Même après le diplôme
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Traduction : Wene
Correction : Raitei
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Tôt dans la matinée, une fois de retour dans ma chambre, j’avais jeté un coup d’œil à mon téléphone, remarquant ainsi les nombreux messages et appels de Satô. Bien sûr, c’était là un développement des plus attendus. Karuizawa lui avait appris que nous avions rompu. Elle avait dû comprendre que cela allait des problèmes si nos versions différaient. Ainsi, comme je l’avais espéré, elle semblait avoir prétendu être à l’initiative de notre séparation.
Néanmoins, Satô était une amie proche, elle avait l’air persuadée que Karuizawa ne pouvait pas désirer cette rupture. Elle pensait que j’en étais à l’origine, et m’avait donc contacté afin que je revienne sur ma décision. Cependant, Satô en était bien consciente que les problèmes qui survenaient lors d’une relation ne devaient être gérés que par les concernés en question. Ainsi, les personnes extérieures ne pouvaient pas y faire grand-chose.
Toutefois, on ne pouvait pas lui reprocher d’interférer, car elle ne pouvait plus supporter la situation. Alors que je partais du dortoir et me dirigeais vers la porte principale, plutôt que de revenir sur la discussion avec Satô, je regardai un message envoyé juste après la fin de l’examen spécial de fin d’année.
— Ryuen-kun m’a octroyé la permission de rester un peu. Il y a bien des choses dont j’aimerais te parler, mais je prévois de le faire le 31 mars devant l’entrée principale, le jour où je ferai mes adieux à cette école.
Suite au message de Sakayanagi, j’avais répondu assez simplement, acceptant tout en demandant à quelle heure nous devrions-nous rejoindre. J’avais pensé qu’elle allait passer du temps à régler certaines affaires encore en suspens, comme les problèmes liés à sa classe. Sakayanagi était censée quitter l’école à 11h, un taxi venant la chercher. Nous devions nous voir juste avant.
— Bonjour, Ayanokôji-kun.
Arrivée une dizaine de minutes plus tôt que prévu, se tenait là Sakayanagi, non pas Arisu, mais bel et bien son père, le proviseur.
Moi — Bonjour, êtes-vous là pour lui dire au revoir ?
Il acquiesça avec son calme habituel.
M. Sakayanagi — C’est un nouveau départ pour ma fille. Tu es également présent pour lui dire au revoir ?
Moi — Oui, on avait prévu de se voir à 10h30. Vous n’avez pas l’air si bouleversé que ça, Monsieur le Directeur.
M. Sakayanagi — Hm ? Eh bien, en effet. Mashima-sensei m’avait informé de la chose avant l’examen spécial alors j’étais quelque peu préparé. Cela avait tout de même été une grande surprise à ce moment-là, mais sa décision se doit d’être respectée. Bien sûr, elle ne devrait pas troubler ses camarades en se retirant ainsi d’elle-même. Mais, encore une fois, il ne serait pas approprié pour moi, en ma position de directeur, d’intervenir personnellement, n’es-tu pas d’accord ?
Si le directeur utilisait son autorité, il lui serait aisé de faire fi du pari et d’ignorer les démarches de l’école, mais ce serait contraire au règlement.
Moi — C’est louable.
J’admirais sincèrement la compréhension et l’attitude dont il faisait preuve. Après avoir esquissé un sourire quelque peu embarrassé, le proviseur prit soudainement un air sérieux.
M. Sakayanagi — Ce n’est pas le lieu pour parler de cela, mais j’ai entendu dire que ton père avait prévu de venir à la réunion tripartite.
Moi — En effet, je me demande bien pourquoi.
M. Sakayanagi — Cet homme ne fait rien au hasard. Il veut probablement voir de ses propres yeux ton évolution et le futur que tu envisages.
