COTEY3 T2 - CHAPITRE 6
Le malheur et le bonheur s’entrelacent comme les brins d’une corde
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Traduction : Calumi
Correction : Raitei
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Le temps s’écoulait lentement, tic-tac, tic-tac. Avant même que je m’en rende compte, la journée de cours touchait déjà à sa fin. Cinq jours s’étaient écoulés depuis l’annonce de l’examen, et pourtant, aucun changement notable n’était survenu.
Une brève enquête avait simplement révélé que chaque classe maintenait un comportement exemplaire, sans aucun retard ni absence. La grande majorité des élèves prenait sa vie scolaire plus au sérieux que d’ordinaire. Même pendant le week-end, période où l’on baisse facilement sa garde, on n’avait signalé aucun incident. Personne ne semblait avoir oublié la tension qui pesait sur nos épaules.
Étudier sérieusement, faire de l’exercice, ne pas arriver en retard, ne pas sécher les cours, suivre scrupuleusement les règles et les bonnes manières, autant de signes que les quatre classes considéraient l’attitude au quotidien comme la clé de l’examen, et agissaient en conséquence.
La classe de Ryuuen ne faisait pas exception. Le premier jour, on aurait pu croire qu’ils n’avaient pas encore pris la chose au sérieux, mais même des élèves comme Kondô semblaient y avoir songé dès le départ. Impossible de savoir quel élève avait émis cette idée, mais cette classe fonctionnait entièrement sous l’autorité de son meneur.
Et s’ils avaient adopté cette stratégie, c’était que Ryuuen lui-même en comprenait au moins l’intérêt.
Biu~~ biubiu~~~~
Alors que je m’apprêtais à me lever, une douleur aiguë me transperça soudain la nuque.
Moi — Aïe, aïe, aïe, ça fait mal ! Qu’est-ce que tu fais ?
Surpris par cette piqûre à laquelle je ne m’étais jamais habitué, je me retournai pour voir Morishita… en train de brandir une paire de baguettes transformées en arme.
Morishita — Toujours en vie, hein. Impressionnant.
Moi — Impressionnant, vraiment… Mais c’est censé être quoi, exactement ?
Morishita — Un pistolet, voyons, un pistolet !
Biu !
Au moment où je me retournais vers elle, elle me tira un élastique sur la paume. Ce jouet avait été confectionné en superposant des élastiques sur des baguettes de manière à les projeter en tirant sur une sorte de gâchette artisanale.
Moi — Ça fait mal.
Morishita — C’est bien pour ça que j’ai tiré.
Moi — Pourquoi est-ce que tu veux absolument que ça fasse mal… ?
Cela dit, c’était plutôt bien conçu. Ce n’était pas juste un bricolage grossier en forme de pistolet : elle avait carrément conçu un mécanisme de lancement pour les élastiques.
Moi — Tu l’as préparé quand, ce truc ?
Morishita — C’est une arme secrète. J’ai mis tout mon cœur à la fabriquer pendant la pause. Une arme redoutable, capable de passer sans encombre les portiques de détecteurs de métaux.
Au moins, elle ne l’avait pas bricolée en plein cours. C’était déjà ça.
Morishita — Viens donc faire un tour avec moi aux confins de l’enfer… BAKYUN[1] !
Moi — Hors de question.
Alors que nous étions en pleine interaction parfaitement stérile, Satonaka s’approcha d’un pas un peu hésitant.
Satonaka — Je peux vous déranger un instant ?
Moi — Oui, qu’est-ce qu’il y a ?
Je fus quelque peu surpris de le voir venir me parler, vu que nous n’étions pas proches, mais je ne pus m’empêcher d’imaginer Morishita lui tirer dessus avec son pistolet à élastiques. Le tableau devait être assez savoureux.
Je lui jetai un coup d’œil furtif. Elle avait déjà reposé son arme sur la table, et fixait l’extérieur d’un air morne. Il semblait que j’étais le seul élu pour cette virée jusqu’au bout de l’enfer.
Satonaka — Euh… ce dimanche, ça te dirait de venir t’amuser avec notre petit groupe ?
Tout en parlant, Satonaka tourna la tête vers l’arrière. Un petit groupe de garçons et de filles lui firent signe dans notre directon.
Il y avait Yanagibashi, Shijô, ainsi qu’une fille, Hôzuki, trois élèves avec qui je n’avais quasiment jamais échangé jusque-là.
Satonaka — Bien sûr, rien d’obligatoire. Qu’en dis-tu ?
Moi — Je n’ai rien de prévu. Si ça ne vous dérange pas, je me joindrais bien à vous.
À ma réponse, Satonaka afficha un sourire radieux. Un simple sourire comme celui-là suffisait à mettre étrangement de bonne humeur. Sans doute parce qu’il avait ce visage ravageur qui plaisait à tout le monde.
Moi — Si possible, Morishita pourrait venir aussi, non ?
Morishita — Sans façon.
Elle refusa d’un ton sec, sans détourner les yeux de la fenêtre. Satonaka m’assura qu’il m’enverrait les détails un peu plus tard, puis retourna auprès de son groupe.
Moi — Pourquoi as-tu refusé ?
Morishita — Aucune raison. Je n’en ai juste rien à faire.
Son regard glissa doucement de la fenêtre jusqu’à moi… tandis que sa main droite se resserrait sur le pistolet posé sur la table.
Moi — Dis donc, Morishita… tu ne serais pas un peu intéressée par Satonaka, par hasard… ?
Biu !! L’élastique vint s’écraser sans pitié sur ma joue gauche.
Morishita — Dommage, Ayanokôji Kiyotaka. Tu espérais me voir rougir et paniquer, c’est ça ?
Moi — J’ai seulement eu une vague intuition… visiblement, je me suis bien trompé. Et ça fait super mal. Ce truc est quand même dangereux.
Morishita — Il ne m’intéresse juste pas. Et les visages trop androgynes, ce n’est pas mon type. En revanche, un visage hideux comme le tien, Ayanokôji Kiyotaka, a de quoi susciter ma compassion. Ça ne te fait pas plaisir de savoir que je t’aime bien ?
Moi — Si directe. je suis plus blessé que flatté. Excuse-moi, je vais rentrer.
Morishita — Tu fuis déjà ?
Elle envoya une nouvelle salve d’élastiques dans ma direction. Je les évitai tant bien que mal et m’éclipsai dans le couloir. Une fois dehors, je sortis mon téléphone pour relire le message que j’avais reçu d’Ichinose.
Ichinose — Hoshinomiya-sensei a demandé à te voir.
Sur ce message, je me dirigeai vers le bâtiment spécial qu’elle m’avait indiqué. À cette heure, juste après la fin des cours, il était presque désert.
Il y a deux ans, à cet endroit précis, Sudou avait été piégé par Ryuuen, qui avait profité d’un angle mort des caméras de surveillance. Depuis cet incident, l’établissement avait renforcé la couverture de sécurité dans ce secteur. Hormis les vestiaires et les toilettes, dont la confidentialité restait protégée, l’ensemble de l’école était désormais placé sous une surveillance quasi permanente. Quelques élèves s’en plaignaient, se sentant étouffés, mais la majorité y voyait plutôt une forme de sécurité bien rassurante.
