COTEY3 T1 - CHAPITRE 5

Convolution

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Traduction : Raitei
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(Horikita)

Une semaine s’était écoulée depuis le début de notre année de terminale.
J’étais assise seule avant que l’heure de la première période ne commence, écoutant les voix autour de moi. Il manquait quelqu’un, et le paysage avait changé. Et pourtant, ce changement douloureux commençait à se fondre dans la routine quotidienne, comme si de rien n’était. Le nom d’Ayanokôji-kun était lentement devenu moins prononcé par les élèves ayant eu une relation superficielle avec lui. Simple effet du temps.

C’était un bon exemple de la manière dont le temps atténuait la tristesse, la colère et les épreuves. À contrecœur, j’étais forcée de comprendre cette réalité.
Ils essayaient d’effacer leurs deux années avec Ayanokôji-kun, comme si elles n’avaient jamais existé. Yamauchi-kun, Sakura-san, Maezono-san aussi.
Personne ne mentionnait les élèves qui avaient quitté la classe.

Mais pour ceux d’entre nous qui lui étaient proches, moi y compris, ce n’était pas encore le cas. C’était même tout le contraire. Nous ressentions de manière bien douloureuse la cruauté du temps. Le fait qu’il soit vraiment parti devenait chaque jour plus concret. Matsushita-san avait commencé à moins sourire et parler. Sudou-kun, lui, se mettait à nouveau en colère pour des broutilles, comme autrefois.

Et moi… Comment avais-je changé ? Je n’arrivais même plus à me regarder avec objectivité. Je m’efforçais désespérément de maintenir l’image d’une classe A stable, en gardant mon calme. Non, je ne savais même pas si j’y parvenais réellement. Tout en luttant contre l’anxiété qui brouillait ma perception du réel, je continuais mes journées, me concentrant sur mes études, m’accrochant désespérément à mon bureau. C’était lourd, étouffant. Mon cœur me faisait mal. Comme si j’avais perdu une partie essentielle de mon corps. Pourquoi cela s’était-il produit ? Notre classe ne lui convenait-elle pas ? Cet endroit n’était-il pas assez confortable pour Ayanokôji-kun ? Je ne savais pas. Peu importe combien de fois je retournais la question, je n’arrivais pas à trouver la réponse.

C’est vrai, je suis encore inexpérimentée parmi tous les leaders. Mais justement… c’est pour ça que je pensais qu’il resterait gentiment à mes côtés, à soupirer tout en me surveillant de loin. S’était-il simplement lassé de jouer les baby-sitters ? Si j’avais été plus fiable, aurait-il pu rester sans changer de classe ? Et mes paroles, qui ne l’avaient pas atteint…

« Je ne te demanderai pas de m’aider pour tout, mais je veux que tu continues à veiller sur moi… »

En y repensant, peut-être valait-il mieux que ces sentiments n’aient pas été entendus lors de la fête. C’était un vœu irréalisable. Ou peut-être que… Si ces sentiments lui étaient parvenus… serait-il resté… ?

Moi — …

Je réussis de justesse à retenir un soupir qui voulait s’échapper naturellement de ma bouche, m’assurant que personne ne l’entendait. C’était une réalité insupportable. Je n’avais jamais eu les pieds vraiment ancrés au sol.
Ayant perdu mon équilibre, seul le temps continuait d’avancer sans pitié.

Finalement, la sonnerie de la première période retentit. Chabashira-sensei entra dans la classe. Peut-être avait-elle elle aussi tourné la page sur l’affaire du transfert, ou peut-être essayait-elle simplement de ne pas y penser.
Elle avait retrouvé son attitude qu’on lui connaissait, un contraste frappant avec son état du premier jour. Dans un futur pas si lointain, Sudou-kun et les autres finiraient eux aussi par tourner la page.

Et moi, alors ?

Est-ce qu’un jour, moi aussi, je m’y ferai ?

C’était difficile à imaginer.

Qu’est-ce que je fais ici, dans cet endroit ?

Que suis-je censée faire maintenant ?

Avant, quand je n’arrivais même pas à envisager le départ d’Ayanokôji-kun, je croyais avoir la force d’aller de l’avant et de continuer le combat. Mais dans cette classe sans lui, pour une année encore… moi, je…

Mlle Chabashira — Tu m’écoutes, Horikita ?

Moi — …Hein ?

Avant que je ne m’en rende compte, Chabashira-sensei s’était adressée à moi, me regardant directement. Certains élèves autour me fixèrent net aussi.

Mlle Chabashira — Je vais annoncer l’épreuve spéciale. Ne sois pas dans la lune et écoute bien.

Moi — Pardon… Oui. J’écoute.

C’était un mensonge. Je n’avais rien entendu. Je n’avais même pas remarqué que quelqu’un avait parlé. Je devais me concentrer sur ce que disait le professeur… Peu importe à quel point je souffrais, à quel point je m’arrêtais, le monde autour de moi, lui, ne m’attendrait pas.

Ce que le professeur venait de mentionner, c’était… une épreuve spéciale. La première épreuve spéciale de notre dernière année venait d’arriver, alors même que je n’avais pas encore digéré ce qu’il s’était passé. Je secouai la tête de gauche à droite, puis fixai le moniteur droit devant moi.



Aperçu de l’Épreuve Spéciale

Évaluation des compétences académiques globales : combats avec la classe au complet et en petits groupes

  • Une épreuve écrite composée de questions aléatoires couvrant 21 thématiques réparties sur 7 matières.

  • 100 questions au total, notées sur 100 points.

Le format de la compétition est divisé en deux catégories distinctes :

  • Combats avec la classe au complet

  • Combats en petits groupes



Combat avec la classe au complet

  • Tous les élèves de la classe doivent participer à l’épreuve écrite.

  • La classe ayant le score total le plus élevé remporte le combat.

  • Une victoire dans cette catégorie comptera pour deux victoires au total.

  • En cas d’égalité des scores, chaque classe recevra une victoire, et le match sera considéré comme un match nul.

  • Si le nombre d’élèves diffère entre les classes, le score du dernier élève (le moins bien classé) de la classe concernée sera utilisé comme score de substitution pour chaque élève manquant.

 

Combats en petits groupes

  • Chaque classe doit désigner cinq représentants pour participer.

  • Chaque représentant se verra attribuer un numéro de un à cinq, et les duels se feront en un contre un selon ces numéros.

  • L’élève ayant obtenu le meilleur score remporte son duel, et sa classe obtient une victoire.

  • En cas d’égalité des scores, le duel est considéré comme un match nul, et aucune victoire n’est attribuée pour cette manche.

Règles exclusives – combats en petits groupes

  • Des pénalités peuvent être attribuées à n’importe quel élève de la classe adverse.

  • Chaque classe commence avec un capital de 100 points de pénalité.

  • Chaque point de pénalité retire un point du score obtenu par l’élève visé.

  • Il n’y a aucune limite au nombre d’élèves pouvant recevoir des pénalités (jusqu’à 100 points de pénalité peuvent être infligés à un seul élève).

  • Des points de pénalité supplémentaires peuvent être achetés jusqu’à la veille de l’examen, au prix de 50 000 pp chacun.

  • La répartition des points de pénalité doit être transmise au professeur principal au plus tard la veille de l’épreuve.

  • Seuls les points de pénalité visant les élèves désignés pour le combat en petits groupes seront divulgués au public.

Les points de pénalité n’auront aucun impact sur les résultats du combat avec la classe au complet ni sur les évaluations OAA ultérieures.

Conditions de victoire

  • La classe qui remporte le plus de duels sera déclarée gagnante de l’épreuve.

  • Les points de victoire comprennent :

    • Deux victoires possibles pour le combat avec la classe au complet.

    • Cinq victoires possibles pour les combats en petits groupes.

  • En cas d’égalité, comme trois victoires, trois défaites et un match nul, les récompenses seront réparties équitablement entre les deux classes.

Récompenses

  • La classe gagnante recevra 100 pc.

    • En cas de match nul, chaque classe recevra 50 pc.

  • Une classe obtenant une victoire totale (soit 7 victoires) recevra 50 pc supplémentaires.

  • À l’inverse, une classe subissant une défaite totale (7 défaites) se verra retirer 50 pc.

 

De ce que je comprenais, il s’agissait d’une épreuve écrite classique. En somme, de la capacité académique pure. Cependant, les règles spéciales pouvaient considérablement modifier les résultats.

Mlle Chabashira — Cette fois, il a été décidé que nous affronterons la terminale D. L’épreuve aura lieu dans deux semaines. Le temps de préparation est court, mais c’est pareil pour tout le monde, donc évitez de vous plaindre.

La terminale D, classe à laquelle appartenait Ichinose-san. Penser de cette manière n’était vraiment pas une bonne chose, mais même en le comprenant, je ne pouvais m’empêcher de ressentir un certain soulagement à l’idée de ne pas avoir à affronter Ayanokôji-kun. En temps normal, j’aurais sûrement regretté de ne pas devoir affronter la classe de Ryuuen-kun, bien moins performante aux épreuves écrites.

Mais aujourd’hui, je ne jugeais une situation comme favorable ou non qu’en fonction de la présence d’Ayanokôji-kun dans le camp adverse. Mais j’étais sans doute loin d’être la seule. Du moins, Matsushita-san et Sudou-kun m’avaient semblé eux aussi soulagés. Submergée par une sensation de dégoût, je reportai mon regard vers les règles affichées sur l’écran sans laisser transparaître d’émotion. La classe d’Ichinose-san comptait de nombreux élèves équilibrés, solides académiquement.

De plus, le fait que leur classe soit au complet avec quarante élèves était un problème en soi. Plus l’écart entre les effectifs des classes était important, plus les désavantages surgissaient avant même le début du combat. Certes, des points étaient attribués pour les élèves absents, mais le fait de recevoir les mêmes points que le dernier de la classe restait un handicap important.

Avec son départ… notre classe n’était plus qu’à trente-six élèves. Cela signifiait que nous allions devoir combattre avec l’équivalent forcé de cinq élèves notés au niveau du plus faible de la classe.

Mlle Chabashira — Ce n’est qu’une estimation, mais voici les scores prévisionnels basés sur les évaluations OAA. Ce serait avisé de vous en servir comme référence pour estimer vos performances.

Après cette annonce, l’écran passa à une nouvelle page.

