Hyouka t4 - chapitre 7
—————————————-
Traduction : Raitei
———————————————–
1
Après avoir traversé le centre-ville de Kamiyama et suivi la route vers le nord-est, j’atteignis une longue pente douce. Mes pieds, sur les pédales de mon vélo, se firent lourds, mais sans douleur. La pente n’était pas assez raide pour m’obliger à pédaler debout, pourtant je sentais ma température corporelle monter.
Des bosquets clairsemés bordaient la route de part et d’autre, et l’on pouvait distinguer çà et là les restes de neige au sol. Les signes de présence humaine disparurent brusquement, comme si une catastrophe venait de se produire. En réalité, d’un point de vue historique, la zone vallonnée au nord-est de Kamiyama formait autrefois un village indépendant, sous un autre nom. C’est du moins ce que m’avait raconté Satoshi. Aujourd’hui encore, on appelle cette région Jinde. La pente se fit un peu plus marquée un court instant. Bien que les indices du printemps se fissent plus insistants, les matinées restaient glaciales : il faisait si froid que je pouvais voir ma respiration s’échapper en volutes blanches et hachées.
Je remarquai un sanctuaire au sommet de la colline. J’avais déjà pris cette route plusieurs fois : la première en suivant Satoshi ; la suivante, lorsque nous avions fêté tous les quatre la fin du Festival Culturel du club de littérature classique. Mais c’était la première fois que je remarquais la présence de ce sanctuaire. Sans doute parce qu’à chaque fois, j’avais emprunté cette route dans un certain tumulte.
Aujourd’hui, j’étais seul. Qui aurait cru que moi, Oreki Houtarou, adepte autoproclamé de l’économie d’énergie, me lèverais de si bon matin pour pédaler jusqu’à un village lointain ? En pensant qu’une chose pareille eût été impensable un an plus tôt, j’eus un sourire amer. La divinité du sanctuaire était Kshitigarbha[1]. Je descendis de vélo pour faire une pause et, d’une main, adressai une prière au bodhisattva.
Après le sanctuaire de Kshitigarbha commençait une descente.
Je distinguais des taches de neige dans les rizières.
Les rayons du soleil matinal traversaient l’air glacé.
La colline n’était pas très haute, aussi la vue n’avait-elle rien d’extraordinaire. Pourtant, au milieu de la plaine étendue, parmi les maisons éparses, je vis un domaine entouré d’une clôture blanche d’un style inhabituel. Un majestueux pin se dressait dans le jardin de la propriété. C’était la demeure des Chitanda. On devinait déjà de loin qu’il s’agissait d’une grande maison, mais il fallait y entrer pour mesurer l’ampleur déconcertante du salon de réception et le raffinement infini du ranma[2].
Mais je ne me rendais pas chez Chitanda aujourd’hui. Je tournai la tête.
Derrière la résidence des Chitanda coulait un ruisseau qui partageait la vallée en deux rives. De l’autre côté, un petit temple s’adossait à la montagne, au vert encore vif, comme s’il la grignotait. Je ne voyais pas le bâtiment principal ; je ne le devinais qu’à la bannière dressée devant.
C’était ma destination. Le sanctuaire Mizunashi, si je ne me trompe pas.
C’était il y a deux jours.
Allongé mollement sur mon lit, je lisais un pavé qui semblait sans fin lorsque le téléphone sonna.
— Allô. Désolée de te déranger pendant tes vacances.
C’était Chitanda. De nature, elle a un ton poli et une voix douce, mais lorsque nous nous parlons face à face, ses grands yeux et nos expériences passées m’influencent toujours, me rappelant qu’elle n’est pas seulement une fille appliquée. Cependant, au téléphone, sans voir son visage, j’eus l’impression qu’une dame m’appelait.
— Je n’étais pas vraiment en vacances.
— Hein ? Oreki-san, tu as des cours de rattrapage ?
— Non, pas du tout…
Mes notes n’étaient certes pas les meilleures de Kamiyama, mais elles n’étaient pas assez mauvaises pour qu’on m’impose des séances supplémentaires. De l’autre côté du combiné, Chitanda reprit calmement :
— C’est les vacances de printemps.
C’est vrai. J’étais bel et bien en train de savourer mes vacances de printemps, sans le moindre souci au monde.
— Je suis désolée de t’appeler si brusquement, mais…
Elle semblait vraiment gênée, si bien que je retins mon souffle, me demandant de quoi il pouvait bien s’agir.
— As-tu quelque chose de prévu après-demain ?
Je jetai un œil au calendrier. Aucun plan ni pour après-demain, ni pour le jour suivant, ni pour le reste des vacances. Si ma sœur avait été là, elle m’aurait sûrement traîné quelque part, mais heureusement, elle voyageait dans le Nanki[3], me laissant goûter à une paix rare.
— Non, rien.
— Je vois. Tant mieux.
Je sentis un soulagement manifeste à l’autre bout du fil. Puis Chitanda poursuivit :
— Euh, Oreki-san. Je sais que c’est soudain et un peu embêtant, mais… pourrais-tu, s’il te plaît, m’aider à tenir un parapluie ?
Le combiné à la main, je penchai la tête sans réfléchir.
Si c’était avril l’an dernier, je me serais sérieusement demandé si « tenir un parapluie » n’était pas une expression à double sens. Mais après un an à côtoyer Chitanda, j’avais appris que, lorsqu’elle demande un service, elle omet souvent la moitié des explications.
— Explique-moi depuis le début.
— Depuis le début ? Très bien. Tout a commencé à l’époque de l’après-guerre.
— Ah non, plutôt depuis le milieu, et d’une manière que je puisse comprendre.
Elle semblait avoir conscience de son travers. D’une voix embarrassée, elle avoua :
— Pardon, je suis mauvaise pour expliquer les choses…
J’entendis un petit « Euhm… » étouffé, puis elle reprit, ses pensées visiblement remises en ordre.
— En gros, un sanctuaire près de chez moi célèbre la fête des poupées[4]. Il y a l’empereur et l’impératrice, les ministres et trois dames de cour. Autrefois, il y avait aussi un ensemble de cinq musiciens, mais avec la baisse du nombre d’enfants, on l’a supprimé.
— Je vois…
Je ne voyais pas du tout le rapport entre la natalité et un orchestre de poupées, mais surtout, il y avait là une contradiction fondamentale. La fête des poupées a lieu en mars, or nous étions en avril.
— Ce n’est pas un mois en retard ?
— Ah, si. C’est parce qu’ils suivent le calendrier luni-solaire.
Je fus tenté de répondre « Ah bon ? Et alors ? » Est-ce courant, une fête des poupées décalée d’un mois ? Sans se soucier de mon silence dubitatif, Chitanda poursuivit :
— Les poupées royales ont des porteurs de parapluie, mais… la personne qui tenait ce rôle depuis des années s’est soudainement déboîté la main dans un accident. Je ne voudrais pas te forcer, mais il nous manque du monde. J’ai demandé à plusieurs personnes du voisinage, mais aucune n’était disponible.
— Je comprends.
— Le costume a une taille précise, donc tout le monde ne peut pas le porter. Par exemple, il serait trop grand pour Fukube-san, mais je pense qu’il t’irait parfaitement.
Elle marqua une pause, puis, comme si elle attendait ma réaction, ajouta :
— Cela ne prendra pas plus d’une heure. Pourrais-tu, s’il te plaît, nous aider ?
Je sentis mon visage se crisper.
En somme, je n’avais qu’à tenir un parapluie à côté du présentoir à poupées. Mais, honnêtement, cela me paraissait fastidieux. Et quel que soit le talent oratoire de Chitanda, je savais que je me sentirais gêné de participer à une fête d’un village où je n’avais aucune attache.
— Pas vraiment intéressé.
— Ah… je vois…
Un silence pesant suivit.
Mais en y repensant, personne ne ferait attention au porteur de parapluie. Et si Chitanda, malgré ma réputation de flemmard, m’avait demandé de l’aide, c’est qu’elle devait être réellement dans l’embarras.
Si je pouvais simplement lui rendre service, ce n’était pas si terrible.
— Enfin… d’accord, j’irai.
— Hein ? Vraiment ?
À en juger par le changement soudain dans sa voix, elle était sincèrement surprise. Après une profonde inspiration, elle retrouva son ton habituel, plein de bonnes manières.
— Merci beaucoup. Tu me rends un grand service.
— Donc, après-demain, je n’ai qu’à rester debout à côté des poupées, c’est bien ça ?
— Oui, et tu marcheras avec elles. Ce n’est pas grand-chose, mais tu recevras un petit cadeau en remerciement.
Ah, il y aurait une récompense. Finalement, ça ressemblait à un petit job ponctuel.
J’étais presque satisfait de ses explications, lorsqu’un détail me frappa. Non, ça n’allait pas.
— Marcher avec les poupées, tu dis ?
— …Oui.
— Les poupées marchent ?
— Oui.
Elle répondit comme si c’était évident, mais sa voix faiblit peu à peu. J’allais lui demander : « Pourquoi les poupées marcheraient-elles ? » quand elle s’empressa d’ajouter, comme si elle ne supportait plus d’attendre :
— Elles ont beau être des poupées, arrête de répéter « poupée » sans arrêt, s’il te plaît. Moi aussi, je trouve ça embarrassant.
Quelque chose clochait. Vraiment. Je réfléchis un instant.
Mon rôle se limitait à tenir un parapluie pour une poupée, mais Chitanda disait que la poupée marchait. Et elle était dans l’embarras en entendant le mot « poupée ».
Une seule conclusion s’imposait.
