends que vous vouliez parler, mais malheureusement, je soutiens le Parti des Citoyens. Vous avez dit que vous étiez du Parti Kyôei[5] ?
M. Ayanokôji — Oui. Cependant, autrefois, j’étais membre du Parti des Citoyens, comme vous, Monsieur le Premier Ministre.
Depuis que Kijima était devenu Premier ministre, malgré quelques fluctuations, le Parti conservait une cote de popularité stable, laissant présager une administration de long terme. À l’inverse, le Parti Kyôei d’Ayanokôji était en position extrêmement faible, réduit à un simple rôle d’opposition bruyante.
M. Kijima — Je conçois un peu les choses mais pourquoi être parti ?
M. Ayanokôji — Il semblerait que ma présence au sein du Parti des Citoyens incommodait certaines personnes.
Même en présence du dirigeant, Ayanokôji n’hésita pas à parler ouvertement.
M. Kijima — Vous semblez être franc, Ayanokôji-san. Naoe-sensei vantait cette qualité chez vous, mais il en était également préoccupé. Peu importe le parti auquel vous appartenez, si vous comptez revenir en politique, évitez de tenir des propos sujets à interprétation.
M. Ayanokôji — Je suis honoré de recevoir un conseil directement du Premier ministre. Cependant, c’est précisément pour ma franchise que je suis reconnu et soutenu. Je continuerai à parler et à agir selon mes convictions, sans recourir à la langue de bois.
M. Kijima — Je vois. Alors, permettez-moi de vous poser une question… Si c’était possible, souhaiteriez-vous réintégrer le Parti des Citoyens ?
M. Ayanokôji — Non, ce n’est pas dans mes projets pour l’instant.
Même s’il montrait un intérêt, Kijima n’accepterait pas sa demande. Au mieux, il proposerait d’examiner la question, mais il était évident que l’exécutif du parti le rejetterait. Techniquement, il était possible pour un représentant de circonscription de changer de parti, mais pour Ayanokôji, retourner au Parti des Citoyens n’était pas une option simple. S’il en avait eu la possibilité, il n’aurait jamais eu besoin de se présenter sous la bannière du camp adverse.
M. Kijima — Alors vous comptez changer la politique japonaise avec le Parti Kyôei ?
M. Ayanokôji — Exactement. Cela peut sembler impossible pour quelqu’un affilié à un grand parti comme vous, Monsieur le Premier Ministre. Cependant, connaissez-vous la loi du pendule ?
Il marqua une courte pause avant de poursuivre.
M. Ayanokôji — Actuellement, le monde politique penche fortement dans votre direction. Peu importe que ce soit à droite ou à gauche, ce qui est certain, c’est que je me tiens exactement à l’opposé de vous.
Au prochain bouleversement, le pendule allait basculer inexorablement de son côté. Ayanokôji affirma cela avec une conviction absolue.
M. Kôenji — Vous avez du culot pour parler d’égal à égal face au Premier ministre, Mister Ayanokôji.
M. Ayanokôji — Je n’ai rien à craindre. Je n’ai aucune intention de m’accrocher à mon statut en me préoccupant de la réaction des autres.
M. Kijima — Ayanokôji-san. J’espère que vous avez bien conscience que vous appartenez actuellement au Parti Kyôei.
L’écart entre les deux Partis était abyssal. Il lui rappelait qu’il n’avait rien à gagner en cherchant à s’attirer les faveurs de Kôenji.
M. Ayanokôji — Je ne suis pas sûr de comprendre votre insinuation. Pourriez-vous être plus clair ?
M. Kôenji — Il suffit. Le Premier ministre a peut-être été courtois, mais moi, je ne juge pas les gens en fonction de leur morale ou de leur Parti.
Il marqua une pause, puis ajouta d’un ton tranchant :
M. Kôenji — Je ne juge que par la compétence. Et pour l’instant, il est évident que vous n’avez aucun avantage sur le Premier ministre. Mister Ayanokôji, non seulement je ne vous tendrai pas la main, mais je ne vois même pas l’intérêt de vous écouter.