Échelle de Compétence Académique – OAA

  • Note A : entre 76 et 85 points

  • Note B : entre 66 et 75 points

  • Note C : entre 56 et 65 points

  • Note D : entre 51 et 55 points

  • Note E : entre 45 et 50 points

Il semblait que cette épreuve écrite serait particulièrement difficile, et qu’obtenir un score parfait serait quasiment impossible. C’est l’impression que cela donnait.

Sudou — On dirait que ça va être dur…

Assis à côté de moi, Sudou-kun avait murmuré cela d’un ton grave.
Oui, cette épreuve allait indéniablement être dure pour nous. En affrontant la classe d’Ichinose de manière frontale, nos chances de victoire ne frôlaient même pas les 50%. Nous avions certes progressé dans le domaine académique, mais en regardant les résultats de nos examens précédents, même si nous avions réussi à battre la classe d’Ichinose une fois dans une épreuve similaire, le désavantage lié à notre infériorité numérique restait un handicap réel.

Et dans les deux semaines restantes avant l’épreuve, ils allaient s’entraîner aussi intensément que nous, sans garantie que nous puissions rattraper l’écart efficacement. Cela dit… comme il ne s’agissait pas d’un simple examen écrit, d’autres voies vers la victoire s’offraient à nous. S’il s’agissait d’un combat basé uniquement sur le score total, nos chances seraient encore plus faibles.

Mais cette fois, une règle spéciale sur les combats en petits groupes changeait la donne. Même si nous devions perdre le combat de classe, pouvoir renverser la situation en remportant quatre duels individuels était un facteur clé. Puisque nos deux classes comptaient un nombre équivalent d’élèves ayant une note A sur l’OAA en compétence académique, si nous parvenions à opposer nos cinq meilleurs éléments, nous pouvions rivaliser à armes égales. Bien sûr, cela n’annulait pas notre désavantage initial.

S’ils remportaient le combat de classe, ils n’auraient besoin que de deux victoires en petit groupe pour l’emporter. Tandis que nous en aurions besoin de quatre. Si jamais il y avait égalité lors du combat de classe, trois victoires nous suffiraient, mais vu la faible probabilité d’un match nul, mieux valait ne pas trop y compter.

Quatre victoires…

Mettant de côté la faisabilité, même si les cinq élèves désignés par la classe d’Ichinose obtenaient un score de 85 points, soit le haut de l’échelle A, nous avions de bonnes chances de gagner en utilisant correctement les points de pénalité.

Par exemple, en répartissant 20 points de pénalité à chacun de leurs cinq représentants, leur score tomberait à 65 points. Mais bien sûr, cela valait aussi dans l’autre sens. Si nous envoyions simplement nos élèves les plus compétents, et qu’ils se faisaient pénaliser en masse, il serait impossible d’éviter une chute conséquente des scores, et la victoire pourrait nous échapper. À l’inverse, si nous choisissions des élèves notés B ou C, ils pourraient ne pas avoir le niveau pour remporter les duels.

Ce type de réflexion de surface, toutes les classes pouvaient y penser. Et la conclusion logique était d’acheter des points de pénalité supplémentaires. Pour augmenter nos chances de victoire, il fallait investir massivement dans l’achat de pénalités. Simplement dit, c’était le seul moyen garanti de réduire l’écart avec l’adversaire. Mais restait le vrai problème : le prix…

Le seul souci, c’était qu’ôter un seul point coûtait 50 000 pp. Bien sûr, je comprenais que chaque point avait de la valeur, mais… Je devais faire preuve de prudence. Dépenser ses points privés n’assurait en rien des bénéfices concrets. Si l’on misait tout sur un élève en pensant qu’il participerait, et qu’il n’était finalement pas désigné pour les combats en petits groupes, la perte serait insupportable. Et par-dessus tout, l’idée même de dépenser des dizaines voire des centaines de milliers de points privés pour un examen spécial et perdre quand même… Je n’osais même pas y penser.

— …Ugh…

Je joignis les mains et fermai les yeux. Cette épreuve ne demandait pas seulement d’étudier avec sérieux, elle impliquait aussi une lecture stratégique des adversaires : qui serait désigné ? Qui cibler avec les points de pénalité ? Il n’y avait aucune autre stratégie apparente. Mais gagner sans un plan plus complexe me semblait impossible…Je ne comprenais pas…

Si seulement tu étais là… Si tu étais là, tu aurais sans doute déjà trouvé une méthode infaillible pour remporter l’épreuve. Je fermai à nouveau les yeux. L’image de son dos me revint aussitôt en mémoire, m’arrachant une vive douleur dans la poitrine.

Suzune.

Était-ce raisonnable d’affronter de front la classe d’Ichinose-san ? Pouvions-nous vraiment l’emporter… ? Nos niveaux académiques sont proches… Devrait-on y aller comme ça, ou essayer d’espionner pour savoir s’ils achèteront des points de pénalité ? Ou bien devrions-nous recourir à des manœuvres plus sournoises, à la manière de Ryuuen-kun ? Qui vont-ils envoyer ? Ichinose-san participera-t-elle ? Nous prendra-t-elle par surprise ? Toutes ces pensées s’entremêlaient, et Ayanokôji-kun ne quittait pas mon esprit. Comment aurait-il analysé cette épreuve ? Quelle approche aurait-il choisie ? Je n’avais plus le droit de lui poser la question.

Suzune.

Devais-je acheter plusieurs points de pénalité pour réduire les risques et en répartir sur tous leurs meilleurs éléments ? Parfois, il faut savoir faire des sacrifices douloureux pour surmonter une situation désespérée…

Suzune !

!?

Je sursautai. Quelque chose venait de me toucher l’épaule. C’était la main imposante de Sudou-kun.

Sudou — Ça va ?

Moi — Ça va. Je réfléchissais simplement à comment aborder l’examen.

Sudou — Je veux bien te croire, mais… tu penses à Ayanokôji, non ?

Moi — C’est…

Sudou — Impossible de pas y penser. Mais ne garde pas tout pour toi.

Moi — Oui… Je vais essayer.

Je ne pouvais pas lui montrer une version plus pathétique de moi-même.
Au moins ici, je devais faire preuve de courage. Je pensais m’en sortir, mais visiblement, ce n’était pas encore suffisant.

Hirata — L’utilisation des points de pénalité est importante… mais si on vise les meilleurs et qu’on se plante, c’est risqué.

Sans que je m’en rende compte, Hirata-kun avait pris la parole, menant la réflexion collective. Je n’avais aucune idée de ce dont ils parlaient avant.

Hirata — On vient juste de commencer.

Moi — …Merci.

Il avait compris que j’étais perdue dans mes pensées. Je devais me ressaisir pour ne pas leur causer davantage de souci. En réponse à l’intervention de Hirata-kun, Yukimura-kun leva la main, toujours assis.

Yukimura — Je pense qu’il ne faut pas se fier uniquement aux notes de l’OAA pour les combats en petits groupes. Après tout, cela reflète seulement la moyenne globale des matières. Un élève très faible dans une matière, mais excellent dans les autres peut quand même obtenir une bonne note globale. Et puis, même entre nous, on ignore encore beaucoup de choses, comme qui excelle précisément dans quelle matière. Tous les anciens examens n’ont pas livré de détails complets.

Il proposait de tirer parti des connaissances spécifiques à notre classe.

Il nous restait encore deux semaines avant l’épreuve…

Je me demandais si, d’ici là, je pourrais trouver une voie vers la victoire…

1

(Ayanokôji)

Le jour où l’examen spécial fut annoncé, je passai un après-midi ordinaire, comme à l’accoutumée. Après que Mashima-sensei eut terminé le cours de vie de classe et quitté la salle de classe, Hashimoto se leva.

Hashimoto — Bon. On est tous d’accord pour confier cet examen spécial à Ayanokôji, pas vrai ?

Il posa la question comme s’il tenait déjà le consentement de tous pour acquis, sans réellement demander la permission. Personne ne répondit, et un silence momentanément pesant s’installa dans la salle. Mais peu après, Shimazaki lança un regard noir à Hashimoto, sans cacher son mécontentement.

Shimazaki — Et pourquoi donc ?

Hashimoto — Pourquoi ? Je pourrais te retourner la question. Cet examen spécial est l’occasion rêvée pour un nouveau comme Ayanokôji de prouver ce qu’il vaut. Si on ne lui confie pas ça maintenant, alors quand ? Franchement, pourquoi l’avoir recruté sinon ?

Même s’il savait que je n’étais pas le bienvenu, Hashimoto défendait ardemment son idée, persuadé que c’était évident.

Shimazaki — Et si on perd ?

Hashimoto — Perdre ? Arrête, c’est absurde. Pas moyen qu’on perde. Hein, Ayanokôji ?

Hashimoto me lança un regard chargé d’attente et de pression.

Moi — Je ne peux garantir ni victoire ni défaite, mais si vous me confiez la tâche, j’ai bien l’intention de faire tout mon possible.

Je m’étais totalement détourné du ton confiant que j’avais affiché lors de la cérémonie d’ouverture, adoptant délibérément une réponse prudente. En retour, je récoltai les regards froids de mes camarades.

Shimazaki — Hah… Voilà ce qu’il répond, Hashimoto.

Là, Sakayanagi aurait sans doute déjà proclamé : « Nous allons gagner. » Cette différence dans nos réponses avait de quoi dérouter, voire décevoir.

Hashimoto — Allez, sois plus ferme. Sinon, tu vas finir par nous inquiéter pour de bon. Moi-même, je commence à me poser des questions.

Il se gratta la tête avec agacement, puis détourna les yeux.

Hashimoto — Shimazaki, tu proposes quoi si on évite Ayanokôji ?

Shimazaki — Rien. On va juste se battre et gagner normalement.

Hashimoto — Normalement ? Et qui va établir la stratégie ?

Shimazaki — On peut en discuter tous ensemble. Je ne suis pas contre le fait qu’Ayanokôji participe, hein.

Hashimoto — Tu veux dire qu’on n’a pas besoin de leader ?

Shimazaki — Ce n’est pas ce que je dis. Bien sûr qu’il nous faut un leader. Quelqu’un pour nous diriger en cas de désaccord. Mais je n’arrive pas à me convaincre de lui confier cet examen spécial. Franchement, vu ce que j’ai entendu, c’est un examen qu’on devrait gagner naturellement. On domine à l’écrit depuis deux ans, et notre adversaire est toujours la classe avec les pires scores, non ?

Hashimoto grogna légèrement, mais répliqua aussitôt.

Hashimoto — Si c’était un simple examen écrit, oui. Mais là, c’est un examen spécial. Tu crois vraiment qu’on peut gagner sans plan ?

