Un coup d’avance
—————————————-
Traduction : Raitei
Correction : Raitei
———————————————–
Dans les jours suivant ma conversation avec Morishita et Yamamura sur les crevettes, je me retrouvai bien occupé. Je fus impliqué dans un incident mineur avec les diplômés et avais dû prêter main-forte çà et là pour le résoudre. Heureusement, tous ces efforts ne furent pas vains car la situation a pu être réglée assez vite. Pendant ce temps, quelqu’un avait répandu la nouvelle du départ de Sakayanagi, probablement intentionnellement.
Tout le monde était au courant alors je me demandais ce que ressentait Sakayanagi en ce moment. Je n’avais pas eu l’occasion de parler directement avec elle récemment, bien que nous nous soyons croisés par hasard sur le chemin. Cependant, il n’y avait pas besoin de se précipiter. Nous comprenions tous les deux que ce n’était pas encore le moment. Après 10h30, alors que je quittais le dortoir pour me diriger au Keyaki, j’aperçus Matsushita, Mii-chan et Onodera en train de discuter.
Wang — Ah… B-Bonjour, Ayanokôji-kun.
Mii-chan, qui me remarqua la première, me salua. Malgré mon implication dans l’expulsion d’une de ses amies proches, elle réussissait encore à sourire en interagissant avec moi. Elle devait probablement se convaincre d’accepter la situation, même si ce n’était qu’en surface. Quoi qu’il en soit, mon attitude restait inchangée, peu importe le comportement de l’autre partie.
Moi — C’est une combinaison un peu inhabituelle.
Matsushita — Mii-chan allait au Keyaki et nous devions nous retrouver ici. Alors, on s’est dit qu’on allait l’accompagner.
Matsushita expliqua la situation avec un sourire, et Onodera hocha la tête plusieurs fois pour approuver. Ce n’était donc pas intentionnel.
Matsushita — Hé, Ayanokôji-kun, tu savais que Sakayanagi-san allait partir ? On en parlait justement.
Agissant de manière un peu exagérée, Matsushita chercha leur accord.
Moi — Oui, je l’ai appris récemment aussi.
Onodera — C’est vraiment surprenant, non ? Que la classe de Ryuuen-kun gagne, c’était déjà inattendu, mais penser qu’une telle chose se passait en coulisses…
Elle croisa les bras et jeta un regard perdu vers le dortoir. C’était un examen dont les détails étaient déjà difficiles à saisir au sein de sa propre classe. Dans un tel cas, les informations sur les autres arrivaient encore plus tard. Il n’était pas étonnant que des informations inconnues, même pour moi, émergent.
Onodera — Hier, en rentrant du club, j’ai vu Kitô-kun confronter Ryuuen-kun dans le hall du dortoir. L’atmosphère était tendue.
Matsushita — Je sentais que la classe A et la classe C étaient plus hostiles que d’habitude, mais je ne pensais pas que ça atteindrait un tel point…
Onodera — Ça donnait l’impression qu’une bagarre pouvait éclater.
Onodera hocha la tête, se remémorant le moment avec une expression quelque peu excitée et amusée. Pendant ce temps, Mii-chan, qui percevait la possibilité que ça devienne violent, semblait anxieuse.
Wang — On dirait que l’atmosphère de l’école est mauvaise ces derniers temps. J’espère que rien d’étrange ne se produira.
Avec la perte de leur leader, la déception, voire l’hostilité allait se tourner naturellement vers Ryuuen. Si des personnes enclines à se battre se rencontraient, il était possible que ça puisse en venir aux mains.
Onodera — Si je vois une bagarre, pas sûre de pouvoir l’arrêter…
Matsushita — Pas besoin. Si c’est entre gars, laisse-les se battre.
Onodera — Oui. Si ça arrive, ce serait une bonne nouvelle pour nous.
Si un comportement problématique avait lieu, il était probable que cela parvienne aux oreilles de l’école. Le fait que cela puisse même avoir un effet sur les points de classe était déjà établi.
Matsushita — En plus, non seulement notre plus grand ennemi, la classe A, a perdu lors de l’examen spécial, mais en plus, il y a le malus de départ de Sakayanagi-san. Le vent souffle clairement en notre faveur.
Matsushita percevait les avantages qu’elle pouvait tirer. Elle sentait que tout évoluait dans une direction positive.
Onodera — C’est certain. Avec son expulsion, leur classe pourrait tomber en classe C ou D.
Une classe qui avait maintenu sa position en A pendant deux ans allait tomber si bas. Peu d’élèves pouvaient accepter cela calmement.
Moi — Je vois. Donc, c’est naturel qu’ils soient contrariés alors.
Onodera, qui semblait avoir apprécié la conversation jusque-là, montra bientôt une expression légèrement conflictuelle.
Moi — Ça te contrarie ?
Onodera — Non, si, bien sûr. Mais, tu sais, ça ressemble un peu à un accident, non ? Si j’étais en classe A, je serais en stress.
Pour le meilleur ou pour le pire, la classe avait suivi les décisions unilatérales de Sakayanagi, leur leader.
Onodera — Peut-être que ce serait mieux si tout le monde, filles et garçons, se bagarrait un peu pour apaiser les tensions.
Matsushita — Ehhh ? Je ne pense pas que ce soit une bonne idée !
Onodera — Oui, c’est un exemple extrême. Mais s’ils ne libèrent pas leur frustration, comment pourraient-ils continuer ?
Matsushita — Je préfère qu’ils continuent de chuter. En termes de capacités, la classe de Sakayanagi-san est effrayante. Juste parce que leur leader a été expulsée ne signifie pas que leurs notes vont baisser.
En effet. Même si leur motivation était affectée, académiquement, ils resteraient en tête des quatre classes.
Onodera — Tu préfères qu’ils continuent de chuter, hein ?
Wang — Matsushita-san, tu es plutôt dure, je trouve.
Matsushita — J’ai toujours été pragmatique. Je dois tirer parti de tout avantage sans hésiter. Finir en classe A n’a rien d’une tâche facile.