— Ne me dis pas que la poupée, c’est…
— …Ah. Tu veux dire que tu ne sais vraiment rien à ce sujet ?
Exactement ce que je pensais.
Après avoir ajusté le combiné, Chitanda reprit plus en détail :
— Chaque année, selon le calendrier luni-solaire, le sanctuaire Mizunashi célèbre la fête des poupées en faisant défiler des jeunes filles déguisées en poupées. Elles forment une procession et défilent dans le village. Je croyais que la fête des poupées vivantes du sanctuaire Mizunashi était assez connue, je pensais que tu en avais entendu parler…
— …
— Oui, je tiens le rôle de l’impératrice chaque année depuis le collège… Fukube-san avait dit qu’il viendrait me voir.
Mais Satoshi avait ses cours de rattrapage et ne pouvait finalement pas assister au défilé. Il m’appela la veille, la voix pleine d’amertume, comme s’il tapait du pied.
— Écoute, Houtarou. Tu vas tenir un parapluie pour Chitanda pendant qu’elle joue l’impératrice. Quoi qu’il arrive, ne te trompe pas !
Moi, j’étais surtout préoccupé par le costume qu’on me ferait porter en tant que porteur de parapluie derrière la poupée.
Il me restait un peu de temps avant l’heure prévue, mais je ne voulais pas risquer de me perdre sur une route inconnue. J’ajustai mon trench-coat et descendis la pente à toute vitesse.
2
De là-haut, on voyait bien que le village était entouré de montagnes sur ses quatre côtés. Quelques bâtiments se détachaient, et, sans doute parce que la saison des semis n’était pas encore venue, les champs n’offraient que de la neige qui tenait par plaques et quelques feuilles éparses. Satoshi m’avait dit qu’on cultivait le lotus après la récolte du riz, et j’avais souri d’un air vague en me disant qu’à présent c’était aussi la saison où Chitanda devait pousser[5]. Pour l’heure, impossible de dire si les feuilles dans les rizières étaient celles du lotus.
Je longeai le ruisseau bordé d’arbres. Leurs feuilles étaient tombées à l’automne dernier et les bourgeons n’étaient pas encore sortis. Même sans goût pour les beautés de la nature, je pouvais reconnaître cette essence tant elle est commune : des cerisiers. Les abricotiers avaient déjà fleuri dans la rue commerçante en ville. Je pensais que ceux-ci auraient fleuri aussi.
Les plantes ne sont pas des produits sortis d’usine, elles ont parfois des caprices. Tandis que je remontais le cours d’eau pour le franchir, un cerisier en pleine floraison surgit devant moi. Toutes ses fleurs n’étaient pas ouvertes, mais alors que les autres arbres demeuraient encore dans la réserve de l’hiver, celui-ci avait la moitié de sa ramure en fleurs. Sans doute une histoire d’exposition au soleil. Voir un arbre solitaire en avance sur les autres avait quelque chose de fascinant.
Je stoppai le vélo. Cette floraison sauvage m’étonna, mais je n’étais pas venu pour contempler les fleurs. Je sortis de ma poche un mémo où Chitanda m’avait noté l’itinéraire pour rejoindre le sanctuaire Mizunashi.
« Depuis la pente, remonte le ruisseau : tu tomberas sur un cerisier en avance. Passe le pont Chôkyû juste après et suis le chemin. »
Je devais donc franchir le premier pont après le cerisier. Je me hâtai.
Je sentais l’atmosphère de fête. Aux bannières frappées d’armoiries suspendues aux auvents. Aux cris des enfants qui marchaient. Aux fanions blancs, là-bas. Et surtout, au simple fait que je pédalais dans les rues à neuf heures du matin alors qu’il n’y avait pas cours.
Au détour d’un virage, j’aperçus enfin un petit pont. Ce devait être le pont Chôkyû. Comme l’indiquait son nom[6], il était très ancien. Étroit, il ne semblait pas praticable en voiture.
Pourtant…
Mon pédalage se fit plus hésitant.
— Hm ?
En y regardant de plus près, un panneau d’affichage se dressait près du pont. Voilà qui était fâcheux. On pouvait y lire : « Passage interdit ».
Le pont était en travaux. À lire l’avis, on le reconstruisait car il s’était dégradé. De fait, ce tablier de bois noirci n’inspirait guère confiance, et les planches nues, sans la moindre trace d’asphalte, semblaient d’un autre âge.
Pour l’instant le panneau « Passage interdit » était en place, mais on ne travaillait pas encore sur l’ouvrage. En forçant un peu, je pouvais donc passer. Sauf qu’un petit camion était garé de l’autre côté, et deux hommes en casque jaune et combinaison jaune-gris déchargeaient ce qui ressemblait à des éléments d’échafaudage. Des ouvriers d’une entreprise de travaux publics, sans doute… Il serait idiot de traverser de mon propre chef et de les mettre en rogne. Heureusement, le pont ne faisait que quelques mètres. J’interpellai les deux hommes de l’autre rive.
— Excusez-moi !
Celui qui se retourna avait le teint hâlé, à faire penser à l’été malgré le froid. Peut-être bronzé par son travail, ou alors amateur de ski l’hiver. En tout cas, il ne semblait pas difficile.
— Ouais, qu’est-ce qu’il y a ?
— Je peux traverser ce pont ?
— Bien sûr, pour l’instant tu peux passer. Vas-y.
Il fit un geste de la main. Je poussai mon vélo et franchis le pont Chôkyû. Les planches grinçaient et ployaient sous mes pas. Mieux valait en effet le refaire au plus vite.
De l’autre côté, l’ouvrier posa la main sur la hanche et sourit.
— On commence dès qu’un autre camion arrive, après on ne laissera plus passer.
— D’accord, merci.
Il me faudrait donc reprendre un pont en aval pour le retour. Je ne devrais pas me perdre.
Tournant le dos au pont Chôkyû, je fus pris d’un doute… Puisque Chitanda habite Jinde, elle devait être au courant des travaux. Étrange qu’elle m’ait indiqué ce pont. Et ce n’était sûrement pas une blague.
Enfin, puisque j’avais pu passer, je n’avais rien à redire. Le sanctuaire devait se trouver le long du chemin. Je remontai encore un peu.
À bien y penser, j’avais déjà vu Chitanda en kimono pour le Nouvel An. C’était pour une visite au sanctuaire et aujourd’hui, pour une fête. Je ne crois pas à ce genre de choses, mais le fil du hasard est curieux.
Comme on le devinait de loin, le sanctuaire Mizunashi était adossé au flanc de la chaîne. Rien à voir, par la taille, avec le sanctuaire Arekusu où j’étais allé au Nouvel An. Un torii modeste, un escalier de pierre étroit, un bâtiment principal sans prestige, simplement ancien. Incomparable avec Arekusu, qui fait aussi office de site touristique, mais on voyait bien que les gens de Mizunashi faisaient ce qu’ils pouvaient. Un calendrier des travaux était placardé à l’entrée, et un panneau annonçait en gros caractères : « Procession des poupées vivantes à 11 h 30 ».
Je n’avais jamais mis les pieds dans le hall principal d’un sanctuaire de ma vie, et cette année j’en étais déjà à deux. Allez savoir pourquoi, on se sent vite plus hardi la deuxième fois. Sans rapport avec Arekusu et Mizunashi, bien sûr, mais c’est un peu comme franchir avec aplomb le noren[7] d’un restaurant Don[8] de Nagoya lorsqu’on a déjà été dans un Don d’Osaka. Venger ses ennemis d’Edo à Nagasaki, comme on dit ?[9] Quoi qu’il en soit, je ne me sentais pas si petit au milieu des anciens en happi[10].
Le hall principal, bien plus petit qu’à Arekusu, devait faire une vingtaine de tatamis. Je m’approchai d’un homme d’âge mûr, l’air de faire fonction d’intendant, et posai la question :
— Alors, que dois-je faire ?
La procession débutait à onze heures trente, mais on nous avait demandé d’être là à neuf heures trente. Il restait du temps, et je n’avais rien à faire. L’homme au nez rougi me toisa d’un air soupçonneux.
— Et toi, t’es qui ?
Il avait lancé ça sèchement.
— Je m’appelle Oreki. On m’a demandé de tenir un parapluie.
— Connais pas.
— Je ne suis pas quelqu’un d’ici.
— Fnnnn…
Il me fixa longuement. Avait-il compris ? Venu ici en grelottant pour être reçu de cette façon, j’avais de quoi tirer la tête.
— Vous n’avez pas eu de nouvelles de Chitanda ? On m’a dit que le porteur habituel s’était blessé et qu’on me faisait venir à sa place.
Une fois mon identité confirmée, son attitude changea du tout au tout.
— Ah ! Donc tu remplaces Hazawa. Je vois. Pourquoi t’es venu si tôt ? Les hommes se changeront tout à l’heure, t’aurais pu prendre ton temps.
… Si j’avais su, je me serais appliqué à traîner. Voyant ma mine déconfite à l’instant même d’entrer en service, l’homme m’emmena près d’un poêle à pétrole.
— Je m’occupe des préparatifs. En attendant, réchauffe-toi.
— D’accord.
Parfait. Munie de la permission, je remis mon trench-coat blanc et me transformai en statue chauffée au poêle, exercice où j’excelle. Si je pouvais me changer au dernier moment, Chitanda devait commencer vers neuf heures trente, sans doute.
À part moi, tout le monde avait à faire et s’affairait de tous côtés. D’ordinaire, quatre ou cinq personnes stationnaient là ; mais dès qu’un homme en happi entrait en tapant du pied, on échangeait trois phrases et ça sortait, ça rentrait, à tour de rôle. Par exemple :
— Hé, qui s’occupe du saké ?