Shimazaki — J’ai juste dit qu’on devait en discuter en classe, c’est tout.

Hashimoto — Plus y a de monde, plus les infos risquent de fuiter.

Shimazaki — Personne ne va rien faire fuiter. Enfin, sauf toi, peut-être.

Hashimoto — Charmant comme toujours.

Alors que la joute verbale battait son plein, Sanada se leva pour tenter d’apaiser la situation.

Sanada — Puis-je poser une question à Ayanokôji-kun ?

Moi — Bien sûr.

Sanada — En voyant la structure de cet examen, je pense que le facteur clé, c’est à qui seront assignés les points de pénalité. Si on te laisse faire, est-ce qu’on peut espérer que tu puisses prédire quels élèves seront sélectionnés pour les duels pour choisir les nôtres en conséquence afin d’éviter qu’ils soient ciblés ? Si tu peux garantir au moins ça, je pourrais envisager de te confier la responsabilité, Ayanokôji-kun.

Sanada venait de renforcer la position de Hashimoto en proposant une approche plus mesurée, susceptible de convaincre même les plus sceptiques.

Shimazaki — …Je vois. Ce n’est pas juger Ayanokôji sur le résultat, mais évaluer sa capacité sur le processus.

Sanada — Oui. Je pense aussi qu’on a de fortes chances de gagner cet examen. Mais s’il y a bien un élément qui peut tout faire basculer, c’est l’attribution des points de pénalité dans les duels. En parler en groupe ne garantit pas la meilleure solution. Confier ça à Ayanokôji-kun comporte des risques, mais comme l’a dit Hashimoto, il arrivera bien un moment où il faudra lui faire confiance. Peut-être que cet examen est justement une bonne occasion pour une décision claire et rapide.

C’était une forme de compromis entre les visions de Hashimoto et Shimazaki.

Hashimoto — Effectivement… ce n’est pas une mauvaise idée. Ayanokôji, tu peux t’en charger, hein ?

Moi — Si vous me confiez la tâche, je ferai de mon mieux.

C’était tout ce que je dis, mais Shimazaki reprit immédiatement.

Shimazaki — Très bien ! Puisqu’on considère que la victoire est acquise, on verra si tes prédictions sont correctes, hein ?

Hashimoto — Ok, ok. On part là-dessus.

Visiblement satisfait d’avoir sécurisé les choses, Hashimoto hocha la tête et fit claquer ses mains. Il devait croire qu’il suffisait de me confier la mission pour que tout soit possible.

Hashimoto — C’est réglé. On gère les détails. Repose-toi tranquille.

Moi — Mouais. Il faut que je réfléchisse sérieusement à qui désigner.

Avant que la discussion ne se prolonge et que les hésitations ne resurgissent, Hashimoto poussa tout le monde à se disperser.

Hashimoto — Ayanokôji, garde-toi un moment libre après les cours.

Il semblait que je ne rentrerais pas directement au dortoir.

Morishita — Hashimoto Masayoshi semble vraiment contrarié de ne pas avoir été impliqué dans les discussions concernant ton transfert.

Elle semblait bien déterminée à ce que rien ne se passe sans elle non plus.

Morishita — Tu crois vraiment que c’est prudent de partager notre stratégie avec quelqu’un qui pourrait nous trahir ?

Ayanokôji — Tu n’as pas une grande confiance en Hashimoto, hein ?

Morishita — On peut difficilement faire plus petit, tu ne crois pas ?

Nos places étant l’une derrière l’autre, il était facile d’échanger discrètement. Voyant Hashimoto s’approcher, Morishita écourta la conversation.

Hashimoto — On y va, Ayanokôji. Et toi, Morishita ?

Morishita — Je vais vous accompagner pour l’instant. J’ai envie de voir de quoi tu es capable.

Hashimoto — Que ce soit le dortoir, le karaoké ou derrière le bâtiment, je suis partant.

En général, on choisissait un endroit discret pour établir une stratégie.

Mais moi, je proposai délibérément un café comme d’habitude.

2

Nous arrivâmes au café sans faire de détour.

Morishita — Bon. Il me faudra environ une heure pour choisir à boire.

Hashimoto — T’es sérieuse là ? Pour une boisson, hein.

Morishita répondit avec un petit sourire à la remarque de Hashimoto.

Morishita — Je plaisante, mais une minute. Je consulte mon estomac.

Son estomac ? Dans ce genre de situation, j’aurais plutôt pensé qu’il valait mieux demander à son cerveau, mais bon… passons. Derrière nous se trouvait un duo d’élèves de seconde. Ils semblaient également vouloir entrer dans le café. Ils avaient commencé à faire la queue, mais, visiblement hésitants face à l’indécision de Morishita, ils reculèrent pour mieux consulter le menu.

Hashimoto — Décide avant que la file ne soit bloquée.

Morishita — Compris. Aujourd’hui, je vais prendre un matcha latte.

Hashimoto — Très bien, je vais commander pour nous trois. Allez chercher une table au fond.

Comme nous étions venus directement après les cours, le café était encore vide à 90 %. On avait donc l’embarras du choix pour s’installer. Je choisis de reprendre la même place que la dernière fois. Tandis que Hashimoto attendait au comptoir avec les trois boissons, Morishita et moi prîmes place.

Morishita — Tu n’appelles pas aussi Yamamura Miki ? Elle se dévalorisait toute seule, en disant qu’elle était comme de l’oxygène, plus léger1 que le dioxyde de carbone, qu’on inspire et expire sans y penser.

Moi — Yamamura ne dirait jamais un truc aussi cruel sur elle-même.

C’était typiquement sorti tout droit de l’esprit excentrique de Morishita.

Morishita — Bon, d’accord, c’était effectivement une de mes inventions. Mais elle est clairement inquiète.

Moi — Je l’ai déjà prévenue. Mieux vaut qu’elle garde ses distances avec moi pour l’instant.

Depuis mon transfert, pas mal d’élèves avaient commencé à me coller, et j’étais devenu bien trop visible. Des rumeurs infondées jusqu’aux informations vérifiées, tout circulait dans tous les sens.

Morishita — Même quelqu’un d’aussi effacé que Yamamura Miki pourrait en souffrir. Du coup, tu veux éviter de l’exposer.

Moi — C’est une façon de voir les choses, oui. Mais c’est surtout par égard pour une amie.

Morishita — Oh ? Si tu le dis.

Si je l’appelais, Yamamura ferait probablement tout son possible pour répondre présente. Mais se retrouver exposée pourrait lui causer un stress inutile, voire la blesser.

Morishita — Donc si Yamamura Miki veut sortir de l’ombre, tu es d’accord pour ça ?

Moi — Bien sûr. Elle doit y aller à son propre rythme.

Morishita — Tu es bienveillant ou peut-être juste incroyablement calme.

Yamamura s’était rapprochée de Sakayanagi, ce qui l’avait lentement poussée à évoluer. Si je la forçais maintenant à jouer un rôle d’outil, elle risquerait de se refermer immédiatement. Et dans ce cas, elle ne pourrait plus servir de relais d’informations dans la classe. La briser par surmenage serait absurde.

Contrairement à Sakayanagi, qui s’était toujours servie de Yamamura de façon stable et constante, je voulais d’abord prendre le temps de développer ses capacités, de façon à pouvoir l’utiliser de manière optimale plus tard. Comme je ne savais pas exactement ce que Morishita pensait de Yamamura, je préférais éviter d’entrer trop dans le sujet.

Moi — D’ailleurs, je pourrais te retourner la question. Tu comptes te rapprocher d’elle ?

Depuis mon arrivée dans la classe C, je n’avais jamais vu Morishita échanger avec Yamamura. Et pourtant, Yamamura lui lançait souvent des regards discrets, semblant nerveuse. Ce n’était donc pas une question de réticence.

Morishita — Mieux vaut qu’elle ne se rapproche pas de moi. Elle finirait prise au piège d’un destin funeste. Une créature aussi fragile qu’elle ne survivrait probablement pas…

Moi — Rien capté, mais bref. Et moi, c’est ok du coup ?

Morishita — Toi, ça va, Ayanokôji Kiyotaka. Tu es capable d’encaisser.

Son jugement n’était pas totalement faux, mais quelque chose dans sa façon de le dire restait perturbant.

Hashimoto — Hé, vous avez pas commencé sans moi, j’espère ?

Hashimoto revint rapidement, tenant trois gobelets dans les mains.

Morishita — Ne t’inquiète pas. La discussion est déjà finie.

Hashimoto — Tant mieux. Alors on commence. D’abord, rappelons les règles de l’examen.

Il avait bien compris que Morishita mentait, et s’installa immédiatement, prêt à lancer la discussion. Il sortit son téléphone et afficha les règles.

Morishita — Je me contente d’écouter, donc commencez sans moi.

Sur ces mots, Morishita déclara son intention d’être une simple oreille, insérant sa paille dans son matcha latte.

Hashimoto — Bon, je vais commencer par ce que je pense. Franchement, je suis surpris que l’examen spécial adopte un format en un contre un dès le début de notre terminale. On vient à peine de finir un affrontement du même genre à la fin de l’année scolaire précédente.

Il partagea honnêtement ses impressions. Démarrer dans une nouvelle classe avec ce type de confrontation n’était pas une mauvaise chose.

Moi — C’est vrai. Et en plus, les classes sont bien réparties. On dirait qu’ils ont planifié ça en prenant en compte la situation de notre promo.

C’était une belle occasion de resserrer l’écart entre le haut et le bas du classement, mais cela impliquait aussi le risque de le creuser davantage.

Hashimoto — Je suis juste content qu’on n’ait pas eu à lancer l’alliance sur une base instable dès le début. La classe aurait forcément résisté, et on aurait dû se préparer à une défaite. Rien que d’y penser, ça fait peur.

Je comprenais son point de vue. Mais même sans intervention, un affrontement avec la classe d’Ichinose finirait par arriver. À vrai dire, je pensais l’inverse : j’aurais préféré que cet affrontement se fasse tout de suite. Avec nos compétences académiques supérieures et mon arrivée fraîchement actée, perdre volontairement contre Ichinose aurait fait tiquer Horikita et Ryuuen. L’impact aurait été bien plus fort. J’avais comme l’impression d’avoir manqué une belle occasion.