Elle était délibérément positive. Elle cherchait plutôt à rassurer Mii-chan pour qu’elle ne s’inquiète pas des détails plutôt que de se mettre en avant. À ce moment-là, Mii-chan reçut un appel téléphonique.
Wang — Excusez-moi. C’est Shinohara-san.
Elle s’éloigna afin de répondre. Peut-être que Shinohara était celle que Mii-chan prévoyait de rejoindre. En observant ses actions, Onodera se mit à parler à voix basse, de manière à ne pas déranger l’appel.
Onodera — Récemment, Sudou-kun te fait beaucoup d’éloges.
Moi — Vraiment ?
Onodera — Au début, j’ignorais la chose, mais quand Horikita a montré la difficulté de battre Ichinose-san, j’ai un peu compris. Ah… bien sûr, pour ce qui est de Maezono-san, c’était malheureux… j’imagine ?
Matsushita — Tes capacités sont enfin reconnues, Ayanokôji-kun.
Onodera —Matsushita-san, tu l’observais depuis un moment ?
Matsushita — J’avais juste un pressentiment. Il restait discret et là, il a pris le rôle de général et a gagné. Il est passé à la vitesse supérieure.
Moi — Eh bien… On va dire ça.
Onodera — Heh, un faucon qui cachait ses griffes ? C’est rassurant.
En disant cela, Onodera tapa légèrement ma poitrine avec son poing.
Onodera — L’expulsion de Maezono-san a été un choc, mais Mii-chan comprend. Elle ne dit rien de mal sur toi, alors ne t’inquiète pas.
Moi — Je connaissais les conséquences, donc aucun souci.
Onodera — Ne prends pas tout sur toi, tu sais.
Matsushita — Oui, on est là pour aider aussi, alors fais-nous signe.
Après un moment, notre conversation à trois se conclut. Ensuite, j’informai le groupe que j’avais un rendez-vous et me dirigeai au Keyaki avant elles.
1
Il était 12h17. Lorsque j’arrivai au café pour mon rendez-vous, Hoshinomiya-sensei était déjà assise. Elle jouait avec son téléphone d’un air ennuyé.
Moi — Désolé pour le retard.
Mlle Hoshinomiya — Tu as 17 minutes de retard, Ayanokôji-kun. C’est très impudent de ta part de faire ça quand on a rendez-vous avec moi.
Moi — Je suis désolé.
Malgré mes excuses, Hoshinomiya-sensei ouvrit la bouche avec une expression à mi-chemin entre l’insatisfaction et l’étonnement.
Mlle Hoshinomiya — Eh, c’est tout ? Tu pourrais au moins te justifier.
Moi — Je me suis rendormi et puis en me réveillant, il était presque midi.
Une raison vague. Elle mit ses doigts sur le front, fronçant les sourcils.
Mlle Hoshinomiya — Si c’était un rencard, tu aurais été recalé à 100% !
Elle soupira devant l’excuse ridicule et plissa plus les lèvres, mécontente.
Mlle Hoshinomiya — Eh bien, ne perdons pas de temps plus que ça. Alors, tu voulais me voir pour quoi au juste ?
Moi — Et si je disais que je voulais un rencard ?
Mlle Hoshinomiya — Arrête ça. Je n’ai pas envie de m’entendre avec quelqu’un qui se rendort le jour d’un premier rendez-vous.
Tout en sachant que cette discussion n’avait rien de formel, je poursuivis.
Moi — Je voulais parler de l’examen avec vous, Hoshinomiya-sensei.
Jusque-là, elle semblait mécontente, mais son attitude changea radicalement.
Mlle Hoshinomiya — Hein ? Maintenant ?
Son expression témoignait de sa surprise, comme si elle pensait à une blague de ma part.
Moi — C’est peut-être un peu tard, mais la classe de Horikita a gagné.
En arrivant en retard et en la provoquant, son agacement était naturel
Mlle Hoshinomiya — Tu es bien distant. Cette classe est la tienne, non ?
Tout en pointant mes paroles subtiles, Hoshinomiya-sensei prit une serviette en papier et essuya les gouttes d’eau sur le verre posé sur la table.
Mlle Hoshinomiya — J’ai regardé le match contre Ichinose-san. C’est incroyable de voir que tu puisses faire ça à une fille qui t’aime bien.
Moi — C’était nécessaire pour gagner.
Mlle Hoshinomiya — Alors tout est acceptable tant que ça mène à la victoire ? Même utiliser les sentiments d’une fille qui t’aime, ça te va ?
Moi — Je ne vois pas où est le problème.
En disant cela, Hoshinomiya-sensei se couvrit le visage de ses mains et laissa échapper un profond soupir.
Mlle Hoshinomiya — Tu es vraiment horrible. Le pire même.
Cependant, je soulignai son hypocrisie.
Moi — Pourtant vous êtes pareil sensei, je me trompe ?
Mlle Hoshinomiya —…C’est assez impoli de dire ça.
Moi — Alors, niez-le. Allez-y.
En insistant davantage, Hoshinomiya-sensei cessa de bouger pendant quelques secondes, tombant dans le silence. Puis, en retirant ses mains, elle me lança un regard perçant. Cependant, elle finit par hocher la tête comme si elle l’admettait. Si cela était nécessaire pour gagner, elle n’hésiterait pas à utiliser les sentiments de quelqu’un. Qu’elle ait ou non la capacité d’élaborer un tel plan, elle était capable de mener une telle stratégie si elle le souhaitait.
Mlle Hoshinomiya —Tu as acculé mentalement Ichinose-san pendant l’examen, et à cause de ça, c’est le chaos dans la classe à tous les niveaux. Tu comprends, non ? Donc, je n’ai pas envie de m’attarder ici.
Le Keyaki était animé, mais on attirait forcément l’attention.
D’ailleurs, quelques élèves avaient commencé à s’intéresser à notre présence.
Mlle Hoshinomiya — Alors, tu voulais parler de quoi ?
Moi — Pourquoi ne pas avoir refusé le rendez-vous ? Vous ne pensiez pas à un rencard par hasard, Hoshinomiya-sensei ?
Mlle Hoshinomiya — Je pensais que tu avais des soucis d’élèves à confier.
