THE KEPT MAN t1 - CHAPITRE fINAL
—————————————-
Traduction : Calumi
Correction : Gatotsu
Harmonisation : Raittei
———————————————–
— Ah, alors ils n’ont toujours pas retrouvé Polly, répondit Vanessa avec tristesse.
— Non. Aucune trace depuis son départ. Même ses collègues disent ne pas l’avoir vue.
Je renversai ma chope de bière. Elle avait un goût de pisse de cheval. Le seul mérite de l’endroit, c’était qu’il était proche de la guilde et pas cher.
— Où est-ce qu’elle a bien pu aller… ?
— Et moi, je suis complètement fauché. Je ne peux même plus sortir boire comme ça, me plaignis-je en retournant mes poches.
Vanessa arborait un sourire qui tenait du masque.
— Je suis sûre que tu trouveras vite une nouvelle cliente. Je suis prête à parler affaires, si tu veux.
— Je passe. Je préfère être celui qui touche.
Elle me lança un regard perçant qui, sans un mot, me sommait de surveiller ma langue.
— Préviens-moi si elle revient.
— D’accord, dis-je d’un air peiné.
Polly n’allait probablement jamais revenir. Ça me rendait triste, et soulagé aussi. Alors je pris un air contrit pour sauver les apparences.
— Hé, de quoi vous parlez ? lança Sterling, le peintre à l’allure de clown, au moment où Vanessa s’apprêtait à partir. Oh, c’est vous. Vous bossez à la Guilde des Aventuriers, non ? À l’expertise d’objets.
Il eut le culot de lui prendre la main.
— Fais pas ça, le mis-je en garde. — Elle a avec elle un type très effrayant qui s’appelle Oscar. Si tu la cherches, il te brisera les bras.
— Ça vaudrait le coup, pour être avec une beauté pareille, minauda-t-il.
Le problème avec ce genre de types, c’est qu’au moment de se faire cogner, ils finissaient toujours, toujours par fondre en larmes. Je renonçai à éduquer Sterling et dis à Vanessa :
— Voici Sterling, un artiste raté. Pour être honnête, il n’a ni talent, ni argent, ni la moindre qualité à sauver. Je l’ai embauché pour peindre le portrait de la femme de Dez, et il m’est revenu avec un tableau d’un corbeau avec une tête de ver de terre. Dez m’a aussi passé à tabac à moitié. Il ne mérite pas ton temps.
— Oh, un artiste, hein ? fit-elle en dévisageant Sterling avec un grand intérêt.
Ses traits déjà mous se transformèrent en une sorte de bouillie visqueuse.
— Quel genre de peintures faites-vous ? C’est abstrait ? Quel style ? Quel matériau préférez-vous travailler ?
— Euh, en fait—
Je n’avais jamais entendu parler chez lui de la moindre formation artistique. Ce n’était qu’un amateur qui bricolait. Il avait acheté ses outils au hasard dans une boutique d’occasion. Certes, certains pouvaient malgré tout pondre un chef-d’œuvre comme ça, mais le sens esthétique de Sterling était complètement à côté de la plaque.
— Je veux en savoir plus sur vous.
Pendant ce temps, Vanessa semblait l’avoir pris pour un vrai diamant brut et se montrait fascinée. Quelle était donc son obsession pour les hommes parfaitement sans valeur ?
— Je vous en prie, alors.
Un peintre sans talent valait toujours mieux qu’un trafiquant de drogue.
Je les laissai tous deux à leur conversation.
Je sortis par mégarde sans régler ma note, mais elle pouvait considérer que c’était mes honoraires pour les avoir présentés. Dehors, l’air nocturne me glaça jusqu’aux os. Mon porte-monnaie vide paraissait encore plus froid. J’avais accumulé un retard de loyer de six mois.
Quand Polly était là, la collecte avait tendance à traîner, mais maintenant qu’elle avait disparu, le propriétaire passait presque tous les jours pour me le soutirer. Je ne pouvais pas tout payer tout seul, alors ce n’était qu’une question de temps avant qu’on me mette dehors. Au besoin, je pourrais sans doute squatter un moment chez Dez. Mais imposer ma présence à leur petite famille de trois risquait de tendre notre amitié.
— Bah, ça s’arrangera.
Mes devises, c’étaient jouer le tout pour le tout et Que será, será. Je pouvais continuer comme mendiant, chiffonnier, n’importe quoi.
— Te voilà.
C’était une voix que je ne m’attendais plus à entendre. Je m’arrêtai net et me retournai. C’était Arwin Mabel Primrose Mactarode en armure, sans doute tout juste revenue du donjon. La première pensée qui me traversa l’esprit se résumait à un mot : Pourquoi ? Elle n’était pas censée avoir encore besoin de moi. Ou bien venait-elle m’assassiner pour régler de vieux comptes ?
