Hyouka t3 - cHAPITRE 2 : partie 3
Les affaires qui s’accumulent
(2.3) Encore une tempête
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Traduction : Raitei
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020 – ♦ 04
À l’origine, je voulais simplement me faire discrète.
Je n’avais aucunement l’intention de me disputer avec qui que ce soit.
Tout a commencé lorsque Kouchi-senpai a dit à la présidente Yuasa, alors que le flot de visiteurs commençait à diminuer :
— Finalement, c’était une erreur de vendre un truc aussi banal. Personne ne vient. Mais ce n’est pas trop tard pour se rattraper. On devrait afficher un poster d’un personnage d’anime à l’extérieur. Comme on ne fait rien, ça ne nous prendrait pas longtemps à dessiner.
Je ne croyais pas que le manque de clients venait de là. L’anthologie se vendait plutôt bien. En revanche, c’était vrai que le stand n’était pas des plus animés, même si je tentais de le voir positivement.
Je n’étais pas fondamentalement opposée à l’idée d’un poster avec un personnage d’anime pour attirer les clients. Au moins c’était toujours mieux que de se déguiser de façon provocante pour appâter les garçons.
Mais ce que je ne supportais pas, c’était de la voir entraîner la présidente là-dedans, maintenant qu’elle était encerclée par les sbires de Kouchi-senpai. On aurait dit qu’on lui faisait des reproches.
La présidente Yuasa continuait à sourire calmement, mais je me demandais ce qu’elle ressentait vraiment.
— Tu as peut-être raison, mais c’est ce que nous avions décidé.
— Décidé, peut-être, mais pas à la majorité. D’abord, c’est quoi cette anthologie ? Un avis sur cent titres de mangas, c’est tellement ennuyeux, qui va lire ça franchement ? On aurait mieux fait de faire plus de parodies.
Il me semble que quelqu’un avait suggéré que chaque membre du club crée sa propre parodie. À l’heure actuelle, quelques-unes étaient exposées sur les stands. S’il y en avait si peu, c’était surtout parce que beaucoup ne se sentaient pas prêts à exposer leur travail au Festival Culturel ou avaient peur de perdre de l’argent. Mais rejeter la faute sur l’anthologie Zeami était absurde.
Qu’on me dise que personne ne lirait l’anthologie sur laquelle j’avais travaillé si dur fit planer une tension délicate dans la pièce. Pour commencer, le groupe de Kouchi-senpai n’avait absolument rien fait pour Zeami. Par « rien fait », j’entendais bien qu’elle et son groupe avaient tout délégué. Même quelqu’un d’aussi paresseux que Houtarou avait pris le temps d’écrire son article tout en râlant tout du long. Mais ici, les sbires de Kouchi-senpai n’avaient tout simplement rien fait. Et maintenant, pas un seul d’entre eux ne s’était proposé pour aider à la vente. Il y avait plusieurs membres du club que ce genre d’attitude écœurait.
La seule raison pour laquelle ce ressentiment n’avait pas éclaté jusqu’ici, c’était que Kouchi-senpai avait elle-même rédigé un article assez intéressant et avait fait preuve d’une certaine implication. Elle n’avait même pas vanté le fait de l’avoir terminé en une journée.
En croisant ses bras dans ses longues manches de prêtresse taoïste, Kouchi-senpai leva les yeux au ciel comme pour prêcher une vérité absolue.
— Même si on part du principe qu’il n’existe pas de manga ennuyeux, ce serait comme relire cent fois un manga intéressant. À force, tout le monde s’en lasserait. Ça n’a strictement aucun sens, vous ne croyez pas, non ?
Elle cherchait l’approbation de ceux qui l’entouraient. Quelques murmures à peine audibles montèrent de la part de ses suiveurs.
Si vous voulez jouer les béni-oui-oui, autant le faire franchement.
Mais dire que ça n’avait aucun sens, c’était…
Certains membres tournèrent les yeux vers le comptoir de vente où j’étais assise… J’étais bien la seule à ne pas être d’accord avec Kouchi-senpai, mais je préférerais qu’ils évitent de me regarder comme ça.
Kouchi-senpai reprit :
— Et puis, on devrait attirer les gens avec un personnage d’anime, n’est-ce pas ? Pourquoi c’est cette anthologie déprimante qui doit être la pièce maîtresse ? Il nous faut quelque chose de plus tape-à-l’œil.