Il s’était exprimé avec satisfaction. Cependant, il y avait peu de chance que ce qu’il avançait soit juste. Il y avait plein de moyens de garder un œil sur moi. Néanmoins, il est vrai que cet homme ne ferait rien d’insensé.
M. Sakayanagi — Un jour, si tu te retrouves dans une situation délicate, j’espère que tu pourras compter sur moi.
Moi — C’est rassurant, merci.
Il soupira.
Moi — C’est à propos de mon père ?
M. Sakayanagi — Non, je me suis juste souvenu d’Arisu. En fait, il y a eu une complication inattendue. C’est une bonne chose qu’elle se fasse transférer dans une école proche de chez nous. Mais sur une note à part, elle a fait une demande un tantinet problématique.
Moi — Une demande problématique ?
M. Sakayanagi — Si tu pouvais la convaincre, elle pourrait peut-être revenir dessus.
Il avait dit cela avec un sourire en coin alors qu’il s’apprêtait à discuter des détails de la demande.
Sakayanagi — Vous ne devriez pas faire cela, très cher Père. De quoi essayez-vous de parler avec Ayanokôji-kun sans ma permission ?
M. Sakayanagi — Uh… Arisu.
Le proviseur, visiblement bouleversé, en eut des sueurs froides. Sakayanagi, munie d’une canne, était apparue sans l’ombre d’un bagage. À ses côtés se trouvaient Yamamura et Morishita.
Elles étaient sûrement là pour lui dire au revoir aussi.
M. Sakayanagi — Non, hum, ce n’est rien.
Sakayanagi — Très bien alors, évitez encore une fois ce genre d’initiative.
Apparemment, sa fille l’avait déjà mis en garde.
M. Sakayanagi — Haha, dans ce cas, parlons-en calmement une fois à la maison. Ce sera pour le mieux.
Sakayanagi — En effet, il semble qu’une conversation familiale des plus agréables nous attende.
Le proviseur eut un sourire teinté d’ironie. Jusqu’à maintenant, il y avait probablement eu une certaine distance entre eux due à la hiérarchie, mais maintenant, ce n’était plus nécessaire.
Morishita — J’ai une question. Où se trouve la maison Sakayanagi ?
Elle avait posé soudainement la question sans trop y réfléchir, mais cela changea l’ambiance. En effet, il s’agissait là d’un point curieux. Les enseignants vivaient dans des dortoirs, mais qu’en était-il du directeur ?
M. Sakayanagi — C’est à environ quinze minutes en voiture d’ici. Un bus suffit pour s’y rendre.
Morishita — C’est proche.
Elle commenta instantanément sa réponse, mais oui, ce n’était pas trop loin. Mais peu importe, les élèves inscrits dans cette école ne pouvaient pas facilement en sortir, sauf cas exceptionnels, comme les activités de club.
Sakayanagi — Il nous reste suffisamment de temps avant l’arrivée du taxi. Pourrais-je avoir un moment seul avec Ayanokoji-kun afin de discuter ?
À l’instant où Sakayanagi prononça ces mots, le proviseur, Yamamura, et Morishita hochèrent tous la tête et prirent suffisamment de distance pour ne plus pouvoir entendre notre conversation.
Moi — Je ne pensais pas que Yamamura et Morishita te diraient au revoir.
Sakayanagi — Auparavant, cela aurait été Masumi-san, Hashimoto-kun et enfin Kitô-kun.
Kamuro avait quitté l’école, tandis que Hashimoto l’avait trahie. Kitô, quant à lui, n’était pas le genre de personne à faire des adieux, si bien qu’aucun proche de Sakayanagi n’était venu.
Sakayanagi — Même si ce n’était que de courte durée, je me suis rapprochée de Yamamura-san, en partie grâce à toi, Ayanokôji-kun.
Et c’était aussi de ma faute si elles en venaient à devoir se séparer.
Moi — Et qu’en est-il de Morishita ?
Sakayanagi — Il semble qu’elle se soit accrochée à Yamamura-san.
