Ce qui doit être achevé
Nous étions enfin vendredi après les cours. L’atmosphère au Keyaki était généralement bien différente de celle des autres jours de la semaine, à cause de l’euphorie du weekend. Mais cette fois, c’était différent, probablement parce qu’il y avait visiblement moins d’élèves que d’habitude au centre commercial. Une fois arrivé au café, Horikita, qui avait quitté la salle de classe plus tôt, était déjà assise en train d’attendre. En m’apercevant, elle fit signe qu’elle allait chercher sa commande et se dirigea vers la caisse. Je pris avec moi une tasse de café bien chaude et rejoignis Horikita. Assise en face de moi, elle semblait agitée, bougeant un peu ses membres dans tous les sens.
Moi — Quelque chose ne va pas ?
Horikita — Comment ça ?
Moi — J’ai l’impression que quelque chose te tracasse. J’espère que je me trompe.
Horikita — C’est si évident que ça ?
Moi — Ça l’est.
Horikita — Je vois. Non, je pensais juste à l’examen. Je m’excuse, je ne voulais pas t’inquiéter.
Moi — Tu es déjà nerveuse avant même que cela ne commence.
Horikita — Je n’y peux rien, car nous pouvons clairement creuser l’écart ou nous faire rattraper. C’est un tournant majeur pour notre classe.
Son sens des responsabilités avait clairement pris de l’ampleur. Il était normal de penser à plein de choses. Un peu de stress n’était pas si mal.
Horikita — Au fait, as-tu remarqué qu’il y a moins de seconde dans le coin ?
Voulant peut-être changer de sujet, elle dit cela en détournant le regard.
Moi — Oui. Ils goûtent à la spécificité d’un examen spécial de fin d’année.
Rien qu’en regardant autour du café, il était clair que le nombre de seconde était anormalement bas pour un weekend. Leur examen spécial devait être particulièrement difficile.
Horikita — Le temps semble s’écouler lentement, et pourtant, il passe si vite. Cela fait déjà un an qu’ils se sont inscrits ici.
Alors qu’elle n’avait qu’un an de plus, elle s’était embarquée dans une réflexion plutôt philosophique tout en buvant une gorgée de sa tasse.
Moi — On dirait une vieille dame.
Horikita — C’est un peu grossier de ta part. Tu ne pouvais pas formuler la chose autrement ?
Elle eut un ton désapprobateur. L’on pouvait sentir une douce odeur de thé allant dans sa direction.
Moi — C’est inhabituel pour toi du thé au lait, non ?
Horikita — J’avais l’impression d’avoir besoin d’un peu de sucre, car j’ai réfléchi à beaucoup de choses.
En tant que leader, elle était sur le front pour élaborer les stratégies.
Horikita — Je me demande quel genre d’examen les seconde ont eu.
Moi — Qui sait ? Si tu es curieuse, pourquoi ne pas leur demander ?
Horikita — Disons que ce n’est pas prioritaire au point d’aller voir un seconde spécialement pour ça. De plus, il n’est pas vraiment approprié pour un senpai de se mêler des examens spéciaux qui ne le concernent pas juste pour satisfaire sa curiosité, n’est-ce pas ?
Ce n’était pas le cas lorsqu’il s’agissait de demander des conseils, mais Horikita avait raison. En général, les problèmes devraient être résolus entre personnes de la même promo. Bien sûr, il y avait de rares cas où quelqu’un trouvait une solution en s’appuyant sur l’aide d’un senpai ou d’un kôhai.
Moi — Outre le contenu de l’examen spécial, quelle est la situation des seconde ?
Horikita — Leur classement n’a pas changé depuis l’inscription.
Ce que nous pouvions faire, tout en ayant un accord tacite pour ne pas interférer trop profondément avec les autres, était de regarder les informations divulguées par l’école et de les partager de manière objective.
Horikita — Lorsque Yagami-kun de la classe B a abandonné pour des raisons sans rapport avec l’examen spécial, ils ont subi une pénalité importante, mais l’écart avec les classes C et D était trop important pour chambouler le classement. Mais l’écart avec la classe A s’est creusé, et elle commence lentement à prendre le large.
Elle tourna l’écran de son téléphone vers moi.
Situation au 1er mars
(Année de seconde)
Classe 2nde A : 991 points
Classe 2nde B : 697 points
Classe 2nde C : 532 points
Classe 2nde D : 510 points
Elle semblait avoir fait toutes ces recherches en m’attendant.
Horikita — L’année dernière, notre situation n’était pas très différente, mais les trois dernières classes étaient assez proches. En fonction de l’examen spécial de fin d’année, un bouleversement dans le classement était possible.
Cela dépendait des récompenses et du contenu de l’examen, mais il était possible que la classe A et la classe D échangent complètement leurs places. Je ne me souvenais pas des chiffres exacts, mais la classe de Horikita et celle de Ryuuen tournaient toutes deux autour de 350 points. De plus, les seconde ont cette fois commencé avec 800 pc. Même la classe D avait actuellement plus de 500 points, ce qui signifiait qu’ils s’en sortaient plutôt bien.
Moi — Si l’on considère uniquement les points de classe, ils sont bien meilleurs que ceux de l’année dernière. Je suis curieux de savoir comment les seconde ont réussi à s’unir.
J’avais donné mon avis en toute honnêteté après avoir regardé le classement et les points. La classe A avait des leaders bien définis comme Takahashi ou Ishigami, et la classe D avait Hôsen, mais il semblait qu’il n’y avait actuellement aucun leader clair dans les classes B et C. Des élèves comme Tsubaki et Utomiya de la classe C sortaient un peu du lot, mais il y avait peu de signes montrant qu’ils dirigeaient activement. Quant à la classe B, Yagami en était le leader, mais avec son expulsion, il n’était pas évident de savoir qui avait pris le relais.
Horikita — Leurs points de classe sont peut-être élevés, mais cela ne signifie pas nécessairement qu’ils réussissent bien. Les examens spéciaux qu’ils passent sont différents de ceux de l’année dernière. Comme nos environnements sont différents, nous ne pouvons pas facilement les juger en nous basant uniquement sur la valeur des points.
Horikita s’était peut-être sentie légèrement frustrée de mes compliments à l’égard des kôhai, car elle avait rétorqué de manière assez vive.
Moi — C’est vrai, les capacités sont une autre histoire. Peut-être que notre promo avait juste plus de poids morts comme Sudou au début.
Horikita — Tu peux vraiment dire des choses méchantes quand tu t’y mets. N’en parlons plus.
C’était elle qui avait parlé des seconde mais maintenant elle voulait mettre un terme au sujet. Après avoir éteint l’écran, elle but une nouvelle gorgée.
Horikita — J’aimerais passer au sujet principal, mais dois-je d’abord écouter ce que tu as me dire ? Ou devrions-nous parler de l’examen ?
L’introduction avec les seconde semblait l’avoir un peu détendue.
Moi — Ça me va. C’était de ça que je voulais justement parler.
Horikita — Je t’en suis reconnaissante, c’est ce que j’espérais entendre.
Elle plissa les yeux de joie. Elle avait apprécié ma proactivité.
Horikita — Alors… penses-tu qu’il y a des mesures à prendre dès maintenant pour avoir un avantage ?
Elle secoua rapidement la tête d’un côté à l’autre, comme pour se corriger.
Horikita — Laisse-moi te poser une question plus directe. As-tu une stratégie gagnante en tête ?
Elle changea ainsi de question. J’appréciai clairement cette franchise.
Moi — Honnêtement, c’est difficile. Les informations que l’on a sont vagues pour ne pas dire inconnues. Du coup, impossible d’élaborer une stratégie qui nous mènerait à la victoire.
Deviner le contenu de l’examen était franchement une perte de temps étant donné les milliers de modèles possibles.
Horikita — … C’est vrai. Même Chabashira-sensei ne connaît pas les détails de l’examen. Il est impossible de préparer des contre-mesures.
Si elle s’attendait à recevoir des conseils de ma part, alors elle devrait être déçue. Mais pour une quelconque raison, elle eut une mine un peu satisfaite.
Moi — Tu as l’air contente. Je ne m’y attendais pas.
Horikita — Vraiment ? Bien sûr que je le suis. Je t’imaginais déjà en train de me dire que tu avais trouvé un moyen de gagner alors que justement, nous n’avions aucune info. Je suis donc un peu soulagée.
Après ses explications, elle ajouta un autre commentaire.
Horikita — Mais ton aura suggère que tu pourrais te frayer un chemin incongru.
Je ne me souvenais pas dégager une telle aura, mais je ne me défendis pas.
Moi — Comme le contenu de l’examen est inconnu, tout le monde est dans la même situation. Sakayanagi et Ryuuen inclus.
Horikita — C’est vrai. Nous ne pouvons donc rien faire jusqu’à ce que les détails soient annoncés le jour de l’examen… n’est-ce pas ?
Moi — Le mieux que nous puissions faire est de sélectionner soigneusement trois représentants susceptibles de produire des résultats solides, quel que soit le contenu.
Choisir les élèves ayant le moins de faiblesses au sein de la classe était la meilleure approche.
Moi — Ou bien nous pourrions parier sur des élèves qui ont des forces et des faiblesses évidentes.
Horikita — C’est… un peu effrayant.
Moi — En effet. Chaque classe placera surement des membres fiables.
Horikita — Certes, mais c’est frustrant.
À ce stade, il n’y avait pas grand-chose à faire, et il semblait que l’on allait passer beaucoup de temps à chercher des réponses inexistantes.
Moi — Plus on essaie de deviner le contenu et de trouver une issue, plus on s’enlise. Parfois, il est intéressant de changer un peu de perspective.
Horikita — Qu’est-ce que tu veux dire ?
Moi — Même si on ne connaît pas le contenu de l’examen, on peut imaginer ce que feront nos adversaires. Si je devais être un élève de la classe adverse, tu serais naturellement général, le garde, Yôsuke et le pilier, Kushida. Des choix attendus comme ceux-là pouvaient facilement être devinés.
Horikita — Logique.
En effet, les noms que je venais de mentionner allaient probablement faire partie des choix de Horikita.
Horikita — Alors, qui dans la classe d’Ichinose ? Le leader est sans aucun doute Ichinose, mais les autres ?
