Une installation inédite
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Traduction : Nova
Correction : Raitei
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Mika laissa échapper un cri d’admiration en regardant les liasses de billets disposées sur la table blanche.
Moi — Il y a 50 millions. Je les ai fait prendre en liquide, comme tu le voulais. On ne pourra pas remonter jusqu’à toi.
Je dis cela à Mika sans établir de contact visuel. Ce montant ne comprenait bien sûr pas les frais de grossesse, tels que l’accouchement et l’hospitalisation.
Mika — Les politiciens ont vraiment autant d’argent à ne pas savoir quoi en faire ? C’était facile pour toi d’obtenir cette somme ?
Demanda Mika avec sarcasme, vêtue d’un ensemble qu’elle n’avait probablement pas l’habitude de porter.
Moi — L’argent est important, mais je n’en manque pas. Le monde est à nous.
Mika se moqua de moi alors que je parlais d’une manière factuelle.
Mika — La naissance de ton enfant ne te fait rien du tout ?
Moi — Tu t’es découvert un instinct maternel, d’un coup ?
Mika — Pas du tout. Je n’aurais pas donné l’enfant sinon. La mise au monde est un travail pour moi, ni plus ni moins.
J’étais soulagé d’entendre ça, et je pouvais voir dans ses yeux qu’elle était sincère. Elle ne faisait pas du zèle.
Moi — Je suppose que j’ai eu raison de te choisir après tout.
Mika — Eh bien, pour être franche, j’avais presque regretté en voyant mon ventre gonfler et avec l’accroissement des nausées matinales. Mais j’ai oublié tout ça en voyant tout cet argent !
Même pour Mika, qui recevait un salaire mensuel bien supérieur à un million de yens, une somme forfaitaire de 50 millions était conséquente. Elle n’avait pas à se plaindre. D’ailleurs, je l’avais payée plus de deux fois le taux du marché des mères porteuses, déjà très onéreux.
Moi — Et c’est net d’impôt, normalement la moitié aurait dégagé.
Mika — C’est vrai… Tu dois gagner environ 100 millions pour avoir 50 millions en poche, non ? Quelle horreur de perdre la moitié en impôts !
Caressant la liasse de billets, Mika rit un peu.
Moi — En as-tu déjà payé de ta vie ?
Il paraît que de nombreuses personnes exerçant des professions similaires à celle de Mika ne paient pas d’impôts.
Mika — En y réfléchissant, je m’en souviens à peine. Peut-être que je m’y mettrai quand je débuterai un nouveau travail, qui sait ? Bref, sinon comment ça va, Atsuomi ? Quoi de neuf ?
Moi — Je suis désolé, mais je suis occupé et je ne peux m’éterniser trop longtemps. Faisons juste ce que nous avons à faire.
Je sortis le contrat et le tendis à Mika.
Moi — Si tu acceptes l’argent, tu renonces aux droits sur l’enfant.
Mika — Détends-toi. J’ai fait tout ça pour l’argent, je te rappelle !
Mika n’avait pas l’intention, dès le départ, de refuser l’argent qui lui était proposé, et a de nouveau exprimé son accord.
Moi — « Quoiqu’il arrive, je ne pourrai jamais être identifiée comme étant la mère de cet enfant ». Une petite signature.
Cela pouvait sembler insistant, mais c’était très important. Si Mika, qui connaissait bien le monde souterrain, tentait de récupérer l’enfant, on ne pouvait nier la possibilité que l’existence de la White Room soit révélée.
Mika — Au fait, ne lui parle pas de moi non plus.
Moi — Je ne le ferai pas. Je n’ai pas à le faire.
Mika — Juste comme ça, qu’est-ce qui lui arrivera ?
Je n’avais rien dit à Mika à propos de la White Room. Sa question était légitime.
Moi — Cela ne te regarde pas. Contente-toi d’apposer ton accord.
Mika — Oui, oui.
Mika signa comme si elle avait compris qu’il n’y avait rien de plus à faire.
Moi — Tout va bien ?
À en juger par la pression de l’écriture, il ne semblait pas y avoir eu d’hésitation du tout. Je suppose qu’elle n’était pas si inquiète, finalement. Mika donna ensuite des instructions pour que l’attaché-case contenant l’argent soit placé dans le coffre de sa voiture. C’était un peu risqué de transporter une telle somme d’argent en liquide, mais Mika et moi avions convenu d’éviter de transférer l’argent par l’intermédiaire d’une banque.