Cela signifiait qu’elle était venue sans avoir été conviée.
Sakayanagi — Morishita n’est pas le genre à se rapprocher d’une personne en particulier. Toutefois, elle a récemment interagi volontairement avec Yamamura-san. C’est une élève intelligente et vive d’esprit, ainsi se fait-elle sûrement du souci pour l’avenir de sa classe.
Moi — En effet, c’est probable.
Elle avait une personnalité des plus extravagantes, mais j’avais aussi perçu son talent extraordinaire.
Il semblerait que le fait d’avoir récemment appelé Yamamura et Morishita pour que l’on ait une discussion ait eu un impact.
Sakayanagi — Et bien… notre conversation d’aujourd’hui sera la dernière, pour le moment.
Moi — En effet.
Tout en me fixant attentivement, elle s’exprimait sans une once d’hésitation.
Sakayanagi — Tu semblais mécontent que je sois ton adversaire, mais tout s’est passé comme tu le souhaitais. Te sens-tu légèrement coupable d’être intervenu dans notre confrontation ? Dis-moi ce que tu ressens maintenant, s’il te plait.
Moi — J’aimerais pouvoir te dire que je me sens coupable, mais de tels mensonges superficiels ne te tromperaient pas, n’est-ce pas ?
Ce qu’elle désirait en cet instant, c’était de l’honnêteté. Et en effet, elle se mit à sourire joyeusement.
Moi — En étant franc, tu es très forte. Je n’ai aucun doute concernant tes capacités, et bien que je ne connaisse pas les détails de votre affrontement, tu as assurément surpassé Ryuuen. Cependant…
Sakayanagi —Ryuuen-kun, Horikita-san et même Ichinose-san. Ils ont tous encore une importante marge de progression. Les changements qu’ils subiront sont imprévisibles.
Moi — C’est ce que je souhaite observer.
Sakayanagi — Même en ayant connaissance de la réponse, cela fait toujours mal de te l’entendre dire.
Moi — Désolé.
Sakayanagi — C’est bon, j’en suis venue à comprendre que tu étais ainsi. De plus, mon abandon était ma propre décision. Je ne peux que blâmer ma propre excellence pour avoir si subtilement compris ton message.
Bien sûr, je n’avais aucune idée de la tournure que l’examen prendrait. Toutefois, après m’être demandé qui de Ryuuen ou de Sakayanagi je désirais voir rester, j’avais confié un message à Hashimoto. Ryuuen avait la liberté de transmettre le message ou non, et quant à Sakayanagi, elle avait la liberté de le recevoir, puis de le comprendre. Même ainsi… si j’analysais la personnalité de Ryuuen, ainsi que la façon de penser de Sakayanagi, j’avais imaginé qu’il y avait une assez forte probabilité que la conclusion soit celle-là.
Sakayanagi — Bien que tu aies dit maintes vilaines choses, je n’ai pas l’intention de te blâmer, Ayanokôji-kun. Cependant, j’aimerais bien clarifier un dernier point quant à la question de nos dettes.
Moi — En effet, j’aimerais aussi clarifier les choses. Que désires-tu ?
J’avais contracté une dette importante à l’égard de Sakayanagi, qu’il me devait donc de régler correctement.
Sakayanagi — Dans ce cas, pourrais-je te demander deux faveurs ?
Étant donné que, d’emblée, je ne prévoyais pas de refuser, j’acquiesçai et attendis qu’elle eût exprimé sa requête.
Sakayanagi — Pour ce qui est de la première, et bien, j’aimerais un baiser passionné, ici-même.
Elle avait exprimé un souhait assez mesquin. Il était difficile de dire si elle était sérieuse ou si elle plaisantait.
Moi — Comment suis-je censé le prendre ?