Moi — Je suppose que Kanzaki-kun est une valeur sûre. Je ne vois personne d’autre qui sorte du lot. Cependant, Hatsukawa-san, Hamaguchi-kun et Niiura-kun pourraient également être des candidats probables. Mais…
« Qu’est-ce que cela nous apprend ? » Elle affichait une telle expression.
Moi — Si nous parvenons à réduire le nombre de nos adversaires, nous pourrons au moins chercher leurs faiblesses. Ce n’est qu’une hypothèse, mais disons que Hatsukawa a une grande affection pour Miyake Akito. Si c’était le cas, sélectionner Miyake en pensant à cela pourrait nuire à la capacité de jugement de Hatsukawa.
Horikita — Il s’agirait donc d’une question de compatibilité ?
Moi — C’est exact.
Horikita — Mais je ne vois pas comment ça pourrait influencer le résultat aussi facilement.
Moi — Je ne dis pas que c’est facile. Lorsque les percées sont difficiles, la première étape consiste à changer de perspective. La question de savoir si c’est efficace ou non peut être examinée plus tard.
Je voulais lui apprendre l’importance de la chose, car un léger changement de perspective pouvait facilement révéler de nouvelles idées.
Horikita — Je m’en souviendrai.
Ses paroles étaient honnêtes, mais quelque chose semblait lui déplaire, car son regard montrait une certaine insatisfaction.
Horikita — Puisque tu as l’esprit vif, j’ai une question à te poser. Hirata-kun, Kushida-san et moi. Penses-tu que nous ferions tous les trois de bons représentants ?
Moi — C’est à toi, en tant que leader, d’en décider.
Horikita — Je pensais commencer par écouter ceux qui m’entourent. Voilà mon avis à l’heure actuelle.
C’était un peu tordu, mais bien vu de sa part. Autant répondre.
Moi — Les représentants vont s’affronter en un contre un. Il est préférable de choisir des élèves capables de performer individuellement plutôt que ceux qui excellent en groupe. Les élèves spécialisés dans les capacités physiques comme Sudou ou Onodera sont à éviter. Yôsuke et Kushida peuvent être performants en groupe, mais ont aussi les capacités de s’adapter individuellement. Ils seraient des choix sûrs.
Horikita — On dirait une réponse tout droit sortie d’un manuel. Ça manque d’originalité. J’aurais aimé plus d’authenticité là-dedans.
Moi — Tu as probablement déjà trouvé ta stratégie n’est-ce pas ?
La date limite pour choisir nos représentants était fixée à la fin du dimanche. Même à ce stade, si nous n’avions pas réduit le nombre de candidats, cela ne valait même pas la peine d’en discuter.
Horikita — C’est vrai. Mais il n’y a pas beaucoup de gens en qui je peux avoir confiance. Ton opinion est presque la même que la mienne. Hirata-kun et Kushida-san sont les meilleurs candidats, c’est inévitable. Cependant, ce n’est peut-être pas le meilleur choix.
Moi — Alors, que vois-tu de mieux.
Elle me lança un regard perçant.
Horikita — Si Kôenji-kun et toi auriez bien voulu participer, cela aurait été un soulagement.
Il y avait donc trois représentants qu’elle envisageait : Horikita, Ayanokôji, et Kôenji. En effet, s’il était possible de choisir des représentants indépendamment de leur volonté, cela aurait pu être idéal.
Horikita — Même si je mets de côté ta personne, j’aurais aimé que Kôenji-kun coopère dans des moments aussi décisifs.
Moi — S’il prenait la chose au sérieux, ses instincts naturels pourraient bien venir à bout de tout.
Horikita était tout à fait d’accord. En tant que garde, il aurait pu prendre la tête du général juste comme ça. Un tel scénario était clairement possible. Bien sûr, nommer Kōenji de force pouvait nous mener à la défaite s’il faisait exprès de perdre alors ce n’était pas sans risque. En fait, je ne voyais pas d’autre issue.
Horikita — Je sais que c’est peu probable. Je me suis résignée à me contenter d’observer Kôenji-kun jusqu’à l’obtention de son diplôme. À moins qu’il ne se porte volontaire pour être représentant, il n’est pas réaliste de lui demander de l’aide.
Il semblait qu’elle n’avait même pas essayé de lui demander, pensant que les chances étaient minces. Bien sûr, c’était le bon choix, et les invitations pleines d’espoir devaient être évitées. Avec Kôenji, il ne serait pas surprenant qu’il prétende qu’il s’agisse d’une rupture de contrat et qu’il fasse des demandes insensées.
Horikita — Même s’il y a peu de chances, si au moins tu pouvais accepter, je serais confiante.
Elle me jeta un coup d’œil, comme pour jauger ma réaction.
Moi — Tu crois que je participerais ?
Horikita — Je ne pense pas.
Moi — Ça ne me dérangerait pas si c’est ce que tu souhaites.
Horikita — Oui, tu n’accepterais pas aussi facilement…Hein, quoi ?
Après avoir fini sa phrase, elle se figea, bouche-bée.
Horikita — Qu’est-ce que tu viens de dire ?
Moi — J’ai dit que ça ne me dérangeait pas de participer.
Je répétai la chose, mais elle mit du temps à imprimer, sa bouche s’ouvrant et se refermant ensuite par intermittence.
Horikita — Ce n’est pas une blague ?
Moi — Je n’aurais pas fait une blague aussi tordue. Cela aurait été gênant que tu la prennes au sérieux.
Horikita — Mais… si tu acceptes, ce ne sera pas seulement pour moi. Ce sera une grande force pour la classe. Es-tu vraiment d’accord avec ça ?
Elle cherchait toujours confirmation, mais ses yeux brillaient. Je savais que cela pouvait troubler cet éclat, mais je décidai tout de même d’y ajouter des choses.
Moi — Oui. Cependant, il y a plusieurs conditions.
Des conditions. Naturellement, Horikita allait se méfier.
Horikita — Quel genre de conditions ? Sont-elles difficiles ?
Moi — Cela dépend. Il s’agit aussi de savoir si ta fierté le permet.
Horikita — Ma fierté ? Peux-tu en dire plus ?
Malgré les conditions, elle semblait toujours disposée à me considérer comme un représentant alors je poursuivis.
Moi — Presque 100 % des chefs de chaque classe passeront l’examen en tant que général.
Horikita — Logique. Le général est celui qui a le plus de vies. Il a plus le droit à l’erreur contrairement au garde ou au pilier.
Elle avait bien compris cela alors j’allai droit au but.
Moi — Le leader incontestable de cette classe, c’est toi, Horikita. L’une des conditions pour que je prenne ce rôle est que tu sois le pilier et moi le général.
Horikita — Toi… le général… ?
Ce que cela impliquait était clair. Le véritable chef de la classe pourrait être considéré non pas comme Horikita, mais comme moi, Ayanokôji.
Moi — Comme je l’ai dit plus tôt, il y a 90% de chance, non… c’est presque certain que les autres classes auront Ichinose, Ryuuen, et Sakayanagi comme généraux. Ils voudront se battre avec le plus grand nombre de vies possible.
Horikita acquiesça.
Moi — Si je deviens général, certains élèves parmi nous et ceux des autres classes pourraient nourrir des pensées à mon égard. Certains pourraient même commencer à ne plus voir en toi un leader fiable.
Horikita — Certes, tu as raison. Dans cet examen spécial, il est inévitable que l’élève le plus compétent de la classe devienne le général.
Moi — Oui. Voilà pourquoi j’ai parlé de fierté tout à l’heure.
Bien sûr, je respectais la décision de Horikita. Si elle souhaitait rester générale elle-même, alors tant mieux. Cela voudrait dire qu’elle commencerait à prendre conscience de son rôle de leader.
Horikita — Et si je disais que je ne peux pas renoncer à ce rôle ?
Moi — Je refuserais tout simplement à jouer l’un des représentants.
En effet, c’était le général ou rien.
Horikita — Ma fierté…je vois. Honnêtement, tant que nous pouvons gagner, je me fiche pas mal d’être général ou non. Mais ce n’est pas comme si cela ne me dérangeait pas du tout.
Moi — C’est vrai. Ça n’aurait pas de sens autrement.
La fierté n’avait pas de valeur en soi, mais avoir un chef qui l’était, avait de la valeur.
Horikita — Peux-tu me dire pourquoi tu ne cherches que la position de général ? C’est parce que tu es plus compétent que moi ?
Moi — Non, je veux juste avoir à éviter de me battre.
Horikita — Donc tu veux bien être le représentant, mais tu préfères éviter au maximum les confrontations ?
Moi — C’est exact.
Horikita fronça les sourcils en essayant de comprendre la raison.
Horikita — C… En quoi est-ce bénéfique pour moi ? Si tu deviens général, je serai probablement le pilier. Si je dois me battre avec l’objectif que l’on évite d’arriver à toi, ce sera une bataille féroce.
Moi — En effet, tu aurais un handicap important, car tu aurais moins de marge de manœuvre. Gagner en tant que pilier signifie que tu dois réduire un bon nombre de points de vie à toi seule.
Il était compréhensible qu’elle ait des doutes. Demander à être général tout en évitant tout combat était une pilule difficile à avaler. Bien sûr, si Horikita pouvait tout gagner, tout serait réglé, mais ce n’était pas si simple.
Horikita — Il y avait d’autres conditions, je me trompe ?
Horikita, toujours incapable d’arriver à une conclusion, voulait confirmer ce qu’il y avait d’autre. Quoi qu’il en soit, je n’avais pas l’intention de la brusquer.
Moi — Mettons la question générale en suspens et avançons. En échange du rôle de représentant, je veux une récompense.
Horikita — Des points privés ?
Moi — Non, pas du tout. Ce que je veux, c’est la même chose que Kôenji. À partir de maintenant, je ne contribuerai plus à rien dans la classe. Je ne coopérerai plus du tout. Je veux que tu acceptes la chose.
Horikita — …C’est…
Inattendu… Non, c’était même une conversation qu’elle ne voulait même pas envisager. Même si elle était prête à négocier, ses mots faiblirent…
Horikita — Ce n’est pas du tout évident ce que tu me demandes. Tu as besoin de la même liberté que Kôenji-kun ?
Ce n’était pas de la colère, mais plutôt de l’étonnement de sa part.
Horikita — Récemment, tu as bien voulu donner des conseils et tu as même commencé à contribuer un peu à la classe. Et maintenant, tu dis que tu ne souhaites plus coopérer…
Moi — Je comprends ton mécontentement, mais j’ai mes raisons.
