Hyouka t3 - cHAPITRE 2 : partie 1
Les affaires qui s’accumulent
(2.1) Que s’est-il passé avec le club de littérature classique ?
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Traduction : Raitei
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005 – ♠ 02
Dire « Je me suis beaucoup amusé » semble facile, mais en réalité, c’est une chose plutôt compliquée. Plus que la différence de compréhension, c’est celle du degré d’intérêt qui importe. Devant un tour de magie, une personne peu réceptive ne comprendrait pas même un centième de ce qui se passe. À l’inverse, si l’on a la capacité de percer le secret du magicien, peu importe les efforts pour apprécier le spectacle, il est impossible d’en profiter pleinement.
Ce matin-là, je me rendais au lycée plus tôt que d’habitude, car le Festival Culturel du lycée Kamiyama débutait aujourd’hui. Tandis que Fukube Satoshi répétait à l’envi : « Oh, je sens que je vais beaucoup m’amuser », je ne pus m’empêcher de lui faire remarquer la chose ci-dessus, avec une pointe de malice. Satoshi répondit par un effroyable sourire et secoua lentement la tête.
— J’aurais voulu te dire que c’était une excellente remarque, mais tu es trop naïf, Hotarou.
— Ah oui ? Pourquoi donc ?
— Pour quelqu’un comme toi, élevé dans la plus pure médiocrité, penser pouvoir me faire la leçon sur la manière d’apprécier les choses, c’est bien trop présomptueux.
Il agita l’index de gauche à droite comme s’il jouait la comédie.
— Je sais, au plus profond de mon être, qu’il est vain de croire que je puisse vraiment profiter des choses. La clef de l’épicurisme, c’est de savoir dissocier ses sens. C’est aussi important que le jour où tu renonceras à ta politique d’économie d’énergie pour enfin te donner à fond à un examen.
— Ce jour-là n’arrivera jamais. Bref, c’est quoi cette histoire de « dissocier ses sens » ? Quel rapport avec le fait que tu dises vouloir t’amuser ?
— Laisse-moi t’éclairer. Je suis du genre à me contenter de peu, tu sais. Dire que je vais « beaucoup m’amuser » ? C’est naïf, je le sais. Mais voilà ce que je sais faire, contrairement à toi : me résigner. Toi, tu crois encore qu’on peut vraiment s’amuser.
Il m’adressa un regard qui disait tout. Comme je n’avais pas l’intention de le contredire, je gardai le silence. Devinant que je n’allais pas répondre, il baissa la voix comme s’il me confiait un secret.
— Même si je ne suis pas doué pour m’amuser…
— …
Il afficha un large sourire.
— Je peux quand même attendre avec impatience que les autres s’amusent à ma place !
Pff…
Ignorant mon expression glaciale, Satoshi continua de se répéter qu’il allait passer du bon temps. Je ne pouvais que soupirer et esquisser un sourire amer.
Fukube Satoshi. Je traîne avec ce type depuis le collège. Avec ses yeux noisette et sa silhouette fine, il pourrait presque passer pour une fille. Mais ne vous y trompez pas : à force de faire du vélo, ses jambes sont devenues impressionnantes.
Ceci dit, sa vraie particularité est mentale. Vous l’aurez peut-être deviné dans la conversation précédente : il est du genre à abandonner allègrement études et vie sociale. Déjà membre du club d’artisanat et du Comité d’organisation, il avait aussi rejoint le club de littérature classique simplement parce que « ça avait l’air sympa ». Il ne sortait jamais sans son sac à cordon, dont je ne connaissais pas le contenu, si ce n’est qu’il renfermait toutes sortes de choses.
Le lycée Kamiyama apparut devant nous. De loin, il n’avait rien de spécial, les murs extérieurs n’étaient même pas décorés pour l’occasion, mais à l’intérieur, l’effervescence du festival battait déjà son plein. Les cours avaient été suspendus depuis la veille pour permettre les préparatifs.
Les élèves qui se rendaient en classe avaient aujourd’hui une allure bien différente. Beaucoup étaient en uniforme, mais nombreux étaient ceux en tenue décontractée, membres de clubs divers. Certains ne portaient même pas de sac, puisqu’ils n’avaient pas besoin de matériel scolaire. Même moi, je ressentais l’effervescence de ce jour pas comme les autres.
Le lycée Kamiyama préparait bien aux concours d’entrée à l’université, mais il n’était ni connu pour ses cours de soutien, ni pour son taux de réussite spectaculaire. Si l’on demandait aux élèves en quoi leur établissement se distinguait, un seul sur dix évoquerait la réussite aux examens. Les neuf autres diraient : « C’est une école réputée pour ses clubs artistiques. » En effet, ces clubs étaient nombreux, leurs activités variées, et le point d’orgue en était bien sûr le Festival Culturel, rare en son genre par sa durée : une journée de préparation, et trois jours de festivités.
Satoshi s’écria soudainement, le visage enjoué :
— Dis donc, Houtarou, ce ne serait pas Mayaka, là-bas ?
Il pointa une fille devant nous. Vêtue d’un cardigan rouge et d’un pantalon brocart ivoire, je ne pouvais dire s’il s’agissait bien d’Ibara Mayaka, car je ne l’avais que rarement vue en tenue décontractée depuis le collège. Mais si Satoshi l’affirmait, c’est que ça devait être elle.
Mayaka avait déclaré sa flamme à Satoshi à de nombreuses reprises. Ce dernier n’était pas du genre à se dévaloriser, mais il avait toujours esquivé ses avances. Je n’avais jamais réussi à comprendre pourquoi.
— Je vais la rejoindre.
Il se tourna vers moi, lança cette phrase, puis partit en courant vers elle.
006 – ♣ 02
En m’approchant, je reconnus sans aucun doute Mayaka. Repérer Hotarou dans une foule relevait de la recherche d’une aiguille dans une botte de foin, mais il était impossible de rater Mayaka. Je courus vers elle et lui tapotai l’épaule.
— Hey, Mayaka. Bonjour !
La connaissant, elle se serait retournée d’un air furieux en s’écriant : « Aïe, ça fait mal ! » C’est pourquoi je m’étais contenté d’un léger contact. Mais il semblerait qu’elle ne soit pas d’humeur aujourd’hui. Elle se figea avant de lentement tourner la tête.
— …Bonjour.
Elle se contenta de murmurer cela, avant de se tourner de nouveau vers l’avant. Ahh, je vois.
Je me fis cette réflexion en silence, puis je souris (c’est ce que je sais faire de mieux car cela fait bien longtemps que j’ai oublié comment prendre un air sérieux) et répondis à son malaise :
— Ton costume te va bien.
— V-vraiment ?
— Alors, tu te cospl…
Je n’eus pas le temps de finir ma phrase qu’un coup de poing me heurta en plein dans l’estomac. Une attaque superbe. Mes muscles abdominaux se relâchèrent aussitôt, l’effet fut immédiat.
Mayaka murmura d’un ton menaçant, les yeux brillants d’un éclat dangereux :
— N’utilise pas ce mot comme ça devant tout le monde.
Bah, je doutais que le mot « cosplay » soit encore un tabou de nos jours. Mais bon, je comprenais que Mayaka soit embarrassée, alors je n’insistai pas. D’ailleurs, je savais déjà qu’elle comptait se déguiser aujourd’hui.
Son club de manga avait demandé au Comité d’organisation l’autorisation de ne pas venir en uniforme, faute d’endroits où se changer en nombre suffisant. La permission avait été accordée.