Sakayanagi se rapprocha, leva son menton avec délicatesse, puis ferma les yeux. Les visages des trois spectateurs étaient honnêtement trop effrayants pour être regardés. Alors que je m’apprêtais à confirmer si tel était bien son premier souhait, Sakayanagi ouvrit lentement les yeux.
Sakayanagi — Fufu. Je plaisante.
Au fond de moi, je me sentis soulagé. C’était une chose que de s’embrasser devant des élèves de la même année, cependant, son père, de surcroît le proviseur, nous épiait aussi.
Sakayanagi — Ma première requête est la suivante : Je te le demande avec la conviction de ne pas me montrer prétentieuse, mais mon rôle n’est pas encore terminé, n’ai-je pas raison ?
À ces mots, je jetai un coup d’œil au proviseur, avant de rapidement me reconcentrer sur Sakayanagi.
Sakayanagi — Tu es quelqu’un qui pense avec dix à vingt coups d’avance. Dans ce cas, il doit bien y avoir certains bénéfices quant au fait de privilégier mon abandon au simple fait de faire rester Ryuuen.
Sakayanagi était en effet une adepte de la stratégie et de la réflexion, capable de trouver les réponses par elle-même, sans aucune aide.
Moi — J’avais considéré qu’il s’agissait là d’un travail préparatoire. Cependant, je ne vois pas encore d’avenir où cela se produira.
Sakayanagi — Cela me va. Le simple fait de savoir que tu l’avais considéré comme tel me suffit.
Moi — Je suis peut-être juste en train de t’utiliser, tu sais ?
Sakayanagi — Même ainsi, je ne souhaite pas perdre contact avec toi. Bien que nos interactions se voient rompues, je n’ai pas renoncé à l’idée de t’affronter à nouveau, Ayanokôji-kun. J’ai l’intention de m’imposer certaines épreuves au cours de cette année afin de devenir une adversaire à la hauteur. Alors, promets-moi que nous nous rencontrerons à nouveau une fois que tu auras quitté cette école.
Moi — Est-ce là ton premier souhait ?
Sakayanagi — Oui.
Elle répondit immédiatement.
Moi — Il y a certaines choses qui peuvent échapper à mon contrôle. Es-tu réellement satisfaite avec ça ?
Sakayanagi — Je te ferai pleinement confiance.
Avec un regard franc, elle répondit encore plus fermement qu’auparavant.
Moi — … Je vois. Si c’est avec toi, une réunion serait effectivement envisageable.
Comme je l’avais dit précédemment, il y avait plein de choses sur lesquelles je ne pouvais pas agir. Néanmoins, un jour, lorsque je souhaiterais changer l’avenir de mes propres mains, les retrouvailles promises avec Sakayanagi pourraient être d’une aide précieuse.
Sakayanagi — Certes, il y a la White Room. Mais souviens-toi, toi seul peux décider de la façon dont tu dois mener ta vie. Ne l’oublie pas.
Moi — Oui. J’espère que le jour où je pourrais penser ainsi arrivera.
C’était là tout ce que je pouvais lui répondre, mais elle acquiesça, satisfaite.
Moi — Qu’en est-il de ton second souhait ?
Sakayanagi — Eh bien… ce serait un manque de tact que d’inclure l’avenir de la classe après mon départ. J’ai vraiment eu du mal avec ce souhait.
Après le préambule, elle l’exprima.
Sakayanagi — C’est à propos du traitement futur de Hashimoto-kun. Je n’ai pas parlé de lui en détail à la classe.
Moi — Il y a très certainement des élèves qui se méfient de lui, mais en l’absence de preuves concluantes, il est présumé innocent.
Tandis que je lui répondais, Sakayanagi acquiesça.
Sakayanagi — Mais il doit bien y avoir quelqu’un qui sait ce qu’il a fait, ainsi que ce qu’il prévoyait de faire. De ce fait, ils se doivent de prendre une décision. Puis-je te confier son jugement ? Il n’y a pas de délai.