Perdre ne signifiait pas simplement échouer. Donner un sens à la défaite pouvait aussi en accroître la valeur. En procédant ainsi, cela pouvait mener à une défaite productive. Peu après le début de la conversation, le café commença à se remplir. Les deux élèves de seconde, un garçon et une fille, qui avaient commandé plus tôt, choisirent une table à côté de la nôtre avec leur café glacé à la main.

Morishita — Je me fiche des détails de l’examen.

Peut-être avait-elle atteint ses limites, car Morishita râla tout en mordillant sa paille. Elle l’avait mâchouillée à plusieurs reprises, aplatissant l’extrémité.

Hashimoto — Hé, pourquoi t’es venue alors ?

Morishita — Je m’inquiétais pour Ayanokôji Kiyotaka à cause de ton discours irréfléchi tout à l’heure, Hashimoto Masayoshi. Tu as lancé une déclaration audacieuse devant toute la classe sans autorisation, mais était-ce vraiment une bonne idée ? Infliger efficacement des points de pénalité à nos adversaires tout en les évitant soigneusement pour nos camarades, c’est la tactique idéale, certes, mais ce n’est pas facile. Nos adversaires pensent aussi à ça et se cassent la tête.

Les élèves aux capacités académiques élevées pouvaient obtenir de bons scores, mais ils étaient des cibles probables pour les pénalités.

À l’inverse, ceux avec un faible niveau risquaient moins, mais on ne pouvait pas attendre grand-chose de leurs résultats.

Hashimoto — T’inquiète pas, Morishita, ça ira. Shimazaki a aussi dit qu’on avait l’avantage de nos compétences académiques. Donc même si on prend quelques pénalités, on restera largement devant. C’est inévitable si on se plante un peu. Si on gagne, on continuera probablement avec Ayanokôji comme leader pour le prochain.

Il était quasiment impossible d’être précis à 100% tout en esquivant toutes les pénalités. Que je tente de l’analyser de face ou que je cherche une autre approche, il n’existait pas de réponse absolue pour prédire nos adversaires dans cet examen. Peu importe nos analyses, notre précision restait entre 1 % et 99 %. Bien sûr, des retournements inattendus comme des fuites d’informations pouvaient changer la donne, mais ce genre de scénario naïf était peu probable maintenant que nous étions en terminale.

Hashimoto — Même si on se loupe totalement sur les pénalités, cette victoire aura quand même une grande valeur. Comme il n’y aura aucune raison de t’écarter d’emblée, je pense qu’il reste une chance qu’ils te confient encore le prochain examen. Cela dit, les participants adverses dans les combats en petit groupe… idéalement, il faut en toucher au moins trois pour faire ses preuves.

Si je n’arrivais à viser personne avec succès, je ne pourrais pas convaincre des élèves comme Shimazaki de laisser tomber leurs doutes.

Morishita — Eh bien, ce serait une preuve absolue que tu n’as bien cerné les intentions de l’adversaire. On ne peut pas faire l’impasse là-dessus.

Seuls cinq élèves pouvaient participer aux combats en petit groupe. À la base, on disposait de cent points de pénalité, donc on pouvait retirer vingt points à chacun des cinq adversaires ciblés. Il y avait moins d’1% de chance de toucher trois participants parmi les quarante de la classe adverses, juste au hasard. C’est pourquoi il fallait savoir lire les mouvements de l’adversaire.

Hashimoto — Cela dit, trois, ça me paraît difficile. Deux, serait déjà bien.

Hashimoto pensait qu’un minimum de précision suffirait à changer la perception de la classe.

Il avait lancé l’idée de viser juste deux élèves, mais même dans ce cas, la probabilité restait inférieure à 10%. Ce n’était pas un chiffre encourageant.

Morishita — Tu délègues, donc tu dois te sentir à l’aise, non ? Je veux entendre tes idées, Ayanokôji Kiyotaka. En l’absence d’indices, comment comptes-tu deviner quels élèves adverses vont être désignés ?

Moi — Je ne peux pas encore en parler à ce stade. Dire quelque chose de trop tôt et que ce soit pris au pied de la lettre poserait problème.

Morishita — Eh bien, eh bien, tu te mets déjà sur la défensive. Ce n’est pas très rassurant pour la suite.

Moi — Je ne vais pas le nier. Cela dit, si tu as d’autres remarques sur la situation actuelle, je t’écoute.

En posant la question à Hashimoto, qui entretenait la conversation naturellement, il acquiesça avec empressement. Il espérait probablement qu’en parlant, une bonne idée surgirait.

Hashimoto — Supposons qu’on touche deux cibles. Je pense qu’il vaut mieux répartir nos pénalités sur dix personnes avec dix points chacune. Si on restreint à cinq potentiels participants et qu’on se rate, ça fera mal. Avec un avantage de dix points, notre classe a de bonnes chances de l’emporter. Ils n’ont que quelques élèves vraiment embêtants.

Comme l’avait dit Hashimoto, dans la classe de Ryuuen, il n’y avait malheureusement que très peu d’élèves avec une capacité académique de B+ ou plus, comme Kaneda, Hiyori ou Katsuragi. Même pas six personnes.

Morishita — Si tu n’es pas confiant, c’est le strict minimum à faire.

Hashimoto — Tu es donc d’accord, Morishita.

Morishita — Oui, c’est le minimum.

Hashimoto — Alors, il faut aussi penser à notre défense, pas seulement à l’attaque. Tu connais le classement académique de notre classe ?

Moi — Je pense. Grâce à l’OAA et aux deux années passées.

Hashimoto — Ok, mais plus tard, je te donnerai mon point de vue perso basé sur ces deux années. Tu pourras t’en servir comme référence.

Moi — Ce serait très utile pour avoir des détails précis.

On ne savait pas si cela servirait dans cet examen spécial, mais cela pourrait faire gagner du temps plus tard.

Morishita — Il faudrait envoyer nos meilleurs éléments à l’écrit en y insérant quelques choix inattendus.

Moi — Oh ? Tu es prête à encaisser quelques pénalités, Morishita ?

Morishita — Jouer la sécurité en sélectionnant des élèves au niveau faible ou moyen nous coûterait cher si l’adversaire devinait notre stratégie. À l’inverse, si on envoie ceux avec de bons résultats et qu’ils passent sous le radar, ce serait tout bénéfique.

Hashimoto, accoudé, visiblement convaincu, avait pourtant une autre opinion.

Hashimoto — Je pense qu’il vaut mieux choisir nos participants parmi les élèves avec un niveau plus bas. C’est essentiel de noter ceux qui ont un haut niveau. Si c’était moi, je les ciblerais, même au risque de me tromper. Non, en fait, je pourrais même prendre le pari et attribuer un gros montant de points qu’ils enverront leurs meilleurs éléments.

Les idées des deux camps pour les combats en petit groupe de cet examen spécial semblaient se contredire. Chaque proposition avait ses arguments valables. Cependant, au final, il n’existait qu’environ trois types de compositions envisageables. On pouvait soit choisir des élèves à haut niveau, à faible niveau, ou un équilibre entre les deux.

Morishita — Il faut aussi s’inquiéter si l’adversaire décide d’acheter des points de pénalité supplémentaires. Ce serait embêtant s’ils élargissaient leurs cibles à vingt ou trente d’entre nous dans une stratégie basée sur la quantité.

Hashimoto — Utiliser les points privés comme attaque, hein ? C’est risqué, mais Ryuuen pourrait être prêt à tenter ce genre de coup.

S’ils arrivaient à cibler correctement tous les participants des combats en petit groupe, ils pourraient grandement alléger leur handicap. La possibilité d’acheter des points de pénalité supplémentaires était peut-être l’élément le plus intéressant de cet examen spécial.

Normalement, il était difficile de combler l’écart académique, et la classe de Ryuuen n’aurait presque aucune chance de gagner. Cependant, entre la bataille de classe valant deux points, les combats en petit groupe valant cinq points, et la règle des pénalités, il y avait de quoi rééquilibrer.

S’ils réussissaient à deviner nos représentants, ils pouvaient remettre les compteurs à zéro, et en achetant en plus des points de pénalité, ils pourraient même contrôler leurs chances de renverser la situation. C’était un examen que nous pensions gagner, mais à notre surprise, nos adversaires avaient aussi des cartes à jouer.

Hashimoto — S’ils mettent vingt points de pénalité à tous nos meilleurs éléments… ce serait vraiment pas dingue, hein ?

Morishita — Nos chances de victoire chuteraient radicalement. Cela dit, pour faire un coup pareil, il faudrait cramer tous les points privés.

Réduire de vingt points supplémentaires coûtait 1M de pp. Avec douze élèves dans la classe C évalués B+ ou plus, même après déduction des cent points initiaux, les dépenses monteraient à 7M

Hashimoto — Dépenser près de 10M et quand même perdre, ce serait pas franchement drôle.

Oui, s’ils finissaient par gagner, ce serait un petit soulagement, mais ils devaient aussi envisager le risque d’échouer. Plus ils augmentaient leurs chances sur cet examen, plus ils compromettaient leur situation financière et donc leurs perspectives d’avenir.

Hashimoto — Comment Ryuuen va gérer ? Tu peux lire ses intentions ?

Il attendait toujours impatiemment ce que j’avais à dire. Ma performance ici allait consolider ma position dans la classe. Il espérait une réponse brillante.

Moi — La stratégie de Ryuuen…

Je fis un petit geste pour montrer que je réfléchissais avant de répondre.

Moi — Je n’en sais rien du tout.

Hashimoto — …Donc tu n’as rien trouvé non plus.

Morishita — Dommage, on dirait qu’Ayanokôji Kiyotaka n’a pas encore eu son éclair de génie.

Moi — Il reste du temps avant l’examen. Il suffit que je trouve une stratégie gagnante d’ici là.

Hashimoto — Tu vas prendre la longue route alors, hein ? Enfin, après, pas comme si tu n’étais pas humain, Ayanokôji.

Il jouait les détendus, mais il était clairement mal à l’aise au fond.

Moi — Et puis, je n’ai aucune intention de participer aux combats en petit groupe de cet examen spécial.

Hashimoto — Tu fais comme tu veux, mais t’es sûr que c’est une bonne idée ? Tu disais toi-même, quand on parlait de transfert, que tu devais montrer clairement tes capacités pour être reconnu dans notre classe, Ayanokôji. C’est pas un manque de confiance, hein, Monsieur A-en-capacité-académique alors que ce n’est pas courant.

Moi — Tu crois que Ryuuen ne s’intéressera pas à moi ?

