THE INSIPID prince t1 - chapitre 1
Duché de Kleinert
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Traduction : Moonkissed
Correction : Calumi
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1
— Et si nous commencions par révéler la véritable identité de l’aventurier de rang SS, Silver ?
— Refusé.
Une fois revenu dans ma chambre, je consultai Sebas au sujet de la marche à suivre.
Sebas était le seul à savoir que j’étais Silver. Il y avait certes des avantages à révéler mon identité, mais également de nombreux inconvénients.
— Mon arrière-grand-père s’était consacré à la magie ancienne, ce qui l’avait corrompu. Depuis, cette magie est devenue un tabou au sein de la famille impériale. La magie que j’utilise relève elle aussi de la magie ancienne. Ce ne serait pas une bonne idée de révéler que j’y ai recours, alors que mon frère jumeau vise le trône.
— Cependant, Silver a sa propre renommée, et des exploits qui lui sont attribués. On dit qu’il est le plus grand aventurier de toute l’histoire de l’Empire. Cela ne serait-il pas bénéfique au prince Leonard ?
— C’est encore trop tôt. Si nous n’avons plus d’autre option, nous utiliserons cette carte en dernier recours. Tant que Leo vise le trône, il est plus utile pour moi de rester, aux yeux de tous, un prince incompétent.
— Cependant…
— C’est plus simple ainsi, pour moi.
— … Si vous avez déjà pris votre décision, je n’ai rien à redire. Mais que comptez-vous faire ? Sans révéler votre identité, vos possibilités restent limitées, n’est-ce pas ?
— Sebas. Existe-t-il une maison ducale qui n’a pas encore pris part à cette guerre de succession ?
— Il y en a une. Une seule maison ducale est restée en retrait jusqu’à présent.
— Laquelle ?
— La maison Kleinert.
Une maison prestigieuse, n’est-ce pas ?
Une maison ducale était une famille apparentée à la famille impériale. Ce titre était accordé aux frères de l’empereur jugés excellents, mais qui n’avaient pas été désignés comme successeurs. Certains l’avaient obtenu grâce à leurs hauts faits, mais dans ce cas, on leur avait donné en mariage un membre de la famille impériale. Il n’y avait donc aucun inconvénient à les considérer comme des parents directs de la famille impériale.
Pour ces maisons ducales, la lutte pour le trône représentait un événement crucial.
Soutenir efficacement le prochain empereur leur assurait de grandes récompenses. C’est pourquoi chacune d’entre elles entretenait des liens, d’une manière ou d’une autre, avec les prétendants à la succession. Ne pas le faire laissait supposer qu’elles faisaient face à un problème plus grave.
— Le fait qu’ils n’aient toujours pas pris part à cette guerre à ce stade signifie qu’ils ont quelque chose à craindre, n’est-ce pas ?
— Vous avez bien compris. Il semble qu’un monstre horrible sévisse sur leur territoire. Ils ont fait appel à des aventuriers, mais ils ne semblent toujours pas savoir comment résoudre la situation.
La guilde des aventuriers possédait des succursales dans tout le continent.
Il y en avait beaucoup au sein de l’Empire, mais le niveau des aventuriers variait selon les régions.
Dans l’Empire, à l’exception de la succursale de la capitale impériale, les autres n’étaient pas particulièrement réputées. Même la meilleure d’entre elles, mise à part celle de la capitale, ne dépassait les autres que de peu.
La raison en était simple : peu de monstres apparaissaient sur le territoire impérial. C’était un bon signe de paix, bien sûr, mais l’absence de monstres signifiait aussi un manque de travail. Les aventuriers expérimentés finissaient donc par se diriger vers des zones plus actives.
En conséquence, l’Empire mettait souvent un certain temps à résoudre les problèmes liés aux monstres. Faire venir des aventuriers de l’extérieur coûtait cher, après tout.
— Dois-je les aider ?
— Je pense que c’est une bonne idée, mais comment comptes-tu établir le lien entre Silver et le prince Leonard ?
— Je peux simplement dire que j’ai été envoyé à sa demande. Je lui expliquerai les détails plus tard. Il n’y aura pas de problème.
— Ils se méfieraient davantage du prince Leonard s’il était capable de mobiliser un aventurier de rang SS qui ne quitte jamais la capitale, comme Silver. Si cela arrivait, ils pourraient faire le lien entre le prince Arnold et Silver, non ?