Moi — Ainsi, tu me demandes de décider s’il sera coupable ou innocent durant l’année qui vient ?
Sakayanagi — En effet, j’ai en moi un cœur qui pardonne et ne pardonne pas à la fois. Dans l’idéal, J’aurais aimé que l’on assiste ensemble à la conclusion, mais ce n’est dorénavant plus possible.
Je ne voyais aucun inconvénient à ce qu’elle me laisse l’entière responsabilité.
Moi — Je comprends. J’assumerai donc le rôle de juge.
Sakayanagi — Merci. Ainsi, avec ceci en tête, j’irai voir Masumi-san.
Kamuro ne sera sûrement pas ravie de la retrouver. Elle sera même choquée.
Moi — Et bien, devrions-nous bientôt rappeler ces personnes ?
Sakayanagi — Non, il y a encore quelque chose que j’aimerais te dire.
En disant cela, je sortis mon téléphone et affichai une photo de Sakayanagi, prise dans ma chambre. Je la supprimai ensuite, juste devant ses yeux.
Moi — Je l’avais préparée au cas où, mais dorénavant, il n’y a plus vraiment de raison d’y avoir recours.
Sakayanagi — Oh, alors elle et toi… ?
Moi — Karuizawa elle-même connaissait la finalité.
Sakayanagi — Vraiment ? Si elle a réellement une forte volonté, elle se relèvera, cela ne fait aucun doute.
Même si Karuizawa n’avait pas la force, elle avait des amis sur qui compter.
Sakayanagi — Mais est-ce bien le cas ? Alors cela voudrait dire que tu es de nouveau libre, Ayanokôji-kun.
Moi — C’est bien le cas.
Sakayanagi — Zut, je n’aurais pas dû hésiter pour le baiser.
Une fois qu’elle eût prononcé ces mots, Sakayanagi sourit malicieusement et écarta doucement les bras.
Sakayanagi — Ne serait-il pas possible de m’offrir ceci en guise de compensation ?
Le moment approchait à grands pas. J’écartai moi aussi les bras, et rapprochai discrètement Sakayanagi de moi.
Sakayanagi — La réticence vis-à-vis de notre séparation, le désir de parler davantage… J’ai encore tant d’émotions similaires, mais le fait que ces émotions restent en moi est tout à fait supportable. J’attends donc avec impatience le jour de nos retrouvailles.
Moi — Oui…
Mon avenir était actuellement fermé. Néanmoins, la situation n’était pas immuable. En cet instant, la Sakayanagi que je tenais dans mes bras était petite, dégageant un frêle sentiment d’impuissance. Toutefois, parmi tous ceux que j’avais rencontrés jusque-là, elle possédait très certainement une force semblable à aucune autre.
Dans un futur proche, j’étais sûr d’être amené à la retrouver dans le monde extérieur.
J’en avais l’intime conviction.

1
Jusqu’à ce que son temps fût écoulé, Sakayanagi avait discuté avec ses camarades. Alors que l’heure des séparations approchait, Yamamura s’efforçait tant bien que mal de retenir ses larmes. Mais alors que Sakayanagi s’excusait une nouvelle fois, tout en réaffirmant son désir de retrouvailles, ses larmes finirent par couler. Pour la première fois de sa vie, elle avait une véritable amie. Une amie avec laquelle elle souhaitait passer l’année suivante.
Ainsi, elles promirent de se retrouver. Morishita ne les enviait pas et n’était pas triste pour elles. Elle s’inquiétait plutôt pour l’avenir de sa classe. Après avoir raccompagné Sakayanagi puis quitté le proviseur, nous n’étions plus que trois à nous diriger vers les dortoirs. Yamamura ne s’était pas encore tout à fait remise, mais c’était le moment propice pour parler de ce sujet.
Moi — En fait, pendant que je discutais avec elle, Sakayanagi m’a confié quelques conseils importants au sujet de votre classe.