Moi — Eh bien, je vais m’en aller.
C’était la dernière fois que je voyais Mika et la dernière fois que nous nous parlions. Alors que j’étais sur le point de partir sans dire un mot, Mika fit quelques pas avant de s’arrêter.
Mika — …Tu ne veux pas me demander ce que je vais faire, maintenant ?
Je ne voyais pas son expression. Cependant, je pus constater qu’il y avait un soupçon d’émotion dans sa voix.
Moi — Peu m’importe. Tu peux aller LE voir, ou tu peux t’envoler à l’étranger avec cet argent.
Elle était légèrement surprise, mais sourit comme si elle avait compris.
Mika — Alors tu savais ? Pour lui et moi ?
Moi — Tu sais, les nouvelles vont vite dans ce milieu.
Mika — Depuis combien de temps le savais-tu ?
Moi — Avant de te demander de m’épouser et d’avoir un enfant.
Mika — Tu ne crains pas que l’enfant ne soit pas le tien ?
Mika rétrécit ses yeux, comme si elle me jouait un tour.
Moi — Aurais-tu osé ? Alors que, me connaissant, tu aurais pu te douter que j’aurais certainement effectué un test ADN. Aurais-tu risqué de perdre ta récompense si tu avais porté l’enfant d’un autre ? Impossible.
Mika — Hmm… Oui, tu marques un point !
Moi — Néanmoins, tu as fait de l’excellent travail. Non seulement tu as réduit tes rencontres secrètes avec lui, mais en plus tu as tout fait pour qu’il ne se rende compte de rien.
Je ne sais pas si cet homme voulait vraiment la rendre heureuse. Mais, au minimum, la fortune totale de Mika s’élevait désormais autour de 200 millions[1]. Elle avait largement de quoi vivre une belle vie pour au moins 5 ou 10 ans.
Mika — Atsuomi… N’as-tu jamais pensé que tu m’aimerais ?
Moi — J’aime quelque chose chez toi… Ta capacité à tout faire pour de l’argent.
Mika — Tu ne comprends pas… Ou alors si, ta réponse est claire !
Je n’avais jamais eu de sentiments particuliers pour Mika. De même qu’elle n’en avait pas pour moi non plus. Toutes ces paroles de sympathie n’étaient que de la petite comédie. Elle aimait les hommes jeunes, beaux, qui parlaient bien et de grande valeur. Tout simplement.
Mika — Au revoir, Atsuomi.
Moi — Attends. Un petit cadeau, encore.
Trois millions[2] en plus des honoraires que j’avais initialement prévus. Une sorte de « cadeau d’adieu » à Mika.
Mika — Tu n’as pas besoin d’aller si loin, ce n’est pas comme si j’allais tout balancer au premier magazine venu. Je voudrais rester discrète moi aussi !
Mika avait en effet beaucoup de casseroles qu’elle ne voulait pas voir exposées.
Moi — Je me doute. C’est vraiment un cadeau sincère ! Si tu n’en veux pas, je ne te mets pas le couteau sous la gorge !
Je tendis le bras pour récupérer l’argent, mais Mika m’arrêta avec un petit rire.
Mika — Qui refuserait l’argent pour construire sa maison ?
Moi — J’ai entendu dire que les terrains devenaient de plus en plus chers dernièrement. Veux-tu savoir pourquoi ?
Mika — Je ne sais pas. Je m’en fiche. Je suis juste intéressée par l’argent.
Moi — C’est tout à fait toi. Tu sais, tu vas devoir attendre un peu d’avant de pouvoir officiellement épouser quelqu’un.
Mika — En effet, après tout je suis censée être ta femme.
Jusqu’au placement de notre enfant dans la White Room, il était nécessaire que nous soyons publiquement établis comme mari et femme.
Moi — Enfin, tu n’auras pas à attendre trop longtemps. Dans deux ans, tu seras libre.
À cette fin, je lui remis déjà les papiers de divorce préremplis, je laissais juste le champ des dates vides.
Moi — Une dernière chose… Si tu as un prénom en tête, je l’utiliserai.
Onze jours s’étaient déjà écoulés depuis la naissance de l’enfant. Sauf acte dilatoire, il ne nous restait plus que trois jours.
Mika — Je n’ai aucun droit sur l’enfant, mais tu me laisses décider ça ?
Moi — Un prénom n’est qu’un symbole. Peu importe qui nomme l’enfant, ce qui compte est ce qu’il a dans le crâne.