Arrivé au lieu du rendez-vous, je ne vis pas encore Hoshinomiya-sensei. Je me contentai de fixer le paysage par la fenêtre en attendant. Comme j’avais rendez-vous avec Shiina plus tard, mieux valait ne pas traîner ici. Les élèves qui finissaient leurs cours et ceux qui participaient aux clubs commençaient à apparaître par petits groupes.
Moi — Un club, hein…
Je n’avais jamais rejoint aucun club depuis mon entrée au lycée, mais si je pouvais revenir en seconde, peut-être que je tenterais l’expérience.
Je me surprenais à penser de cette façon.
En tant qu’élève, étais-je satisfait ? Si l’on me posait la question, j’acquiescerais sans doute, après un instant d’hésitation. Je détournai les yeux de la fenêtre pour les tourner vers le couloir. Peu de temps après, des pas vifs résonnèrent. Dès qu’elle apparut, nos regards se croisèrent. Elle me fit un petit signe de la main et s’approcha.
Mlle Hoshinomiya — Tu m’as fait attendre, Ayanokôji-kun. Pourquoi m’avoir donné rendez-vous dans un endroit pareil ?
Moi — C’est vous qui m’avez fait appeler, non ?
Mlle Hoshinomiya — Mais qu’est-ce que tu racontes ? Jamais je ne ferais venir un élève dans un lieu aussi discret. C’est Ichinose-san qui m’a dit que tu voulais me voir, alors je suis venue.
C’était aussi le message que j’avais reçu, donc inutile de le lui renvoyer. Dans les yeux de Hoshinomiya-sensei brillait clairement un éclat de malice. Alors que j’essayais d’en deviner l’intention, elle s’approcha encore et colla son corps contre le mien.
Moi — Vous faites quoi, là ?
Mlle Hoshinomiya — De quoi tu parles exactement~ ?
Comme si elle voulait murmurer à mon oreille, elle feignit de ne pas comprendre, et rapprocha délibérément son corps du mien avec un sourire équivoque. Sans me demander la moindre permission, ses bras fins s’enroulèrent autour de moi.
Mlle Hoshinomiya — Tu vas devoir redoubler d’efforts pour cette dernière année, Ayanokôji-kun. Alors je t’offre une petite récompense, d’accord ? Comme ça.
Elle appelait ça une récompense ? C’était elle tout craché. Mais venant d’un professeur, c’était un comportement inacceptable. Cela dit, je n’étais ni en position de lui faire la leçon, ni de repousser ses bras de force. Dans tous les cas, ce qui comptait, c’était que je ne réagisse pas.
Moi — Vous êtes plus redoutable qu’il n’y paraît, Hoshinomiya-sensei.
Ce n’était pas un geste que je faisais pour la repousser, mais des mots destinés à couper court à ses intentions.
Mlle Hoshinomiya — Hein ? Qu’est-ce que tu veux dire par là ?
Moi — J’avais déjà deviné en partie le contenu de cet examen. Mais c’est votre comportement qui me l’a confirmé. Cette semaine, l’école évalue l’attitude des élèves dans leur vie quotidienne. Les retards, les absences, l’hygiène de vie… ce qui, en temps normal, n’a qu’un impact marginal sur les points de classe devient cette fois un critère déterminant. L’établissement est truffé de caméras dans les couloirs. Il leur suffit de consulter les enregistrements pour juger les élèves. S’ils tombent sur une scène de proximité excessive avec un professeur de sexe opposé, ça ne manquera pas d’influencer l’évaluation.
Il y a peu, le professeur Hoshinomiya était prête à perdre tout contrôle pour faire gagner sa classe, quitte à user des privilèges de sa fonction. Pour éviter un tel dérapage, je lui avais expliqué en détail l’alliance avec Ichinose, ainsi que les engagements pris. Elle s’était calmée, du moins en apparence. Mais au fond, elle n’avait pas renoncé à son objectif : faire revenir sa classe au sommet, et faire chuter celle de Chabashira.
Mlle Hoshinomiya — Tu te fais des idées, Ayanokôji-kun. On n’est pas du même côté ? Je n’aurais aucune raison de te nuire. Quant à l’examen, rien ne dit que tu as deviné juste.
Moi — Je n’ai aucune preuve. C’est juste un pressentiment. Mais soyez rassurée. Même si mon opinion de vous a un peu baissé, cela ne remettra pas en cause notre alliance.
Je me contentai d’énoncer les faits, sur un ton neutre, sans interruption. Elle comprit le message, et son sourire s’élargit davantage.
Mlle Hoshinomiya — Parfait. Alors cette fois, tu pourrais nous laisser gagner, non ? Avec un point de moins, ce serait normal d’aider la classe en retard, tu ne crois pas ?
Moi — Si je pouvais contrôler le résultat dans son intégralité, je serais d’accord. Mais là, c’est une compétition entre quatre classes. Si la nôtre perd des points, on risque de finir dernier. Et rien ne garantit que celle d’Ichinose prendra la tête.
Mlle Hoshinomiya — Justement, c’est le moment de montrer tes talents, non ? Tu ajustes un peu les choses, et hop, ma classe termine première, la tienne deuxième. Tout le monde est content.
Moi — Désolé. Je n’ai aucune intention d’intervenir dans le déroulement.
Mlle Hoshinomiya — …Tu es sérieux ? Tu veux laisser les classes A et B l’emporter sans rien faire ?
Moi — Honnêtement, cette fois, le résultat importe peu, non ?
Mlle Hoshinomiya — On ne parle que de 50 points de classe, c’est vrai. Tu penses que ce n’est pas suffisant pour mériter qu’on se donne du mal ? Mais…
Moi — Ce n’est pas ça. C’est juste que j’estime que ce n’est pas encore le bon moment pour tirer pleinement parti de notre alliance. Vous devriez peut-être commencer par faire confiance à votre propre classe.
Depuis deux ans, la classe d’Ichinose, au même titre que celle de Sakayanagi, voire plus encore, était réputée pour son sérieux et sa discipline. Et pourtant, elle s’était retrouvée reléguée au rang de classe D. Une situation que Hoshinomiya-sensei ne pouvait pas supporter. Elle voulait à tout prix inverser la tendance, et ce, par tous les moyens.
Bien sûr, s’il s’agissait d’une riposte après une série d’échecs, on aurait pu comprendre. Mais cette fois, elle risquait de briser ce qui faisait la force de sa propre classe.
Moi — Apprenez à observer en silence. Même Chabashira-sensei en est capable.
Mlle Hoshinomiya — Tch…
Je venais de mentionner le nom de sa collègue, sa rivale de toujours. Et aussitôt, Hoshinomiya-sensei changea d’attitude. Elle s’arrêta net et retira d’un geste sec son bras enroulé autour du mien.
Mlle Hoshinomiya — Je peux te faire confiance ?
Le sens était clair. Si je trahissais notre accord, elle ne se retiendrait pas.
Moi — Ne vous contentez pas d’une vision à court terme. Pensez alliance sur le long terme. C’est tout ce que j’ai à vous dire pour l’instant.