Yamamura — Quels genres de… conseils ?
Une conversation censée être secrète venait d’être mentionnée. Alors que des élèves comme Yamamura pouvaient s’en satisfaire, Morishita réagit différemment. Son expression était maintenant des plus perplexes, cherchant le sens de ce que je venais de dire.
Morishita — Des conseils ? Si c’est vrai, alors c’est plutôt fâcheux. Devrions-nous vraiment les écouter ?
Yamamura — Pourquoi pas ? J’ai envie de savoir.
Morishita — Ce sont des conseils importants pour notre classe. Penses-y calmement, Yamamura Miki. La personne qui devrait nous en faire part devrait être un de nos camarades, et non Ayanokôji Kiyotaka. N’est-ce pas ? De plus, ce n’est pas quelque chose à révéler lors de ses derniers instants.
Yamamura — C’est… vrai.
Le « derniers instants » est exagéré, mais ne nous y attardons pas.
Morishita — Il y a un traître dans la classe, non ? Si c’est pour prévenir la moindre possibilité de fuite, alors je peux comprendre, en émettant quelques doutes du moins…
Le conseil que je m’apprêtais à leur donner ne m’avait pas été confié par Sakayanagi. Il s’agissait simplement de quelque chose que j’avais planifié. Ainsi, témoignant encore une fois de sa vivacité d’esprit, il était tout à fait normal pour Morishita de se montrer méfiante.
Moi — Il y a plusieurs choses à prendre en compte, mais c’est un conseil que je dois transmettre.
Morishita — Il fallait donc que ce soit toi en particulier qui serves d’intermédiaire. D’accord, je me méfie toujours, mais que cela me convainque ou non, je ne le saurai que si je t’écoute.
Elle croisa les bras et attendit que je prenne la parole. Il en allait de même pour Yamamura, à qui je commençai à expliquer. Dans un premier temps, Morishita écoutait d’un air grave, mais au fur et à mesure, ses pupilles se dilatèrent, laissant de ce fait transparaître sa surprise. Yamamura, quant à elle, semblait légèrement troublée. Peut-être était-ce au-delà de sa compréhension.
Moi — C’est le conseil que Sakayanagi a laissé, sur la façon dont votre classe devrait se battre l’année prochaine.
Morishita — Hmm… Mais est-ce même autorisé ?
Moi — Autorisé ou pas, il y a déjà eu des situations similaires.
Toutefois, ces dernières étaient insignifiantes par rapport au conseil que je donnais actuellement. Pourtant, l’ampleur de ce dont nous venions de discuter allait être significative pour l’année à venir.
Morishita — Je vois. À présent, nous n’avons pratiquement aucune chance de renverser la tendance. Cependant, si nous parvenons à mettre cela en œuvre, les possibilités commenceront alors à émerger.
Imaginant ce qu’il pourrait advenir, Morishita comprit petit à petit.
Morishita — Quelles sont les chances ? De combien augmentent-elles ?
Moi — La dernière fois, j’avais dit 10%. Maintenant, en considérant cela, ce sera d’au moins 25%. En y incluant le potentiel qui sommeille, on pourrait bien obtenir un pourcentage encore plus élevé. Toutefois, il y aura des cas gênants plus tard… il y a de nombreuses raisons de s’inquiéter. Est-ce vraiment réalisable ?
Alors que beaucoup de gens auraient pointé certaines choses du doigt, j’avais déjà fait des suggestions afin d’y remédier. Alors que je continuais, Morishita et Yamamura se retournèrent naturellement l’une vers l’autre.
Morishita — Supposons que nous puissions dissiper ces doutes. Il reste encore un défi majeur à relever.
Je compris et acquiesçai, y exposant ensuite la solution. Bien évidemment, une solution ne restait qu’une simple solution, mais sa mise en œuvre était un autre sujet. Cependant, tout cela constituait un processus continu. Si une étape venait à ne pas être franchie, rien ne se réaliserait. Une fois qu’elle eut écouté ce que j’avais à dire, les premiers mots de Morishita furent :
Morishita — Es-tu sain d’esprit ?
