THE INSIPID prince t1 - chapitre 3

La bataille pour défendre Kiel

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Traduction : Moonkissed
Correction : Calumi

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1

— HAAAAA !!

— Oi oi… tout est permis avec elle…

Mon visage se crispa en voyant la manière dont Elna se battait.

Elle affrontait une meute de monstres-loups rouge foncé appelés Bloodhounds. Ils étaient plus d’une trentaine. Ces créatures chassent en meute, et chacune d’elles est classée A-. En groupe de plus de trente, elles forment une menace redoutable, équivalente au niveau de difficulté de la classe AAA.

Pourtant, Elna les terrassait sans prêter attention à leur nombre. Même un aventurier de haut rang en serait stupéfait.

Elle élimina tous les Bloodhounds en quelques minutes, puis sortit un outil magique en cristal afin d’enregistrer son résultat.

Celui-ci fut immédiatement transmis au QG de Kiel et annoncé à la population. Grâce à la défaite de ces monstres de classe AAA, notre groupe prit la tête du classement.

Cependant, en raison de la nature du festival, si d’autres groupes venaient à vaincre des monstres plus puissants par la suite, notre position risquait fort d’être renversée.

— Al ! J’ai vu un monstre là-bas ! On le poursuit !

— Non, je suis déjà fatigué. Il n’y a pas une ville par ici où l’on pourrait se reposer ?

— Pourquoi es-tu si insouciant ? Nous sommes en train de gagner, non ?

— Je ne me souviens pas avoir dit que je voulais gagner…

Je ne pouvais pas laisser Elna et ses chevaliers avancer seuls de la sorte.
Les enfants de l’empereur partis avec les chevaliers étaient équipés d’un dispositif magique en forme de bracelet. Les capitaines de chaque corps de chevaliers portaient un dispositif jumeau. Ces objets étaient conçus pour se briser s’ils s’éloignaient l’un de l’autre au-delà d’une certaine distance. Environ un kilomètre, si je me souviens bien. Grâce à cela, les chevaliers ne pouvaient agir seuls.

— Tu t’en sortiras peut-être, mais les autres sont déjà fatigués. Ce n’est que le premier jour, l’écart de score n’est pas si grand. Le festival dure trois jours, prenons notre temps.

— Tu es vraiment…

— Hein ? Je croyais que j’étais ton supérieur hiérarchique ? Tu comptes désobéir à mes ordres ?

— Kuh… Compris. Je suivrai tes ordres…

— Bien. Alors, mettons le cap sur une ville voisine.

Sur ces mots, nous nous mîmes en route vers la ville. Elle aussi était en fête, et nous nous dirigeâmes vers l’auberge que l’empereur avait réservée à l’avance.

Toute la région était en effervescence. D’ordinaire, une ville comme celle-ci entrerait en ébullition à la visite de la royauté ou de chevaliers renommés. Mais cette fois, c’était Elna qui provoquait toute cette agitation. Eh bien, au moins, ils ont une bonne raison de s’enthousiasmer.

— Ils sont vraiment surexcités, hein.

— C’est ce que veut l’empereur. Après tout, ce festival a pour but d’apaiser les tensions des habitants de l’Est.

Elna entra dans la chambre qui m’avait été attribuée.

Quelle impolie… elle n’avait même pas frappé. C’était moi qui lui avais ouvert la porte.

— Tu pourrais au moins frapper.

— Ah ? Vraiment ?

— Alors laisse-moi te poser une question. Que ferais-tu si j’entrais dans ta chambre sans frapper ?

— Je te tailladerais immédiatement, j’imagine.

— C’EST PAS UN PEU EXAGÉRÉ ?!

Je rétorquai sans réfléchir.

À cause de cela, je renversai un peu de vin. Aaah… quel gâchis.

— Tu n’as vraiment pas l’étoffe d’un prince… Tu as juste renversé un verre, ce n’est pas la fin du monde.

— Dire que tu n’accordes aucune valeur à la boisson alors que tu es chevalière… Tu es vraiment une Ojou-sama avant d’être une chevalière, hein. Tu ne comprends vraiment rien.

— Je ne veux pas entendre ça de la bouche d’un jeune maître qui n’a jamais quitté la capitale impériale… Au fait, on peut commencer à boire maintenant ? Je ne t’aiderai pas si tu as la gueule de bois demain, hein ?

Elna dit cela d’un air fatigué, assise sur une chaise juste en face de moi.

Sans son armure, Elna paraissait bien plus vulnérable que d’ordinaire. Elle portait une chemise blanche et une jupe rouge courte, pratique pour se mouvoir aisément. Mon regard se posa naturellement sur ses jambes gracieusement exposées. Puis, je remarquai quelque chose.

Oui. C’était il y a plusieurs années, lorsque j’étais encore un enfant. J’étais un jeune garçon en bonne santé, un peu malicieux. Lorsqu’il y avait de jolies filles, je les regardais forcément. Si je peux me permettre, j’ai l’impression que la poitrine d’Elna n’a pas grandi depuis tout ce temps.

— Al~ ? Où est-ce que tu regardes ?

— Ta poitrine.

— AU MOINS ESSAIE DE MENTIR ! PERV… !

En disant cela, Elna dissimula sa poitrine modeste.

Cependant, sans m’en soucier, je continuai à la fixer. Elna avait dix-sept ans, un an de moins que moi. Mais à cet âge, et avec cette taille-là… comment dire, c’était malheureux. Le mot « misérable » serait peut-être plus juste.

Finne, en revanche, était bien plus pourvue. Même avec ses vêtements amples, elle était encore plus généreuse. Avec tout cet entraînement, on dirait que les nutriments n’arrivent jamais jusqu’à la poitrine d’Elna.

— Reste forte.

— Ne dis pas ça si sérieusement ! Quoi ? C’est tout ce que tu as à dire après m’avoir observée aussi longtemps ?

— Je pensais juste que ça n’avait pas grandi du tout. Donc ça ne grossit vraiment pas…

— SI ! C’EST JUSTE QUE ÇA GROSSIT PLUS LENTEMENT QUE CHEZ LES AUTRES ! CE N’EST PAS PETIT, D’ACCORD ?!

— … Je vois.

C’était une théorie douloureuse, mais je l’acceptai. C’était pour le bien d’Elna.

Alors que je pensais cela, les épaules d’Elna se mirent à trembler de colère. Oups… ça n’allait pas.

— Je… je pense que c’est une bonne chose, tu sais ! Il y aura quelqu’un quelque part qui… qui aimera cette platitude, tu sais !

— NE DIS PAS PLAT ! Ça se développe juste plus lentement que chez les autres ! Encore quelques années et ce sera énorme !

— Ce n’est pas possible… Au mieux, elles seront moyennes, non ?

— Al…, tu veux faire un peu d’exercice après le repas… ?

— ELLES VONT GRANDIR, ELLES VONT GRANDIR ! ELLES VONT VRAIMENT GRANDIR, ALORS CALME-TOI !

Sur ces mots, je m’éloignai d’Elna, qui avait commencé à respirer profondément, comme si elle se préparait à un combat.

Me voyant trembler dans un coin de la pièce, Elna se rassit sur sa chaise, comme si toute envie de se battre l’avait quittée.

— Sérieusement… tu ne changeras jamais, Al.

Les gens ne changent pas en quelques années. Dans quel genre de fantasme m’avait-elle imaginé ?

— Un prince normal, tu sais, un prince normal. Au moins, je ne veux pas que les autres se moquent de toi…

— Ce n’est pas quelque chose dont tu devrais t’inquiéter, n’est-ce pas ? J’ai toujours été ridiculisé, après tout. Sans talent, toujours à jouer sans jamais travailler, le prince terne qui comptait entièrement sur Leo. C’est étrange à dire moi-même, hein.

— Je suis découragée et amère à ta place…

— Eh bien, merci.

Alors que je la remerciais à moitié, elle me lança un regard noir.

Elna baissa les épaules et poussa un soupir. Elle s’inquiétait trop. Et elle n’était pas du genre à avoir le temps de s’inquiéter pour moi.

— Tu comprends vraiment ? C’est justement parce que tu n’as jamais rien dit ni rien fait qu’ils se moquent de la famille impériale. Certains nobles se moquent ouvertement de toi, tu sais ? Je comprends pourquoi ils sont mécontents de toi, tu ne fais jamais rien de digne d’un membre de la famille impériale. Mais les nobles sont aussi tes sujets, ils ont le devoir de te respecter, même si ce n’est qu’en apparence.

— Même les nobles ont le droit de se moquer de moi. C’est normal de dire à un mauvais garçon qu’il est mauvais, non ? Je pense que c’est une bonne chose, tu sais.

— Tu dis encore ça ! Ils n’essaient pas de te conseiller, tu sais ? Ils s’amusent juste à te rabaisser ! Ce n’est pas comme les brimades enfantines de notre enfance !

C’était inhabituel de la voir s’emporter ainsi. Gied avait-il laissé échapper quelque chose devant elle ? Ou peut-être le ministre ? Quoi qu’il en soit, cela avait sûrement bouleversé Elna.

C’était pour cette raison qu’elle était venue me voir avec tant de véhémence.

— Alors ? Tu crois que gagner pour moi effacera ma mauvaise réputation ? Qu’est-ce que tu veux que je fasse ?

— Tant que Leonard aspirera à devenir empereur, tu devras aussi prendre les choses au sérieux. Al, je crois en toi. C’est juste que tu ne prends jamais rien au sérieux. Tu es toujours comme ça. Tu évites tout par paresse. Plus ta réputation est mauvaise, plus celle de Leo brille. C’est pour ça que tu ne fais jamais rien sérieusement.

Elle me connaissait vraiment bien. Comme on pouvait s’y attendre de la part d’une amie d’enfance. Mais si elle comprenait cela, alors elle connaissait déjà ma réponse.

— Je suis bien comme je suis. Toi aussi, tu devrais arrêter de t’impliquer dans ma vie après ce festival.

— Mais je…

— J’ai failli être assassiné.

— … Hein ?

À ces mots soudains, Elna se figea.

Depuis la fenêtre, j’apercevais les habitants de la ville en pleine fête. Je me mis à lui expliquer, tout en observant ce spectacle.

— La nuit, j’ai été attaqué alors que je marchais dans le château. Si Sebas n’avait pas été là, je ne sais pas ce qui se serait passé. Je n’ai pas besoin de te dire pourquoi, n’est-ce pas ?

— … Est-ce… ma faute… ?

— Ce festival est crucial dans la guerre de succession. Le poste d’ambassadeur plénipotentiaire est en jeu, après tout. Naturellement, mes frères et ma sœur ne veulent pas perdre une position pareille. Évidemment, ils veulent se débarrasser de leurs rivaux. Même si ce rival, c’est moi.

— C’est…

 

— Comme tu étais en mission, tu ne le sais peut-être pas, mais récemment, mes frères et sœurs sont devenus sans pitié. Ils sont prêts à tout pour obtenir le trône. Ils savent que seule la mort les attend s’ils échouent. Ils n’abandonneront pas. Ils ne feront preuve d’aucune clémence. Même moi… si Leo ne devenait pas empereur, je serais exécuté. Mais comme un homme sans pouvoir comme moi s’est soudainement retrouvé sous les projecteurs, ils recourent à ce genre de stratagèmes. Ne t’en mêle pas. Tu es trop puissante.

Sur ces mots, je repoussai Elna.

C’était aussi pour son bien. Il ne convenait pas qu’un prodige célèbre de la maison Amsberg comme Elna soutienne un individu comme moi.

À l’avenir, mes frères et sœurs chercheraient à lui nuire. Non pas en s’attaquant à sa force, mais à son influence politique.

La maison Amsberg avait déjà été isolée par le passé. C’est pourquoi ses membres se tenaient presque toujours à l’écart de la politique.

Voilà pourquoi Elna ne devait pas s’impliquer dans la guerre de succession, la lutte politique la plus féroce de tout l’empire.

Elle gagnerait peut-être un allié puissant, mais elle s’attirerait aussi un ennemi tout aussi redoutable. Il valait mieux la tenir à l’écart, aussi bien sur le plan émotionnel que stratégique.

— … Je suis désolée.

— Ne t’en fais pas. Donne simplement le meilleur de toi-même pour le festival, d’accord ?

— … Hum.

Sur ces mots, Elna quitta la pièce, l’air abattu.

Son dos paraissait incroyablement solitaire, mais je ne pouvais rien dire.

Depuis lors, nos performances avaient commencé à décliner.

 

2

 

— Kuh… ! Comment en sommes-nous arrivés là !!

Le matin du troisième jour. Même si Elna fulminait face au résultat, cela me semblait tout à fait compréhensible.

À cause de ce qu’avait dit Christa, je m’efforçais de rester aussi proche que possible de Kiel et ne me déplaçais actuellement que vers le sud. Depuis la première nuit, Elna, découragée, ne s’était plus opposée à mes décisions. Je n’avais absolument pas l’impression que nous étions en passe de gagner.

En conséquence, notre taux de rencontre avec des monstres avait considérablement chuté à partir du deuxième jour. Cela dit, c’était une évolution parfaitement logique, si l’on considère le comportement naturel des monstres.

Leur instinct de survie est bien plus développé que celui des humains. C’est pourquoi ils évitent d’attaquer ce qu’ils jugent plus fort qu’eux.

— Al. On s’arrête ici… ?

— Attends un peu. Je réfléchis.

En disant cela, je ressentis une impression désagréable… Comme si tout se déroulait trop parfaitement selon mes prévisions.

À cause de la frénésie d’Elna le premier jour, les monstres des environs avaient perçu sa puissance comme une menace et avaient décidé de ne plus s’approcher.