Moi — Ce serait valable seulement pour un professeur principal.
Mlle Hoshinomiya — Tu n’en sais rien. Si c’est à propos d’amour, c’est inutile d’en parler avec Sae-chan, pas vrai ? Je n’ai pas réfléchi plus longuement que ça. Je me suis juste dit que j’écouterais.
Moi — Ah oui ?
Hoshinomiya-sensei et moi nous nous fixions du regard comme si l’on continuait à se sonder mutuellement.
Moi — Vous avez dû anticiper que la conversation concernerait l’examen. Et vous avez envisagé la possibilité que ce soit une information utile pour vous, ce qui explique pourquoi vous êtes venue jusqu’ici.
Mlle Hoshinomiya — …C’est…
Elle avait délibérément montré de l’hostilité pour éviter que ses véritables pensées ne soient percées à jour. Considérant sa position de professeur, elle devait maintenir une posture de déni en apparence.
Moi — Faisons un effort mutuel pour faire avancer cette conversation.
Mlle Hoshinomiya — Tu dis ça, mais…
Moi — Vous m’aviez demandé une certaine coopération avant l’examen spécial, n’est-ce pas ?
Elle restait méfiante.
Hoshinomiya — …De quoi parles-tu ?
Toujours sur ses gardes, elle ne semblait pas prête à l’admettre ouvertement.
Moi — J’avais refusé à ce moment-là, mais je me suis dit qu’il pourrait y avoir matière à réflexion à l’avenir, selon les conditions.
Mais ma déclaration agaçante n’allait pas manquer de provoquer sa colère.
Mlle Hoshinomiya — Ha ? C’est mort. L’examen spécial est déjà terminé et les résultats sont largement en ta défaveur. Et maintenant, tu veux coopérer ? Non, non, c’est trop tard. Tu es stupide ou quoi ?
Si j’avais voulu coopérer, j’aurais dû m’associer dès le départ, en effet.
Moi — Je comprends ce que vous ressentez, mais c’était juste avant l’examen spécial, un événement majeur pour les élèves. N’importe qui serait perturbé et confus par une proposition aussi inattendue, et il lui serait impossible de juger sainement. De plus, un professeur demandant à un élève de trahir sa classe, c’est inimaginable, non ?
Mlle Hoshinomiya — C’est…
Elle ne pouvait rien répondre face à cette logique implacable.
Moi — Cependant, je ne pense pas que votre objectif était mauvais. Maintenant que l’examen est terminé et que j’ai repris mes esprits, je me suis dit que ça pourrait valoir la peine d’en reparler.
Elle ne devait pas apprécier, mais elle retrouva également son sang-froid.
Mlle Hoshinomiya — Non mais c’est trop suspect. Ce que je t’ai proposé était que tu perdes contre moi, Ayanokôji-kun. Cela signifiait trahir ta classe. Et maintenant, tu dis qu’il serait acceptable que je gagne lors des futurs examens spéciaux ? C’est insensé.
Moi — Vous connaissiez ce principe quand vous êtes venu me voir. C’est la même chose. Si le deal en vaut la peine, c’est une autre histoire.
Mlle Hoshinomiya —…Hein ? Tu es sérieux ? Tu veux coucher avec moi, et tu es prêt à trahir ta classe pour ça ?
Hoshinomiya-sensei, avec un regard de mépris, semblait abasourdie comme si elle avait oublié que c’était elle qui avait proposé la chose au départ.
Moi — Malheureusement, ça ne m’intéresse pas. Mais je pourrais envisager d’autres conditions.
Mlle Hoshinomiya —…Quelles autres conditions ?
Moi — La chose la plus importante dans cette école, ce sont les points privés, avant tout. Si vous pouvez arranger quelque chose en utilisant votre autorité en tant que professeur, je pourrais y réfléchir.
Mlle Hoshinomiya —…Tu es vraiment sérieux ?
Moi — Je n’avais pas l’intention à l’origine d’être diplômé en classe A. Si je peux avoir des points privés qui améliorent ma vie scolaire ou me profitant après la remise des diplômes, ça m‘arrangerait.
Mlle Hoshinomiya — Je sais que tu te fiches un peu de la classe A, mais désolée, je ne peux pas te croire. C’est trop suspect. Après tout, que peux-tu même faire, Ayanokôji-kun ? Tout est déjà terminé.
Moi — Il reste un an. S’il s’agit d’affronter la classe de Horikita, il ne serait pas impossible de transmettre des informations internes. Rien que cela pourrait vous donner un avantage.
Mlle Hoshinomiya — Même ainsi, ce que toi seul peux faire est limité. Même si ta classe échoue, celle de Sakagami-sensei deviendra le prochain obstacle. Et il n’y a aucun espoir pour ma classe de s’élever. C’est comme verser de l’eau sur une pierre chaude[1].
Un soupir de déception et un sentiment de mécontentement persistant.
Mlle Hoshinomiya — Je t’ai donné une chance avant l’examen spécial de fin d’année. Cette fois-là était la première et la dernière. Compris ?
Moi — Vous êtes donc fermée à toute négociation alors que votre classe est au bord du gouffre.
Mlle Hoshinomiya — Ce n’est pas ton problème. On se débrouillera.
Moi — Et comment ? Pouvez-vous vous relever à temps pour ça ?
Mlle Hoshinomiya — Il existe des moyens, mais je ne dirai rien.
Moi — Donc vous allez utiliser tous les moyens nécessaires pour faire montrer votre classe, quitte à vous servir de votre autorité de professeur.
Elle me lança le regard le plus perçant de notre conversation jusqu’à présent.
Mlle Hoshinomiya — Je ferai absolument tout pour atteindre la Classe A. Par tous les moyens nécessaires.
Elle semblait prête à conclure, vidant d’une traite le dernier tiers de son verre.
Moi — Attendez, s’il vous plaît.
Mlle Hoshinomiya — Je refuse de continuer à perdre mon précieux temps avec un emmerdeur tel que toi
Moi — Très bien, mais je ne pense pas que les personnes derrière vous ressentent la même chose.
Mlle Hoshinomiya — Hein ?