En effet, ce que j’avançais était difficile à croire.
Moi — Je souhaiterais que tu me dises ce que tu en penses.
Morishita — Eh bien, si cette solution est réalisable, c’est bien plus que ce que l’on aurait pu espérer. Il ne serait pas trop difficile de rallier une classe sur le point d’abandonner, compte tenu de la situation actuelle.
Yamamura — Faisons-le… C’est un conseil qui nous a été laissé par Sakayanagi-san…
En tant qu’amie, Yamamura avait exprimé son désir d’essayer. Néanmoins, Morishita y réfléchit jusqu’à la fin.
Morishita — Ayanokôji Kiyotaka, il y a une chose que j’aimerais te demander.
Moi — Qu’est-ce donc ?
Morishita — Toute cette histoire, est-ce réellement là un cadeau d’adieu de la part de Sakayanagi ? Ou alors, est-ce une de tes machinations ?
Moi — Je l’ai pourtant déjà dit.
Morishita — C’était une question inutile. Sakayanagi Arisu a déjà quitté l’école. Dorénavant, il n’y a plus aucun moyen de démêler le vrai du faux. Désolée, mais laisse-moi changer ma question. Le conseil de Sakayanagi, ou plutôt la stratégie dont tu viens de nous faire part, à nous, anciennes élèves de la classe A. Qu’obtiens-tu en retour en t’impliquant ainsi dans nos problèmes ? Ça n’a pourtant pas l’air vraiment bénéfique. Si je ne suis pas convaincue, je n’accepterai pas.
C’était un doute des plus naturels à avoir. Même si je disais que ce n’était qu’un simple témoignage de bonne volonté, Morishita allait rejeter la chose.
Moi — D’ici à ce que je sois diplômé de cette école, il y a un objectif que je veux atteindre. Et pour ce qui est de ce dernier : il est de garder un certain équilibre entre les quatre classes, jusqu’à la fin de la terminale, permettant ainsi à chacune d’aspirer à la victoire finale. Le conseil de Sakayanagi n’est que le meilleur moyen d’y parvenir. Au nom de cet objectif, que je sois diplômé en classe A ou non importe peu. Il en va de même pour qui le sera, tout ça n’est que secondaire.
C’était difficile à croire. Pour les élèves de cette école qui luttaient avec acharnement, l’obtention d’une place en classe A était primordiale et constituait leur unique souhait. En ce sens, aider les autres classes était absurde.
Morishita — Très suspect. J’aimerais dire que je ne coopérerai pas…
Après un moment de contemplation, Morishita continua d’analyser calmement ce que je venais de dire, ainsi que mes actions.
Morishita — En supposant que tout cela est vrai, es-tu vraiment d’accord avec ça, Ayanokôji Kiyotaka ? C’est-à-dire qu’avant même d’aborder le sujet de la classe A ou du reste, tu trahirais tes camarades.
Moi — Ce n’est pas la première fois. J’ai toujours fait comme bon me semblait dans les coulisses.
Morishita — Je vois. Donc on ne peut pas simplement nous en réjouir. La main que tu nous tends pourrait très bien être empoisonnée.
Exactement. J’étais quelqu’un qui pouvait tendre la main aux autres classes, sans prendre en compte les intentions de la mienne. Cela voulait dire que je pouvais les trahir par la suite même si je les rejoignais.
Moi — Si tu estimes que c’est trop dangereux, une autre option serait de simplement abandonner.
Bien entendu, je connaissais déjà la réponse. Morishita et les autres n’avaient plus d’autre choix. Il leur fallait soit avancer, soit abandonner.