C’était peut-être une évidence pour un aventurier, mais pour une chevalière comme Elna, c’était un phénomène qu’elle ignorait. Elle avait beau être capable d’exterminer des monstres, sa compréhension de leur comportement n’égalerait jamais celle d’un aventurier.

Si nous en avions été, nous aurions avancé avec prudence, veillé à préserver notre force et visé le gros gibier pour le troisième jour.

Si je ne les avais pas arrêtés à temps, c’est parce que j’espérais précisément que les choses évolueraient ainsi.

À l’heure actuelle, seuls Gordon, Leo et notre groupe avaient vaincu un monstre de rang AAA. Chacun d’entre nous un seul. Pour l’instant, les trois groupes menaient donc la compétition, notre équipe incluse grâce à l’élimination des bloodhounds, mais cela allait bientôt changer.

Malgré cela, je continuai à avancer vers le sud. La raison en était simple : seuls Leo et ses troupes se trouvaient dans cette direction. Si les monstres fuyaient Elna, ils finiraient inévitablement par affluer vers le sud. Autrement dit, ils seraient guidés jusqu’à Leo.

Initialement, j’avais prévu que ce rôle reviendrait à Silver. C’était lui qui devait guider les monstres vers Leo. Mais désormais, c’était Elna qui remplissait cette fonction. Et grâce à cela, Leo avait réussi à vaincre un monstre de rang AAA.

La voie la plus sûre aurait été que notre groupe remporte la victoire.
Mais le résultat idéal, ce serait que Leo triomphe. En raison du succès du premier jour, je l’aide à présent de cette manière. Nous avons encore une chance de gagner grâce à notre performance contre les limiers, mais tout se déroule trop bien. Beaucoup trop bien.

Si Leo parvenait à éliminer un second monstre de rang AAA, ce serait parfait… mais peut-être est-ce trop en demander ? Un capitaine de l’ordre des chevaliers impériaux serait capable d’y parvenir. Mais seuls les plus haut gradés disposent de la marge nécessaire pour affronter une telle créature. Si Leo échoue, lui envoyer davantage de monstres n’aurait plus aucun intérêt.

Et en plus…

— Il est presque l’heure… Ils ne vont pas tarder à passer à l’action…

— Al… ?

— Nn ? Ah, désolé. Je trouvais simplement qu’Erik-aniue et Zandra-aneue agissaient étrangement…

— Je ne trouve plus aucun monstre de rang AAA… Je suis surpris que nous ayons pu en croiser trois rien que dans la région Est.

— C’est vrai…

— Capitaine ! Votre Altesse ! V-veuillez jeter un œil à ceci !

Alors que je parlais avec Elna, un chevalier nous interrompit, l’air pressé, et nous tendit le cristal.

Ce qui s’y reflétait, c’était le classement actuel.

Nous étions tombés à la deuxième place. Celui qui venait de grimper à la première était le cinquième prince : Carlos Lakes Adler.

— Qu’est-ce que cela signifie ?

— Le classement a soudainement changé, madame… Il a peut-être vaincu deux monstres de rang AAA en même temps…

— C’est impossible ! Seuls des aventuriers de rang SS ou des capitaines de haut niveau en seraient capables ! Le capitaine qui a été affecté au prince Carlos est celui du septième corps. Je ne dirais pas qu’il est faible, mais c’est impossible pour lui.

— Peut-être ne les a-t-il pas affrontés directement. Ils les ont peut-être tués pendant leur sommeil, ou alors pendant qu’ils s’affrontaient entre eux. Il existe de nombreuses possibilités.

— Ce n’est pas une coïncidence un peu trop énorme ?

Eh bien, c’est naturel de penser que c’est impossible. Mais ce genre de chose est déjà arrivé.

Je vois. Tu ne peux donc pas le supporter, et tu finis par laisser tomber le masque.
Je me demandais s’ils attendaient de révéler quelque chose de plus grand… mais si c’est Carlos, ça s’explique. C’est un imbécile, facilement manipulable.

Le cinquième prince Carlos a vingt-trois ans. Un homme sans qualités particulières. Il n’a jamais été décrit ni comme excellent, ni comme incompétent. Pourtant, il passait son temps à parler de son rêve de devenir un héros.

Il est facile de le contrôler, à condition de flatter ce rêve.

— Et si ce n’était pas une coïncidence ? Et si tout cela était un coup monté ?

— C’est…

— Inutile d’en discuter ici. Le délai prend fin à la fin du troisième jour. Faisons tout ce que nous pouvons d’ici là.

Sur ces mots, je renonçai pratiquement à poursuivre la chasse aux monstres.

Désolé, mais aucun monstre n’ose s’approcher d’Elna sans s’enfuir. À ce stade, il nous est impossible de remonter la pente.

Cela dit, je me moque que Carlos ait pris la première place.

Grand-père a dit que son but n’était pas de gagner ce festival.
Et cela venait de l’homme qui avait remporté la guerre de succession et était monté sur le trône impérial. Il possédait une autorité suffisante pour qu’on lui fasse pleinement confiance.

Et puis, il y avait le cauchemar de Christa.

Si l’on accorde foi à son rêve — celui dans lequel Kiel est attaquée par une horde de monstres —, il faut s’attendre au pire.

Bien sûr, Kiel est protégée par sa garnison. Mais les chevaliers impériaux, censés assurer la défense de l’empereur, ont été déployés aux côtés de ses enfants. La ville est plus vulnérable que jamais.

Les seuls à se trouver à proximité de Kiel, à présent, sont Leo, Carlos… et moi. Tous les autres s’en éloignent à mesure que nous parlons.

Il prévoit de sauver l’empereur des monstres tout en restant intentionnellement proche de la ville, hein, ce Carlos…

C’est un idiot, mais il ne devrait pas croire que tout se passera aussi facilement.

— S’il te plaît, sois intelligent…

Murmurant à voix basse, je priai le ciel pour que mon frère fasse preuve d’un peu plus de sagesse.

 

***

Le sol tremblait.

Elna fut la première à le remarquer.

— Ne me dis pas… C’est…

— ELNA ! QUE SE PASSE-T-IL ?

Je descendis de mon cheval, paniqué, et l’interpellai.

Il se passait manifestement quelque chose, mais je ne voyais rien depuis ma position. Je ne pouvais même pas utiliser ma magie devant Elna.

Je devais compter sur elle, cette fois.

Elna descendit de sa monture et posa l’oreille contre le sol. Puis elle se releva lentement.

— … Une horde de monstres en pleine course… c’est un [tsunami].

— [Un tsunami]… ?

— Dans une région riche en monstres, il arrive parfois que leurs déplacements se superposent et créent un mouvement massif… Nous avons trop acculé les monstres de l’Est, maintenant ils fuient tous ensemble, c’est certain… !

Je vois. Cette explication…

C’est la plus raisonnable, et elle permet de justifier un tel phénomène sans difficulté.

C’est toujours mieux que de parler d’une flûte capable de commander les monstres. Carlos se contentera probablement de cette hypothèse aussi.

Cependant, d’un point de vue d’aventurier, quelque chose cloche. Il est étrange que les monstres fuient tous dans une seule et même direction, au même moment.

Le mot « tsunami » évoque plutôt les éruptions volcaniques, les tempêtes géantes, les désastres naturels. Dans ce cas, la seule chose comparable à une catastrophe naturelle… c’est Elna. Ce serait une chose s’ils fuyaient pour lui échapper. Mais leurs pas sont trop rapprochés.

Le fait qu’ils l’ignorent ainsi est trop anormal.

— Où vont-ils ?

— À ce rythme… je pense qu’ils atteindront bientôt Kiel…

— La garnison de Kiel pourra-t-elle les contenir ?

— Je pense que c’est impossible… Le commandant des chevaliers escorte les concubines de la capitale impériale pour l’annonce des résultats demain. Il ne reste qu’un effectif minimal de chevaliers impériaux auprès de Sa Majesté… Ils ne tiendront pas…

Tout ira bien tant que l’empereur parvient à s’échapper. Ils ont certainement prévu une escorte suffisante pour cela. Mais… tout cela n’a aucun sens.

Ce festival avait pour but d’attiser le mécontentement dans la région Est.
Si l’empereur fuyait de son propre chef et abandonnait Kiel à un tsunami monstrueux, le peuple n’en serait que plus révolté.

Au pire, cela pourrait provoquer une rébellion. Si les choses allaient jusque-là, c’est que la personne derrière Carlos était vraiment sans scrupules.

« En temps de guerre, tu pourras te distinguer. » Que ce soit Erik ou Gordon, c’était un plan qui faisait abstraction de la sécurité du peuple.

Même s’ils ont le devoir de protéger les civils une fois devenus empereurs…

— On ne peut pas laisser ce type monter sur le trône…

— Al… ?

— Elna. Si je te demande de sauver Kiel, le feras-tu ?

— … Bien sûr. Après tout, c’est notre devoir de protéger Sa Majesté et le peuple.

— Tu ignores combien ils sont, ces monstres. Tu pourrais mourir, tu sais ?

— Je n’ai pas peur de la mort.

— … Et les autres ? Est-ce qu’ils pensent la même chose ?

— Oui, Votre Altesse ! Même si cela doit nous coûter la vie, nous le protégerons !

— Nous sauverons Kiel, quoi qu’il arrive !

Les subordonnés d’Elna prononçaient ces mots avec courage.

Ne pas craindre la mort, risquer sa vie… Voilà des paroles que je déteste. Je ne veux pas entendre ces mots qui ne servent qu’à se donner bonne conscience.

— … Jure-moi une chose, Elna. Sur ton épée.

— Hein… ? Quoi ?

— De vivre. Vous tous. Jurez que vous survivrez. Si vous ne le faites pas, je ne vous laisserai pas avancer d’un pas.

— Al…

Elna murmura mon nom, stupéfaite. Puis, elle s’agenouilla, posant son épée au sol et son front contre la garde. Ses subordonnés l’imitèrent.

— Moi, Elna von Amsberg, membre de l’ordre des chevaliers impériaux, je jure sur mon épée que je ne mourrai pas. Tout le monde prête le même serment.

 

Avec ça, il ne devrait plus y avoir de problème.

— Maintenant, allons-y ! Al ! Il y a beaucoup de monstres… ils pourraient bien renverser la situation…

— Non… Je ne ferai que vous ralentir. Partez sans moi.

Je dis cela en retirant de force mon bracelet. Le bracelet qu’il ne fallait jamais retirer. À cet instant, j’étais disqualifié pour avoir enfreint les règles.

— A-Al… ?

— Ah, il est tombé. Tant pis, je suis maladroit. Puisqu’il est déjà par terre, je vais aller boire un verre dans la ville voisine.

— Pourquoi… ? On avait encore une chance de revenir dans la course, tu le sais, non !? POURQUOI !?

— Je suis déjà disqualifié. Ce n’est pas votre départ qui m’a mis hors course.
Je me suis disqualifié de moi-même. Alors ne vous inquiétez pas.

Si je leur avais ordonné de me laisser seul ici, ils auraient hésité.
C’est pourquoi je fis disparaître cette source d’hésitation.

Comparée à la vie de l’empereur et à celle des habitants de Kiel, la place dans ce festival n’était qu’une préoccupation secondaire.

— Al… tu es…

— N’oublie pas de le dire à mon père. Que j’ai brisé le bracelet de mon propre chef.

Puisque l’empereur a fait serment, les chevaliers ne doivent jamais abandonner un prince. Même si c’est ce dernier qui le leur demande.

C’est pourquoi la responsabilité m’incombe, à moi qui ai retiré le bracelet.

Il ne faut pas que cela devienne un prétexte pour faire porter la faute aux chevaliers.

Enfin… tant qu’ils parviennent à sauver Kiel, tout ira bien.

Mais si jamais ils échouent, alors les reproches commenceront. Et je ne veux pas leur en laisser l’occasion.

Peut-être Elna avait-elle compris mon intention, car elle paraissait au bord des larmes. Ses chevaliers, eux aussi, gardaient la tête baissée.

Je leur adressai alors la parole.

— Chevaliers. Écoutez mes ordres.

— …

— Sauvez l’empereur, et les citoyens de Kiel. Peu importe si la ville est perdue. La vie de ses habitants passe en priorité.

— Nous acceptons l’ordre de Votre Altesse.

— Oh, et… Christa et Finne sont là aussi. Elles doivent être terrifiées, en ce moment. Pourriez-vous faire quelque chose pour elles également ?

— Oui, Votre Altesse. Je m’en chargerai personnellement. Je laisserai quelques subordonnés partir à leur recherche.

Elna me répondit avec un visage mêlé de regret, d’impuissance et de tristesse.

Ses chevaliers affichaient les mêmes expressions.

C’est alors que Sebas apparut dans mon dos, sans un bruit.

— Laissez-moi escorter Son Altesse. Ne vous inquiétez pas, tout le monde.

— Sebas… pourquoi… ?

— J’étais simplement inquiet pour la vie de mon seigneur. C’est pourquoi je vous demande de me le confier, Elna-sama.

Elna, à qui l’on disait qu’elle n’était pas nécessaire à mon escorte, sembla légèrement choquée. Elle avait peut-être cru qu’on lui interdisait même de veiller sur moi. Ce n’était pas le cas, bien sûr. Mais je n’avais pas le temps de dissiper ce malentendu.

Cependant, comme on pouvait s’y attendre de la part de chevaliers impériaux, ils commencèrent tous à préparer leurs montures. Puis, au moment où ils s’élancèrent, je leur adressai quelques mots d’adieu.

— Mes chevaliers. Je vous les confie. Vous seuls pouvez y parvenir.

À ces mots, les yeux d’Elna se remplirent de larmes. Mais elle tira son épée et secoua la tête avec force.