Horikita — Et c’est quoi au juste ?
Moi — Tout d’abord, je me fiche du passage en classe A. Cela ne me dérange pas d’être diplômé en classe C ou D. Je ne vois pas la nécessité de coopérer désespérément pour passer en classe A, tu comprends ?
Horikita — …En effet, je comprends.
Moi — De plus, je ne suis pas aussi préoccupé par les points privés que Kôenji. Je pense que les points de classe actuels sont suffisants, et même s’ils étaient divisés par deux, cela ne me dérangerait pas.
J’ai fait comprendre que même si nous perdions à cause de ma non-coopération, c’était une situation que je pouvais accepter.
Horikita — Pourquoi as-tu aidé occasionnellement jusqu’à présent ?
Moi — Si la classe se stabilise, c’est pour le mieux. Toi et nos camarades avez mûri. Pour moi, vous pouvez tous vous débrouiller maintenant.
Horikita — Honnêtement, je ne sais pas ce que je dois croire, mais je comprends. Tu veux aider pour le dernier examen spécial de l’année scolaire pour ensuite profiter à fond de ta terminale ?
Moi — C’est exact. Cependant, je n’ai pas l’intention d’exiger la chose juste parce que j’ai pris le rôle de général. Si je le deviens, il faudra bien entendu que l’on gagne comme convenu.
Horikita — Je devrai te laisser ta liberté seulement si tu deviens général et que tu conduis la classe à la victoire en ne faisant rien ?
Moi — Oui. Mais si Ichinose, en tant que général, n’a plus qu’un seul point de vie restant par exemple et que mon tour arrive, car tu es éliminée, tu devras quand même tenir ta promesse, même si je n’ai combattu qu’une fois.
Le profit du pêcheur[1]. Je devais m’assurer que Horikita envisageait un tel scénario, où je pouvais récolter les bénéfices sans avoir à faire le moindre travail moi-même. Il s’agissait d’une proposition qui pouvait facilement être refusée dans des circonstances normales. C’est pourquoi, je continuai à parler.
Moi — Et, si je suis général et que nous perdons quand même l’examen, tant que je reste ton camarade de classe, je promets de coopérer la prochaine fois… non, pour les six prochains mois.
J’ai promis de l’aide pour les six prochains mois en échange de la défaite. Cela devrait être un accord favorable pour Horikita.
Horikita — Même si nous perdons, j’aurai ta coopération pendant un certain temps. Les mêmes conditions que Kôenji-kun, finalement.
Moi — C’est bien mieux que ça. À moins que je ne quitte l’école ou qu’un évènement me fasse changer de classe, je continuerai à coopérer.
Horikita — Pourquoi pas jusqu’à l’obtention du diplôme alors ?
Moi — C’est impossible.
Horikita — Hum… Même si je refuse ta proposition, il n’y a aucune garantie que tu continueras à coopérer facilement à l’avenir, ai-je tort ?
Moi — En effet, vu que je me fiche du diplôme en classe A.
Horikita — C’est typique de toi. C’est une proposition plutôt gênante.
Demandant un peu de temps pour réfléchir, elle croisa les bras et ferma les yeux. Il semblait que Horikita compter en finir. J’aurais pu attendre jusqu’au soir, mais je ne voulais en aucun cas la perturber. Si elle en tant que pilier, venait à vaincre le général de la classe adverse, notre relation resterait inchangée. Si elle perdait, mais que je gagnais, nous gagnerions quand même les points de la classe, mais avec la perte de ma coopération pour le futur. Si Horikita perdait et que je perdais également, à moins d’un évènement inattendu, ma coopération pourrait être assurée pour les six prochains mois. Ces trois scénarios lui furent ainsi présentés.
Horikita — Et si le garde et moi faisions équipe pour perdre exprès afin de te désavantager dans le match ?
Moi — Cela ne me dérange pas. Quelle que soit la situation, si l’on perd, je tiendrai ma promesse.
Horikita — …Je vois.
Après avoir réfléchi quelques dizaines de secondes, elle déplia les bras.
Horikita — Eh bien, il est hors de question de faire exprès de perdre. D’accord, j’ai pris ma décision.
Après moult discussion et réflexion, elle semblait avoir pris une décision.
Horikita — Honnêtement, j’étais prête à endosser le rôle de général. Pour moi, personne d’autre n’était qualifié pour ça.
Moi — C’est logique.
Horikita — Mais si tu es d’accord pour être général alors tout le reste est insignifiant. La victoire de la classe est la priorité absolue. J’adopterais la stratégie qui a le plus de chances de l’emporter.
Moi — Tu es donc prête à renoncer au titre de général ?
Horikita — Oui. Je me battrai de toutes mes forces. Cela me donne une certaine tranquillité d’esprit et augmente en même temps la tension. Dans une bataille difficile et inévitable, je dois penser à gagner même si ça me coûte mon rôle de général.
Horikita pensait que même si elle perdait, je m’occuperais de tout, ce qui lui donnait un sentiment de sécurité. Cependant, utiliser cette assurance signifiait qu’elle ne pourrait plus obtenir de coopération à l’avenir. C’est pourquoi il était préférable que ce soit elle, le pilier, menant la classe à la victoire.
Horikita — C’est pourquoi j’accepte formellement ta proposition. Je te laisse le rôle de général dans cet examen spécial.
Après avoir dit cela, elle poursuivit.
Horikita — Cela te convient d’être considéré comme un atout ?
Moi — Bien sûr, et je n’ai pas l’intention de te freiner. C’est d’accord.
Je tendis la main et elle la serra. « Je suis déterminée à arracher la victoire par tous les moyens ». Ce sentiment pressant devait être de plus en plus fort chez Horikita.
Moi — Ah, c’est vrai. J’ai besoin que tu fasses quelque chose avant. Je ne sais pas ce que les autres penseront du fait que je sois le général. Il ne serait pas étrange que certains camarades pensent qu’il n’est pas juste de me confier une bataille aussi importante, compte tenu de ce qui s’est passé l’année dernière.
Horikita — Je ne pense pas que beaucoup de gens s’y opposeraient, mais ce n’est pas impossible.
Moi — C’est pourquoi je veux que tu obtiennes le consentement de toute la classe.
Horikita — Tout le monde, y compris Kôenji-kun ?
En effet, elle sous-entendait que son avis n’était pas nécessaire.
Moi — Oui, y compris celui de Kôenji.
Horikita — Et s’il s’y oppose ? Il y a de fortes chances qu’il agisse sur un coup de tête.
Moi — Je ne pense pas qu’il soit du genre à s’opposer s’il n’y a pas d’inconvénient, mais je ne peux pas le garantir. S’il s’y oppose, fais-le moi savoir tout de suite. Je m’en occuperai personellement.
Horikita — Ah oui ? Voilà qui est rassurant. Je m’y mets tout de suite.
Moi — Merci. Veille à agir avec prudence.
Horikita — Avec prudence ? Ah, bien sûr, je ne dirai pas que ta participation est conditionnée par ton indépendance l’an prochain.
Si les élèves savaient que ma participation n’était que pour gagner ma liberté, ils ne verraient naturellement pas cela d’un bon œil. C’était quelque chose qui devait rester confidentiel.
Moi — C’est parfait. Mais quand je parle de prudence, c’est surtout parce que je veux que tu caches à la classe d’Ichinose que je jouerai le rôle du général. Pour augmenter nos chances de gagner ne serait-ce qu’un peu, il est essentiel de surprendre et de déstabiliser l’adversaire. Je te prie donc d’annoncer à toute la classe qu’il ne faut rien laisser filtrer à l’extérieur.
Horikita — Même sans cela, il ne devrait pas y avoir de camarades qui feraient fuiter des infos à d’autres classes.
Moi — Mais quand même, même s’il n’y a pas d’intention de divulguer, il y a un risque que les conversations à ce sujet soient entendues. C’est aussi un rappel à la vigilance.
« C’est logique », pensa Horikita, acceptant volontiers.
Horikita — Je te ferai savoir si tout le monde est d’accord ou s’il y a des objections. J’ai l’intention de terminer cela d’ici ce soir, car nous n’avons pas beaucoup de temps.
J’acquiesçai et décidai d’attendre le rapport de Horikita.
1
Je laissai Horikita au café après 18h et je m’arrêtai à la librairie. Après avoir passé près d’une heure dans la boutique, je commençai à me diriger vers le karaoké, car j’avais rendez-vous avec cet homme. En chemin, j’aperçus Hasebe Haruka, marchant devant moi. Miyake, qui l’accompagnait souvent, n’était nulle part dans les environs. Si c’était une simple rencontre fortuite, nous nous serions ignorés, mais son regard confus qui me fixait, indiquait qu’elle voulait me parler. Il était facile de le comprendre.
Moi — Tu me veux quelque chose ?
Alors que la distance se réduisait, je pris la parole. Elle fut surprise, ses yeux s’écarquillant de façon spectaculaire. Elle voulait manifestement parler, mais elle ne semblait pas s’attendre à ce que je m’adresse à elle.
Hasebe — Heu… Je… t’ai vu parler avec Horikita-san au café tout à l’heure…
Elle me chuchota la chose en jetant un coup d’œil vers le café.
Hasebe — Je voulais juste parler un peu… Ça te dérange ?
Moi — Pas du tout. Si tu es ok avec ça Hasebe, ça me va.
Hasebe — Merci.
Le fait d’être appelée par son nom de famille pouvait lui donner matière à réfléchir. Ce niveau de formalité était approprié dans tous les cas et l’appeler Haruka à ce stade aurait été problématique.
Hasebe — On devrait aller ailleurs, non ? C’est trop voyant ici.
Moi — Oui, bonne idée.
Nous nous déplaçâmes aux abords du centre commercial, près d’un mur, où l’on n’attirait moins l’attention. Même si un élève pouvait nous observer de loin, on restait tout de même dans un coin.
Moi — Ça fait depuis le festival, non ?
Hasebe — Oui… hum… Est-ce que quelque chose a changé chez toi récemment, Ayanokôji-kun ? Désolée, si c’est une question bizarre. Je m’exprime n’importe comment…
Je pensais qu’elle avait clairement une chose à me dire, mais son esprit était peut-être encore confus à cause de ma prise de parole soudaine. Elle semblait incapable de trouver les mots justes.
Moi — Rien n’a changé. Pour le meilleur ou pour le pire, la routine.