M. Ayanokôji — Vos paroles sont dures.
M. Kijima — Ayanokôji-san, le Président Kôenji est un homme compétent. Mais savez-vous pourquoi un tel homme se refuse à vous ?
Il marqua une pause avant de poursuivre.
M. Kijima — Ce n’est pas parce qu’il est proche de moi. Vous avez été évincé, mais vous avez été réélu par le peuple. Cela signifie qu’un certain électorat vous fait confiance.
Son ton se fit légèrement plus sévère.
M. Kijima — L’orientation et la gestion d’un pays peuvent naturellement varier, même entre partis similaires. Mais le peuple n’est pas idiot. Ne commettez pas l’erreur de croire qu’il soutiendrait sans raison quelqu’un dont l’ambition est trop évidente.
Kijima reprit les paroles de Kôenji et les expliqua plus en détail.
M. Kôenji — J’ai pris la peine de vous accorder du temps en pensant que cela pourrait être intéressant, mais continuer serait une perte. Vous devriez partir, Ayanokôji-san. Vous êtes un homme ennuyeux.
M. Ayanokôji — Je suis navré de vous avoir déçu.
Bien qu’il n’ait rien obtenu de concret, il avait au moins marqué sa présence.
M. Ayanokôji — Il semble que je doive prendre congé.
Il avait forcé son entrée dès le départ. Maintenant que le moment était venu, il prit la décision de se retirer.
M. Kijima — Votre fils a mené sa classe à la victoire lors du dernier examen spécial. Il deviendra sans aucun doute une personne d’exception. Nous aurons sûrement l’occasion d’en reparler un jour.
M. Ayanokôji — Merci, Monsieur le Premier Ministre. J’attends cette opportunité avec impatience.
Sur ces mots, il s’inclina et se tourna vers la porte. Jusqu’ici, Kôenji avait trouvé Ayanokôji inintéressant du début à la fin… Mais pour la première fois, il montra un signe d’intérêt.
M. Kôenji — Vous allez jusque-là, Monsieur le Premier Ministre ? En tant que parent, je ne peux pas ignorer une telle déclaration.
M. Kijima — Président Kôenji, votre fils est aussi très talentueux.
Ayanokôji, qui s’apprêtait à partir, s’arrêta net.
M. Ayanokôji — Tout à l’heure, après la réunion, Kiyotaka a déclaré qu’il allait changer de classe. Cela signifie qu’il ne sera plus dans celle de votre fils, Président Kôenji. Il semblerait donc qu’ils deviennent rivaux.
Seul Ayanokôji connaissait cette information. Même Sakayanagi parut surpris.
M. Sakayanagi — E-Est-ce vrai, Ayanokôji-san ?
M. Ayanokôji — Oui. Je l’ai entendu directement de mon fils.
M. Sakayanagi — Alors qu’il aurait pu monter en classe A, il choisit de descendre dans une classe inférieure… ?
M. Ayanokôji — Mon fils est très talentueux. Il conçoit et met en œuvre des stratégies qu’une personne ordinaire ne pourrait même pas imaginer. Il n’y a personne dans cette école capable de rivaliser avec lui, alors il se fixe lui-même des défis.
Si Kôenji considérait son fils comme talentueux, cette provocation était particulièrement habile. Et l’effet d’Ayanokôji fut bien plus grand que prévu.
M. Kôenji — Je vois. À l’époque, j’avais déjà ressenti quelque chose d’intéressant chez lui… Mister Sakayanagi.
M. Sakayanagi — O-Oui ?
M. Kôenji — Si le fils de Mister Ayanokôji change réellement de classe, j’aimerais que vous transmettiez un message à mon fils, lorsque le moment viendra. Cela ne vous dérange pas ?
M. Sakayanagi — Bien sûr. Que dois-je lui dire ?
M. Kôenji — Dites-lui que rester en classe A jusqu’à l’obtention du diplôme est la condition pour obtenir sa véritable liberté. Il comprendra. Cela fera, de fait, de votre fils et du mien des rivaux, Mister Ayanokôji.
M. Sakayanagi — C-Compris. Mais pourquoi souhaitez-vous cela ?
M. Kôenji — Je ne sais pas dans quelle classe le fils de Mister Ayanokôji va être transféré, mais l’idée de recommencer depuis une situation désavantageuse est intrigante. Cela mérite qu’on y prête attention.
