COTEY3 T2 - ÉPILOGUE

Vers un nouveau chapitre

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Traduction : Calumi
Correction : Raitei
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Épilogue

Vers un nouveau chapitre (Horikita)

 

Fin mai, un samedi, à l’approche de 11h, je quittai ma chambre pour me rendre à mon rendez-vous. Au moment où je sortais du hall du dortoir, la voix de la personne avec qui j’avais rendez-vous me parvint à l’oreille.

Karuizawa — Bonjour, Horikita.

Karuizawa afficha un sourire. Il semblait qu’elle était arrivée un peu en avance sur l’heure convenue.

Moi — Bonjour. Désolée de t’avoir invitée si soudainement hier soir.

Comme les mots le disaient, je lui avais envoyé un message hier soir pour la convier à sortir. Qu’elle eût déjà quelque chose de prévu n’aurait rien eu d’étonnant vu le nombre d’amies qu’elle avait, mais elle avait accepté mon invitation de bon cœur.

Karuizawa — Aucun problème. Au contraire, être invitée par toi, Horikita, c’est assez nouveau. Ça me fait plaisir.

Karuizawa ajouta « j’ai hâte », puis me sourit.

Karuizawa — Mais… pourquoi tu as ton uniforme, Horikita ?

Moi — J’ai des affaires du Conseil à régler. Je dois m’y rendre avant 14h.

Il était strictement interdit de porter des vêtements décontractés dans le bâtiment scolaire. Si je n’étais pas en uniforme, il me faudrait rentrer me changer après. Cela aurait été une contrainte de temps considérable. De toute façon, même le week-end, certains élèves se rendaient à leurs clubs, certes peu nombreux. Mais ainsi, le port de l’uniforme ne se faisait pas remarquer.

Karuizawa — C’est dur d’être présidente. Je n’y arriverais jamais.

Répétant à mi-voix « non, non », elle tourna les yeux vers le centre commercial.

Karuizawa — Alors, qu’est-ce qu’on fait aujourd’hui ? En fait, j’ai assez hâte de jouer les chevaliers servants pour toi, Horikita.

Moi — Désolée de te décevoir mais si je t’ai invitée, ce n’est pas pour nous amuser.

Après cette brève excuse, Karuizawa sembla penser à quelque chose et écarquilla les yeux de surprise.

Karuizawa — Ah… tu veux te renseigner sur Ayanokôji ?

Moi — Tu es perspicace. C’est aussi l’un de mes objectifs.

Karuizawa — Après tout, l’examen spécial s’est bien terminé. Je me doutais que ça pourrait arriver. Mais même s’il s’agit de lui, je ne peux pas te promettre que je pourrai vraiment t’aider, d’accord ?

Moi — Je le sais. Mais si même toi tu l’ignores, je n’aurai d’autre choix que d’abandonner.

Parmi toutes les personnes dont je connaissais la situation, celle qui comprenait le mieux Ayanokôji était sans conteste Karuizawa.

Karuizawa — Ok. Vas-y, pose tes questions. Tout ce que je sais, je te le dirai.

Après avoir dit cela, Karuizawa sembla réfléchir de nouveau un instant, se gratta la tête et s’empressa d’ajouter.

Karuizawa — Désolée, je ne pourrai peut-être pas tout dire. Mais je pourrai t’en dire la plupart, hm.

Elle se reprit, les joues rougies. Sa réaction m’intrigua un peu, mais tant qu’elle me confiait ce qu’elle acceptait de dire, cela me suffisait.

Moi — Merci.

Qu’elle se montre aussi conciliante, non, disons plutôt aussi empressée, me soulagea.

Moi — Je ne cherche pas à déterrer de grossiers secrets ni des mensonges. Je te dirai pourquoi je veux comprendre Ayanokôji et ce que j’en pense. J’aimerais que tu m’écoutes attentivement.

Karuizawa — Bien sûr. Ne te fie pas aux apparences : je sais garder ma langue. Vas-y, dis-moi tout.

Je la croyais sur ce point. J’énonçai alors les noms de Kushida et d’Ibuki, et lui expliquai que j’avais l’intention de vaincre Ayanokôji, en commençant par l’étudier. Pour cela, je comptais remonter à ses origines. J’exposai à Karuizawa, point par point, mon idée.

Karuizawa — Je vois, je vois. En fait, moi aussi… hum, Kiyotaka… ah, non, non… avant de sortir avec Ayanokôji, je me demandais souvent comment il avait été au collège, donc je comprends ce que tu ressens. Au fait, désolée, ça m’arrive encore de l’appeler Kiyotaka.