— C’est Nakatake-san. Mais l’après-midi, on en est où ?
— J’ai confié ça aux femmes, mais vérifie quand même.
Ou bien :
— Hanai-san ! Un coup de fil d’un journal !
— Un journal ? Ce ne serait pas la NHK ?
— Ils ont juste dit qu’ils venaient d’un journal.
J’appris à cette occasion que l’homme au nez rouge s’appelait Hanai.
Un instant emporté par l’agitation ambiante, je me surpris à attendre le moment avec une certaine impatience. Parfois, quelques regards pesaient sur moi, l’air de dire « C’est qui, celui qui ne fait rien ? Il fiche quoi, là ? », mais tant que j’évitais de croiser les yeux, je n’avais pas à m’en émouvoir.
… Je ne choisis pas systématiquement la voie du moindre effort. Simplement, ici, j’avais deux excellentes raisons de ne pas bouger d’un pouce du poêle.
Premièrement, je ne connais pas les lieux. J’ignore tout des relations entre gens et de l’organisation de la fête. Personne ne m’a rien demandé, et si je m’imposais, je gênerais.
Deuxièmement. Il fait bon devant le poêle.
Accroupi, je dus finir par devenir invisible : la plupart passaient sans me voir. J’étais en train de redouter qu’on m’oublie jusqu’au départ de la procession, quand Hanai se leva. Il me lança rapidement :
— Toi, tu tiens le parapluie de Chitanda, pas vrai ?
— C’est ce qu’on m’a dit.
— Bien. Je te préviens au cas où : il y a un deuil chez les Sono, on change donc l’itinéraire.
— Vraiment… C’est triste.
À cette réponse, Hanai acquiesça légèrement.
— C’était une mort paisible. Alors, tu veux le nouveau parcours ?
— Non.
— Dans ce cas, contente-toi de suivre celui qui est devant toi. Ce sera un peu plus court.
Une fois son message passé, il repartit en hâte. De toute façon, si je devais me contenter de suivre Chitanda, savoir l’itinéraire n’avait guère d’intérêt. S’il ne m’en avait pas parlé, je serais passé sans apprendre le malheur des Sono. Puisque la personne était allée au terme naturel de sa vie, je lui adressai en silence une prière.
Le piétinement lourd des préparatifs ne faiblissait pas.
— On n’a pas le compte de geta ! Où sont passées les zôri[11] des femmes ?
— Tu cherches combien de paires ?
— Une paire.
— Alors c’est pour Chitanda. Elle a amené les siennes.
Allais-je porter des zôri, moi aussi ? Et donc des tabi[12] ? Pour l’instant, je portais de banales chaussettes, bien serrées contre le froid. Ça irait, non ?
… Bien sûr que non. L’effervescence générale m’avait gagné : impossible de me calmer. Tout va bien, je n’ai qu’à demander à Chitanda. Pas de quoi s’en faire.
Mais notre communication ne serait peut-être pas parfaite. J’étais peu rassuré.
Avec le temps, de plus en plus de gens déboulaient, la mine contrariée. Un vieil homme tout blanc entra et tonna d’une voix telle qu’on se demandait d’où elle sortait.
— Nakatake ! Qu’est-ce que t’as fait pour le saké ?
Un homme tassé dans un coin se leva non sans mollesse. Un gaillard épais, un peu simple d’aspect, mais solidement bâti
— J’ai passé commande. Ils livrent cet après-midi.
— Et l’après-midi, c’est à quelle heure ?
— 13h.
— Imbécile !
Le coup de tonnerre me fit tressaillir jusqu’à l’autre bout de la pièce.
— La procession rentre à 12h30, 13h c’est trop tard ! Je t’ai toujours dit de garder de la marge. Rappelle-les et avance ça, tout de suite !
Le responsable du saké avait l’air de ne pas apprécier, mais il répondit « Je m’en occupe » et sortit précipitamment. Le vieil homme balaya la salle du regard, et je croisai ses yeux par mégarde.
« Oh », lâcha-t-il, et, le visage toujours aussi sévère, s’avança d’un pas vif vers moi. Se penchant un peu, il dit :
— C’est toi que Chitanda a sollicité ?
Comment dégager pareille présence ? J’eus envie de répondre « Non, vous vous trompez » et de m’enfuir, mais ce n’était pas possible.
— Oui.
Je ne pus rien ajouter. Sans m’en rendre compte, ma position à genoux s’était muée en seiza[13].
Le vieil homme inclina la tête.
— Merci d’être venu jusqu’ici. On manque de bras, on finit par importuner les gens de l’extérieur. J’espère que tu nous excuseras.
Je retirai mon trench-coat d’un geste et me redressai.
— Pas du tout ! Désolé de ne pas pouvoir faire grand-chose, vu que je ne suis pas d’ici. Je ferai en sorte de ne pas gêner. Si vous avez besoin de moi, n’hésitez pas.
Il releva la tête et plissa les yeux.
— Tu es bien élevé.
… On ne me l’avait encore jamais dit.
— Repose-toi jusqu’à l’heure, ajouta-t-il en s’inclinant de nouveau avant de quitter la pièce.
J’étais, semble-t-il, officiellement autorisé à me détendre.
Et ce genre de tranquillité, ça ne s’achète pas dans le commerce[14].
J’entendis cet échange alors que des hommes entraient et sortaient :
— Vous avez réglé l’histoire du pont Chôkyû ?
C’était Hanai au nez rouge. Un grand mince vêtu d’un happi, à la carrure solide, lui répondit.
— J’ai confié ça au professeur Murai.
— À Murai ?
Le ton de Hanai trahissait une légère amertume, ce que le grand remarqua.
— Il y a un problème ?
— Non, enfin… bon. Ils ont bien suspendu les travaux ?
— Il a dit que tout irait bien, qu’il arrêterait le chantier le jour de la fête, même si ça retardait la fin.
N’étant pas du secteur, cela ne me regardait pas. J’aurais pu me taire. Pourquoi ne l’ai-je pas fait ? Je l’ignore moi-même. Quoi qu’il en soit, je bougeai les lèvres, toujours accroupi près du poêle.
— Les travaux ont déjà commencé au pont Chôkyû.
La phrase eut un effet énorme, inattendu. Hanai, son interlocuteur, le vieil homme, le type qui s’était fait gronder pour le saké, bref, tout le monde se tourna vers moi d’un même mouvement.
Même moi, je comprenais que c’était grave. Les yeux de Hanai semblaient prêts à lui sortir de la tête.
— Qu’est-ce que tu dis ?
Il en resta sans voix un instant, puis aboya sur le grand :
— Shige ! Tu as confirmé le report ?
L’homme appelé Shige se troubla.
— Je l’ai martelé au professeur Murai ! Il a dit qu’il s’en chargeait, et on ne peut pas joindre l’entreprise d’ici !
— Toi.
Cette fois, c’était pour moi.
— Tu en es absolument sûr ?
Il se planta devant moi. Être apostrophé comme ça met mal à l’aise.
— En arrivant, j’ai vu un panneau « Passage interdit ». Comme il y avait des ouvriers, j’ai demandé si je pouvais traverser, et ils m’ont laissé passer.
— Donc ils ont juste mis le panneau ?
— Oui… mais ils m’ont dit qu’ils commençaient dès qu’un autre camion arrivait.
L’effervescence de la pièce retomba d’un coup. De la cuisine, sans doute, un bruit aigu me vrilla l’oreille. Le vieil homme prit la décision :
— Sono-kun, prends ton camion et va voir. Tanimoto, appelle Murai… non, appelle l’Agence de construction Nakagawa.
Le grand s’appelait donc Tanimoto Shige. Shigeru ? Shigejirô[15] ? Je n’en savais rien. Hanai acquiesça :
— Oui, faisons ça.
Puis il me lança un regard mauvais, comme si on allait me lyncher s’il s’avérait qu’on pouvait passer le pont Chôkyû.
… Mes craintes furent vaines. Dix minutes plus tard, l’homme nommé Sono, un homme corpulent dont le happi semblait prêt à éclater, revint, hors d’haleine, mais cria d’une voix claire :
— C’est vrai ! Les travaux ont démarré !
Je devinais l’enjeu : le parcours devait inclure la traversée du pont.
— Shige ! Tout est de ta faute !
Tanimoto avait lui aussi son mot à dire. En suant à grosses gouttes sous la pression de Hanai, il articula pourtant nettement :
— Il y a quelque chose qui cloche. Le professeur Murai a bien appelé l’Agence Nakagawa pour arrêter le chantier le jour de la fête !
— Alors…
— Apparemment, quelqu’un les a contactés avant-hier pour dire qu’ils pouvaient suivre le calendrier prévu.
Sono prit sa défense :
— Comme dit Shige. Je viens d’avoir quelqu’un de l’agence : c’est exactement ce qu’ils m’ont dit.
— Comment on a pu en arriver là… lâcha quelqu’un, dépité.
L’ambiance s’alourdissant, j’eus soudain envie de filer. Hausser un sourcil ? Dommage, vu ma tête déconfite, je n’en étais pas capable, même si je n’avais aucune raison de m’en faire. Je me contentai d’observer, interloqué.
Celui qui fit preuve de sang-froid fut, une fois encore, le vieil homme aux cheveux blancs.
— L’agence, on s’en occupera plus tard. Il a dû y avoir un cafouillage. Ce qui importe, maintenant, c’est l’itinéraire.