Après une courte pause, Mika prononça quelque chose.
Mika — Alors… Kiyotaka.
Moi — Une très bonne suggestion, qui te ressemble.
J’ai fus un peu surpris par cette tournure inattendue des événements.
Mika — Je pensais juste que ce serait un nom dont tu te souviendrais.
Moi — C’est pas mal. Je vais l’accepter !
Mika — Tu es vraiment peu commun. N’importe qui aurait perdu la tête en nommant leur enfant d’après l’hôte dont la mère s’est éprise. Quelle folie !
Mika s’éloigna, et cette fois sans s’arrêter.
Moi — Au revoir Atsuomi. Le temps passé ensemble m’a été précieux. Pour le meilleur et pour le pire.
Après le départ de Mika, j’écrivis « Kiyotaka » sur la liste. Avec autant d’argent en poche, je devais être tranquille avec elle.
Ensuite j’allais remettre mon enfant à la White Room, moi, son représentant. L’argent était vraiment un maigre prix à payer. Tout ce que Kiyotaka avait à faire était de m’être utile pendant au moins 5 ans, ensuite qu’il craque m’importe peu. Mon enfant n’avait pas besoin d’être excellent en soi pour mon plan.
M. Tsukishiro — Elle était vraiment charmante, Ayanokôji-san.
Tsukishiro, qui était dans la pièce d’à côté, apparut avec son sourire habituel.
Moi — Cela n’a pas été évident pour vous, non ? Je vous ai fait jouer au détective de façon assez approfondie.
M. Tsukishiro — Je suis un touche-à-tout, je vous rappelle. Mais êtes-vous sûr de pouvoir lui faire confiance ? Un jour, vous aurez peut-être à envisager de vous débarrasser d’elle. Certes, elle se tiendra tranquille tant qu’elle est dans l’opulence, mais d’après son apparence elle ne le restera pas longtemps. À moins qu’elle ne fuit dans un autre pays ?
Oui, on ne sait jamais avec les gens. Une fois fauchée, Mika pouvait tout à fait me solliciter à nouveau. Mais je la pensais assez intelligente pour ne pas le faire. Après tout, peu importe à quel point l’âme d’une personne est sale et décadente, personne ne veut mourir pour rien.
Moi — C’est toujours une bonne idée d’assurer ses arrières. Mais la disparition de Mika pourrait créer d’autres risques. Nous avons besoin qu’elle soit une mère pour le moment.
Il était clair que je n’étais pas attaché à l’enfant, mais je devais faire en sorte que ma situation reste crédible si je devais convaincre d’autres investisseurs.
M. Tsukishiro — Je ne peux vous donner tort.
Moi — Dans quelques jours, l’enfant sera entre mes mains, une fois les tests terminés, et il débutera en tant qu’élève de quatrième génération.
M. Tsukishiro — Il semblerait que votre fils aura une vie difficile devant lui, tout comme vous.
Ces mots ressemblaient à de la pitié, mais Tsukishiro n’éprouvait pas de tels sentiments.
1
Le jour de l’arrivée de Kiyotaka, je réunis Suzukake et les autres chercheurs.
Dr. Tabuchi — Ayanokôji-sensei, le programme pour les enfants de 4e génération débutera cette année.
Tabuchi était sur son ordinateur, des cernes importants sous les yeux. Je regardai les documents projetés sur le grand écran pendant qu’il me les expliquait. Lorsque Suzukake fut choisi pour diriger les élèves de deuxième génération, il avait créé un programme comportant dix niveaux de difficulté. Cette fois, les élèves de la quatrième génération allaient se voir attribuer un niveau de difficulté de 4.
Dr. Tabuchi — Le taux d’abandon d’enfants de 5 ans, au cours de la 1re génération, est de 14 %. Pour la 2de génération, le taux d’abandon des enfants de 2 ans est de 6%, tandis que celui de la génération en cours, d’un an, est de 6% également. Nous prévoyons que plus de 20 % des enfants de la 2de génération abandonneront l’école avant l’âge de 5 ans, et que plus de 25% des enfants de la 3e génération abandonneront à l’avenir. Nous avons augmenté le niveau de difficulté par étapes, mais nous prévoyons d’aller encore plus loin pour la quatrième génération.
Plus le niveau de difficulté exigé des enfants était élevé, plus l’écart entre années était marqué. Le programme de Suzukake était structuré de telle sorte que le niveau de difficulté augmentait drastiquement après que les enfants aient atteint l’âge de six ans, lorsque leurs bases étaient solidifiées. Il n’allait donc pas être surprenant que le taux d’abandon de la première génération augmente également rapidement à l’avenir.