Moi — Cela ne me gêne absolument pas. Si c’est difficile de changer, tu peux continuer à l’appeler ainsi.

Karuizawa — Non. C’est ma façon de tourner la page.

Moi — Je vois…

Karuizawa — J’ai beau être sortie avec Ayanokôji, pour être franche, les informations que j’ai ne doivent pas vraiment différer des tiennes. J’ai tenté plusieurs fois d’en savoir plus sur son passé, mais il ne m’a jamais vraiment répondu.

Moi — Il ne t’a pas dit non plus dans quelle préfecture il vivait avant, ni quel collège il fréquentait ?

Karuizawa — Non. J’ai pourtant essayé de lui demander ses plats préférés ou ceux qu’il déteste, le style de vêtements qu’il aime…

Adoptant l’air de quelqu’un qui fouillait dans sa mémoire, Karuizawa me rapporta les informations qu’elle avait entendues ou observées.

1

À notre arrivée au centre Keyaki, nous poursuivîmes la conversation en flânant dans la galerie. J’allais proposer de manger un morceau lorsque…

Moi — J’avais un autre objectif aujourd’hui en venant te voir. Et, coup de chance, nous venons justement de tomber dessus.

Karuizawa — Qu’est-ce que tu veux dire ?

Je tournai le regard dans une direction et, d’un signe, l’invitai à suivre ma ligne de mire, tandis qu’elle demeurait perplexe.

Karuizawa — …Amasawa ?

C’était bien elle : une élève aux cheveux rougeâtres coiffés de deux couettes. Karuizawa murmura son nom.

Moi — Amasawa Ichika a eu des liens par le passé avec Ayanokôji, alors j’enquête.

Karuizawa — Ah… je vois.

À mes côtés, Karuizawa ne se montra pas surprise ; elle adopta plutôt une attitude compréhensive.

Horikita — Tu saurais ce qui les lie ?

Karuizawa — Non, pas du tout. Mais je les ai déjà vus parler tous les deux. J’ai toujours eu l’impression qu’ils se connaissaient d’avant.

Il semblait que nos informations ne différaient guère, mais cela raffermit d’autant ma résolution. Dans une enquête appelée à durer, rencontrer quelqu’un qui partageait la même intuition constituait sans doute un encouragement.

Karuizawa — Alors on la suit ? On va vraiment la prendre en filature ?

Moi — …À t’entendre, on dirait que ça t’amuse.

Karuizawa — Qui n’aime pas les histoires d’espionnage, franchement ?

Passons. Passons. Considérer cela comme un prolongement du jeu ne serait peut-être pas si mal… Malheureusement, l’intéressée semblait liée à Ayanokôji et n’avait rien d’une élève ordinaire. Si elle nous remarquait, il y avait de fortes chances que la piste se rompe, et le plaisir que nous pouvions en tirer s’évanouirait avec.

Moi — Pour commencer, laisse-moi te dire ce que j’ai appris récemment au sujet d’Amasawa.

Ces derniers jours, à force de l’observer après les cours, je constatai une chose. La plupart du temps, elle agissait seule. Je ne l’avais jamais vue rester avec des camarades ou des amis. Bien sûr, quiconque, garçon ou fille, l’abordait recevait d’elle un sourire, mais, au bout d’un moment, elle se retrouvait de nouveau seule. Elle ne rejoignait jamais les groupes qui l’invitaient et donnait l’impression qu’elle se fichait bien de socialiser ou non.

Ce côté loup solitaire rappelait un peu Ayanokôji. Même si la comparaison paraissait forcée, dans son cas, il ne s’agissait pas de refuser l’amitié. Il était plutôt du genre à ne pas pouvoir s’en faire, même s’il le voulait.

Karuizawa — Elle joue peut-être la comédie, non ? Enfin, ça m’étonnerait en fait.

Moi — Je ne pense pas. Cette pseudo ressemblance avec lui est un point commun en tout cas.

Laissons de côté, pour l’heure, mon incapacité regrettable à saisir l’essence d’Ayanokôji. Il ne faisait aucun doute, toutefois, que ses rapports aux autres paraissaient maladroits.

Nous gardâmes nos distances avec Amasawa et la suivîmes en silence.