Elle portait un pantalon brocart ivoire et un cardigan écarlate. Une tenue pratique, idéale pour affronter les vents frais du début octobre. Quelques accessoires étaient accrochés à son gilet, et en dessous, elle portait une chemise blanche à col, ainsi qu’une large ceinture épaisse nouée autour de sa taille. C’était sans doute l’élément central du costume.
Je l’observai de la tête aux pieds.
Hmm… Aucune idée. Autant lui redemander.
— Et donc, tu es déguisée en quoi ?
Je choisis soigneusement mes mots, tel un rat espérant ne pas alerter le chat. Mayaka regarda droit devant elle et répondit d’un ton détaché :
— Frol.
— Frol ? Frolbericheri Frol ?[1] C’est ton personnage ?
— Ouais… J’ai aussi pris ce sac à main.
Je n’aurais pas compris même si elle m’avait montré de quoi il s’agissait. Mais bon, si c’était ce que Mayaka voulait porter, soit. Sachant qu’elle était du genre timide, si son club l’avait obligée à se déguiser, elle aurait forcément choisi un personnage difficile à reconnaître.
Ibara Mayaka. Comparée à moi, elle était bien plus petite, mais même pour une fille, c’était la moyenne basse. Sans son uniforme lycéen de style marin, on l’aurait facilement prise pour une élève de primaire. Et là, elle ne portait pas d’uniforme. Ce n’était pas seulement sa taille : ses traits, eux aussi, avaient quelque chose de juvénile. Un visage enfantin, à tous les niveaux.
Et pourtant, on devinait mal derrière cette expression un peu gamine cette droiture inflexible qui la caractérisait. Par exemple, quand elle se mettait en colère, elle mordait simplement sa lèvre. Et rien ne remplaçait le sourire qu’elle arborait lorsqu’elle était sincèrement heureuse. (En revanche, même après toutes ces années, Houtarou n’a toujours pas su le remarquer. Il a vraiment un œil médiocre pour ça). Il valait mieux arrêter de m’attarder sur le cosplay d’un personnage qu’elle n’avait pas vraiment envie d’incarner. Je fis tournoyer mon sac à cordon et déclarai :
— Allez, bon courage pour ton rôle. Je passerai au club de manga plus tard.
Mayaka acquiesça timidement, un peu gênée.
— Tu dois aussi écrire des articles pour le club de manga, non ?
— Ouais.
— Je m’en doutais… Ça doit être dur, d’occuper des rôles similaires à la fois au club de littérature classique et à celui de manga.
— C’est dur, oui. Personne d’autre ne voulait contribuer.
J’étais sur le point de la féliciter pour ses efforts, mais son regard devint soudainement tranchant. Oups, mauvaise tournure de conversation. Étant donné que le manuscrit du club de littérature avait tant tardé, je n’avais rien à répondre. Je décidai donc de changer de sujet.
— Ah… Mayaka, tu resteras au club de manga toute la journée alors ?
Elle n’eut pas l’air ravie que je bifurque, mais elle hocha la tête.
— Tu ne comptes pas passer en salle du club de littérature classique ?
— Non, ce sera sans doute impossible ce matin. Et puis, ça ne vaut pas le coup de m’y arrêter pour si peu… Je sais que j’aurais dû m’impliquer jusqu’au bout.
Je creusai encore plus mon sourire et lui tapotai l’épaule.
— Ne te prends pas trop la tête ! Ce qui est fait est fait.
Mayaka me répondit par un sourire ambigu, et hocha la tête. Non, quelque chose clochait. Ce sourire un peu grisâtre, ce n’était pas celui qui illuminait le visage de Mayaka.
Elle disait que ça allait, mais parfois, Houtarou exprimait ses doutes sur la manière dont j’évitais ses sentiments. Cela dit, ce dernier n’était pas du genre à flatter. Je pourrais lui dire la vérité, mais je doute qu’il en comprenne ne serait-ce qu’un dixième. De toute façon, cela ne le regarde pas : c’est une affaire entre Mayaka et moi.
Avant que je ne m’en rende compte, nous étions arrivés à la grille de l’école. J’y jetai un œil : d’immenses fleurs multicolores étaient suspendues au portail. Une décoration du Comité d’organisation pour accueillir les visiteurs du Festival Culturel. Depuis l’une des fenêtres de l’établissement, un grand panneau en tissu pendait, où l’on pouvait lire « 42e Festival Culturel du lycée Kamiyama ».
Et voilà, c’était parti.
Je me demandais à quoi pouvait bien ressembler mon visage, alors que je tentais de profiter de tout cela. Tandis que je contemplais le terrain de l’école, encore dans la brume de mes pensées, Mayaka me donna un coup de coude.
— Fuku-chan… Essaie de ne pas faire de bêtises pendant le festival, d’accord ? Même si toi, ça ne te gêne pas, moi, je n’ai pas envie de mourir de honte.
Heh. Je ne suis donc pas digne de confiance, hein ?
Mais ce n’est pas pour autant que je n’en ferai pas !
007 – ♠ 03
Il y avait dans ma poche un objet dur, et depuis un moment, il me gênait.
C’était un stylo-plume. Ou, pour être plus précis, un stylo-plume cassé qui devait être jeté. L’encre était depuis longtemps épuisée, et ma sœur me l’avait confié. Hier soir, ne voulant pas le laisser traîner par terre, je l’avais emporté dans ma chambre dans l’idée de le jeter plus tard. Mais, sans trop savoir comment, je l’avais pris avec mon mouchoir ce matin. Même s’il n’a plus aucune utilité, qui sait quel rôle il pourrait finir par jouer ?
Je m’amusais à ouvrir et fermer le capuchon, produisant un petit cliquetis en montant les escaliers. Ma destination : la salle du club de littérature classique, au quatrième étage.
Vu du ciel, le lycée Kamiyama forme un H. D’un côté se trouve le bâtiment général, avec les salles de classe ordinaires et de l’autre, le bâtiment spécial, qui regroupe les salles d’arts et de sciences. Les deux ailes sont reliées par un couloir central. Si l’on s’élève encore un peu, on voit le couloir du bâtiment général s’étirer jusqu’au gymnase.
La salle de géologie, utilisée par le club de littérature classique, est située à l’extrémité du bâtiment spécial. Tout au fond du couloir. Si le lycée Kamiyama représentait le monde entier, alors notre salle serait sa périphérie. D’ordinaire, on pestait contre l’éloignement tout en savourant la tranquillité du lieu. Mais à l’approche du festival culturel, cette localisation reculée nous posait un autre problème : peu de visiteurs risquaient de s’y aventurer.
À chaque étage, on croisait affiches, mascottes, panneaux publicitaires aux couleurs variées… sauf au quatrième étage, désert aride où ne trônait même pas une publicité pour un centre commercial ou une chaine de magasins. À vrai dire, peu de clubs avaient élu domicile ici. Nous avions malgré tout collé quelques affiches dans des endroits stratégiques pour faire la promotion du club, mais cela ne suffisait pas à animer ce coin perdu.
Personnellement, ce calme me convenait parfaitement, mais pour le club et surtout pour sa présidente, c’était un vrai sujet d’inquiétude.
Je fis coulisser la porte de la salle de géologie. Une jeune fille, assise au centre de cette pièce terne, se leva à mon arrivée.
— Bonjour, Oreki-san, dit-elle en s’inclinant profondément, sa longue chevelure noire suivant le mouvement.
C’était Chitanda, la présidente du club. Elle devait être la première arrivée. Chitanda Eru est une fille aux cheveux noir de jais qui lui tombent dans le dos, et aux pupilles aussi sombres. Douce dans son comportement, elle est plutôt grande pour une fille et bien proportionnée. Son ton posé donne l’impression d’une jeune dame née de bonne famille. Et en effet, elle est l’unique héritière du clan Chitanda, propriétaire de vastes terres agricoles.