Elle posa alors son regard sur les autres membres, en dehors de ses fidèles. Même alors que je restais silencieuse au comptoir, nos regards se croisèrent.
Je ne savais pas si c’était mon imagination, mais les coins des lèvres de Kouchi-senpai se relevèrent lorsqu’elle croisa mon regard. M’avait-elle provoquée ?
Ce sourire, était-ce vraiment une provocation ?
Est-ce que Fuku-chan me ferait confiance ? La pensée me traversa l’esprit qu’il ne le ferait pas. Pourtant, depuis le début du Festival Culturel, j’avais sagement gardé ma place au sein du club de manga, en prenant soin aussi de gérer l’anthologie du club de littérature classique.
Mais j’étais à bout. Je ne comprenais même pas comment j’en étais arrivée là. Moi-même, je fus surprise de la froideur de ma voix quand je lançai, toujours assise :
— Que veux-tu dire exactement en affirmant que tout ça n’a aucun sens, senpai ?
Kouchi-senpai, comme si elle s’attendait à une réponse, tourna le dos à la présidente Yuasa et répondit avec un sourire :
— C’est juste inutile, que ce soit intéressant ou pas. Tu vois ce que je veux dire, non ?
— Je comprends ce que tu dis, mais je ne vois pas comment tu arrives à cette conclusion. J’ai passé beaucoup de temps à travailler sur cette anthologie, et je ne suis pas la seule. Je ne cherche pas qu’on reconnaisse nos efforts, mais si tu déclares que tout cela est inutile et n’a aucun sens, alors explique-moi au moins pourquoi.
D’un côté, Kouchi-senpai avait l’air parfaitement calme. De l’autre, moi, probablement nerveuse, je devais passer pour une idiote aux yeux d’un observateur extérieur. Avec un sourire en coin, elle fit un pas vers moi.
— Ouais, j’ai peut-être eu tort de dire que ça n’avait aucun sens. Désolée, Ibara. Je voulais plutôt dire que ça nous était nuisible. J’ai certes été un peu trop agressive.
— Que ce soit l’un ou l’autre, j’aimerais quand même savoir ce qui te fait penser ça.
— Eh bien, j’y ai réfléchi.
Elle accompagna ses propos d’un geste de la main, comme pour illustrer son raisonnement devant tout le monde.
— Tous les mangas ne deviennent pas des classiques. Ce n’est pas parce que tu aimes un titre qu’il en devient un. Neuf cent quatre-vingt-dix-neuf personnes sur mille peuvent penser que c’est nul. Et malgré ce quasi consensus, tu choisis de mettre en avant ton avis personnel ? C’est ça, ce que j’appelle « nuisible ».
Je ne savais pas quoi répondre immédiatement. Une fille du club, debout à mes côtés, s’emporta :
— Et comment peux-tu être si sûre que c’est subjectif !?
Je comprenais ce qu’elle ressentait, mais ce n’était pas le bon moment pour intervenir. Pourtant, Kouchi-senpai se contenta de lui jeter un regard, puis l’ignora. Elle aurait pu facilement retourner l’accusation en définissant ce qu’est réellement un biais, mais elle ne le fit pas.
Ce qui signifiait qu’elle n’avait pas l’intention d’éluder le débat.
J’avalai ma salive et dis :
— Alors si je comprends bien, tu dis qu’on a fait preuve de subjectivité ?
— Exact.
— Donc, selon toi, il est nuisible de penser que tout manga peut être considéré comme un classique simplement parce qu’on l’apprécie personnellement, puisque ça reviendrait à dire qu’il est inutile de les critiquer ?
Kouchi-senpai acquiesça, visiblement satisfaite.
— C’est exactement ça.
— Mais…
J’étais sur le point de répliquer quand je vis une main bouger. Devant moi, la présidente Yuasa retirait une pile de Zeami. Cela ne me dérangeait pas. Il y avait une faille flagrante dans l’argumentaire de Kouchi-senpai. L’avait-elle remarquée ? Malgré le malaise, je m’efforçai de garder une voix posée :
— Dans ce cas, ne serait-il pas tout aussi nuisible de penser que tout manga peut être jugé mauvais d’un point de vue subjectif, et qu’il serait donc inutile d’en apprécier un ?
Il lui était impossible d’approuver ça. Et si elle ne le faisait pas, elle devrait reformuler sa logique. Pourtant, face à cette contradiction, Kouchi-senpai esquissa un grand sourire.
— Oui.
— Quoi… ?