J’aurais dû aller lui parler directement. Hélas, le monde n’était pas si candide. Elle ne se montrerait pas franche avec moi.  Quelqu’un l’aborda encore, cette fois un élève. L’échange dura environ cinq secondes, un simple salut, à vue de nez. Même ainsi, je mémorisai tous les élèves qui lui adressaient la parole.

Obtenir des informations par des voies détournées était tout ce que je pouvais faire à présent. Alors que je fixais les traits du garçon pour les graver en mémoire, le téléphone que je tenais de la main droite vibra.

Karuizawa — Qu’est-ce qu’il y a ?

Moi — Une seconde.

« Je t’attends au bureau du Conseil »

Ce furentles mots affichés à l’écran lorsque je sortis mon téléphone. J’en fus perplexe.

Karuizawa — …C’est qui ?

Je n’avais pas enregistré le numéro qui avait envoyé ce bref message. Et aucune date ni heure n’y figuraient. Devais-je venir maintenant ? Si le rendez-vous prévu aujourd’hui à 14h avait été avancé, Nanase me l’aurait signalé à l’avance. S’agissait-il donc d’autre chose ? Le temps que je m’interroge, Amasawa avait déjà pénétré dans le centre Keyaki. J’eus beau vouloir la rattraper, j’éteignis l’écran et fermai les yeux.

Moi — Pas le choix…

Puisque j’étais présidente du Conseil, je ne pouvais pas agir au gré de mes envies personnelles. Si quelqu’un m’attendait au bureau, je devais m’y rendre coûte que coûte. À supposer, de manière peu réaliste, que ce soit Ayanokôji…

Plus concrètement, cela pouvait aussi concerner le prochain examen spécial.

Moi — Désolée. C’est soudain, mais je dois passer au bureau du Conseil tout de suite. J’ai un impératif.

J’éprouvai un profond remords à l’idée de mettre fin à notre sortie sans même déjeuner, alors que c’était moi qui l’avais invitée.

Karuizawa — T’en fais pas, Horikita. Et je n’irai pas suivre Amasawa toute seule, donc pas d’inquiétude.

Elle me devança en formulant exactement l’avertissement que j’allais lui donner.

Après m’être excusée une nouvelle fois, je me rendis aussi vite que possible au bâtiment scolaire.

2

Il me fallut une dizaine de minutes pour venir au bureau du Conseil mais il n’y avait personne. Mon téléphone n’avait reçu aucun autre message. Le week-end, la salle, inoccupée, était naturellement fermée à clé.

Était-ce une mauvaise blague ?

Malgré le doute, par précaution, j’ouvris tout de même la porte avec la clé. À l’intérieur, pas un bruit. Il n’y avait évidemment personne. Je retournai dans le couloir et, par sûreté, décidai d’attendre un moment l’auteur du message sur place.

Cependant, personne ne vint. Seul le temps s’écoulait. À ce compte-là, j’aurais mieux fait de suivre Amasawa. Un léger regret me vint. Il restait environ deux heures avant l’horaire initial. Autant rentrer un moment.

Je descendis l’escalier jusqu’au rez-de-chaussée et venais de faire quelques pas vers l’entrée quand…

— Présidente Horikita.

Un élève m’interpela. Je n’avais pourtant vu personne à l’instant.

Surprise, je me retournai.

Moi — Tu es… Ishigami. Qu’y a-t-il ?

Un élève de première A, Ishigami Kyô, se tenait là en uniforme.

Cette rencontre était peu banale et tout en me remémorant son nom, j’en cherchais la raison. Après tout, nous étions samedi, et il était déjà rare de croiser un élève qui ne se rendait pas à un club.

Ishigami — Cela fait longtemps. J’aimerais te parler de quelque chose. Puis-je te prendre un peu de ton temps ?

Moi — Bien sûr. C’est vrai que nous n’avons pas vraiment parlé depuis un moment.

Ishigami — À l’époque, c’est toi qui étais venue m’adresser la parole.

Moi — En effet.

Je me souvins de l’instant où je l’avais invité à rejoindre le Conseil. Il m’avait opposé un refus net, mais l’adhésion dépendait entièrement de sa volonté. Je n’avais évidemment rien à lui reprocher. Je me souvenais qu’alors Ayanokôji était aussi avec moi…

Ishigami — Pourrions-nous changer d’endroit pour parler ?

Moi — Changer d’endroit ? Il y a des choses dont tu ne peux pas parler ici ?

Ishigami — Si possible, je préférerais que personne ne nous voie. Je ne te prendrai pas beaucoup de temps.