Cependant, si vous voulez mon avis, cette image de noble demoiselle japonaise ne reflète pas sa véritable nature.
Car derrière ses traits posés, seuls ses grands yeux trahissent son vrai visage. Une curiosité débordante, déjà à l’origine de bien des tracas, et qui n’a pas fini d’en causer. Depuis mon entrée au lycée, nombre de désagréments m’étaient tombés dessus à cause d’elle et du club. Moi qui avais pour devise « Si je n’ai pas à le faire, je ne le fais pas. Si je dois le faire, je le fais vite », je n’ai plus jamais pu m’y tenir. Et tout ça, c’était entièrement de sa faute.
Chitanda leva la tête et m’adressa un sourire délicat. Elle n’était pas du genre à exprimer ses émotions de manière excessive, mais plutôt à les distiller avec mesure.
— Le grand jour est enfin arrivé.
— On dirait bien.
— Alors, donnons-nous à fond !
— Ouais.
Je hochai la tête.
En regardant la pile d’objets qui nous séparait, je laissai échapper un soupir.
— Tu dis qu’on va se donner à fond, mais… Tu sais au moins comment on va s’en sortir avec ça ?
Il s’agissait bien sûr de l’anthologie du club de littérature classique, Hyouka. Un titre pour le moins étrange, mais il y avait toute une histoire derrière. Chaque exemplaire était joliment relié avec une couverture brun sombre en vinyle plastifié, sur laquelle un chien et un lapin se mordaient mutuellement. Le design original datait du tout premier volume de Hyouka, réalisé à l’aquarelle. Cette année, Ibara l’avait dessiné dans un style mignon. Objectivement, le rendu n’était pas mauvais.
Les personnes ayant participé à la réalisation étaient Chitanda et moi. Satoshi avait aussi rédigé son article, mais uniquement cela. Bien entendu, le manuscrit achevé ne signifiait pas pour autant que l’ouvrage l’était : il fallait encore compter les pages, choisir la police et le type de papier, faire la mise en page, numéroter, etc, avant de transmettre le tout à l’imprimeur. Cette charge, c’était Ibara qui l’avait assumée, illustrations comprises.
On nous consultait pour la mise en forme, mais il s’agissait surtout d’approuver les décisions d’Ibara. Chitanda et moi lui avions proposé de l’aide à plusieurs reprises, mais elle avait toujours refusé, disant qu’elle avait l’habitude et que ce n’était pas grand-chose, et que former un amateur serait bien plus pénible. Devant son assurance, Chitanda avait fini par abandonner l’idée.
Et donc, l’anthologie Hyouka était enfin terminée. Et le résultat était franchement réussi. Quand elle nous avait apporté les exemplaires avant-hier, nous étions restés sans voix.
Tout comme elle.
…La pile d’exemplaires entre Chitanda et moi, non… la montagne d’exemplaires était impressionnante.
À la base, nous avions prévu d’en imprimer une trentaine. Avec un exemplaire pour nous, un pour notre superviseur, un pour les archives, il restait vingt-quatre unités à vendre. Un chiffre estimé raisonnable.
Mais pour une raison obscure, le nombre avait été multiplié… par sept.
J’appris ce jour-là que même une anthologie fine, empilée à deux cents exemplaires, formait une montagne. Nous demander de « tout donner » pour écouler un tel stock, c’était pour le moins ambitieux. En m’entendant râler, Chitanda perdit ses mots, et son sourire se figea.
— Euh… Même si donner tout ce qu’on a ne garantit rien, je suis sûre qu’on y arrivera un peu !
La vraie question, c’est : à quel point faut-il se donner ? La porte s’ouvrit derrière nous : c’était Satoshi. Il leva le bras droit et nous salua :
— Salut ! Alors quoi ? Vous stressez à cause de notre trop-plein de stock ?
Toi aussi non ?
Toujours muets devant notre catastrophe, Chitanda s’inclina profondément, comme elle l’avait fait pour moi.
— B-bonjour, Fukube-san… Mayaka-san va venir ?
— Elle a dit qu’elle allait essayer, mais elle ne pourra sans doute pas.
— Je vois… murmura-t-elle, visiblement déçue.
Rien d’étonnant.
Chitanda et moi ne faisions partie d’aucun autre club. Mais Satoshi appartenait au Comité d’organisation et au club d’artisanat, tandis qu’Ibara était à la fois bibliothécaire et membre du club de manga. Durant le festival, Satoshi devait patrouiller dans le cadre du Comité, et Ibara restait affectée à son club.
— Bien, on s’y met ? lança Satoshi.
Nous acquiesçâmes. Chitanda nous regarda à tour de rôle avant de déclarer :
— Il ne reste plus beaucoup de temps avant la cérémonie d’ouverture… Est-ce que quelqu’un aurait une idée pour écouler autant d’exemplaires de Hyouka ?
Le prix de vente d’un Hyouka avait été fixé à 200 yens.
C’était un tarif décidé par Ibara et Chitanda après moult calculs. À l’origine, on envisageait de vendre nos trente exemplaires à 400 yens pièce. Avec une vente complète, les revenus obtenus, couplés à notre budget de club, auraient tout juste permis de couvrir les frais d’impression.
Mais maintenant, nous avions 200 exemplaires de Hyouka. Ce n’était pas une erreur tragique en soi, qui plus est, imprimer autant avait permis de faire baisser le coût à l’unité. Si nous parvenions à vendre bien comme il faut, nous pourrions même écouler les derniers stocks à 120 yens l’unité pour rentrer dans nos frais.
Mais croire que nous les écoulerions tous relevait de l’utopie. En tenant compte de cette réalité, nous avions décidé de fixer le prix à 200 yens. Pour atteindre l’équilibre, il fallait vendre 120 exemplaires. Chitanda avait validé ce tarif, même si cela restait très optimiste… Quoi qu’il en soit, je n’avais rien dit sur le moment, donc je n’allais pas m’en plaindre maintenant. Et puis, 200 yens, c’était plutôt bon marché pour une anthologie vendue lors d’un Festival Culturel.
Précisons d’ailleurs qu’un succès total ne nous aurait rien rapporté personnellement. Le règlement du festival du lycée Kamiyama interdit formellement tout bénéfice. On raconte que certains réussissent parfois à détourner jusqu’à 1 000 yens, mais au-delà, tout revenu est automatiquement versé… au trésor public. Enfin, au trésor de l’école.
Le lycée Kamiyama compte environ mille élèves. Pour rentrer dans nos frais, il fallait convaincre 12 % d’entre eux. Et pour tout vendre, viser 20 %. Ce qui était très ambitieux. Même les néophytes en audiences télé savaient qu’atteindre 20 % de part de marché était un exploit.
Et encore, notre public n’était pas limité à ces mille élèves. Le Festival Culturel du lycée Kamiyama était ouvert au public, si bien que des gens de la ville pouvaient aussi venir. Le festival se tenait de jeudi à samedi, et les visiteurs affluaient généralement le samedi, troisième jour. Mais il était impossible d’évaluer l’impact de leur venue sur les ventes.
D’ailleurs…
— Le vrai problème, c’est la notoriété du club et sa mauvaise localisation, dis-je.
— Oui, c’est notre principal obstacle, approuva Chitanda.
Je partageais leur avis.