Moi — En fait, qu’est-ce qui changera concrètement en augmentant le niveau de difficulté ?
Dr. Tabuchi — Nous n’avons que trois échantillons. En comparant les capacités de la 1re et de la 3e génération au même âge, les élèves les moins performants s’amélioraient de 11% et les plus performants de 37%. Cela prouve que la méthode éducative proposée par Suzukake-san influe sur l’amélioration des capacités humaines.
Jusqu’à présent, les recherches semblaient bien se dérouler. En poursuivant, nous allions pouvoir produire des enfants à des années-lumière de ceux de la première génération. Toutefois, celait risquait de prendre encore des années.
Dr. Tabuchi — Il y a également eu des changements importants. Par exemple, nous avons analysé les séquelles du décrochage scolaire et nous avons constaté quelques problèmes. L’un d’eux est la très faible capacité d’adaptation à la société. La raison est claire : ils ont vécu 99 % du temps ici, à la White Room. En particulier, les élèves de 1re génération ne voyaient le monde extérieur qu’à travers les minéraux et leur imaginaire. Il leur était impossible de conceptualiser des paysages urbains. Les générations suivantes ont montré une certaine amélioration en commençant à apprendre par le biais d’images, mais il leur manquait les connaissances quotidiennes que les enfants japonais devraient avoir. Les distributeurs automatiques, les rues, les centres commerciaux, les magasins de proximité et les supermarchés de la ville leur sont inconnus, et leur manque manifeste d’expérience a causé un grand malaise aux témoins. Ils peuvent mémoriser des concepts en mots et en lettres, mais sans expérience concrète, impossible de se comporter naturellement.
Moi — Alors ? Quelle est la solution ?
Dr. Tabuchi — Ce serait plus facile si nous pouvions les sortir de la White Room, ou pour dire les choses plus simplement, avoir une sorte d’activité extrascolaire. Bien sûr, cela n’arrivera pas, les sorties seraient un risque pour la discrétion de nos activités d’autant que nous ne mesurons pas l’impact que cela pourrait avoir sur les enfants.
Ishida poursuivit, sortant de grosses lunettes.
Dr. Ishida — C’est là que la console virtuelle entre en jeu. En utilisant la Réalité Virtuelle, les enfants pourront voyager, apprendre et mémoriser tout et n’importe quoi, sans même bouger !
Sôya approuva.
Dr. Sôya — L’idée d’Ishida-san n’est pas mauvaise. Leur faire acquérir le minimum de bon sens virtuellement est une très bonne chose, d’autant que si le monde est parfaitement recréé cela vaut une expérience authentique. Leur capacité d’adaptation sera améliorée d’un coup !
Le prix de ces installations était maigre pour avoir tout un tas de chose sans même sortir. J’acceptai et approuvai le budget supplémentaire.
Moi — Le contenu du programme semble être bon.
Tabuchi hocha la tête en satisfaction, et Ishida et Sôya se levèrent également.
Moi — Je soutiens l’utilisation de la RV. Néanmoins, j’aimerais quelque chose d’un tout petit peu différent pour cette 4e génération.
Dr. Suzukake — « Différent », qu’entendez-vous par là ?
Je jetai un coup d’œil à Suzukake, qui était resté assis tranquillement jusqu’ici.
Moi — Nous adoptons le programme Bêta.
Tous les chercheurs se tendirent à cette révélation.
Dr. Suzukake — Huh ? Que… venez-vous de dire ?
Suzukake fut probablement le plus surpris de tous.
Moi — J’ai dit que nous allions adopter le programme Bêta. J’ai horreur de me répéter !
Suzukake créa un programme d’études comportant 10 niveaux de difficulté. Il était naturel de mettre en place un programme plus rigoureux que pour les trois générations précédentes. Mais le niveau de difficulté augmentait considérablement après l’âge de six ans, lorsque les bases sont au stade d’acquisition. Même moi, qui ne m’y connaissais pas beaucoup en éducation, je savais le programme Beta irréalisable au vu des limites des enfants de la première génération et l’avais donc écarté.
Dr. Suzukake — Je vous avais expliqué à l’époque que nous avions créé un programme avec 10 niveaux de difficulté, mais que le Bêta était d’une dimension différente. En effet, nous considérions que le cinquième ou sixième niveau était la limite du développement humain.
