COTEY3 T1 - CHAPITRE 3
Le début d’une nouvelle année
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Traduction : Raitei
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En revenant un peu en arrière, on se retrouvait juste après la fin de la cérémonie d’ouverture. À la sortie du gymnase, au lieu de retourner en classe A, je me dirigeai directement vers la salle des professeurs. Cependant, comme une réunion était en cours, je changeai de direction pour aller au bureau du proviseur afin de soumettre ma demande. Il sembla quelque peu surpris, mais peut-être que cet homme l’avait déjà mis au courant alors il décida de ne pas poser davantage de questions. Par la suite, les diverses procédures furent rapidement enclenchées, notamment la vérification des vingt millions de points et de leur origine.
Ayant été informé de cela juste avant le début de l’heure de cours, je me doutais que Mashima-sensei mettrait un certain temps à croire que tout cela était bien réel. Avec une lueur de confusion encore visible sur son visage, mon nouveau professeur principal se racla la gorge et me regarda.
M. Mashima — Je pense qu’une présentation s’impose, non ?
Évidemment, ce n’était pas ma première fois dans cette école.
Durant tout le temps passé ici, même si nous n’étions pas dans les mêmes classes, je connaissais tous les noms et visages. Et tous les élèves de la classe C savaient qui j’étais. Mais il fallait tout de même respecter les formalités.
Moi — Juste après la cérémonie d’ouverture, j’ai utilisé 20 millions de points privés pour être transféré dans cette classe. Je suis Ayanokôji Kiyotaka. Je ne peux pas remplacer Sakayanagi, qui s’est retirée volontairement, mais si vous chers camarades ici présents, avez toujours la volonté de vous battre, je suis certain que je peux vous aider à surmonter cette situation chaotique.
Je fus bref, mais j’allai à l’essentiel. En repensant à mon échec lors de ma présentation en seconde, j’avais cette fois soigneusement choisi mes mots. Pour moi c’était suffisant mais je me demandais si mes intentions avaient bien été transmises aux élèves. Alors que tout le monde restait silencieux, l’un d’entre eux rompit le silence en applaudissant.
— Content de t’avoir parmi nous, Ayanokôji.
C’était le principal investisseur de mon transfert dans la classe C, Hashimoto Masayoshi. À partir de là, quelques autres commencèrent à applaudir sporadiquement. Cependant, je voyais bien que tout le monde n’était pas aussi enthousiaste. Les regards posés sur moi n’étaient pas tous bienveillants.
En réalité, la plupart étaient clairement froids
Bien sûr, je ne m’attendais pas à être accepté par tous dès le départ. Au contraire, cela en aurait dit long sur la qualité de la classe si c’était le cas.
Cela reviendrait à se présenter comme un groupe faible, une classe qui, après avoir perdu Sakayanagi, avait aussi perdu toute capacité de discernement, laissant tout entre les mains d’un supposé homme providentiel.
Ils devaient faire preuve de prudence, de scepticisme, et chercher des résultats rapidement avec une agressivité certaine. Mais Mashima-sensei, ignorant que les élèves allaient aussi loin dans leurs réflexions, ressentit l’atmosphère pesante et reprit l’heure de cours.
M. Mashima — Bien, concernant la place d’Ayanokôji… Voyons voir…
Toujours un peu troublé, il parcourut la classe du regard. Il y avait actuellement trente-six élèves dans la classe, sans me compter. Rien qu’en termes de disposition, il n’y aurait aucun problème pour trouver de la place pour quatre personnes. Il aurait peut-être été judicieux de m’installer dans l’une des rangées les moins occupées, mais…
Peut-être était-ce le bon moment pour revoir l’organisation des places ? Avant que Mashima-sensei ne prenne une décision, une élève assise près de la fenêtre, tout au fond, leva la main assez vivement pour produire un bruit sec.
— Pour l’instant, je pense que la place devant conviendrait.
Soit à cause de ses paroles, soit à cause de son identité, Mashima-sensei afficha une expression de surprise évidente.
M. Mashima — Devant toi, Morishita… ?
Oui, c’était Morishita Ai, l’élève farfelue, qui venait de parler.
Morishita — Oui. Je vais expliquer les raisons. Tout d’abord, Ayanokôji Kiyotaka est comme un nouvel élève transféré, donc il ne connaît pas encore la classe. Le placer directement au centre le ferait se replier sur lui-même comme un marginal. Lui donner la place tant convoitée au fond, près de la fenêtre, ma place, serait un privilège excessif. De plus, puisqu’il s’agit d’un élément étranger venu d’une classe adverse jusqu’à récemment, une surveillance appropriée est nécessaire. En prenant tout cela en compte, je pense que le mieux est qu’il s’assoie devant moi. Si quelqu’un a des objections, qu’il s’exprime maintenant.
Aucun élève ne s’opposa à cette proposition, bien que décidée unilatéralement par Morishita. Eh bien, peu importe où je m’asseyais, cela ne ferait probablement pas grande différence. En tant que professeur principal, si les élèves s’accordaient sur un emplacement sans objections, Mashima-sensei n’avait probablement aucune raison de refuser. Il ne restait qu’une seule chose à vérifier : Est-ce que l’élève actuellement assis devant Morishita accepterait ce changement… ?
M. Mashima — Si Sugio est d’accord…
Alors que Mashima-sensei cherchait la confirmation auprès de Sugio Hiroshi, qui occupait actuellement cette place…
Sugio — Bien sûr que oui ! On peut changer tout de suite même ! Enfin… je cède ma place avec plaisir.
Il accepta vite. Il avait même l’air sincèrement heureux de pouvoir changer.
M. Mashima — Très bien. Alors, Sugio, va t’installer au fond, là où il y a une rangée vide.
Sugio — Oui !
Sugio répondit avec enthousiasme, rassembla rapidement ses affaires et quitta sa place. Après avoir obtenu son accord, Mashima-sensei apporta immédiatement une nouvelle chaise et un bureau.
M. Mashima — Alors, Ayanokôji, installe-toi. On va reprendre.
Moi — D’accord.
Je pris place devant Morishita, comme elle l’avait proposé. Aussitôt assis, elle m’interpela depuis l’arrière.
Morishita — Ravie de faire équipe avec toi, Ayanokôji Kiyotaka.
Moi — Oui, de même.
Bien que la classe C soit encore un peu agitée dans son ensemble, l’atmosphère était bien plus calme comparée à celle de la classe Horikita que je connaissais. Même s’ils avaient été prévenus du transfert, beaucoup ne devaient pas croire que cela arriverait réellement. Comme prévu, les qualités fondamentales des élèves ici semblaient généralement élevées. C’était un soulagement d’être dans un environnement facile à manœuvrer à ce stade, cela réduisait les problèmes.
Grâce à l’OAA, je connaissais déjà les visages, les noms, et les compétences de base de tous. Cependant, comme moi, beaucoup avaient des aspects non visibles à travers de simples évaluations écrites. Découvrir cela au fil de ma nouvelle routine était l’une de mes priorités. Il ne restait qu’une seule année de ma vie lycéenne alors il n’y avait pas de temps à perdre. Cela dit, aller dire aux gens : « Il ne me reste pas beaucoup de temps, alors ouvrez-vous à moi maintenant » ne marcherait pas. Il fallait trouver un juste milieu.
Morishita — À quoi tu penses, Ayanokôji Kiyotaka ?
Derrière moi, j’entendis Morishita murmurer.
Moi — À ce qui m’attend.
Morishita — Tu te demandes si tu peux te faire cent amis ?
Je ne comprenais pas pourquoi elle posait cette question sur un ton chantant.
Effectivement, apprendre à connaître ses camarades impliquait un peu de cela.
Moi — Ce n’est pas ça du tout…
Comme c’était complètement à côté de la plaque, je le lui fis savoir.
Morishita — Tu ne veux pas manger des onigiris avec cent personnes ?1
Moi — Je ne pense pas à ça… d’ailleurs, je ne comprends même pas ce que tu veux dire avec tes « cent personnes ».
Et pourquoi continuait-elle à parler sur ce ton rythmé ?
Morishita — Regarde par ici.
Suivant son instruction, je me retournai, et croisai son regard glacial
Morishita — Ayanokôji Kiyotaka est étonnamment bête, non ?
Moi — Il faut balayer devant sa porte.
Je trouvais son idée irréaliste de se faire une centaine amis pour manger des onigiris ensemble encore plus absurde.
Morishita — Tu ne connais même pas cette blague, non, ce n’est même pas une blague, c’est un classique. Tu es sain d’esprit au moins ?
Moi — On serait beaucoup à ne pas l’être alors.