Comme déjà mentionné, la salle de géologie était terriblement mal placée. Quant à la notoriété du club… c’était encore pire. La plupart des élèves du lycée Kamiyama ignoraient jusqu’à son existence. Si je ne m’étais pas inscrit cette année, il aurait tout bonnement disparu. Contrairement au club de cérémonie du thé, connu pour ses services en extérieur, ou au club d’a cappella, réputé pour ses talents, qui allait acheter l’anthologie d’un club dont personne ne connaissait l’existence ?
La localisation et le nom. Voilà nos deux boulets. Je pris la parole.
— Autrement dit, il nous faut un lieu plus fréquenté pour vendre, et faire connaître notre club.
— Évidemment, rétorqua Satoshi avec un sourire narquois, sous-entendant qu’avec ces deux conditions réunies, nous aurions déjà tout vendu.
Bien sûr que je le savais… mais précisément parce qu’on ne pouvait pas les réunir que nous étions perdus. Pendant ce temps, Chitanda hocha la tête avec admiration.
— Trouver un autre lieu de vente… Moi, je n’ai pensé qu’à attirer les gens jusqu’ici. Oreki-san, c’est une idée vraiment novatrice.
— Euh… Ce n’est pas si novateur que ça…
— Mais… Peut-on changer de lieu aussi facilement ?
Bonne question. Satoshi appartenant au Comité d’organisation, cela relevait de son ressort. Mais il secoua la tête.
— Aucune idée. C’est sans doute possible d’occuper un autre espace, mais cela dépendra de l’aval donné ou non au club de littérature classique. Il faudrait aller en parler au président du Comité d’organisation, voire au président du Conseil des élèves.
— Qui est le président du Comité ?
— Tanabe-senpai, en seconde. Le Comité tient parfois des réunions dans la salle de réunion, tu peux toujours y jeter un œil.
— Pourquoi tu n’y vas pas toi ?
Satoshi se pinça les lèvres et répondit d’un ton ambigu :
— Je pourrais… Mais je ne suis pas très doué pour les négociations. Chitanda-san, ce serait peut-être mieux que ce soit toi qui entames la conversation. Moi, je te soutiendrai à côté.
L’idée se tenait. Mais Chitanda paraissait peu rassurée. Malgré son caractère déterminé, elle non plus ne devait pas être à l’aise avec une demande aussi abrupte. Et moi… je ne comptais pas m’en mêler. Ce n’était pas mon genre.
La situation était loin d’être réjouissante. Pourtant, Satoshi semblait ravi. C’était bien lui : capable de prendre du plaisir même dans les embrouilles. Comme requinqué, il annonça :
— Plutôt que ça, je préfère m’occuper de la publicité.
— La publicité, hein ? Et comment comptes-tu t’y prendre ?
— Ah, ça, c’est un secret.
Mauvais pressentiment. Je ne me souvenais d’aucune « idée secrète » de Satoshi qui ait fonctionné jusque là.
— Quoi ? Tu as une bonne idée ? s’enquit Chitanda, visiblement intriguée.
Satoshi bomba le torse :
— Le festival accueille plein de compétitions et de jeux. Je vais y participer au nom du club de littérature classique. Si j’obtiens de bons résultats, la notoriété du club grimpera !
— C-c’est une idée géniale !
Hein ? En quoi est-ce génial ? Je haussai les sourcils tandis que Chitanda tombait dans le panneau. Satoshi voulait juste participer à toutes ces compétitions. Il s’inscrirait personnellement, mais en affichant le nom du club. C’est tout.
Cela dit… en matière de publicité, nous n’avions pas beaucoup d’autres options. Et il n’était pas impossible que ça marche.
Je jetai un œil à l’horloge.
— Donc, en gros, c’est décidé ? Chitanda demande un autre lieu et Satoshi s’occupe de la publicité.
— Oui. Nous devrions nous y mettre. Il ne reste plus beaucoup de temps. Et toi, Oreki-san ? Tu vas faire quoi ?
Moi ?
En réalité, j’avais un plan. Un plan pour contribuer efficacement à la vente de Hyouka tout en respectant ma ligne de conduite. Je me raclai la gorge, et déclarai avec gravité :
— Moi, je vais…
— Oui ?
— …garder le stand.
Chitanda cligna des yeux. Satoshi, lui, comprit aussitôt :
— …Ah. Effectivement. Sinon, personne ne restera derrière.
— C’est exact. Il faut bien quelqu’un pour tenir le stand.
Alors ? Aucune objection ?
— Très bien, dans ce cas, mettons-nous en route. On n’a plus beaucoup de temps, dis-je en regardant l’horloge au mur.
Il ne restait plus que dix minutes avant la cérémonie d’ouverture. Même pour le Festival Culturel ou la journée sportive, la présence restait obligatoire. Mais comme les élèves étaient dispersés dans les salles de leurs clubs, il fallait se présenter durant l’assemblée du matin chaque jour. En clair, nous serions notés en retard si nous ne nous rendions pas à la cérémonie à temps.
Chitanda hocha vigoureusement la tête. Puis, respirant à fond, elle lança d’une seule traite :
— Dans ce cas, lançons-nous dans nos tâches respectives ! Essayons de vendre un maximum d’exemplaires. Notre objectif est de vendre les 200 exemplaires de Hyouka ! Donnons-nous à fond !
…Je préférais éviter de penser à notre capacité à écouler les 200 exemplaires.
Exemplaires restants : 200
008 – ♥ 02
Environ un millier d’élèves étaient rassemblés dans le gymnase obscur, dont les fenêtres avaient été couvertes de rideaux. Et comme ce mois d’octobre s’annonçait exceptionnellement chaud, l’atmosphère y était étouffante. Une lumière était braquée sur la scène, mais même celle-ci était encore éteinte : tout baignait dans l’obscurité. Cela ne dura qu’un instant, car bientôt, un projecteur illumina un élève, le président du Conseil des élèves. Grand et à l’allure assurée, on disait qu’il s’exprimait avec une éloquence digne de sa fonction.
Il s’avança vers le micro, jeta un regard circulaire à l’assemblée, puis prit une profonde inspiration. Enfin, d’une voix forte, sans formule ni détour, il proclama :
— Je déclare ouvert le quarante-deuxième Festival Kanya !
Sa voix, projetée du plus profond de son ventre, résonna dans tout le gymnase, et mille élèves de Kamiyama explosèrent aussitôt en acclamations. La cérémonie d’ouverture du festival culturel du lycée Kamiyama venait de commencer.
D’après le Guide du Festival Kanya publié par le Comité d’organisation, le club de breakdance ouvrait la cérémonie par une performance. J’ai un peu honte de l’avouer, mais je n’avais encore jamais assisté à un spectacle de breakdance. Je savais que cela avait à voir avec la danse, bien sûr, mais je ne voyais pas en quoi il s’agissait de « briser (break) » quelque chose. Est-ce qu’ils allaient casser quelque chose sur scène ?
Des jeux de lumière rouge, jaune, bleu et vert se mirent à danser sur la scène, et la performance démarra. En levant les yeux pour chercher d’où provenaient ces éclairages, j’aperçus, au-dessus de la scène, des élèves en train de manœuvrer les projecteurs depuis les passerelles.
Il fallait sans doute beaucoup d’entraînement pour mouvoir ces lumières aussi vite et avec tant de précision. Si j’en ai l’occasion, il faudra que je leur demande comment ils ont acquis une telle maîtrise.
De la fumée jaillit à l’arrière-scène, et le grondement s’apaisa un instant. Tandis que la brume se dissipait, deux personnes surgirent de chaque côté, accompagnées d’une musique de fond tonitruante. C’était un son électronique vibrant. Peut-être que l’ambiance recherchée était celle de l’espace ? Quatre danseurs commencèrent à bouger, calés sur le rythme.