Il marqua une courte pause avant d’ajouter d’un ton calme :
M. Kôenji — De plus, il est bon de donner à mon fils des défis à relever. Reste à voir s’il sera à la hauteur.
M. Ayanokôji — Dois-je comprendre que vous comptez utiliser mon fils pour que le vôtre s’exerce face à un adversaire plus talentueux ? Lui montrer un mur infranchissable n’est pas une mauvaise chose.
Face à cette provocation directe, un des sourcils de Kôenji tressaillit un peu.
M. Kôenji — Même s’il est encore un poussin, Rokusuke reçoit une éducation appropriée.
M. Ayanokôji — Je vois. Les rôles sont donc inversés ? Il est naturel de considérer son propre fils comme exceptionnel, mais cela vaut aussi pour moi. Cependant, nous manquons d’éléments concrets pour juger qui est le plus talentueux.
Avant que quiconque ne puisse répondre, Ayanokôji poursuivit.
M. Ayanokôji — Puis-je proposer un pari ? Si Kiyotaka empêche votre fils de finir en classe A, j’aimerais vous rencontrer à nouveau. Cette fois, en tête-à-tête, sans aucune interférence.
Peu importaient leurs statuts respectifs de politicien et de président d’entreprise, ils allaient mesurer l’excellence de leurs fils. Pour la première fois, Kôenji sourit.
M. Kôenji — Mister Ayanokôji, vous semblez plus intéressant que prévu. Très bien. Mais si cela ne se produit pas, seriez-vous prêt à renoncer définitivement à votre siège de député ?
En entendant ces mots, l’expression d’Ayanokôji se durcit un bref instant. Un silence suivit, puis Kôenji esquissa un sourire en coin, les commissures des lèvres relevées.
M. Kôenji — Ce n’était qu’une plaisanterie. Inutile de prendre cela trop au sérieux. Non… en fait, le fait que vous n’ayez pas répondu immédiatement est une décision mûre et rationnelle, disons-le.
Il applaudit lentement deux ou trois fois, dans un geste sec et calculé. Bien que l’intuition d’Ayanokôji lui dictât qu’il devait répondre « oui », il avait pris le temps d’évaluer la situation avec calme.
Il était persuadé que Kiyotaka ne pouvait perdre en termes de capacité individuelle. Cependant, il savait aussi que son fils n’était pas particulièrement attaché à la classe A et que ses véritables objectifs au sein de l’école demeuraient flous. De plus, il redoutait que Kiyotaka prenne le parti de Kôenji si jamais cette conversation venait à fuiter.
M. Kijima — Vous êtes plutôt tolérant, n’est-ce pas, Kôenji-san ?
Sans se soucier du fait que son plus grand soutien pouvait être récupéré par une faction ennemie, Kijima observa la scène avec intérêt.
M. Kôenji — Il faut savoir s’amuser dans la vie.
M. Kijima — En effet.
M. Kôenji — Je vais quitter le Japon à nouveau. Informez-moi lorsque le résultat sera clair. Si votre fils l’emporte, je reviendrai volontiers au pays.
M. Kijima — Je vous contacterai moi-même avec les résultats, Président Kôenji.
Kijima allait donc être témoin de cet affrontement.
5
Après avoir quitté l’école, Ayanokôji monta à l’arrière de la berline noire qui l’attendait devant la grille principale.
M. Tsukishiro — Bien joué. Comment avez-vous trouvé le 1er ministre ?
Il demanda cela en se retournant vers Ayanokôji depuis le siège conducteur.
M. Ayanokôji — C’est un homme rusé. Ses capacités étaient claires.
Cependant, il n’avait pas pu les mesurer entièrement, simplement parce qu’il n’en voyait pas le fond. Néanmoins, cette rencontre avait eu de la valeur.
M. Tsukishiro — Après tout, c’est le leader d’un grand Parti. Les monstres en son sein ne manquent pas.
Tsukishiro, qui entretenait des liens de longue date avec le Parti des Citoyens, comprenait parfaitement cela.