À ma réponse, elle poussa un profond, très profond soupir.
Morishita — Plutôt que de te dire bête, ce serait plus juste de dire que tu es ignorant, ou peut-être complètement déconnecté du monde.
Elle semblait déçue toute seule, mais je ne savais pas pourquoi.
Se faire cents amis ? Manger des onigiris avec cent personnes ? J’essayai de réfléchir calmement, mais je ne comprenais toujours pas.
Morishita — Assez parlé. Concentre-toi et écoute sérieusement le professeur.
C’est toi, Morishita, qui fait que je n’écoute pas…
1
Après avoir reçu des explications de la part de Mashima-sensei concernant l’emploi du temps et les cours à partir de demain, la journée scolaire touchait à sa fin. Pour les élèves de terminale, la manière d’utiliser notre temps allait probablement changer de manière significative par rapport aux deux années précédentes.
Comme il s’agissait d’un tournant dans la vie, les élèves devaient déterminer leur orientation d’ici l’été, et commencer à agir tout en poursuivant leur vie scolaire. Cela dit, cela ne concernait pas ceux qui avaient déjà fait leur choix, ni quelques élèves comme moi, dont la voie était déjà tracée sans qu’il soit nécessaire d’intervenir.
M. Mashima — S’il n’y a pas de questions, alors…
Mashima-sensei mit fin au cours de vie de classe. Étant donné que les autres n’avaient été informés de mon transfert qu’à la dernière minute, il y avait une possibilité que les élèves de terminale A, Horikita compris, débarquent. Cependant, je n’avais pas l’intention de paniquer et de m’enfuir. Après tout, il était inévitable que je sois confronté à eux tôt ou tard. Cela dit, un tel remue-ménage ici pouvait entraîner des problèmes inattendus.
Il serait plus prudent de changer de lieu avant que cela n’arrive. De plus, j’avais un rendez-vous avec un certain élève après. Alors que l’heure de cours fut officiellement terminée, j’étais sur le point de me lever. Mais Hashimoto le fit avant avec sa chaise déjà reculée.
Hashimoto — Bon, et si on organisait une fête de bienvenue pour Ayanokôji au Keyaki ? Quelque chose de bien voyant, ça vous dit ?
C’était sa proposition à la classe. Cependant, tout de suite après, une tension palpable envahit la salle. Je me rassis discrètement, moi qui avais commencé à me lever. Mashima-sensei, qui s’apprêtait à quitter la salle, s’arrêta et se retourna pour observer la réaction des élèves.
Durant quelques secondes, personne n’avait entrepris de parler, laissant un silence pesant. Ce fut Yoshida qui le brisa au bout d’un moment.
Yoshida — Désolé, mais je suis contre.
Il exprima son refus d’un ton plat, sans émotion.
Hashimoto — Allez, pourquoi tu dis ça ?
Hashimoto, dont l’enthousiasme venait d’être refroidi, laissa tomber ses épaules non sans exagération.
Hashimoto — Pense à ce que ressent Ayanokôji, à être mis à l’écart et ignoré dès son arrivée dans sa nouvelle classe.
Mis à l’écart… est-ce que ça allait vraiment être le cas ? Pour l’instant, j’essayai d’imaginer ce que ça ferait. …Eh bien, ce ne serait sans doute pas très agréable… je suppose. Ce qui me dérangeait, ce n’était pas de ne pas être avoir un accueil chaleureux, mais que l’ambiance en classe se détériore à cause de moi. C’était embarrassant d’assister à cela en tant que spectateur.
Je ne m’attendais pas à ce qu’on propose une fête de bienvenue alors que je n’avais encore construit avec eux. À partir du moment où cela avait été lancé, je ne pouvais qu’observer. Dans ma position, je me devais de rester neutre et personnellement, j’aurais préféré que les choses continuent normalement. L’intention de Hashimoto était louable, donc je ne pouvais pas lui en vouloir.
Yoshida — Ce n’est pas qu’on rejette Ayanokôji. C’est justement parce qu’on veut l’accueillir qu’on a tous contribué pour son transfert. Mais tu comprends bien qu’il est difficile de l’accueillir sincèrement, non ? Maintenant qu’on est tombés en classe C, on ne peut plus se permettre d’échouer aux examens spéciaux. D’abord, on a besoin de voir des résultats qui prouvent qu’il est un allié de valeur. Si c’est le cas, on le reconnaîtra comme camarade et on l’accueillera, même sans que t’aies besoin de dire quoi que ce soit, Hashimoto.
Ayant expliqué les raisons de son refus, Yoshida se leva de sa chaise.
— Je suis d’accord. Il n’a encore rien fait, et il y a même une possibilité que ce soit un espion, alors je n’ai pas envie de m’embêter avec des faux-semblants et d’organiser une fête de bienvenue.
Suite à cela, Machida exprima lui aussi son opinion, et un à un, les élèves de la classe C commencèrent à quitter la salle.
Hashimoto — Sérieusement… c’est rude de leur part.
En se grattant la tête, Hashimoto se tourna vers moi et me fit un petit geste d’excuse, auquel je répondis en insinuant que cela ne me dérangeait pas. Les élèves quittèrent la pièce les uns après les autres, et bientôt, il ne resta plus qu’un petit groupe. Même si nous avions été ennemis jusqu’à maintenant, je n’avais jamais interagi activement avec les élèves de cette classe. Parmi ceux qui restaient, il y avait Hashimoto, Morishita, Yamamura et Sanada, des membres avec qui j’avais commencé à tisser quelques liens au fil des événements. Autrement dit, il ne restait quasiment plus personne.
Morishita — Ayanokôji Kiyotaka, tu es d’une impopularité spectaculaire. Tu es tel un produit invendu.
Moi — C’est normal qu’ils ne puissent pas m’accueillir à bras ouverts.
Morishita — Certes. Mais si c’était Ichinose Honami, Kushida Kikyô ou Hirata Yôsuke à ta place, est-ce que la situation aurait été similaire ?
Moi — Ah ça…
J’imaginai ce qui se serait passé avec ces élèves à ma place. Rien qu’en y pensant un instant, une scène claire me vint à l’esprit.
Morishita — Même si ce n’était pas tout le monde, ils auraient clairement eu plus de personnes pour les accueillir chaleureusement.
Moi — …Oui… peut-être.
Morishita — Ce n’est pas « peut-être », c’est sûr en fait. Être aussi réservé dans ton jugement, c’est un peu mesquin venant de toi, non ?
Elle réduisit en miettes, sans pitié, toute éventualité contraire.
Morishita — Ton impopularité est indéniable, Ayanokôji Kiyotaka.
Une remarque bien sévère que je ne pouvais pas vraiment réfuter.
Morishita — Tu devrais commencer par accepter cette réalité.
Moi — Ça me paraît être une bonne idée effectivement…
Je me sentais un peu sentimental, sans savoir pourquoi. Alors que les remarques de Morishita résonnaient encore en moi, Yamamura et Sanada quittèrent eux aussi la salle, le regard un peu désolé. Après les avoir regardés partir, Hashimoto s’approcha et me tapota l’épaule droite.
Hashimoto — Désolé, Ayanokôji. On n’est peut-être plus beaucoup, mais faisons quand même une fête de bienvenue.
Moi — Qui compte venir ?
Hashimoto — Pour l’instant, juste moi.
Le « plus beaucoup » était exagéré mais il ne fallait pas faire la fine bouche s’il y avait ne serait-ce qu’une personne pour m’accueillir.
Hashimoto — Tu viens aussi, Morishita ? C’est pas drôle sans meufs.
Tentant d’inviter une autre personne, il interpela Morishita, toujours présente.
Morishita — Non, je refuse.
Elle déclina immédiatement, sans hésitation.
Hashimoto — Allez, fais pas ta difficile. T’es de notre côté, non ?
Morishita — Nulle envie d’être associée à un traître et à un sans amis. J’ai prévu de partir à l’aventure après les cours. Excusez-moi. Je file.
Elle attrapa rapidement son sac, se leva et quitta la salle à vive allure.
Il ne restait plus que quelques élèves. La fille assise à côté de moi, qui nous observait jusque-là, se leva à son tour en croisant le regard de Hashimoto. Il semblait inévitable que cette fête de bienvenue ne se résume qu’à nous deux.
Moi — Au fait, qu’est-ce qu’elle voulait dire par « aventure » ?
Hashimoto — T’en fais pas, mec. Écoute même pas la moitié, non, même pas 1/5 de ce qu’elle dit. La prendre au sérieux, c’est une perte de temps.
Un peu exaspéré, il me poussa doucement le dos pour me faire avancer.