Alors, c’était ça, le breakdance ? Ils faisaient des gestes comme pour tourner une clé dans une serrure, balançaient bras et jambes comme s’ils nageaient en brasse. Les figures étaient variées, le tout très énergique. Était-ce malvenu de dire qu’ils semblaient inhumains ? Leurs mouvements mécaniques étaient fascinants.
Oh ! Ils sautent !
Oh ! Ils tournoient !
Oh ! Ils se tiennent sur les mains !
Cette fois, ils tournaient en équilibre sur les mains. Mais avec tout ce frottement, leur cuir chevelu ne risquait-il pas de chauffer ? Et leurs cheveux, ils ne s’arrachaient pas ? Je me posais la question.
Le tempo s’accéléra encore, les gestes devinrent si rapides qu’il m’était impossible de suivre bras et jambes.
Impressionnant. La musique atteignit son paroxysme…
Hmm, ce volume commence à me faire mal aux oreilles. Je n’ai jamais aimé les sons trop forts.
Finalement, tandis que les faisceaux lumineux convergeaient au centre de la scène, les quatre danseurs s’immobilisèrent à l’instant même où la musique s’arrêta. L’assemblée les acclama d’une seule voix. Moi aussi, j’accordai toute mon approbation au club de breakdance.
Un second morceau commença, cette fois sur un rythme rappelant les musiques folkloriques africaines. Très différent du précédent. J’étais curieuse de voir comment ils allaient danser là-dessus.
Et après ça, j’aurais bien aimé assister à la performance du club de rakugo[2]… Non. Il ne fallait pas que je cède à la tentation.
Reprenant mes esprits, je remarquai que de nombreux élèves quittaient discrètement le gymnase. Ils devaient aller surveiller leurs stands ou préparer les activités de leur club. Moi aussi, sans déranger la représentation, je sortis discrètement de la salle.
Je pressai le pas dans le couloir, marchant plus vite que d’habitude. Je croisai des élèves en train de décorer leur porte de classe avec du papier doré et argenté. L’heure tournait. De quel club s’agissait-il ? Ils avaient l’air si pressés que j’eus presque envie de leur prêter main-forte. Non, surtout pas ! Le club de littérature classique était dans une situation bien plus critique.
En me répétant mentalement mes répliques, j’arrivai devant la salle de réunion. Selon le Guide du festival, le Comité d’organisation y avait établi son quartier général.
La salle de réunion se trouvait au deuxième étage du bâtiment général. Comme le gymnase y était directement relié, je n’eus pas à marcher bien loin. Arrivée devant la porte coulissante où était collé un écriteau indiquant « Salle du Comité d’organisation », je frappai.
…
Personne ?
— Il y a quelqu’un ?
Aucune réponse. J’essayai d’ouvrir. C’était fermé.
Effectivement, maintenant que j’y pensais, j’étais partie au beau milieu de la cérémonie d’ouverture. Il n’était pas surprenant que les membres du Comité ne soient pas encore revenus. J’étais arrivée trop tôt.
Une pointe d’anxiété me traversa : je n’avais pas de temps à perdre. Je décidai donc de faire un peu de respiration profonde. Inspirer. Expirer. Encore une fois.
Je regardai autour de moi. Personne ne semblait approcher.
Juste à côté de la porte se trouvait une affiche de promotion du Festival Culturel. J’en avais déjà vue plusieurs dans l’école et aux alentours, mais celle-ci m’était inconnue. Le style manga m’évoqua celui qu’affectionnait Mayaka-san. On y voyait un garçon et une fille préparer le festival. Les personnages étaient mignons, leurs vêtements très réalistes, et une belle originalité émanait de l’ensemble.
S’il fallait faire un reproche, ce serait le titre : « 42e Festival Kanya ». Officiellement, il s’agit du Festival Culturel du lycée Kamiyama. Le terme « Kanya » ne renvoie à rien de très parlant. Pourquoi ? C’est difficile à expliquer. Dans un coin de l’affiche figurait la mention : « Comité exécutif du Conseil des élèves ». Si ce sont eux qui l’ont réalisée, ils auraient pu éviter d’employer un nom aussi vague que « Festival Kanya ».
Je détournai les yeux de l’affiche et regardai de nouveau autour de moi. Toujours personne. Zut.
Devais-je continuer à attendre ? Mais le temps nous manquait.
Non. Il fallait que je garde mon calme. Encore une respiration profonde… Inspire… expire… Une dernière fois…
— …Je peux t’aider ?
— Wah !
J’étais en train d’inspirer profondément, ce qui me fit pousser un cri étrange de surprise. Agitant les bras, je tentai d’expliquer que je n’avais rien de suspect.
Je m’inclinai devant la personne qui venait de me parler.
— Bonjour. C’est bien toi Tanabe-san, le président du Comité d’organisation ?
Je l’avais vu dans le Mensuel Kami High publié par le club du journal mural. C’était bien lui. Des lunettes aux montures fines, un visage ovale, les cheveux courts et soigneusement taillés, il donnait une impression de sérieux. Il parut surpris, puis me répondit poliment.
— Oh, bonjour. Oui, je suis Tanabe… Que puis-je faire pour toi ?
— Eh bien…
Je hochai la tête et récitai la phrase que j’avais répétée encore et encore :
— Nous souhaiterions obtenir un nouvel emplacement pour le club de littérature classique.
— …Hein ?
Tanabe-san ouvrit de grands yeux. Zut, j’avais oublié les formules de politesse. Me ressaisissant, je repris :
— Je te prie de m’excuser, je ne me suis pas présentée. Je suis Chitanda Eru, de la seconde A, présidente du club de littérature classique. Au nom du club, je suis venu faire une demande. Si possible, nous aimerions obtenir un nouvel emplacement.
Tanabe-san fronça les sourcils, visiblement embarrassé.
— Je ne suis pas sûr de comprendre, mais…
Il semblait sur le point d’annoncer une réponse difficile.
— L’organisation du festival est déjà bien avancée. Ajouter un stand à ce stade serait… compliqué.
— …Alors, ce n’est pas possible ?
— Je suis désolé.
Je vois. C’est regrettable, mais je ne peux pas insister. Désolée, Mayaka-san, Fukube-san, Oreki-san. Chitanda Eru n’a pas pu accomplir sa mission.
Je m’apprêtais à m’incliner et à prendre congé, quand Tanabe-san me retint :
— Non, attends. Ce sont les procédures classiques, bien sûr. Mais si ton club a des circonstances particulières, ça peut s’écouter. Je ne garantis rien, mais…
Des circonstances…
…Je n’avais rien expliqué. Oreki-san me l’avait déjà reproché : j’ai cette mauvaise habitude d’aller droit au but sans expliquer le contexte. Je ne m’en étais jamais vraiment rendue compte… mais c’était vrai. Il faudra que je m’améliore.
Je ne devais pas gaspiller la bonne volonté de Tanabe-san. Je me tournai ainsi vers lui et me tins droite.
Puis je lui racontai tout.
Nous devions à l’origine imprimer 30 exemplaires de Hyouka. J’avais moi-même vérifié le bon de commande, et Mayaka-san l’avait rempli correctement. Mais en parallèle, elle avait aussi commandé 200 exemplaires pour son anthologie personnelle.
Pourquoi ? Je l’ignorais. Le problème était survenu quand l’imprimeur avait inversé les commandes. Hyouka avait été imprimé à 200 exemplaires.
Mayaka-san s’en était voulu de ne pas avoir revérifié, mais personne n’aurait pu prévoir une telle erreur.
Je racontai toute l’histoire à Tanabe-san, sans pouvoir la résumer. Il m’écouta sans m’interrompre.