À contrecœur, Hoshinomiya-sensei se retourna avec un regard perplexe et s’arrêta net en voyant trois personnes approcher.
Mlle Hoshinomiya — Que se passe-t-il… ? Que font Sae-chan et les autres ici ?
Les trois personnes approchant furent Chabashira-sensei, Mashima-sensei, et Sakagami-sensei.
Les professeurs principaux de chaque classe des élèves de première.
2
Ce matin-là, j’avais discuté avec Mii-chan et les autres peu après 10h30.
Plus tard, j’avais rencontré Hoshinomiya-sensei dans un café juste après 12h00. Un intervalle de temps s’était écoulé entre ces deux moments.
En réalité, la veille au soir, tout en contactant Hoshinomiya-sensei, j’avais également approché Chabashira-sensei, en lui disant que j’avais besoin d’une consultation. Que je souhaitais la rencontrer au Keyaki à 11h00. Au départ, elle avait voulu que la discussion ait lieu à l’école, mais après avoir insisté, elle avait fini par accepter à contrecœur.
Il était compréhensible qu’elle hésite mais j’étais convaincu qu’elle n’allait pas refuser une demande venant de moi. La consultation pouvait impliquer des sujets comme l’expulsion de Maezono ou des conflits entre camarades. Il n’était pas difficile d’imaginer son inquiétude quant à mon état mental.
J’enfilai des vêtements décontractés, quittai le dortoir tôt pour avoir suffisamment de temps, et me dirigeai au Keyaki. Cependant, je tombai sur Mii-chan et les autres en chemin et arrivai finalement à 10h50.
Mlle Chabashira — Tu es plutôt en avance.
Mlle Chabashira m’aperçut de loin. Peut-être pensait-elle qu’il n’était pas approprié pour un professeur de faire attendre un élève, car elle était arrivée plus tôt que prévu.
Moi — Désolé de vous avoir fait attendre.
Je l’avais interpellé en m’approchant. Elle vérifia à ce moment-là sa montre.
Mlle Chabashira — Tu ne m’as pas vraiment fait attendre. Il reste encore un peu de temps avant notre rendez-vous. Ne t’inquiète pas.
Après avoir répondu, elle regarda autour d’elle, visiblement mal à l’aise.
C’était un endroit isolé et il était peu probable que d’autres élèves se trouvent dans les parages. Mais elle ne pouvait s’empêcher de s’inquiéter.
Mlle Chabashira — Je n’aurais jamais discuté ici avec un élève.
Elle se gratta légèrement la joue du bout du doigt, révélant son malaise.
Moi — Cela ne vous est jamais arrivé avant ?
Mlle Chabashira — Bien sûr que non.
Un professeur rencontrant un élève pendant un jour de repos, je ne sais pas ce qu’il en était dans les écoles normales, mais ici, cela ne semblait pas particulièrement inhabituel.
Moi — Ah, je vois. Vous préférez garder de la distance avec vos élèves.
Elle plissa les yeux, me lançant un regard assassin.
Mlle Chabashira — Ayanokôji, tu as vraiment pris la confiance.
Moi — Je m’excuse.
Mlle Chabashira — Une excuse ne suffit pas, tu sais.
Elle me corrigea ainsi, sous-entendant que si je savais que j’allais m’excuser par la suite, je n’avais pas à dire la chose en premier lieu.
Mlle Chabashira — Avait-on vraiment besoin de se rencontrer ici ?
C’est sûr que pour une consultation, il y avait des endroits plus appropriés.
Moi — Sachez qu’il n’y avait pas meilleur endroit, ne vous en faites pas.
Mlle Chabashira — J’aimerais connaître la raison de cette décision.
Ayanokōji — Je comprends. Mais il faut attendre deux autres personnes.
Mlle Chabashira — Deux autres personnes ?
N’étant pas informée, elle fut surprise d’entendre qu’il y avait d’autres participants à la réunion. C’est normal, j’avais délibérément gardé cela secret.
Moi — Je pense que cette question est trop difficile à résoudre seul.
Son expression devint encore plus grave en réponse.
Mlle Chabashira — Horikita… et Hirata aussi ? La situation est-elle bien pire que ce que j’imaginais ?
Elle avait supposé qu’il s’agît d’un problème lié à un camarade et avait posé la question à voix basse. Il n’était plus nécessaire de faire allusion à la question de Maezono. Peut-être valait-il mieux la rassurer un peu.
Moi — Mais non. Cela n’a rien à voir avec Maezono ou la classe.
Mlle Chabashira — Je pensais que tu étais sous pression à cause de ça.
Moi — Heureusement, après l’examen, la plupart des élèves ont convenu que ce qui avait été fait était nécessaire pour gagner.
Pour l’instant, aucun élève ne m’avait confronté en privé.
Mlle Chabashira — …Alors tant mieux.
Elle soupira, visiblement soulagée.
Moi — Puisqu’ils ne sont pas encore là, je suis prêt à répondre à toutes vos questions, si vous en avez.
Mlle Chabashira — Des questions ?
Moi — Bien sûr. Vous avez regardé l’examen, n’est-ce pas ?
Son expression détendue devint légèrement plus sérieuse.
Mlle Chabashira — Les élèves sont libres de se battre comme ils le souhaitent tant que les règles sont respectées. Je suis satisfaite que la classe ait gagné et qu’elle passe en classe A.
Moi — Même si cela signifie expulser un élève au passage ?
Mlle Chabashira — …Ce n’est certes pas agréable, mais en tant que professeur, s’impliquer trop dans les problèmes de la classe mène souvent à des ennuis. J’ai appris cela à mes dépens en essayant de t’utiliser auparavant. Je préfère ne pas répéter cela.
Elle faisait probablement référence à l’examen de l’île déserte l’an passé, sous-entendant que l’influence de mon père l’avait attiré pour s’octroyer la victoire. Bien sûr, elle n’avait pas enfreint les règles de l’examen, mais cela aurait pu être considéré comme moralement douteux.
Mlle Chabashira — Maintenant que j’y pense, ça me fait tout drôle.
Malgré son regard rempli de rancune, son expression se transforma en un sourire en coin, accompagné d’un soupir.