Morishita — Ce qui est fait est fait alors il faut assumer jusqu’au bout. Maintenant que nous sommes au bord du précipice, décider d’agir en connaissance de cause semble être la meilleure option. Le reste ne dépend plus que du choix de nos camarades.
Morishita n’était qu’une élève de la classe. Elle n’était en rien reconnue comme un leader, contrairement à Sakayanagi et les autres.
Morishita — Je vais de suite commencer les préparatifs.
— Excusez-moi !
Alors que Morishita s’apprêtait à s’activer, quelqu’un d’inattendu l’interpela de loin. Une élève de seconde, du nom de Negishi, nous approcha en haletant.
Negishi — Ah… Ayanokôji-senpai. Je suis en seconde, je m’appelle Negishi. Pourrais-tu accepter ceci, s’il te plait ?
D’une voix tremblante, elle sortit une lettre et la tendit vers moi.
Moi — Qu’est-ce que c’est ?
Je lui avais retourné la question, mais Negishi rougit, baissa ensuite la tête, puis prit la fuite.
Morishita — Juste après cette longue étreinte avec Sakayanagi Arisu, tu reçois une lettre d’amour d’une kôhai. Tu es décidément bien populaire, non ?
Moi — U-Une lettre d’amour ?
Morishita — Une expression nerveuse, une enveloppe simple, et une fille qui rougit puis s’enfuit… ça sent le roussi.
Moi — Je ne sens rien pourtant.
Morishita — Je ne saurai le dire. Je ne connais pas ta sensibilité sensorielle Ayanokôji Kiyotaka.
C’est une réplique sévère, mais surtout, quel est le contenu de cette enveloppe au juste ?
Morishita — Si on lui a demandé de te la remettre, il se peut qu’une autre fille soit impliquée. Cependant, même dans ce cas, il pourrait simplement s’agir d’un mensonge qui découle de sa timidité.
Je la retournai pour vérifier, mais rien n’était écrit dessus.
Morishita — Jetons-y un coup d’œil. Il doit bien y avoir des mots sincères à l’intérieur.
Encouragé par Morishita, j’ouvris l’enveloppe, et découvris ainsi une unique feuille blanche. Lorsque je dépliai la lettre, il n’y eut que…
Yamamura — Un numéro de téléphone… il semblerait.
L’air troublé, Yamamura avait jeté un coup d’œil à la lettre et marmonné ces mots. Outre le numéro de téléphone à onze chiffres, il n’y avait qu’une lettre d’écrite : N.
Morishita — Eh bien, c’est bien, non ? Au lieu d’une lettre, elle veut approfondir la relation avec une conversation.
Moi — … Peut-être.
Rien qu’en regardant la lettre N, je pus deviner qui se cachait derrière. Que ce soit Morishita ou Yamamura, toutes les deux semblaient penser que Negishi, qui l’avait apportée, en était à l’origine. Néanmoins, ce n’était probablement pas le cas. En effet, le “N” allait en ce sens. Cependant, à l’heure actuelle, seule une personne se donnerait la peine d’échanger son numéro de téléphone par le biais d’une lettre.
Étant donné qu’elle avait été confiée à Negishi, c’était aussi une façon subtile d’indiquer une initiale japonaise romanisée.
S’agit-il d’un remerciement pour les récentes « gênes » occasionnées ?
Morishita — Appelons tout de suite. Chuchotons quelques mots d’amour.
Je ne comprends pas pourquoi Morishita est si enthousiaste, alors qu’elle n’est pas concernée.
Moi — Non, je n’appellerai pas. Ce n’est pour l’instant pas nécessaire.
Morishita — Quoi, tu joues le jeu de l’attente ? Hmm, combien de temps prévois-tu de la faire attendre ?
Moi — Et bien, si je venais à appeler, ce ne serait pas avant un an.
Morishita — C’est à ce moment-là que tu seras diplômé, non ?
Pensant que ce numéro de téléphone était pour cette occasion, je mis la lettre dans ma poche.