Mlle Hoshinomiya — Je vois… Bon, la dernière fois tu as bien tenu parole. Je vais me contenter d’observer, alors.
Qu’elle reste sur ses gardes ne posait aucun problème.
En réalité, cette épreuve ne nécessitait pas de manœuvre particulière pour espérer la victoire. Si l’objectif était vraiment de juger l’attitude des élèves, chercher à la manipuler serait non seulement laborieux, mais pourrait en plus entraîner des effets secondaires inattendus.
Pour une classe comme la nôtre, ou celle d’Ichinose, qui n’avait pas d’antécédents sérieux, le mieux était de ne rien changer du tout.
Continuer à vivre comme d’habitude, c’était la meilleure stratégie.
1
Une trentaine de minutes s’étaient écoulées depuis la fin des cours. J’étais arrivé à la bibliothèque assez tôt. Après bien des détours, le moment était enfin venu. La Golden Week, le nouvel examen, les invitations et rencontres fortuites à la sortie des cours… Bien du temps s’était écoulé depuis que Ishizaki m’avait demandé d’aller voir Shiina.
À peine avais-je mis les pieds dans la bibliothèque qu’un parfum délicat, à la fois subtil et familier, me parvint. Shiina était-elle déjà là ?
La bibliothèque de Kôdo Ikusei était immense. Y trouver quelqu’un revenait presque à chercher un livre au hasard. Mon regard croisa par hasard celui de la bibliothécaire à l’entrée. Elle me sourit avec bienveillance, puis pointa discrètement du doigt la section dédiée aux romans policiers.
C’était visiblement là que se trouvait celle que je cherchais. Il restait encore un peu de distance. Tandis que je m’approchais, la silhouette de Shiina apparut entre les rayons Puis, dans le calme de cette bibliothèque presque déserte, nos regards se croisèrent.
L’instant d’après, elle détourna les yeux et s’engouffra dans les rayons. J’aurais pourtant juré que nos regards s’étaient bien croisés. Peut-être ne m’avait-elle tout simplement pas remarqué ? Lui lancer un appel à cette distance me semblait impoli. Je m’avançai donc vers les étagères. Là où je l’avais vue pour la dernière fois, il n’y avait plus personne. J’examinai alors les espaces entre les rayonnages.
Un, deux, trois… Où était-elle passée ? Elle ne pouvait pas être allée bien loin…
Alors que je poursuivais mon inspection, je l’aperçus soudainement de l’autre côté d’une étagère. Nos regards se croisèrent à nouveau. Ou du moins, c’est ce que j’avais cru…
Elle détourna aussitôt les yeux avant de disparaître de l’autre côté. Il n’y avait désormais plus aucun doute : elle m’avait vu. Elle me fuyait délibérément.
Était-ce parce que j’étais arrivé trop tard ?
Ou parce que je n’avais pas intégré la classe de Ryuuen ?
Je m’interrogeai sur les raisons possibles tout en avançant, dans l’espoir de pouvoir lui parler. Si elle continuait à m’éviter ainsi dans toute la bibliothèque, je finirais par devoir renoncer. Je ne pouvais pas me permettre de poursuivre quelqu’un qui n’avait clairement aucune envie de me voir. Je priai intérieurement pour que ça n’en arrive pas là, et atteignis l’endroit où je l’avais aperçue en dernier.
Où était-elle encore partie cette fois… ?
À cet instant, comme si elle cherchait elle aussi à m’apercevoir, Shiina passa légèrement la tête derrière une étagère voisine. À moins de deux mètres. Il me suffirait d’un pas pour pouvoir la toucher.
Moi — Shiina…
Je tentai d’appeler son nom, mais elle dissimula aussitôt son visage. Cependant, elle ne prit pas la fuite à nouveau. Elle s’était simplement contentée de se cacher. La preuve : je voyais toujours sa main posée sur l’étagère, ainsi qu’un pan de son uniforme.
Moi — Est-ce que je t’ai causé du tort ?
Je pris la parole d’un ton calme. Un léger silence suivit, puis elle laissa timidement apparaître son visage.
Hiyori — Ayanokôji-kun… tu étais venu chercher un livre… ?
Elle m’avait répondu. Rien que cela m’apporta un certain soulagement.
Moi — Non. Je suis venu ici aujourd’hui pour te voir, Shiina.
Hiyori — ……
Ce que j’avais à lui dire, je pensais l’avoir exprimé clairement. Pourtant, elle restait à moitié dissimulée derrière l’étagère, sans montrer la moindre intention de sortir de sa cachette.
Cela me rappela les mots d’Ishizaki. « Pense à aller voir Shiina, ces temps-ci. Elle, contrairement à moi, l’a mal vécu. »
Et il y avait aussi cette rencontre étrange dans l’ascenseur, quelques jours plus tôt, où l’ambiance avait été particulièrement tendue.
Pourquoi n’étais-je pas venu plus tôt ?
Je l’avais fuie, rongé par la culpabilité d’avoir changé de classe. Et maintenant, je ne récoltais que des regrets.
Moi — Est-ce que tu m’en veux toujours… de ne pas avoir accepté ton invitation, et d’avoir choisi d’intégrer la classe C à la place ?
Je jugeai qu’il valait mieux dissiper ce malentendu au plus vite. Sans quoi il serait impossible d’avoir une conversation normale. Je choisis donc d’aller droit au but. Shiina montra aussitôt des signes de trouble. Elle essaya de croiser mon regard, mais le détourna bien vite, les lèvres légèrement crispées, visiblement incertaine.
Hiyori — Je ne peux pas dire… que ça ne m’a pas affectée. Je me suis demandé… si, au fond, ce n’était pas mon invitation qui avait contribué à nous éloigner davantage…
Moi — Ce n’est pas ton genre de penser ainsi. Tu sais bien que ça n’a rien à voir.
Shiina m’avait toujours semblé calme, posée, avançant à son propre rythme. Elle avait l’esprit limpide, capable d’analyser les choses avec recul et discernement. Même si j’avais quitté la classe A pour la classe C, elle aurait dû comprendre que c’était un choix dicté par mes objectifs. L’idée que je me sois délibérément éloigné d’elle parce qu’elle m’avait proposé de rejoindre la classe B ne tenait pas debout. Cela dit, le fait que je sois resté si longtemps sans aller la voir était un fait indéniable.
Moi — Je tiens encore à m’excuser. Pour ne pas avoir accepté ton invitation à rejoindre la classe B. Et pour être resté si longtemps sans venir te voir, ce qui a peut-être nourri ce malentendu.
Dans le silence paisible de la bibliothèque, Shiina secoua doucement la tête après m’avoir écouté.
Hiyori — Non… Tu n’as rien fait de mal, Ayanokôji-kun. C’est moi qui me suis mise à espérer sans rien te dire. Et si tu n’es pas venu me voir, c’est peut-être aussi de ma faute. J’aurais pu venir moi-même. Alors… permets-moi aussi de m’excuser.
En disant cela, elle sortit lentement de sa cachette, révélant enfin l’autre moitié de son corps. Puis elle s’inclina profondément devant moi. Mais Shiina n’avait strictement aucune raison de s’excuser. Cela dit, à continuer ainsi cette sorte de duel d’excuses, nous n’irions nulle part.