Une horloge ronde, sans la moindre élégance, trônait sur le linteau et nous apprenait sans aucune once de vergogne qu’il serait bientôt dix heures trente.
L’itinéraire d’origine était d’une simplicité extrême.
Depuis la route devant le sanctuaire, on descendait le cours d’eau. Ensuite, on devait franchir le pont Chôkyû et remonter. Vers le sanctuaire, un autre pont, le pont Kaya, permettait de repasser et de rentrer. Et c’était tout.
Sauf que le pont Chôkyû était désormais inutilisable.
Avisés de l’urgence, les hommes qui s’étaient dispersés pour les préparatifs revinrent. La vaste salle d’attente se changea en salle de réunion étroite. Je ne pouvais plus rester planté là à me chauffer près du poêle.
J’ôtai de nouveau mon trench et m’assis bien sagement dans un coin. Puisqu’ils allaient parler de choses qui ne concernaient pas un étranger, j’aurais voulu sortir, mais j’avais manqué le moment.
Quelqu’un lança le débat.
— On ne peut pas faire arrêter les travaux, d’une manière ou d’une autre ? Il nous faut cinq minutes pour traverser.
Si c’était possible, on n’aurait pas à discuter. Hanai secoua la tête.
— Outre la procession, il y a des journalistes et des caméramans. Si quelqu’un se blesse en traversant, c’est l’entreprise qui trinque. Puisqu’ils ont commencé, on ne leur demandera pas l’impossible. Pour éviter ça, on avait justement pris des dispositions, mais…
Il balaya la salle du regard. Tanimoto devait être là.
— Tant pis. Et si on longeait le pont Chôkyû, puis demi-tour ?
En se frottant le menton, Hanai se fit rabrouer de toutes parts.
— Impossible !
— Revenir sur nos pas ?
— Et la rive ouest, ils n’auront pas les poupées ?
Je saisis l’idée générale. Les deux rives, est et ouest, faisaient front commun pour la fête. Faire défiler les poupées d’un seul côté ferait des mécontents.
Hanai concéda et proposa autre chose :
— Alors on passe le long de Chôkyû, on revient, on gagne la rive ouest par le pont Kaya, on repasse devant Chôkyû et on rentre ?
Aller-retour deux fois ? C’est une manière de faire, mais…
Cette fois, un seul homme contesta à haute voix. Je ne l’avais pas encore vu.
— Ça double le temps. Et la distance à pied.
— On n’a pas le choix.
— Vraiment ? Ça chamboule tout notre planning. Et avec la télé qui vient, on ne va pas donner ce piètre spectacle.
Un autre prit la parole :
— Et les poupées se fatiguent déjà pas mal. Doubler la distance, mauvaise idée.
Quelle lumineuse remarque ! Je ne sais pas combien pèse un parapluie, mais marcher deux fois plus, très peu pour moi.
Mis en porte-à-faux, Hanai avait le visage aussi rouge que son nez.
— Vous pouvez dire ce que vous voulez, qu’est-ce qu’on fait, alors ? D’autres idées ?
— On peut aller jusqu’au pont Tôji.
Un jeune proposa :
— Si on traverse Tôji et qu’on remonte par Kaya, on ne double pas la distance, non ?
D’après le fil de la conversation, il y aurait donc un autre pont, en aval de Chôkyû. Était-ce le cas quand j’avais longé la rivière ? Sans doute, mais je n’y avais pas prêté attention.
Pourtant, à cette proposition, Hanai fit la grimace, sans mot dire. Et pas seulement lui : un malaise parcourut l’assemblée.
L’heure de la procession approchait. Quelqu’un allait-il débloquer la situation ?
Je ne sais pas si l’on peut parler d’inertie, mais le silence, lui, fut rompu. Je crus qu’on avait ouvert la porte par erreur, et une femme à l’embonpoint d’âge mûr entra, la voix intriguée :
— Excusez-moi… Désolée de vous déranger, mais y a-t-il ici un certain Oreki-san ?
— Ah, oui.
Je me redressai.
— C’est moi.
Elle me dévisagea, l’air toujours plus perplexe. J’eus la désagréable impression d’être un grossier personnage.
— Qu’y a-t-il ?
— Eh bien… la fille des Chitanda te cherche. Elle souhaite te voir.
Chitanda ?
Attendaient-ils que l’intrus s’éclipse ?
Je quittai la salle en hâte, laissant derrière moi cette atmosphère lourde où chacun se taisait.
J’ignorais ce que Chitanda me voulait, mais j’étais heureux qu’on m’ait appelé.
3
Mais il ne m’était pas permis de regarder directement Chitanda.
On m’avait conduit dans une pièce à peu près de la taille de la salle d’attente où les hommes discutaient du plan d’action. Il y faisait plus chaud grâce aux poêles à pétrole plus nombreux. Un large rideau faisant écran comme une grande tapisserie qui barrait la pièce. Impossible de voir s’il y avait quelqu’un derrière, et combien. Je sentais bien qu’il ne fallait même pas essayer. L’odeur du pétrole emplissait l’air, mêlée au parfum des cosmétiques.
Une voix douce parvint de derrière la tenture.
— Es-tu présent, Oreki-san ?
C’était la voix de Chitanda, je crois. On n’en connaît pas deux comme celle-là. Pourtant j’hésitai une seconde.
Chitanda employait souvent ce ton posé. Je l’avais entendu mille fois, mais derrière ce tissu, sa voix paraissait plus apprêtée, un peu plus froide. Une voix qui impose la tenue, l’ordre.
— Désolée de devoir parler ainsi. On est en train de m’habiller.
Je m’étais demandé à quoi servait ce large rideau, et mon hypothèse se confirma… c’était le vestiaire des femmes. Je répondis confus par des « ah », et des « oh ». Le malaise que je ressentais là faisait presque passer la salle solennelle d’à côté pour une salle de sieste. Je rajustai mon trench-coat, glissé de mes épaules.
— Je t’ai convoqué pour une seule chose. Il y a eu un contretemps, n’est-ce pas ?
— …Ouais.
— Est-ce grave ?
— On dirait bien.
— Je vois.
La voix se tut un instant. Chitanda était-elle seule derrière le rideau ? Ce serait surprenant. La procession ne se résumait pas à elle. Je ne savais pas comment étaient leurs tenues, mais ce genre d’habillage ne se fait pas tout seul. Je ne dis rien. Au bout d’un moment, elle reprit :
— Alors raconte-moi ce qui s’est passé. Nous manquons de temps.
C’était vrai. Si le départ était à onze heures trente, il allait falloir que je me change. Je comprenais l’urgence, et pourquoi Chitanda voulait s’occuper de l’affaire. Elle m’avait appelé moi plutôt qu’un autre, sans doute parce que, du même âge, je suis plus facile à joindre.
Et pourtant.
Parler sans se voir, comme au téléphone, m’aurait d’ordinaire convenu. Mais là, les mots me restaient un peu en travers. Peut-être parce que je passais soudain du froid au chaud.
Ça va. Rien d’insurmontable. J’humectai mes lèvres et me lançai.
— Au pont Chôkyû…
Les travaux avaient commencé.
Ils étaient censés être suspendus.
Mais l’entreprise avait reçu l’instruction de poursuivre.
Résultat : impossible d’utiliser le pont Chôkyû, et les hommes débattaient avec force d’un itinéraire de remplacement. Je résumai tout cela de manière rapide.
Pas même une toux derrière le rideau. Un petit signe d’acquiescement m’aurait rassuré. Peut-être que ces bruits existaient, mais ne traversaient pas l’épais tissu. Je n’avais aucune idée de la façon dont elle écoutait. Assise bien droite pendant qu’on lui coiffe les cheveux ? Ou la tête en bas, qui sait… Plus important : m’écoutait-elle seulement ?
Pris d’un doute, j’interrompis mon récit.
— Quelqu’un a proposé de passer par le pont Tôji, mais… tu m’écoutes ?
La réponse fusa.
— Oui, je t’écoute.
Ce n’était pas seulement bref : il y avait dans ce « oui » une froideur que je ne lui connaissais pas. Comme si elle parlait l’éventail devant la bouche. Je l’imaginais, appuyée sur un bras, étouffant un bâillement. Je soupirai, résumai brièvement l’atmosphère pesante chez les hommes, et terminai.
Je me tus. On n’entendait plus que le souffle doux de la combustion au pétrole.
…Non, pas seulement.
En tendant l’oreille, je perçus un chuchotis étouffé. Quelqu’un parlait à quelqu’un. Était-ce Chitanda ? Ou l’autre personne, restée muette jusqu’ici ?
Puis tomba l’appréciation :
— Tu as très bien résumé la situation.
Merci bien.
Mais ses mots suivants étaient d’un autre ton. Je crus l’entendre inspirer, puis sa voix monta, plus assurée :
— Murai-san est conseiller municipal de Kamiyama. Quand il a parlé de « repousser la fin des travaux », ce n’était peut-être qu’une façon de s’exprimer. Mais, puisque les négociations passent par lui, l’Agence Nakagawa ne peut guère aller contre sa volonté. Nous devons donc considérer que l’appel leur demandant de poursuivre le chantier aujourd’hui était bien réel.
Sous cette diction nette affleurait un timbre qui m’était familier. Cet élan ardent tapi sous sa tenue irréprochable. À l’évocation de « Chitanda », je revois toujours le début : depuis avril dernier, elle a entraîné Satoshi, Ibara et moi dans pas mal d’affaires. Une personne débordant de curiosité.