Hashimoto — La déprime c’est pas bon pour la santé. Allez, on bouge !
Guidé par Hashimoto, je quittai la salle de classe.
2
Hashimoto et moi quittâmes la classe C ensemble en nous engageons dans le couloir. Comme nous semblions être les premiers à quitter le bâtiment, il était probable que les autres classes n’avaient pas encore conclu leur réunion.
Hashimoto — On dirait qu’on va pouvoir partir sans attirer l’attention.
Moi — Ce n’est qu’une question de temps.
Le sujet du transfert n’allait pas concerner uniquement les élèves de la classe de Horikita, à laquelle j’appartenais auparavant. Les élèves des classes d’Ichinose et de Ryuuen seraient aussi concernés. Avec le temps, nous allions attirer davantage l’attention, et les élèves, poussés par la curiosité, commenceraient à venir nous parler.
Hashimoto — Si tu veux éviter tout ce tapage, on peut aller au karaoké… mais juste deux mecs dans une petite salle, c’est un peu bizarre.
Moi — Je suis d’accord. Laissons tomber.
Hashimoto semblait vraiment vouloir organiser cette fête de bienvenue, et nous continuâmes jusqu’à la sortie, en esquivant les regards posés sur nous.
Hashimoto — Gros, t’as du cran. Jamais je n’aurais imaginé que tu planifierais de rejoindre notre classe en acceptant mes points.
Moi — Combien de fois tu comptes te plaindre de ça ? On dirait que ça te pèse vraiment.
Le sujet du transfert était encore frais pour Hashimoto, et il ne ratait jamais une occasion d’en reparler.
Hashimoto — Évidemment que j’ai mon mot à dire. L’argent était ma précieuse assurance.
Hashimoto avait accumulé une grosse somme d’argent en manœuvrant dans à droite à gauche, jusqu’à trahir Sakayanagi. Il ne serait pas surprenant qu’il ressente une forte frustration à cause de ses économies parties en fumée.
Moi — Si tu pouvais revenir en arrière, avant de décider de mon transfert, est-ce que tu annulerais tout, Hashimoto ?
Hashimoto — Ah ça… ce serait mentir de dire que je n’hésiterais pas.
Moi — Tu aurais peut-être pu économiser vingt millions de points privés.
À ces mots, Hashimoto émit un petit rire et acquiesça sans nier. Réussir à économiser une telle somme seul était difficile, mais cela garantissait presque un diplôme en classe A. C’est pourquoi il fallait du courage et de la détermination pour abandonner ce rêve.
Moi — Mais pour de grands objectifs il faut de grands risques.
Hashimoto — Tu m’étonnes. Ces deux dernières années, j’ai pas mal joué l’équilibriste. J’étais dans le conflit entre Sakayanagi et Katsuragi, j’ai réuni Ryuuen et Katsuragi sur l’île déserte, et récemment, j’ai pris position contre Sakayanagi. J’ai accumulé les efforts inavouables et obtenu sans cesse des résultats.
Hashimoto parlait de ses propres actions proactives comme si ce n’était rien. En effet, ses initiatives comportaient des risques réels.
Moi — Alors tu devrais être optimiste. Tes efforts ont porté leurs fruits car tu as réussi à me faire venir. C’est un grand accomplissement.
Hashimoto — Ouais, t’as raison.
Mais il était compréhensible qu’il ne puisse pas se réjouir complètement. Peu importe combien il me valorisait, sa classe actuelle restait la classe C. Puisqu’il avait décidé d’opter pour un transfert, il aurait eu plus de chances de victoire en rejoignant directement la classe de Horikita. Ou en me rejoignant dans la classe de Ryuuen. Ces options auraient été plus logiques.
Justement, parce que je connaissais cette manière de penser, je lui avais présenté deux choix : Soit abandonner sa fortune et m’accepter, soit renoncer complètement à m’intégrer. S’il refusait, aucune coopération ne naîtrait entre nous jusqu’à la fin de l’année. Et s’il devait faire face à l’hostilité de sa propre classe, tout en entretenant un lien conflictuel avec moi, il n’y aurait aucune garantie pour sa sécurité.
Même Ryuuen pouvait montrer les crocs à tout moment. Il avait pesé les deux options pour maximiser ses chances de succès.
Hashimoto — Je peux te faire confiance, pas vrai, Ayanokôji ? Tu vas viser sérieusement la classe A à partir de maintenant ? Je compte bien te mettre sur le devant de la scène même si tu préfères éviter.
Il pensait sûrement avoir la légitimité de dire ça. C’est vrai que ses contributions avaient grandement facilité mon transfert. Mais cela ne signifiait pas que je pouvais répondre à ses attentes si facilement.
Moi — Je te l’ai dit quand on a parlé du transfert. Je ne garantis rien pour mes décisions. C’est à toi de croire ou non en moi.
Est-ce que j’avais l’intention de viser la classe A ? Même si je partais de ce principe, je n’avais jamais partagé de plan à ce sujet. C’est pourquoi, au moment de prendre des décisions, Hashimoto ne pouvait pas répondre immédiatement et gardait encore des doutes, lui, qui avait trahi Sakayanagi et contribué à son départ. Tous les élèves de la classe C ne savaient pas tout, mais certains se méfiaient clairement de lui. Ce n’était pas une classe dans laquelle il était facile de vivre.En cas de problème, il serait le premier sacrifié.
Hashimoto — C’est vrai… Ouais, je le sais bien.
Malgré toutes ces incertitudes, Hashimoto avait fini par m’accepter.
Plutôt que d’utiliser vingt millions de points juste avant la remise des diplômes pour garantir sa place en classe A, il avait choisi un autre idéal : faire équipe avec moi pour atteindre la classe A avec ses propres moyens. Non, il avait conclu que ce n’était pas un idéal, mais une réalité à saisir.
Hashimoto — Ok, j’ai accepté les conditions. Mais si t’as des projets pour l’avenir, tu pourrais m’en parler un peu, non ? C’est ça, être camarades.
Même en lui parlant avec rejet, Hashimoto persévérait.
Moi — Que faire… J’ai peur d’être trahi comme Sakayanagi.
Hashimoto — Eh, arrête tes mauvaises blagues, Ayanokôji. J’ai tout misé sur toi. Je suis fauché. Pourquoi je te trahirais maintenant ?
Visiblement un peu troublé, il agita les mains avant de passer devant moi.
Moi — Cela dit, vu ton style, Hashimoto, tu es sûrement en train de magouiller un petit quelque chose, non ?
Hashimoto — Non, non, non, absolument pas. Que les autres doutent de moi, ok mais j’ai besoin de ta confiance s’il te plait !
Évidemment, je ne m’inquiétais pas vraiment d’une éventuelle trahison de sa part. Garder un peu de tension était probablement ce qu’il lui fallait.
Moi — Bon, j’en ai peut-être trop dit. Sans ta coopération, le transfert n’aurait pas été si simple. Parlons stratégie… non, plutôt de l’avenir.
Hashimoto — Tu vois ? T’aurais dû être direct dès le départ.
Je sortis mon téléphone et confirmai que j’avais reçu une réponse. Il valait peut-être mieux emmener Hashimoto à la rencontre prévue.
Moi — Je me rends au Keyaki
Hashimoto — Donc c’est pas vraiment une fête de bienvenue, mais un partage de plan, hein ?
Je hochai la tête, et Hashimoto me répondit d’un air satisfait.
Moi — Au fait… et toi, Morishita ?
Je me retournai pour interpeler Morishita, qui nous observait sûrement dans l’ombre. Censée avoir quitté la salle un peu plus tôt, elle réapparut derrière.
Morishita — Tu fais fort, Ayanokôji Kiyotaka. Tu es peut-être impopulaire, mais tu as le sens des présences.
Elle jouait sans doute sur les kanjis de 「人気, pouvant signifier à la fois « popularité » (ninki) et « présence humaine » (hitoke). Cette fois, je crus en comprendre le sens, contrairement à sa précédente blague sur les cent amis.
Moi — Donc tu étais intéressée, en fait. Et l’aventure dont tu parlais ?
Morishita — Voici la vérité révélée : c’est ça, l’aventure ! L’apparition soudaine de l’incarnation de l’impopularité, Ayanokôji Kiyotaka, et celle de la trahison, Hashimoto Masayoshi. Si interagir avec ces deux-là, n’est pas une aventure en soi, alors je me demande ce que c’est.
Hashimoto — J’ai dit que j’étais… ah, peu importe. Ça sert à rien.
Morishita — On dirait que tu admets enfin que tu es un traître.