— La chevalière impériale Elna von Amsberg répondra sans faillir au souhait de Votre Altesse ! Je le jure sur mon épée et sur mon nom : j’anéantirai tous les ennemis et je sauverai Kiel !

— Oui. Je t’en confie la tâche.

Après cela, Elna et ses chevaliers partirent à une vitesse stupéfiante.

Je les trouvais déjà rapides lorsque je chevauchais à leurs côtés… mais il semblait qu’ils se retenaient encore considérablement.

Alors qu’ils disparaissaient à l’horizon, j’appelai mon unique majordome.

— Sebas.

— Monsieur.

— Prépare-toi. À partir de maintenant, il est temps d’entrer en action… secrètement.

— Certainement.

Enfilant ma robe noire habituelle et mon masque argenté, je me téléportai au loin, sous l’apparence de Silver.

 

 

3

 

— Votre Majesté ! Fuyez !

— Je ne le ferai pas. Préparez la défense.

Lorsque l’empereur Johannes fut informé de l’approche du tsunami, il choisit de rester.

Pensait-il à son peuple ? Bien sûr que non. Ses sentiments personnels avaient été écartés depuis longtemps, le jour où il était devenu empereur. Il avait simplement estimé que s’il fuyait, cet incident risquait de provoquer une émeute, voire une rébellion dans la région Est.

À cette fin, il avait posté le peu de chevaliers impériaux encore disponibles sur les remparts de Kiel, et nommé un commandant. Puis il avait revêtu son armure, saisi son épée, et s’était rendu lui-même au front.

— Que tout le monde se prépare ! Ne laissez pas les habitants de l’Est souffrir davantage ! Nous les sauverons tous, même si cela doit nous coûter la vie !

Avec l’empereur en personne au front, le moral des troupes remonta considérablement.

Cependant, cela restait insuffisant pour repousser les monstres qui attaquaient en vagues successives.

Des nuées de bêtes déferlaient sans fin depuis l’Est de Kiel, et les abords extérieurs furent rapidement envahis. La garnison repoussait comme elle le pouvait ces monstres affolés, déchaînés, qui se ruaient sur la ville.

Johannes en abattit lui-même un grand nombre avec son épée. Mais il faisait face à un déséquilibre évident. Les forces défensives comptaient trois mille hommes. Les monstres étaient presque trois fois plus nombreux.

Voyant ses soldats tomber un à un, Johannes claqua la langue. Ils étaient clairement en infériorité numérique. Il aurait dû fuir… mais s’il fuyait, les monstres ne seraient plus son seul ennemi.

Alors que Johannes tentait de trouver une solution, un éclat de rire s’éleva dans le ciel.

— Ahahahaha ! Regarde, regarde, Nii-chan ! L’empereur fait une drôle de tête !

— Oui, petit frère. C’est vraiment amusant.

À ces moqueries soudaines, Johannes lança un regard noir vers les cieux.
Deux hommes se tenaient là.

L’un était un garçon aux cheveux argentés, de petite taille, qui riait avec innocence comme un enfant.

L’autre était un homme aux longs cheveux blonds. Ses traits harmonieux s’ornaient d’un léger sourire, et ses yeux fixaient l’empereur avec calme.

Ils avaient en commun une beauté troublante… et une peau étrangement pâle.

— Qui êtes-vous ?

— Je m’appelle Sam.

— Je m’appelle Dean.

L’empereur connaissait ces noms.

Et lorsqu’il aperçut leurs canines caractéristiques, il éclata de rire.

Il s’agissait de l’une des nombreuses espèces de demi-humains vivant sur ce continent.

C’était la marque distinctive des vampires.

Dotés d’une longévité exceptionnelle et d’une puissance redoutable, les vampires régnaient sur une partie du continent, leur nation étant constituée de quelques clans seulement.

Autrefois considérés comme des monstres, ils avaient été en conflit avec les humains. Mais à présent, un accord de non-ingérence avait été conclu entre les deux races, et ils se montraient rarement aux yeux des hommes.

Cependant, un duo s’était fait connaître parmi les humains.

— C’est une histoire que m’a racontée mon prédécesseur, mais… Il existait autrefois un duo de vampires qui avait commis un acte cruel et avait été chassé de son clan. La guilde des aventuriers avait mis leur tête à prix. Si je me souviens bien, ils s’appelaient Sam et Dean. Le duo classé monstre de rang S. C’est vous ?

— Oui, c’est nous !

— La guilde des aventuriers nous a mis dans le même panier que ces misérables créatures… C’est impardonnable. Nous n’oublierons jamais cette humiliation. Et cela vaut aussi pour tous ceux qui les ont soutenus.

— Hein ? Quelle rancune tenace. Mon prédécesseur n’est plus de ce monde. Vous comptez vous venger sur moi, à sa place ?

— BIEN SÛR ! Les humains sont trop fragiles. Ils meurent bien trop facilement, après tout !

— Nous avons renoncé à nous venger de cet homme. Nos espérances de vie sont différentes. C’est pourquoi nous avons décidé de nous en prendre à ses descendants… et à ses biens.

En entendant qu’ils souhaitaient se venger de l’empire tout entier, Johannes claqua la langue. En temps normal, il aurait répliqué. Mais cette fois, tout indiquait que le tsunami avait été provoqué par ces deux-là.

Il luttait déjà contre l’assaut des monstres, et maintenant qu’un vampire de rang S apparaissait par-dessus le marché, il était seul, bien trop seul pour espérer les vaincre.

Si seulement ses fiers chevaliers impériaux étaient à ses côtés…

Mais il les avait confiés à ses enfants. Ils se trouvaient loin de Kiel, et même s’ils faisaient demi-tour immédiatement, seuls quelques-uns pourraient revenir à temps.

— Bon, si tu as quelque chose d’impressionnant à dire — comme un empereur, c’est maintenant ou jamais ! Je vais te vider de ton sang jusqu’à ce que tu deviennes une momie, et je jetterai ta carcasse à la capitale !

— Fuhn ! Essaie donc ! Même si je meurs, l’empire survivra ! Les élites de mon empire vous traqueront ! Si vous n’avez pas peur d’eux, venez !

— Je reconnais ta volonté. Mais peu importe combien tu cries… cela ne changera rien à ton désavantage.

Dean leva la main droite. Une sphère noire apparut dans sa paume.
Elle n’avait rien à voir avec la magie humaine. Il s’agissait d’une magie d’attaque que seuls les vampires dotés d’une immense réserve magique pouvaient manier.

— Regrette d’avoir fait de nous tes ennemis… ET MEURS !!

Une masse de pouvoir magique fut lancée sur Johannes. Dean afficha un sourire cruel, certain de sa victoire… mais ce sourire se figea aussitôt.

Avant que la sphère ne touche Johannes, elle fut tranchée net.

— …Vous allez bien, Votre Majesté ?

— Oooh… Elna. Je suis heureux que tu sois venue. Tu n’étais pas censée protéger Arnold ?

— … Pardonnez-moi. Je n’ai pas pu obéir à votre ordre direct…

En voyant l’expression défaite d’Elna, Johannes comprit à peu près ce qui s’était passé. Si elle avait accompagné Arnold, elle ne serait jamais arrivée à temps.

Cependant, à la vue d’Elna, Johannes esquissa un sourire.

— C’est agréable de pouvoir assister ainsi à la croissance de mon fils. Et c’est grâce à toi, Elna.

— Votre Majesté… Je suis…

— C’est Arnold qui t’a envoyée. Tu as compris ses sentiments, et tu es arrivée à temps. Cela me comble de joie. Cela dit… me laisseras-tu, à mon tour, être témoin de ta propre croissance ?

Elna acquiesça à la question de Johannes.

Elle tourna son regard vers leurs deux ennemis et leva son épée.

— Comme vous le souhaitez, Votre Majesté. Je vais vous montrer l’épée de la maison Amsberg !

— Hmph ! Et que peut bien faire un simple humain ? Je te connais. Tu es la chevalière qui accompagnait ce prince terne et incompétent, n’est-ce pas ? Puisqu’il était incapable de quoi que ce soit, il n’est pas allé bien loin, hein ? Bon sang… penser qu’un incapable pareil ait pu entraver le plan de mon frère…

— Ne baisse pas ta garde, Sam. La maison Amsberg est une lignée de héros. On ne peut pas les juger selon des critères humains. Ne traite pas cette femme comme une simple mortelle.

Dean mit Sam en garde, mais ce dernier ne semblait pas prêt à prendre l’avertissement au sérieux.

Cependant, dès que ses yeux croisèrent ceux d’Elna, il changea radicalement d’attitude.

— !!???

Le corps de Sam se couvrit aussitôt d’une sueur froide.
Il brandit sa faux magique et recula légèrement. C’était, sans l’ombre d’un doute, une retraite — mais Sam ne semblait même pas s’en apercevoir.

De son côté, Elna dégagea une violente intention meurtrière et s’éleva lentement dans les airs. Pour un mage de talent, flotter dans le ciel n’était pas très difficile. Mais être capable de se mouvoir librement dans les airs relevait d’un tout autre niveau. Elna, bien qu’elle ne fût pas mage, en était capable.
La maison Amsberg ne manquait pas de talents martiaux.

Et voilà que Sam avait posé le pied sur une mine vivante : un véritable prodige de la maison Amsberg.

— Tu viens de prononcer les mots que je déteste le plus… Comment oses-tu dire ça devant moi ? Je te condamne à mort. Prépare-toi !

— ! Ne me prends pas de haut, HUMAINE !!!

Un instant plus tard, Sam fonça sur Elna avec sa faux.

Mais Elna esquiva et contre-attaqua dans la foulée. Sam réussit à bloquer le coup, mais la force de l’impact le dépassa, et il jeta un regard inquiet à son frère.

— Comme on pouvait s’y attendre de la prodigieuse maison Amsberg…
Je comprends pourquoi certains t’ont surnommée l’héroïne de cette génération. Mais tu regretteras d’avoir osé défier des vampires de notre rang !

Dean se joignit alors au combat.

Tous trois s’affrontaient avec violence, haut dans le ciel au-dessus de la ville de Kiel.

En contrebas, l’empereur continuait de crier pour remonter le moral de ses troupes.
Les renforts du troisième corps de chevaliers, menés par Elna, parvenaient à repousser les monstres, mais leur assaut semblait inépuisable.

Alors qu’il fallait encore tenir bon en attendant du renfort… un prince apparut.

— Père ! Carlos est là !! Carlos est revenu, père !!

Le cinquième prince, Carlos. Vingt-trois ans.

Un prince aux cheveux bruns et au tempérament doux, connu pour sa bienveillance.
Mais il possédait un esprit rêveur… et aspirait à prouver sa valeur au combat, à la manière des héros des contes anciens.

Pour Carlos, se précipiter aux côtés de son père et des citoyens en détresse représentait le scénario idéal.

Beaucoup de regards se tournèrent vers lui, et l’arrivée des renforts suscita une vague de soulagement. À leur grande joie, Carlos mena ses troupes d’un air radieux à leur secours.

— Votre Altesse ! Reculez ! C’est dangereux !

— Ça va ! Je suis le héros !

Ces paroles semblaient sorties de la bouche d’un homme grisé par l’instant… mais elles étaient empreintes d’une certaine sincérité.

Peu de temps auparavant, Carlos avait rencontré Sam et Dean par l’intermédiaire d’un agent. Le plan était simple : Sam et Dean devaient semer le chaos, et Carlos viendrait résoudre l’incident. En échange, une fois devenu empereur, il demanderait à la guilde des aventuriers de retirer la prime placée sur leurs têtes.

Carlos était convaincu que Sam et Dean avaient une raison de coopérer avec lui. Il n’y avait jamais eu de précédent où la guilde avait annulé une prime… mais une telle décision relevait du pouvoir de l’empereur. Même la guilde ne pouvait se permettre d’ignorer la volonté d’un souverain d’un empire aussi vaste.

C’est pourquoi Carlos croyait en eux. Il était persuadé que Sam et Dean se retireraient aussitôt qu’il apparaîtrait. Après avoir éliminé les quelques monstres restants, il pourrait alors être proclamé prince héritier… et réaliser son rêve de devenir un héros.

Carlos avait été fasciné par la puissance magique de Sam.

— Il est vraiment venu. Ce prince est incroyablement idiot.

— Ne t’occupe pas de ce petit bonhomme. Concentre-toi sur ton adversaire ! Elle arrive !

Ils ne prêtèrent aucune attention à Carlos. Et pour cause : ils ne l’avaient jamais considéré comme un véritable partenaire. Pas une seule fois.

Sam et Dean s’étaient simplement servis de lui. Et si Carlos avait lui-même cherché à les manipuler… il n’aurait pas fini ainsi. C’était sa nature naïve qui l’avait conduit à leur faire confiance.

Sans même avoir le temps de regretter son choix, Carlos fut frappé de plein fouet par une sphère magique et perdit connaissance. L’un de ses chevaliers parvint à le rattraper de justesse, mais ses blessures étaient graves. Mortelles, peut-être.

Cependant, les chevaliers qui l’avaient accompagné, galvanisés par son arrivée héroïque, ripostèrent avec une vigueur farouche contre les monstres.

La seule chose que Carlos parvint à accomplir, malgré sa maladresse, fut d’inverser le cours de la bataille.

Grâce au sursaut offert par ses troupes, la situation commença peu à peu à basculer.

 

4

 

Je me rendis auprès de Leo.

Cela dit, se déplacer vers une personne précise restait particulièrement difficile ; je ne pouvais donc pas viser avec une précision parfaite.

Comme je n’avais pas parfaitement ajusté mon déplacement, je me mis à voler dans sa direction en soulevant un nuage de poussière sous mes pieds.

Comme prévu, Leo avait déjà commencé à bouger. Il fonçait en direction de Kiel, escorté de ses chevaliers.