Autrement dit, pas d’éventail. Elle veut comprendre qui et pourquoi. Elle se tient sans doute tout près du rideau. Bâiller ? impensable. Je n’avais aucun doute : ses yeux énormes brillaient d’énergie. Du pur Chitanda.
— Pourquoi auraient-ils…
Derrière le tissu, la curiosité s’éveilla.
Mais ce fut tout.
J’avais entrevu l’étincelle, et voilà qu’elle s’éteignit net, comme si de rien n’était.
Assis bien droit sur le tatami, j’entendis non pas « Je suis curieuse », mais :
— Ce n’est pas grave. Le problème n’est pas si sérieux.
Deux choses me brûlaient les lèvres, mais je ne répondis pas. La première était : « C’est tout ? », ce que je ne pouvais évidemment pas dire.
Je me raclai la gorge :
— Vraiment ? Là-bas, ça n’avait pas l’air d’une broutille.
— Peut-être, mais des solutions existent. Pour le dire simplement, nous hésitons, pour des raisons religieuses, à aller plus en aval.
Elle disait cela comme si nous étions dans un cours magistral. Je n’étais pas spécialement preneur, mais j’eus tout de même envie de lâcher un : « Vous pouvez détailler ? »
Elle réfléchit un instant.
— Oreki-san, pourais-tu porter un message à ces messieurs ?
— Mmh. Bien sûr.
Alors, d’une voix empreinte de fermeté :
— Je vais aller parler au prêtre de l’autre côté. Je demanderai aussi à mon père de contacter personnellement les responsables. Dis-leur cela, s’il te plaît.
Je me demandai une seconde si l’un de ses travers ne refaisait pas surface. C’était court, un peu elliptique. Quand Chitanda sollicite un service, elle a tendance à escamoter l’explication. Si je le lui signale, elle complète d’ordinaire soigneusement.
Mais cette fois, quand je demandai : « C’est tout ? », il ne vint de l’autre côté du grand tissu que quelques mots secs, presque froids :
— Ils comprendront.
Et c’est tout ce que je rapportai.
De retour chez les hommes, quelle glacière, cette pièce, je transmis le message.
À peine avais-je commencé que Hanai laissa voir un soulagement manifeste.
— Très bien, on lui laisse la main… Bon, tout le monde, on passera par le pont Tôji.
On eût dit que l’itinéraire se décidait pendant même que je tentais d’y voir clair.
C’était l’heure du Sturm und Drang[16], sans place pour les doutes.
Le départ de la procession était pour bientôt, après tout.
4
Mon habillage avança à un rythme effréné.
Dehors, le soleil de printemps étendait ses rayons. On m’ôta le sweat-shirt avec lequel j’étais venu. Évidemment, impossible aussi de garder le trench-coat. Par-dessus mes sous-vêtements, on me passa un haori[17] et une sorte de hakama[18]. La tenue avait des manches assez longues, mais les ourlets remontaient trop : on voyait bien un tiers de mes tibias.
— Ça ne me va pas vraiment.
Je le dis à celui qui m’aidait à m’habiller. On m’avait fait venir parce que j’étais censé correspondre à la taille, mais manifestement non. Mon habilleur, qui n’avait pas l’air d’avoir atteint vingt ans, sourit pourtant :
— C’est comme ça que ça se porte.
— Ah bon ?
J’avais froid aux pieds. Ça me rappelait l’histoire du jour de l’An : additionnez « Chitanda » et « vêtements traditionnels », le résultat donne automatiquement « froid ».
— C’est le meilleur ajustement. Si les ourlets étaient un peu plus longs, c’est moi qui tiendrais l’ombrelle.
Il l’était, plus grand que moi, avec des cheveux teints d’un brun clair, une allure de grand frère décontracté. Mais si un jeune de ce gabarit était disponible, Chitanda n’aurait pas eu besoin de me recruter. À l’idée que nous allions bientôt partir, une nervosité inconnue me gagna, et je grognai :
— Si c’était juste une histoire d’ourlets, il aurait mieux valu que ce soit toi, non ?
Il haussa les épaules en me tendant une paire de tabi noirs.
— On n’a pas souvent l’occasion de voir une procession comme celle-ci, je suis rentré exprès. Si j’y participais, je ne pourrais pas la regarder.
C’est vrai que, moi, je regarderai surtout le dos de Chitanda.
Je n’aime pas trop ces vêtements, et j’ai un blocage psychologique avec l’idée d’enfiler des tabi déjà portés. Mais là, je n’avais pas le choix. Je les mis à contrecœur.
Me voilà donc en haut noir, pantalon noir, chaussettes noires. Ces tibias découverts me donnaient décidément l’impression d’être indécent.
— Bien, ensuite ceci.
Il me tendit une sorte de combinaison blanche.
— Enfile ça, je noue à la taille.
Comme il disait, il serra le cordon en nœud papillon.
Il y avait un élastique aux poignets, assez serré. Les manches, amples, laissaient deviner le noir en dessous. Une fente descendait du côté, de la taille jusqu’aux genoux, où l’on voyait les plis du hakama. Le devant de la combinaison était plat, sans col ; autour du cou, un liseré noir apparaissait : un empilement noir et blanc.
Je vois, même un cheval de bât gagne à être scellé s’il est bien apprêté[19]. Je commençais à ressembler à quelqu’un du cortège.
— Et ça, sur la tête.
Il me passa un chapeau noir, genre cylindre écrasé sur le côté. Une sorte d’eboshi[20], je suppose.
Mauvais pressentiment. Jusqu’ici, ça allait. Mais avec ça…
J’essayai tout de même.
Mon reflet, en pied, dans le miroir. Le type me dévisagea et marmonna :
— Ça ne te va pas des masses.
Exactement ce que je pensais.
Que l’habit traditionnel aille ou non à Oreki Houtarou, la fête allait commencer.
On disait que le problème du pont était réglé, mais l’heure du départ serait repoussée : quinze minutes de retard sur l’horaire initial.
Je sortis par la porte du fond. Les « poupées » devaient sortir par l’entrée principale et se rassembler devant le sanctuaire. Ce ne serait pas encore mon tour. C’est seulement une fois la file formée que je me fondrais l’air de rien derrière Chitanda, l’ombrelle au-dessus d’elle.
Parfait. Préparatifs bouclés.
Peu habitué aux tabi, mal à l’aise, je longeai le couloir du bureau du sanctuaire vers la sortie. On me fit passer des zôri. Je marcherais avec ça pendant une heure, peut-être plus avec l’itinéraire modifié. Je traînais vers l’entrée, non que je me sois écorché : ces sandales n’étaient pas confortables, mais ce serait supportable.
En sortant, j’aperçus un homme dont le happi semblait prêt à glisser de ses épaules. L’homme, je crois qu’il s’appelait Sono, tenait l’ombrelle et m’attendait. Papier rouge tirant sur le pourpre, plus grande que je ne l’imaginais. Plus ouverte qu’une ombrelle occidentale, elle formait presque un T. C’était impressionnant. Je marquai un temps et puis Sono m’encouragea :
— Hé, la fête des poupées vivantes, c’est pas un truc où on se tue à la tâche. Détends-toi.
— Tu dis ça comme s’il y en avait d’autres.
— Et comment ! Il y a pas mal de fêtes au printemps.
— Ah bon ? Ça doit être épuisant, pensai-je en acceptant l’ombrelle…
Elle a l’air massive, mais n’est pas si lourde. Un peu plus qu’une ombrelle en toile. À deux mains, tenir une heure devrait aller.
Fuuuu. J’inspirai. Sono demanda :
— Tendu ?
… Un peu.
Et les « poupées » se rassemblèrent.
D’abord l’empereur. Avec un eboshi lui aussi, mais, contrairement au mien, un ornement comme une longue queue derrière. Tout en noir, à l’exception du blanc de ses sandales qui dépassait sous la tenue. De la vêture, royale par excellence, un détail me frappa : ce noir n’était pas un noir franc. Un motif, à peine plus sombre, y était brodé. De loin je ne distinguais pas lequel, mais, l’espace d’un éclair, j’eus l’impression de rayures. L’« empereur » avait une allure fière, une tenue élégante, et un visage plein d’assurance.
C’est ce que je crus, mais grosse erreur. Je n’en croyais pas mes yeux : ce n’était pas un homme, toutes les poupées étaient incarnées par des femmes. Et ce visage de l’empereur, je le connaissais. Ces yeux incisifs, cette ligne de menton délicate. Elle ne me bernerait pas en relevant ses cheveux : c’était une élève de première au lycée Kamiyama, Irisu Fuyumi !
Mes rapports avec Irisu remontaient au Festival Culturel, où nous nous étions rendus service mutuellement. Je ne connais pas sa vie, mais je savais au moins que sa famille n’habite pas ici. Avait-elle, comme moi, été sollicitée « de l’extérieur » ? Irisu fixait droit devant, sans la moindre gêne. Sans un regard alentour, elle ne me remarqua pas.
Puis vint l’impératrice.
Tellement de monde avait afflué devant le sanctuaire que je me demandais d’où ils sortaient. Sans doute aussi des visiteurs venus d’ailleurs que Kamiyama. La fête des poupées vivantes semblait drainer plus de touristes que je ne l’aurais cru. Rien d’étonnant à ce que Chitanda ait dit qu’elle était « assez célèbre ».
La foule tapissait l’esplanade. Les appareils photo, innombrables, se levaient. Sans ce grand soleil, on aurait eu l’averse ininterrompue de flashes. L’empereur, dans une collection de poupées, porte le noir : d’où le noir d’Irisu. Et l’impératrice ?
Chitanda sortit en jûnihitoe, le kimono en douze couches.