Hasebe — Je vois… Ces derniers temps, j’ai l’impression de trouver plus d’occasions de sourire. Que ce soit parce que j’ai accepté le départ d’Airi grâce au festival culturel, ou simplement parce que trop de temps a passé, je ne sais pas. Honnêtement, je ne sais pas.
Quelle que soit la tristesse des événements, les blessures se referment petit à petit. Avec le temps, la tristesse s’estompe en même temps que les souvenirs. Bien sûr, ce n’était pas aussi simple que ce que l’on croyait. Un passé douloureux le reste, et laisse certainement de profondes cicatrices.
Hasebe — Hum, après ça… heu ???
Elle begaya. À ce moment-là, je pliai légèrement l’index droit plusieurs fois.
Hasebe — Alors… hum…
Elle essayait désespérément de recoller ses mots fragmentés.
Hasebe — Hum… après ça… allons-y, avec Miyacchi et Yukim…
Alors qu’elle était sur le point d’en venir au point principal, une ombre arriva.
Amasawa — C’est une réunion secrète ici~ ? Senpai !
Elle était arrivée en courant avec un timing impeccable.
Amasawa — Karuizawa-senpai comme petite amie ne te suffit pas ? Tu cherches aussi à faire tienne cette plantureuse jeune femme ?
Elle fit semblant de ne pas savoir, alors qu’elle avait probablement une bonne connaissance des données de l’OAA de chaque élève.
Moi — Ce n’est qu’une camarade de classe.
J’ajoutai ce commentaire, même si l’arrivée d’Amasawa n’était probablement pas bien reçue par Hasebe.
Amasawa — J’ai quelque chose à te dire, senpai. Tu as un moment ?
Son attitude insistante, plus qu’une simple demande, fit reculer Hasebe.
Hasebe — Je vais y aller alors… Je fais attendre deux personnes.
Avec un léger hochement de tête en guise de réponse, Hasebe lui tourna le dos et quitta rapidement les lieux.
Amasawa — J’ai dérangé, n’est-ce pas ?
Moi — Oui, tu as été un sacré élément perturbateur.
Amasawa — C’est méchant ! Mais c’est toi qui m’as fait venir !
Il est vrai que j’ai été un peu méchant. La venue d’Amasawa n’était pas une simple coïncidence. Lorsque Hasebe s’était approchée de moi, Amasawa m’avait également repéré au même moment. Je lui avais immédiatement fait signe de nous rejoindre du bout des doigts. Elle avait rapidement compris mes intentions et avait agi en conséquence, ce qui était ma foi, très impressionnant.
Amasawa — Tu n’aimes pas parler avec Hasebe-senpai ?
Moi — Ce n’est pas ça. Je ne voulais simplement pas perdre plus de temps pour quelque chose d’inutile.
Amasawa — Quelle froideur !
La façon dont Amasawa voyait les choses, dépendait d’elle, et ce que Hasebe en pensait ne regardait qu’elle.
Moi — Les seconde semblent bien occupés par l’examen spécial.
Amasawa — Ils ont l’air de paniquer un peu. Je me contente de les observer tranquillement.
Après avoir dit cela, elle se corrigea rapidement.
Amasawa — Ah, je ne suis pas venue ici pour t’ennuyer aujourd’hui… En attaquant Nagumo-senpai lors du dernier camp, il y a eu une contre-attaque surprise, alors je suis ici pour signaler la chose.
J’étais un peu curieux de savoir ce qu’il se passait au sein des seconde mais comme il n’y avait pas eu de nouvelles d’expulsions parmi eux, j’avais fini par ignorer tout ça. Elle avait donc pris contact avec Nagumo ce qui signifie qu’elle s’était préparée à être expulsée lors du camp. Mais finalement, elle avait fini par se raviser et est toujours là.
Amasawa — Je n’ai pas encore pris de décision. Mais je crois qu’un meilleur avenir m’attend si je ne déverse pas mes frustrations sur Nagumo-senpai. Alors j’ai décidé de continuer à aller en cours pendant un certain temps. Je pense que je vais avoir beaucoup de temps libre là alors si quelque chose d’intéressant se présente, n’hésite pas.
Moi — Si c’est le cas, peux-tu m’accorder une faveur ?
Amasawa — Eh ? C’est tout à fait possible, mais… qu’est-ce que c’est ?
Moi — Je voudrais en savoir plus sur Nanase Tsubasa.
Amasawa — Eh ? C’est ta chevalière, n’est-ce pas ? Elle n’est pas déjà assez transparente comme ça ? Tu penses que c’est une menace ?
Moi — Je ne pense pas, mais je veux connaître ses véritables intentions.
À ce stade, difficile de savoir si c’était une alliée ou le contraire.
Amasawa —Pas de soucis, je vais m’y atteler. Je dois l’expulser ?
Moi — Pas besoin d’aller aussi loin. Rassemble juste les informations de manière appropriée, c’est tout.
Amasawa — D’accord, c’est compris.
Honnêtement, je n’avais pas besoin de compter sur Amasawa pour obtenir des infos sur Nanase. Le cas Nanase n’était pas difficile à gérer je pouvais agir autant de fois que nécessaire. Mais si ça pouvait donner à Amasawa une autre raison de rester sur le campus alors ce n’était pas une mauvaise stratégie.
Moi — J’ai un autre rendez-vous, à plus. Essaye au moins de coopérer un minimum avec ta classe pour l’examen spécial de fin d’année.
Amasawa — Si tu le dis, senpai. Je le ferai.
Elle me salua de manière exagérée et passa devant.
Amasawa — …Merci, senpai.
En s’éloignant, elle avait marmonné cela.
Moi — Pas étonnant venant d’elle, elle a tout compris.
Elle n’avait pas obtenu d’excellents résultats à la White Room pour rien.
Elle pouvait facilement voir mes vraies intentions.
2
Un endroit classique, mais parfait pour les réunions secrètes, j’ai nommé : Le Karaoké. Je suivis le numéro indiqué dans le message que j’avais reçu et me rendis dans la salle. En ouvrant la porte, un élève assis les jambes croisées dans la pièce silencieuse tourna légèrement son regard vers moi.
Moi — Aucun de tes sbires n’est là aujourd’hui, hein ?
Ryuuen — Eh bien, ça pour une surprise. Tu voulais que les choses soient animées c’est ça ?
Moi — Je me disais que si Ibuki ou Ishizaki étaient là, ils auraient pu détendre cette atmosphère pesante.
Ce fut une plaisanterie de ma part, mais Ryuuen se contenta de renifler.
Ryuuen — Tu fais le con, mais c’est toi qui m’as fait venir ici.
Moi — Tu marques un point.
Ryuuen — Bref, pas grave. Je pensais te contacter moi-même dans tous les cas, mais tu as pris les devants.
Dit-il en souriant légèrement.
Moi — Alors ça veut dire que nous allions aborder le même sujet.
Ryuuen — À toi l’honneur.
Invité à parler en premier, je m’exprimai tout en restant debout à l’entrée.
Moi — J’ai entendu parler de ton pari avec Sakayanagi.
Ryuuen — Oh ?
Il devait avoir deviné que j’allais parlais de l’examen spécial, mais à ce que j’aborde la question du pari, c’était du 50/50.
Moi — Le perdant sera expulsé. Comme c’est peut-être la dernière fois que l’on se voit, je m’étais dit qu’il fallait que je passe.
Ryuuen — Alors tu devrais voir Sakayanagi avant qu’il ne soit trop tard.
Moi — J’y compte bien, mais elle dira sûrement la même chose que toi.
« Il vaudrait peut-être mieux que tu rencontres Ryuuen si tu veux faire tes adieux », Elle était capable de dire quelque chose du genre. Aucun d’entre eux n’avait envisagé de perdre.
Ryuuen — Ne fais pas le timide, tu peux t’asseoir.
Nous avions tous les deux des choses à nous dire, mais il semblait avoir déjà pris l’initiative.
Moi — Je préfère m’abstenir si possible. Tu as l’intention de me jeter du jus de raisin cette fois ?
Ryuuen, assis en face de moi, tendit sa main droite vers un verre violet suspect qui était à portée de main. Je ne l’imaginais pas boire habituellement quelque chose comme ça et la boisson n’avait pas l’air entamée.
Ryuuen — N’exagère pas. D’ailleurs, tu pourrais esquiver à tout moment, n’est-ce pas ?
Moi — Ne me considère pas non plus comme un devin. Il y a beaucoup de situations où il y a impossibilité d’esquiver.
Ryuuen — Par exemple ?
Moi — Par exemple… eh bien…
Ryuuen m’incita encore à prendre place près de l’entrée.
Moi — Si quelque chose se produit lorsque le serveur apportera une commande, je ne pourrais pas tout esquiver.
Planifiant son prochain mouvement, il cherchait à couvrir une large zone.
Ryuuen — T’as vraiment pas confiance.
Moi — Tu n’as pas vraiment l’air de rigoler.
Je finis par céder et pris place. La situation était surréaliste, car nous étions tous les deux face à face dans une salle de karaoké spacieuse.
Moi — C’est assez osé ce pari. Si c’était un examen qui mettait en avant nos capacités académiques, tu aurais très probablement perdu. Même si tu avais pris des risques pour tenter des choses en coulisses, Sakayanagi se serait battue pour t’en empêcher contrairement à Ichinose.
Ryuuen — C’est juste notre combat à mort annuel. J’aime à penser que c’est le genre d’affrontement où tout le monde à ses chances. Si le lycée n’avait pas ce côté divertissant, je ne l’aurais pas accepté.
Il avait répondu en riant, mais il semblerait qu’il n’avait pas considéré cela comme un simple pari. En analysant les examens spéciaux de fin d’année de la génération Horikita Manabu, et Nagumo en plus de la nôtre, il était clair que les compétences requises ne se limitaient pas aux aptitudes académiques. Il devait être certain que les épreuves étaient adaptées.
Moi — Tu es prêt pour l’exam ? J’espère que tu n’as pas l’intention d’adopter la même stratégie que face à la classe d’Ichinose l’an dernier.
Lors des examens spéciaux de fin d’année, les absences pouvaient entraîner des pénalités. Par conséquent, affaiblir l’adversaire à l’avance pouvait être une stratégie viable.
Ryuuen — J’espère que tu te souviens de ce que tu m’as dit à l’époque. Sur le fait que je devais mûrir de manière efficiente, un truc du genre.