M. Ayanokôji — Je pensais que le rencontrer directement provoquerait un peu plus de remous.
M. Tsukishiro — Beaucoup se laissent tromper par son apparence ordinaire, mais il est indéniablement un homme d’exception. Malgré tout, vous avez réussi à imposer votre présence de force, n’est-ce pas ?
Ayanokôji croisa les bras et donna l’instruction de démarrer.
M. Ayanokôji — Les politiciens sont remplis d’orgueil. Il a dû penser qu’en brisant le mien, il pouvait me soumettre.
Malgré plusieurs tentatives indirectes de provocation, Ayanokôji était resté impassible.
M. Tsukishiro — Voilà qui a dû être une erreur de calcul de la part du Premier ministre. Après tout, vous n’avez aucune fierté à défendre.
Il marqua une pause avant de changer de sujet.
M. Tsukishiro — Au fait, pendant que vous étiez à l’école, j’ai également regardé les images du dernier examen spécial. Votre fils semble bien progresser. Sa façon impitoyable de manipuler les émotions des femmes… Peut-être tient-il cela de vous.
Tsukishiro avait secrètement contacté des responsables de l’école et obtenu l’enregistrement de l’examen. Ayanokôji l’avait lui aussi visionné avant cette rencontre, ce qui lui avait permis de gérer sans difficulté les informations que seul Kijima était censé connaître.
M. Ayanokôji — Il utilisera tous les moyens nécessaires pour survivre. C’est exactement ce qu’on lui a enseigné.
M. Tsukishiro — Il a été difficile d’obtenir ces données, mais les conserver ne nous apporterait aucun bénéfice. Devrais-je m’en débarrasser ?
À un feu rouge, Tsukishiro sortit une clé USB et la montra à Ayanokôji à l’arrière. Puis, il la brisa en deux avant de la jeter dans le porte-gobelet central.
M. Tsukishiro — Et le Président Kôenji ?
M. Ayanokôji — Il semble plus investi dans Kijima que je ne l’aurais imaginé. Leur relation ne s’est clairement pas construite du jour au lendemain.
Et l’instinct personnel de Kôenji n’était pas à sous-estimer.
M. Tsukishiro — Avec les capacités du Premier ministre et son soutien puissant, le Parti des Citoyens sera stable pour la prochaine décennie.
M. Ayanokôji — Si rien ne se passe. Mais dans ce monde, peu importe notre rang ou talent, on ne peut défier la logique. Parfois, des circonstances inattendues suffisent à nous faire chuter…
M. Tsukishiro — Là où il y a de la lumière, il y a toujours une ombre. Cela vous ressemble bien, Ayanokôji-san.
M. Ayanokôji — Et j’ai eu une information inattendue.
M. Tsukishiro — Oh ? Laquelle ?
Si Kiyotaka parvenait à vaincre la classe où se trouvait le fils de Kôenji, Ayanokôji pourrait le rencontrer. C’était un pari ludique, mais si cela se réalisait, il était certain que Kôenji allait respecter sa parole. Une opportunité de discuter sans interférences était une chance inestimable pour Ayanokôji de le rallier à sa cause.
M. Tsukishiro — Penser que Kiyotaka allait nous être utile à l’avenir… En effet, on ne sait jamais ce qui peut arriver tant qu’on n’agit pas.
Ayanokôji n’avait pas d’attentes excessives, mais si la chance se présentait, il ne la laisserait pas passer.
[1] Cela fait référence à la rencontre où Atsuomi était venu à l’école et avait dit à Sakayanagi que s’ils devaient se revoir, ce ne serait pas ici
[2] L’expression japonaise originale ici est « 借りてきた猫 » (Karite kita neko => Chat que l’on a emprunté) pour quelqu’un qui devient inhabituellement calme et sage, comme un chat intimidé, dans un nouvel environnement.
[3] Ici dans le sens de Président d’un Conglomérat/entreprise (au Japon celui qui dirige le pays est le 1er ministre).
[4] Parlement du Japon (qui se divise en deux chambres élues).
[5] Ici « Kyôei » désigne la « Paix/Prospérité ». C’est le Parti de la Paix.