La couche extérieure orange. Dessous : pêche, vert aquatique, un jaune calme et élégant, puis du blanc. Un motif d’anneaux courait sur le tissu. Un éventail tressé de cinq couleurs reposait avec douceur entre les mains de la « poupée ». Maquillée, le regard baissé, Chitanda fit quelques pas sur l’esplanade. Il suffisait de deux ou trois pour comprendre qu’elle maîtrisait l’art de marcher dans cette tenue bien lourde.
« Ah », fis-je.
Pas bon. Vraiment pas bon, ce costume. Merde, je n’aurais jamais dû venir.
Autrement dit…
Qu’est-ce que je veux dire par là, d’ailleurs ?
Autrement dit… rien du tout, je suppose.
Je me suis toujours enorgueilli d’une certaine aisance en japonais.
Et même si je ne suis pas la logique incarnée, j’ai toujours cru faire partie de ceux qui rangent leurs idées à la raison.
Pourtant, ce jour-là, au sanctuaire Mizunashi de Kamiyama, un jour de printemps, vers 11h45, au moment précis où je vis Chitanda avancer en jûnihitoe…
Je n’ai pas les bons mots pour expliquer pourquoi j’ai pensé : « merde ».
J’ai envisagé mille raisons, aucune ne tient. « Si je n’ai pas à le faire, je ne le fais pas. Si je dois le faire, je fais vite. » Mon principe d’économie d’énergie se trouvait mortellement compromis. Impossible d’expliquer ce pressentiment.
Je n’arrêtais pas de me répéter, sincèrement : « merde, ça ne va pas. »
Derrière le kimono de Chitanda s’étirait une longue traîne d’obi, un voile ajouré soutenu par deux femmes en tenue traditionnelle pour qu’il ne frôle pas le sol. Une chevelure démesurée dévalait son dos, liée d’un ruban de papier doré.
Qui ne connaît pas Chitanda croira que la fille au jûnihitoe a de si longs cheveux ; moi, je sais qu’ils ne le sont pas : c’est une perruque.
Après cela vinrent les ministres de gauche et de droite, puis les trois dames de cour. Hélas, je n’en regardai aucune.
Me rappelant que je devais abriter Chitanda de mon ombrelle pourpre, je me glissai dans la procession, gracieuse, déjà en marche. L’ordre : Irisu, Chitanda, les deux femmes tenant ce long obi, puis moi.
En avançant sur le sentier étroit, je pestai contre la chose car c’était bien encombrant… En effet, je ne voyais pas Chitanda.
Outre les touristes, pas mal de médias étaient là. Je remarquai un téléobjectif gigantesque sur trépied braqué sur nous. Plus loin, d’autres caméras embusquées. Si une scène à applaudissements survenait, nous passerions sans doute à la télé ; je me dis que j’en aurais le trac. En réalité, face aux caméras, rien ne changea. Je ne sentis presque aucune différence.
La raison ? Je n’étais que du décor, pas un premier rôle.
La file était plus longue que je ne l’imaginais. Un groupe d’hommes en uniforme suivait, jouant des flûtes traversières. Je ne les voyais pas, mais, à entendre des « don, don » mêlés au souffle, il y avait aussi des tambours taiko.
Nous descendîmes le chemin parallèle à la rivière que j’avais remontée à vélo. Le matin, je grelottais malgré mon trench-coat. À présent, la lumière paisible du soleil était agréable. La brise se faisait sentir sur l’eau en ce mois d’avril où l’air restait vif et d’une fraîcheur qui n’avait rien de désagréable.
Les touristes étaient rangés en deux files le long du passage étroit. Jamais de ma vie je n’avais été ainsi « regardé ». Enfin, je doute que quiconque s’intéresse au garçon à l’ombrelle, tout au fond.
Je levai les yeux un instant.
Nous avions dépassé sans m’en rendre compte le pont Chôkyû problématique et nous nous dirigions vers le pont Tôji. Je ne le compris qu’au moment de franchir l’eau.
Soudain, mon champ de vision fut rempli de rose et je levai la tête.
Chitanda marchait sous un cerisier en fleurs. Des corolles mi-ouvertes, d’autres pleinement épanouies.
Sous ces fleurs hors saison, Chitanda avançait, silencieuse, en jûnihitoe. Le soleil tiède, bienveillant. Le toit de tuiles d’une vieille maison posée là par hasard. La neige résiduelle dans les rizières. La surface diaphane du ruisseau, gonflée par les eaux provenant de la fonte des neiges. Le murmure du courant. Rien, dans tout cela, ne semblait hors de place.
Du moins, c’est-ce que je ressentis.
Pourtant, de Chitanda avec sa chevelure filante et son obi trainant, je ne voyais que le dos.
Je n’ai jamais eu grande sympathie pour la curiosité chronique qui la saisit. Mais là, je me pris à penser : « Est-ce cela que ressent toujours Chitanda ? »
En effet, j’étais curieux de voir son visage.
Ici, à cet instant…
Si je pouvais croiser ses yeux fardés, abaissés[21]…
— Houtarou !
On m’interpela. Je sursautai puis me retournai.
Satoshi se tenait parmi le public.
Je me remis face à l’avant, l’air de rien.
5
Le saké arriva en retard, mais grâce au nouvel itinéraire, il parvint tout juste à temps. Au retour au sanctuaire, le cortège fut accueilli par un plat chaud et du saké réchauffé. Il y avait bien eu quelques accrocs en route, mais tout s’était terminé sans incident, et il ne restait plus que la fête du soir. Le repas de midi fut d’un calme absolu et les sourires fleurirent.
Chitanda et les autres « poupées » ne prirent pas leur déjeuner et se rendirent à la salle des prières. Pour se purifier, je suppose.
Par nature, les poupées reçoivent les fautes des hommes. Il faut bien traiter les impuretés accumulées. Je ne sais pas depuis quand le sanctuaire Mizunashi célèbre la Fête des Poupées Vivantes, mais puisqu’on fait jouer les poupées par des humains, le rite a quelque chose d’étrange. Si l’on songe aux incantations, on pourrait même dire qu’il frôle le dangereux. Il n’est donc pas vide de sens que les poupées vivantes subissent aussitôt une purification à leur retour.
Celui qui débitait tout ça n’était pas l’encyclopédie ambulante des informations inutiles, Fukube Satoshi… mais Ibara. J’avais remis mes vêtements ordinaires, renfilé mon trench, et je mangeais des mitarashi dango dans un coin de l’esplanade avec Ibara et Satoshi. Je ne savais pas qu’Ibara pouvait en dire autant sur les pratiques ésotériques.
Satoshi, lui, était sur un autre sujet.
— C’était miraculeux, Houtarou.
— Que tu aies réussi à venir pour la fête ?
— Ah, oui, ça aussi, incroyable. Je n’aurais jamais cru qu’ils repousseraient l’horaire.
On dirait qu’il a enfourché son vélo dès la fin de ses cours de rattrapage, a foncé à toute allure et nous a rejoints sur la seconde moitié du pont Tôji. Il fouilla son petit sac en lin et en sortit un appareil jetable.
— Mon matériel était pourri, mais c’est toujours mieux que rien. Une chance sur dix mille, ça valait le coup de dégainer ce truc. J’aurais eu horreur de gâcher l’occasion, et sans photo je me serais mordu les doigts.
— Alors, tu l’as prise ?
— Pile, avec le cerisier dans le cadre.
Je me tus. Satoshi afficha un sourire en coin et ajouta :
— D’après ton style, tu ne pourras pas te résoudre à dire « fais-moi une copie pour souvenir », hein ? T’en fais pas, je t’en donnerai une même si tu ne le demandes pas.
— La tenue ne t’allait pas du tout.
Ibara trouva le moyen de lâcher la seule réplique qui n’était pas nécessaire.
Au final, je n’avais pas vu Chitanda au sanctuaire Mizunashi. Je ne sais pas quand la purification s’est achevée, mais les touristes s’étaient volatilisés après la procession, et Satoshi comme Ibara n’avaient pas envie de traîner. « Passe le bonjour à Chitanda ! » lança Satoshi en quittant le sanctuaire.
Quant à moi, ne sachant combien de temps je devais jouer les impliqués, je déjeunai puis me proposai carrément pour aider au rangement. Les hommes qui n’étaient pas disponibles avaient filé, mais nous étions encore une dizaine à rester jusqu’au bout, à engloutir le poisson et les légumes restants tout en bavardant gaiement.
Je ne rencontrai Chitanda qu’alors que le soleil versait à l’ouest. Je passais devant chez elle quand je la vis sur sa véranda. Elle me fit signe d’entrer.
On m’avait fait patienter dans le salon, mais je sortis aux toilettes. Sur le chemin du retour, nous tombâmes l’un sur l’autre.
— Ah, Oreki-san. Je venais justement te saluer.
La Chitanda qui me souriait avait ôté son maquillage. C’était la Chitanda habituelle. Je ne l’avais jamais dévisagée aussi fixement, mais là je compris. C’était celle que j’avais l’habitude de voir. Elle avait quitté le jûnihitoe et portait à présent une chemise à col et une jupe à la teinte douce, très adaptées à l’intérieur. Elle pouvait se montrer ainsi sans problème.
Alors que je la regardais, ses joues se gonflèrent.
— Qu… qu’est-ce qu’il y a ?
Chitanda poussa un soupir, puis s’exclama avec fougue :
— Oreki-san !
…
— Aujourd’hui, c’était terrible ! J’ai dû me contenir pendant si longtemps ! Si je puis dire, je trouve que je m’en suis très bien sortie, rien que pour aujourd’hui.