J’atterris à une certaine distance devant lui, et j’attendis qu’il me rejoigne.

Au bout d’un moment, Leo remarqua ma présence et arrêta son cheval.

— … Silver, c’est bien ça ?

— Oui, c’est moi. Enchanté, Votre Altesse Leonard.

— Je n’ai pas le temps pour les présentations. Si tu es apparu ainsi, j’imagine que tu viens en renfort, pas vrai ?

— C’est bien mon intention. Cependant, vous devriez renoncer à vous précipiter ainsi.

— Que veux-tu dire ? demanda Leo, d’un ton inhabituellement tendu.

Il devait avoir appris que le tsunami avait frappé, et voulait rejoindre Kiel au plus vite. C’était précisément pour cette raison que j’avais choisi d’apparaître devant lui.

Je ne pouvais pas le laisser foncer tête baissée vers cette horde de monstres, avec seulement ce petit groupe de chevaliers à ses côtés.

— Avec un tel nombre de monstres attaquant Kiel, même accompagné des chevaliers impériaux, ce serait comme verser de l’eau sur une pierre brûlante[1]

— Vous ne le saurez pas tant que vous n’aurez pas essayé ! Il y a sûrement au moins une vie que nous pouvons sauver !

— Voilà une pensée admirable… Mais on ne sauve pas des vies à la seule force de ses sentiments. Les chevaliers qui vous entourent en ont bien conscience, n’est-ce pas ?

Leo jeta un regard à ses hommes.

Son expression sembla vaciller légèrement en découvrant le sérieux gravé sur leurs visages. J’en profitai pour insister une dernière fois.

— À partir du moment où le tsunami est déjà en cours, il vous faut une véritable armée pour l’arrêter.

— Et où pourrais-je trouver une telle armée… ? Tu veux dire que je dois rester en retrait parce que je suis impuissant ? Là-bas se trouvent mon père, ma sœur, et tous les citoyens. Il y a des gens que je dois protéger ! Si je les abandonne, je ne me le pardonnerai jamais !

— Haa… Je ne me souviens pas avoir dit que vous deviez les abandonner.
Je vous dis simplement qu’il vous faut davantage de moyens militaires avant d’agir.

— … ?

Leo était en colère. Mais, en entendant mes propos détournés, il sembla peu à peu se calmer.

Finalement, je décidai de couper court.

— Prince Leonard, les chevaliers de l’Est ne se résument pas à ceux de l’ordre impérial qui vous entourent.

— … Vous me dites de faire appel aux seigneurs de la région ?

 

— Quelle proposition insensée ! Mobiliser les chevaliers de ces seigneurs locaux, même sur ordre d’un prince, dépasse largement vos prérogatives ! Même en supposant qu’ils ferment les yeux et acceptent de céder leurs troupes, combien de jours pensez-vous qu’il faudrait pour les réunir tous ?

Le capitaine des chevaliers répondit d’un ton agacé.

Il devait considérer cela comme irréaliste. Et à raison — rassembler tous ces chevaliers prendrait effectivement plusieurs jours.

Mais si c’est moi qui m’en charge… alors, c’est faisable.

— Laissez-moi m’occuper du comment. La véritable question est de savoir si Son Altesse souhaite vraiment agir. Vous pourriez être réprimandé une fois l’affaire close. Êtes-vous prêt à l’accepter ? Êtes-vous sincère lorsque vous dites vouloir sauver votre famille… et vos citoyens ?

— … Si je peux les sauver, peu m’importe ma position. Tu peux mobiliser les chevaliers en mon nom. Dis-moi ce que je dois faire.

— Votre Altesse !?

— C’est une urgence. Si c’est pour protéger Sa Majesté, je peux endurer n’importe quoi. Il n’y a aucun problème. Maintenant, Silver… dis-moi comment les sauver.

— … Une décision admirable. La méthode est simple. Je vais ouvrir un portail magique sur la colline proche de Kiel. À travers ce portail, vous prendrez la parole. Expliquez la situation à ces chevaliers… et guidez-les vers la porte.

C’était une méthode absurde.

Sans la moindre preuve qu’il était réellement un prince, il lui faudrait convaincre des chevaliers, désorientés et méfiants, de franchir un portail magique venu de nulle part.

Leur maître immédiat était leur seigneur. Et si ce seigneur leur interdisait d’agir… tout serait fini.

Tout dépendrait donc de Leo.

S’il ne parvenait à rassembler qu’une poignée de chevaliers, je perdrais un temps précieux… et une quantité non négligeable de magie.

Mais cela valait la peine d’essayer. Le festival était encore en cours.

Carlos, actuellement premier, serait sans doute disqualifié — tout comme moi, en deuxième position. Leo et Gordon seraient alors à égalité pour la troisième place. S’il parvenait à rallier les chevaliers et à repousser les monstres, il avait une chance réelle de l’emporter. Et en réorganisant les forces désorientées, nous pourrions aussi mettre fin à cette crise.

La seule incertitude concernait la capacité de Kiel à tenir jusque-là. C’est précisément pour cela que j’y avais envoyé Elna. De ce côté-là, il ne devrait pas y avoir de problème. Et si même Elna venait à échouer, charger avec la maigre troupe de Leo ne changerait rien de toute façon.

— Qu’allez-vous faire ? Vous hésitez ?

— C’est vrai… Je n’ai pas vraiment confiance. Mais je vais le faire. Nii-san me dirait sûrement d’essayer, après tout.

— Je n’imagine pas le prince terne dire une chose pareille.

— C’est que tu ne le connais pas. Mon frère est quelqu’un de très déterminé, tu sais. Même en ce moment… je suis sûr qu’il a déjà décidé d’agir.

En l’entendant, mes yeux s’écarquillèrent sous mon masque. Jamais je n’aurais imaginé que Leo pensait cela de moi.

Mais cela ne me dérangeait pas.

— Je vois… Essayez.

Sur ces mots, je joignis les mains. Le sort que je lançais à présent n’était pas une téléportation à usage personnel. C’était une magie conçue pour ouvrir un passage, un couloir entre deux lieux, permettant à d’autres de le traverser.

En l’espace de quelques instants, un portail menant à la colline fut créé.
Il était suffisamment large pour que dix personnes puissent y passer en même temps.

Personne ne sauterait de son plein gré dans un tunnel magique aussi instable et déformé. C’est pourquoi je fus le premier à le franchir.

Sans hésiter, Leo me suivit.

Ma vision se troubla brièvement… puis je me retrouvai sur la colline.

— C’est donc ça, la magie de transfert…

— Le plus dur reste à faire.

Après m’être soufflé ces mots pour me donner du courage, j’ouvris un portail identique dans les sept principales villes entourant Kiel.

Désormais, tout dépendait de Leo.

— J’ai amplifié votre voix grâce à un sort. Vous pouvez commencer.

— … Chevaliers de l’Est qui m’entendez, écoutez-moi. Je suis Leonard Lakes Adler, le huitième prince de l’Empire.

Leo parlait lentement.

Il savait qu’il n’avait pas le droit à l’erreur. Sans se précipiter, il veillait à ce que chacun entende distinctement ses paroles.

Il restait calme. Peut-être que ça pouvait fonctionner.

— En ce moment même, un tsunami a frappé l’Est, et Kiel se trouve en plein cœur de sa trajectoire. La situation est critique. Je suis en train de rassembler des chevaliers pour m’y rendre. Si vous entendez ma voix, entrez dans le portail magique à proximité et rejoignez-moi. Vous n’avez pas besoin de demander la permission à votre seigneur. Je veux que vous preniez cette décision de vous-mêmes. J’assumerai l’entière responsabilité.

Bien que son discours soit terminé, Leo inspira profondément… puis tira son épée.

Il déclara d’une voix plus forte, vibrante d’ardeur.

— Protégez les habitants de Kiel ! Chevaliers qui possédez encore un cœur ! Chevaliers qui avez encore du courage ! Ceux qui partagent mes idéaux, rejoignez-moi ! J’attends votre décision avec impatience !

Alors qu’il achevait son discours, Leo ressemblait à son père sur le champ de bataille.

Les chevaliers impériaux autour de lui, sans doute touchés eux aussi, le fixaient avec admiration. Mais Leo, lui, ne regardait que le portail — le regard grave.

Personne ne passait.

Alors que je pensais que nous avions échoué… un jeune homme apparut de l’un des portails.

Il semblait quelque peu désorienté par sa toute première téléportation, mais dès qu’il aperçut Leo, il descendit précipitamment de son cheval… et s’inclina profondément.

— Chevalier de Hesse ! Hans, à votre service ! Je suis venu me joindre à vous, Votre Altesse Leonard !

— Tu as bien fait, Hans. Je t’en suis reconnaissant.

— Non ! C’est moi qui devrais vous remercier ! Depuis que j’ai appris que Votre Altesse visitait les villages de la région, je souhaite combattre sous vos ordres, Prince Leonard ! Et je ne suis pas le seul à le penser ! Les autres sont en train de se rassembler ! Je vous en prie, attendez-les !

Ce qui attire les regards, ce qui rassemble les hommes sans les contraindre… c’est le charisme. Et en cet instant, selon cette définition, Leo incarnait le charisme même.

À travers les portails magiques, les chevaliers affluaient, les uns après les autres.
Et enfin…

— Je me nomme Folker, seigneur d’Ulm ! J’ai amené cinq cents chevaliers pour me joindre à vous, Votre Altesse !

Un vieil homme apparut à cheval.

Il devait bien avoir dépassé la soixantaine. Son corps était robuste, mais ses cheveux grisonnants ne pouvaient cacher le poids des années.

— Folker… Je suis heureux que vous vous joigniez à nous. Mais êtes-vous certain que cela ne posera pas problème ?

— J’ai à la fois le cœur et le courage ! Y a-t-il quelque chose qui vous inquiète ?

— … Non. Si tel est votre choix, alors je n’ai rien à redire. Merci de vous joindre à nous. Combattez à mes côtés. Je compte sur vous.

En croisant l’éclat de détermination dans les yeux de Folker, Leo lui répondit avec un sourire.

Peut-être pris au dépourvu, Folker écarquilla les yeux, avant de répondre d’une voix retentissante :

— Ha, haha ! Permettez-moi de vous montrer ma puissance !

— Je m’en réjouis d’avance.

Les Chevaliers de l’Est s’étaient peu à peu rassemblés, et leur nombre dépassait désormais les trois mille. Ils étaient peut-être désorganisés, mais leur moral était au plus haut. Car aucun ordre ne les avait forcés à venir, ils étaient là de leur propre chef.

En les voyant, je ressentis un profond soulagement.

Avec ça, il ne devrait plus y avoir de problème.

— Silver. Merci pour ta coopération.

— Je n’agis que pour le bien du peuple, en tant qu’aventurier. Et il est encore trop tôt pour me remercier. Vous pourrez le faire… une fois que nous aurons sauvé Kiel.

Sur ces mots, je me téléportai à Kiel à l’aide d’un sort de transfert. Et là, ce que je vis au-dessus de la ville… relevait du pur délire.

 

5

 

— J’ai peur… !

— Tout va bien, Votre Altesse. Les chevaliers seront bientôt là.

À l’intérieur du manoir, Finne tentait de calmer Christa en lui caressant doucement les cheveux. Les servantes s’approchèrent d’elle avec un air inquiet.

— Fi-Finne-sama… Euh…

— Qu’y a-t-il ?

— C’est… les habitants du village demandent à entrer dans le manoir…

L’empereur leur avait formellement interdit de quitter leurs maisons.
Mais, inquiets à cause de la bataille qui faisait rage tout près, ils cherchaient refuge dans la demeure du seigneur local.

Finne ne leur en voulait pas le moins du monde.

— Et la comtesse ?

— Elle n’a pas réussi à se décider… alors elle a dit que c’était à Son Altesse Christa et à Finne-sama de trancher…

— Je vois… Votre Altesse. Que souhaitez-vous faire ?

— … Je ne sais pas… mais j’ai peur…

Christa s’agrippa fermement aux vêtements de Finne, le visage contracté par l’angoisse.
Finne lui répondit en serrant doucement cette petite main.

Le seigneur combattait actuellement aux côtés de l’empereur.
Et pour l’instant, la comtesse ne pouvait pas prendre de décision, car c’était à Christa que revenait l’autorité.

— Je comprends… Alors… allez-vous abandonner les personnes qui partagent vos sentiments ?

— Ce n’est… pas bien…

— Pourquoi ?

— … Nii-sama serait fâché.

— Oui. Son Altesse serait en colère, n’est-ce pas ? Alors, que diriez-vous de faire entrer dans le manoir les personnes âgées, les enfants, et les malades ?

— D’accord…

— Je vais sortir un moment. Vous irez bien toute seule ? Tout le monde est inquiet. Je dois aller les rassurer.

— … Hum…

Christa paraissait toujours bouleversée, mais Finne la fit s’asseoir sur une chaise avec un sourire rassurant. Elle quitta ensuite la pièce, après avoir demandé à une servante de s’occuper d’elle.

Puis elle se dirigea vers l’entrée.

Là, elle aperçut les gardes en train de dégainer leurs épées contre la foule.

— Rentrez chez vous, tout de suite ! N’avez-vous pas entendu l’ordre de Sa Majesté ?

— Je vous en supplie, laissez-nous entrer !

— VOUS… !

— ARRÊTEZ ÇA IMMÉDIATEMENT !

Dans cette situation dangereuse, Finne cria aux gardes.

Bien qu’elle fût elle-même la fille d’un duc, elle jouissait d’un statut tout à fait particulier. Connue sous le nom de princesse Blaue Mowe, un titre que l’empereur lui avait personnellement attribué, elle était traitée comme un membre à part entière de la famille impériale.