— Ce n’est pas grave s’ils commencent à se méfier de lui. S’ils croient qu’il est lié à Silver, ils hésiteront à agir contre lui. Quant à l’identité de Silver, tant que je reste prudent, il n’y aura pas de souci.
— Je ne vous en empêcherai pas si vous êtes aussi sûr de vous. Mais souvenez-vous qu’il y a une grande différence entre révéler une chose… et se la faire découvrir.
— Je sais. Bon, je vais me rendre au duché de Kleinert.
Sur ces mots, je repris l’apparence de Silver, à laquelle j’étais déjà habitué, et demandai à Sebas de s’occuper des affaires ici pendant que je préparais la magie de transfert.
Il s’agissait d’une magie abandonnée par une ancienne civilisation. Ce qu’on appelait les magies anciennes était bien plus complexes à manipuler que celles d’aujourd’hui, et elles possédaient de nombreuses particularités. Mais en contrepartie, leurs effets étaient immenses.
Ma magie de transfert, par exemple, me permettait d’atteindre presque n’importe quel endroit de l’Empire. À mes yeux, l’Empire tout entier ressemblait à mon jardin : je pouvais aller où je voulais, quand je le voulais.
En échange, cette magie consommait une quantité énorme d’énergie magique.
Mais je n’avais pas d’autre choix que d’en accepter le coût.
Alors que je me concentrais pour invoquer cette grande magie, Sebas me glissa un dernier conseil :
— Au fait… La fille du duc Kleinert, c’est cette [Blaue Möwe], la beauté sans pareille. Faites attention à ne pas vous laisser distraire par son charme… et oublier votre objectif.
— Sebas. J’ai toujours pensé que tu ne pouvais vraiment pas te calmer tant que tu ne m’avais pas grondé, hein ?
— C’est mon devoir, après tout.
— Haa… Je te laisse t’occuper du reste.
— Comme vous voudrez.
Une fois le sort de transfert achevé, je me rendis aussitôt du centre de la capitale impériale jusqu’au duché de Kleinert, un trajet qui aurait normalement pris au moins cinq jours.
***
Le duché de Kleinert était un vaste territoire situé à l’ouest de l’Empire.
Je m’étais téléporté dans la [capitale] du duché, au centre du territoire où résidait son seigneur, et m’étais immédiatement dirigé vers le manoir du duc.
Cependant…
— Je suis Silver, aventurier de rang SS. Je souhaiterais demander une audience avec le duc.
— Toi ? Silver ? Ne dis pas de bêtises. Si un personnage aussi important était venu nous rendre visite, la guilde des aventuriers nous aurait prévenus plusieurs jours à l’avance. Arrête ton numéro et retourne d’où tu viens.
C’est ce que me répondit un jeune gardien blond. L’idée de le rôtir vif me traversa l’esprit un instant, mais cela aurait complètement contredit l’objectif de ma visite. Réprimant mon irritation, je sortis ma carte d’aventurier, qui permettait de prouver mon identité. Elle indiquait le nom, le rang de l’aventurier, et d’autres informations. Ces cartes, forgées grâce à une technique secrète de la guilde, étaient impossibles à contrefaire. Si je lui montrais ça…
— Tu n’as pas besoin de me montrer ta carte. Retourne d’où tu viens ! J’ai du travail !
— Quoi ?!
Sans même y jeter un œil, le gardien me repoussa. Son attitude me fit grimacer, mais elle m’offrait en réalité une bonne opportunité. À l’origine, je comptais les aider pour les mettre dans notre dette… mais dans ce contexte, il existait un moyen de les rendre encore plus redevables.
— Même si je suis venu jusqu’ici à la demande spéciale du prince Leonard… Il semble que le prince soit bien trop bon pour vous. Dites donc au duc que vous avez bafoué ma dignité… et la sienne.
— Pourquoi je ferais ça ? Va-t’en !
Le gardien resta arrogant jusqu’au bout. Le duc de Kleinert avait beau appartenir à une maison prestigieuse, sa famille n’avait pas une longue histoire comparée à d’autres grandes lignées de la noblesse.
Qui aurait cru qu’un homme aussi grossier gardait la demeure d’un tel seigneur ? Peut-être manquaient-ils de personnel à cause de la crise des monstres. Mais au final, la faute d’un vassal rejaillissait toujours sur son seigneur.
Je me sentais un peu désolé pour le duc… mais j’allais quand même le faire paniquer un peu.