— Quelle galère…
Après un instant de réflexion, il déclara avec prudence :
— Deux cents exemplaires, hein ? Même le club de manga ne vend pas autant. Je comprends que votre club cherche un autre stand… et j’aimerais vraiment pouvoir vous aider. Mais si on accorde un traitement spécial au club de littérature classique, il faudrait en faire autant pour tous les autres…
Il avait raison. Nous n’étions pas les seuls à pouvoir faire face à ce genre de souci.
— …Donc, ce n’est pas possible ?
Tanabe-san hocha doucement la tête.
— Je suis désolé.
Je m’inclinai de nouveau et fis demi-tour. Mais cette fois, il me lança une suggestion dans le dos :
— Mais vous savez… si vous laissiez d’autres clubs vendre votre anthologie à leurs stands, ça ne nous dérangerait pas.
Hein ? Je n’y avais pas pensé ! Bien sûr !
En confiant des exemplaires à d’autres clubs, ce ne serait pas un traitement de faveur.
— C’est une idée brillante !
Je sentis un soulagement immédiat.
— Merci infiniment. Je vais y réfléchir !
Je m’inclinai profondément.
…Tiens, au fait… dans la salle de géologie, Fukube-san avait promis de m’accompagner ici pour m’aider dans ma requête.
Que lui est-il arrivé juste ?
009 – ♣ 03
Hahahahahaha.
Ah, ah, c’est pas possible. C’est trop drôle, je n’arrive pas à m’arrêter de rire.
Ma raison me soufflait que cette blague fût débile, mais malgré tout, j’avais eu un fou rire. Je crois que je pourrais continuer comme ça toute la journée.
Je connaissais les deux garçons sur scène : ils faisaient partie du club de Rakugo. (Soit dit en passant, ce nom n’est qu’une façade officielle. Le club de Rakugo du lycée Kamiyama se concentrait bien plus sur le manzai[3] et le stand-up, que sur l’art du rakugo en lui-même. Je doute d’ailleurs qu’il existe un club qui étudie sérieusement le rakugo.)
— Wouah, ça faisait un bail qu’on ne s’était pas fait un dîner sushi dans une salle en tatami. On est restés un bon moment, faudrait qu’on ne tarde pas plus pour rentrer à la maison.
— Ouais ouais
…
— Au fait, ça me dérange pas de te raccompagner vu que j’ai amené à l’aller, mais… tu comptes descendre à quel moment ? Depuis qu’on a démarré, tu glousses en me fixant comme ça, sans arrêt.
— Tu sais, t’as un sacré… gabarit.
— Ouais ouais ouais, t’es bizarre toi. Moi je m’inquiète sérieusement. On ferait mieux de rentrer vite. Qu’est-ce que t’as à sourire comme ça ?
— Hé hé, continue.
— Tu pleurais de rire tout à l’heure et tu m’as sorti : « J’ai la jambe en guimauve, tu crois que je peux freiner ? » Sérieusement, vu ton état, je fais bien de pas te filer le volant.
— Possible.
— Et mince, j’ai appuyé sur l’accélérateur.
— C’est toi le danger public en fait !
Hahahahahaha.
010 – ♦ 02
Je quittai le gymnase dès que la cérémonie d’ouverture entra dans un entracte, après la prestation de breakdance. Avant de sortir, je me retournai un instant. Dans ce gymnase obscur et étouffant, seule la moitié des élèves était restée.
À vrai dire, j’aurais aimé retrouver les autres au club de littérature classique. C’était une erreur de ma part de ne pas avoir revérifié auprès de l’imprimeur.
Je ressentais le besoin de prendre mes responsabilités. Mais, d’un autre côté, je savais aussi que c’était en partie parce que je n’avais pas envie d’aller au club de manga.
Ce n’est pas que je déteste le club de manga. Certes, mes attentes à l’égard de ce club étaient différentes avant d’entrer au lycée, mais je l’aime comme tel. Le manga, ça doit venir du cœur, d’un amour sincère. Pourtant, même quand on partage une passion, cela ne signifie pas qu’il n’y ait jamais de frictions.
…Ce poids que je ressens depuis ce matin, ce n’est pas bon signe. Je suis sans doute du genre à voir le verre à moitié vide. Je suis censée profiter du privilège que m’accorde le Festival Culturel, celui de pouvoir porter ce cardigan et ce pantalon brocart dans l’enceinte du lycée.
La salle du club de manga est située dans la salle de préparation n°1, au deuxième étage du bâtiment général. Comparée à la salle de géologie du club de littérature classique, son emplacement est une bénédiction car elle est juste à côté des salles de classe ordinaires.
À l’extérieur, dans le couloir, un panneau discret affichait « Club de manga ». Il avait été réalisé par notre présidente, Yuasa Naoko-senpai. La porte coulissante était grande ouverte, car nous nous attendions à accueillir des visiteurs à tout moment.
— BonJOUR.
N’aimant pas trop la manière polie de saluer façon Chi-chan, j’avais tendance à dire « BonJOUR », en mettant l’accent sur la fin. Ce n’est rien de spécial, juste que je n’ai jamais vu personne le dire comme ça dans un manga ou un roman.
— Ah, Ibara, te voilà.
Celle qui m’accueillit avec entrain, c’était Kouchi Ayako-senpai, une élève de seconde. Très active, calée en la matière, et dotée d’un trait fin, elle était une figure centrale du club. C’est elle qui avait proposé que certains membres fassent du cosplay. Et comme c’était son idée, elle avait évidemment décidé de se prêter elle aussi au jeu.
Son costume, d’inspiration chinoise, était probablement fait main. Ce n’était ni un cheongsam[4], ni un costume Mao[5], mais plutôt une tenue de prêtresse taoïste. Elle portait un pantalon violet bouffant, et une robe longue aux manches jaunes tombant jusqu’au sol. Les manches étaient fendues sur les côtés pour laisser passer les bras. La robe était majoritairement rouge, à l’exception d’une teinte différente au niveau de la poitrine. Une robe authentique aurait été bien plus ample : il s’agissait donc d’une imitation.
Sur sa tête, un large chapeau d’où pendait un talisman devant l’œil droit. Un ruban jaune, sans doute en tissu, lui enserrait la taille. Avec ses cheveux courts, son regard acéré et sa carrure moyenne, Kouchi-senpai incarnait parfaitement le personnage.
— C’est un jiangshi[6], non ?
— Officiellement, on appelle ça un fantôme chinois.
Kouchi-senpai examina ma tenue de haut en bas, et en voyant que je portais les chaussures d’intérieur réglementaires, elle déclara :
— Tu aurais pu faire un effort pour les chaussures.
Et d’un coup, la conversation se recentra sur moi. Je n’avais pas choisi ce costume pour faire jolie, mais de sa part, ça me piquait un peu. Un instant, l’atmosphère se tendit… Il faut dire que j’étais la seule à avoir résisté au cosplay jusqu’au bout.
— Bonjour, lança une voix à côté de nous.
C’était la présidente Yuasa.
Elle ne portait pas de costume, simplement l’uniforme de style marin du lycée Kamiyama. Il avait été convenu que seuls les cinq membres responsables du stand feraient du cosplay, et la présidente n’en faisait pas partie. Même si j’étais la seule à ne pas avoir joué le jeu à fond, je sentais dans son attitude une forme de bienveillance. Une personne chaleureuse, facile à cerner, un peu comme un chat qui se prélasse au soleil. Son visage doux, encadré de deux grands yeux en amande, s’éclaira d’un sourire en examinant ma tenue.
— Tu as dépensé beaucoup pour ce costume ?