Sans attendre ma réponse, il me tourna le dos et se mit en marche. Je n’avais rien d’urgent, au fond alors l’accompagner ne posait pas de problème…

Le campus, le week-end, était presque désert. Nous aurions pu parler n’importe où. Alors, tenait-il à ce point à ce que personne n’entende… ?

Moi — C’est toi qui m’as envoyé le message ?

Ishigami — Pourquoi le penses-tu ?

Moi — Tu ne l’as pas nié d’emblée.

Il semblait comprendre de quel message il s’agissait, sans poser de question. À en juger par son attitude, c’était une forme d’aveu. Ile ne cherchait pas à le cacher.

Moi — Nous sommes le week-end. S’il s’agit de quelque chose d’important, je peux t’écouter n’importe où. Mais tu tiens à ne pas être vu et dans un endroit comme le bureau du Conseil, quelqu’un pourrait passer ne serait-ce que des membres. En plus, tu m’as abordée quand je suis repartie du bureau. Tu t’es assuré que j’étais seule avant de venir me parler, n’est-ce pas ?

Il avait sans doute évité délibérément mon regard tout à l’heure, attendant le moment opportun.

Ishigami — Je l’admets. Je te présente mes excuses d’avoir agi de manière aussi détournée.

Moi — Peu importe. Mais s’il s’agit d’une affaire grave et urgente à traiter avec le Conseil, je ne pourrai peut-être pas trancher à titre privé.

Plus l’affaire était lourde, plus il fallait la porter au grand jour. Il conviendrait d’en référer aussi aux professeurs.

Ishigami — Tu n’as pas à t’en soucier.

Moi — Ce n’est pas à toi d’en juger.

Ishigami — En vérité, ce dont je voulais te parler…il paraît que tu enquêtes un peu partout au sujet d’Amasawa.

Moi — …Qu’est-ce que tu insinues ?

Cette remarque imprévue me troubla un peu, mais je choisis de feindre l’ignorance. Je n’avais jamais associé Ishigami à Amasawa. Je le connaissais mal. Peut-être Amasawa avait-elle remarqué que je la suivais et avait-elle demandé l’aide d’Ishigami… c’était possible.

Ishigami — Tu n’as pas commencé par nier ce fait.

Il s’arrêta, se retourna et plongea sans hésiter son regard dans le mien. Tout, chez lui, visait à sonder mes intentions et à faire remonter le trouble que je dissimulais. Ma méfiance monta d’un cran.

Ishigami — Je suis dans la même classe qu’Amasawa. S’il y a le moindre comportement suspect, je le sais

Moi — …C’est vrai.

Ces derniers jours, en enquêtant sur Amasawa, j’avais décidé trop vite qu’elle aimait agir seule. En réalité, ce n’était peut-être pas le cas. Se sentant agacée d’être dans ma ligne de mire, aurait-elle sollicité Ishigami… ? Non, mais…

Moi — Tu n’acceptes pas qu’une de tes camarades fasse l’objet d’une enquête, et tu es venu me mettre en garde ?

Ishigami — Non. Je veux seulement clarifier la raison pour laquelle le Conseil enquête sur Amasawa. S’il y a un problème, notre classe pourra s’y préparer.

Un motif convaincant. Pour une classe A soucieuse de stabilité, les écarts d’un camarade étaient un sujet sensible. Rien d’étonnant à ce qu’ils restent sur leurs gardes.

Moi — Rassure-toi. Elle ne pose aucun problème.

Il me fallait d’abord dissiper le malentendu d’Ishigami, et la manière d’y parvenir s’entremêlait naturellement avec mon objectif.

Ishigami — Puis-je en connaître la raison ?

Moi — Tu connais un élève de terminale C qui s’appelle Ayanokôji ?

Ishigami — Je ne lui ai jamais parlé directement, mais c’est tout de même un élève qui est passé de la classe A à la classe C en fin de première, donc on parle de lui.

Moi — Exact. Tu es bien au courant. Chaque fois que le sujet revient, la plupart des élèves viennent me demander mon avis, mais tu n’as pas l’air de t’en soucier.

Ishigami — Malheureusement, les autres promotions ne m’intéressent pas. Je ne vois donc pas le lien avec cette enquête sur Amasawa.

Il semblait qu’Ishigami ne s’intéressait qu’à sa propre classe. Ce n’était guère une bonne nouvelle pour moi… Quoi qu’il en soit, je poursuivis.