Et ici, la voix de la royauté faisait autorité.

Les soldats relâchèrent aussitôt la garde et s’agenouillèrent.

— Fi-Finne-sama…

— Ce contre quoi vous devez brandir vos armes, ce ne sont pas les gens, n’est-ce pas ?

— Oui, vous avez raison. Pardonnez mon imprudence…

Satisfaite de leur réponse, Finne porta son regard vers la foule rassemblée devant le portail. Ils n’étaient pas seulement une centaine ou deux. On y distinguait des roturiers, des nobles venus pour le festival, des marchands… tous affichaient une profonde inquiétude.

— Je me nomme Finne von Kleinert. Peut-être me connaissez-vous mieux sous le nom de Blaue Mowe.

En prononçant ces mots, elle montra l’ornement en forme de mouette bleue qu’elle portait. Symbole de beauté éternelle, c’était un présent de l’empereur lui-même.

Ceux qui savaient à quel point l’empereur chérissait cette fille du duc comme sa propre enfant s’agenouillèrent aussitôt, dans un mouvement unanime.

Cependant, parmi la foule, quelques jeunes hommes commencèrent à bousculer les autres pour se frayer un passage.

— Oh ! Finne-sama ! C’est moi ! Gied !

Pour Finne, c’était une voix qu’elle aurait préféré ne jamais entendre.

Celle de l’homme qui avait levé la main sur Arnold, son ami d’enfance. Un acte qu’elle ne pouvait ni oublier, ni pardonner. Gied von Horsvath et ses acolytes affichaient un large sourire en la voyant.

Ils repoussaient sans vergogne les autres civils, certains qu’elle les laisserait passer. Sans avoir pris part au combat, ils étaient restés en lieu sûr, à l’abri, tout en arborant un air suffisant. En les regardant, Finne eut l’impression que le noble sang qui coulait dans ses veines venait d’être souillé. Jamais elle n’avait ressenti cela face à son père. Même les frasques de son bon à rien de frère ne lui avaient jamais inspiré un tel dégoût. Mais Gied avait rendu le mot « noble » vide de tout sens.

Le respect se mérite. Voilà pourquoi Finne l’ignora.

— Nous accepterons les enfants, les personnes âgées et les malades.
Les personnes valides, veuillez vous rassembler dans le plus grand bâtiment que vous trouverez et en barricader l’entrée. Un tsunami n’est qu’un monstre gigantesque en mouvement. Il ne vise pas les êtres humains. Même dans l’éventualité où les monstres pénétreraient dans Kiel, il suffirait de gagner un peu de temps. Je vais ouvrir la porte maintenant.

— Fi-Finne-sama ? C’est moi ! Gied ! Vous ne m’avez pas oubli—

— Je me souviens parfaitement de vous. Gied-sama, de la maison ducale de Horsvath.

— Ah, j’en suis ravi. Alors… pouvons-nous entrer ?

Il tenta d’entrer dans le manoir comme si cela allait de soi.

S’il s’agissait d’Arnold, la décision la plus sage aurait été de le laisser entrer.
Après tout, il n’était pas judicieux de se faire un ennemi dans une telle situation.

Mais Finne choisit de ne pas le faire. Même si cela allait à l’encontre du souhait d’Arnold. Et ce, pour une raison bien précise.

— Aie un peu honte ! Tu n’as même pas envisagé de te battre aux côtés de Sa Majesté et tu as préféré chercher un endroit où te mettre en sécurité ! Tu n’as pas honte devant tes ancêtres, fondateurs de la lignée de la maison Horsvath ?

— Quoi… ?! Toi ! Pour qui te prends-tu ?

— Peu importe qui je suis. Les seules personnes autorisées à entrer dans le manoir sont les enfants, les personnes âgées et les malades. Les autres, veuillez vous rendre ailleurs. C’est la décision de Son Altesse Impériale Christa. Si vous insistez pour perdre davantage de temps, vous pourrez toujours faire appel à Sa Majesté plus tard. Cependant, je me demande bien qui sera puni pour cela, car pour moi, c’est clair comme de l’eau de roche.

— Kuh… ! Ne t’emballe pas sous prétexte que Leonard te soutient ! Souviens-toi de cela ! Je ne te le pardonnerai jamais !

Sur ces mots, Gied quitta les lieux avec ses hommes.

Après avoir regardé son départ, Finne poussa un long soupir, puis ordonna d’un sourire aux gardes d’ouvrir la porte.

Voyant cela, les villageois confièrent sans protester leurs enfants, leurs anciens et leurs malades aux soins du manoir avant de s’éloigner.

Une fois l’accueil terminé, Finne retourna à l’intérieur et ordonna que l’on barricade les entrées.

— Fermez tout aussi solidement que possible ! Lorsque les monstres arriveront, nous les retiendrons ensemble. Tant qu’on les ralentit suffisamment, ils finiront par changer de direction.

— Oui, Finne-sama !

— Finne-sama ! Son Altesse Christa vous demande !

— J’y vais immédiatement. Ne vous inquiétez pas, tout le monde. Les chevaliers viendront sans faute nous secourir.

Finne adressa ces mots à tous d’un ton aussi enjoué que possible.

Elle pensait qu’au moins elle devait garder le sourire. En vérité, c’était la seule chose qu’elle était encore capable de faire.

En tant que fille de duc, elle savait user d’un peu de magie, mais elle n’était douée que pour les sorts de guérison. Les magies de combat, souvent employées au front, lui étaient étrangères.

Elle ne pouvait se battre aussi brillamment qu’Elna.

Cela la chagrinait. Elle avait quitté son territoire pour se rendre utile à Arnold, mais jusqu’à présent, elle n’avait rien pu faire pour l’aider.

Pour Finne, protéger Christa représentait la première mission qu’Arnold lui avait confiée. C’est pourquoi elle s’était promis de ne jamais la quitter, quoi qu’il arrive. Mais…

— Si on ne récupère pas la flûte, les monstres continueront à affluer !

En entendant Christa crier, Finne se souvint brusquement de leur conversation avec Arnold.

Christa avait affirmé que Kiel serait encerclé par des monstres. Et c’était exactement ce qui était en train de se produire.

Puisqu’Arnold avait pris ses paroles au sérieux, Finne jugeait naturel d’en faire autant. Elle serra alors la fillette dans ses bras.

— Votre Altesse. Tout ira bien. Je vais aller chercher cette flûte. Pouvez-vous me dire où elle se trouve ?

— Non… Vous allez mourir…

— Ce n’est pas grave. J’ai toujours eu de la chance, vous savez. Et puis, si cela devient vraiment dangereux, Al-sama viendra sans doute me sauver.

— … Vraiment ?

— Oui, c’est vrai. C’est pour cela que je vous le demande. Où puis-je trouver cette flûte ?

— … Je l’ai vue tomber de la tour de l’horloge… C’est elle, la cause…

— Je comprends. Je vais aller la chercher.

Sur ces mots, malgré les protestations de la servante, Finne se dirigea vers la tour de l’horloge, le plus haut bâtiment du centre-ville.

 

***

La taille de la tour de l’horloge de Kiel différait de celle des autres villes.
Elle s’élevait à plusieurs dizaines de mètres de hauteur et constituait l’une des principales attractions touristiques de Kiel, un précieux point de repère. Finne gravit les marches de la tour de l’horloge, le souffle court.

De son côté, Elna livrait un combat acharné contre Sam et Dean dans le ciel.

— Tss ! C’est tellement énervant !

Dean renonça à attaquer Elna de front. Il n’était pas impossible pour eux deux de la vaincre ensemble, mais cela prendrait trop de temps.
Il était temps de recourir à des moyens détournés.

Dean sortit la flûte magique permettant de commander les monstres, [Hameln]. S’il augmentait le nombre de monstres, Elna, en tant que chevalier, serait contrainte de protéger l’empereur. Dans ce cas, Dean et Sam pourraient prendre le dessus. Afin d’attirer davantage de monstres vers Kiel, Dean porta Hameln à sa bouche.

Cependant, Elna comprit instinctivement qu’elle ne pouvait le permettre et se précipita vers Dean pour l’attaquer.

 

 Kuh !?

Dean parvint à esquiver son attaque, mais Hameln tomba de sa main et s’écrasa sur la ville de Kiel. Le voyant, Dean se lança à sa poursuite.

— Merde ! — Reviens ici !

Cette flûte ne lui appartenait pas. C’était un objet confié par leur complice.
Dean s’en était servi pour monter un plan avec Carlos afin de provoquer cet incident. Cependant, leur complice leur avait strictement ordonné de s’en débarrasser ensuite. C’était la condition de leur collaboration. Sans cet informateur, il leur serait difficile de s’échapper, voire de survivre.
Détruire cette flûte était une question de vie ou de mort.

C’est pourquoi Dean la poursuivit désespérément. Voyant cela, Elna comprit à son tour que quelque chose n’allait pas et fonça après lui.

Tous deux s’affrontèrent plusieurs fois dans les airs, tandis que la flûte tombait rapidement vers le sol. Et lorsqu’elle approchait de la tour de l’horloge, une main blanche surgit et l’attrapa.

— !!?

Attrapant la flûte qui chutait d’un geste vif, Finne réussit tant bien que mal à rester à l’intérieur de la tour de l’horloge.

Elle poussa un soupir de soulagement en constatant qu’elle avait pu l’intercepter, mais elle entendit bientôt la voix aiguë d’Elna.

— Fuis ! Finne !!

En levant les yeux, elle vit Dean lancer une masse de pouvoir magique en direction du clocher. Elle perdit l’équilibre et bascula.

Mais Finne ne s’en soucia pas. Elle avait accepté le danger depuis le début.

C’est pourquoi elle lança la flûte en direction d’Elna, qui arrivait à toute vitesse.
Voyant cette dernière attraper la flûte avec un air stupéfait, Finne lui sourit.

— Ah… Je sers enfin à quelque chose.

— Maudite sois-tu !

Furieux, Dean projeta une nouvelle boule de magie sur Finne, qui tombait dans le vide. Elle n’avait aucun moyen d’échapper à l’attaque en plein vol.

— FIIINNNNEEEEE !!? hurla Elna.

Confiante qu’Arnold serait entre de bonnes mains avec Elna, Finne ferma les yeux.
À cet instant, une lueur surgit dans le ciel, mais elle n’eut pas le temps de s’y attarder.

Elle s’était préparée à mourir. Elle avait accepté ce sort et fermé les yeux.
Mais la douleur qu’elle attendait… ne vint jamais.

Au contraire, elle sentit une chaleur. En ouvrant les yeux avec appréhension, Finne découvrit qu’elle était enlacée par un aventurier portant un masque argenté.

Sa surprise la priva de mots. Elle n’avait dit à Christa qu’il viendrait que pour la rassurer. Jamais elle n’aurait cru qu’il viendrait réellement la sauver.

Et au même instant, quelqu’un d’autre était tout aussi stupéfait. C’était Dean.

 

— Espèce de salaud… Comment as-tu pu annuler ma balle magique ? Qui es-tu ? Dis-moi ton nom !

— … Je suis un aventurier de la guilde des aventuriers de la capitale impériale, aventurier de rang SS, Silver… Je suis venu te vaincre.

Le masque argenté caractéristique et la robe noire. L’aventurier connu comme le plus fort de toute l’histoire de l’empire était apparu.

 

6

 

La scène à laquelle j’assistai en arrivant était celle d’Elna combattant ce qui semblait être un groupe de deux vampires.

Cela ne me surprit pas.

Ce qui me surprit, c’était que Finne se trouvait à proximité.

Elle levait les yeux vers le ciel tout en escaladant le clocher.

Puis, lorsqu’elle vit Elna frapper la flûte des mains de l’un des vampires, elle tendit le bras et l’attrapa.

Dès que j’aperçus cela, je me mis en mouvement.

Je fondis à toute vitesse, usant de toute la magie possible pour foncer vers Finne tel un météore.

Le vampire à qui l’on avait arraché la flûte détruisit la tour de l’horloge, projetant Finne dans le vide.

À ce moment-là, Finne ne chercha pas à s’accrocher à Elna, mais lança plutôt la flûte dans sa direction.

Son visage, alors qu’elle chutait, affichait une expression satisfaite. Je détestais ce genre d’expression. Alors j’accélérai encore davantage.

— Maudite sois-tu !

Le vampire projeta une boule magique vers elle.

Juste avant qu’elle ne l’atteigne, je m’interposai, bloquai l’attaque, puis serrai Finne dans mes bras en plein vol.

Sentir sa chaleur me rassura. Je l’avais sauvée à temps.

C’était sans doute la situation la plus angoissante que j’avais vécue depuis longtemps.
Et… cela faisait bien longtemps que je ne m’étais pas senti aussi furieux.

— Espèce de salaud… Comment as-tu pu annuler ma balle magique ? Qui es-tu ? Dis-moi ton nom !

— … Je suis un aventurier de la guilde des aventuriers de la capitale impériale, aventurier de rang SS, Silver… Je suis venu te vaincre.

Ma voix était calme, mais chargée de colère. C’était un serment. Je ne le laisserai jamais s’échapper.

— Sil… ver-sama… ?

— … Ne te force pas.

— Je suis vraiment désolée… Je ne referai plus jamais une chose aussi stupide…
— … Je t’écouterai plus tard. Mais… tu t’es bien débrouillée. Laisse-moi m’occuper du reste.

Lorsque je lui caressai doucement la tête, les joues de Finne se teintèrent de rouge.

Je la déposai au sol, encore troublée, puis levai les yeux vers les vampires suspendus dans le ciel.

Parmi les vampires, seuls deux étaient capables d’ourdir un crime d’une telle ampleur.