Hashimoto — Bah, c’est évident que Ryuuen t’a à l’œil…

Morishita — Et normalement, les gens s’attendraient à ce que tu participes, Ayanokôji Kiyotaka, donc ce serait logique qu’ils te collent des points de pénalité. Si tu viens sans réfléchir, tu seras ciblé. Un ou deux points, ça peut encore aller, mais trente ou quarante, tu n’as plus aucune chance. Ils iront sûrement loin juste pour te viser.

Même avec un score parfait, quarante points de pénalité ramèneraient à soixante. Même ceux qui n’étaient pas au niveau de Kaneda, Hiyori ou Katsuragi auraient alors une bonne chance de l’emporter.

Moi — Il y a 80 à 90% de chance que Ryuuen m’impose plusieurs points de pénalité. Je n’ai aucune raison de participer.

Morishita — Je vois. Tu pars du principe que Ryuuen te pénalisera.

Moi — Oui. Peu importe ce qu’il dit, il le fera presque à coup sûr.

Hashimoto — Alors, autant pas forcer. Ce serait une chance s’il se loupait.

Morishita — Ça pourrait être intéressant de lui demander ce qu’il en pense quand il viendra plus tard.

Hashimoto — Hein ? De qui tu parles ?

Moi — Ryuuen.

En parlant, Hashimoto se mit à regarder autour de lui avec précipitation.

Hashimoto — …Il est pas là, si ?

Moi — Pas encore. Mais il y a eu du mouvement ici, alors ce n’est qu’une question de temps.

Alors que je dirigeais mon regard vers un coin du café, Hashimoto et Morishita firent de même. Komiya et Yamawaki, qui nous observaient, détournèrent soudainement les yeux, feignant la coïncidence, mais il était trop tard.

Hashimoto — Alors ils nous surveillaient. Je m’en méfiais pas à cause de la distance.

Hashimoto ne se méfiait que des écoutes potentielles. En ce sens, c’était déjà trop tard. Deux élèves de seconde, un garçon et une fille, qui étaient assis à la table d’à côté, terminèrent leur pause au café et se levèrent.
Alors que je les observais s’éloigner, Morishita pencha la tête, perplexe.

Morishita — Il y avait quelque chose avec ces élèves de seconde ?

Moi — Ces deux-là étaient aussi des nouveaux envoyés par Ryuuen.

Morishita — Ah… ? Sérieusement ?

Moi — Oui. Ils essayaient d’avoir l’air naturels, mais ils avaient posé leurs téléphones au bord de la table, tournés vers nous, face contre table. Soit ils enregistraient le son, soit une vidéo. Si quelqu’un les appelait, l’écran s’allumerait, et ça risquait de les trahir. Normalement, les gens gardent leur téléphone sur eux ou à portée et le consultent régulièrement. Mais Takikura… cette fille n’a pas touché son téléphone, même lorsqu’il y avait des silences dans leur conversation.

Hashimoto — Merde, il a déjà mis la main sur des seconde en si peu de temps…

Hashimoto — Ça fait à peine une semaine depuis la rentrée et Ryuuen a déjà élargi son réseau de surveillance avec des seconde.

Il était prudent, mais il ne pouvait pas faire attention à tout.

Morishita — Tu gères bien, Ayanokôji Kiyotaka.

Moi — Même si ce ne sont que des infos issues de leur dossier de collège, leurs noms et visages sont visibles dans l’OAA. J’ai pris soin de les consulter le jour de leur publication.

Morishita — Ça expliquerait pourquoi ces deux-là avaient l’air suspects. Cela dit, ce n’est pas une preuve formelle qu’ils ont été envoyés par Ryuuen Kakeru comme espions. Peut-être qu’elle n’a juste pas touché à son téléphone, ou que son positionnement était accidentel. On ne devrait pas écarter totalement ces possibilités.

Moi — C’est peut-être vrai, mais autant rester prudent. Il vaut mieux partir du principe qu’ils en font au moins autant.

En réalité, il y avait bien une raison qui appuyait cette hypothèse, mais mieux valait en parler après l’examen spécial. Hashimoto siffla doucement, hochant la tête avec un sourire fier.

Hashimoto — Rien que la possibilité qu’ils soient des espions suffit, Morishita. Comme on pouvait s’y attendre d’Ayanokôji.

Morishita — Tu ne peux pas te contenter de le féliciter. En fait, ça voudrait dire qu’Ayanokôji Kiyotaka a quand même partagé des infos.

Moi — Je n’ai partagé que des informations sûres. C’est bon.

Hashimoto — C’est donc pour ça que tu parlais en disant que tu n’étais pas sûr tout à l’heure. Ouais, voilà. C’est un aspect de toi que je respecte. On ne peut pas parler à la légère quand l’ennemi est tout près.

Vu les options limitées de l’examen, l’information était bel et bien une arme. Il fallait agir, en recueillant le moindre indice pour gagner. Cependant, il fallait aussi comprendre que ça n’augmentait pas forcément les chances de victoire. Utiliser des seconde inconnus n’était pas une mauvaise idée, mais en fin de compte, la qualité primait sur la quantité.

Trier autant d’infos mêlant vérités et mensonges, et n’en extraire que les vérités, relevait d’une tâche pénible. Sans exagération, c’était très difficile. Morishita retira ses lèvres de la paille de son matcha latte à moitié fini.

Morishita — On dirait qu’il est vraiment venu.

Hashimoto — Ouaip. On arrête de parler, pour l’instant. Nos prochains adversaires sont bien plus embêtants que Horikita et les autres.

Légèrement tendu, il eut un sourire crispé. Ryuuen, Ishizaki et Albert approchèrent. Une semaine s’était écoulée depuis la rentrée. Des élèves d’autres classes et promos, m’avaient interrogé sur le transfert, mais les camarades de Ryuuen, bien que l’on se soit croisés de loin, n’avaient rien dit jusqu’à maintenant. Ils semblaient même avoir fait un effort pour m’éviter délibérément. Il était clair que Ryuuen leur avait donné des instructions.

Hashimoto — Je pense pas que ça dégénérera dans un endroit comme celui-ci… mais c’est un peu stressant sans Kitô.

Hashimoto jeta un coup d’œil à Morishita, manifestement un peu inquiet.
Il devait s’imaginer le pire, mais ce n’était clairement pas nécessaire.

Morishita — Tu n’as pas besoin de trembler comme un faon qui vient de naître. Si ça dégénère, je les mets à terre un par un. Crois-le ou pas, j’ai une licence de maître en arts martiaux du style Ai-chan.

Hashimoto — …Je compte sur toi alors.

Tout en appréciant le mensonge éhonté de Morishita, se plaça devant nous.

Ishizaki — Ayanokôjiii !

Juste après, une voix forte et grave résonna non seulement dans le café, mais dans tout le Keyaki. Ishizaki venait d’exploser, incapable de se contenir.

Ishizaki — Qu’est-ce que t’as été foutre en classe C !?

On dirait qu’il avait toujours voulu aborder le sujet, mais qu’il s’était retenu jusque-là. Il lança la discussion comme s’il explosait d’émotion.

Hashimoto — La ferme, Ishizaki. Tu déranges les autres. Calme-toi.

Il s’interposa pour l’empêcher de m’atteindre.

Ishizaki — Comment tu veux que je me calme ! J’ai toujours…

Ryuuen — Bouge.

Il l’attrapa par l’épaule et le força à se pousser. Les élèves assis autour, craignant que ça ne dégénère, commencèrent à vite déplacer leur chaise.

Morishita — Tu viens de ruiner la bonne ambiance du café, Ryuuen. Fais au moins preuve de bonnes manières.

Ryuuen — Toujours un cas désespéré à ce que je vois. Dès que Sakayanagi disparaît, tu te colles à Ayanokôji sans hésiter. Tu peux pas survivre sans t’accrocher aux forts ?

Morishita — Travailler pour la classe, n’a rien de mal, non ?

Ryuuen — Hah, fais ce que tu veux. Plus important…

Après avoir jeté un coup d’œil autour de lui, il me lança un regard perçant.

Ryuuen — Quelle est ton intention en rejoignant la classe C ?

Moi — Rien. Sakayanagi est partie et la classe C a accepté ma venue.

Je regardai Hashimoto, qui acquiesça exagérément comme pour confirmer.

Ishizaki — Pas possible, mec ! T’as changé pour un truc aussi bidon ?

Ryuuen — Silence.

Ishizaki — O-Oui, désolé !

Ishizaki s’excusa sur le champ car Ryuuen le tenait par le col.

Moi — Mon transfert en classe C te pose problème ?

Ryuuen — Kukuku. Non ? Non ? Bien au contraire, je me réjouis de cette tournure. Si tu prends volontairement le lead de la classe, ta chute n’en sera que meilleure.

Ryuuen avait été frustré de devoir m’affronter alors que j’utilisais Horikita comme marionnette. En ce sens, il accueillait cette situation à bras ouverts.

Hashimoto — Mais c’est pas un peu tard pour saluer notre leader ?

Ryuuen — Leader ? C’est prématuré. Il a déjà été accepté ?

Au cours de la semaine, il avait probablement enquêté sur l’état de la classe C. À commencer par la situation avec Shimazaki et les autres, il était sans doute clair pour Ryuuen que j’avais pas encore été reconnu comme leur chef.

Moi — Ma classe attend des résultats. Merci d’être indulgent avec moi.

Ryuuen — Impossible. C’est une bonne occasion de t’affronter. Je vais jouer toutes mes cartes, sans aucune retenue.

Ryuuen me tourna le dos et s’éloigna.

Ryuuen — Pas la peine d’en dire plus.

Ishizaki — Ayanokôji… pourquoi… ? Si t’allais en C… Bordel… ! Bon, ce qui est fait est fait… Bref, on se reparle une prochaine fois.

Malgré sa frustration, Ishizaki accepta la situation et me transmit son message.

Ishizaki — Ah, passe voir Shiina bientôt. Elle avait pas trop le moral. Pas au même niveau que moi, mais quand même.

Moi — J’y compte bien.

J’avais délibérément évité la bibliothèque jusqu’à ce que Ryuuen prenne contact. J’avais décidé d’y retourner une fois l’examen spécial terminé. Albert me fit aussi un petit signe de la main et suivit Ryuuen en silence.

Morishita — Hah, il est pas si impressionnant que ça, au final.

Comme si elle avait elle-même repoussé Ryuuen, Morishita aspira le fond de son matcha comme si elle venait de finir une dure journée.