Hashimoto — Ouais, ouais. Et toi, ça te gêne pas de parler avec un traître ? T’as pourtant refusé la fête de bienvenue.
Morishita — Ce n’est pas comme si j’y assistais. C’est normal, en tant que camarade, de discuter rapidement de l’avenir de la classe C. Vous allez sûrement voir Ichinose Honami après, je présume ?
Morishita esquissa un sourire, touchant au cœur du sujet.
Hashimoto — Ichinose ? Pourquoi elle entre en jeu maintenant ?
Morishita — Héhé, donc le traître n’est pas digne de confiance. Apparemment, tu n’es même pas au courant du minimum des détails.
Le sourire de Hashimoto se figea légèrement, comme s’il avait été piqué.
Hashimoto — Ne me dis pas que t’as déjà parlé avec Morishita ?
« Je suis celui qui coopère le plus, et tu m’écartes comme ça ? » était clairement ce qu’il pensait.
Moi — Pour ce transfert, l’unanimité de la classe C était indispensable. Il y avait des choses que je ne pouvais pas te confier à cause de tes problèmes. Contrairement à toi qui me fais confiance, Morishita, elle, avait de gros doutes. Il fallait donc lui fournir les bonnes informations.
Hashimoto — Je vois ce que tu veux dire… mais j’ai du mal à accepter d’avoir perdu face à Morishita. Enfin, tant qu’on en parle après, c’est ok.
Hashimoto soupira. Pensant qu’il serait inutile de continuer la discussion ici, il prit les devants et commença à marcher. Je le suivis un peu plus tard, et Morishita vint se placer à mes côtés.
Moi — Qu’est-ce que tu prépares au juste ?
Morishita — Comment ça ?
Moi — Tu connais déjà le plan, alors ta présence n’était pas nécessaire.
Vu qu’elle nous avait discrètement suivis, elle envisageait probablement de se joindre à nous dès le départ.
Morishita — Pour toi, Ayanokôji Kiyotaka, c’est peut-être vrai. Mais Ichinose Honami, c’est une autre histoire. Je ne peux pas juger si la bienveillante classe D sera utile sans voir la chose de mes propres yeux. Si elle reste le leader que je connais, j’en attends peu d’elle.
Elle reconnaissait certaines capacités à Ichinose, mais pas assez pour lui faire pleinement confiance. Sa force incluait aussi ses faiblesses.
Pour Morishita, en des termes simples, Ichinose était une meneuse peu fiable. Donc, elle avait une raison valable d’être présente et de vérifier par elle-même si la collaboration en valait la peine.
Moi — Alors observe attentivement, comme une grande détective. Tu es libre de tes mouvements.
Morishita — Ça va de soi.
Ensuite, nous nous dirigeâmes tous les trois vers le café, lieu du rendez-vous avec Ichinose.
3
Au comptoir du café, nous commandâmes nos boissons. N’ayant pas de fonds personnels à cause du transfert, j’avais emprunté 20 000 pp à Hashimoto, avec la promesse de les rembourser après le revenu de mai. Le paiement ne posait donc pas de problème. En attendant que le café soit prêt, je pris le reçu et jetai un coup d’œil à une affiche qui annonçait un recrutement pour un travail à temps partiel dans ce café.
Ce n’était pas spécifique à cet endroit : on pouvait voir des affiches similaires dans plusieurs autres boutiques. Bien que les élèves de notre école remplissent les conditions d’âge, ils ne peuvent pas travailler. Et il ne serait évidemment pas approprié que des enseignants prennent un emploi à temps partiel. Peut-être que ces affiches s’adressaient aux personnes déjà en poste dans le Keyaki pour leur faire changer de travail.
Alors que je m’égarais dans ces pensées futiles, le temps passa, et nos boissons furent prêtes. Hashimoto avait trouvé une grande table au fond du café, alors je pris sa boisson et m’y installai. Après quelques minutes, Ichinose arriva en nous faisant un petit signe de la main pour signaler sa présence.
Après un bref échange avec le personnel au comptoir, elle s’approcha avec sa tasse en main.
Ichinose — Désolée pour l’attente, Ayanokôji-kun. Et tu es aussi avec Hashimoto-kun et Morishita-san à ce que je vois.
Ichinose salua poliment Morishita. Cette dernière se contenta d’un léger hochement de tête, sans répondre, montrant qu’il n’y avait que peu d’interactions entre elles au quotidien.
Moi — Tu ne vois pas d’inconvénient à leur présence ?
Ichinose — Bien sûr, aucun problème.
En écoutant notre bref échange, Hashimoto afficha un petit sourire en coin.
Hashimoto — Tu n’as pas l’air surprise… Tu savais déjà, hein ? Pour le transfert d’Ayanokôji, je veux dire.
Si Ichinose n’avait appris la nouvelle qu’au matin même par l’école, sa surprise aurait été manifeste. Mais elle ne montra aucun signe de trouble, et ne semblait pas non plus sur le point de poser des questions sur ce changement de classe. Il n’était pas étonnant que Hashimoto en tire cette conclusion.
Ichinose — Je l’ai appris il y a peu.
Hashimoto — Morishita, toi aussi, tu avais l’air de savoir qu’Ichinose était déjà au courant, non ?
Morishita — Je savais qu’elle savait. Ceux qui ne savaient pas feraient bien de se souvenir de cette phrase intéressante syntaxiquement.
Hashimoto — Hein ? Tu comptes esquiver la question avec une réflexion bidon ?
Morishita — Pas du tout. Bien sûr que j’étais au courant. La seule personne ici qui n’était pas dans la confidence, c’était…
Elle pointa lentement son index juste devant les yeux de Hashimoto. Celui-ci écarta la main d’un geste avant de lui lancer un regard.
Hashimoto — Donc j’étais le seul pas au courant que vous saviez ? Ça me donne presque envie de pleurer, votre belle confiance mutuelle.
Moi — Ça reste entre nous. Aucun autre camarade n’est au courant.
Ichinose — C’est pareil pour ma classe. Tout le monde a été surpris, donc c’est clair qu’ils ne savaient rien.
Même avec cette confirmation, il semblait avoir du mal à digérer la chose.
Hashimoto — Merci pour la consolation. Mais à partir de maintenant, je veux tout savoir, y compris pourquoi Ichinose savait pour ton transfert.
En plus du fait qu’elle semblait impliquée dans le plan, Hashimoto avait visiblement d’autres raisons de lui adresser ce regard.
Hashimoto — Mais pourquoi Ichinose ? Ne me dis pas que t’as largué Karuizawa pour sortir avec elle… et que c’est comme ça qu’elle l’a su ?
Qu’il ait perçu une proximité entre nous ou que ce soit juste une supposition, Hashimoto n’hésita pas à poser la question.
Morishita — Quelle audace. Mais je comprends un peu ce que tu ressens.
L’un et l’autre jetèrent tour à tour un regard vers moi et Ichinose.
Moi — Ça n’aurait pas suffi pour parler d’un transfert.
Hashimoto — Elle n’est même pas en classe C alors pourquoi Ichinose savait ? Il doit bien y avoir une raison logique, non ?
Moi — Bien sûr. C’est parce que pour cette dernière année, si la classe C veut viser la A, la coopération d’Ichinose et de son groupe sont essentielles. Sans elle, mon transfert en classe C n’aurait pas eu lieu.
Hashimoto — C’est gros ce que tu dis là. Quelle coopération au juste ?
Morishita — L’alliance avec Ichinose Honami… C’est donc du sérieux ?
J’acquiesçai doucement.
Hashimoto — Hein ?
Naturellement, Hashimoto sembla désarçonné par cette soudaine mention d’alliance. Ce qui allait suivre nécessitait une explication pas à pas.
Moi — Oui, je suis sérieux. En réalité, Ichinose et moi avons formé une alliance totale. Pas une simple collaboration temporaire selon les circonstances, mais un projet qui durerait une grande partie de l’année.
Je venais d’exposer le cœur de la stratégie que Hashimoto voulait connaître.
Mais ça ne suffisait pas. Au contraire, son air confus ne faisait que s’intensifier.
Hashimoto — C’est impossible, non ? Une seule classe peut finir en A, peu importe les efforts. Une alliance totale, n’est pas du tout réaliste.
Il avait sûrement interprété mes propos comme une plaisanterie ou une absurdité. Mais c’était prévu, donc je ne fus ni troublé ni pressé de réfuter.
Moi — Pas impossible. Oui, il faut des conditions, mais il y a clairement un fossé dans le classement. Ichinose et moi ne cherchons pas à gagner seuls et si l’on ajoute la condition suivante : « jusqu’à ce que les quatre classes soient à égalité », maintenir une alliance devient faisable.