Les vampires hérétiques dont la guilde avait mis la tête à prix. La prime de classe S, les frères Sam et Dean.

— Silver-sama ! Bonne chance…

— Oui, laisse-moi faire.

Après lui avoir répondu, je m’envolai aussitôt dans le ciel. Sam et Dean, tous deux sur leurs gardes, me fixaient intensément.

Rien d’étonnant à cela. Pour obtenir le rang SS, un aventurier doit avoir vaincu un monstre de classe S. En d’autres termes, j’avais déjà affronté et vaincu des ennemis de leur niveau, voire plus redoutables encore.

— Qui aurait cru qu’un aventurier de rang SS apparaîtrait ici… Je suis surpris.

— Merde ! Encore un gêneur ! Ils se pointent les uns après les autres ! Ne venez pas foutre en l’air le plan de Nii-chan !

Le plus petit des deux venait de crier — c’était donc le cadet, Sam. Ce qui signifie que le plus fort est l’aîné.

— Une surprise pour moi aussi. Je croyais que vous vous faisiez discrets depuis que la guilde avait mis votre tête à prix. Vous attendiez en tremblant, c’est ça ? Peur qu’un aventurier SS finisse par venir vous chercher ?

— Ne te fiche pas de nous ! On était prudents, c’est tout !

— Mais on dirait que votre patience a fini par craquer. La garnison et les chevaliers vont s’occuper des monstres. Quant à moi, je suis déjà là. Votre plan est fichu.

— Hmph ! Tu crois avoir gagné ? Même sans la flûte, les monstres continuent de ravager tout ! Si on vous bat, toi et l’héroïne, ce sera notre victoire !

Qu’est-ce qu’ils ont, ces deux-là ?

Ils comptent vraiment se battre contre Elna et moi en même temps ?

Surpris, je jetai un coup d’œil à Elna. Elle semblait franchement irritée.

— Vous vous croyez supérieurs, hein ? Même à deux, vous peinez à me tenir tête.

— C’est toi qui nous prends de haut ! On ne s’est même pas encore battus sérieusement !

— Alors montrez-moi ! Je vais vous pulvériser au nom d’Amsberg !

— Non, Elna von Amsberg. Je sais que tu es motivée, mais c’est moi qui vais les neutraliser.

Je lançai ces mots à Elna, qui venait de prendre une posture élégante, son épée à la main. En m’entendant, elle se tourna vers moi.

Elle fronça les sourcils, visiblement agacée. Son expression ne ressemblait en rien à celle qu’une jeune fille devrait afficher.

— Silver ? J’ai peut-être mal entendu, mais as-tu insinué que tu voulais me voler ma proie ?

— Je ne crois pas avoir dit ça. Peut-être que tes oreilles ont un problème. Si tu es un chevalier, va protéger l’Empereur. Je me charge de ces deux-là.

— Toi ! C’est exactement la même chose ! C’est toi qui devrais reculer ! C’est moi qui les ai repérés la première !

— Et pourtant, l’Empereur semble bien vulnérable, non ?

— C’est un ordre direct de Sa Majesté ! Et puis je ne peux pas leur pardonner ! Ils ont osé prononcer les mots que je déteste le plus ! J’ai déjà décidé de les abattre moi-même… Recule, ou je t’abattrai aussi.

Terrifiant.

Elle est complètement furieuse.

Mais qu’est-ce qu’ils ont bien pu lui dire ? Sérieusement. Et moi qui comptais sur elle pour aller aider Leo…

— Ha ! Tu es bien insouciante. N’est-ce pas une bonne chose qu’un héros et un aventurier de rang SS soient ici ? À présent, nous sommes tous à égalité, non ?

— À égalité ? J’aurais plutôt dit que vous êtes en complète infériorité numérique.

 

 

— Silver. Tu ne sais pas ce qu’il se passe en bas ? Même maintenant, l’empereur pourrait être tué, tu sais ? On n’avait pas le choix, puisque cette héroïne-là semble vouloir nous affronter quoi qu’il arrive. Et si tu allais plutôt l’aider ? Si tu es un aventurier de la capitale impériale, l’empereur doit être important à tes yeux, non ?

C’était vrai, ils étaient maintenant en infériorité. Il valait mieux que l’un de nous deux descende leur prêter main-forte. Si c’était maintenant. Cependant, ces types faisaient une grave erreur.

— Je n’appartiens pas à l’Empire. J’appartiens à la guilde. Les aventuriers œuvrent à protéger les gens sur tout le continent, mais nous n’avons aucune obligation de protéger les nations. Après tout, nous n’acceptons pas de paiement de leur part. Honnêtement, cela m’est égal si l’empereur meurt ici.

— Quoi ?

— Si vous ne voulez pas qu’il meure, demandez à quelqu’un d’autre de le protéger. Moi, je suis ici pour défendre cette ville et ses habitants. Pas les privilégiés. Je protège ceux qui vivent dans ce pays, pas le pays lui-même. Il y a sûrement des gens qui profitaient de l’argent des impôts ou attendaient un poste dans l’administration. C’est à la famille impériale et à ses chevaliers de défendre l’Empire. S’ils ne remplissent pas leur rôle aujourd’hui, alors leur existence n’a aucun sens. Voilà pourquoi je ne ferai jamais leur travail à leur place.

— Leur travail ?

Dean semblait remettre mes paroles en question. Et comme pour lui répondre, ils apparurent. Au sud de Kiel. Au-delà de la horde de monstres, un bruit de pas résonna. Un grondement, semblable au tonnerre, qui se fit de plus en plus fort. Puis un membre de la famille impériale apparut.

— C’est… !?

— Chevaliers ! Moi, Leonard Lakes Adler, huitième prince de l’Empire, je vous donne l’ordre ! Protégez la ville de Kiel ! AVANCEZ !!

Sur ces mots, Leo lança la charge, à la tête de plusieurs milliers de chevaliers.

Les monstres, pris de court, n’eurent pas le temps de réagir à l’apparition soudaine de la cavalerie. Sam et Dean s’apprêtèrent à leur barrer la route, mais Elna et moi nous dressâmes aussitôt devant eux.

— Silver, faisons ainsi. Je prends celui-là, tu t’occupes de l’autre.

— Excellente idée. J’accepte.

Notre cible respective choisie, nous nous préparâmes au combat. En contrebas, les chevaliers menés par Leo taillèrent à travers les monstres comme un torrent en furie. Les créatures, aveuglées par la rage, ne voyaient rien d’autre que leur chemin droit devant. Elles ne pouvaient rien faire contre une attaque de flanc. Bien sûr, tôt ou tard, elles finiraient par comprendre que les renforts représentaient une menace et se retourneraient contre eux. Mais pour l’instant, tout allait bien.

En attendant, occupons-nous de ces deux-là.

La défense de Kiel venait d’entrer dans sa phase finale.

***

— Kuh ! Maudits humains !

Dean lança d’innombrables balles magiques tout en se déplaçant, mais je le suivais en les interceptant une à une. Le ciel brillait comme un feu d’artifice. Dean semblait frustré par cette scène.

Ces types n’avaient donc pas combattu sérieusement contre Elna. Il était clairement plus fort qu’il ne l’avait laissé paraître. Peut-être économisait-il ses forces pour fuir, mais, voyant que cela n’était plus possible, il avait fini par passer aux choses sérieuses.

Dean fondit sur moi, crocs acérés typiques des vampires en avant.
Il avait compris qu’il ne pourrait pas me vaincre par la magie.
Comme prévu, il était un combattant aguerri.

— Tss !

Je claquai la langue tout en invoquant ma magie pour intercepter sa charge, mais il l’esquiva avec aisance.

Je pensai reculer pour prendre mes distances, mais avant même d’y parvenir, Dean me frappa au ventre.

— Guh !

— Ha ! Qu’est-ce qui ne va pas ?! Aventurier de rang SS !

— Tais-toi !

Il évita la magie que je lançai en riposte et se glissa dans mon dos.
C’était mauvais. Je concentrai ma magie pour renforcer mon corps.

Mais déjà, il avait joint ses deux mains et les abattit sur moi.

Un choc violent, comme si j’avais été frappé par un marteau, me projeta vers le sol, et je sentis mon corps heurter la rue pavée de la ville.

— Aïe… ! Fais pas ce que tu veux, bon sang…

— Qu’est-ce qui ne va pas ? Tu ne peux rien faire contre moi quand je suis sérieux ?

— Qu’est-ce que tu racontes ? T’es pas si fort que ça, hein ? Tu te retiens encore, pas vrai ? Tu crois que ta posture a l’air classe ou quoi ? C’est pathétique !

Je me faisais mépriser par mon ennemi et critiquer par mon alliée. Sérieusement, la vie d’aventurier n’est pas de tout repos.

Mais soit. J’acceptais ça

Pour mon précieux frère. Pour les chevaliers qui se sont impliqués pour lui. Pour le soldat qui aurait dû fuir, mais qui a choisi de rester et de se battre.

Et pour les habitants de cette ville.

Si c’est pour eux, je ne ressentirai même pas une once de douleur.
Cependant… il y a une limite à mon irritation.

— Hum ! J’ai été stupide d’avoir peur et de me cacher devant des gens comme vous ! Vous n’êtes que des humains, après tout !

— Donc tu te cachais vraiment. Même les vampires ont leurs moments de faiblesse, hein.

Sur ces mots, je me relevai comme si de rien n’était. Je n’avais aucune blessure. Évidemment, je n’avais subi aucun dégât.

Dean, d’abord stupéfait, perçut rapidement que quelque chose n’allait pas dans son environnement.

— Guwahhh !! MON BRAS !! Ah, arg… !

— Aïe ! Aïe… ? Ça a guéri ?

Non seulement les soldats de la garnison qui combattaient sur les remparts de Kiel, mais aussi les chevaliers menés par Leo contre la horde de monstres…
Depuis mon arrivée, personne n’était mort.

Quiconque était blessé se voyait instantanément guéri.

— Espèce de salaud… !? Ne me dis pas que tu combattais tout en érigeant une barrière de guérison !?

— Tu n’as pas tout à fait tort.

Ce que j’avais activé n’était pas qu’un simple sort de guérison.

Dès mon arrivée, j’avais érigé un bouclier curatif tout en maintenant ce sort et en en préparant un autre.

Et cette seconde incantation… venait d’être complétée.

— Je combattais tout en maintenant deux sorts de barrière. Et l’un d’eux vient juste de se terminer.

À cet instant,

Un immense cercle magique recouvrit toute la ville de Kiel. De lui jaillirent d’innombrables chaînes qui vinrent ligoter Dean et Sam.

— Quoi !? C’est quoi ça !?

— Bon sang ! Lâche-moi !

— Vous ne pouvez pas les briser. Ces chaînes sont issues d’un ancien sort maudit. Ceux qu’elles capturent se retrouvent affaiblis, accablés par la malédiction.

Eh bien… êtes-vous prêts ?

Vous m’avez frappé de toutes parts pendant que je préparais ces sorts.
Il est temps… de vous faire payer.

7

Les chaînes continuaient de les enchevêtrer. Cela signifiait que la malédiction qui les affaiblissait ne ferait que gagner en puissance. Après les avoir attrapés, je m’élevai lentement dans le ciel. À présent, ils étaient plus faibles que des insectes. Il ne me restait plus qu’à m’en débarrasser.

— La force des vampires provient de leur immense pouvoir magique. Vous avez peut-être une longue vie, mais sans votre magie, votre force physique n’est guère différente de celle des humains. En d’autres termes, si je scelle simplement votre magie, il n’y a plus rien à craindre.

— Hé ! Pourquoi ces chaînes me poursuivent-elles aussi ?

— …

J’essayais de faire quelque chose de classe, mais cette femme avait tout gâché.

En la regardant, on aurait dit que les chaînes la prenaient vraiment pour cible. Peut-être qu’elles se contentaient de faire leur travail en capturant ceux qui me sont hostiles.

En réalité, pourquoi ne l’avaient-elles pas encore attrapée ? Était-elle vraiment humaine ? Le sort s’était déclenché alors qu’elle ne se méfiait même pas de moi.

— Désolé. On dirait qu’elles essayaient simplement d’attraper ceux qui me sont hostiles.

Lorsque j’arrêtai les chaînes d’un regard, Elna, haletante comme si elle était à bout de forces, me lança un regard noir.

En me moquant d’elle, je vis son visage s’empourprer.

— Toi !! Pourquoi essayais-tu d’attraper ton alliée avec ces chaînes ?

— Les chaînes ne réagissent pas à ceux qui me considèrent comme un allié. Tu étais simplement trop hostile à mon égard. De plus, tu ne devrais pas avoir de mal à te débarrasser des chaînes d’un type comme moi, non ?

— Espèce de sale… ! Tu m’en voulais depuis le début, pas vrai ? Il y a des limites à la mesquinerie, tu sais ? J’étais même inquiète pour toi quand tu t’es fait frapper par ce type !

— Tu t’inquiétais, hein. Les gens autour de toi doivent avoir du pain sur la planche.

Le visage d’Elna était désormais cramoisi. On ne pouvait plus parler de simple colère.

C’était amusant de la taquiner ainsi, mais mes premiers clients m’attendaient.

— Toutes mes excuses. J’ai été retardé par l’héroïne garçon manqué là-bas. Où en étions-nous ? Ah, oui… il n’y a aucune raison d’avoir peur d’un vampire dont la magie a été scellée, n’est-ce pas ?

— ESPÈCE DE SALAUD ! NE NOUS REGARDE PAS DE HAUT !

— DÉLIE-NOUS ! SANS ÇA, JE POURRAIS RÉDUIRE EN PIÈCES UN TYPE COMME TOI EN UN RIEN DE TEMPS !