— Ah, à cause du rôle de poupée ?
Mais non. Elle secoua la tête et fit un pas vers moi. Le parquet luisant de la véranda grinça.
— Ce n’était pas pour ça que je me retenais. C’était bien sûr…
Elle posa les mains sur sa poitrine et parla de tout son cœur :
— Au sujet de l’appel passé à l’agence de construction Nakagawa. Ça me travaille depuis tout à l’heure !
… C’était donc ça.
— Oreki-san, tu as sans doute compris quelque chose dans cette pièce, mais je ne pouvais pas poser de questions. C’est ce que je me suis dit. Seulement j’avais l’impression que tu avais quelque chose sur le bout de la langue quand tu parlais derrière le rideau.
— Non, ce n’était pas ça.
— Alors, qu’allais-tu dire ?
Je ne pensais pas qu’elle me questionnerait là-dessus.
— J’y ai beaucoup réfléchi ! À qui profitait-il le plus que le pont Chôkyû soit impraticable ? Mais j’avais un rôle à tenir aujourd’hui, je ne pouvais pas passer mon temps à cogiter, et je n’avais personne vers qui me tourner…
Son expression bougeait peu, mais je sentais le regret. Il n’y avait pas de rideau qui nous sépare, sur cette véranda. Par conséquent, ses yeux, incarnation de sa curiosité, s’approchèrent.
— Oreki-san, tu étais dans le hall principal tout du long. Tu as remarqué quelque chose ?
« Pas du tout », c’est ce que j’aurais voulu dire.
Mais en réalité, j’avais relevé un point. En temps normal, l’histoire du pont m’aurait passé dessus, mais aujourd’hui, circonstance oblige, je me doutais que ça intéresserait Chitanda. Alors j’avais tendu l’oreille à tout ce que chacun disait.
Comme elle n’avait pas lancé son « je suis curieuse ! » dans cette salle, j’avais cru l’affaire close. Je ne m’attendais pas à me faire tirer jusque chez elle au crépuscule.
Je reculai d’un demi-pas et répondis :
— Oui… On était nombreux, cela dit. Honnêtement, je ne connais pas tous les noms.
— Je crois que moi, si.
— Tu en soupçonnes un en particulier ?
Je demandai. Les yeux de Chitanda, jusqu’ici enflammés par la curiosité, s’écarquillèrent.
— Hein ? Tu me le demandes à moi ?
Elle se désigna du doigt. Maintenant que j’y pense, elle fait souvent ce geste, ces derniers temps.
Elle inclina la tête et réfléchit un moment.
— … Oui, je n’ai pas de preuve, mais en fait, il y a bien quelqu’un que je pense capable de l’avoir fait.
— De mon côté aussi, je ne vois qu’une seule personne qui savait tout depuis le départ.
Chitanda laissa échapper un petit rire.
— Alors, on fait comme ça ? On l’écrit quelque part et on se montre en même temps.
Écrire quelque part ? Il n’y a ni stylo ni papier ici. Mais elle ne propose jamais l’impossible. Elle plongea une main dans la poche de sa jupe et en sortit un stylo.
— J’ai un stylo.
— Pourquoi tu trimballes ça ?
— Je viens d’écrire un nom et une adresse à la poste. Il doit encore écrire.
— Et on écrit sur quoi ?
Chitanda fronça un instant les sourcils, puis trouva vite une solution.
— Sur nos mains.
Ok, mais tu n’as pas une réception après ? Sans hésiter, elle ôta le capuchon et écrivit sur sa main blanche. Quand elle eut fini, elle fit tourner le stylo.
— Tiens, Oreki-san.
Je n’avais plus le choix, j’écrivis aussi. Ma main gauche me chatouillait, je dus lutter pour retenir un rire idiot. Du coup, j’ai dû faire une drôle de grimace. Nous joignîmes les poings. Le volet anti-tempête de la véranda était ouvert : on aurait pu nous voir de l’extérieur. Mais ça devait aller. La maison des Chitanda est grande, et la clôture haute.
— À deux… un, deux !
Sur la main gauche de Chitanda, il y avait « le fils Konari ». Sur la mienne, « cheveux bruns ». Elle compara longuement nos paumes. D’un petit hochement, elle parut satisfaite.
— Le fils Konari a les cheveux bruns, dit-elle.
— Au début, le type qui s’appelle Sono m’a paru un peu étrange. J’ai entendu dire que sa famille était en deuil, et il est quand même venu aider à la fête.
— Ah, Sono-san… sa grand-mère a presque cent ans.
— Mais je me suis dit que ça n’avait rien d’impossible. S’il y a deux familles « Sono » dans le coin, le problème ne se pose plus.
Chitanda hocha la tête.
— Elles ont un lien, mais oui, il y a deux maisons Sono. Et pas mal de patronymes se répètent.
— Comme je le pensais. J’ai donc écarté Sono. Ensuite, il y avait Nakatake, chargé du saké. Il a prévu une arrivée à 13h et s’est fait passer un savon par le vieil homme aux cheveux blancs. Comme le cortège n’a pas pu traverser le pont et a dû faire un détour, le saké est finalement arrivé à temps. Cela dit, tout ça juste pour caler pile l’arrivée du saké, ce serait stupide. Et puis l’appel à l’entreprise a été passé il y a deux jours. Le plus simple, c’est encore de conclure que l’organisation a été mal ficelée.
— Nakatake-san… Ce n’est pas quelqu’un de mauvais.
Elle manquait d’assurance. Je continuai.
— Après, je me suis tourné vers l’Agence Nakagawa, le conseiller municipal Murai, et Tanimoto, qui négociait avec lui. Je me disais qu’un des trois mentait quelque part. Par exemple, que l’entreprise cherchait à boucler au plus vite, et qu’elle n’a pas voulu perdre une journée. Ou bien que Murai a dit à Tanimoto que le report était possible, mais a soufflé à l’agence de se débrouiller pour finir dans les temps quand même. Il peut avoir ses raisons. Sauf que le chantier n’avait pas commencé du tout. Ce matin, j’ai traversé le pont sans encombre. Ça veut dire qu’ils ne s’y sont mis que tout à l’heure. Ils doivent de toute façon avoir des jours tampons pour la pluie, pas de quoi s’affoler. Et la piste du conseiller me paraît, elle aussi, un peu tirée par les cheveux.
Chitanda expira légèrement. Je me disais qu’il y avait un truc qui clochait quand elle reprit :
— Oui, ça me semble douteux.
Ouais. Je ne connais même pas le nom des conseillers municipaux, moi.
— Pendant que tout le monde proposait des idées impraticables, il y en a un qui parlait en partant du principe que le pont Chôkyû était infranchissable.
— Le fils Konari ?
— Je ne connaissais pas son nom sur le moment.
Il était bizarre que nous restions debout à discuter, aussi nous nous plaçâmes sur la véranda. Le soleil couchant nous éblouissait. S’il y avait eu un chat tricolore ou du thé, ç’aurait été parfait.
— Ce type a dit qu’il était « rentré exprès » pour voir un cortège qu’on ne voit pas souvent. Ce n’est pas étrange ? Tu joues la poupée chaque année depuis le collège, non ? Ça veut bien dire que la fête a lieu tous les ans. Certes, on ne peut pas parler de « très fréquent », mais dire qu’on ne la voit pas souvent, c’est étrange.
— … Oui, c’est curieux.
Elle hocha gravement la tête. De profil, son visage semblait rougir. C’était la projection du couchant. Je levai à nouveau les yeux vers le ciel.
— Cette année, il y a eu un cortège qu’on ne voit d’habitude pas.
— Hein ?
Chitanda me regarda, perplexe.
Je me rappelai Satoshi : « c’était miraculeux ».
— Un cerisier en fleurs hors saison. Et, pour cause de reconstruction, un pont Chôkyû impraticable. Je ne sais pas où vivait le fils Konari, mais si sa famille est ici, il a dû apprendre ces deux choses.
— Et si le cortège passait sur le pont Tôji, on aurait la scène miraculeuse de « poupées sous un cerisier en fleurs ». Voilà un cortège qu’on ne voit pas souvent. De quoi rentrer exprès.
— Just…
Elle se couvrit la bouche.
— Juste pour ça ! s’exclama-t-elle.
Ishikawa Goemon[22] me dansa au fond de l’esprit. Quelle vue splendide ! On dit que le printemps vaut mille taels d’or, mais « c’est trop peu, bien trop peu »[23].
La combinaison du cerisier, des poupées et de Chitanda m’avait coupé le souffle, alors que je n’en voyais que le dos. Ça valait de s’y attarder. On pourrait même dire que ça valait le coup d’avoir rusé pour avoir cette vue
Je m’abstins de le dire. Je détournai le regard et demandai :
— Et toi, pourquoi penses-tu que c’était lui ?
Elle baissa les yeux.
— Euh… J’ai bien dit que je n’avais aucune preuve.
— Ça va. Je ne me moquerai pas.
Même ainsi, elle hésita longtemps avant de se décider :
— Le seul que j’imagine capable de regarder tranquillement Murai-san perdre la face, c’est le fils Konari.
Je vois.
Mais à ce compte-là, Fukube Satoshi ferait un suspect de choix, lui aussi.
Pour le dire un peu crûment, mais sans noircir le tableau, je n’avais pas l’intention d’accabler ce Konari.
