Chapitre 37 – Poisson-lune omniscient 1

Peu après, nous nous dirigeâmes vers l’entrée du donjon caché au premier sous-sol. Je marchais derrière Lee Jihye, Lee Gilyoung et Jung Heewon tout en consultant mon smartphone.

「 …Au milieu d’un mal de tête cinglant, Yoo Joonghyuk reprit conscience.

— Abandonne cette vie.

C’était la fin de la huitième vie de Yoo Joonghyuk.

Impossible. Cela ne s’était pas encore produit.

Merde, pourquoi est-ce qu’il faisait ça dès sa troisième vie ? S’il avait été aussi prudent que dans son deuxième retour, il aurait franchi sans difficulté les scénarios intermédiaires et avancés.

Je relevai les yeux pour voir Jung Heewon me fixer.

— Dokja-ssi, tu regardes quoi ?

— …Ah, le calendrier… Cette situation m’a complètement fait perdre la notion du temps.

En réalité, consulter un calendrier me paraissait plus crédible. Parfois, je me demandais vraiment comment j’avais réussi à finir ce roman.

Jung Heewon me lança un regard suspicieux, puis se tourna vers Lee Jihye.

— Alors… tu as dit que tu t’appelais Jihye ? Tu utilises aussi une épée ?

— Oui. J’aime l’épée.

— Pareil ! C’est vraiment la meilleur arme. J’adore la sensation de trancher mes adversaires.

— Oh, vous aussi vous connaissez cette sensation, Unni !

Jung Heewon sourit en observant la lame de Lee Jihye. C’était une épée luxueuse, manifestement bien équilibrée. Sans doute offerte par Yoo Joonghyuk.

— Ton épée a l’air pas mal.

— Ah, c’est le Maître qui me l’a donnée. Et vous, Unni… ?

— La mienne… j-je l’aime bien aussi.

Jung Heewon baissa les yeux vers sa lame en corne de groll, puis jeta un coup d’œil furtif à l’épée à la ceinture de Lee Jihye.

Je n’avais rien fait de mal, mais je ne pouvais m’empêcher de me sentir coupable. Je n’eus d’autre choix que de détourner l’attention sur Lee Jihye.

— Hé, pourquoi tu vouvoies Heewon-ssi et pas moi ?

— Uh… c’est que… j’ai un faible pour les filles plus âgées qui en jettent, répondit Lee Jihye d’une voix tremblante.

Jung Heewon lui passa le bras autour du cou en ricanant, comme si elle la trouvait mignonne. Il semblait y avoir une certaine affinité entre « chasseurs de démons ». Lee Jihye s’extirpa difficilement de son étreinte et demanda :

— Au fait, pourquoi tu veux sauver le Maître ?

— On est compagnons.

— Arrête tes conneries.

— C’est un gars utile.

— …Tu parles exactement comme le Maître.

La constellation « Stratège secret » s’interroge sur vos véritables intentions.

À bien y réfléchir, il n’y avait pas que Lee Jihye. Les constellations aussi devaient se demander pourquoi je faisais tout ça. C’était un type qui n’hésiterait pas à me tuer s’il en avait l’occasion. C’était étrange que je me précipite pour le sauver.

La constellation « Juge Démoniaque des Flammes » apprécie votre volonté de réhabiliter un ami déchu.

Vous avez été sponsorisé de 100 pièces.

Cette constellation m’avait mal compris. Le Juge Démoniaque des Flammes… contrairement à ce qu’espérait l’archange Uriel, ma motivation pour sauver Yoo Joonghyuk était bien plus personnelle.

C’était pour l’empêcher de « régresser » après sa mort.

Le retour après la mort. Ça sonnait bien. Une marque de régression qui s’activait à chaque fois qu’il mourait. Le protagoniste avait une compétence tout simplement frauduleuse.

Le problème, c’est que cette capacité soulevait des réflexions complexes chez les personnages secondaires.

Au fait, que devient le monde après ton départ ?

Un personnage secondaire avait posé cette question à Yoo Joonghyuk lorsque le nombre de ses vies avait dépassé la dizaine. J’ai oublié son nom, mais je me souvenais parfaitement de la réponse de Yoo Joonghyuk à ce moment-là :

「 …Je ne sais pas non plus. Je choisirai toujours le monde dans lequel il y aura le plus de survivants.

C’était plausible, mais en réalité, Yoo Joonghyuk ne savait rien des mondes qu’il avait abandonnés. En fait, il n’existait aucune théorie précise sur ce qu’il advenait des mondes du Guide du Survivant.

Science, magie, ou autre.

C’était ce qui me rendait nerveux. Que devenait le monde après la disparition du régresseur ?

Est-ce qu’il se réinitialisait avec la régression ? Ou bien un univers parallèle se formait-il ?

La seconde option serait une chance. Mais si c’était la première…

— Hyung ?

— Ah, oui ?

Lee Gilyoung, qui s’accrochait à l’ourlet de mes vêtements, me regardait avec inquiétude.

— Je crois qu’on est arrivés ?

Vous vous approchez d’une zone extérieure. Attention à ne pas quitter la zone du scénario.