Je restai bouche bée. Même ses partisans commencèrent à murmurer, troublés. Cette réponse avait quelque chose de vertigineux. Personne ne comprenait ce qu’elle avait en tête.
Profitant de mon désarroi, Kouchi-senpai reprit gaiement :
— Mais c’est vrai, non ? C’est ce que tu penses toi aussi.
— Un manga qu’on juge ennuyeux ne l’est pas nécessairement. Cela signifie simplement que la personne a une faible sensibilité à ce genre. Ceux qui n’osent pas s’exprimer franchement diront plutôt : « ce n’est pas pour moi » au lieu de « c’est nul ».
— C’est pareil pour les mangas qu’on dit intéressants. Ce n’est pas le manga en soi qui est captivant, c’est juste que la personne a une sensibilité plus élevée à ses qualités. Tu ne crois pas ?
Depuis quelque temps, j’avais toujours trouvé Kouchi-senpai un peu téméraire. Elle avait beaucoup d’admirateurs au sein du club de manga, mais je ne pouvais m’empêcher de les mépriser un peu. Et à présent, je comprenais pourquoi. Kouchi Ayako-senpai était ce genre de personne.
Je ne peux pas perdre face à elle… Je ne peux tout simplement pas.
Au départ, je voulais juste lui répondre parce qu’elle avait insulté l’anthologie pour laquelle on y a mis du cœur. Mais à présent, c’était devenu autre chose : elle riait des fondements mêmes de ce en quoi je croyais. Et je n’étais pas du genre à hausser les épaules et ravaler ça avec un sourire. Une irrépressible envie de riposter monta en moi. Je me léchai les lèvres et rétorquai :
— Donc tu es en train de dire qu’il n’existe pas de mangas qu’on puisse qualifier de classiques ou de chefs-d’œuvre ? Dans les autres arts, la musique, la peinture, la littérature, on parle bien de classiques. Tu insinues que ça n’existe pas non plus ? Ou c’est uniquement pour les mangas que ça ne s’appliquerait pas ?
Comme beaucoup de membres du club de manga, je ne pensais pas que le manga, en tant que médium, présentait des défauts qui le rendraient intrinsèquement incapable d’atteindre cette reconnaissance.
Même Kouchi-senpai ne pouvait pas affirmer qu’un manga, parce qu’il est un manga, ne pouvait pas devenir un classique.
Et effectivement, elle ne le fit pas.
— Je n’ai jamais dit qu’il n’existait pas de classiques ou de chefs-d’œuvre dans le manga.
— Pourtant, c’est ce que tu laisses entendre. Que peu importe comment on regarde une œuvre, c’est toujours nul.
— Oui, c’est bien ça.
Elle perdit son sourire moqueur et dit :
— Ce sont les œuvres qui ont été analysées pendant des années par la critique et qui ont su traverser l’épreuve du temps. Ce sont elles qu’on appelle des « chefs-d’œuvre ». Si on ne parle pas de ce que la majorité considère comme des valeurs sûres, alors ce sont les œuvres qui rassemblent le plus large consensus, ce qui revient au même. Donc je vais être franche : c’est absurde que le club de manga prétende faire de la critique en décrétant qu’un titre est génial et qu’un autre est nul. On ne fait que dire ce qui nous passe par la tête. Il vaudrait mieux laisser tomber ça et simplement profiter de nos lectures.
— Dans ce cas…
Je répliquai sans même réfléchir :
— Tu refuses donc de reconnaître l’existence des génies qui ont créé ces chefs-d’œuvre ? Tu refuses de reconnaître que leurs œuvres méritent d’être transmises de génération en génération ?
— Épargne-moi ton discours, Ibara. Bien sûr que je ne les reconnais pas. C’est bien ce que je dis : tout cela n’est que subjectif. J’ai déjà dit que les chefs-d’œuvre sont ceux qui traversent l’épreuve du temps.
…
Le regard de Kouchi-senpai était devenu plus perçant. Et moi aussi, sans doute, je la foudroyais du regard, haletante.
Je compris alors que le moment était venu de sortir mon dernier atout.
Les trésors que je possédais… je devais les lui montrer pour la contredire. Sinon, il me faudrait renier ces trésors eux-mêmes. J’étais réticente à en arriver là, mais je n’avais plus le choix. Alors, d’une voix lente, je dis :
— Tu te trompes.
— En quoi ?