Hiyori — Je pensais être prête…
Moi — Prête ?
Hiyori — À accepter que nous ne pourrions pas être dans la même classe. À prendre mes distances. À tirer un trait sur cette relation où l’on bavardait librement, tous les deux… Mais maintenant que je te parle ainsi… je me rends compte que…
Avait-elle réellement envisagé de couper tout lien, de m’effacer de sa vie comme on relègue un ennemi ? En comprenant cela, je me sentis soulagé. J’étais arrivé à temps.
Moi — Si ça ne te dérange pas, Shiina, est-ce qu’on pourrait parler un peu de ce que nous avons vécu chacun de notre côté ce dernier mois ? J’ai tout mon temps aujourd’hui.
Hiyori — Tu… tu veux vraiment ?
Moi — Bien sûr. Si je suis venu, c’est uniquement parce que je voulais te voir. Et discuter avec toi.
Après cette déclaration franche, un sourire se dessina sur le visage de Shiina, le tout premier que je voyais chez elle aujourd’hui.
2
Nous nous installâmes face à face à l’une des tables libres de la bibliothèque. Puis, comme pour combler le vide laissé par ce mois de silence, nous commençâmes à tisser lentement, peu à peu, le fil de la conversation. Au début, Shiina paraissait encore un peu réservée, légèrement mal à l’aise, mais sa voix retrouva la fluidité et le ton familier d’autrefois tant bien que mal.
Moi — Même en terminale, tu n’as pas perdu ton âme de rat de bibliothèque, hein ?
Hiyori — Oui. Justement, hier soir encore, j’ai fini un nouveau roman.
Elle jeta un regard au rayon des romans policier et précisa qu’elle venait tout juste d’en rendre un à l’instant.
Hiyori — Au fait, j’ai gagné un nouveau compagnon de lecture.
Shiina joignit les mains avec enthousiasme et plissa les yeux, ravie.
Hiyori — Depuis qu’on est passés en terminale, Kaneda vient souvent ici à cette heure-là.
Moi — Kaneda ? Bon, il a toujours donné l’image de quelqu’un qui aime lire, donc ce n’est pas vraiment surprenant…
Cela dit, jusqu’à la fin de la première, je ne l’avais jamais vu une seule fois à la bibliothèque. S’il vise l’université, c’est vrai que cet endroit offre un cadre idéal pour étudier.
Hiyori — Ah, en parlant de lui…
Comme je faisais face à l’intérieur de la bibliothèque, je ne l’avais pas vu arriver, mais Shiina l’aperçut la première et lui fit signe de la main. Je me retournai à mon tour et lui adressai un léger salut, qu’il me rendit en s’approchant.
Kaneda — …Bonjour, Shiina-shi. Je suis venu aujourd’hui aussi.
Il semble que mon intuition était juste. Outre les ouvrages de la bibliothèque, il portait aussi des manuels scolaires dans les bras.
Hiyori — Toi aussi, tu aimes vraiment les livres, Kaneda-kun.
À entendre Shiina, il venait effectivement ici très souvent. Je lui indiquai d’un regard le siège libre à côté de moi, et il acquiesça d’un hochement de tête avant de s’asseoir.
Kaneda — Disons que oui. J’ai entendu dire qu’Ayanokôji-shi venait souvent à la bibliothèque lui aussi. Mais on ne te voyait pas trop, ces derniers temps.
Je n’étais pas revenu ici depuis un mois. Exactement la période où Kaneda avait commencé à fréquenter les lieux.
Moi — On a dû se croiser sans se voir. Mais je pense qu’on aura d’autres occasions.
Kaneda — …Je vois. En tant que camarade de lecture, je suis content, dans un sens.
Ses paroles semblaient chaleureuses, mais son visage ne trahissait aucune émotion particulière. En réalité, que je vienne ou non ne changeait rien pour lui, ce qui n’avait rien d’étonnant. Seuls des élèves comme Shiina pouvaient sincèrement se réjouir qu’un nouveau lecteur rejoigne leurs rangs.
Kaneda — Au fait, tu sembles plutôt occupé ces temps-ci. Ton transfert de la classe A à la classe C, même moi j’ai été un peu… non, très surpris, disons ?
Sans prévenir, une silhouette s’approcha. C’était la bibliothécaire.
— Désolée de vous interrompre tous les trois. Shiina-san, pourrais-tu m’aider un instant ? C’est assez urgent, mais cela ne prendra pas trop de temps…
Hiyori — Bien sûr, ce sera avec plaisir. Ayanokôji-kun, Kaneda-kun, attendez-moi un peu. Je vous recommanderai des lectures tout à l’heure.
Après ces mots, Shiina quitta sa chaise aux côtés de la bibliothécaire.
Il ne restait plus que moi et Kaneda, deux personnes qui ne se connaissaient absolument pas. Quand l’élément qui fait le lien s’absente, l’atmosphère devient vite pesante. J’avais déjà vécu ce genre de situation à plusieurs reprises au cours de ma vie lycéenne, et appris à gérer la chose. Autant prendre l’initiative d’engager la conversation.
Moi — Tu lis quoi d’habitude, Kaneda ?
Kaneda — Je ne suis pas très doué pour ce genre de bavardages inutiles.
Un refus net. La balle que je venais de lui passer fut immédiatement renvoyée, encore plus loin. J’avais initialement pensé lancer la discussion en partant de ses lectures préférées, mais Kaneda ne sembla guère apprécier la question. Peut-être que c’était plutôt ma manière de la poser qui avait été maladroite.
Moi — Désolé. Si je t’ai offensé d’une quelconque manière, je m’en excuse.
Je m’étais imaginé être désormais capable de gérer aisément ce genre de situations banales, mais il semblerait que je m’étais surestimé.
Kaneda — …Non, c’est moi qui ai manqué de tact. Nul besoin d’avoir l’air si abattu.
Moi — J’aurais voulu que la conversation prenne une tournure plus naturelle, vraiment.
Kaneda — C’est un peu ce que j’ai ressenti, oui.
Moi — Si parler avec moi te déplaît, tu n’as pas à te forcer.
Kaneda — Je suppose que j’ai juste mal orienté le sujet. Je ne te déteste pas, Ayanokôji-shi. C’est juste que je n’ai jamais eu l’occasion de discuter en tête-à-tête avec toi, alors des tas de pensées se sont bousculées. Tant que Hiyori-shi n’est pas revenue, si ça te va, j’aimerais bavarder un peu.
Face à sa volonté d’engager le dialogue, je ne pus m’empêcher d’éprouver un certain soulagement.
Moi — Si quelque chose te passe par la tête, n’hésite pas à poser tes questions. Même si, en ce qui concerne ma classe, je ne pourrai pas tout te dire non plus.
Il devait certainement en être conscient lui aussi, mais je préférai tout de même le lui rappeler par prudence. Kaneda ôta ses lunettes, y souffla légèrement dessus, sortit un chiffon de sa poche et entreprit de nettoyer soigneusement les deux verres, avant de les remettre lentement sur son nez.
Kaneda — Shiina-shi et toi… vous semblez proches.
Moi — Hein ? Eh bien, tout comme vous deux, nous sommes compagnons de lecture. Il nous arrive souvent de discuter ensemble.