Ce message apparut. Peu importe. Le donjon caché de Chungmuro était considéré comme une zone « intérieure ».

Nous tournâmes à l’angle, et la Sortie 1 apparut. Une entrée de donjon à l’aura sinistre nous faisait face.

Vous avez découvert un donjon caché !

Ce donjon a déjà été découvert par quelqu’un. Vous ne pouvez pas obtenir la récompense de première découverte.

Un nouveau scénario caché est arrivé !

 

Scénario caché – Donjon du Cinéma

Catégorie : Caché

Difficulté : A-

Conditions de réussite : Vaincre le Maître du Donjon du Cinéma.

Limite de temps : Aucune

Récompense : 4 000 pièces

Échec :

 

Lee Jihye, surprise, hésita puis recula d’un pas.

— …C’est quoi, ça ? Donjon du Cinéma ?

Lee Gilyoung sursauta. C’était sans doute la première fois qu’ils faisaient face à un scénario caché. Jung Heewon s’exprima à son tour :

— Un cinéma transformé en donjon… c’est romantique.

Romantique… C’est seulement parce qu’elle ne savait pas à quel point un cinéma pouvait être effrayant. Nous pénétrâmes dans le cinéma. Le hall familier du multiplex nous accueillit.

Vous êtes entrés dans le Donjon du Cinéma.

Nous étions sur nos gardes en pénétrant dans ce donjon lugubre. C’était un multiplexe composé de neuf étages, du B1 au 8e étage.

— Hyung, les affiches sont déchirées. Qui aurait pu faire ça ?

— Je ne sais pas.

Je disais ça, mais en réalité, je connaissais la vérité.

Le cœur du Donjon du Cinéma, ce sont les affiches accrochées aux murs. Yoo Joonghyuk avait probablement vaincu chaque affiche en montant étage par étage. Il voulait récupérer toutes les récompenses.

À part les affiches déchirées, rien d’étrange n’apparut au niveau B1. Aucun objet, aucun monstre. La seule exception était l’ascenseur brisé dans un coin, dont la porte était déformée.

Lee Jihye demanda :

— C’est censé être un donjon, non ? Pourquoi y a rien ?

— Quelque chose va apparaître.

— …Tu sais quelque chose ?

— Un peu.

— Comment ça ? Il y a quelque chose de louche chez toi, ahjussi. C’est ta deuxième vie, ou quoi ?

Ça, c’était son maître. Mais lui en était à sa troisième vie.

Jung Heewon intervint alors :

— C’est à cause de la constellation derrière Dokja-ssi.

— …Vraiment ?

J’ignorai les deux femmes et me dirigeai vers le rez-de-chaussée, mais Lee Gilyoung m’attrapa la manche. Le cafard sur sa tête remuait frénétiquement. Lee Jihye dégaina son épée au même instant où je lui couvris la bouche de ma main.

— Chut. Il y a quelqu’un d’autre ici.

Je retins ma respiration alors que de petits bruits se firent entendre. Juste à l’étage au-dessus… puis… le hall ? Je pensai d’abord à Yoo Joonghyuk, mais ce n’était pas sa voix.

— …Tu es sûr ? Ici… il y a plein de trucs.

— Oui. J’ai acheté l’info pour 1 000 pièces.

— Les prophètes ?

— Oui. Ils sont effrayants, mais leurs infos sont fiables.

J’entendis des voix. Nous montâmes l’escalator et nous approchâmes d’eux. Il semblait que quatre personnes étaient rassemblées dans le hall du 1er étage.

Lee Jihye chuchota :

— C’est qui, eux ? Je les ai jamais vus à Chungmuro.

— Ils ont peut-être utilisé l’entrée à la surface.

— Par la surface ? C’est pas rempli de brouillard toxique ? En plus, le scénario…

— Les catégories des scénarios et leur progression dépendent des stations. Ils ont dû terminer le leur plus vite que nous. Et s’il ne s’agit que d’un faible empoisonnement, ils peuvent survivre en mangeant la viande d’une espèce souterraine.

Je disais ça, mais j’étais moi-même troublé.

Des prophètes ?

Il n’y avait aucune mention de tels individus dans la vie de Yoo Joonghyuk. À ce stade, seuls Yoo Joonghyuk et moi étions censés connaître l’existence de ce donjon caché.

Qu’est-ce qui a provoqué ces variables ? Je devais en avoir le cœur net.

— Allons-y.

Un projecteur bleu flottait au-dessus du groupe en pleine discussion. Une lumière vive les enveloppa… puis ils disparurent.

— …Qu’est-ce qui leur est arrivé ? demanda Jung Heewon.

Je ne répondis pas. À la place, j’inspectai les affiches sur les murs. Celle-ci était déchirée. Celle-là aussi… À mesure que je remontais le couloir, il n’en restait qu’une intacte. Je lus les noms inscrits dessus.

Steven Spielberg, Samuel L. Jackson, Jeff Goldblum…

Ce salaud de Yoo Joonghyuk… il a laissé celle-ci intacte ? Rien d’étonnant, venant de son troisième retour.