— Non, j’ai seulement payé la ceinture, c’est tout.
— N’oublie pas de nous envoyer le reçu, pour qu’on te rembourse.
— Oh, ce n’est pas la peine, ça me va.
Notre présidente eut un petit rire, mais je n’arrivais pas à me résoudre à utiliser les fonds du club. Même si notre budget dépassait largement celui du club de littérature classique, ce n’était pas une raison pour le gaspiller.
Il restait encore un peu de temps avant que les visiteurs n’arrivent. Je jetai un œil à la salle de préparation n°1, où les bureaux formaient un grand C.
La pièce maîtresse du club de manga était une anthologie critique de cent titres de mangas, anciens et récents nommée Zeami[7]. Pourquoi ce nom ? L’année précédente, elle s’appelait Kan’ami[8]. Pourquoi Kan’ami ?
Je n’avais même pas cherché à le savoir, tant ça sonnait idiot. Les membres pouvaient aussi apporter leurs propres travaux auto-publiés, qui étaient mis à disposition gratuitement ou vendus sur place. À ce stade, autant monter un vrai stand de dôjinshi…
— Yo.
— ‘Jour.
Petit à petit, d’autres membres du club arrivaient.
Certains faisaient du cosplay alors qu’ils n’étaient même pas affectés au stand. Avec une vingtaine de membres, il était naturel que des sous-groupes se forment.
Le premier : les garçons. Je ne sais pas comment ça se passe dans les autres clubs, mais chez nous, les garçons sont minoritaires. Ils se rapprochent spontanément entre eux pour savoir quoi faire. En général, ils ne posent aucun problème.
Le second groupe : celui autour de Kouchi-senpai. Peu nombreux, mais bruyants, et considérés comme la faction « dominante ». Les membres en cosplay se rassemblaient autour d’elle pour discuter de l’accueil des visiteurs, lançant parfois des slogans à tue-tête de type « Allez ! On y va ! », ce genre de choses.
Et puis il y avait le troisième groupe. Ceux qui, pour une raison ou une autre, ne parvenaient pas à suivre Kouchi-senpai.
Peut-être n’aimaient-ils pas son exubérance, ou doutaient-ils de sa cohérence. Et étrangement, ce groupe-là…
— Hé, Mayaka, c’est quoi ton costume ?
— Mayaka, je laisse la monnaie là, hein ?
— …Pff, je me demande quand ça va se finir.
…s’était rassemblé autour de moi.
Pourquoi ? Parce que j’étais visiblement la seule à avoir ouvertement critiqué Kouchi-senpai.
L’ambiance n’était pas franchement tendue, ni explosive. Tout le monde était là par amour du manga. Et pourtant, je n’avais pas envie de rester. Le minimum que je pouvais faire pour le club de littérature classique, c’était au moins demander que le club de manga vende Hyouka pour nous. Grâce à la notoriété du club de manga, on pourrait peut-être écouler une vingtaine d’exemplaires.
En ce moment, l’atmosphère ne s’y prêtait pas, mais j’espérais que l’ambiance change… et vite. Je me demandais ce que faisaient Fuku-chan et les autres au club de littérature classique. Qui gardait le stand, au juste ?
…Ah ! Je n’ai même pas pensé à qui devait tenir le stand ! Qui voudrait acheter quelque chose à un club aussi négligent ?
— Heu, vous êtes ouverts ?
Une voix nous interpela. Deux garçons se tenaient à l’entrée ouverte.
Je me levai vivement avec un sourire forcé, un peu trop enthousiaste :
— Oui, bienvenue ! Félicitations, vous êtes nos premiers clients !
011 – ♠ 04
Comme je m’y attendais, personne ne venait à la salle de géologie.
Un calme absolu. Une paix parfaite. L’oisiveté pure. Seul me parvenait un léger tumulte en provenance de la cour centrale, du côté du bâtiment général. Excellent. Gloire au poste de gardien de stand.
…Je fermai les yeux, puis les rouvris. Devant moi, une « montagne » brunâtre. Une illusion, sans doute. Pour préserver la sérénité de mon esprit, je jugeai préférable de refermer les yeux.
Évidemment, je n’avais pas l’intention de venir à bout de cette montagne tout seul. Hyouka contenait un article que j’avais moi-même écrit. Puisque j’étais le seul à avoir rassemblé tous les indices de ladite « affaire Hyouka », il avait été convenu que je rédigerais la majorité de la rubrique qui lui était consacrée.
Mais comme personne ne savait vraiment ce que faisait le club de littérature classique, le contenu de l’anthologie était assez hétéroclite. Inutile même de l’ouvrir : on devinait d’un coup d’œil de quoi il retournait. Chitanda et moi avions écrit à propos de l’affaire Hyouka. Ibara avait rédigé un article sur un manga qu’elle admirait. Et Satoshi, fidèle à lui-même, avait pondu une chronique sur une blague liée à un paradoxe classique.
Comme il fallait le faire, j’avais voulu m’en débarrasser vite, mais cela ne voulait pas dire que je n’avais aucun attachement à ce recueil. Si possible, j’aimerais éviter que ces deux cents exemplaires ne finissent à la poubelle, considérés comme des déchets encombrants une fois le Festival terminé.
Même sans tenir compte de mon attachement personnel, rien que de penser à la tête qu’auraient Chitanda ou Ibara si elles voyaient tout cela finir à la benne me déprimait.
C’est pourquoi je plaçais de grands espoirs en Chitanda et en Satoshi. Si, de leur côté, ils parvenaient à inventer une campagne de communication géniale à laquelle je n’aurais pas songé, je serais prêt à tolérer que mon paisible rôle de gardien de stand soit troublé par un afflux de visiteurs.
En attendant, j’avais décidé de profiter de ce calme. Je laissai mon corps se relâcher, fermai les yeux, posai ma tête sur la table et m’abandonnai doucement à la somnolence.
Une mélodie s’éleva.
Un chant doux, harmonieux.
Bien plus agréable que l’électro tribal du club de breakdance. C’était forcément le club d’a cappella, qui chantait dans la cour centrale. Je me redressai légèrement et m’approchai de la fenêtre. Sans doute avaient-ils l’habitude, car dès le début, cela avait suffi à attirer de nombreux élèves aux fenêtres des différents bâtiments.
Ils étaient cinq, alignés en uniforme. L’un d’eux s’avança, scruta la cour, puis s’inclina en direction de ceux qui les observaient depuis les fenêtres. On applaudit, il regagna sa place, et le chant reprit.
Donc ce qu’on avait entendu tout à l’heure, c’était juste une répétition ? Dès les premières notes, j’avais senti leur chant me détendre. Un peu comme une berceuse… capable d’endormir un lion.
*Baille*
…Impressionnant. Avec leur chant, mon corps déjà somnolent se laissait doucement hypnotiser… On aurait dit une véritable berceuse…
Appuyé contre l’appui de fenêtre, je luttais pour ne pas m’endormir. Juste au moment où je pensais qu’une petite sieste ne serait pas de refus, la chanson se termina. Une nouvelle salve d’applaudissements monta du bâtiment général au bâtiment spécial. J’ouvris les yeux et applaudis à mon tour. L’un des chanteurs s’inclina de nouveau, puis rejoignit ses camarades près d’une glacière, qu’un autre venait d’ouvrir. Je n’y voyais pas très bien, mais il semblait qu’ils buvaient des boissons en bouteille. Une pause rafraîchissante bien méritée entre deux morceaux.
— Heu… ?
Hmm ?
Quelque chose clochait. Le club d’a cappella semblait agité. Ils pointaient la glacière et s’exclamaient en boucle. Ils secouaient la tête et jetaient des regards perplexes à l’intérieur. Un problème ?