Mlle Chabashira — Eh bien, je ne sais pas si je devrais appeler cela une bénédiction déguisée, mais grâce à ça, j’ai pu ouvrir les yeux. C’est parce que tu es un élève qui n’a aucune pitié, même face à ses professeurs, que j’ai pu évoluer.
En effet, même maintenant, je m’opposais en quelque sorte à des professeurs dans ce rassemblement d’aujourd’hui.
Mlle Chabashira — Je ne suis pas douée pour deviner les intentions des autres. On dirait qu’une personne est arrivée.
Elle tourna la tête pour suivre la personne qui approchait.
Mlle Chabashira — Hmm…? Sakagami-sensei…?
Au lieu d’un élève, c’était Sakagami-sensei, vêtu de vêtements décontractés, qui s’approchait. Presque simultanément, Mashima-sensei apparut également. Les professeurs arrivèrent presque à l’heure prévue. À l’exception de moi, un élève, trois professeurs principaux s’étaient réunis à cet endroit.
M. Mashima — De quoi s’agit-il, Ayanokôji ? Je pensais être le seul.
Mashima-sensei fut le premier à exprimer ses doutes. Ses mots firent réaliser à tout le monde qu’ils avaient tous cru que c’était un tête-à-tête.
M. Mashima — Je n’apprécie pas que tu convoques des professeurs sous de faux prétextes. C’est un problème.
Voyant la situation, il me réprimanda avec une expression sévère.
Mlle Chabashira — Mashima-sensei, je n’ai pas été informée des détails par Ayanokôji non plus, mais entendons ce qu’il a à dire. Laissons couler.
M. Mashima — Non. Il doit y avoir une distance appropriée entre les professeurs et les élèves. Et surtout, il ne doit pas y avoir de mensonges entre nous pour maintenir cette confiance.
Mlle Chabashira — Eh bien, c’est… vrai, mais…
Elle avait tenté d’intervenir, mais il l’ignora et continua à faire la morale.
M. Mashima — Écoute, Ayanokôji. En tant qu’élève de cette école, t…
Moi — J’ai réussi à avoir toutes les informations sur Akiyama-san.
Mashima-sensei s’interrompit brusquement, coupant son discours, et me pardonna avec bienveillance.
Mlle Chabashira — Mashima-sensei ? Tout va bien ?
M. Sakagami — Akiyama-san ? Je ne me souviens pas d’une telle élève.
M. Mashima — Ne vous inquiétez pas pour ça. Écoute, Ayanokôji, j’ai quelque chose à te dire plus tard. Compris ?
Je hochai la tête, et Mashima-sensei fit de même, d’un signe affirmatif.
Akiyama était le nom d’une employée de la salle de sport du Keyaki que Mashima-sensei et moi fréquentions. Et Mashima-sensei avait des vues sur elle. J’avais promis de recueillir des informations sur son statut relationnel, ses goûts et ses passe-temps. C’était franchement fastidieux, mais j’avais terminé cette tâche. Cela avait semblé suffire.
M. Sakagami — Qu’est-ce qui se passe au juste ? Explique-nous.
Moi — Bien sûr. La raison pour laquelle je n’ai pas annoncé ce rassemblement à l’avance était d’éviter toute fuite. En réalité, aujourd’hui, je vous ai rassemblés ici pour une raison précise.
Ma formulation, qui semblait laisser entendre quelque chose, poussa Sakagami-sensei à croiser les bras, intrigué.
M. Sakagami — On t’écoute.
Estimant qu’il valait mieux avancer dans la discussion sans tarder, il m’incita à poursuivre.
Moi — Avant l’examen spécial de fin d’année, Hoshinomiya-sensei m’avait approché. Les règles avaient été expliquées aux représentants, et après avoir terminé de former les groupes, je suis sorti de la salle de classe pour aller aux toilettes.
J’expliquai cette situation spécifique afin de les remettre dans le bain.
Mlle Chabashira — …Chie, non, Hoshinomiya-sensei ?
Elle se corrigea, utilisant son nom de famille devant Mashima-sensei et Sakagami-sensei.
M. Sakagami — En effet. Elle avait également quitté son siège en disant qu’elle avait besoin d’aller aux toilettes. C’était à ce moment-là ?
Il se souvenait clairement de ce moment et répondit sans hésiter.
Moi — En réalité, je pense que Hoshinomiya-sensei n’avait pas besoin d’y aller. Après m’avoir parlé, elle est retournée en salle d’attente.
M. Mashima — C’était juste une excuse pour te parler, Ayanokôji-kun ?
Moi — C’est exact.
Mlle Chabashira — Mais il n’y a aucune règle qui empêche les professeurs et les élèves de parler.
Moi — Je n’ai pas déterminé que son approche était un problème, mais plutôt le contenu de la conversation.
À ce stade, je rapportai fidèlement ma conversation sans rien omettre. Y mêler des mensonges ou des malentendus ne m’aurait apporté aucun bénéfice.
Moi — Elle m’a demandé de céder la victoire.
Je poursuivis mon explication.
Moi — Elle m’a dit que Chabashira-sensei était la seule personne face à qui elle ne pouvait pas perdre. En retour, elle a affirmé qu’elle ferait tout ce qu’elle pouvait, allant même jusqu’à proposer de me fournir des informations sur les examens spéciaux à l’avance ou de payer en nature.
Une fois mon récit terminé, Chabashira-sensei se prit la tête dans ses mains avec une expression douloureuse, et Mashima-sensei laissa échapper un profond soupir de déception sans essayer de le cacher.
M. Mashima — C’est un problème grave si tout cela est vrai…
M. Sakagami — Chabashira-sensei, si nous laissons Chie sans surveillance, son comportement déviant pourrait s’aggraver.
Chabashira-sensei comprenait que la situation devenait sérieuse. Mashima-sensei, lui aussi, devait prendre une décision en conséquence.
M. Mashima — C’est une affaire très délicate, mais nous ne pouvons pas faire autrement. Il faudrait tout de même agir de manière mesurée.
Bien que son visage fût sombre, il hocha la tête avec détermination.