En expliquant calmement, notre sincérité finirait par passer.
Hashimoto — Non… attends. Ça reste impossible. Même si les classes du bas s’unissent, c’est l’école qui décide des examens et des adversaires. Si le prochain combat oppose ta classe à celle d’Ichinose, alors votre alliance volerait en éclats. Tout au plus, on pourrait se mettre d’accord pour éviter les expulsions. Mais personne ne pourra perdre.
Si c’était une alliance basée uniquement sur les victoires ou défaites, il y aurait effectivement des contradictions. Mais c’était une alliance qui allait bien au-delà de ça. Ichinose prit la parole avant que je puisse répondre.
Ichinose — C’est vrai que l’agencement des matchs n’est pas de notre ressort. C’est ce qu’on a vu jusque-là, et l’école doit décider en fait.
L’école organisait des affrontements équilibrés entre classes, tantôt en imposant les adversaires, tantôt en nous laissant le choix.
C’était la règle pour les examens spéciaux que nous avions répétés jusque-là.
Ichinose — En prévision de ça, on a déjà tout préparé. Si nos classes doivent vraiment s’affronter, on a convenu de laisser la victoire à la classe qui aura ne serait-ce qu’un point de moins en points de classe. Il y a d’autres arrangements plus détaillés, mais ce que je veux dire, c’est que si la classe gagnante est déterminée à l’avance alors pas de soucis.
Morishita écouta l’explication d’Ichinose et poussa un léger soupir.
Morishita — Tu es sérieuse ? Je comprends ces accords mais une alliance où l’on cède la victoire est inutile. Laisser la victoire à la classe qui serait au moins un point en dessous ? Ça veut dire que l’autre perd une occasion précieuse de monter au classement. C’est comme jeter à la mer une partie du nombre limité d’examens spéciaux que l’on a.
Hashimoto — On dirait que tu parles comme si tous les examens spéciaux étaient taillés pour donner l’avantage à notre classe. On a réussi à maintenir la classe A jusqu’à maintenant.
Morishita — Jusqu’à récemment oui. Maintenant que Sakayanagi-san n’est plus, la force de la classe n’a-t-elle pas drastiquement diminué ?
Hashimoto — C’est pour ça qu’on a recruté Ayanokôji.
Moi — L’alliance formée avec la classe d’Ichinose est aussi l’une des raisons de mon transfert.
Hashimoto — …Donc l’alliance est une conclusion déjà actée, hein ?
Ichinose et moi hochâmes la tête en même temps. Hashimoto secoua exagérément la sienne.
Hashimoto — Même si on accepte la condition de base… Il n’y a aucune garantie que la classe ayant reçu la victoire cédée la rendra la fois suivante. Et si on tombe une nouvelle fois contre eux juste après ?
Dans ce cas, ce serait à la classe C, légèrement en tête, d’accepter la défaite.
Moi — En deux ans, Ichinose a su construire sa crédibilité. C’est la clé qui rend cette alliance possible.
Hashimoto écarquilla les yeux, semblant à court de mots. Il paraissait ne pas vouloir suivre une discussion qui dépassait son niveau de compréhension.
Morishita — Toi, Hashimoto Masayoshi, dont la trahison est une habitude, tu ne peux pas imaginer la chose, hein ?
Hashimoto — T’es rude ! Mais toi alors, tu comprends leur délire ?
Morishita — J’ai toujours trouvé ça ridicule.
Hashimoto — C’est Ayanokôji tout craché ça. Morishita, t’es d’accord ?
Morishita — Je ne suis pas tout à fait d’accord avec toi.
Hashimoto — Sois-le juste. Enfin bref, je comprends bien qu’Ichinose reste plus digne de confiance qu’un gars comme moi, mais la trahison c’est bien le souci, non ?
Moi — Supposons que, lors du prochain examen spécial, on affronte la classe D d’Ichinose, et qu’on leur concède la victoire. Tu penses qu’elle trahirait et romprait la promesse de l’alliance après ça ?
Je lui demandai d’imaginer la situation. Hashimoto croisa les bras et regarda Ichinose. Il détourna légèrement les yeux, laissant son imagination tourner dans sa tête. Après un instant de silence, il regarda Ichinose droit dans les yeux. Elle continuait de le fixer sans sourciller.
Hashimoto — Ok… Elle n’est pas complètement indigne de confiance…
Ichinose — Contente de l’entendre, même si tu es à moitié convaincu.
Elle plissa les yeux avec un doux sourire. Ce dernier détourna le regard, gêné, en se grattant la joue.
Morishita — Les hommes sont des créatures simples. Vraiment stupides.
À ces mots pleins d’exaspération, Hashimoto revint à lui et tenta de reprendre la discussion. Mais, ayant peut-être perdu tout intérêt, il posa ses deux mains sur sa boisson et se mit à marmonner.
Hashimoto — Mais tu sais quoi ? Là, c’est juste le début de notre dernière année. Qu’est-ce qui se passera après plusieurs mois de lutte et si la situation se tend ? Même si Ichinose est fiable, des gens dans sa classe pourraient l’inciter à nous trahir. Et ça peut aussi arriver de notre côté. Quand tout marche sur un fil, ce n’est plus une question de confiance.
Ichinose — Si un tel moment arrive, on arrête. Comme tu le redoutes, Hashimoto-kun, on ne peut pas maintenir l’alliance pendant toute l’année. Mais il n’y a aucun intérêt à couper les ponts prématurément, sans raison. C’est justement parce qu’on est dans une situation où il n’y aura peut-être pas de seconde chance que je veux maintenir cette coopération avec Ayanokôji-kun jusqu’au dernier moment possible.
Se retenir de trahir apportait plus d’avantages que de le faire.
Tout comme nous avions évalué la crédibilité d’Ichinose par le passé, elle était maintenant en train d’évaluer mes capacités. Un équilibre délicat s’était établi.
Hashimoto — …Tu as vraiment une haute opinion d’Ayanokôji.
Ichinose — Oui. Tout comme toi, Hashimoto-kun.
Elle le regarda droit dans les yeux et répondit sans la moindre hésitation.
Hashimoto — Je vois… Bon, je comprends ce que tu veux dire, Ichinose. En effet, tu n’as sans doute aucun intérêt à nous trahir. Mais rien ne garantit que ce soit réciproque. Ou bien… tu as prévu quelque chose, comme un contrat ou un truc du genre ? Si c’est le cas, alors…
Ichinose — Il n’y a pas de contrat. C’est une promesse orale.
Hashimoto — C’est un peu léger, peu importe comment tu le présentes.
Ichinose — Non, ça me suffit. De la même manière qu’Ayanokôji-kun me fait confiance, je lui fais confiance aussi.
Ichinose répondit sans hésiter. Hashimoto, visiblement toujours aussi perplexe, se prit la tête dans les mains.
Hashimoto — Je comprends rien. C’est pas pour moi, ce genre de truc.
Morishita — Ceux qui considèrent la trahison comme une évidence ne peuvent pas comprendre. Cela dit, je ne comprends pas non plus.
Morishita, qui s’était moquée de Hashimoto jusque-là, semblait aussi insatisfaite de l’absence de contrat entre Ichinose et moi.
Morishita — Mettons de côté la confiance. Est-ce que cette alliance a réellement du sens ? Je ne dis pas qu’elle est inutile, mais pensez-vous vraiment qu’elle soit suffisante pour cet objectif de classe A ?
Morishita restait sceptique, trouvant l’idée peu réaliste.
Hashimoto — Ouais, je suis d’accord. Même avant de parler de confiance, est-ce que cette alliance est vraiment la clé ? Après tout, il ne s’agit que de s’effacer l’un pour l’autre quand on se croise. Je vois pas en quoi ça suffirait à rattraper les classes de Horikita ou Ryuuen.
Pour Hashimoto, cette stratégie semblait sans aucun doute plus limiter que renforcer les opportunités de gagner des points de classe.
Moi — Former une alliance, ce n’est pas juste éviter l’affrontement. Si on devient de véritables alliés, la quantité d’informations qu’on peut obtenir au quotidien est doublée. C’est utile non seulement pour les examens académiques et physiques, mais aussi dans bien d’autres situations.
Une personne, c’est mieux que rien. Deux, c’est mieux qu’une et trois, c’est encore mieux que deux. On pourrait rassembler ceux qui sont doués et soutenir ceux qui ne le sont pas, ce qui renforcerait la motivation et créerait une synergie. Dans des examens à l’échelle de la promo, comme ceux de l’île déserte les deux années précédentes, il y avait des opportunités de coopération à saisir.