Kaneda — Compagnons de lecture, hein. C’est peut-être vrai. Mais à l’instant, depuis l’autre bout de la salle, j’ai vu une expression sur le visage de Shiina-shi que je n’avais pas vue une seule fois en un mois. Honnêtement, quand je l’ai aperçue depuis l’entrée, j’ai été vraiment stupéfait. Cela faisait si longtemps que je ne l’avais pas vue sourire avec une telle sincérité.
Moi — C’est peut-être grâce à moi. Je me suis excusé auprès de Shiina, et elle m’a pardonné. Alors désormais, que ce soit en classe ou ici à la bibliothèque, tu pourras sûrement la revoir sourire comme avant.
Je passai sous silence l’affaire de l’invitation au transfert. Il valait mieux éviter de parler de ce sujet à un élève d’une classe rivale, surtout à quelqu’un comme Kaneda, plutôt proche de Ryuuen. Allez savoir comment il pourrait l’interpréter ou en faire usage.
Kaneda — Tu sais à quel point c’est impressionnant ?
Moi — Impressionnant ?
Kaneda — Tu ne vois toujours pas ? Non… Tu fais semblant de ne pas comprendre, c’est ça ? Ayanokôji-shi, tu te rends compte à quel point tu es béni par les cieux ?
Il me posa cette question comme pour sonder ma réaction.
Moi — Beni par les cieux ? Cette notion me semble trop vague pour que je puisse y répondre.
Kaneda — Je vois… J’ai peut-être manqué de clarté. Disons-le autrement. D’un point de vue masculin, tu as un physique remarquable. Tu es grand, bien bâti, sans pour autant dégager la moindre impression d’intimidation. Tu as quelque chose de frais, de pur, d’un peu hors du commun. Et puis, tu sortais avec Karuizawa-shi, non ? Et ces derniers temps, les rumeurs à propos d’Ichinose-shi ne cessent de circuler. En tant qu’homme, plus j’en apprends sur toi, plus je t’admire, mais aussi… plus je ressens une certaine jalousie face à l’écart qui nous sépare.
Son aveu inattendu piqua vivement ma curiosité, si bien que je tendis l’oreille.
Kaneda — Et ce n’est pas que pour ton apparence. Sur le plan scolaire aussi, dans le cercle de l’élite académique, de plus en plus de gens disent que tu es le numéro un de la terminale. Je pensais autrefois pouvoir rivaliser avec toi, mais aujourd’hui, cette idée me fait presque honte. Il m’arrive même d’en rire tout seul, rien qu’à y repenser. Et en sport aussi, depuis la reprise des cours d’EPS en avril, tu as montré des performances incroyables. Moi qui suis mauvais là-dedans, même en m’entraînant de toutes mes forces, je n’atteindrais jamais le potentiel que tu possèdes…
Ainsi donc, Kaneda était un élève aussi loquace que passionné. En me louant ainsi, il ne cessait de se rabaisser. À l’échelle du niveau général de notre promotion, Kaneda faisait pourtant partie des 30 % les mieux classés. Il n’avait aucune raison de s’auto-dénigrer autant. Après m’avoir couvert d’éloges, il poursuivit :
Kaneda — Maintenant, tu révèles enfin la force que tu avais cachée pendant deux ans, pour reconstruire la classe C après le départ de Sakayanagi-san. Tu incarnes littéralement le héros. Je t’envie sincèrement.
Moi — M’envier ? Je ne suis qu’un traître qui a quitté la classe A. Quelqu’un qui possédait la force mais ne s’en servait pas. Objectivement, ce genre d’attitude attire plus de critiques que d’éloges.
Kaneda — Un héros peut aussi jouer le rôle du méchant, tu sais.
Kaneda esquissa un sourire amer et jeta un regard par-dessus son épaule.
Je suivis son regard et aperçus Shiina et la bibliothécaire en train de faire quelque chose sur l’ordinateur. Elles n’avaient pas l’air prêtes de revenir.
Ce que je comprenais avec certitude à travers les paroles et le comportement de Kaneda, c’était qu’il éprouvait à mon égard une admiration bien au-delà de ce que j’aurais pu imaginer. Je savais que le fait d’avoir changé de classe allait susciter toutes sortes de réactions, mais l’intensité de l’émotion que je percevais chez lui figurait parmi les plus fortes. J’avais d’abord cru qu’il agissait ainsi en pensant à Ryuuen, le leader de sa classe, mais il semblait que ce n’était pas le cas.
Et une chose était désormais claire : Kaneda ne m’aimait pas.
Kaneda — D-Désolé. J’ai peut-être un peu exagéré.
Kaneda venait de réaliser à quel point ses paroles pouvaient peser sur son interlocuteur.
Moi — Ce n’est pas le genre de choses pour lesquelles il faut s’excuser. Chacun est libre de porter le regard qu’il veut sur les autres.
Kaneda — Ce côté-là aussi est agaçant, Ayanokôji-shi. Tu es peut-être prêt à être détesté, mais quand ça arrive vraiment, tu le ressens, non ? Ou bien, c’est juste parce qu’il s’agit de moi, et que tu te fiches complètement de ce que je peux ressentir à ton sujet ?
Moi — Ce n’est pas ça. Je réagirais de la même manière avec n’importe qui.
C’est en anticipant d’être rejeté que j’avais avancé ainsi jusqu’ici.
Kaneda — Dans ce cas… si c’était Shiina-shi, ce serait pareil ?
C’est alors que Kaneda prononça le nom de Shiina.
C’est vrai que s’il fallait choisir un exemple, elle serait sans doute la mieux placée. J’aurais dû être capable de répondre immédiatement, comme je l’avais fait jusqu’ici. Mais ma voix resta bloquée au fond de ma gorge. Même si elle venait à me détester, cela ne devrait pas m’affecter.
Du moins, en principe.
J’avais décliné l’invitation de Shiina en toute connaissance de cause, conscient de ce que cela impliquerait. J’avais choisi d’intégrer la classe C. Et si je n’étais pas allé m’excuser immédiatement, c’était aussi parce que d’autres priorités passaient avant. Ce qu’elle pouvait ressentir ne figurait pas parmi mes préoccupations principales. Ou plutôt, cela avait été relégué à une place secondaire.
Kaneda — Oublie ce que je viens de dire. Je crois que j’ai posé une question déplacée.
Avant même que je puisse répondre, il tira sa chaise en silence et se leva.
Kaneda — Je vais y aller.
Moi — Tu es sûr ? Shiina semblait vouloir que tu restes.
Kaneda — Ce n’est rien. Ma présence ou non ne change rien aujourd’hui. Désolé d’avoir monopolisé la parole.
Moi — C’est rien. Ne t’en fais pas.
Kaneda — Je vois. Merci de ta patience.
Sur ces mots, Kaneda quitta la bibliothèque comme s’il avait pris une décision. Un peu plus tard, Shiina revint, l’air un peu perdue, balayant la salle du regard.
Hiyori — Hein ? Tu es seul, Ayanokôji-kun ?
Apparemment, Kaneda n’avait même pas pris la peine de lui adresser un signe avant de s’en aller.