C’est alors que la lumière se ralluma. Cette fois, le projecteur était braqué sur nous. Lee Jihye et Lee Gilyoung sursautèrent et reculèrent, mais il n’y avait aucun moyen d’y échapper. Le mot rayon convenait parfaitement.

Je demandai à Jung Heewon :

— Heewon-ssi, tu aimes les films ?

— Oui, comme tout le monde, non ?

— Tu risques de les détester après ça.

— Qu’est-ce que tu veux dire par…

Vous avez été frappé par la lumière du projecteur.

La projection va commencer.

Le décor autour de nous commença à se modifier lentement. Ce n’était pas une simple illusion : le quatrième mur ne s’activait même pas. Le vieux sol en linoléum se couvrit de buissons verts, le comptoir d’accueil et le stand à popcorn se transformèrent en une forêt tropicale luxuriante. Le plafond devint un ciel bleu infini, sans aucun nuage à l’horizon. Lee Jihye murmura :

— C’est quoi, ce bordel… ?

Elle se mit à hurler et à taillader les arbres et les buissons autour d’elle, mais rien ne changea. Lee Gilyoung, lui, observait calmement les environs à la recherche d’insectes.

Je touchai un tronc d’arbre proche. Il était dur, humide. C’était une vraie forêt tropicale… de l’ère mésozoïque. Un réalisme bien différent de celui de la Prison des Illusions des spectres. C’était là le pouvoir du Maître du Cinéma, au huitième étage du donjon.

— C’est un film.

— …C’est vraiment du grand n’importe quoi.

Un roman était devenu réalité. Rien n’empêchait un film d’en faire autant. Jung Heewon s’adapta vite, comme à son habitude, et comprit immédiatement.

— Ahjussi, c’est quoi ce film ?

— Tu vas vite le comprendre.

— …Tu pourrais pas juste me le dire ? Attends, il fait quoi le gamin… ?

À ce moment-là, les buissons s’agitèrent et quelque chose bondit devant Lee Gilyoung. Un insecte qui ressemblait à une immense mante religieuse. Il mesurait environ 40 centimètres. Lee Jihye, terrifiée, poussa un cri :

— Hé, gamin ! Recule !

Mais Lee Gilyoung resta complètement calme malgré l’agitation.

— Ce n’est pas une mante religieuse. C’est un Titanoptera, de la période triasique.

— Quoi ?

Lee Gilyoung tendit la main vers le Titano. L’insecte ne refusa pas le contact, et l’instant d’après, une lumière bleue enveloppa le garçon et la créature.

Lee Jihye les regarda, stupéfaite.

— C’est… quoi ça ?

— Fabre.

J’avais vraiment bien fait d’emmener Lee Gilyoung. Sa compétence pourrait nous permettre de franchir plus facilement les obstacles à venir.

La gigantesque mante fit claquer ses mandibules, et Lee Gilyoung hocha la tête. Je ne savais pas ce qu’ils échangeaient, mais ils communiquaient clairement. Puis, le visage de Lee Gilyoung pâlit alors qu’il s’adressait à l’insecte.

Qu’est-ce qu’il venait d’apprendre ?

Lee Gilyoung se tourna précipitamment vers moi.

— Hyung !

À peine avait-il parlé que le sol se mit à trembler. Quelque chose fonçait à travers la forêt tropicale à une vitesse folle, brisant les immenses palmiers sur son passage.

Kuoouuuuh !

Le museau du reptile géant qui surgit de la végétation était couvert de sang encore frais. Des hommes ensanglantés couraient devant lui. C’étaient ceux que nous avions vus entrer avant nous.

— Kuaaack !

— S-Sauvez-moi !

Lee Jihye recula, puis souffla à Jung Heewon :

— Je sais de quel film il s’agit.

— …Oui, moi aussi.

Un corps de plusieurs mètres de haut, une peau aussi dure que la pierre, des muscles tendus comme des câbles. Le plus puissant prédateur de l’ère mésozoïque se tenait devant nous.

D’un simple coup d’œil, on pouvait l’estimer comme un monstre de grade 7. Un niveau de difficulté abominable, surtout en tenant compte du fait que nous n’étions qu’au premier étage du donjon. Et pourtant, mon cœur battait fort. Plus un donjon caché est difficile, plus la récompense est grande.

Je dégainai ma lame.

— Préparez-vous à vous battre.

Peut-être que Yoo Joonghyuk avait sauté ce film à cause de son contenu. La récompense principale du Donjon du Cinéma dépendait toujours du film. Il avait probablement jugé qu’il n’y avait rien d’intéressant à gagner dans un film avec des dinosaures. Mais il avait tort.

Dans ce film se cachait une récompense très importante.

— …Tu es sérieux ? Tu veux qu’on affronte ça ?

— Il faut le vaincre si on veut sortir d’ici.

— Sortir ?

— On est dans un film. Tu as oublié ?

Un T-rex s’approchait à toute allure. Derrière lui, on apercevait le laboratoire central de l’île. Un hélicoptère d’évacuation attendait sur le toit du bâtiment.

C’était un film. Un film que le maître du Donjon du Cinéma avait rendu réel.

Il n’existait donc qu’une seule issue possible.

— Donnons-lui une fin mémorable.

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