Moi — Pour l’instant, je cherche des élèves qui connaîtraient son passé avant l’entrée au lycée. J’ai su qu’Amasawa et Ayanokôji se connaissaient d’avant, alors je veux en apprendre les détails. Hélas, je ne la connais pas assez pour l’interroger de front sans la braquer, d’où l’idée de vérifier discrètement s’il n’existait pas des pistes.

Ishigami — Qu’est-ce qui justifie que la présidente du Conseil aille enquêter sur quelqu’un qui a trahi sa classe ?

Moi — Dans cette école, un transfert de classe est rare, mais puisque c’est arrivé, je dois y faire face. Il est désormais en C et devient mon adversaire. Pour pouvoir le vaincre à l’avenir, je compte collecter autant d’informations que possible. Rien d’étonnant à cela, non ?

Ishigami — Autrement dit, pour connaître l’ennemi, il faut entrer sur son terrain ?

Moi — C’est bien cela. Il se peut que je continue à enquêter sur Amasawa, mais je ne causerai aucun tort à la première A, sois rassuré.

Ishigami — Je comprends. J’ignore ce que les autres en penseront, mais si la présidente garde les yeux rivés sur Amasawa, on pourrait croire qu’il y a un problème dans notre classe. J’aimerais que tu règles cela au plus vite.

J’aurais voulu en finir rapidement, mais si c’était si simple, je ne me donnerais pas tant de peine.

Ishigami — Pour l’heure, je n’ai aucune information sur Ayanokôji-senpai mais je connais en revanche quelques personnes susceptibles d’être au courant de son passé.

Moi — Vraiment ? Qui ?

Je ne pus m’empêcher de creuser cette remarque intrigante, mais il ne répondit pas tout de suite.

Ishigami — Je peux te le dire, à condition que tu me promettes une chose : ne révèle jamais qui t’a donné ce nom. Pour résumer, ne me cite pas.

Je m’attendais, par réflexe, à devoir payer en points privés pour obtenir des informations, mais il n’en était rien.

Moi — Si c’est ce que tu souhaites, je te promets de garder ton nom pour moi.

Ishigami — La personne en question a une intuition exceptionnellement fine. Évidemment, elle te demandera pourquoi tu viens la voir. En tant qu’élève de la classe A et Présidente du Conseil, tu sauras gérer, n’est-ce pas ?

Son ton avait quelque chose de presque pesant, comme pour me mettre en garde. Vu d’Ishigami, l’adversaire devait être de cette trempe. Non, cela, je le savais depuis le départ. Quiconque connaissait le passé d’Ayanokôji était forcément à la hauteur.

Moi — Je ferai tout ce qui est en mon pouvoir. Pour l’heure, je ne peux te demander que de croire en ma détermination.

S’il m’avait demandé de miser quoi que ce soit ou de signer un engagement, je l’aurais éconduit. C’est avec cette idée en tête que je répondis.

Ishigami — Très bien. Je te fais confiance, Présidente Horikita.

Moi — …Merci.

Ishigami — Il s’agit d’une élève de première D, Nanase. Comme toi, elle siège au Conseil. Tu dois bien la connaître.

À l’instant où j’entendis ce nom inattendu et pourtant si proche, mon esprit se figea.

Moi — C’est regrettable, mais ce n’est pas Nanase. Lorsque je l’ai vue pour prendre le thé, je lui ai posé des questions sur lui et elle m’a répondu qu’elle n’en savait rien.

Ishigami — Elle s’est simplement abstenue de dire la vérité, non ?

Une pointe d’assurance se fit perçante dans sa voix, et son regard me confirma qu’il n’improvisait pas.

Moi — …Pourquoi le penses-tu ? Je ne soupçonne pas les gens sans raison.

Ishigami — Ne te fie pas aux apparences : en tant que membre de la classe A, je collecte en permanence des informations sur les autres classes. Entre autres, j’ai appris que Nanase a été en contact avec Ayanokôji-senpai très tôt.

Moi — Ça, c’est…

Je faillis lâcher que, l’an dernier, Nanase avait pris part à une épreuve connue de quelques seuls élèves de seconde, faire exclure Ayanokôji valait des points privés. Mais je ravalai mes mots. Après tout, ce n’était pas une affaire connue de tous les actuels élèves de première, et encore moins par les terminale.

Mieux valait ne pas ressusciter cette histoire ici car cela ne profiterait à personne.