— Ah, c’est toi, dis-je en souriant, cachant l’anxiété qui me gagnait. — C’est pour le pendentif de jade ? Je fais le tour de tous les prêteurs sur gages. Si je le trouve, je le laisserai à Vanessa.
— Ton aide est appréciée, dit Arwin en inclinant la tête. — Mais ce n’est pas pour cela que je suis ici.
— C’est pour l’autre affaire, n’est-ce pas ? Eh bien, j’ai mes propres soucis à régler. Ça pourrait prendre un peu plus de temps, disons mille ans ?
— Et tu voudrais que j’attende aussi longtemps ?
Ah. La princesse chevalier n’était visiblement pas familière des subtilités du petit peuple.
— C’était un mensonge. Une plaisanterie. Je mettais simplement ta résolution à l’épreuve, pour voir si tu étais vraiment du genre à sacrifier ton confort pour sauver une pute. Eh bien, félicitations : tu as réussi. Je ne peux pas t’offrir de prix, si ce n’est celui de ne pas avoir à supporter un grand gaillard pour le reste de ta vie.
— Tu es en train de dire que tu m’as trompée ? Sa voix gagnait en tranchant.
— Je m’excuse si j’ai blessé tes sentiments. Mon ombre n’assombrira plus ta route. Cela devrait suffire.
— Tu veux faire de moi une menteuse ?
L’agacement et l’impatience commencèrent à me picoter la peau. Je me passai les mains dans les cheveux.
— Tu dérailles complètement si tu choisis sciemment de coucher avec un type répugnant comme moi.
On aurait dit que nous ne parlions pas la même langue, alors même qu’elle était si belle que je peinais à ne pas la serrer dans mes bras. Était-ce un élan d’abandon de soi, né du désespoir ? Ça n’allait pas.
— Je t’ai fait une promesse, dit-elle avec un sourire stupéfiant.
Une sueur froide me coula dans le dos.
— Mais si tu ne veux pas coucher avec moi, soit. J’ai une autre requête à la place.
— Laquelle ?
— Je veux te garder auprès de moi.
Je n’en crus pas mes oreilles.
— Tu te rends compte de ce que ça implique ?
— Je veux que tu sois mon guide, que tu m’aides et soignes ma fatigue et mes tourments, contre un prix modeste, dit-elle très posément.
Je ne savais trop quoi répondre. Elle croyait encore à ces balivernes ?
— Et, poursuivit-elle… — je pense que Mardukas, « le Dévoreur de géants » des Lames Infinies, vaut largement la peine.
— … Tu savais qui j’étais ?
— La rumeur de ta renommée est parvenue jusqu’à mon pays, oui. Et rares sont ceux qui peuvent parler d’aussi près avec Dez, « la Forteresse mobile ».
Donc elle avait remonté la piste par Dez. Tu ne pouvais pas mieux me couvrir que ça, le Barbu ?
— Je lui prête juste attention parce qu’il n’a pas d’amis.
— Donc tu l’admets, dit-elle.
Je baissai la tête, vaincu.
— Ou bien es-tu déjà promis à être l’homme entretenu de quelqu’un d’autre ?
— Eh bien, non, mais… Je venais justement d’échapper à mon précédent contrat l’autre jour.
— Alors il n’y a pas de problème. Pour moi, tu es engagé.
Je soupirai.
Pour une raison quelconque, Arwin semblait m’avoir à la bonne. La Princesse Chevalier Écarlate devrait pourtant savoir ce qui arrive quand un type comme moi traîne en permanence dans son sillage. Nous serions harcelés par les jaloux et les imbéciles moralisateurs, et il faudrait gérer leurs inepties.
Par-dessus le marché, Arwin cachait un secret énorme, et j’avais suffisamment de squelettes dans mon placard comme ça. Il me faudrait sans doute me salir à nouveau les mains. Peut-être contre un petit voyou, peut-être contre quelqu’un de proche.
En vérité, je me voyais bien plus facilement crever dans une ruelle détrempée de pisse. Mais malgré tout ça, malgré mon imagination trop fertile, la seule option que je ne parvins pas à envisager fut de la refuser.
C’était une vie sans valeur, de toute façon. Et que je me couvre de sang ou de crasse, elle serait au fond du donjon, où elle ne le verrait pas.
— Très bien. Parlons donc des conditions. D’abord, pour ce qui est du logement…
C’est ainsi que je me retrouvai chez Arwin.
Et ce qui s’est passé entre nous après ? Est-ce qu’on l’a fait ou pas ? On me la pose souvent, celle-là. Très souvent.
Mais je ne dirai jamais rien.
Si je m’endette encore un peu plus, c’est mon corps qui sera le prochain à se faire jeter dans le donjon.
Alors, s’il vous plaît, laissez-moi garder mes secrets.