Alors qu’un sourire calculateur se dessinait derrière mon masque, j’aperçus une jeune fille me regardant depuis la fenêtre du deuxième étage du manoir.
Même de loin, sa beauté était éclatante. Une chevelure blonde, des yeux bleus : je reconnus aussitôt cette silhouette.
Il y a deux ans, l’empereur avait ordonné aux artisans du pays de créer des ornements pour cheveux en forme d’oiseaux. Un magnifique ornement bleu en forme de mouette avait alors attiré son attention.
Séduit par sa finesse, l’empereur avait déclaré que seule la plus belle femme de l’Empire était digne d’un tel bijou. Il avait alors rassemblé toutes les beautés de l’Empire dans la capitale. Et bien qu’elle n’ait eu que quatorze ans à l’époque, Finne von Kleinert, la fille du duc Kleinert, avait été choisie comme la plus belle.
On lui avait offert le bijou en forme de mouette bleue, elle fut surnommée Blaue Möwe et devint l’objet de l’admiration de tous les hommes de l’Empire.
En deux ans, sa beauté s’était encore accrue bien au-delà de ce que j’aurais pu imaginer. Mais…
— Elle est certes belle, mais pas aussi séduisante que ce que Sebas avait dit.
Me souvenant de ses paroles, je quittai le duché à contrecœur et retournai dans la capitale impériale.
— … Ça a été rapide.
— J’ai déjà fait ce que je pouvais ! Nous repartons pour le duché de Kleinert. Prépare-toi.
— … Vous venez juste de rentrer ?
— C’était Silver. Le prochain à partir, c’est le prince Arnold. Fu, le duc n’a plus d’autre choix que de se plaindre auprès de Leo. Il est presque certain qu’il deviendra notre allié.
— Vous avez un sourire bien malicieux, vous savez ?
J’ignorai Sebas et commençai à préparer mes affaires. Me voyant fredonner tout en faisant mes bagages, Sebas poussa un soupir résigné et se mit lui aussi à se préparer.
Nous nous rendîmes au duché de Kleinert à cheval et y arrivâmes cinq jours plus tard.
***
Après être entrés dans la capitale du duché, nous nous dirigeâmes immédiatement vers le manoir du duc, où cette fois, le duc Kleinert vint personnellement nous accueillir.
C’était tout à fait naturel : nous avions pris soin de l’informer de notre visite à l’avance. Cependant, si le duc était venu m’accueillir en personne, c’était aussi parce que j’étais un membre de la famille impériale.
Les autres ducs, eux, ne se seraient pas dérangés.
Après tout, j’étais ce prince à la mauvaise réputation, celui qui ne convoitait pas le trône, un bon à rien qui passait son temps à s’amuser et laissait tout à son frère, le prince terne. Je me demandais bien pourquoi le duc Kleinert m’accueillait avec autant de respect et de courtoisie.
— Votre Altesse. Cela fait longtemps.
— Cela fait longtemps, duc Kleinert. Combien de temps, exactement ?
— Depuis votre dixième anniversaire, Votre Altesse.
Un homme d’âge mûr, aux cheveux blonds soigneusement coiffés et à la moustache bien taillée. Le duc Elmer von Kleinert.
Il régnait sur son territoire depuis plusieurs décennies, ayant succédé jeune au précédent duc. Sa personnalité douce était très appréciée de son peuple comme des autres nobles, et il faisait partie des rares ducs en qui l’empereur actuel avait pleinement confiance.
— Tant de temps ? Je sors rarement de la capitale, après tout. Il semble que je me sois éloigné des seigneurs féodaux. Pardonnez-moi.
— Il n’y a pas lieu de vous excuser. C’est moi qui n’ai pas pu quitter mon territoire pour me rendre dans la capitale.
Nous entrâmes dans le manoir tout en échangeant des politesses formelles.
De nombreux domestiques nous suivaient, mais seuls le duc, Sebas et moi-même pénétrâmes dans la salle de réception.
— Bien, duc. Je n’ai pas beaucoup de temps, alors je vais entrer dans le vif du sujet.
— Oui, Votre Altesse. Quelle est la raison de votre visite ?
— Vous êtes bien cruel de vouloir parler affaires si vite. Bien sûr, nous sommes ici pour discuter de notre compensation.
— Compensation ?
— Mon frère ne réclame rien en retour, mais puisqu’il est impliqué dans la guerre de succession, nous ne pouvons pas nous permettre d’agir gratuitement. Voilà pourquoi je suis venu vous le rappeler. Duc Kleinert, si vous ressentez la moindre gratitude envers Leo, je veux que vous le souteniez.