— Cela n’a rien à voir avec une question de subjectivité. Tu oses dire de telles absurdités parce que tu n’as jamais ressenti ce que j’ai vécu. Il y a un manga, un seul, qui est si extraordinaire que je n’ai encore rencontré personne qui ne pense pas comme moi à son sujet.
— Oh, Rien que ça ?
Elle avait pris un ton plus sombre, engoncée dans son costume de jiangshi. Mais sans me laisser démonter, je poursuivis :
— Si je suivais ta logique, même le manga que j’ai dessiné serait au même niveau que n’importe quel autre. Mais c’est faux. Il n’est pas question que mon œuvre soit comparée à celle-là. Ce manga, c’est quelque chose qui ne pourra jamais être balayé par le temps.
— Alors, senpai, est-ce que tu as déjà lu Cendres au crépuscule[1], celui qui avait été vendu au Festival Culturel l’an dernier ?
Je remarquai que Kouchi-senpai venait de perdre son flegme habituel. Son expression, tendue comme si elle s’apprêtait à m’étrangler, fut brève :
— …Non.
— Dans ce cas…
Si ça ne marche pas, tant pis. Si elle refuse de reconnaître la valeur de mon trésor, alors je devrai me résigner.
— Je te l’apporterai demain. Si tu penses encore la même chose après l’avoir lu, alors je n’aurai plus rien à dire.
Pfiou… Je poussai un soupir. C’était la seule issue pour que la vérité soit dite. Et je soupirai à nouveau, en songeant que je venais sans doute de ruiner mes chances de demander l’aide du club de manga pour vendre Hyouka.
C’est alors que je m’en rendis compte, et dis :
— Qu’est-ce que… qu’est-ce qui se passe ici ?
La salle s’était subitement remplie. Un instant plus tôt, seuls les membres du club de manga étaient présents, et à présent, la pièce débordait de clients. Hein ? Pourquoi ? Quand sont-ils entrés ? M’auraient-ils observée tout ce temps pendant que je me disputais ?
Je regardai les clients : tous évitaient mon regard et, comme s’ils s’en excusaient, commencèrent à faire la queue pour acheter Zeami. Chaque pile contenait dix exemplaires. Je vis déjà deux piles être écoulées, et la présidente Yuasa apporter une nouvelle pile pour les remplacer.
Heu…
Je pris une profonde inspiration, forçai un sourire et déclarai :
— Bienvenue.
Les curieux qui m’observaient détournèrent aussitôt les yeux. Peut-être avais-je parlé un peu brusquement, et maintenant ils me prenaient pour une fille dangereuse ?
Si c’était un manga, j’aurais sûrement déjà eu des veines qui sortent du front.
021 – ♥ 05
Maintenant à l’affiche :
Le duel des demoiselles !
Débat théorique sur le manga
(La Jiangshi contre l’hermaphrodite)
…De quoi pouvait bien parler cette affiche ? Les lettres énormes et branchées en tout cas ne passaient pas inaperçues. Comme je passais dans le coin, je m’étais dit que j’irais rendre visite à Mayaka-san au club de manga, mais cette étrange affiche m’avait happé l’attention.
Ce « duel des demoiselles » aurait-il déjà commencé ? J’étais sur le point de jeter un œil à l’intérieur quand une élève sortit de la salle. Je la reconnus aussitôt : c’était la présidente du club de manga, Yuasa Naoko-san.
— Heu, c’est quoi ça ? demandai-je en désignant l’affiche.
Yuasa-san m’adressa un sourire doux tout en arrachant lentement le papier, puis se tourna vers moi, un peu désarçonnée, et répondit :
— Ah, c’est terminé. Nous recommencerons demain à treize heures, alors n’hésite pas à repasser. Le club de manga te souhaite une excellente journée.
Je vois.
Heu…
…Le club de littérature classique te souhaite également une excellente journée.
022 – ♠ 06
L’aiguille approchait bientôt les cinq heures. La première journée touchait à sa fin.
Les membres du club de littérature classique, dispersés aux quatre coins du campus, étaient à présent de retour dans la salle de géologie. Chitanda et Satoshi étaient passés plusieurs fois au cours de la journée, mais c’était la première fois que je revoyais Ibara depuis ce matin.
Comme j’avais eu pas mal de temps libre, j’en avais profité pour ranger les exemplaires restants de Hyouka dans les cartons et les dissimuler à la vue. Pour celui qui gère le stand, ce ne serait pas très engageant si les clients voyaient qu’on peinait à écouler notre stock.