— Si vous pensez pouvoir vous en libérer, allez-y, essayez. Mais vous n’y parviendrez pas, même en y consacrant votre vie entière. Bien… il est temps de vous repentir. Avez-vous quelque chose à dire ?

Sur ces mots, je concentrai une grande quantité de pouvoir magique dans mes mains. Ce sort était différent de tous ceux que j’avais utilisés jusqu’à présent.
En voyant cela, Sam et Dean commencèrent à transpirer abondamment.

— Attends, attends… ! Tu ne nous en veux pas, hein ? Si tu nous laisses partir, nous te serons éternellement reconnaissants !

— De la rancune, hein… Ce n’est pas comme si je n’en avais pas.

La personne qui avait visé Finne avec sa magie tout à l’heure, c’était Dean.
Quand j’y repensais, ma colère suffisait à les tuer mille fois.

Le simple fait qu’il ait dirigé sa magie contre elle. Le fait qu’il l’ait mise en danger.

Même si Finne n’avait pas été blessée, cela méritait une punition.

— Qu’est-ce qu’on t’a fait, au juste ? Tu n’es pas ici à la demande de la guilde, n’est-ce pas ? Si tu veux nous tuer, tu dois le faire sur ordre de la guilde !

— Les humains sont compliqués, tu sais. On ne sait jamais d’où viennent leurs rancunes. Et puis, même si je ne réponds pas à une demande de la guilde, je reste un aventurier. Cela ne change rien, où que je sois. Il est de mon devoir de protéger les habitants de ce continent contre les monstres. Qu’il y ait une demande ou non.

— Mais nous ne sommes pas des monstres !

— C’est la guilde qui vous a désignés comme tels. Et vos actes ne diffèrent en rien de ceux d’un monstre. Hé, vous n’avez rien d’autre à dire ? Si vous me révélez l’identité de la personne qui vous a ordonné de faire cela, je pourrais peut-être arrêter ce héros pour vous, qui sait ?

Pendant que je leur parlais, ma puissance magique s’accumulait peu à peu.

Peu importe la façon dont on le voyait, l’attaque que je préparais était clairement excessive. Ces deux-là devaient comprendre qu’ils mourraient s’ils la prenaient de plein fouet.

Pourtant, malgré l’expression terrifiée de Sam et Dean, ils ne dirent rien.

Soit ils serraient les dents, soit ils étaient véritablement pétrifiés. Je n’arrivais pas à les imaginer capables d’affection ou de loyauté envers qui que ce soit. Cela ne pouvait être que la peur, hein.

Un génie redouté même par un chasseur de primes de rang S, hein ? Mais qui cela pouvait-il bien être ?

— Dépêchez-vous de parler. Sinon, je vous tue.

— N-Nous sommes de fiers vampires ! Ne crois pas que nous allons céder à des humains !

— Ah bon. Alors finissons-en. J’ai déjà terminé mes préparatifs.

Le plus surpris par ces mots, ce fut moi-même. Les vampires ne l’avaient peut-être pas remarqué, mais si Elna avait pris le temps de se préparer, c’était sûrement pour cela.

— E-Elna von Amsberg ! Ne me dis pas que tu comptes invoquer l’Épée Sacrée !?

— Et si c’était le cas ?

— Ma magie suffit à ça ! Tu comptes détruire toute la ville !?

— Je vais ajuster la puissance pour que tout se passe bien. Une certaine personne a retenu les ennemis pour moi, je peux donc l’invoquer sans crainte.

— O-Oi…

— Je suis membre de la maison Amsberg. Anéantir les ennemis de l’Empire est mon devoir. Je ne leur pardonnerai jamais !

Elna leva la main droite vers le ciel. Puis :

— Écoute ma voix et descends ! Épée étoilée brillante ! Le héros a besoin de toi !!

Une lumière blanche jaillit du ciel. Elna la saisit, et dans un éclat d’étincelles blanches, elle se transforma en une épée argentée étincelante.

Il y a cinq cents ans, cette lame permit au héros de vaincre le roi démon Aurora.
Forgée à partir d’une météorite, elle pouvait trancher toute chose existante et ne laissait passer aucune forme de mal.

En raison de son pouvoir colossal, elle avait été scellée par la première génération de la lignée héroïque des Amsberg, et ne pouvait être invoquée que par ceux qui possédaient le don.

En d’autres termes, être capable d’invoquer cette épée signifiait que l’on possédait les qualités requises pour devenir un héros.

Elna l’avait invoquée à l’âge de douze ans à peine. C’est ce qui lui valut d’être qualifiée de prodige.

— !?

Comme on pouvait s’y attendre de l’épée qui avait jadis vaincu le roi démon, sa seule présence suffisait à en imposer.

Si elle était maniée par quelqu’un du calibre d’Elna, cette personne devenait tout simplement invincible. C’est la raison pour laquelle la maison Amsberg est redoutée par les autres nations. Grâce à cette Épée Sacrée de l’Étoile, une armée entière peut être balayée d’un seul coup. Cela dit, elle n’a été invoquée que dans de rares cas pour combattre une armée.

Après tout, elle l’est rarement. La seule personne à l’invoquer sans raison valable, simplement parce qu’elle est de mauvaise humeur, c’est sans doute Elna.

— Maintenant… préparez-vous.

— Bon sang… Je vais t’en laisser un, alors.

— Hum ! Ce sont mes proies avant tout ! C’est moi qui t’en ai cédé un !

— Bon, restons-en là.

Je reculai d’un pas et commençai à psalmodier.

Je n’avais encore entonné aucun chant, mais il valait mieux en réciter un pour maximiser la puissance de ma magie et garantir leur annihilation.

[[Je suis l’usurpateur・L’usurpation est plus sombre que les profondeurs des enfers・Les ténèbres sont plus sombres que l’abîme・Les ténèbres sont plus profondes que la nuit・Les ténèbres de la création・Les ténèbres de la mort・Renvoyez tous ceux qui sont nés des ténèbres là d’où ils viennent —- TÉNÈBRES INFINIES]]

 

Une immense sphère noire émergea au-dessus de moi.

Tandis que sa noirceur menaçait d’engloutir toute chose, la lumière blanche de l’Épée Sacrée d’Elna s’étendait vers le ciel.

Le noir et le blanc. Les ténèbres et la lumière.

Des attaques aux attributs naturellement incompatibles. Pourtant, ceux qu’elles engloutissent partagent le même destin.

Nous ajustâmes la direction de nos attaques. Il était plus efficace de balayer les monstres d’un seul coup. À ce moment-là, Leo était encore en train de se préparer à percer la horde.

Aussi loin que portait mon regard, je ne voyais personne au milieu de cette masse de monstres. Mais pour éviter tout risque, mieux valait les prévenir.

— Si vous êtes encore parmi les monstres, fuyez !

— Je ne peux pas garantir que vous échapperez à la zone d’impact !

Nous lançâmes tous deux notre avertissement.

Peut-être avaient-ils perçu le danger, car Leo et ses hommes s’éloignèrent aussitôt de la horde, tandis que les soldats de la garnison descendaient du rempart et se mettaient à fuir.

Pendant ce temps, les monstres, cibles de l’attaque, levaient simplement les yeux vers le ciel d’un air absent.

Parmi eux, certains vivaient en petits groupes sans nuire aux humains.
Mais pardonnez-moi. Même s’ils ont été manipulés, je ne pouvais pas fermer les yeux sur le fait qu’ils avaient attaqué des humains.

Tout comme ils attaquent pour protéger leurs semblables, nous devons nous battre pour protéger les nôtres.

C’était le seul remords que je portais dans mon cœur.

Je n’en éprouvais aucun envers les deux individus devant moi.

— Maintenant… serrez les dents.

— Il est temps de vous repentir !

— Hiiiiiiiiiiiiii !?

— Uwaaaaaaaaaaa !!?

La sphère noire engloutit Dean ainsi que l’essaim de monstres.

La lumière de l’Épée Sacrée d’Elna engloutit Sam à son tour, puis balaya les monstres restants.

Alors que nous nous faisions face, nos attaques effacèrent tout… et finalement, il ne resta plus rien.

Aucun cri de victoire ne résonna. Lorsque nous levâmes les yeux, l’Empereur nous observait d’un air las. Peut-être voulait-il nous dire que nous en avions fait trop.

Eh bien, ce n’était pas bien grave. Après tout, la seule qui se ferait gronder, ce serait Elna. Ah, c’est vrai, c’est vrai.

— Votre Majesté ! Cette fois, je n’ai agi qu’à titre personnel, mais… j’espère que vous ne négligerez plus la guilde à l’avenir.

— Fuh… Je vois. Merci pour ta coopération, Silver.

Grâce à cela, la guilde pourra sauver la face. Elle ne devrait pas non plus chercher à poursuivre l’Empire pour cette affaire.

Alors que je m’inclinais devant l’Empereur et que je m’apprêtais à lancer ma magie de transfert, Elna m’interpella.

— Silver.

— Qu’y a-t-il ? Tu as encore des plaintes à formuler ?

— Oui, j’en ai beaucoup. Mais je ne vais pas les exprimer maintenant. Tu nous as sauvés, cette fois. Je te remercie tout particulièrement d’avoir protégé Finne. Cette fille est… l’amie de mon ami d’enfance, après tout.

— Cet ami d’enfance, ce ne serait pas le prince terne, par hasard ?

 

— Vraiment… Tu continues à l’appeler comme ça, même après avoir vu ce qui est arrivé au vampire qui a osé le dire avant toi ? Retire ce que tu viens de dire. Mon ami d’enfance est le meilleur prince qui soit. Je ne laisserai personne se moquer de lui en ma présence !

Elna pointa son Épée Sacrée dans ma direction. Son regard était on ne peut plus sérieux. Elle semblait vraiment prête à se battre contre un aventurier de rang SS, juste pour défendre mon nom.

Tout en lui adressant un sourire amer, je rectifiai :

— Je m’excuse. Si tu le dis avec autant de conviction, c’est sûrement impoli de le qualifier de prince terne. Cela dit, c’est dommage. Avoir une amie d’enfance comme toi doit être plutôt épuisant, hein.

— Quoi !?

— Bon, je vais devoir te laisser.

Sur ces mots, je me téléportai avant qu’Elna ne puisse protester.

J’atterris dans la pièce où Sebas m’attendait, et réveillai mon corps engourdi pour retirer ma robe et mon masque.

— Merci pour ton travail. Prenez donc un peu de thé.

— Merci… Désolé pour tout ça…

— Vous avez l’air vraiment épuisé.

— Oui… c’est normal…

La magie de transfert, la barrière de guérison, la barrière des chaînes maudites, et cette dernière attaque… J’avais dépensé une quantité considérable de puissance magique. Pour être honnête, j’étais déjà proche de mes limites. Il en allait de même pour ma force physique.

e suis crevé… Je vais aller dormir…

— Laissez-moi m’occuper du reste.

Après avoir bu une gorgée de thé, je commençai à somnoler dans mon fauteuil.
J’aurais voulu dormir dans un lit, mais mon corps refusait de m’obéir.

En me voyant ainsi, Sebas me murmura d’une voix douce :

— Vraiment, merci pour votre dur labeur. Vous avez été formidable, Arnold-sama.

— Vraiment… Alors je peux me reposer sans être puni, hein…

Cela faisait bien longtemps que Sebas ne m’avait pas adressé un tel compliment.

Sur cette pensée réconfortante, je me laissai aller et sombrai dans un profond sommeil.

 

 

8

 

Trois jours après l’incident.

J’étais le dernier des enfants de l’Empereur à arriver à Kiel.

Même si les autres n’étaient pas parvenus à temps pour la bataille, ils s’étaient empressés de faire route vers la ville avec leurs chevaliers, et presque tous étaient revenus à Kiel dans la soirée.

— On dirait que vous allez encore vous faire taquiner.

— Laisse tomber.

Tandis que j’échangeais quelques mots avec Sebas, je descendis de la calèche devant le manoir.

Là, un groupe pour le moins inhabituel m’attendait pour m’accueillir.

— Nii-sama… !

— Oh, Christa. Comment vas-tu ?

— J’ai eu peur…

Tenant comme toujours sa peluche en forme de lapin, elle s’approcha à petits pas et se blottit contre moi. Je lui caressai doucement la tête à plusieurs reprises, puis, lui prenant la main, j’entrai dans la demeure.

Les personnes venues m’accueillir étaient Finne, Leo et…

— Bon retour parmi nous, Al.

— Bon retour parmi nous, Votre Altesse Arnold.

— Oui, je suis de retour.

Elna et ses chevaliers avaient formé une haie d’honneur pour m’accueillir.

À première vue, personne ne semblait blessé. Je poussai un soupir de soulagement avant de me tourner vers Leo.

— Elna, c’est normal, mais tu as réussi à arriver à temps, n’est-ce pas ?

— Oui, Silver m’a aidée.

— Comme on pouvait s’y attendre d’un aventurier de rang SS. C’est un homme plutôt compétent, tu ne trouves pas ?

— Al, qu’est-ce qui t’a paru humain chez cet homme ? répliqua Elna, visiblement mécontente.

Je haussai les épaules en guise de réponse.

— N’a-t-il pas sauvé l’Empereur ?

— C’était juste un caprice. Je peux le dire rien qu’en le regardant.

— Peu importe si c’en était un. Il l’a tout de même sauvé. N’est-ce pas, Christa ?

— Hum.

— Tu vois ?

— Tss, c’est injuste de mettre Son Altesse Christa de ton côté !

Sur ces mots, nous franchîmes le seuil du manoir.

En chemin, je croisai le regard de Finne. Elle me répondit d’un doux sourire.
Me disant qu’elle voulait sans doute remettre notre conversation à plus tard, j’en profitai pour interpréter ce sourire à ma convenance et poursuivis mon avancée dans la demeure, toujours avec Christa qui refusait de lâcher ma main.