Hashimoto — Celle qui disait rien est bien bavarde, maintenant… Enfin bref, Ryuuen vise clairement la victoire, et toi non plus, t’as pas le droit de perdre, Ayanokôji. Prends ton temps et réfléchis bien à la stratégie. Je te tiendrai au courant dès que j’ai de nouvelles infos.

Agité, il attrapa son gobelet sans même se rasseoir et quitta le café.

Morishita — Hashimoto Masayoshi aime bien se déplacer à pied. Peut-être parce qu’il est dans le club d’athlétisme ?

Non, c’est probablement sans rapport… je pense. D’ailleurs, Hashimoto n’était même pas dans le club d’athlétisme.

3

Tandis que la conversation entre Ayanokôji et Ryuuen se déroulait dans le café animé du Keyaki, Kushida avait acheté un café au lait à emporter ici même avant de repartir dès la commande prête. Depuis qu’Ayanokôji avait révélé sa véritable nature durant l’examen spécial du consensus, les camarades de classe avaient naturellement commencé à l’éviter. Si la majorité des garçons s’en moquaient, un nombre non négligeable de filles avait pris ses distances, et son temps passé seule avait fortement augmenté.

C’était inévitable, et Kushida, sans s’en formaliser, l’acceptait avec calme. De toute façon, elle n’aimait pas spécialement être entourée des autres.
Ce qu’elle désirait, c’était simplement briller au sein du groupe et être perçue comme une personne supérieure. Bien sûr, elle continuait à interagir avec d’autres classes ou promos, ceux qui ignoraient tout de sa vraie nature. Mais même cela, elle le faisait de moins en moins. C’était parce qu’elle se sentait de plus en plus épuisée à force de maintenir cette façade, surtout maintenant que beaucoup autour d’elle connaissaient la vérité.

« Ah, encore Kushida qui joue à la gentille fille… » Face à des camarades qui la regardaient avec de telles pensées, son irritation montait inévitablement. Comparée à ses années de collège, elle avait le sentiment d’avoir beaucoup mûri et elle pensait la même chose des autres autour d’elle. Pourtant, récemment, elle ne trouvait plus de moyen d’extérioriser ses frustrations. Si ses journées devaient continuer ainsi, sans aucun moyen de relâcher la pression, elle ne parviendrait plus à forcer son sourire.

Kushida — Pff, ça soule !

Alors qu’elle sortait, dans une zone sans personne à proximité pour l’entendre, Kushida n’émit aucune retenue. Elle venait d’apercevoir une silhouette. Horikita, assise sur un banc, la mine bien sombre et le regard baissé. Elle aurait pu simplement passer son chemin, mais Kushida s’arrêta devant Horikita, et lentement, cette dernière leva les yeux vers elle.

Horikita — Kushida-san… ?

Kushida — Pourquoi cette interrogation ? Enfin bon, je ne vais pas te demander ce que tu fais là. Tu attends de croiser Ayanokôji-kun « par hasard », non ?

Horikita — Ce n’est pas ça.

Kushida — Mais si, c’est évident. Et puis, y’a rien de fortuit là-dedans. T’es juste ultra-collante, en fait.

Horikita, visée en plein cœur et facilement démasquée, détourna le regard.

Horikita — …Peux-tu me laisser tranquille, s’il te plaît ?

Kushida — J’aimerais bien, mais je ne peux pas ignorer un visage aussi déprimé. Si le leader de la classe tire une tronche pareille, ça plombe forcément le moral général.


Kushida avait vu sa véritable nature exposée, et elle n’aimait pas Horikita. Mais elle continuait de rester dans la même classe, car Horikita était nécessaire pour le diplôme en classe A. Si quelqu’un d’aussi important venait à flancher, cela réduirait leurs chances. Kushida ne pouvait certainement pas l’accepter.

Horikita — Tu es…

Avant que Horikita ne puisse dire quoi que ce soit, Kushida détourna le regard, alertée par une présence qui approchait par-derrière. Comme elles se trouvaient sur le chemin du retour vers le dortoir, elles croisèrent Yui Ninomiya de la terminale D, qui passait par là.

Ninomiya — Kushida-san, Horikita-san, à bientôt~

Kushida — Ah, à bientôt Ninomiya-san. On se refait une sortie vite, hein~

Kushida afficha un sourire, et elle continua jusqu’à ce que Ninomiya soit assez loin. Horikita, par considération, resta silencieuse un instant.

Horikita — Tu supportes, Kushida-san ? Le transfert d’Ayanokôji-kun…

Kushida — Hein ? Comment supporter ça ? Sans Ayanokôji-kun, ce semblant de classe est finito. J’ai l’impression que mes chances de finir en classe A sont totalement foutues. Et puis, il connaît ma vraie nature, donc c’est comme si l’information avait déjà fuité auprès des autres classes. S’il juge que c’est nécessaire, il n’hésitera pas à me dévoiler.

Horikita se remémora le moment où elle avait croisé Ayanokôji après la fin des cours, le jour de la cérémonie. Les échanges en coulisses entre lui et Matsushita, et ce qu’ils avaient accompli. Tout avait été révélé sans la moindre hésitation. Les craintes et prédictions de Kushida étaient en partie fondées.

Horikita — Alors pourquoi tu sembles si calme ?

Kushida — Je suis obligée de faire semblant. Je suis douée pour jouer la gentille, tout comme je suis douée pour faire semblant d’aller bien. Contrairement à une certaine personne que je connais.

Comme leur conversation s’éternisait, Kushida décida de commencer son café au lait qu’elle comptait boire une fois rentrée chez elle. En coulant dans sa gorge, la douceur se répandit dans l’air, mêlée à l’arôme du café.

Kushida — Pff, ça soule. Tu peux faire un truc pour ton visage ? Ça rend une personne déjà moche encore plus laide.

Horikita — Je pense que j’agis normalement.

Kushida — Si c’est le cas, alors c’est plutôt grave.

Elle soupira, agacé, et s’apprêtait à partir, quand une chose lui revint en tête.

Kushida — Je te reproche pas d’être un peu pathétique, mais tu peux faire quelque chose pour Ibuki ?

Horikita — C’est vrai qu’elle me contacte beaucoup ces derniers temps…

Kushida — Vu que tu ne t’occupes pas de ton dog, elle vient me voir pour manger. Je lui ai dit de bouffer des plantes sauvages, mais madame n’est toujours pas satisfaite. Elle est devenue difficile parce qu’elle mangeait gratos de la nourriture « correcte » avant.

Dernièrement, Horikita avait cuisiné, et Ibuki comme Kushida l’avaient rejointe, une routine qui avait duré plus de la moitié de la semaine jusqu’à la fin de ces vacances. Mais cela s’était brusquement arrêté depuis une semaine.

Horikita — Je n’ai pas la tête à ça, en ce moment.

Kushida — Je ne te demande pas de cuisiner. L’examen spécial commence, alors grouille-toi de trouver une solution. On ne peut pas perdre face à la classe d’Ichinose, la classe la plus faible.

Horikita — Tu dis ça comme si ce n’était rien. Mais vu la différence de nombre, c’est nous qui sommes désavantagés… non ?

Kushida — Et alors ? Même comme ça, un leader digne est censé gagner.

Horikita pensa que c’était une exigence rude, mais elle comprit immédiatement que c’était une attente légitime. Prendre l’initiative de diriger, c’était aussi assumer cette responsabilité.

Horikita — C’est vrai… Je le pense aussi.

Kushida força un petit sourire, remettant son masque en place.

Kushida — Même si je le sais, j’ai quand même l’impression que c’est sans espoir. Bon, j’y vais. Tu peux rester là à attendre qu’Ayanokôji-kun revienne. Mais… je doute qu’il s’en soucie.

Elle laissa ces mots durs derrière et serra fort son gobelet en s’éloignant. Horikita observa son dos un moment, puis se leva à son tour alors que la silhouette de Kushida disparaissait au loin. Elle avait bien raison

Horikita — L’attendre dans un endroit comme celui-ci… Faire une chose pareille… Aucune chance que ça lui plaise.

Elle l’avait su dès le début, mais elle s’était volontairement montrée de manière pitoyable, une prise de conscience que les paroles de Kushida venaient d’éveiller. Pourtant, elle ne pouvait pas avancer. Son désir de le revoir était sincère. Elle voulait le regarder dans les yeux, et lui parler.

Horikita — Tout ce que je veux maintenant… c’est juste ça…

Dans son cœur, Horikita s’excusa auprès de Kushida et de ses camarades, puis décida de rentrer chez elle.

4
(Horikita)

Je rentrai dans ma chambre et m’effondrai sur le lit sans même retirer mon uniforme. Mon corps paraissait lourd. Ce n’était pas que je me sentais physiquement mal. C’était plutôt comme si toute motivation m’avait quittée.

Moi — Il faut que je réfléchisse à une stratégie pour l’examen…

Alors que je passais mon temps à fixer le plafond, mon portable sonna.

Moi — Ayanokôji-kun… !?

Je tendis la main pour regarder qui appelait. Malgré un espoir, même mince, le nom affiché était « Ibuki Mio ». Comme l’avait dit Kushida-san, elle m’avait contactée plusieurs fois récemment, même directement. Cela dit, tout ce qu’elle faisait, c’était répéter sans cesse la même chose, « nourris-moi ». Je n’avais vraiment pas la tête à cuisiner, alors je ne faisais que la repousser. Elle devait m’appeler encore aujourd’hui pour la même raison.

Jetant un œil au bentô du konbini posé sur la table, je me rallongeai sur le lit. Mon téléphone continua de sonner pendant un moment, puis finit par s’arrêter. Je ne voulais plus penser à rien. Je ne voulais plus rien accepter. Le temps s’écoulait sans but. Même si la journée se terminait et que demain arrivait, Ayanokôji-kun ne reviendrait pas dans la classe. Mon téléphone recommença à vibrer.

Est-ce encore Ibuki-san ?

Mais la vibration courte n’était pas celle d’un appel, mais d’un message. Portant un très mince espoir, quasi inexistant, je pris mon téléphone.

Il faut qu’on discute de ce qu’on va faire pour l’examen spécial.

C’était Hirata-kun. Malgré la déception, la réalité me rattrapa un peu.

Moi — Donc… je dois m’y mettre, même si je n’en ai pas la force.

Les autres classes étaient sans aucun doute déjà en train de préparer le prochain examen spécial. Et moi…

Soudainement, le plafond eut l’air de se déformer.

Moi — …Suis-je en train de pleurer ?

Je passai doucement mon index sur les yeux. Le bout du doigt était humide.