Moi — Effectivement. Alors fais-le.
Il souffla du nez suite à ma réponse un peu brutale. Son regard fut plus acéré.
Ryuuen — Je vais vous montrer à Sakayanagi et toi ce dont je suis vraiment capable. Ce n’est pas mon genre, mais je l’écraserai à la loyale.
Moi — C’est une déclaration audacieuse, mais si c’est du bluff, cela ne me concerne pas. Que tu veuilles la jouer réglo ou non, je te croirai pas dans tous les cas. Je n’en parlerai même pas à Sakayanagi.
Je préférai affirmer clairement que cela ne servirait pas de stratagème pour prendre Sakayanagi au dépourvu.
Ryuuen — C’est vrai. Mais ça a un sens ce que je dis.
Moi — Je vois. Cela pourrait donner de la crédibilité à ce duel.
Il est vrai que sous cet angle, c’était intéressant à prendre en compte.
Ryuuen — Il n’est pas nécessaire d’en parler à quelqu’un à qui que ce soit. Je voulais juste que tu le saches.
Moi — C’est noté.
Que Ryuuen s’engage dans des tactiques sournoises était son choix, mais cette déclaration allait déterminer la manière dont j’allais le juger à l’avenir.
Moi — Tu n’as pas l’air anxieux.
Ryuuen fit léger geste de la main comme pour dire que c’était évident.
Moi — Très bien. J’ai hâte de voir comment tu vas t’en sortir face à elle.
Je me levai et tourna le dos à Ryuuen.
Ryuuen — Ayanokôji, tu participes à l’exam en tant que représentant ?
Moi — Est-ce que cela te préoccupe ? Ce que je fais cette fois-ci n’a pas d’importance pour toi.
Ryuuen — Normalement, il n’y a pas besoin de s’acharner contre quelqu’un comme Ichinose, mais cette meuf dégage un parfum de folie. Horikita pourrait bien se faire démolir.
Cela n’avait pas l’air d’être une plaisanterie de sa part.
Moi — Même si c’est le cas, pour le moment, la classe ne s’est pas encore décidée sur la stratégie à adopter.
Ryuuen se mit à renifler, indifférent.
Ryuuen — Eh bien, ça nous arrange si votre classe perd de toute manière.
Heureusement, il n’avait pas l’air de vouloir me jeter du jus.
J’étais soulagé.
3
Après avoir quitté la salle de karaoké, je marchai un petit moment avant de me retrouver à l’extérieur. Vu l’heure, je décidai de rentrer à la maison, mais en faisant un détour par un certain endroit. Les chances de rencontrer quelqu’un à cette heure-ci n’étaient pas très élevées, mais il y avait quelques personnes en dehors des leaders que je voulais voir. Je me dirigeai vers une zone où l’une de ces personnes apparaissait souvent, l’aire de repos. Comme prévu, elle était là. Debout devant l’un des distributeurs automatiques, je fis semblant de choisir un produit en regardant ce qui m’était proposé.
Moi — Comment ça se passe avec Sakayanagi depuis ?
Marmonnai-je, comme si je me parlais à moi-même. Après une brève pause, une réponse me parvint.
Yamamura — … Bien. Nous avons eu plus d’occasions de parler qu’avant.
Moi — Tant mieux. Mais malgré tout, tu te retrouves toujours ici.
Yamamura — C’est apaisant. Et puis je ne suis toujours pas douée pour socialiser.
Écoutant les mots passant par l’interstice du distributeur, je ne bougeai pas.
Moi — Je comprends l’importance d’avoir du temps pour soi.
Être entouré de plein de gens tout le temps pouvait être étouffant.
Yamamura — Ta présence est-elle une coïncidence ?
Moi — J’espérais te voir Yamamura. J’ai quelque chose à te demander.
Yamamura — Quelque chose à me demander ?
Je m’assurai que personne n’était là avant de parler. Après lui avoir énoncé ce que j’avais à dire, elle se mit à réfléchir en silence un petit moment.
Yamamura — Pourquoi… moi ?
Moi — Tu es la maitresse de ces lieux, je me trompe ?
Yamamura — …Eh bien… peut-être.
Si Yamamura ne connaissait pas la réponse, elle aurait pu le dire, mais elle resta évasive comme si elle cherchait à esquiver. Elle avait donc sa petite idée.
Moi — J’ai déjà quelques suspects en tête, mais il faut faire le tri.
Yamamura — Est-ce que cela va gêner Sakayanagi-san ? Ou…
Moi — Je me le demande. Cela ne concerne pas Sakayanagi pour le moment et je n’ai pas l’intention de causer des problèmes à votre classe. Je veux que tu considères ça comme un problème externe.
Après une pause, elle sortit lentement de derrière le distributeur.
Yamamura — Je ne sais pas si je peux t’aider, mais j’ai quelques informations qui pourraient répondre à tes interrogations.
Elle aurait pu ne rien partager, mais elle sortit son téléphone. Elle me montra une vidéo. Les sujets furent filmés à distance et l’on n’entendait rien.
Yamamura — La seule personne que j’ai trouvée pouvant t’intéresser c’est elle. Je n’ai pas pu entendre la conversation, car c’était trop loin. Qu’en penses-tu ? Désolée si cela n’a aucun rapport.
C’était le 26 décembre à 19h au Keyaki. On y voyait une étroite discussion.
Yamamura — Ce n’est pas très utile, j’imagine…
Moi — Non, au contraire. Tu es vraiment impressionnante, Yamamura.
Yamamura — Mais non, j’étais juste là par hasard…
Elle était humble. Les personnes étaient très prudentes. Arriver à filmer dans de telles conditions était fort. Je ne serais pas surpris qu’elle soit au courant de certaines circonstances que j’ignore. Cependant, cette vidéo ne suffisait pas. J’avais besoin d’une preuve supplémentaire pour arriver à une conclusion.
Moi — Je ferai bon usage de cette information. Bien sûr, je ne mentionnerai pas ton implication.
Yamamura — J’espère que cela t’aidera.
Bien qu’elle ait fourni des informations utiles, elle inclina la tête comme si elle s’excusait.
Après m’être séparé de Yamamura, je décidai de contacter une certaine élève sur la base de ces informations. J’organisai une rencontre après avoir reçu les informations nécessaires de la part de Kei.
4
J’attendis l’arrivée de ma camarade à un certain endroit du Keyaki. Environ 15 minutes après avoir passé l’appel, Matsushita apparut dans le coin.
Matsushita — Désolée de t’avoir fait attendre, Ayanokôji-kun. Tu voulais me parler de quoi ?
Prise au dépourvu par cette situation inhabituelle, elle s’approcha de moi.
Moi — Ton amie est ok ?
Matsushita — Oui, elle m’a juste dit pas plus de 30 min. Ça te va ?
Moi — Ça suffit amplement.
Matsushita — Alors… quel est le sujet ?
Il était normal d’être prudent vu que nous étions seuls. L’expression de Matsushita était inchangée, mais elle ne se sentait probablement pas à l’aise.
Moi — Sais-tu pourquoi j’ai choisi cet endroit pour te voir ?
Matsushita — Hein ? Tu étais juste dans le secteur, non ?
En effet, c’était Kei qui m’avait signalé la présence de Matsushita au centre commercial. En soi, elle ne se doutait pas qu’il y avait une symbolique ici.
Moi — L’an passé, tu m’avais suivi. On avait parlé justement ici.
Matsushita — Ah… maintenant que tu le dis…Oui, tu as raison.
Elle semblait se souvenir de l’endroit où elle s’était cachée en observant à nouveau les piliers. Elle m’avait interrogé sur ma relation avec le directeur par intérim exercice et sur mes capacités de calcul mental rapide.
Moi — Tu as dit à l’époque que tu voulais connaître mes véritables capacités.
Matsushita — Oui, mais j’ai eu l’impression que tu as un peu esquivé.
Moi — Près d’un an s’est écoulé depuis. Tu as trouvé la réponse ?
Matsushita — Je me le demande. Tu te montres plus que l’an dernier, mais j’ai toujours cette impression que tu ne forces pas vraiment.
Moi — Je vois.
Contrairement à de simples évaluations superficielles, Matsushita avait l’œil pour discerner les capacités individuelles mieux que les autres camarades.
Moi — Si tu coopères, Matsushita, je pourrais peut-être te montrer un peu plus de mes capacités.
Matsushita — Qu’est-ce que tu veux dire par là ?
J’avais ici piqué son intérêt tout en faisant progresser la conversation sur la base des infos reçues par Yamamura. Elle ne put cacher sa surprise après avoir entendu ce que j’avais à lui dire.
Matsushita — Oui c’était le cas, mais ça date un peu. Qui t’en a parlé ?
Ce n’était peut-être qu’un souvenir, mais son expression la trahissait.
Moi — Ça va faire trois mois. Quelque chose t’avait dérangé ?
Matsushita — Eh bien… oui. Mais qui te l’a dit ?
Tout en l’admettant, Matsushita semblait très curieuse de savoir où j’avais obtenu cette information.
Moi — Désolé, mais je ne peux pas révéler ma source. Tout ce que je peux dire c’est que ce n’est pas quelqu’un de la classe.
Le fait de suspecter inutilement des camarades n’était pas bénéfique pour l’avenir. C’est pourquoi je m’étais contenté de révéler cette information.
Matsushita — Alors, que veux-tu savoir ? J’espère bien me souvenir.
Moi — Je connais le contenu de la discussion alors t’occupe.
Alors que je nommais toutes les personnes impliquées, Matsushita, qui avait gardé son calme jusque-là, commença à bégayer.
Matsushita — Heu… C’est b…bien ça. Mais tu veux savoir quoi alors ?
Moi — Vu que c’est toi Matsushita, je m’étais dit que quelque chose avait sûrement retenu ton attention.
J’avais deux raisons pour l’avoir appelé. La première était de confirmer l’exactitude des informations fournies par Yamamura, que je pouvais juger correctes puisque les noms des personnes impliquées correspondaient. L’autre était de voir si Matsushita était un élément digne d’être reconnu. Comme une sorte de test. Matsushita soupira après avoir réfléchi. Elle finit par s’exprimer.
Matsushita — J’ai l’impression d’être testée.
Moi — Peut-être.
Avec une expression adoucie, elle se mit à sourire
Matsushita — Puisque je suis testée, je vais répondre sérieusement. Je me souviens très bien de ce moment. En effet, il y avait des choses qui me dérangeaient. Les sujets de discussion et les gens… C’était bizarre.