Mlle Chabashira — Nous pouvons encore calmer les choses maintenant.
M. Sakagami — Que comptez-vous faire ?
M. Mashima — Si Hoshinomiya-sensei se corrige, nous pouvons garder cette affaire entre nous. Ayanokôji a clairement refusé toute collaboration, donc le problème n’a pas éclaté.
Que ce soit en raison de leur passé commun de camarades ou simplement parce qu’ils étaient tous deux responsables des élèves de première, il était clair que Mashima-sensei souhaitait éviter d’aggraver la situation. Chabashira-sensei semblait également d’accord, ne montrant aucun signe d’objection.
Cependant, Sakagami-sensei, qui semblait n’avoir aucune connexion personnelle avec Hoshinomiya-sensei, n’était pas disposé à faire preuve de clémence. Sa classe étant actuellement en excellente position pour viser la Classe A, il se tenait prêt à agir avec impartialité.
M. Sakagami — Vous êtes tous les deux assez indulgents. Même s’il ne s’agit que d’une tentative, si c’est vrai, cela devrait être signalé.
Mlle Chabashira — Mais ! C’est…
Elle réagit rapidement, mais Sakagami-sensei la calma d’un ton posé.
M. Sakagami — Pas de conclusions hâtives. Je ne dis pas que nous devons immédiatement signaler cela à l’école.
Pour les deux anciens camarades de classe, Sakagami-sensei représentait probablement la présence la plus gênante dans cette discussion.
M. Sakagami — Vouloir faire gagner sa classe à tout prix est inévitable, compte tenu du système de cette école. Ce n’est pas quelque chose qui se limite uniquement aux élèves. Même les adultes recourent parfois à des tactiques douteuses. Moi-même, j’ai pris des mesures quelque peu biaisées auparavant, en pensant que c’était pour le bien de ma classe.
Il était difficile de dire s’il faisait référence à l’incident impliquant Sudou au Conseil des élèves pendant notre année de seconde ou à autre chose.
M. Sakagami — Que nous le signalions ou que nous réglions cela entre nous, nous devons être prudents quant à la crédibilité de la situation. Nous ne savons pas si ce qu’Ayanokôji-kun dit est vrai.
Mlle Chabashira — Vous n’allez tout de même pas douter d’un élève ?
M. Sakagami — Je ne dis pas cela, mais nous avons besoin de preuves solides. Si Hoshinomiya-sensei est accusée à tort, sa colère serait logique. Et alors, nous, qui l’avons soupçonnée, ferions face à une situation délicate. Qui sait les répercussions que cela pourrait avoir.
Moi — C’est une analyse rationnelle. Vous ne pouvez pas simplement faire confiance à mes paroles.
J’étais intervenu pour anticiper et appuyer l’argument de Sakagami-sensei.
Moi — Mes propres sentiments personnels entreraient en jeu, et Chabashira-sensei irait me couvrir en tant que professeur principal. Même si elle avait des doutes à propos de mon histoire, il est tout à fait possible qu’elle ne cherche pas à rassembler des preuves adéquates.
Sakagami-sensei ajusta ses lunettes après avoir observé ma réaction anticipée.
M. Sakagami — Étant donné ta façon de parler, tu as une idée, pas vrai ?
Moi — Oui. J’ai arrangé une rencontre avec Hoshinomiya-sensei dans un café à midi. Je ne lui ai pas dit la raison exacte, mais elle a accepté de venir, probablement parce qu’elle a des soupçons. Alors, je prouverai d’abord que ce que j’ai dit est vrai là-bas.
Après avoir dit cela, je sortis mon téléphone portable.
Moi — Avant de la rencontrer au café, j’appellerais Chabashira-sensei. Ensuite, écoutez ma conversation avec Hoshinomiya-sensei en temps réel, et si vous obtenez des preuves concluantes, veuillez intervenir.
M. Mashima — Écouter la conversation à son insu ? Je ne peux pas dire que j’approuve cette méthode.
Mashima-sensei exprima son mécontentement à ce sujet, mais Sakagami-sensei, apparemment satisfait de l’idée, intervint pour le calmer.
M. Sakagami — Non, c’est la meilleure approche. Je pense que c’est la méthode la plus appropriée pour vérifier si elle révélera la vérité de sa propre bouche. Chabashira-sensei, cela vous convient, n’est-ce pas ?
Mlle Chabashira — …Eh bien… oui.
Elle semblait plus troublée par la possible mauvaise conduite de Hoshinomiya-sensei que d’autre chose.
M. Sakagami — Bien que je ne puisse pas dire que cela suffit, si nous la prenons en flagrant délit et qu’elle assure de ne plus rien tenter, je n’ai pas l’intention de faire remonter l’affaire.
Mlle Chabashira — Vraiment, Sakagami-sensei ?
M. Sakagami — Oui. Si je joue le rôle du méchant devant vous deux ici, cela me mettrait dans l’embarras l’an prochain. Si ma classe finit par prendre le feu concentré des trois autres classes et perd, il en sera de ma responsabilité.
En tant que professeur principal, il expliqua qu’il ne voulait pas entraver la progression de la classe de Ryuuen.
Une fois le plan décidé, je choisis de passer à l’action.
Moi— Pouvez-vous tous attendre ici un moment ? Une fois que je rencontrerai Hoshinomiya-sensei, je passerai l’appel pour que vous puissiez écouter. Vous pouvez venir intervenir dès que vous avez des preuves concluantes.
Après avoir expliqué cela, je décidai de me diriger seul près du café du Keyaki pour attendre.
3
Cela s’est produit avant ma rencontre avec Hoshinomiya-sensei au café. Ce n’était en aucun cas une coïncidence que ces trois professeurs principaux apparaissent à cet endroit précis. Ce regroupement inhabituel attira forcément le regard des autres. Bien que surprise au départ, Hoshinomiya-sensei répondit avec un sourire. Lorsqu’on lui stipula qu’ils devaient discuter, elle se montra coopérative, mais nous décidâmes de partir ailleurs. Quatre professeurs autour d’un élève attirait forcément l’attention alors il fallait choisir un endroit isolé, mais pas non plus pour la mettre mal à l’aise.