Moi — Oui. Il a eu une urgence, alors il est parti. Il m’a demandé de te dire qu’il repasserait bientôt.
Hiyori — Je vois. C’est gentil à lui, j’ai hâte de le revoir.
Le doux sourire qui se dessina sur le visage de Shiina ne laissait aucun doute, elle se réjouissait sincèrement de la prochaine visite de Kaneda. J’avais présumé qu’elle avait passé ce mois toute seule, isolée. Mais en vérité, elle avait peu à peu élargi son cercle. Elle avait trouvé en Kaneda un compagnon avec qui partager du temps à la bibliothèque.
En y réfléchissant, rien de tout cela n’avait de quoi me surprendre.
De la même façon que j’avais changé de classe, changé de camarades. Que mon entourage, bien que timidement, s’était enrichi de nouvelles têtes. Shiina aussi, depuis notre première rencontre, avait changé.
Elle aussi tisserait de nouvelles relations, se rapprocherait d’autres personnes. De simples camarades de classe, ou des élèves d’un autre niveau. Et peu à peu, certains deviendraient des amis. D’autres, des proches. Bientôt, un jour peut-être, un autre que moi s’assiérait à la place vide près d’elle…
Moi — …
La voir plongée dans sa lecture me fit prendre conscience avec stupeur des pensées qui m’avaient traversé l’esprit. Que tel ou tel lien se renforce n’était, au fond, qu’une information. Un simple élément à intégrer, pour évaluer s’il pourrait m’être utile à l’avenir. Mais ce que j’avais ressenti n’était pas de cet ordre.
Je m’étais surpris à chercher près de Shiina la silhouette de quelqu’un d’invisible. Je ne comprenais pas pourquoi je ne parvenais pas à la considérer comme n’importe quel autre élève. Garçon, fille, ami, proche… Je n’avais jamais laissé le genre ou la nature d’une relation guider mes interactions. J’avais eu des échanges avec bien des élèves, sans que l’affinité ou la proximité n’ait vraiment d’incidence sur ma manière de les approcher ou non.
Évidemment, partager des centres d’intérêt ou bien s’entendre influait plus ou moins sur la qualité d’une relation, mais cela ne suffisait jamais à déterminer si je me rapprochais ou non de quelqu’un. Mais en voyant toutes ces pensées parasites surgir dans mon esprit, je dus me rendre à l’évidence. Shiina faisait partie de ces rares personnes qui échappaient à ce schéma de pensée.
Ce n’était pas comme déplacer un objet d’un point A à un point B selon ma volonté. C’était plutôt comme si cet objet, qui se trouvait encore à droite hier, s’était retrouvé à gauche sans que je sache quand ni comment. Le simple fait de lire ensemble dans le même espace, de partager cet instant, suffisait à emplir mon cœur d’un profond sentiment de plénitude.
Si je devais le nommer, je dirais que c’était une forme de bonheur.
Aucun mot n’aurait pu être plus juste.
Le temps passé ensemble n’avait rien d’exceptionnel en durée, nous n’avions pas échangé des centaines de mots en peu de temps. Mais en y repensant, il me semblait avoir ressenti très tôt une certaine proximité naturelle avec elle. Même la manière dont je l’appelais — « Shiina » — n’était pas née d’une demande de sa part.
Autrement dit, ce n’était pas un choix réfléchi. Ce n’était pas dans un but précis. Je revins à moi, et me rendis compte que mes yeux étaient restés posés sur le visage de Shiina, toujours absorbée dans sa lecture. Elle ne remarqua pas tout de suite mon regard, mais à un moment, comme si de rien n’était, elle releva la tête, et nos regards se croisèrent naturellement.
Hiyori — Quelque chose ne va pas ?
Moi — Non, rien…
Le simple fait de la voir me procurait une paix intérieure. Mais lui dire cela ne ferait que l’embarrasser, sans rien lui apporter de plus. Passé dix-huit heures, nous quittâmes la bibliothèque et sortîmes du bâtiment scolaire tous les deux.
Moi — Je peux revenir à la bibliothèque demain ?
Hiyori — Bien sûr. Ce n’est pas comme si tu avais besoin de ma permission, non ?
Ma question dut lui paraître étrange, car elle porta une main devant sa bouche et laissa échapper un petit rire étouffé.
Moi — Peut-être qu’inconsciemment, j’ai fini par voir la bibliothèque comme ta deuxième maison.
Hiyori — Ce n’est pas totalement faux. Si je n’ai rien de prévu, j’y vais tous les jours.
Je me souvenais avoir cru, un jour où elle n’était pas venue, qu’elle était tombée malade. Cela coïncidait avec la période où la rumeur de ma relation avec Karuizawa s’était répandue dans l’école. Même si nous n’étions que des compagnons de lecture, Shiina avait sans doute décalé ses horaires par considération pour moi.
Moi — Ah…
Shiina s’exclama soudainement. Je suivis son regard : un petit chariot à roulettes avançait vers le portail avec un petit grincement. Sur la plateforme s’étalaient des fleurs aux couleurs vives, un vrai spectacle de teintes éclatantes même à distance. Tandis que nous restions là à les observer, la femme d’âge moyen qui tirait le chariot nous remarqua et s’approcha.
— Aujourd’hui, j’ai obtenu l’autorisation spéciale de vendre mes fleurs ici. Vous voulez jeter un œil ?
Hiyori — On peut ?
— Bien sûr que oui.
Touchée par sa gentillesse, Shiina plissa les yeux d’un air ravi et s’approcha du chariot. Je me tins à ses côtés, les yeux baissés vers les fleurs.
Il n’y avait pas de fleuriste au Keyaki. Pour offrir un bouquet à un anniversaire ou pour toute autre occasion, les élèves devaient se contenter de fleurs artificielles dans une boutique de bric-à-brac, ou passer commande sur Internet. Pouvoir contempler des fleurs fraîches vendues ainsi était donc une nouveauté en soi. On y trouvait des gypsophiles, des hortensias en pot, et quelques compositions florales.
Hiyori — Elles sont magnifiques…
Shiina murmura cela en observant les fleurs, indécise devant tant de beauté. Mais bientôt, elle sembla en avoir repéré une à son goût, et tendit la main.
Hiyori — Je peux prendre celle-ci, s’il vous plaît ?
Elle désignait une jolie fleur d’un rouge délicat, soigneusement emballée : un pavot.
Moi — Une seule, Shiina ?
Hiyori — Oui. Justement parce qu’il n’y en a qu’une, elle me semble encore plus précieuse.
— Ce n’est pas le nombre qui compte, jeune homme.
Avec un franc sourire, la vendeuse m’expliqua qu’on appelait cela une « fleur à la tige ».
Moi — Alors, je vais vous prendre ça.
Je sortis mon téléphone pour payer.
Hiyori — Ah, euh, non, Ayanokôji-kun, ce n’est pas possible. C’est moi qui voulais l’acheter…
Moi — Laisse-moi t’offrir ce petit cadeau.
En disant cela, je plongeai mon regard dans le sien et ajoutai :
Moi — Pour m’excuser de t’avoir fait attendre un mois. Même si je ne suis pas certain qu’un si modeste présent suffise à compenser.