Moi — Et quand les classes s’allient, elles peuvent coordonner l’usage des points privés. Si une grosse somme est nécessaire, on peut l’obtenir. Cela pourrait aussi être utile pour certains examens spéciaux.
Bien sûr, rien ne garantissait que cela soit nécessaire. Ce genre de situation ne se présenterait peut-être que deux ou trois fois sur dix. Mais avoir la possibilité de faire ce qu’une seule classe ne peut pas accomplir représentait un atout précieux.
Hashimoto — Je comprends que c’est mieux d’avoir accès à une aide qu’on ne peut normalement pas obtenir… mais, le fait qu’on ait formé une alliance va se savoir, non ? Et si les deux meilleures classes s’alliaient en réaction ? Tous les avantages que tu viens de citer s’envoleraient.
Moi — Ce n’est pas un souci pour le moment. Les deux meilleures classes ne sont pas en position de se faire des concessions. Laisser circuler les points de classe sans bénéfices mutuels ne ferait que leur nuire. Et en dehors de Horikita, Ryuuen n’est pas fiable.
Il ne ferait jamais une concession de victoire sans condition ni ne prêterait des points privés juste comme ça. Et Horikita ne serait pas du genre à céder non plus. Même en supposant une certaine flexibilité, avec Ryuuen, un minimum ne suffirait jamais. Et l’impliquer, lui qui préférait les manœuvres tapageuses, ne ferait que lui nuire davantage.
Hashimoto — …C’est vrai. Mais justement, c’est pour ça qu’on utilise les contrats. Quand Ryuuen et Katsuragi se sont alliés, ils étaient contraints de suivre les règles.
Moi — Bien sûr, s’ils décident de faire un contrat et d’en informer l’école, c’est possible. Et ce serait même un bon développement pour nous.
Hashimoto — Leur alliance nous serait utile ?
Moi — Oui. Si les classes du haut s’allient, elles finiraient naturellement par s’asphyxier l’une l’autre. Si elles s’engagent à se céder les victoires à tour de rôle, elles devront aussi assumer les pertes au moment où elles auraient besoin de gagner.
Et avec des conditions contractuelles strictes, impossible d’annuler l’accord.
Morishita — Un contrat trop rigide peut parfois être un coup fatal.
Elle murmurait tout cela en tenant sa tasse.
Moi — À l’inverse, nous n’avons pas ce genre de chaînes. Ce n’est pas une question de trahison ou non, mais plutôt de pouvoir ajuster notre stratégie avec souplesse et opportunisme. Si un écart de points de classe apparaît, on peut fournir un soutien conséquent pour le combler.
C’était le contrat qu’on aurait normalement signé. Et le vaste éventail d’options stratégiques qu’on avait précisément parce qu’on ne l’avait pas fait.
Hashimoto — C’est inattendu. Le fait de ne pas avoir de contrat joue en notre faveur, hein ? J’y avais jamais pensé… mais au final, cette alliance va être dissoute, et on redeviendra des adversaires comme avant, non ?
Moi — Ichinose l’a dit aussi. Si les classes C et D montent au même niveau que celles de Horikita et de Ryuuen, notre relation de coopération prendra fin naturellement.
Cela avait bien sûr été convenu avec Ichinose. Elle hocha la tête pour que Hashimoto et Morishita comprennent bien ce point.
Hashimoto — J’en suis plus ou moins convaincu. Mais du coup, j’ai d’autres questions. Laisse-moi poser quelque chose d’un peu plus direct, pourquoi tu as décidé de coopérer avec Ayanokôji ? Morishita et moi avons bien l’intention de le placer en haut de l’échelle, mais la majorité de nos camarades n’est pas convaincue. Si Ayanokôji est perçu comme inapte à être leader, cette alliance n’aura aucun sens, et elle pourrait même te pénaliser. Est-ce que tu gères bien ce risque ?
Il avait délibérément posé la question à Ichinose, et non à moi. Hashimoto pensait pouvoir la démasquer complètement grâce à son intuition, mais ce n’était pas si simple. Son interlocutrice avait clairement changé depuis.
Ichinose — Maintenant que nous sommes tombés en classe D, nous n’avons plus de marge de manœuvre. Tu comprends ça, non ?
Hashimoto — Ouais, évidemment. Et c’est bien pour ça qu’une approche molle comme cette alliance ne te fera avancer qu’à demi-pas. Rien qu’à entendre votre proposition à vous deux-là, je commence à paniquer.
Ichinose — Pour reprendre ton expression, un demi-pas certain vaut mieux qu’un pas complet incertain. Ces deux dernières années, nous n’avons fait que reculer. Notre situation de classe est différente de la vôtre, Hashimoto-kun. C’est pour ça que cette idée nous convient.
Face à cette attitude résolument positive, il acquiesça d’un simple hochement.
Hashimoto — Alors je change de question. Et si Ayanokôji ne parvenait pas à devenir le leader ? Ou même s’il y arrive, mais que pour que la classe l’accepte, il faut qu’on rompe la collaboration avec la classe D ? Tu serais prête à abandonner la coopération dans ce cas-là ?
Ce que Hashimoto redoutait, c’était une alliance à moitié engagée. Ou bien que la classe d’Ichinose devienne dépendante de nous et s’effondre ensuite.
Hashimoto — Le prend pas mal, mais j’ai l’impression que vous êtes un fardeau. Entre nos deux classes, c’est évident laquelle tient les rênes. Si on parle d’alliance, j’aimerais qu’il y ait un retour d’équilibre.
Ichinose — Quel genre de retour tu attends ?
Plutôt que de rejeter l’idée, Ichinose chercha d’abord à obtenir une proposition claire de Hashimoto.
Morishita — Quel sans gêne. Que cherches-tu à faire à Ichinose Honami ?
Hashimoto — Ne saute pas aux conclusions aussi vite !
Morishita — Et si elle disait oui, peu importe ce que tu proposes ?
Hashimoto — Ça… Non, ce n’est pas ce que je veux dire.
Morishita — Cette hésitation en disait long.
Hashimoto agita les mains avec insistance, demandant à Morishita de se taire et de ne pas interrompre la conversation.
Hashimoto — Il doit bien y avoir un truc, genre payer des points privés, un truc du genre.
Ichinose — Désolée, Hashimoto, mais l’alliance que je veux construire est fondée sur l’égalité, pas sur la subordination. Créer une hiérarchie déséquilibrée serait plutôt un handicap.
Si les avis divergent, il était naturel que la classe C impose sa domination. Mais c’était exactement ce genre de rapport de force que nous voulions éviter.
Ichinose — Mais sois rassuré. Si Ayanokôji-kun, non, si n’importe qui de la classe C s’y oppose, je suis prête à renoncer à l’alliance.
Hashimoto — Je vois. Tu serais donc capable de tout lâcher.
Ichinose — Oui, mais je ne pense pas que ce soit un risque à envisager.
Hashimoto — Et pourquoi ça ?
Ichinose — Parce que c’est une proposition d’Ayanokôji-kun.
Son regard franc perça celui de Hashimoto.
Ichinose — C’est ce que je crois, donc je ne pense pas que cette discussion soit vouée à l’échec.
Hashimoto — …Je vois.
Moi — Désolé, mais arrêtons la discussion ici pour l’instant.
Hashimoto — Pourquoi ?
Je dirigeai volontairement mon regard dans une certaine direction. Hashimoto et Morishita suivirent mon regard. Là, Horikita et Matsushita étaient apparues, manifestement encore peu conscientes de la situation.
Hashimoto — Ah, bien sûr. Je m’en occupe.
Moi — Assure-toi de garder l’alliance secrète. Il est impossible qu’elles devinent, à ce stade. Mais aucun intérêt à leur dire maintenant.
Hashimoto — Je comprends. Inutile de révéler ça si tôt.
Son interprétation et mes intentions ne s’alignaient probablement pas trop.
Moi — On aurait pu en fait leur dire aujourd’hui ou demain.
Hashimoto — Oh ? Vraiment ?
Moi — Ça n’a pas besoin de rester secret longtemps. C’est même plus efficace une fois l’alliance connue. Mais pour l’instant, ils ont déjà subi un choc énorme avec mon transfert. Il vaut mieux attendre que la blessure se referme. Ça les frappera encore plus fort à ce moment-là.
Hashimoto — …Je vois. Tu comptes ne faire preuve d’aucune pitié.
Ce n’était qu’un discours de façade, destiné à Hashimoto, Morishita et Ichinose. Ceux qui se sentiraient soulagés tout en étant intimidés par la chute de la classe de Horikita pourraient se satisfaire de cette explication.