Moi — L’examen spécial qui a eu lieu au début de votre année, l’an dernier. Notre classe a bien eu des contacts pour coopérer avec celle de Nanase. C’est de ce lien-là que tu veux parler, n’est-ce pas ?

Ishigami — Nous sommes évidemment au courant de broutilles pareilles, mais cela n’exclut pas que cette première alliance ait été arrangée pour permettre à Nanase d’approcher Ayanokôji-senpai, tu ne crois pas ?

Moi — S’ils se connaissaient, ils pouvaient très bien le dire clairement. Inutile de tourner autour du pot.

Ishigami — C’est vrai, j’ai peut-être été soupçonneux. Oublie ça, alors.

Nanase connaîtrait le passé d’Ayanokôji ?

Je ne tenais qu’au propos d’Ishigami pour raccorder les pièces mais la fiabilité laissait à désirer. Mais dès lors que pareille possibilité avait été évoquée, fût-ce un instant, elle s’incrustait dans l’esprit et refusait d’en sortir. Aussi invraisemblable que cela paraisse, si c’était la vérité, alors…

Horikita — …Puis-je te demander ton aide ?

Ishigami — De l’aide ? Pour quoi faire ?

Moi — Par prudence, j’aimerais enquêter sur Nanase. Vous n’êtes pas dans la même classe, mais vous êtes tous deux en première. Vous devez forcément vous croiser au quotidien.

Ishigami — Tu as raison, mais je doute de pouvoir être utile. Si je souhaite rester anonyme, c’est aussi parce que… j’ai l’impression que Nanase me déteste.

Moi — Te déteste… ? À cause des rivalités entre classes ?

Ishigami — J’ai souvent des accrochages, hors examens spéciaux, avec Hôsen de sa classe, au point qu’il faut parfois intervenir. Difficile d’en déterminer la cause exacte, mais une chose est sûre : elle ne m’aime pas.

Ishigami avait des résultats remarquables, l’OAA en témoignait. Mais il ne semblait pas être le leader de sa classe.

S’il occupait un poste de stratège et contribuait ainsi à sa classe, dès lors, il n’y avait rien d’étonnant à ce que Nanase le voie d’un mauvais œil.

Cependant… elle n’était pas du genre à transposer les rancœurs nées de la lutte des classes dans la vie courante. Du moins, d’après ce que j’en savais jusqu’ici.

Si Ishigami ne connaissait pas la vraie nature de Nanase, qu’il se méprenne unilatéralement pouvait se comprendre. À moins que ce ne soit qu’un prétexte, pour ne pas se mêler de cette affaire.

Je ne savais pas encore s’il méritait ma confiance, mais j’avais bel et bien besoin d’un partenaire.

Ishigami — Soit. Je ne peux pas agir ouvertement, mais j’essaierai d’enquêter discrètement, sans dévoiler mon identité. Et, sachant qu’il est possible que Nanase n’ait rien à voir avec tout ça, je tâcherai aussi de vérifier si Amasawa ou d’autres connaissent le passé d’Ayanokôji-senpai. Présidente Horikita, tiens-toi simplement à notre accord et mène librement ton enquête.

Moi — D’accord, merci. Même si on me pousse dans mes retranchements, je te protégerai jusqu’au bout.

Ishigami — Espérons que cela porte ses fruits. Sur ce, je te laisse.

Sur ces mots, Ishigami tourna les talons et partit du côté opposé. Sans doute par prudence, pour éviter d’être vu avec moi par Nanase.

Plus j’enquêtais sur Ayanokôji, plus j’avais l’impression de m’enliser.

Moi — Ayanokôji… qui es-tu… ?

Et pourtant, je ne pouvais qu’enlever la boue à pleines mains et m’acharner à suivre sa trace. Cependant, au moment même où je raffermissais ma résolution, j’ignorais encore tout de la vérité. Ce que j’ignorais alors, c’étaient les origines d’Ayanokôji.

Pour quiconque mène une vie ordinaire, un organisme et une éducation inimaginable, irréelle et cruelle. Dans un environnement où, les uns après les autres, les enfants s’effondraient, il fut le seul à tenir jusqu’au bout.

Et, au-delà, le destin impitoyable qui l’attendait…

C’était là, à coup sûr, la croisée des chemins.

Ma rencontre avec Ishigami marqua le début des grands bouleversements de ma vie.

Une rencontre savamment orchestrée, qui allait m’aspirer au cœur du tourbillon nommé Ayanokôji Kiyotaka.

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