Ce n’était qu’une simple fleur. Elle coûtait à peine 400 points, un cadeau vraiment modeste.
Hiyori — Pas du tout. Ça me fait vraiment plaisir.
Shiina baissa les yeux, et lorsqu’elle les releva, ses joues semblaient avoir pris une légère teinte rosée. Peut-être était-ce la lumière du crépuscule, tout simplement.
Hiyori — …Alors, j’accepte avec gratitude.
Si elle n’avait pas été si proche, j’aurais à peine entendu cette voix tremblante. Après le paiement, la vendeuse me remit la fleur à moi plutôt qu’à Shiina. Elle nous observa à tour de rôle, puis nous remercia chaleureusement. Nous restâmes un moment à regarder le petit chariot s’éloigner, jusqu’à ce qu’il disparaisse au bout du chemin.
Puis, de retour dans notre bulle à deux, je tendis la fleur à Shiina.
Hiyori — Merci beaucoup, vraiment.
Moi — Tu n’as pas à me remercier. C’est juste moi qui voulais m’excuser, pour me donner bonne conscience.
Même si j’avais dit cela, ce n’était pas tout à fait exact. La vérité, c’est que j’avais simplement eu envie de lui offrir un cadeau. J’avais voulu sincèrement lui faire plaisir. Sur un coup de tête, porté par cette impulsion, j’avais acheté ce pavot pour elle.
Shiina serra tendrement la fleur contre elle, et me regarda en silence.
Au moment où nos regards se croisèrent, elle m’adressa un sourire. Mais quelque chose changea, alors que cette connexion visuelle se prolongeait. Son visage afficha une expression inattendue.
Moi — Tu pleures ?
Des larmes brillantes s’étaient formées au coin de ses yeux. Peut-être ne s’en était-elle même pas rendu compte. Elle s’empressa de les essuyer du bout de ses doigts fins et pâles.
Hiyori — Pour moi, aujourd’hui n’aurait dû être qu’un jour ordinaire, une journée où je te retrouvais comme les autres… Et pourtant, c’est devenu un moment si précieux, si doux… J’ai du mal à croire que ce ne soit pas un rêve.
D’une voix sincère, elle poursuivit :
Hiyori — Je suis tellement soulagée… Vraiment soulagée… que tu ne m’aies pas repoussée.
Et, par un heureux hasard, je ressentais exactement la même chose.
Moi — Moi aussi, tu sais. Je pensais que cette journée serait banale… mais elle s’est révélée incroyablement riche.
Si Shiina ne mentait pas, alors nos sentiments étaient en harmonie. Une synchronie de cœur sans importance, en apparence. Pourtant, elle me rendait étrangement heureux, me laissait un doux frisson au fond de la poitrine.
Sous un ciel embrasé par les dernières lueurs du soleil couchant, je gravai dans ma mémoire l’image de Shiina, serrant dans ses bras ce pavot, les yeux brillants de larmes.
Afin de toujours pouvoir me souvenir de cette scène, peu importe quand.
3
De retour dans le hall du dortoir, Hashimoto, assis sur le canapé, nous aperçut et se leva.
Hashimoto — Désolé, Shiina. Je vais emprunter Ayanokôji un moment.
Face à l’intervention désinvolte mais difficile à repousser de Hashimoto, Shiina ne montra aucun signe de contrariété. Elle acquiesça légèrement avec entrain, agita la main et entra directement dans l’ascenseur. Hashimoto lui rendit son geste en souriant, la regardant s’éloigner.
Moi — Quelle coïncidence. Tu m’attendais ici ?
Hashimoto — On peut dire ça. Viens, allons marcher un peu.
À moitié entraîné malgré moi, je quittai le hall à sa suite pour m’engager sur un sentier à l’écart du chemin menant au lycée.
Hashimoto — Tu fais preuve d’une grande indulgence envers Shiina. Non, plutôt d’une réelle proximité. Ces fleurs, c’était ton cadeau, non ?
Moi — Qu’est-ce qui te fait penser ça ?
À ce moment-là, il n’y avait personne autour. Hashimoto n’aurait pas pu le voir.
Hashimoto — Inutile de jouer les innocents, ça se devinait facilement. Vu comme elle tenait ces fleurs en souriant, n’importe qui aurait compris.
Il avait dû se faire une idée en nous voyant ensemble, Shiina et moi.
Hashimoto —Tu n’arrêtes pas de parler d’elle. J’avais justement quelque chose à éclaircir, alors je comptais bien tirer ça au clair aujourd’hui.
Hashimoto inspira profondément, puis planta ses yeux dans les miens.
Hashimoto — Les autres n’oseraient peut-être pas poser la question, alors laisse-moi y aller franco. Shiina est-elle quelqu’un de spécial pour toi ?
En voyant son expression, je compris qu’il était on ne peut plus sérieux.
Moi — Et si je suis proche de quelqu’un en particulier, où est le souci ?
Hashimoto — Ce n’est pas que ce soit un problème en soi, mais… ce n’est pas vraiment souhaitable non plus.
Il semblait hésitant. Lorsqu’il croisa mon regard, il détourna les yeux, gêné.
Hashimoto — Je ne suis sûrement pas le seul. Ichinose doit mal le vivre aussi. Il y a des rumeurs, tu sais, disant qu’elle t’aime bien. Ça vient de la classe D. Apparemment, après ta rupture avec Karuizawa, elle aurait déclaré qu’elle était candidate officielle pour devenir ta prochaine petite amie. Déjà, pendant les discussions pour l’alliance, je trouvais que son regard sur toi était… inhabituel. Bref, je pensais vraiment que tu allais finir par sortir avec Ichinose. À moins que ce ne soit déjà le cas ?
Moi — Non, on ne sort pas ensemble.
C’était pourtant la réponse qu’il attendait. Mais à en juger par sa mine, elle ne lui faisait guère plaisir.
Hashimoto — …Pourquoi ? On parle d’Ichinose, là. Difficile de faire mieux, non ? Franchement, même moi, qui n’ai pratiquement aucun lien avec elle, si elle me faisait une déclaration, je dirais oui sans réfléchir. Elle est à ce niveau, tu ne crois pas ? T’as aucune raison de refuser.
Moi — Désolé de casser l’ambiance, mais je n’ai jamais reçu de déclaration.
Hashimoto — Alors t’as qu’à lui en faire une ! Si elle t’aime, tu n’as plus qu’à foncer, non ? Enfin, je dis pas ça pour te pousser bizarrement, hein.
Il s’empressa de se justifier, même si ça revenait presque au même.
Moi — Ichinose et moi sommes alliés. Pas plus, pas moins.
Hashimoto — Vous avez établi une limite, juste camarades d’alliance ? Et ça restera comme ça ?
Sans attendre ma réponse, Hashimoto enchaîna :
Hashimoto — Donc tu vises Shiina, hein… J’avais raison.
Moi — Je suis surpris. Je ne te pensais pas si intéressé par les histoires de cœur des autres.
Hashimoto — Disons que je m’inquiète de l’impact que ça pourrait avoir sur la performance de la classe.