Aller dans le bâtiment scolaire était risqué car d’autres enseignants pouvaient entendre la discussion, mais il fut décidé de continuer dans le dortoir des professeurs, et plus précisement, dans la chambre de Mashima-sensei. Pendant le trajet, Hoshinomiya-sensei me lança un regard signifiant clairement, « Tu as fait fort cette fois ». Je feignis l’ignorance et suivis le mouvement. La pièce, légèrement plus grande que celles des élèves, faisait environ 40 m², mais il n’y avait rien de particulièrement notable.
Mlle Hoshinomiya — Alors ? De quoi s’agit-il ? Je suis bien curieuse.
Mlle Chabashira — Tu sais très bien de quoi il s’agit, Chie.
Mlle Hoshinomiya — Si je le savais, je ne poserais pas la question.
Elle le savait très bien, mais elle voulait avoir confirmation. Chabashira -sensei échangea avec les autres professeurs, prenant une profonde inspiration.
Mlle Chabashira — Utiliser les élè… Non, on ne peut pas ignorer tout acte d’un professeur ne respectant pas les règles établies.
Mlle Hoshinomiya — Hein ? Quoi ? Je ne comprends pas.
M. Mashima — Désolé, mais nous avons écouté ta conversation avec Ayanokôji. Toute excuse bancale se retournera contre toi, Hoshinomiya.
Hoshinomiya-sensei ne parut pas plus gênée que ça par le coup de pression.
Mlle Hoshinomiya — Vous étiez en communication tout ce temps ?
M. Mashima — Exactement.
Mlle Hoshinomiya — Hmm. Mais je ne me souviens pas avoir dit quelque chose de mal. Vous avez des preuves ?
M. Mashima — Je n’ai pas enregistré la conversation, mais nous étions trois à l’écouter.
Mlle Hoshinomiya — Ça ne suffit pas. Vous essayez juste de me piéger.
Plutôt que d’être effrayée, elle tenta de retourner la situation contre eux.
M. Sakagami — Vous êtes bien têtue. Nous pourrions tout à fait signaler vos manquements à la direction.
Contrairement aux autres, Sakagami-sensei était déterminé.
Mlle Hoshinomiya — Demander de l’aide à Ayanokôji-kun est considéré comme un manquement ? Vous ne partez pas un peu loin, là ?
Elle resta imperturbable, répondant à Sakagami-sensei avec aplomb.
M. Sakagami — Je pense qu’il s’agit d’un gros problème.
Mlle Hoshinomiya — Allez donc me signaler. J’accepterai la sanction.
Elle répliqua avec force, défiant toute tentative d’intimidation. Voyant que la discussion risquait de tourner en rond, les enseignants continuèrent.
Mlle Chabashira — On ne peut juste pas continuer à tolérer ça, Chie.
Mlle Hoshinomiya — Oh, voyons, Sae-chan, tu me connais bien, je ne ferais rien de douteux avec lui. Disons que le ton était un peu monté.
Elle nia ouvertement toute faute.
M. Mashima — Je vois, tu restes tenace. Si tu promets de ne pas dépasser les limites, nous ne ferons rien remonter à l’établissement.
Mlle Hoshinomiya — Vous en faites trop. Ayanokôji-kun est jeune et a pris ma blague au sérieux. Même si ma classe est en difficulté, je ne voulais pas qu’il trahisse sa classe. C’était pour jauger sa réaction.
Il était clair qu’elle cherchait à se tirer d’affaire par tous les moyens possibles.
Même si les professeurs décidaient de ne pas porter l’affaire plus loin, un effet avait été obtenu. Elle ne pouvait désormais plus agir imprudemment.
Mlle Chabashira — Peux-tu promettre que tu ne feras rien de stupide ?
Mlle Hoshinomiya — C’est une évidence, Sae-chan. Les professeurs n’ont pas à se mêler de la lutte des classes.
Mlle Chabashira — Je ne plaisante pas. Je suis vraiment inquiète.
Elle avait réduit la distance entre elles, posant les mains sur les épaules de Hoshinomiya-sensei qui avait toujours un ton léger. En tant qu’ancienne camarade et collègue enseignante, elle lui fit un appel sincère. Mais malgré la sincérité de l’action, l’expression de Hoshinomiya-sensei se durcit pour la première fois. Jusqu’à présent, elle n’avait montré que de la désinvolture.
Mlle Hoshinomiya — Hein ? J’ai l’impression que je vais vomir, arrête.
Sa voix devint froide, et elle lui attrapa fermement l’avant-bras.
Mlle Chabashira — Chie… ?
Mlle Hoshinomiya — Tu es vraiment inquiète ? Dans ce cas arrêtes de viser la classe A. Tu n’as rien à faire là-bas.
Mlle Chabashira — C… C’est…
Mlle Hoshinomiya — Te voir finir en classe A me serait insupportable.
Les mots Chabashira-sensei furent si irritant qu’elle avait provoqué une réponse franche. Mais les autres professeurs ne se montrèrent nullement surpris, jugeant que cela faisait sens.
Mlle Hoshinomiya — Je ne t’ai pas pardonnée, Sae-chan. Que la Classe A soit ton objectif est quelque chose que je ne pourrai jamais accepter.
Mlle Chabashira — Que tu me haïsses c’est une chose. Mais nous sommes des professeurs dorénavant. Est-ce mal de viser ce qu’il y a de mieux pour ses élèves ?
Mlle Hoshinomiya — Bien sûr que c’est mal.
Elle fut catégorique. Elle écarta ensuite violemment le bras Chabashira-sensei. Voyant cette détermination, Sakagami-sensei croisa les bras non sans intérêt.
M. Sakagami — Nous sommes tous des anciens élèves d’ici. Je sais que vous avez eu vos différends, mais comme l’a dit Chabashira-sensei, c’est une histoire qui date de vos années lycée. Même si elle parvient en classe A, son salaire sera augmenté et cela affectera positivement son évaluation professionnelle au mieux. Est-ce là le fond du problème ?