C’est que mon père m’avait informé qu’il entamerait la réunion dès mon arrivée. Pourtant…

— Tu es en retard, Arnold. Qu’est-ce que tu faisais ?

— Tiens, si ce n’est pas Erik-aniue. J’attendais une escorte, puisqu’aucun chevalier n’était disponible pour me raccompagner. Je m’excuse de mon retard.

— Je n’ai que faire de tes excuses. Je parie que tu ne l’étais même pas, désolé, pas vrai ?

L’homme aux cheveux bleus et aux lunettes. Le deuxième prince, Erik, se tenait devant nous.

Malgré ses lunettes, son regard était perçant. Comme s’il évaluait en permanence la valeur de tout ce qui l’entourait.

Peut-être trouvait-elle ce regard inquiétant, car Christa se cacha aussitôt derrière moi.

— Je suis désolé. Plus ou moins.

— Peut-être n’ai-je pas été assez clair. Tu n’es pas désolé pour nous, pas vrai ? Tu as toujours été comme ça.

— Eh bien, dit comme ça, je dois admettre que c’est vrai. Je n’ai dérangé personne, après tout.

Les seules personnes pour lesquelles j’éprouvais de la compassion étaient celles qui m’étaient proches. Je ne ressentais absolument rien pour Erik, mes autres frères et sœurs, ni même pour mon père. En entendant ma réponse, Erik esquissa un sourire.

— Tu es intéressant, Arnold. Tu as bien fait d’envoyer Elna en première ligne. Continue à prendre de bonnes décisions à l’avenir. Si tu as de la valeur à mes yeux, alors, comme Leonard, je ne te ferai aucun mal.

— Tu parles comme si tu étais déjà empereur.

— Je suis le prochain empereur. Peu importe les efforts que fourniront Gordon, Zandra ou même toi, cela ne changera rien. Souviens-t’en bien.

Sur ces mots, Erik balaya lentement l’assemblée du regard, jusqu’à s’arrêter sur Leo. Ce dernier soutint son regard sans vaciller. Oui, même face à Erik, il ne baissait pas les yeux.

— Ne prends pas la grosse tête.

Je m’en souviendrai. Erik-aniue.

Nous restâmes silencieux alors qu’Erik tournait les talons et s’enfonçait dans le manoir. Ce qui venait de se produire était une déclaration de guerre.

Cette fois, nous avions tous deux gagné en crédibilité : moi, en envoyant Elna en avant, et Leo, en conduisant les chevaliers au combat.

Même si nous avions reçu l’aide de Silver, ces actes avaient renforcé notre position. Ce qu’Erik venait de déclarer, c’était que si nous prenions trop d’assurance, il nous écraserait.

Nous ne pouvions plus ignorer le candidat au trône le plus influent.
Mais même ainsi, ce n’était qu’un avertissement. Il ne possédait sans doute pas encore la carte qui lui permettrait de nous abattre à sa guise.

En revanche, si nous devenions trop puissants, il n’hésiterait pas à s’allier à Gordon et Zandra pour nous écraser. C’est exactement ce que je ferais à sa place.

— Nii-sama…

— Qu’y a-t-il ? Tu as peur ?

— Tout va bien. Il ne te fera rien, Christa. Et nous non plus, nous n’avons rien à craindre.

En voyant Christa acquiescer avec un sourire, nous reprîmes notre avancée.

— Ah, Leo. Si père te pose des questions, contente-toi de lui répondre ceci…

En marchant, je me penchai légèrement pour murmurer à Leo.

Leo écarquilla les yeux, mais je poursuivis, afin de m’assurer qu’il m’avait bien entendu.

— Tu as compris ?

— C’est vraiment ce que je dois dire ?

— Oui. Tu es le seul à pouvoir le faire. Et ce sera aussi mieux pour lui.

 

***

 

Après l’incident, mon père était resté à Kiel pour superviser la reconstruction.
Mais ce n’était là qu’une fonction officielle. Les dégâts causés par le tsunami n’étaient pas si importants.

En réalité, mon père menait une enquête pour découvrir qui d’autre était impliqué dans cette agitation. Et peut-être parce qu’elle avançait, il avait attendu mon arrivée pour convoquer ses enfants ainsi que les chevaliers impériaux à une réunion.

— Bon travail à tous, déclara mon père, le visage visiblement fatigué.

C’était compréhensible. Il s’était rendu lui-même sur le champ de bataille, malgré son âge, et avait continué à travailler sans relâche par la suite.
Et par-dessus tout, il venait d’apprendre que son propre fils, le plus stupide, était lui aussi profondément impliqué dans l’affaire.

— Cette fois, je n’ai convoqué que ceux qui ont besoin d’être mis au courant. Ce que je vais vous révéler est confidentiel. La nuit dernière, Carlos, qui était grièvement blessé, a repris connaissance. Après avoir examiné les preuves recueillies ces derniers jours, j’ai conclu qu’il avait collaboré avec ces deux vampires. Carlos a éliminé les monstres attirés par la flûte qu’ils possédaient et a été le premier à arriver sur place. Il a ensuite coopéré avec eux pour attaquer Kiel, à condition qu’ils battent en retraite à son arrivée, et qu’en échange, il retire leur prime. C’est d’une stupidité absolue !

— En d’autres termes… c’était Carlos qui, dès le départ, avait l’intention d’attirer ces monstres ?

— Exactement. Il a certes été manipulé par ces vampires, mais il l’a aussi fait dans son propre intérêt, mettant en danger ma personne… et bien sûr, l’Empire. Je ne peux absolument pas lui pardonner cela !

Les yeux de mon père étaient injectés de sang. Il ne parvenait visiblement pas à contenir sa colère.

Pourtant, Erik s’agenouilla devant lui.

— Votre Majesté. Je vous en prie, faites preuve d’indulgence dans votre jugement. Aussi stupide qu’il ait été, cela reste mon frère.

Un mensonge éhonté.

Gordon et Zandra le suivirent aussitôt. Évidemment, ils ne défendaient pas Carlos par sympathie. Et tout le monde en avait parfaitement conscience.

Car tous savaient que c’était ce qu’attendait l’empereur. S’il avait vraiment eu l’intention d’exécuter Carlos, il l’aurait déjà fait. Il n’avait pas besoin de nous réunir et de jouer la colère de cette façon.

Non. L’empereur ne pouvait se résoudre à pardonner de son propre chef. Il avait besoin qu’Erik et les autres s’y opposent pour que ce pardon prenne forme.

Autrement, il ne pourrait pas préserver sa dignité d’empereur.

De toute façon, il n’était plus nécessaire de tuer Carlos.

Après avoir été attaqué par Sam, il avait perdu sa main droite et le contrôle de la moitié inférieure de son corps. Il passerait le reste de sa vie alité. Même un père, face à un tel état, ne pouvait sans doute pas porter le coup de grâce à son propre fils.

Cependant, continuer ainsi serait néfaste. Si tout le monde plaidait en faveur de Carlos, cela reviendrait à dire que l’empereur avait cédé à une supplique. Et cela porterait atteinte à sa réputation.

— Leonard. On peut dire que c’est ta première réussite. Quel est ton avis sur la question ?

— Alors permettez-moi de m’exprimer. Votre Majesté ne devrait pas lui accorder son pardon. Il devrait être décapité.

À ces mots, tous les visages se figèrent.

Car ils venaient de la dernière personne qu’on aurait attendue.

Même mon père semblait quelque peu décontenancé.

— … Pourquoi dis-tu cela ? Ce n’est pas ton frère ?

— Avant d’être mon frère, c’est un rebelle qui s’est soulevé contre l’Empire. Si Votre Majesté lui accorde son pardon, cela créera un précédent fâcheux. Comment pourrais-je l’expliquer aux chevaliers qui ont risqué leur vie pour nous protéger ?

— Cela ne sera pas rendu public. Ni auprès du peuple, ni auprès des chevaliers. Cela restera entre nous. Tu n’as pas à t’en préoccuper.

— Même ainsi, c’est inacceptable. Votre Majesté devrait être honnête et présenter la tête du rebelle au peuple, pour leur prouver que vous êtes juste et équitable. Même s’il s’agit de votre fils, vous devez le juger pour ses crimes. Cela apaisera les esprits.

Leo avait parlé d’un ton ferme.

Désormais, les avis étaient partagés. Quel que soit son choix, l’Empereur aurait une justification. Autrement dit, il pouvait à présent s’en servir comme prétexte. S’il décidait d’épargner Carlos, cela ne signifierait pas qu’il méprisait Leo.

C’est pourquoi, même si Leo ne dépasse pas encore Gordon, les circonstances ont été arrangées pour que Leo devienne ambassadeur plénipotentiaire.

Tout se déroule selon les plans de mon père.

Satisfait, ce dernier me jeta un coup d’œil. En voyant mon expression détendue, il afficha une légère moue.

— C’était ton idée ?

— Que voulez-vous dire ?

— Haa… bon, très bien. Je respecterai l’opinion d’Erik et des autres, et j’épargnerai Carlos. Cependant, Leonard. Ta réussite ne peut plus être ignorée.

Sur ces mots, mon père appela Leo à s’avancer. Ce dernier s’exécuta avec grâce et s’agenouilla devant lui.

Mon père dégaina son épée et la tendit à Leo, qui la reçut avec solennité.

— Fais-en bon usage. Je ne l’avais pas prévu ainsi, mais… Leonard, je te déclare vainqueur de ce festival. Carlos ayant été disqualifié, et Arnold, arrivé deuxième, également, tu te retrouves à égalité avec Gordon pour la troisième place. Cependant, tu as conduit les chevaliers au secours de Kiel, et tu jouis désormais d’une immense popularité dans l’est. Te déclarer vainqueur est nécessaire pour apaiser le mécontentement du peuple. Tu comprends, Gordon ?

— … Je me plie à la volonté de Votre Majesté.

Gordon s’inclina, le visage crispé.

Sa voix tremblante trahissait sa frustration.

Mais il ne pouvait contester le jugement de l’Empereur. Il n’avait aucun argument valable pour le faire.

À cet instant, Elna s’avança à son tour et s’agenouilla devant lui.

— Votre Majesté. Permettez-moi de vous adresser une requête.

— De quoi s’agit-il ?

— Je vous en prie, annulez la disqualification de Son Altesse Arnold. S’il a agi ainsi, c’était pour envoyer ses chevaliers à Kiel. C’est un geste louable.
Il ne mérite pas la stigmatisation que représente cette disqualification.

— Nous vous en supplions, Votre Majesté !

À la suite d’Elna, ses hommes s’agenouillèrent d’un seul mouvement.
Mon père ferma les yeux.

Puis :

— Arnold… tu as brisé ton bracelet par erreur, n’est-ce pas ?

— Oui. Je l’ai cassé accidentellement.

— Alors la disqualification ne peut être annulée. Ce serait différent si tu l’avais cassé intentionnellement, et si tu avais expressément envoyé Elna ici. Mais les règles sont les règles. La victoire revient à Leonard.

Elna me regarda, comme si elle n’arrivait pas à croire ce que j’avais fait. Je l’ignorai.

Même si je prétendais avoir envoyé Elna exprès, cela ne changerait rien. Je ne serais pas nommé ambassadeur plénipotentiaire.

Au mieux, je recevrais quelques éloges. Mais comme l’a dit mon père plus tôt, Leonard devait être désigné vainqueur, en raison de sa popularité dans l’est.

Personne n’accepterait que je l’emporte.

C’est pourquoi il valait mieux passer pour un prince stupide ayant brisé son bracelet par mégarde. C’est ce que je pensais… mais.

— Cela dit, il est également vrai qu’Elna m’a sauvé. Autrement dit, j’ai été sauvé grâce à l’erreur d’Arnold. Et je compte le récompenser pour cette erreur.

— Hein ?

— Je nommerai Arnold ambassadeur adjoint. Tu accompagneras Leonard et tu le seconderas.

— … Père ?

— C’est Votre Majesté, Arnold.

— Euh… Je… Je doute d’avoir les compétences requises…

— Tu peux laisser tout le reste à Leonard. Trouve au moins une tâche à ta portée, et prouve-moi que tu en es capable. La discussion est close. J’en ferai l’annonce officielle demain. Tout le monde, reposez-vous.

Sur ces mots, mon père se leva de son siège.

Puis, en s’éloignant, il se tourna vers moi avec un sourire malicieux. Ce fichu père… Il l’a fait exprès… !

Bon sang ! Il a ruiné tous mes plans !

Si Leo et moi quittons l’Empire, qui restera-t-il pour diriger notre faction ?
Sérieusement ?

J’étais totalement abasourdi par ce retournement inattendu. En revanche, mes rivaux affichaient un sourire satisfait.

C’est mauvais… Si nous restons sans rien faire, notre faction sera démantelée en notre absence.

— C’est génial, non ? Al ?

— …

— Qu’est-ce qu’il y a ? Al ?

— Comme prévu, ne t’implique plus avec moi…

POURQUOI ?!

Je me tins le front et repoussai Elna, toute joyeuse. Mais je comprenais. Ce n’était pas sa faute.

Je m’attendais à ce qu’elle plaide pour que ma disqualification soit annulée.
Ce qui m’avait pris de court, c’était la réaction de mon père.

S’il avait agi ainsi, c’était sans doute parce que j’avais eu l’air trop détaché.
Il devait être agacé d’avoir le sentiment que je me jouais de lui.

C’était entièrement de ma faute…

La réunion se conclut donc sur cette vision de moi, la tête entre les mains, accablé par l’absurdité de la situation.

 

 

[1]  Proverbe japonais signifiant « faire quelque chose qui est voué à l’échec ».

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