Si je voulais accéder plus précisément à la vérité, j’aurais dû rester, creuser. Mais à quoi bon ? Il y a bien eu du remue-ménage, oui. Et pourtant, la fête s’est déroulée sans heurt. Nous nous sommes contentés de nous montrer nos paumes, et, tant mieux, Chitanda s’en est satisfaite, elle avait même l’air contente. Le soleil déclinait de plus en plus, l’air se refroidissait. Mais avant que je lâche « il fait froid, on rentre ? », elle prit les devants.
— Oreki-san, dans la salle, j’ai dit que je contacterais le prêtre de l’autre côté.
Je hochai la tête. Elle s’occuperait du grand prêtre, et son père contacterait les représentants. C’est ce que j’avais transmis aux hommes, et aussitôt, le chaos né de l’indisponibilité du pont Chôkyû s’était comme dissipé.
— Ça va sembler rasoir, mais écoute, s’il te plaît.
Chez Satoshi, ce genre de préambule n’est pas rare ; chez Chitanda, jamais entendu. Je me gardai donc de me plaindre du froid. Ses yeux passèrent par-delà la maison et la clôture, vers la chaîne de montagnes qui cerne le village dans la lumière du soir.
— Grâce aux travaux d’aménagement, ça ne se voit plus, mais autrefois, la zone humide était découpée en deux. Autour du pont Chôkyû, c’était un marécage, au nord, notre village, et au sud, un autre. Aujourd’hui, ils ont fusionné pour s’appeler Jinde, quartier de la ville de Kamiyama.
Sans mot dire, sans même avaler ma salive, j’écoutai.
— Notre village avait le sanctuaire Minazushi, le village du sud le sanctuaire Sakô. On ne se dispute plus ni terres ni droits sur l’eau, mais pour tout ce qui touche au religieux, entrer « chez l’autre », c’est empiéter, ça met tout le monde mal à l’aise. Cette fois, les circonstances étaient spéciales car je savais que le personnel du sanctuaire de Sakô comprendrait. Hanai-san et les hommes le savent, mais entrer sans prévenir peut semer la discorde. Ils voulaient informer Sakô, mais personne n’était là pour faire l’intermédiaire. J’ai dit que le problème n’était pas si grave, n’est-ce pas ? Quand j’ai ajouté que je contacterais moi-même le prêtre de Sakô, tout le monde s’est détendu, parce qu’ils savaient qu’on pourrait probablement passer côté sud.
— … Je vois.
Je dois l’avouer, ça m’intéressa sincèrement.
— Satoshi appelle ça « les illustres clans ».
Mais Chitanda releva un peu la voix.
— Vraiment ?
— …
— C’est un tout petit monde en vérité. Tout ce que j’ai fait, c’est régler une affaire entre deux villages du nord de Kamiyama, autrement dit Jinde. Oreki-san, je ne crois pas que ce soit négligeable, mais je ne peux pas non plus dire avoir réglé un problème si majeur que ça.
Le soleil venait de toucher la pointe des montagnes, et tout prenait un ton sombre, baigné du couchant.
— Le fils Konari veut devenir photographe. Il suit une école technique à Osaka. Voilà pourquoi ta théorie d’un moment rare me convainc. Dans ce cas, il n’a pas seulement regardé, il a sûrement pris des photos. Bref, pour ma part, je pense aller à l’université après le lycée … Lui est peut-être différent, mais moi, je reviendrai ici. Peu importe la route, ma destination reste ici. Dans cet endroit.
Elle sourit.
— Oreki-san. Tu as choisi quoi, pour la filière, lettres ou sciences ?
La question me prit de court. Je mis un instant à comprendre qu’elle parlait du choix lettres/sciences pour l’entrée en première. Je répondis enfin :
— Ah, j’ai pris lettres.
— Pourquoi ?
— Parmi les quatre matières scientifiques, ma préférée, c’est la chimie. Et parmi les quatre matières littéraires, l’histoire du Japon. Comme je préfère l’histoire à la chimie, j’ai choisi lettres.
La main devant la bouche, elle rit.
— Très logique.
— Et toi ?
— …J’ai pris sciences.
Les notes de Chitanda sont dans les cinq premières de la promo. Elle ne l’a jamais dit, et le classement n’est pas publié, mais c’est mon estimation. Quelqu’un comme elle peut tout se permettre.
Mais ce n’est pas ainsi qu’elle y pense.
— Je ne reviens pas ici à contrecœur, ni tristement. J’aimerais remplir mon rôle de fille de la famille Chitanda, au vu de la position d’autorité dans le nord de Jinde. J’ai réfléchi à comment faire, depuis le lycée. La première voie, c’est d’augmenter la qualité des cultures, pour que tout le monde puisse manger à sa faim. L’autre, c’est d’améliorer l’efficacité par l’économie, pour que personne ne passe dans le rouge. Finalement, j’ai choisi la première. D’où les sciences.
Comme je gardais le silence, elle enchaîna :
— Tu sais ce qui a le plus motivé ce choix ?
— Pas vraiment…
Je m’arrêtai, puis :
— Disons que la seconde option… ne te ressemble pas.
Chitanda acquiesça légèrement.
— Oui… Pour dire les choses crûment, c’était cette histoire au Festival culturel, quand on a tenté de vendre notre recueil. J’ai compris que je t’avais causé beaucoup de tracas, Oreki-san. J’ai réalisé que je n’étais sans doute pas faite pour diriger une entreprise.
Oui, je pense la même chose.
Assis sur la véranda, elle tendit les bras vers le ciel.
Il faisait presque nuit, quelques étoiles se faisaient perçantes.
— Regarde, Oreki-san. C’est chez moi. Ici, il n’y a que l’eau et la terre. Les gens vieillissent, se fatiguent. Les montagnes sont reboisées régulièrement, mais quelle en est la valeur ? Je ne crois pas que cet endroit soit le plus beau. Ni qu’il déborde de potentiel. Mais…
Elle abaissa les bras, baissa les yeux.
— Je voulais que tu le voies, Oreki-san.
À cet instant, une réponse vint à un doute qui me trottait dans la tête. J’ai voulu dire : « à propos de l’aspect économique que tu dis abandonner, et si je m’en chargeais pour toi ? » Mais qu’ai-je fait ? Je me suis dit que je devais le dire, et, en réalité, je n’en ai pas eu la force.
C’était une première. Cette première fut la clé d’une question que je n’arrivais pas à résoudre.
Et soudain, je compris.
Pourquoi Fukube Satoshi avait brisé le chocolat d’Ibara. Ce devait être pour la même raison. Probablement la même qui fit que je n’ai pas dit ce que je voulais, et que j’ai prononcé autre chose, là, tout de suite, chez les Chitanda, alors que tombait le soir.
D’un ton faussement détaché, je lâchai :
— Il commence à faire froid.
Les yeux de Chitanda s’arrondirent un peu, surprise.
Puis elle sourit doucement et secoua la tête.
— Non, c’est le printemps !
[1] Le bodhisattva qui veille sur les enfants, les voyageurs et le monde souterrain (Jizô).
[2] Élément architectural placé au-dessus des portes.
[3] Une région située au sud de Honshû.
[4] En japonais cela se dit Hina matsuri, fête traditionnelle qui a lieu chaque année au Japon le 3 mars. C’est un jour consacré aux petites filles. Les jours précédant le 3 mars, les petites filles japonaises exposent de précieuses poupées posées sur des petites estrades à plusieurs niveaux. Ces poupées spéciales, qui se transmettent parfois de génération en génération, sont rangées dans un carton tout le reste de l’année. Elles représentent des personnages de la cour impériale de l’ère Heian.
[5] Hotarou compare Chitanda à une fleur de lotus dans « Le fantôme, lorsqu’on l’examine ».
[6] « Chô » (長) signifie « long » et (久) « ancien/longtemps ».
[7] Court rideau fendu en tissu que l’on accroche à la porte d’entrée des magasins, des restaurants ou des maisons au Japon.
[8] Don pour Donburi (un plat populaire où l’on sert des bols de riz garni.
[9] Ndt : Régler ses comptes, ou prendre sa revanche, dans un endroit ou un contexte complètement différent de celui où le tort a été subi
[10] Manteaux japonais amples et informels portés en festival.
[11] Sandales japonaises plates à lanière contrairement au geta qui sont montées sur deux dents de bois.
[12] Chaussettes séparant le gros orteil des autres.
[13] Position assise formelle au Japon : les deux genoux au sol, les jambes sous les cuisses, les fesses posées sur les talons.
[14] Expression issue d’un proverbe japonais : « Ce genre de chose ne se vend pas chez le grossiste » (問屋で売っていない, ton’ya de utte inai), qui signifie que certaines choses, comme la chance, la sagesse ou la sérénité — ne s’obtiennent pas facilement.
[15] Hotarou se demande comment écrire « Shige » en kanji : pour info : 茂 et 重.
[16] « Tempête et stress » ; ici : période d’agitation.
[17] Veste traditionnelle légère japonaise.
[18] Pantalon ample à plis sur le devant
[19] Équivalent à « L’habit fait le moine ».
[20] Littéralement « chapeau-corbeau » : coiffe noire laquée portée autrefois par les nobles de cour.
[21] Ndt : C’est une image très japonaise : le regard baissé symbolise la dignité, la pudeur et la grâce féminine. La beauté résidant en effet dans la discrétion. Houtarou, lui, voudrait justement voir ce visage dans son ensemble, croiser ses yeux malgré cette retenue, ce qui ajoute une tension presque romantique à la scène.
[22] Un « Robin des Bois » japonais qui tenta sans succès d’assassiner Toyotomi Hideyoshi (2e des trois unificateurs du Japon).
[23] Citation de la pièce Kinmon Gosan no Kiri, à propos d’Ishikawa Goemon.