En tout cas, il était clair qu’ils n’allaient pas chanter leur deuxième morceau tout de suite. Inutile de rester à la fenêtre. Je me réinstallai à ma place, bâillant de plus belle, prêt à guetter les visiteurs.
Tout en baillant, je sentis ma mâchoire me tirailler.
Quelqu’un apparut dans l’encadrement de la porte ouverte.
Wow. Voilà un visiteur… remarquable.
Il portait une chemise en lambeaux maintenue par des épingles à nourrice, et était couvert d’accessoires argentés aux doigts et dans les cheveux. Un punk quoi. Son regard semblait hésitant. Qu’est-ce qu’il venait faire ici ?
Alors que je l’observais avec suspicion, il demanda d’un ton hésitant :
— Heu, qu’est-ce que vous proposez ici ?
— Ici ? …Ah, on vend une anthologie.
— Une anthologie ?
Il tourna les yeux vers la montagne de Hyouka. Ce n’est que maintenant qu’il remarquait cette masse brunâtre empilée devant lui.
— Ça fait une sacrée pile, dis donc.
— …C’est toute une histoire. On n’avait pas prévu d’en vendre autant.
— Je vais en prendre un.
Hein ? Un client ?!
Mes manières ! Vite, mes manières !
— Ça fera 200 yens, s’il te plaît.
Argh, je suis pas du tout dans le ton. On en demande trop à moi.
Mais le punk ne sembla pas s’en offusquer. Il sortit son portefeuille. Pour une raison quelconque, il baissa la tête d’un air honteux en prenant l’exemplaire de Hyouka que je lui tendais. Peut-être qu’il ne faisait que passer le temps en flânant ? Mais soudainement, son expression changea du tout au tout.
— Hé, m,-mais c’est quoi ce truc !?
Hein ? Quoi ? Y a un cafard dans ton exemplaire de Hyouka ?
Non, en fait, il fixait l’objet posé à côté de la pile : le stylo-plume cassé. Comme s’il venait de découvrir un trésor, il le saisit avec révérence.
— C’est parfait ! Ça ira très bien !
Il rayonnait d’un coup, tandis que je le regardais, impassible.
Oubliant toute forme de politesse, je lui demandai sans détour :
— Qu’est-ce qu’il a de spécial, ce stylo inutile ?
— Hein ? Oh, désolé.
Le punk reprit ses esprits.
— Je suis du club de mode, on fait du design vestimentaire. Et j’ai oublié de prendre un accessoire pour ma poche poitrine. Un mouchoir blanc aurait fait l’affaire, mais ça aurait été trop banal. Et là, j’avais plus le temps. Alors je tournais en rond… Tu vois où je veux en venir ? Si je le mets dans ma poche poitrine, ça le fait, non ?
Il souriait en caressant le stylo et le regardait sous toutes les coutures.
Bon, s’il aime à ce point cette camelote alors peut-être aura-t-elle une utilité, finalement.
— Tu peux le garder.
— V-vraiment ?
Il fouilla alors dans ses poches.
— Tiens, je te donne ça en échange.
Il en sortit une sorte de badge. Plutôt une plaquette en plastique numérotée avec une épingle à nourrice derrière. Un design tout simple.
Alors que je me demandais ce que c’était, il me dit :
— C’est un badge VIP pour notre défilé de mode. Tu n’as qu’à le montrer et venir dans la salle du club. On s’occupe de te coordonner une tenue normale. Et t’inquiète, même si on appelle ça un défilé, tu n’auras pas besoin de faire une démarche de mannequin. Voilà, à bientôt !
Il avait l’air de fuir en disant ça. Même sans se presser autant, je n’avais pas prévu de répondre. D’ailleurs, vu sa tenue, est-ce que je devais vraiment m’attendre à un style normal ?
Je tenais le badge dans ma main, songeant à ce qu’il venait de dire. En gros, si je vais dans la salle du club de mode avec ça, ils me transformeront en mannequin.
Pas intéressé.
Je le posai au centre de la table.
…Enfin, il était tout de même notre tout premier client. En comptant les deux exemplaires que chacun des membres du club de littérature classique avait pris, un pour le professeur référent et un à archiver, cela faisait dix exemplaires écartés. Il restait donc 189 exemplaires.
C’était un début. Un vrai progrès. Satisfait, j’ouvris la bouche pour bailler à nouveau, tandis que le club d’a cappella reprenait un chant. Cette fois, une chanson pop au tempo rapide.
Hmm. Pas vraiment une berceuse, cette fois.
Exemplaires restants : 189
012 – ♥ 03
Peu importait laquelle des six chansons ils interprétaient, le club d’a cappella était tout simplement exceptionnel. Ils étaient si bons que j’en avais mal aux mains à force d’applaudir.
Il ne faisait aucun doute que le choix de se produire dans la cour centrale leur avait permis de faire résonner leurs voix magnifiques dans tout le lycée. Peut-être avaient-ils testé plusieurs emplacements à l’avance pour déterminer lequel avait la meilleure acoustique ? Cela m’intriguait un peu.
Satisfaite, je m’éloignai de la fenêtre. C’est alors que je réalisai quelque chose, et regardai ma montre au poignet.
…Hein ?
Oh non, il est déjà si tard ? Presque midi ! Comment le temps avait-il pu passer aussi vite ? Il faut vraiment que j’arrête de me laisser distraire par tout ce qui attire mon attention, sinon je ne finirai jamais ce que j’ai à faire.
Me ressaisissant, je quittai la fenêtre à grandes enjambées.
En regardant de nouveau vers le couloir, je vis une curieuse bannière du club des charmes et amulettes, le panneau du club d’artisanat auquel Fukube-san avait mis tant d’efforts, et une affiche plutôt originale du club de photographie, composée d’un photomontage…
N’existerait-il donc aucune paire de lunettes capable de me faire voir uniquement ce qu’il y a droit devant moi, sans me laisser distraire par tout ce qu’il y a autour ?!
[1] Personnage de Nous sommes onze ! (11人いる!, Jūichinin iru!?). Un shôjo manga de science-fiction écrit et dessiné par la fameuse Moto Hagio entre 1975 et 1977.
[2] Le rakugo (落語, littéralement « histoire (ou parole) qui a une chute ») est une forme de spectacle littéraire japonais humoristique qui date du début de l’époque d’Edo (1603-1868). C’est une forme de stand up traditionnel ou l’on se met sur scène en seiza (sur les genoux).
[3] Le manzai (漫才?) est une forme de comédie au Japon, qui implique généralement un duo comique : le tsukkomi, le personnage sérieux, intelligent, rationnel, et le boke, le personnage fruste, outrancier et désordonné
[4] Vêtement féminin chinois d’origine mandchoue
[5] Costume moderne chinois de type tunique, c’est un style vestimentaire masculin autrefois appelé en Chine costume Zhongshan d’après le nom du dirigeant républicain Sun Yat-sen (également connu sous le nom de Sun Zhongshan).
[6] Dans le folklore chinois c’est un cadavre partiellement animé, susceptible de se déplacer par bonds, mû par sa propre énergie ou la magie d’un maître taoïste
[7] Zeami (世阿弥, 1363-1443), de son nom complet Zeami Motokiyo est un acteur et dramaturge japonais, ainsi que le théoricien du nô et l’un des grands dramaturges de l’histoire du théâtre japonais.
[8] Kan’ami Kiyotsugu (観阿弥 清次, 1333–1384,) de son vrai nom Kanze Kiyotsugu (観世 清次), est un acteur de théâtre japonais, qui jeta les bases du théâtre nô.