Mlle Hoshinomiya — Non, ce n’est pas ça. Certes, c’est une chose à considérer, mais ce qui m’importe vraiment c’est que…
Elle hésita légèrement avant de continuer.
Mlle Hoshinomiya — Finir en classe A permettrait à Sae-chan d’exorciser son passé. Je ne vois pas en quoi elle aurait droit à ce bonheur.
M. Sakagami — Alors, c’est vraiment juste une rancune personnelle ?
La classe de Hoshinomiya avait vu ses rêves brisés à cause des actions de Chabashira-sensei lors d’un examen spécial du consensus où elle n’avait pas pu sacrifier l’un de ses camarades pour le bien de la classe. Ce passé ne pouvait pas être changé, mais c’est précisément pour cette raison que la rancune n’a jamais pu s’estomper, grandissant encore plus chaque jour. Au minimum, Hoshinomiya voulait que Chabashira-sensei ait des regrets permanents.
Même si Chabashira-sensei disait qu’elle n’oublierait jamais, ça ne suffirait pas à pleinement satisfaire Hoshinomiya, elle-même prisonnière de ce passé. Elle voulait continuer à alimenter sa culpabilité en empêchant ses élèves de réussir. Si Chabashira-sensei finissait en classe A, Hoshinomiya perdrait son seul moyen de supporter la douleur.
Mlle Chabashira — À ce point… Non, c’est normal, je n’ai pas d’excuse.
Mlle Hoshinomiya — Exactement, tu es indéfendable. Je suis horrible, mais ça va, j’ai l’habitude qu’on me considère ainsi. J’ai toujours été profondément détestée par ceux qui ne m’aimaient pas. Tu le sais bien, Sae-chan, on se côtoie depuis la seconde après tout.
Parce qu’elle était sûre de pouvoir vivre et supporter son passé ainsi, elle était capable d’exprimer audacieusement ses griefs et son amertume.
Mlle Hoshinomiya — Si tu veux que j’arrête, abandonne ton rêve de passer en classe A.
Mlle Chabashira — Je ne peux pas. Les professeurs n’ont pas à…
Mlle Hoshinomiya — Tu le peux ! Tu étais comme ça dans le passé, froide et détestée par tes élèves. Il te suffit de redevenir comme avant.
La Chabashira-sensei au moment de l’inscription et celle qui se tenait là maintenant étaient complètement différentes. Il était clair que la personnalité qu’elle montrait lors de notre première rencontre était une façade, incapable d’exprimer ses vrais sentiments à cause du poids de son passé. Le fait qu’un professeur s’occupe correctement de sa classe était un facteur crucial pour le développement des élèves. Dans le futur, alors que la compétition pour la Classe A allait s’intensifier, cela pouvait être déterminant pour le résultat.
Mlle Chabashira — Je…
Mlle Hoshinomiya — N’hésite pas. Promets-moi d’être comme avant, tout de suite. Si tu ne peux pas, alors ne te mêle plus de mes affaires.
M. Sakagami — Nous n’hésiterons pas à rapporter toute violation dont nous serons témoins. Vous pourriez perdre votre poste, vous savez ?
Cela n’avait pas l’air de l’en dissuader.
Mlle Hoshinomiya — En effet. Bien sûr, je ne commettrai aucune violation. Mais je lutterai jusqu’à la fin à ma manière, et si une quelconque faute venait à être découverte, alors qu’il en soit ainsi.
Ce n’était pas une menace, juste l’expression de ses véritables sentiments. On pouvait imaginer plusieurs raisons. Tout d’abord, Hoshinomiya-sensei ne pensait pas qu’il était nécessaire de s’accrocher à son poste. Elle était là simplement pour parasiter Chabashira-sensei et si être renvoyée lui permettait d’atteindre son objectif, alors le jeu en valait la chandelle.
M. Sakagami — Je vois. Vous semblez déterminée, mais… je dois dire que je ne comprends pas. Maintenant que nous connaissons vos motivations, nous vous avons à l’œil. Autrement dit, toute action irréfléchie de votre part mettrait à mal votre classe. Qui plus est, vos élèves s’en retrouveraient perturbés. Ah, je crois comprendre finalement !
Tout en exprimant ses doutes, Sakagami-sensei semblait également commencer à avoir les idées claires sur la position de Hoshinomiya-sensei.
Idéalement, elle était prête à aider sa classe, quitte à contourner les règles tant qu’elle n’était pas repérée. Elle était juste prête à tout risquer. Si elle se retrouvait au cœur d’un scandale, les chances pour que sa classe remonte seraient clairement nulles. Mais, en même temps, Chabashira-sensei portait un nouveau poids de culpabilité intense. Cela pouvait avoir un effet négatif sur la classe de Horikita. En réalité, rien que d’avoir cette conversation imposait déjà une tension mentale significative à Chabashira-sensei.
Mlle. Chabashira — Chie…
Hoshinomiya — Je ne t’accepterai jamais.
Il semblait que la détermination de Hoshinomiya-sensei était plus forte qu’on ne l’avait imaginé. Il serait impossible d’ébranler cette résolution ou de la faire changer d’avis en faisant les choses à moitié.
M. Mashima — Chabashira-sensei, pourquoi ne pas accorder un peu plus de temps à Hoshinomiya-sensei ?
Mashima-sensei, qui avait écouté attentivement, proposa la chose, non pas en tant qu’ancien camarade, mais responsable de classe.
Mlle. Chabashira — … Lui accorder du temps… ?
M. Mashima — Oui. Que Hoshinomiya-sensei prenne une décision maintenant ou que tu changes ta manière de penser, il n’est pas nécessaire de tirer de conclusions ici. Bien sûr, ce serait idéal si nous pouvions régler la situation, mais vu la situation actuelle, cela semble difficile. Mais heureusement, ce sont les vacances de printemps. Il y a encore assez de temps pour organiser ses pensées et avoir les idées claires. Une troisième option pourrait émerger durant cette période.
Même si cela semblait futile, reporter la décision jusqu’au début du nouveau trimestre n’était pas une mauvaise idée.
[1] Une métaphore japonaise décrivant une action futile ou sans effet. (L’eau s’évapore dans cet exemple).