Mais mon objectif n’était pas d’abattre Horikita mais de la faire évoluer.
En plus du transfert, lui asséner une menace inattendue comme une alliance serait un poids considérable pour son mental. Bien sûr, son état psychologique risquait d’être plus abîmé encore après cela.
Mais je n’étais pas inquiet.
Deux ans avaient passé. Horikita avait eu le temps de construire des relations solides avec ses camarades.
Je faisais confiance à ce lien pour l’aider à se relever.
4
Après avoir écouté ce que j’avais à dire sans filtre, Horikita et Matsushita se retournèrent en silence. Un peu plus tard, Ichinose rejoignit aussi ses camarades et fit un petit signe d’au revoir aux trois d’entre nous. En la regardant partir, Hashimoto poussa un long soupir.
Hashimoto — Leur réaction… Ça a dû être un sacré choc.
Morishita — Je vois. Ayanokôji Kiyotaka a volontairement effectué son transfert aujourd’hui, juste après la cérémonie d’ouverture, pour maximiser l’effet de surprise dans la classe A ?
Moi — Si le transfert avait été effectué la veille, l’école aurait pu les prévenir, ou bien le professeur principal aurait pu laisser échapper l’information. Par conséquent, le faire à un moment où il n’y avait quasiment aucun délai était le mieux. En termes de durée, la différence était de moins d’une heure. Mais j’étais encore dans leur classe juste avant la cérémonie, et j’y ai assisté avec eux. Horikita et les autres ont sûrement inconsciemment cru que cette année scolaire allait commencer comme d’habitude, avec les mêmes camarades.
Ce mince espoir, cette attente, avait été parfaitement exploitée. J’avais simplement attendu le bon moment.
Hashimoto — Tu avais calculé jusque-là ? C’est vraiment impitoyable de ta part. Même si je fais partie de ceux qui en tirent profit, c’était dur de de contenir leur regard alors qu’elles étaient au bord des larmes. À ce niveau, tu n’as vraiment aucune pitié, Ayanokôji.
Moi — Il ne doit pas y en avoir. Et il ne peut pas y en avoir. Je suis venu en classe C pour m’assurer que, durant cette dernière année, elle puisse viser la classe A. Utiliser le transfert au moment le plus efficace est une stratégie tout à fait naturelle.
Si j’avais encore d’anciennes attaches, jamais la classe C ne m’aurait accepté. Quelqu’un comme ça ne pouvait pas être digne d’un rôle de leader.
Hashimoto — C’est vraiment rassurant de t’avoir comme allié.
La différence actuelle des points de classe était énorme. Même en forçant des expulsions, ce n’était pas une tactique qu’on pouvait répéter souvent. Pour maximiser nos chances de victoire, il ne fallait gaspiller aucune opportunité, aussi infime soit-elle.
Hashimoto — Je reste encore un peu sceptique à propos de l’alliance, mais je suis convaincu pour l’instant.
Morishita — Je suis d’accord. Mais les problèmes s’accumulent, Ayanokôji Kiyotaka. Si les gens découvrent que tu tentes de former des alliances ou que tu agis de ton propre chef sans la reconnaissance de leader, le contrecoup au sein de la classe C ne fera que s’amplifier.
Moi — Je le sais. Tôt ou tard, certains élèves exprimeront leur désaccord.
Même s’ils étaient insatisfaits, la classe n’avait pas d’autre choix que d’observer en silence. Pour me faire venir depuis la classe A, ils avaient tous contribué en points privés. C’était ce qu’on appelle communément le biais du coût irrécupérable. Les gens avaient du mal à accepter que les investissements qu’ils avaient faits puissent aboutir à une perte.
Ainsi, même en me critiquant, ils me laisseraient un peu de marge de manœuvre, espérant que les résultats soient à la hauteur de leurs efforts.
Cette stratégie d’alliance, qui pouvait sembler téméraire, avait été mise en place dès le départ de manière à forcer une forme de compromis, au moins par observation. Hashimoto, qui avait investi le plus de points privés en moi, en était un bon exemple.
Morishita — La priorité est d’obtenir rapidement l’approbation de la classe.
Hashimoto — Si un examen spécial peut permettre ça, les choses iraient plus vite.
Morishita, qui s’était levée de sa chaise, jeta un bref regard à Hashimoto après cette réponse.
Morishita — Je me le demande bien.
Hashimoto — Qu’est-ce que tu veux dire ?
Morishita — Est-ce que tu peux confier, sans réserve, la stratégie d’un examen spécial à un élève dont tu ignores tout ?
Hashimoto — Ça…
Morishita — Si tu n’étais pas celui qui avait activement participé à faire venir Ayanokôji Kiyotaka dans la classe, tu serais sans doute le premier à t’opposer à ce genre de plan. Sinon, réfute parfaitement ce que je dis avec un seul mot.
Hashimoto — Un seul mot, c’est impossible…
Morishita — Hmph.
Constatant que Hashimoto n’avait aucun contre-argument valable, Morishita quitta sa place.
Hashimoto — Elle est épuisante.
Moi — Morishita était comme ça avant que je fasse connaissance avec elle ?
Hashimoto — Elle n’a pas changé. Mais c’est vrai qu’elle n’était pas du genre à s’impliquer activement avec les autres. En ce sens, t’es un peu une exception pour elle.
Je ressentais un mélange de gêne et de curiosité, sans savoir si je devais vraiment m’en réjouir.
5
Lorsque Hashimoto et moi revînmes dans le hall du dortoir, un élève qui nous aperçut se leva. Hashimoto, vif, fit un pas en avant, mais je l’arrêtai.
Moi — Rentre avant moi.
Hashimoto — Ok. Prends ton temps s’il y a beaucoup à discuter.
Voyant que la personne n’avait pas de mauvaises intentions, Hashimoto sourit et appuya sur le bouton de l’ascenseur. L’élève attendit qu’il monte dans l’ascenseur, puis prit la parole calmement.
— Ça t’ennuierait de changer d’endroit ? N’attirons pas les regards.
Moi — Pourquoi pas. On va dans ma chambre, Yôsuke ?
Hirata — Dehors serait mieux.
Respectant son souhait, nous quittâmes le hall, nous éloignant du dortoir. Cependant, rester seul avec Hirata n’était pas si simple. C’était le soir, et tout le monde rentrait. On pouvait croiser des élèves de la classe de Horikita.
Sudou — Hirata… Ayanokôji.
Pris de court, Sudou prononça nos noms à voix basse. À ses côtés se trouvaient Ike et, chose inhabituelle, Keisei et Akito.
Sudou — Je viens de croiser Suzune, elle m’a un peu expliqué… Tu n’as pas changé de classe pour une stratégie. C’est vraiment ton choix ?
On ne savait pas encore si Horikita était rentrée ou non.
Moi — Ouais. Désolé.
Sudou — Pourquoi t’as fait ça ?
Sudou, l’air blessé, s’approcha de moi, mais Yôsuke s’interposa.
Hirata — Sudou-kun. Si on continue à parler ici, d’autres vont arriver.
Sudou — C’est… vrai, désolé.
Hirata — Si tu as quelque chose à dire, je suis prêt à écouter. Pour l’instant, on devrait aller ailleurs.
J’approuvai l’idée de Yôsuke et répondis à Sudou. Ensuite, nous contournâmes le bâtiment pour rejoindre l’arrière du dortoir. Non seulement Sudou, mais les trois autres nous suivirent sans hésiter. Une fois à l’abri des regards depuis l’entrée du dortoir, Sudou, ne pouvant plus se retenir, reprit la parole.
Sudou — Pourquoi t’as fait ça, Ayanokôji ? Pourquoi t’as changé de classe ? T’avais pas besoin de descendre en classe C après tout ça, non ?
Ike — Haha, c’est à cause de Karuizawa, non ?
Ce n’était pas censé être une blague, mais la chose sortit de la bouche d’Ike.
Sudou — Hé, Ike… !
Ike — Quoi ? Je vois pas d’autre raison. C’est gênant de se faire larguer.
Moi — Ça pourrait être l’une des raisons.
Ike — Tu vois ! Je le savais !
Ike, tout joyeux en frappant dans ses mains, se fit interrompre par une tape sèche dans le dos de la part de Sudou.
Sudou — C’est n’importe quoi ! C’est forcément un mensonge.
Ike — Aïe… Il l’a admis lui-même, donc dire que c’est un mensonge, c’est vraiment tiré par les cheveux, si tu veux mon avis…
Tout en se frottant le dos, Ike lança un regard noir à Sudou, sourcils froncés.