Autrement dit, ce n’était pas tant avec qui je sortais qui importait, mais plutôt si cela risquait de biaiser mon jugement. C’était visiblement ce qui l’inquiétait. Une préoccupation typiquement hashimotoesque.
Hashimoto — Pas besoin que tu répondes. Je connais déjà la réponse. Tu as laissé derrière toi Horikita et les autres, avec qui tu avais tout partagé ces deux dernières années, pour rejoindre notre classe. Même si tu as des sentiments pour Ichinose ou Shiina, tu ne changerais pas ta ligne de conduite pour autant. C’est une certitude.
Moi — Et pourtant, tu insistes. Surtout à propos de Shiina.
Il mettait clairement l’accent sur elle plutôt que sur Ichinose.
Hashimoto — En tant que simple observateur, je peux dire qu’elle a toujours eu droit à un traitement à part.
Hashimoto aurait aimé conclure en disant que ses inquiétudes n’étaient peut-être qu’un excès de prudence, mais la vérité, c’est que j’éprouvais bel et bien une forme d’attachement difficile à définir envers Shiina.
Cela dit, je savais que jamais mes sentiments n’affecteraient pas la réussite de la classe. C’était une certitude. Mais d’un point de vue personnel, je n’avais pas envie de traiter Shiina à la légère. Je compris enfin.
Moi — C’est donc ça.
Hashimoto — « Ça » quoi ?
Moi — Je crois… que je suis en train de tomber amoureux de Shiina.
Hashimoto — …Hein ?
Moi — Pour être honnête, je ne suis pas encore certain de ce que je ressens. Mais je sais que ce que j’éprouve pour elle est différent. Ou peut-être suis-je justement en train de commencer à développer ce genre de sentiments.
Ce malaise intérieur que je ressentais, ce décalage insaisissable… c’était probablement la source. Je n’avais pas réussi à en prendre conscience plus tôt, par simple manque d’expérience.
Hashimoto — Attends, quoi ? Tu plaisantes, là ? On dirait que tu parles de ta première histoire d’amour. Tu sortais encore avec Karuizawa il n’y a pas si longtemps, non ?
Si les émotions que je venais de formuler prenaient réellement racine dans mon cœur, alors je ne pouvais qu’être fasciné par la puissance et l’imprévisibilité de l’amour.
Une soif de savoir s’éveilla en moi.
En remontant le fil du passé, peut-être y verrais-je plus clair.
Quand avais-je commencé à m’intéresser à Shiina ?
Qu’avait-elle de si différent des autres ?
Je voulais le découvrir. Jusqu’au bout.
Non. Il vaudrait mieux mettre un terme à ces divagations superflues.
Si je commençais à en déduire des conclusions comme si je montais une stratégie de guerre, ce serait franchement dommage. Quelle qu’en soit l’issue, cette émotion possédait une valeur d’expérimentation des plus séduisantes.
Hashimoto — Alors… tu envisages de sortir avec Shiina selon la tournure des événements ?
Moi — N’étais-tu pas convaincu que je ne changerais rien à mes décisions ? Dans ce cas, pourquoi éprouves-tu autant le besoin de t’immiscer dans les histoires sentimentales des autres ?
Hashimoto — Bah, disons que cette fois, ça m’a un peu piqué. Avec ma vision de l’amour, je ne pouvais pas ne pas éclaircir les choses.
Moi — Ta vision de l’amour, hein. Et tu as l’expérience pour en parler ?
Même si le nom de Maezono, expulsée, me traversa l’esprit, je choisis tout de même de le lui demander.
Hashimoto — Tu me sous-estimes un peu là. Je me vante pas, mais au collège et au lycée confondus, j’ai eu deux petites amies… non, trois, si on veut être précis.
Le flou qu’il laissa planer sur la dernière ne laissait guère de doute : il parlait bien de Maezono.
Hashimoto — Alors ? Tu comptes sortir avec Shiina ? Si tu ne veux pas répondre, je peux comprendre…
Moi — Sortir ensemble ou non dépend de ce qu’elle veut, elle. C’est la seule chose que je peux affirmer.
Hashimoto — Haha, je vois. Mais, d’après ce que tu viens de dire… ce que tu ressens pour elle, c’est donc une première, dans le monde réel ? Ta première histoire d’amour ?
Moi — Peut-être bien.
Je n’avais en tout cas aucune raison de le nier.
Hashimoto — Peu importe combien de personnes tu fréquentes, il n’y a qu’une seule première fois. Et puis, rares sont ceux qui finissent avec leur premier amour. Moi, par exemple, ma première, c’était une camarade de primaire. Et on s’est à peine échangé quelques mots. Franchement, appeler ça un amour, c’est exagéré. C’était ni romantique ni particulier. Chez les mecs, disons qu’on est un peu simples d’esprit. Si une fille est mignonne, on peut facilement craquer sans réfléchir.
Je comprenais bien ce qu’il voulait dire. Les gens beaux attirent, qu’ils soient hommes ou femmes. À la télé ou dans les magazines, ce sont toujours les visages les plus photogéniques qui captent l’attention.
Hashimoto — Alors, oublie un peu cette histoire de premier amour. Du moment qu’une fille un minimum mignonne te plaît, que ce soit ta dixième ou ta vingtième relation, tu peux très bien te lancer sans te prendre la tête.
Même après tout ce détour, la position de Hashimoto n’avait pas changé.
Hashimoto — Que ce soit ton premier amour ou non, oublie Shiina. En tant que conseiller, ami et camarade visant la classe A tout comme toi, c’est le meilleur conseil que je puisse te donner.
Il se montrait très ferme. Il redoutait clairement que ma relation avec Shiina n’échappe à tout contrôle.
Hashimoto — C’est pas comme si t’avais pas d’options. Tu pourrais très bien te remettre avec Karuizawa, ou sortir avec Ichinose. Même une autre fille ferait l’affaire. Mais Shiina, non. Elle seule est hors de question.
Il répétait sans cesse la même chose. Une stratégie délibérée pour jauger ma réaction. Que je nie trop vivement ou que je confirme trop clairement, tout excès risquait d’être mal interprété.
Moi — Je comprends tes inquiétudes. Mais tu t’en fais pour rien.
Hashimoto — …Je peux te faire confiance, alors ?
Moi — Tu ne me croirais pas sur parole, mais sois tranquille.
Aujourd’hui, Shiina était devenue une présence que je ne pouvais plus ignorer.
Elle représentait cette émotion encore inconnue, que je commençais tout juste à effleurer. Je brûlais d’envie de savoir si ce que je ressentais correspondait vraiment à ce que Hashimoto appelait un premier amour. Je voulais expérimenter ce que l’on éprouve quand ce genre de sentiment irrépressible finit par vous submerger.
Jusqu’où serais-je emporté par cette vague ? Et elle, vers quoi voguerait-elle ?
Tels deux naufragés perdus dans une mer sans fin, nous cherchions chacun notre réponse.
Je garderais en tête les conseils de Hashimoto. Mais je n’avais aucunement l’intention de m’arrêter là.
Car j’étais prêt, désormais, à me laisser happer par cette tempête.
[1] Il s’agit probablement d’une référence à Kamen Rider Ghost, lorsque le héros adopte un style de combat « Pistolet » en criant « BAKYUN ! ».