Dr. Tabuchi — En effet. Les programmes des 2e et 3e années, plus aboutis, sont bien loin du programme Bêta en termes d’exigence. Le programme actuel jusqu’à la troisième génération était déjà dur à suivre, avec des résultats loin d’être remarquables. Dans une telle situation, faire appel au programme Bêta ne ferait que détruire tout le travail effectué.
Moi — Je sais qu’il est nécessaire, en recherche, d’augmenter la difficulté petit à petit. Mais j’aimerais voir dès maintenant les limites humaines dans la White Rom. Je me moque qu’ils abandonnent tous.
Dr. Ishida— Avec… Votre fils ici ? Vous prenez ce risque ?
Moi — Mon fils est celui qui recevra l’éducation la plus rigoureuse. C’est une grande opportunité. Si nous pouvons créer ne serait-ce qu’un seul succès dans le programme Bêta, cela mènera à de futures recherches.
Dr. Ishida — …Mais quel genre de critique vais-je recevoir de nos principaux soutiens ?
Moi — C’est pourquoi j’ai dit que j’adopterai le programme Bêta pour mon enfant. C’est pour le bien de la recherche. Il pourrait mourir, je m’en fiche. En cas de problème, n’hésitez pas à me solliciter.
Tout le monde, y compris Ishida et les autres, était stupéfait et sans voix.
Dr. Ishida — Vraiment… Êtes-vous sûr de vous ?
En tant que chercheur, Ishida était peut-être excentrique, mais il ne s’était pas écarté du chemin de l’humanité. C’est pour cela qu’il était si vindicatif, mais il avait dû comprendre que c’était ma décision.
Moi — Oui. Les prochains élèves de la cinquième génération se verront attribuer le programme de niveau quatre qui était censé être attribué aux élèves de la quatrième génération. La quatrième génération est la seule exception. Nous ne pouvons pas facilement mettre en œuvre un programme d’études inhumain quand il n’y a pas d’avenir en vue.
Nous pouvions toujours faire des modifications aux termes de la quatrième génération, pour réajuster le niveau.
Moi — Voici donc un échantillon d’enfants que je considère raisonnable.
Je leur montrai la liste des enfants allant faire partie de la quatrième génération, que j’avais gardée secrète jusqu’à présent.
Dr. Tabuchi — 74 au total !!! C’est plus du double du nombre d’enfants de la 3e génération !
Moi — La quasi-totalité d’entre eux a été ramassée chez les « démunis » afin qu’ils puissent être utilisés et jetés.
Le groupe Ohba et les courtiers du marché noirs amènent rarement des produits de qualité. Mais nous voulions de la quantité, cette fois. Il y avait quelques enfants de riches hommes d’affaires, mais j’avais décidé de ne pas dire lesquels étaient de cette catégorie aux chercheurs. Je ne voulais pas que cela rentre en ligne de compte, surtout si ces hommes d’affaire nous les avaient expressément confiés pour les endurcir. Suzukake, qui avait écouté en silence, s’approcha d’Ishida et des autres qui étaient réticents.
Dr. Suzukake — J’ai moi-même compris beaucoup de choses depuis que j’ai commencé à travailler avec Ishida-san et les autres. Il y a certaines lignes que l’on ne doit pas franchir en tant qu’être humain, au point que je regrette d’avoir créé le programme Bêta. Je ne peux que voir l’effondrement arriver. Néamoins, tant qu’Ayanokôji-sensei insiste pour le faire, nous sommes obligés de nous exécuter.
Dr. Ishida — Mais…
Dr. Suzukake — Comme Ayanokôji-sensei l’a dit, c’est une occasion spéciale. C’est aussi une excellente occasion pour moi de détruire ce programme que j’ai créé si les résultats ne sont pas concluants.
Suzukake avait beaucoup mûri au cours des dernières années et s’imposait réellement en leader indiscutable. Ils s’opposaient constamment sur le contenu de leurs recherches, mais à la fin, Ishida et les autres hochaient toujours la tête face à l’enthousiasme et la détermination de Suzukake.
Dr. Suzukake — J’en prendrai la responsabilité, et je m’impliquerai à fond dans l’éducation des élèves de la 4e génération.
En tant que représentant de la White Room, j’allais surveiller les résultats de très près.
Dr. Tabuchi — Je comprends ce que vous dites. Bien sûr, je vais suivre vos instructions. Mais d’abord, puis-je faire une suggestion sur la façon de traiter les décrocheurs ?