Alors qu’elle déterrait ses souvenirs, j’écoutais jusqu’à ce que la cohérence soit confirmée. Je l’interrompis.
Moi — Tu peux t’arrêter là.
Matsushita — Tu as dit que tu me montreras tes capacités, mais qu’est-ce que tu comptes faire ?
Moi — Si j’en ai l’opportunité lors du prochain examen spécial, j’ai l’intention de prouver.
Matsushita — Je vois. Si tu es derrière alors ça me rassure pas mal.
Moi — Mais à partir de maintenant, il n’y a pas que moi. Toute la classe devra progresser.
Matsushita — Je comprends. Mais si notre classe s’unit un jour, j’imagine que personne ne pourra nous vaincre.
Prenant en compte les événements d’aujourd’hui, elle dit cela avec un sourire.
Matsushita — Pour l’instant, faisons comme si notre réunion d’aujourd’hui n’avait pas eu lieu. N’hésite pas à me contacter à tout moment si tu as besoin.
C’était une petite chose, mais être capable de montrer une telle considération était aussi un élément important.
5
Ce soir-là, peu après 22h, j’entendis frapper légèrement à ma chambre. J’ouvris la porte et lui montra qu’il pouvait entrer malgré son regard circonspect en regardant autour de lui. C’était Hashimoto de la classe A, habillé en tenue décontractée.
Moi — Quelqu’un regarde ?
Hashimoto — J’ai pris un peu de temps parce que je vérifiais les alentours. Par sécurité, j’ai préféré emprunter les escaliers.
Moi — C’est bien. Personne n’apprécierait que l’on se voie à cette heure.
Hashimoto — Tu n’aurais pas pu téléphoner ? Ou bien me donner rendez-vous ailleurs ?
Tout en disant cela, il me jeta un regard interrogateur. C’est le comportement inconscient de quelqu’un qui soupçonne toujours les autres.
Moi — Il y a des choses dont on ne peut pas parler au téléphone. Et se voir à l’extérieur comporte aussi des risques.
Hashimoto — Bon, ok. Tu veux me parler de quoi au juste ?
Je n’avais pas l’intention de le laisser debout, alors je le fis entrer dans la pièce pour qu’il prenne place.
Moi — L’examen spécial de fin d’année a été décidé, alors j’ai pensé qu’il fallait qu’on parle. Je veux confirmer ta position là-dessus.
Hashimoto — L’école n’a pas divulgué de règles, n’est-ce pas ? Comment puis-je savoir comment agir ?
Moi — Ce n’est pas la façon dont tu vas agir qui m’importe, mais ce que tu veux. Tu as déjà dit que tu serais du côté de Ryuuen.
J’avais dit cela en me rappelant la fois où Hashimoto en avait parlé dans cette pièce il n’y a pas si longtemps que ça.
Hashimoto — Rien n’a changé. Le seul moyen pour moi de survivre est de faire gagner Ryuuen. Mais oui, ça sent pas bon. J’avais prévu d’aider Ryuuen dès l’annonce de l’examen, mais je ne m’attendais pas à ce qu’ils ne dévoilent même pas les règles.
En effet, avec les règles, il aurait pu commencer à se préparer.
Moi — Vu la situation, mieux vaut continuer sur ta lancée.
Hashimoto — Hein ?
Il soupira, mais c’était en supposant que sa trahison n’avait pas été découverte.
Moi — Si les détails avaient été révélés, Sakayanagi aurait probablement utilisé cette information pour vous piéger, Ryuuen et toi. Mais comme le contenu est inconnu, aucune mesure préventive ne peut être prise. Tout au plus, ils peuvent éviter de choisir des représentants en face de toi. Mais durant l’examen, tout peut arriver.
Pour Sakayanagi, le déroulé de cet examen spécial était plutôt désavantageux
Hashimoto — Je vois. C’est donc une autre façon de voir les choses.
Il hocha la tête avec intérêt, mais il ne semblait pas s’appuyer sur cette perspective. Il avait plutôt l’air d’avoir autre chose en tête, me pressant presque d’en venir au fait.
Hashimoto — Donne-moi vite ta réponse. J’attends depuis un moment.
Moi — Celle de savoir si j’irais dans la classe de Ryuuen ou non ?
Hashimoto — C’est exact. J’ai décidé de prendre un grand risque et de trahir Sakayanagi. Ta décision déterminera mon sort.
Comme à son habitude, il posait cette question en y mêlant au vrai, le faux. Si Ryuuen gagne, le plan de Hashimoto sera probablement en bonne voie. Et mon transfert serait la cerise sur le gâteau.
Moi — Et si je disais que non ?
Hashimoto — Ce serait un problème. Cela diminuerait mes chances de finir en classe A.
Moi — Je ne l’ai pas demandé plus tôt, mais qu’en est-il des points privés ? La classe de Ryuuen n’est pas très riche. Cela coûterait une somme considérable de nous accepter tous les deux.
À cette question évidente, Hashimoto esquissa un léger sourire.
Hashimoto — Ce n’est pas forcément le cas. Ryuuen a négocié avec les seconde et les terminale pour avoir un max de points privés.
Moi — Comment ça ?
Hashimoto — Je ne connais pas les détails, mais s’il collecte des points auprès d’autres promos, les frais de transfert pour deux personnes ne deviennent pas si irréalistes que ça, non ?
Si c’était vrai, alors c’était en effet une option réalisable. Mais je restais sceptique. Jusqu’à quel point devais-je le croire ?
Hashimoto — Eh bien, même si c’est pas foufou, pas d’inquiétudes. Les points privés que j’ai reçus de Nagumo récemment étaient plus importants que ce à quoi je m’attendais. Ça m’a vraiment aidé.
Lors du camp de découverte, Nagumo avait promis une récompense, soit 3M de pp. J’avais été honnêtement surpris par ce montant assez élevé. Hashimoto, qui avait pris les devants, avait reçu les 20 % qu’il espérait, soit 600 000 pp, et les 2,4M restants avaient été répartis entre les quinze autres personnes, à raison de 160 000 points chacun. Sur les 20M nécessaires au transfert, cela ne pouvait couvrir qu’environ 3 %, mais c’était déjà ça.
Hashimoto — Tu étais l’élément principal, tu aurais dû prendre 1M… ou 1,5M au moins. J’aurais pris cette somme sans hésiter. Se contenter de répartir équitablement c’est trop réglo.
Bien qu’étonné, Hashimoto se remémora le temps passé au camp. En effet, les points privés jouaient un rôle quasi essentiel dans l’école. Mais pour moi, il n’y avait pas que ce facteur.
Hashimoto — Eh bien, ne pas tomber facilement dans l’avarice est aussi une force.
Comme je restais silencieux, il marmonna cela.
Hashimoto — Je vais me tenir à carreau ce weekend, mais tu as des conseils pour l’exam ?
Je n’avais pas grand-chose à dire à Hashimoto pour le moment. En fait, j’avais l’impression qu’il n’était pas nécessaire de dire quoi que ce soit. Mais…
Moi — Un conseil ? Alors que tu ne comptes rien tenter ?
Je n’avais pas l’intention de faire quoi que ce soit qui puisse déranger la confrontation Sakayanagi et Ryuuen. La meilleure chose à faire était de laisser faire et d’observer. Cependant, il n’était pas mauvais de se préparer suffisamment en amont pour anticiper avec souplesse les imprévus.
Moi — J’ai un peu réfléchi.
Hashimoto — Vraiment ? Alors, tu as pensé à un conseil ?
Il n’avait pas l’air très optimiste, mais il me demandait mon avis.
Moi — Hashimoto. Si tu continues comme ça, sans nouvelles stratégies pour l’examen spécial, tu risques de te retrouver dans une impasse.
Hashimoto — Hé, hé, j’ai demandé un conseil, pas à ce que tu me fasses peur. Ok, la situation peut devenir délicate, mais je m’en sortirai.
Moi — En y mêlant des mensonges, comme d’habitude ?
Hashimoto — Le mensonge est une arme puissante.
C’était sûr. Les mensonges possèdent parfois une force qui surpasse même la violence. J’en avais parlé à Horikita il y a longtemps
Moi — En effet, les mensonges sont puissants. Ils peuvent facilement ruiner les gens. Mais il est vrai qu’il y a aussi des gens qui ne se laissent pas avoir.
Hashimoto — Tu veux dire que cette fois ça ne fonctionnera pas ?
Moi — En effet.
Sakayanagi était très vigilante face aux mensonges. Elle avait des sens bien aiguisés. Quelle que soit l’habileté avec laquelle Hashimoto manipulait ses mots, il élaborait ses batailles sur des montagnes de mensonges.
Malgré tout, depuis sa trahison, Sakayanagi n’avait clairement plus confiance en lui. Elle n’était probablement même plus disposée à l’écouter.
Hashimoto — Eh bien, je dois quand même le faire. Je me suis toujours battu comme ça.
Il répondit comme s’il se vantait de sa seule arme. Non, peut-être qu’il ne connaissait pas d’autre façon de se battre.
Hashimoto — Réfléchis-y, quand même. À propos de passer dans la classe de Ryuuen avec moi.
Moi — Tu veux toujours te ranger du côté de Ryuuen ?
Hashimoto — Je n’ai pas changé d’avis.
Moi — Et si Ryuuen est dans une situation délicate ? Que tu sois de son côté ou non, que se passera-t-il s’il est certain qu’il ne peut pas gagner ? Tu changerais alors de camp pour Sakayanagi ?
Hashimoto — C’est-à-dire que…
Moi — Si tu changes de camp en fonction de la situation, tu paraîtras vil pour tout le monde.
Hashimoto — …Alors je fais quoi ? Je compte bien me ranger du côté de Ryuuen. Et…Si par malheur je n’ai plus le choix, il faudra que je supplie Sakayanagi de me pardonner à genou, un truc du genre.
Tout en se résignant, il cherchait encore une issue ultime. Cela correspondait bien à Hashimoto Masayoshi, tel que je l’avais analysé jusqu’à présent.
Moi — Au moins, n’essaye pas de te mentir à toi-même. C’est tout ce que tu peux faire pour le moment.
Je regardai le dos d’Hashimoto disparaître lorsque la porte d’entrée se referma. En fonction du contenu de l’examen spécial, il était possible que ce soit la dernière fois que je le vois aussi.