— Alors, qu’en dis-tu ? Mon discours a eu un petit effet, non ? lança Satoshi.
Moins optimiste que lui, je répondis d’un ton neutre :
— On peut dire ça.
— Eh, vraiment ?
Je hochai la tête. Pour être honnête, juste après sa tirade, quelques clients étaient effectivement venus. En soi, son argumentaire n’avait pas grand sens. Je ne savais pas ce qu’il avait trouvé de si amusant à cette compétition, mais son effort avait au moins donné un petit coup de pouce à nos ventes.
Satoshi fit un geste de victoire.
— Parfait ! On donnera tout demain aussi. On participe au concours de cuisine demain matin.
Ibara réagit d’un ton désinvolte face à sa bonne humeur :
— Celui où il faut former une équipe de trois, c’est ça ?
— Hein ?
Le sourire de Satoshi se figea.
— Trois personnes ? Sérieux ? dit-il en fouillant précipitamment dans le programme.
Pas terrible pour quelqu’un du Comité d’organisation d’ignorer ce genre de détails. Pendant ce temps, Chitanda avait l’air abattue.
— Je suis désolée… Je n’ai pas été à la hauteur…
— Ne t’en fais pas trop pour ça.
Pour être franc, je ne m’attendais pas à grand-chose de sa part. Non pas à cause de ses capacités, mais parce que je doutais que nous puissions obtenir une autorisation spéciale pour modifier un événement déjà planifié. Alors qu’elle baissait les yeux, elle sembla se rappeler quelque chose, et releva brusquement la tête.
— Oh, mais… j’ai trouvé quelque chose d’assez curieux.
Quelque chose de curieux ?
Je frémis à l’entente de ce mot. À chaque fois que cette fille prononce « curieux », plus rien ne redevenait comme avant. Chez quelqu’un d’aussi animé par la curiosité, il était impossible d’ignorer que cela ne sera pas sans conséquence.
Chaque fois qu’elle trouvait une affaire étrange, cela nous avait valus… enfin, m’avait valu… pas mal de remue-ménage.
Ces souvenirs me revinrent d’un coup.
Mais ce n’était clairement pas le moment. Une fois lancée, elle devenait inarrêtable. Cela dit, Chitanda n’était pas du genre à foncer tête baissée au nom de la curiosité. Si d’autres tâches l’attendaient, elle ne reléguait pas tout au second plan pour autant.
Comme si elle avait conscience de sa propre dangerosité, elle tourna les yeux vers la boîte contenant les exemplaires de Hyouka.
— …Oh, rien. Ce n’est pas si curieux que ça, finalement, dit-elle.
Ouf. Quel soulagement.
Restait Ibara, visiblement de mauvaise humeur. Même si c’était habituel chez elle, on sentait qu’elle avait quelque chose à dire, mais s’en retenait. Elle ne prononçait pas un mot, mais ses lèvres remuaient comme pour murmurer quelque chose. C’était impossible de ne pas le remarquer.
— Ibara, il s’est passé quelque chose au club de manga ?
Je finis par demander.
— Non, rien.
Elle me jeta un regard noir, agacée. Est-ce que j’avais dit quelque chose qu’il ne fallait pas ? Pourtant, son visage n’était pas rouge, elle ne semblait pas vraiment en colère.
— Alors, Houtarou, combien on en a vendu ?
À sa question, je me laissai aller contre le dossier de ma chaise et répondis :
— Treize.
C’était la meilleure façon de formuler ça. Si nous avions imprimé les vingt-quatre exemplaires initialement prévus, cela aurait été un bon chiffre pour une première journée. Quoi qu’il en soit, la vraie bataille commencerait le troisième jour, samedi.
Mais je ne le précisai pas, de peur de déclencher une remarque acerbe d’Ibara ou bien de voir Satoshi s’exclamer avec son sourire habituel : « Vraiment ? »
Il restait deux jours… Ce n’était pas comme si on allait soudainement mobiliser la foule. Et inutile d’espérer un miracle à ce stade.
La cloche retentit, annonçant la fin du premier jour du Festival Culturel de Kamiyama.
Exemplaires restants : 177
[1] Aussi intitulé « Un cadavre le soir » dans l’animé. Nous avons opté pour le choix du novel, « Ashes at dusk » mais les deux revêtent la même idée en japonais. Ce manga (ici un dôjinshi) n’existe pas réellement.