Moi — …Encore une fois, c’est lui qui m’a fait pleurer…

Je soupirai, sans savoir combien de fois cela m’était arrivé. Je ne contrôlais plus mes émotions. Je n’arrivais pas à retrouver mon calme.

Moi — Pourquoi… ?

Je le dis à voix haute. En le disant, je me rappelais que c’était bien ma réalité.

Moi — Je ne comprends pas, est-ce vraiment réel ?

Je me sentais mal. Je ne comprenais toujours pas pourquoi cela arrivait.
Non… Je continuais de nier, parce que je ne voulais pas comprendre. Le moment où j’avais fixé la plaque de notre salle de classe, le jour de la rentrée me semblait être une illusion. Je n’arrivais même plus à me souvenir de ce moment exaltant et plein de tension que j’avais ressenti à ce moment-là. J’aurais voulu revenir en arrière, au matin de la cérémonie d’ouverture. Et, avant qu’il ne quitte la classe, j’aurais attrapé son bras pour l’en empêcher.

Ne pars pas, je t’en prie…

Moi — Ça ne sert à rien de penser à tout ça… c’est inutile…

Combien de fois encore allais-je ressasser ces pensées ?

C’était une perte d’énergie. Même si Dieu permettait un tel miracle, Ayanokôji-kun ne resterait sûrement pas. Si ça avait été un plan absurde qu’il avait élaboré récemment, peut-être, juste peut-être, j’aurais pu le faire changer d’avis. Mais ce n’était pas le cas. Il avait décidé de partir bien avant cela. Depuis quand… ? Je ne savais pas. Que ce soit une semaine ou un mois, dans tous les cas… revenir au matin de la cérémonie n’aurait rien changé.

Aide-moi… Ayanokôji-kun…

Aide-…

5

Pendant que Horikita discutait avec Kushida sur le banc, Ryuuen avait réuni Ishizaki, Albert, Katsuragi et Ibuki, et ils s’étaient rendus dans une salle de karaoké. C’était l’un des lieux que sa classe utilisait fréquemment pour des réunions confidentielles. Avec le temps et les rencontres répétées, une disposition des places s’était naturellement installée. Alors qu’il consultait le menu, Ishizaki se mit à marmonner.

Ishizaki — Ibuki, ils ont rajouté des « pâtes frites ». J’en commande ?

Il pointa du doigt ce plat aussi connu sous le nom de « pâtes croustillantes ».

Ibuki — Pourquoi tu me demandes ? Fais ce que tu veux.

Ishizaki — Mon père en parlait quand il revenait des bars à hôtesses. Il disait que c’était super bon. J’ai toujours voulu goûter.

Ibuki — Mais je m’en tape de ton histoire.

Katsuragi — Que ce soit des pâtes ou autre chose, je m’en moque de ce que tu manges, mais commençons plutôt la discussion. Cet examen spécial ne sera pas facile. Enfin, ça n’aura encore rien de facile plutôt.

Katsuragi, assis le plus loin, les bras croisés, exhorta Ishizaki et les autres à se concentrer d’abord sur le sujet du jour.

Katsuragi — C’est peut-être évident, mais quel que soit l’angle, c’est le genre d’examen avec lequel la classe B a le plus de mal.

Ibuki — Bah, les études, c’est pas notre point fort.

Elle répondit d’un ton résigné. Il était pratiquement impossible pour eux de remporter une épreuve basée sur les capacités académiques. C’était sans conteste le plus gros défi de la classe de Ryuuen. Malgré leur montée en classe B grâce à leur force brute et à la chance, ils n’avaient toujours pas trouvé de solution pour leur faiblesse dans ce domaine. Et cette fois, ils affrontaient l’ancienne classe A, réputée pour sa maîtrise académique.

Ishizaki — Si on veut gagner, on va se battre à la dure.

Ibuki — Pourquoi pas abandonner carrément ? Perdre l’occasion de gagner 100 pc, c’est pas la fin du monde, non ?

Ishizaki — T’abandonnes avant même qu’on commence, Ibuki !?

Ibuki — Tu vas bosser non-stop, 24h/24 jusqu’à l’examen ? Même comme ça, je doute que tu rattrapes assez pour taper un bon score.

Ishizaki — Euh, ouais… ce serait… un peu dur…

Katsuragi — C’est parce que tu ne travailles pas régulièrement. Tu n’as même pas fait les devoirs que je t’ai donnés, pas vrai ?

Ishizaki — Déjà que je déteste les cours, pourquoi je devrais les faire ?

Katsuragi — C’était pour la classe. En réalité, ceux qui les prennent au sérieux ont déjà commencé à améliorer leur niveau.

Il insista sur les résultats obtenus, mais Ishizaki détourna le regard avec gêne.

Ishizaki — Étudier juste assez pour pas échouer, c’est tout ce que je peux faire. Si j’en fais plus, j’explose.

Voyant l’attitude d’Ishizaki, Katsuragi soupira et se tourna vers Ryuuen.

Katsuragi — Tu ne devrais pas donner des directives plus strictes ? Ça motiverait peut-être un peu Ishizaki et les autres.

Ryuuen — Il n’y a pas de remède à la stupidité. Et puis, pas besoin de jouer sur leur terrain. On n’a jamais eu l’intention de se battre à la loyale.

Plutôt que d’adopter une stratégie perdante, il rejeta immédiatement l’idée.

Katsuragi — Cela dit, ils restent de redoutables adversaires. Même si Sakayanagi est partie, la classe C a encore beaucoup d’élèves très bons. Ce n’est pas comme s’ils avaient vraiment perdu en niveau.

Ishizaki — C’est plus que ça. Avec Ayanokôji dans leur classe, ils ont carrément monté en puissance. Merde, pourquoi il est allé en classe C… Je pige pas. T’as compris, toi, Ibuki ?

Ibuki — Me demande pas. Essaie de savoir ce qu’il pense déjà.

Se mêler de ses affaires pouvait mener à des complications. Ibuki l’avait appris à ses dépens, et maintenant, elle évitait généralement cela. Quand les autres lui avaient proposé d’aller au café pour confronter Ayanokôji, elle avait aussitôt refusé. Grâce à ça, elle allait bien mentalement, et elle se sentait relativement calme. Parfois, ils se croisaient par hasard, mais ce n’était pas toujours le cas.

Ishizaki — On dirait vraiment qu’un redoutable ennemi est arrivé…

Ryuuen — Et heureusement, sinon ce serait problématique. C’est là que se trouve mon véritable objectif.

« J’ai besoin d’un adversaire à ma mesure », c’était ce qu’il cherchait à dire.
Bien que cela lui paraisse étrange, Ishizaki acquiesça en silence sans chercher.

Katsuragi — C’est vrai. Cela dit, j’ai encore quelques doutes. Bien sûr, je ne nie pas qu’Ayanokôji possède d’excellentes qualités, comme son calme et ses éclairs de génie, mais il lui manque quelque chose, ou plutôt, je n’arrive pas à le détester totalement. Je ne sais pas s’il peut vraiment dépasser Sakayanagi.

Ishizaki — C’est parce que tu n’as pas encore vu à quel point Ayanokôji est impressionnant, Katsuragi. Il est incroyable, pas vrai, Ibuki ?

Ibuki — Me mêle pas à ça. Ça m’énerve de parler de lui. Je le déteste.

Ishizaki — Plus que Horikita ? Tu râles tout le temps sur elle aussi.

Ibuki — Dur… C’est comme choisir entre perdre l’œil droit ou gauche…

Ishizaki — T’es flippante, c’est quoi cette comparaison, sérieux ?

Alors que les deux échangeaient sur un ton léger, Ryuuen, lui, restait impassible en regardant le plafond. Katsuragi tourna son regard vers Ishizaki.

Katsuragi — Et Ayanokôji, avec Hashimoto après le transfert ? Tu as vu un changement ? Quelle était la raison du transfert ?

Ishizaki — On aurait dit que rien n’avait changé. Il semblait se foutre complètement d’être en classe A ou C. Il a dit qu’il avait eu de l’aide de la classe C, mais j’suis pas sûr que ce soit vrai.

Katsuragi — Il n’a pas juste fait ça pour devenir le leader et faire ce qu’il veut ?

Katsuragi — Ibuki, maintenant que Sakayanagi n’est plus là, effectivement, il n’y a plus vraiment de leader en place. Mais… je pensais qu’Ayanokôji était du genre à agir discrètement, sans se faire remarquer.

Alignant ses propres impressions, Katsuragi interrogea Ryuuen.

Katsuragi — Qu’en penses-tu ?

Ryuuen — Aucune idée. S’il a décidé de se montrer là, peu importe.

Il semblait avoir rassemblé ses pensées et se tourna de nouveau vers Katsuragi.

Ryuuen — Dans cet exam, si on joue selon les règles, on perdra dans 99 % des cas, présence d’Ayanokôji ou non. Mais ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas de failles dans le système. Cet exam spécial est conçu de manière à ce qu’on puisse se créer un avantage, aussi grand que l’on veut, tant que l’on rassemble assez de « munitions ». Et ça, c’est bon.

Katsuragi — C’est vrai, mais… tu comptes vraiment investir tous les points privés que tu as économisés ?

Ryuuen — Ils ont sûrement dépensé pas mal pour faire venir Ayanokôji. En plus, comme ils sont bien meilleurs, ils ne vont pas trop investir, et tenter de gagner proprement. Ce sont des cibles idéales.

Pour leur classe, ce n’était pas une situation où ils pouvaient engager un affrontement basé sur les dépenses. La classe C, sans beaucoup de fonds, devait se battre uniquement avec le strict minimum.

Katsuragi — Je comprends ce que tu veux dire, mais l’écart de niveaux ne peut pas être comblé avec quelques points de pénalité en plus. Même si on en infligeait à des dizaines d’élèves, ça deviendrait à peine équitable. Ce n’est pas très efficace comme plan. Et nous n’avons même pas la certitude de viser les cinq bons participants, si ?

Ryuuen — Tu es contre, alors ?

Katsuragi — Pas exactement. Je dis juste qu’il ne faut pas le faire à moitié. Si on veut vraiment gagne, même en hypothèse, il faudrait retirer trois cents points supplémentaires. Ça demanderait environ 15M de pp.

Ishizaki — Sérieux ?! Faut vraiment 15M pour gagner ?!