C’est avec ça en tête que je décidai d’aller me coucher.
6
Nous étions dimanche matin. J’arrivai dix minutes en avance, mais la personne que j’attendais était déjà assise sur un banc.
Moi — Salut.
À mon appel, un joli profil se tourna vers moi, le sourire aux lèvres.
Ichinose — Bonjour, Ayanokôji-kun. Ça va ? Que tu daignes m’appeler dans un endroit pareil…
Moi — Comment ça ?
Ichinose — C’est un lieu public. Si Karuizawa-san ou les autres nous voient, ils vont se faire de fausses idées, non ?
Moi — Il n’y a pas lieu de s’inquiéter. J’en ai déjà parlé à Kei. Les secrets imprudents et les mensonges maladroits ne sont que des entraves dans les relations.
À ma réponse, elle acquiesça légèrement, convenant que le mensonge n’était pas une bonne chose.
Ichinose — Que vas-tu faire pour l’examen spécial, Ayanokôji-kun ?
Elle voulait sans doute savoir si j’allais agir ou non.
Moi — Je n’ai pas l’intention d’être un représentant.
Je venais de mentir alors que J’avais dit juste avant que les mensonges étaient une entrave. Mais la stratégie que j’avais mise en place avec Horikita était en soi un mensonge même si insignifiant. Ce mensonge envers Ichinose n’était pas nécessaire au fond.
Ichinose — Je vois. C’est peut-être une bonne nouvelle pour nous, alors.
Elle, qui avait pris mes paroles au pied de la lettre, sembla légèrement soulagée. Son attitude n’avait rien de suspect. Elle ne se doutait certainement pas que j’avais donné mon accord pour être un représentant.
Moi — En tout cas pour le moment. Peut-être que Horikita me demandera de le faire plus tard. Si c’est le cas, vas-y doucement.
Ichinose — Ce n’est que mon avis, mais si possible, j’aimerais éviter de me battre contre toi, Ayanokôji-kun.
Elle corrigea ensuite sa précédente déclaration.
Ichinose — Enfin ce n’est qu’une préférence, mais il est inévitable que nos classes s’affrontent dans tous les cas.
Elle continua rapidement.
Ichinose — Vaut peut-être mieux ne pas discuter de ça plus longtemps.
Elle n’avait pas l’intention de me sonder inutilement sur le sujet.
Moi — Nous sommes tous les deux prêts à nous affronter frontalement. Il vaut mieux ne pas trop s’attarder sur le bon comme le mauvais.
Ichinose — Oui, c’est vrai.
Moi — Si je t’ai fait venir aujourd’hui, c’est parce que l’heure de notre promesse approche. Tu t’en souviens ?
Ichinose — Comment pourrais-je oublier ? Il s’agit de notre conversation de l’année dernière dans ta chambre, n’est-ce pas ?
Je hochai la tête. Ichinose fit de même. « Dans l’année qui vient, ne te sens pas piégée par la confusion et l’incertitude, continue d’avancer. Puis, parle-moi encore l’année prochaine. Peux-tu me promettre cela ? » C’est ce que j’avais dit à Ichinose l’an dernier.
Moi — Si aucun de nous deux n’est renvoyé lors de l’examen spécial, alors passons un peu de temps ensemble.
Quel genre de paroles allait-elle entendre ? Ichinose ne le savait probablement pas non plus. C’est avec un mélange d’anxiété et d’anticipation qu’elle répondit.
Ichinose — Très bien.
J’acquiesçai et me levai du banc. La conversation avait été très brève, mais vu que le jour J arrivait demain, c’était sans doute suffisant.
Moi — Je vais passer à la salle de sport. Et toi, Ichinose ?
Ichinose — J’ai prévu de voir des camarades de classe après ça, alors je passe mon tour cette fois-ci.
Avec l’examen spécial de fin d’année qui approchait, ce n’était probablement pas le moment pour une séance de transpiration.
Elle m’avait déjà dit qu’elle avait prévu de voir des gens. Ichinose, toujours assise sur le banc me salua tandis que je me dirigeais vers le Keyaki.
Cela faisait maintenant trois leaders. Il ne manquait plus que Sakayanagi pour accomplir toutes mes tâches.
7
Après m’être séparé d’Ichinose, je passai environ une heure à transpirer à la salle avant de partir. Il y avait un élève debout près de l’entrée que je reconnus tout de suite. Ce n’était pas une simple coïncidence.
Moi — C’est rare de te voir ici, Kanzaki.
Kanzaki — …Oui.
Il répondit brièvement, regardant alternativement la salle et moi.
Moi — Si tu veux t’inscrire, je peux te présenter à l’accueil.
Kanzaki — Ce n’est pas ça. On m’a dit que tu étais là alors j’ai attendu.
Ichinose était probablement la source de cette information.
Moi — C’est quelque chose qu’on ne peut discuter qu’en face à face ?
Kanzaki — Ce n’est pas vraiment une discussion. J’ai juste entendu dire que tu ne comptais pas être un représentant. Est-ce vrai ?
Moi — Cela dépend de Horikita, mais ce n’est pas prévu pour le moment.
C’était comme une réponse automatique. L’expression de Kanzaki s’assombrit.
Kanzaki — …Vraiment ?
Moi — On dirait que tu ne me crois pas.
Kanzaki — Oui, nous sommes adversaires. Il n’y a pas besoin de dire toute la vérité ici, et ce n’est pas à nous de décider de ta participation. Mais elle voudrait croire en tes paroles. Ou plutôt, elle y croit.
Malgré ses réserves, il y avait une sorte de passif agressif. Vu qu’il avait parlé avec Ichinose, Je décidai d’ignorer cela et de laisser couler.
Kanzaki — Je veux te croire aussi, mais…
Il persistait, essayant d’avoir confirmation malgré l’absurdité de la situation.
Moi — Se pourrait-il que tu aies une raison de ne pas croire en ma déclaration ? On dirait que tu suspectes le fait que je prendrais un rôle de représentant.
Kanzaki —…Non.
Kanzaki commença à nier, mais s’interrompit pour se corriger.
Kanzaki — C’est juste une rumeur, mais tu aurais accepté dès le début de devenir un représentant. Et pas n’importe quel rôle en plus, celui de général. Voilà.
S’il ne s’agissait que d’être choisi comme représentant, j’aurais pu considérer que ce n’était qu’une rumeur. Cependant, Kanzaki mentionna le rôle de général, un mot-clé important. Horikita étant largement reconnue comme un leader, une rumeur selon laquelle elle aurait cédé le rôle de général n’était pas à prendre à la légère.
D’après l’expression gênée de Kanzaki, il semblerait qu’il n’avait pas l’intention d’approfondir la question au départ. Mais le fait d’avoir immédiatement nié être un représentant avait peut-être renforcé son désir d’en savoir plus. J’avais pourtant insisté pour que cela reste confidentiel, mais cela avait fuité.
Moi — C’est une rumeur bien précise que voilà. Mais une rumeur est une rumeur. Il n’y a pas de tels projets pour le moment.
Montrant ma conviction, je continuai de nier. C’était certes un mensonge, mais pour le bien de notre stratégie. Kanzaki n’avait pas d’autre choix que de le comprendre.
Kanzaki — …Je comprends. Si tu le dis, ça veut dire que ce n’est qu’une rumeur. Mais si Horikita te demande de prendre un de ces trois rôles… si possible, refuse.
Moi — C’est une négociation assez audacieuse de ta part.
Kanzaki — Je connais bien tes capacités. Si tu entres en jeu, notre classe va galérer. De plus, face à toi, Ichinose risque de ne pas pouvoir exprimer tout son potentiel.
Voilà pourquoi il ne voulait pas que je participe en tant que représentant. Il était sincère dans ses paroles.
Moi — Je comprends, mais c’est difficile à mettre en œuvre. Si Horikita fait une telle demande, il est normal qu’en tant que camarade j’y accorde de la réflexion.
Les bras de Kanzaki se crispèrent visiblement.
Kanzaki — Désolé, c’est une conversation que je n’aurais pas dû entamer. À quoi pensais-je ? Comme si je pouvais avoir ton accord comme ça. Oublie.
Moi — Ce n’est pas grave. Ça montre à quel point cet examen est important pour toi.
Je n’avais pas souvent fait allusion de manière aussi flagrante au fait d’occuper le devant de la scène. Je comprenais parfaitement sa prudence.
Kanzaki — J’étais surtout venu pour ça. Je suis désolé d’avoir été si indiscret. Je te suis reconnaissant pour beaucoup de choses.
Moi — Pas de soucis. Il est naturel que nous fassions tous les deux de notre mieux pour viser la classe A.
Bien que la méthode fût discutable, Kanzaki essayait tant bien que mal de trouver une issue pour sa classe. Je n’avais pas l’intention de le nier, mais c’était un sujet plutôt intéressant à observer.
Si aucun changement significatif ne s’était produit pour Ichinose, j’aurais peut-être voulu intervenir un peu plus, mais il n’est pas trop tard pour le faire après les résultats de l’examen spécial de fin d’année.
Après avoir regardé Kanzaki partir avec une déception cachée, je décidai de retourner au dortoir.
8
C’était presque la fin du dimanche, un peu avant 22h. Étant donné que Sakayanagi était très occupée, on avait décidé de discuter d’une manière peu conventionnelle. C’est ainsi que je vis un appel de Sakayanagi. J’éteignis la télévision et appuyai sur le bouton vert pour décrocher.
Sakayanagi — Désolée pour le retard. Est-ce qu’on peut parler ?
Moi — Oui, c’est bon.
Sakayanagi — Tu voulais donc me parler de quelque chose.
Il est vrai que cela sonnait comme d’une urgence, mais je feignis l’ignorance.
Moi — En gros, j’ai entendu parler de ton pari avec Ryuuen et l’enjeu.
Sakayanagi — C’est juste ça ? Ce n’était qu’une question de temps avant que tu ne le saches, mais qui te l’a dit ? Non, c’est peut-être impoli de demander.
Elle montra un bref intérêt pour la recherche de la source de l’information, mais se rétracta rapidement.
Moi — Compte tenu de la position de la classe A et la non possibilité d’utiliser un point de protection, les conditions sont exceptionnelles.
Sakayanagi — Si l’on s’en tient aux seules conditions, c’est peut-être le cas. Cependant, je ne perdrai pas face à lui, et Ryuuen-kun ne fait que creuser sa propre tombe.