Miyake — Alors, quelle est la vraie raison ?
Il posa la question d’un ton où transparaissait une certaine retenue… mais aussi de la colère. Répondre à cette question était facile. Mais il y avait de nombreuses raisons pour lesquelles ce n’était pas envisageable.
Moi — Une raison ? Je ne vois pas l’intérêt d’y répondre.
Miyake — Bien sûr que si. Tu sais ce qu’on ressent, là ? J’étais avec Haruka tout à l’heure, elle est au fond ! Elle n’arrêtait pas de répéter que c’était peut-être de sa faute… que sa tentative de réconciliation, un peu trop soudaine, était devenue un fardeau pour toi, Kiyotaka.
Maintenant que j’y repensais, j’avais eu une discussion avec Hasebe avant l’examen spécial de fin d’année. En effet, il n’était pas impossible que les mots échangés ce jour-là aient été interprétés comme une raison de mon transfert.
Miyake — Elle était déjà troublée depuis plus longtemps déjà. Kiyotaka, tu l’as aidée, et elle n’a même pas pu te remercier comme il faut.
Keisei acquiesça face aux propos d’Akito.
Yukimura — Moi aussi, tu m’as sauvé, Ayanokôji-kun. Sans toi, je ne serais probablement plus dans cette école.
Yôsuke semblait partager ce sentiment. Lui, qui craignait que les gens soient blessés, avait été marqué par les expulsions de trois de ses camarades.
Il était indéniable que sans mon soutien, il aurait été complètement abattu.
Hirata — C’est pour ça que je respectais ta force, et que je te considérais comme un camarade digne de confiance. Mais pendant l’examen spécial du vote du consensus, et celui de fin d’année, il y a eu des choses que je n’ai pas pu digérer… non, que je n’ai pas pu accepter. Bien sûr, je ne nie pas que si j’avais été plus fort, ce serait différent. Mais… j’ai fini par me méfier un peu de toi.
Lors de la fête de célébration que Horikita avait organisée à la fin des vacances de printemps, Yôsuke avait déjà laissé transparaître ces émotions nuancées.
Depuis ce moment, j’avais remarqué qu’il ne m’appelait plus par mon prénom. Et aujourd’hui encore, il conservait cette distance. Cela voulait peut-être dire qu’il cherchait inconsciemment à marquer une frontière entre nous. De mon côté aussi, j’avais volontairement continué à utiliser son nom de famille, en tenant compte de l’évolution de notre relation.
Hirata — Ce n’est pas seulement Sudou-kun et les autres ici. Toute la classe est très inquiète. Même perdue.
Tous ici voulaient comprendre la raison. Parce qu’ils espéraient que j’énonce une justification qui rendrait la chose acceptable.
Moi — Inquiète ? Perdue ? Oui, c’est bien pour ça. J’ai changé de classe sans prévenir personne pour obtenir exactement cette réaction.
Sudou — …Qu’est-ce que tu veux dire ?
Peut-être que son cerveau refusa de comprendre sur le moment.
Keisei ajusta ses lunettes et demanda à entendre à nouveau.
Moi — Prenez-le au pied de la lettre. Je n’ai rien dit parce que je voulais que la classe subisse un choc. Et la raison que vous vouliez entendre est simple. La classe C était en difficulté sans Sakayanagi. Alors, j’ai choisi d’aider en rejoignant la classe en échange de points privés.
Un acte calculé. Et motivé par des raisons personnelles. J’avais souligné que ce transfert ne visait que mon propre intérêt. Même s’il y avait des mensonges dans mes propos, c’était une vérité incontestable.
Sudou — Quoi… Tu plaisantes pas là… ?
Ces mots venaient de Sudou, mais Akito et Keisei semblaient penser la même chose. Leurs réactions trahissaient une incompréhension similaire face à mes paroles froides. Seul Yôsuke resta presque impassible.
Ike — Je me pose la question depuis ce matin. Pourquoi tout ce bordel ?
En pleine tension, il pencha la tête en posant les mains derrière la nuque.
Ike — Ok, je comprends qu’ils soient dans une impasse sans Sakayanagi, mais pourquoi dépenser vingt millions pour recruter Ayanokôji ? Ça n’a aucun sens. Je veux bien croire que c’est pour affaiblir la classe A, mais y aurait plein d’autres élèves à cibler normalement, non ?
C’était une question logique vu la situation. Mis à part Yôsuke et Sudou, aucun des présents ne comprenait vraiment pourquoi on m’avait « acheté », moi.
Yukimura — Moi aussi, c’est ce que je me suis dit au début. C’est pour ça que je me suis demandé s’il n’y avait pas autre chose derrière ce transfert. Tu n’es vraiment pas prêt à nous dire toute la vérité ?
Moi — Il n’y a rien d’autre. C’est vraiment tout. C’est difficile à prouver maintenant si la classe C avait une bonne raison d’aller aussi loin pour m’avoir. Mais j’estime que ce n’est qu’une question de temps.
Ike — Peu importe comment tu tournes ça…
Sudou s’interposa brusquement et attrapa Ike par l’épaule.
Sudou — C’est un problème grave, Kanji.
Ike — Quoi donc… ?
Sudou — Le transfert d’Ayanokôji. Tu piges pas, hein… ?
Ike — Et toi, tu comprends, Ken ?
Sudou — Ayanokôji est… Non, je comprends pas tout non plus…
Ike — C’est censé vouloir dire quoi, ça ?
Sudou — Mais Ayanokôji est quelqu’un d’important pour nous !
Alors que Sudou haussait la voix, Yôsuke s’approcha et lui parla calmement.
Puis il se tourna lentement vers moi.
Hirata — Ce que je voulais confirmer aujourd’hui, c’était juste pourquoi tu avais quitté la classe. Si c’était pour notre bien, je pensais que tu voudrais éviter tout malentendu, pour moi comme pour les autres.
Moi — Rassure-toi. C’est 100 % pour mon propre intérêt.
Hirata — …Ça en a bien tout l’air.
Peut-être que je disais ça en surface, et que la réalité était autre.
Mais pour l’instant, Hirata ne semblait pas capable de l’envisager ainsi.
C’était quelqu’un d’extrêmement sensible aux tensions au sein de la classe. Lorsqu’il avait appris mon transfert, il n’avait probablement pas été très troublé. Ma présence apportait à la fois des avantages et des inconvénients.
Mon absence pouvait aussi simplement rendre la gestion de la classe plus stable.
Yukimura — On dirait bien, et ça te convient, Hirata ? De simplement laisser Ayanokôji partir ?
Hirata — Que ce soit une bonne ou une mauvaise chose, c’est le choix d’Ayanokôji-kun. En plus, les formalités ont déjà été complétées sans accroc, donc si on voulait le faire revenir dans notre classe, il nous faudrait rassembler le même montant et ce n’est pas rien.
Sudou — Si tu regrettes d’avoir quitté la classe, Ayanokôji, alors je donnerai tout l’argent que j’ai. Pas vrai, les gars ?!
Il tenta de rallier tous les garçons présents, Ike y compris. Mais ni Akito ni Keisei ne hochèrent la tête. Compte tenu de mon attitude détachée et du fait que j’avais clairement affirmé être parti de mon propre chef, ils ne pensaient pas qu’un retour était envisageable, ni même souhaitable.
Hirata — Il est parti de son propre gré. On doit respecter ça.
Sudou — Mais…
Il détourna son regard du tenace Sudou et me fit face.
Hirata — Tu as quelque chose à dire à la classe ?
Moi — Rien.
Hirata — Je vois… Désolé de t’avoir pris ton temps.
il accepta vite la situation et s’éloigna. Même s’il n’était sans doute pas serein, faire des efforts inutiles ici n’améliorerait rien. Il devait plutôt se concentrer sur la façon de gérer la situation sans créer de nouveaux problèmes.
Sudou — Suzune comptait sur toi. Avec quelle tête tu vas te pointer à partir de demain, hein…
Ike — Allez Ken, maintenant qu’on sait qu’Ayanokôji est parti de lui-même, on ferait mieux de rentrer aussi.
Sudou, les lèvres serrées de frustration, se fit pousser doucement par Ike.
Miyake — On reste amis, même si t’as quitté la classe. Si jamais t’as un souci, n’hésite pas à venir nous en parler.
Akito me laissa ces mots avant de retourner au dortoir avec Keisei.
Je les regardai tous s’éloigner, puis décidai de rentrer un peu plus tard au dortoir.
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1. Les répliques de Morishita à propos de cent amis et de manger des onigiris font référence à la chanson « 一年生になったら » (litt. « Quand je serai en première année »).