Katsuragi — Et encore, c’est sans garantie. Si on utilisait nos 400 points de pénalité, on ne pourrait retirer que dix points par personne. Eux, en revanche, pourraient cibler cinq élèves à nous avec leurs 100 points, soit 20 points chacun. S’ils devinent correctement nos participants, on commencerait les combats en petit groupe avec dix points de moins par élève. La proba est faible, certes, mais c’est possible.

Dépenser autant ne garantissait même pas une égalité au départ. Une mauvaise estimation, et tous leurs points privés s’évaporeraient. Inquiet, Katsuragi poursuivit son raisonnement.

Katsuragi — Pour augmenter encore nos chances, on peut même aller jusqu’à 20M de pp. Ou bien deviner leurs représentants et leur infliger vingt points chacun. Mais même là, dur à évaluer le succès de la chose.

Ryuuen — C’est quasiment la faillite quoi.

Katsuragi — Si ton objectif est de gagner malgré tout ça, je ne t’arrêterai pas. Ce n’est pas une belle victoire, mais oui, il ne faut pas perdre.

Ce n’était pas rien. Ibuki, qui jusque-là écouté à moitié, releva la tête.

Ibuki — Je me dis qu’on ferait peut-être mieux de laisser tomber.

En réponse à Ryuuen, qui semblait prêt à se battre, Ibuki le défia.

Ishizaki — Hé, Ibuki, tu vas vraiment aller à l’encontre de Ryuuen-san ?

Ibuki — Si vous m’avez fait venir c’est pas pour un avis ? Je me tire alors.

Ryuuen éclata de rire à la réaction d’Ibuki.

Ryuuen — Je t’écoute. Pourquoi tu dis ça ?

Ibuki — Simplement parce qu’on n’a vraiment pas l’avantage. Comme l’a dit Katsuragi, ils sont bien meilleurs que nous et même si on utilisait des points privés, ça vaut vraiment pas la peine vu tout ce qu’on perd. Même moi, je trouve ça abusé, c’est déjà une preuve suffisante.

Katsuragi — Je suis d’accord avec Ibuki. Le ratio coût-efficacité est loin d’être bon. Même avec une victoire totale, le gain n’est pas énorme.

Katsuragi exprimait clairement sa position, s’alignant sur celle d’Ibuki.

Ryuuen — Si on se contente de regarder le gain visible, oui.

Ibuki — Tu veux dire quoi par-là ?

Ryuuen — Oui, c’est un exam qu’on est censés perdre. Mais ça veut aussi dire qu’ils ne peuvent absolument pas se permettre de perdre. Quand on s’attend à gagner, une pression inconsciente s’installe. Et le choc, la douleur d’une défaite réelle, est à un tout autre niveau.

Katsuragi — Tu veux briser l’élan d’Ayanokôji dès le début ? Mais même si on gagne par la force, tu crois que ça lui ferait aussi mal ?

Ryuuen — Oui. J’en ai déjà eu un aperçu douloureux ce jour sur le toit.

Il serra les poings et lança un regard acéré. Il avait foi en sa force brute et son esprit indomptable. Dans son esprit, peu importait la situation. Seule comptait la victoire absolue. Mais Ayanokôji, qui avait pénétré seul sur le territoire ennemi et terrassé tous les autres, dépassait toutes les normes. Il avait anéanti, physiquement et mentalement, la vision même que Ryuuen considérait comme absolue. Il avait fallu bien du temps pour sortir du fond du trou.

Ryuuen — Les gars de la C et Ayanokôji, se disent qu’ils ne perdront pas. Mais au fond, ils redoutent le « et si ». C’est pour ça qu’il faut se battre. Si on les abat dès le premier examen d’Ayanokôji, dès son baptême du feu, l’avantage sera bien plus grand que l’écart en points de classe.

Même si la récompense ne représentait qu’une centaine de points, le gain en pc restait non négligeable. Comparé à l’écart entre la classe de Ryuuen et celle de Horikita, l’écart avec la classe C et celle d’Ayanokôji était grand. Dans cette situation où ils ne pouvaient se permettre aucun échec inutile, obtenir des pc en plus ici serait grandiose. Et le temps de leur terminale était compté.

Ishizaki — Mais 15M de pp, c’est énorme.

Ishizaki comptait sur ses doigts, abasourdi par le montant requis.

Ryuuen — Normalement, avec une telle somme, on aurait de bonnes chances de victoire, mais notre adversaire, c’est Ayanokôji. Il a sûrement anticipé qu’on serait prêts à exploser notre budget, prêts à se saborder. Même si on parvient à arracher une victoire avec les pénalités, tant qu’on peut l’empêcher de remporter une victoire parfaite, ça pourrait suffire.

Dans la phase de bataille avec la totalité de la classe, ne pouvant utiliser les pénalités, l’adversaire aurait virtuellement deux victoires en main.

Katsuragi — Hmm… Je comprends, mais le risque est immense.

Ryuuen lui-même en avait conscience. S’il n’avait aucun doute, il n’aurait pas organisé cette réunion pour recueillir leur avis. Accepter ou renoncer à cet examen spécial, avant tout, il fallait choisir. Tandis que Ryuuen, pourtant animé d’un esprit combatif, restait indécis, Katsuragi se tourna vers Ibuki.

Katsuragi — Comment va Horikita ?

Ibuki — Hein ? Pourquoi tu me demandes ça ?

Katsuragi — Tu as dit que tu allais souvent manger chez elle dernièrement. Je sais qu’elle n’était pas au mieux, mais est-ce qu’elle a repris du poil de la bête ?

Ibuki — Je pense pas. Elle me repousse quand je viens, et elle a toujours l’air déprimée. C’est agaçant.

Même une semaine après le transfert, aucun signe d’amélioration.

Katsuragi — Je vois. Un examen spécial dans cet état, ça va être dur.

Ibuki — Tant mieux. Qu’elle se plante comme une merde.

Ishizaki — T’es dur. Vous êtes pas censées être potes ?

Ibuki — Haaaaaa ? C’est pas ma pote. Lâche ça.

Katsuragi — Ce n’est pas que je me réjouis du malheur des autres, mais si la classe A chute, c’est une aubaine. Même si Ichinose décroche une ou deux victoires, elle ne représentera pas une vraie menace.

S’il fallait une raison pour forcer la victoire, ce serait celle-là, pensait Katsuragi.
Si la classe B pouvait rattraper et dépasser la classe A, elle prendrait un coup d’avance décisif. Après quelques échanges plus légers, Ryuuen but d’une traite son verre d’eau resté sur la table.

Ryuuen — …J’ai décidé.

Katsuragi — Tu comptes vraiment tout donner pour les affronter ?

Investir des points privés et remporter coûte que coûte l’examen spécial. En posant la question, Katsuragi comprenait que c’était une stratégie désespérée.

Katsuragi — Qu’est-ce qui compte le plus, pour lui, pour Ayanokôji, dans cet examen ?

Ryuuen — Ce serait sûrement « la première victoire ».

Ryuuen — Il a fait payer son transfert par la classe C. Il a pris la place de Sakayanagi pour faire ce qu’il veut. Mais cette classe n’est pas stupide. Jusqu’à présent, ils n’ont rien confié à quelqu’un qui n’a rien prouvé. Donc Ayanokôji doit absolument vouloir gagner. Et une défaite dans un examen qu’il est censé remporter ? Inenvisageable. D’une certaine manière, c’est sa première et dernière chance.

Ibuki — C’est logique. Ce serait trop pathétique de prendre les commandes juste après un transfert et de se vautrer.

Ibuki, tout comme Ishizaki assis à côté d’elle, hocha la tête en guise d’accord.

Ishizaki — Couler le navire de la classe C d’un seul coup, hein.

Ryuuen — Même s’il sait qu’il a l’avantage, peu importe à quel point le combat semble facile, il ne le prendra jamais à la légère. Il a une façon de penser incroyablement agaçante. Ce serait pas surprenant qu’il devine avec précision les cinq participants de notre équipe.

S’il tirait les participants au sort, deviner serait impossible. Et pourtant… il pouvait deviner juste. C’était ce genre de personne. Cette possibilité, même minime, devait être envisagée.

Ibuki — Il pourrait aussi utiliser tous ses points privés pour acheter des pénalités.

Ryuuen — Alors ça se jouerait à qui à le plus de ressources.

Katsuragi — Pas seulement. Il faut absolument empêcher les fuites d’information sur la sélection des participants.

Ishizaki — Ils vont forcément essayer de nous sonder… Honnêtement, je peux même pas imaginer quelles méthodes ils vont employer.

Le murmure d’Ishizaki, presque comme une réflexion à voix haute, éveilla aussi une forte inquiétude chez Ryuuen. Aucune faille évidente dans l’examen spécial. Ayanokôji ne reculerait pas devant des méthodes douteuses.
Mais il n’utiliserait pas les procédés que Ryuuen pourrait prévoir, ceux qui feraient trop de bruit. Il n’avait tout simplement pas besoin de prendre de tels risques contre un adversaire bien plus faible sur le plan académique. Le vrai danger était d’obtenir des informations correctes sur la classe de Ryuuen.

Katsuragi — On devrait commencer par surveiller Hashimoto, et il vaudrait aussi mieux garder un œil sur Yamamura.

Ryuuen acquiesça brièvement.

Ibuki — Yamamura ? Y’a vraiment une Yamamura dans la classe C ?

Ibuki inclina la tête, ne se rappelant pas ce nom.

Ryuuen — Kuku ! Essaie de voler nos infos si tu peux, Ayanokôji.

Sur qui infliger les pénalités. Rien ne serait laissé au hasard par Ryuuen, pas même 1% de risque de fuite. Prédire avec exactitude ce genre de chose serait proche de la précognition. Il était convaincu que ce genre d’exploit était tout simplement impossible.

Mais en même temps, il ressentait un léger frisson d’angoisse… et d’excitation. Il voulait voir jusqu’où l’impossible pouvait être rendu possible.

Katsuragi — Ça te va, Ryuuen ? Je vais commencer à me mettre en mouvement en partant de cette base-là.

Pensant qu’il fallait battre le fer tant qu’il était chaud, Katsuragi se dirigea vers la sortie du karaoké.

Ayant significativement contribué à l’amélioration académique de la classe, il ressentait une forte responsabilité pour les examens demandant des compétences de ce genre.

En voyant le dos de Katsuragi empli d’une aura résolue, Ryuuen fut…

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1 En japonais, le kanji signifiant « léger », 軽い, est un adjectif qui peut à la fois décrire un objet léger et quelque chose, ou dans ce cas, quelqu’un qui n’est pas important.

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