Peu importe à quel point les conditions n’étaient pas avantageuses, il n’y avait pas de problème tant que l’on ne perdait pas. C’était sa position. Bien que différente dans la forme de celle de Ryuuen, c’était la même sur le fond. *
Sakayanagi — Tu n’as pas appelé, car tu t’inquiétais pour moi, non ?
Moi — Faut-il que je m’inquiète ?
Sakayanagi — Pas du tout. Assister à l’issue de la bataille suffira.
Elle gloussa doucement. Un petit bâillement se fit entendre peu après.
Moi — Tu vas déjà te coucher ?
Sakayanagi — Je suis active depuis tôt ce matin après tout.
Moi — Je raccroche alors ?
Sakayanagi — Mais non, ce serait bien triste. Je suis tout à fait prête à me laisser bercer.
Moi — C’est-à-dire ?
Sakayanagi — J’ai pris un bain et je me suis brossée les dents. Je suis actuellement allongée en pyjama, alors je vais me coucher juste après.
J’étais donc ce qui la séparait du sommeil
Moi — En effet, tu as l’air bien prête là.
Sakayanagi — Oui, alors je me réjouis d’une longue conversation
J’étais donc une sorte de berceuse.
Sakayanagi — Ryuuen-kun et Ichinose-san semblent t’avoir rencontré également.
Moi — Je ne me souviens pas avoir été suivi par Yamamura… impressionnant.
Sakayanagi — Même pour quelqu’un comme toi, il est difficile d’échapper complètement aux yeux de beaucoup de gens, y compris les autres promos et adultes.
Elle avait des liens non seulement avec les élèves, mais aussi avec des adultes. Bien sûr, tout ce qu’elle disait n’était pas forcément vrai. Il fallait prendre les choses avec des pincettes même si généralement ses infos étaient solides.
Sakayanagi — Oh, tu auras un rôle de représentant, Ayanokôji-kun ?
Moi — Je ne peux pas répondre à cette question. Tes sources habituelles ont-elles rapporté quelque chose à ce sujet ?
Sakayanagi — Je ne me suis pas vraiment concentré sur ta classe et celle d’Ichinose-san cette fois.
Il y avait de l’intérêt, mais pas assez pour nous surveiller de près. Cependant, même si elle le savait, ce n’était pas une information que Sakayanagi aurait cachée. Comme je le pensais, il semblait que l’information n’avait été divulguée que du côté d’Ichinose et non de celui de Sakayanagi.
Moi — Ryuuen semblait être en mode combat, mais toi tu sembles être comme d’habitude.
C’était un compliment pour son calme, mais sa réponse fut inattendue.
Sakayanagi — Je me le demande. Est-ce que je suis comme d’habitude ?
Moi — Je me trompe peut-être.
Sakayanagi — Ces deux derniers jours, j’ai décidé d’essayer quelque chose de nouveau. J’organisais des réunions individuelles avec mes camarades. La « moi » d’avant n’aurait probablement pas fait ça.
Elle ne restait généralement proche que de ses confidents comme Kamuro, Hashimoto et Kitô. C’était un style typique de Sakayanagi, qui ne faisait fondamentalement pas confiance aux gens. Ryuuen était pareil.
Moi — Pourquoi parler à tes camarades ? Tu n’as rien révélé de particulier, et il ne semble pas que tu aies discuté avec eux des stratégies pour l’examen spécial de fin d’année, n’est-ce pas ?
Sakayanagi — Oui, ce n’est pas lié à l’examen. C’est pourquoi…cela peut être considéré comme problématique.
Elle organisa ses pensées pour trouver les raisons avant de les verbaliser.
Sakayanagi — J’aurais dû en savoir plus sur Masumi-san. Je voulais en savoir plus sur Yamamura-san. Peut-être que des émotions inutiles m’ont poussée à agir.
Il était trop tard pour revenir en arrière. Elle ne pouvait plus parler à Kamuro puisqu’elle avait déjà été renvoyée. Bien que sa relation avec Yamamura fût d’abord basée uniquement sur des intérêts communs, elle avait commencé à prendre des mesures pour se lier d’amitié. Elle voulait renforcer les relations pour ne pas avoir de regrets.
Elle ne savait pas quand et comment les relations avec d’autres camarades pouvaient changer ou disparaître. C’est pourquoi elle voulait apprendre à mieux les connaître. C’était un changement qu’elle-même trouvait déroutant.
Sakayanagi — Honnêtement, je ne pense pas que mes actes soient efficaces. On pourrait même dire que c’est improductif. Pourtant, j’ai décidé de le faire. Cela ne me ressemble pas, n’est-ce pas ?
Moi — Ah. Cela ne te ressemble pas, en effet.
Malgré son expression douce, elle avait toujours pris des décisions froides et pragmatiques, toujours dans la rationalité. Ce changement avait commencé avec Kamuro et Yamamura, influencé très fortement par ce récent incident.
Sakayanagi — C’est à cause de toi, Ayanokôji-kun. C’est toi qui m’as changé.
Moi — Je ne pense pas que tout soit de ma faute, mais j’admets avoir joué un rôle.
Sakayanagi — …Pourquoi as-tu essayé de servir de médiateur entre moi et Yamamura-san ?
On aurait dit qu’elle aurait pu rester elle-même sans mon intervention.
Moi — J’ai causé des problèmes à Yamamura par inadvertance. Je lui ai donc rendu la pareille d’une manière explicite. Je ne peux pas donner plus d’explications que cela.
Yamamura avait agi en tant qu’agent secret de Sakayanagi, utilisant son manque de présence comme arme. Il était tout à fait naturel que je prenne la responsabilité pour avoir entravé cela. Mais il était absurde de raconter les détails à Sakayanagi ici.
Sakayanagi — Je vois. Je pensais qu’il s’agissait d’un geste de bonté de ta part, mais tu as en fait tes raisons.
Moi — Non, je retire ce que j’ai dit. Peux-tu considérer ça comme un geste de bonté de ma part ?
Sakayanagi — Héhé. C’est trop tard.
Son rire fut empreint de fatigue. Jusqu’à présent, elle était restée calme.
Je pouvais raccrocher maintenant, mais…
Sakayanagi — Tu as fait quelque chose d’inutile.
Moi — Tu n’aimes peut-être pas ces changements, mais ils ne sont pas tous mauvais. Si c’était vraiment inutile, tu aurais pu supprimer ces nouvelles émotions.
Sakayanagi — C’est vrai… Tu as peut-être raison.
Elle n’avait jamais fait confiance aux autres, se contentant de les utiliser. Elle avait un état d’esprit similaire au mien, mais elle commençait à accepter le changement.
Moi — Tu n’as pas encore affronté ce changement jusqu’à présent, alors confronte-y toi davantage à partir de maintenant. En faisant cela, tu pourras découvrir des facettes de toi inattendues.
Elle allait sûrement trouver de nouvelles options, mais on ne savait pas encore si elles allaient être considérées comme des forces ou des faiblesses.
Sakayanagi — Karuizawa-san et Ichinose-san t’apprécient parce que tu pénètres avec audace dans le cœur des gens. Tu les bouscules et les fait grandir. Mais ton existence est plus têtue que la mienne et ne changera pas facilement. C’est ce qui te rend fascinant.
Moi — Je le prends comme un compliment. Sans vouloir changer de sujet, il y a quelque chose que je dois te dire, Sakayanagi. Tu te souviens que je t’en dois une depuis l’examen de l’île déserte ?
C’est l’une des raisons pour lesquelles j’avais pris le temps de passer cet appel.
Sakayanagi — Oh, je m’en souviens.
Moi — Je n’ai pas l’intention de prédire si c’est toi ou Ryuuen qui gagnera le match de demain. Je considère que c’est du 50/50.
Sakayanagi — Donc si je perds, tu ne pourras pas me rembourser cette dette.
Moi — Oui, c’est pour cela que je voulais te parler. Si nécessaire, je peux la rembourser maintenant.
Je restai évasif, mais Sakayanagi dut comprendre immédiatement ce que je voulais dire. Bien sûr, je savais qu’elle n’allait rien exiger.
Sakayanagi — La réponse est évidente.
Moi — Je vois.
Elle ne voulait pas de mon aide pour battre Ryuuen à l’examen spécial. Je le savais, mais j’avais quand même demandé.
Sakayanagi — Tu me rendras la pareille en terminale.
Moi — D’accord. Je m’en souviendrai.
Sakayanagi — Je compte sur toi.
Elle répondit en baillant à nouveau.
Moi — Il est peut-être temps de raccrocher.
Sakayanagi — Tu as déjà fini ? J’ai encore envie de continuer.
Moi — La journée d’aujourd’hui m’a suffi. J’ai une bonne idée de l’état d’esprit de chaque leader.
Sakayanagi — Ah oui ? Alors, une fois l’examen spécial de fin d’année terminé, prenons le thé ensemble dans un coin tranquille. Après avoir vaincu Ryuuen, c’est un duel qui nous attend l’an prochain.
Comme les bâillements commençaient à se mêler à ses paroles, je décidai de conclure, mais elle le fit à ma place.
Sakayanagi — On peut en rester là, Ayanokôji-kun ? J’aimerais m’endormir l’esprit léger… Bonne nuit.
Sakayanagi était restée calme et posée tout au long de la conversation. Elle commençait à montrer une facette d’elle-même qui s’abandonnait aux émotions qu’elle avait commencé à révéler. Il devait s’agir d’une autre forme d’évolution. Après avoir mis fin à l’appel, je commençai à me déshabiller et à enfiler mon pyjama. Ryuuen et Sakayanagi… Ils semblaient tous deux parfaitement préparés mentalement à l’examen spécial de fin d’année.
L’un d’entre eux allait être vaincu demain… et quittera l’école.
Je devais me contenter d’observer le résultat en tant que spectateur. Rester neutre était la meilleure chose à faire. Mais si je disais ouvertement ce que je pensais, quel résultat aurais-je souhaité ? J’ai essayé de ne pas y penser, mais il y avait une réponse claire en moi.
Je savais qui je voulais voir gagner.
Je le savais avant même de rencontrer les deux leaders.
[1] (漁夫の利), Tiré d’un proverbe japonais où le pêcheur récolte les fruits des choses pendant que les autres font le travail. « La bécassine et le crustacé se battent au profit du pêcheur ».