Moi — C’est-à-dire ?
Dr. Tabuchi —Pour être clair, les capacités des enfants décrocheurs dépassent de loin celles des gens ordinaires. Je dirais que c’est un bon accomplissement, c’est trop bon pour être jeté…
Moi — De quel accomplissement parlez-vous ? Pensez-vous que notre objectif est de les faire entrer dans une université correcte ou de gagner des compétitions de quartier ?
Dr. Tabuchi — Non, ce n’est pas…
Moi — C’est bien en apparence. Mais l’objectif réel est ailleurs : protéger ce pays face au monde, le rendre fort, et créer des gens qui ont le pouvoir de diriger le Japon.
Notre but n’était pas de créer de « simples » étudiants d’honneur juste bons à chauffer les bancs de parlement. Nous voulions créer des humains surpassant les autres. Des personnes avec une volonté d’acier inflexible et inébranlable. Seuls ceux que les autres décrivent comme des monstres peuvent faire une percée dans le monde politique corrompu actuel.
Moi — Les décrocheurs connus seront soigneusement pris en charge et rendus à leurs parents. Tant qu’ils sentiront qu’ils ont acquis des capacités extraordinaires, les parents seront déjà satisfaits.
Dr. Tabuchi — …Et qu’en est-il des enfants sans nom ?
Moi — Comme prévu, envoyez-les dans l’installation que nous avons mise en place et laissez-les se débrouiller. Bien sûr, ils seront entraînés à ne pas parler de la White Room.
Dr. Tabuchi — Cependant, il sera très difficile pour eux de devenir indépendants et de s’intégrer dans la société.
Moi — Et alors ? Nous les avons éduqués. Ils auront peut-être des problèmes, mais ils sont quand même bien supérieurs à la personne moyenne. Ils auront toutes les chances de s’élever au-dessus d’eux. Ça vous pose un problème ?
Tabuchi était le seul chercheur un peu retissant. C’est pourquoi nous devions lui donner un avertissement ferme.
Moi — Quoiqu’il en soit, je pense que vous en avez assez dit. Taisez-vous et suivez mes ordres, je découperai le moindre récalcitrant même s’il s’agit de l’un de vous. C’est compris ?
Dr. Tabuchi — Oui, monsieur. Veuillez m’excuser.
Un téléphone portable sonna. C’était Sakayanagi.
Moi — Je vais m’absenter quelques instants. Nous poursuivrons ensuite sur les modalités d’exécution du programme Bêta.
Je sortis dans le couloir et répondis au téléphone alors que la porte se refermait derrière moi.
M. Sakayanagi — Ayanokôji-sensei…
Moi — Qu’est-ce qui ne va pas, Sakayanagi ? Vous avez l’air mal en point.
M. Sakayanagi — Je ne voulais pas vous contacter ainsi, mais j’ai appris pour la naissance de votre fils.
Moi — Oh, je suis désolé. Nous n’avons pas été beaucoup en contact vous et moi, les choses ont été assez mouvementées dernièrement.
M. Sakayanagi —…Vous êtes sûr que ça ne vous pose pas de problème ? Votre fils tant attendu ?
Moi — C’est ce que j’avais en tête en créant la White Room. Je ne pense pas qu’un homme qui éduque des bébés abandonnés puisse avoir une vraie famille.
M. Sakayanagi — Mais n’est-ce pas un peu exagéré ? Les bébés de l’établissement viennent de milieux défavorisés, ils ont été abandonnés. Ils sont plutôt heureux de pouvoir grandir dans la White Room. Mais votre fils est différent. Il mérite l’amour de son père et de sa mère.
Moi — Ma décision est déjà prise.
À l’autre bout de la ligne, Sakayanagi haleta.
Moi — Je suis désolé de faire ça par téléphone, mais j’ai une chose à vous demander.
M. Sakayanagi — Une proposition… ?
Moi — Je suis prêt à accueillir votre enfant, si vous le désirez.
M. Sakayanagi — Je ne suis pas aussi fort que vous et je ne peux pas l’être. Pour le bien de notre futur enfant, ma femme et moi l’élèverons avec tout l’amour dont nous disposons.
Moi — Je vois. Je savais que vous diriez cela.
Espérais-je contribuer à l’éducation de l’enfant de Sakayanagi, un enfant légitime et aimé issu d’une très bonne lignée ? Était-ce le genre d’accomplissements que j’attendais avec impatience ?
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