— A-attendez un instant. Pourquoi devrais-je être reconnaissant ?
— … Duc. Allez-vous prétendre ne pas savoir ?
Le duc Kleinert, visiblement perdu, afficha un air perplexe.
Notre conversation ne mènerait à rien dans ces conditions. Nous avions envoyé Silver pour l’aider, mais le duc n’était même pas au courant de sa venue. Je le savais… mais si nous partions d’une base commune, cela simplifierait les choses.
— Vous êtes un duc respecté, digne de la confiance de l’empereur et de votre peuple. Leo l’a compris et s’est donné du mal pour vous venir en aide. Que penserait-il, en apprenant que vous le remerciez de cette façon ?
— Votre Altesse Arnold. Je ne comprends vraiment pas. Je suis désolé, mais je n’ai connaissance d’aucune action de Son Altesse Leonard en faveur de notre duché.
— Quoi ?
Je fis un pas en arrière, comme accablé.
Sebas, qui attendait ce moment, m’arrêta d’un geste.
— Votre Altesse. Il semble que le duc ne soit vraiment pas au courant.
— Il ne serait pas au courant ? Leo a mobilisé un aventurier de rang SS pour lui, tu te rends compte ? Et ça, en pleine guerre de succession ! C’est pour cette raison que Silver est intervenu au départ !
— S-Silver ? Vous parlez bien de ce Silver ?
— Oui, lui-même ! Leo a appris que vous aviez des problèmes de monstres sur votre territoire, et il a écrit personnellement à Silver pour lui demander de l’aide. Silver a accepté, en promettant de régler cela rapidement. C’est un utilisateur de magie ancienne, tu sais ! Il maîtrise même la magie de transfert perdue ! Il est impossible qu’il ne soit pas encore arrivé !
— C’est… vrai ?
— Tu insinues que je mens ?
Tout en m’agitant, je lançai un regard appuyé à Sebas.
Celui-ci comprit immédiatement et lança une bouée de sauvetage au duc :
— Votre Altesse, inutile de vous emporter. À en juger par son expression, je crois que le duc dit vrai. Il se pourrait qu’il ignore réellement ce qui s’est passé. Ne vaudrait-il pas mieux lui laisser un peu de temps pour enquêter sur cette affaire ?
— Enquêter ? Même si les faits sont connus, il n’y a rien de plus à apprendre, non ?
— Dans ce cas, nous pourrons toujours nous adresser directement à Silver. Si Son Altesse Leonard le demande, Silver viendra.
— Hmph ! Puisque Sebas le dit, je vous accorderai un délai. Mais vous savez ce qu’il adviendra si vous nous cachez quelque chose, n’est-ce pas ? Nous obtiendrons les détails auprès de Silver quoi qu’il arrive. Et si nous découvrons que la faute vous incombe… plus aucun aventurier ne mettra jamais les pieds sur votre territoire.
— … Je comprends. Nous allons interroger les membres de notre maison immédiatement. Je vous prie de patienter un moment.
Le duc Kleinert quitta précipitamment la pièce.
Si ces paroles venaient de quelqu’un qui n’était pas en concurrence directe avec moi pour le trône, le duc ne se serait pas énervé à ce point. Le problème cette fois-ci venait du fait que Silver était impliqué.
Il n’y a que cinq aventuriers de rang SS sur ce continent. Ce sont les plus grands talents en matière d’extermination de monstres. Ce ne sont pas des gens qui agissent pour de l’argent, on peut dire sans exagérer qu’ils sont le summum des aventuriers. Si vous salissez la réputation de Silver, les autres aventuriers ne mettraient plus jamais les pieds dans un tel endroit. Si même quelqu’un comme Silver était maltraité, il était impossible que les autres aventuriers soient bien traités.
Si ces paroles étaient venues de quelqu’un qui ne concourait pas lui-même pour le trône, le duc ne se serait pas autant emporté. Le vrai problème, cette fois-ci, venait du fait que Silver était impliqué.
Il n’existait que cinq aventuriers de rang SS sur ce continent. Ils représentaient le sommet absolu en matière d’extermination de monstres. Ce n’étaient pas des gens motivés par l’argent. On pouvait dire, sans exagérer, qu’ils incarnaient le summum des aventuriers.
Si l’on ternissait la réputation de Silver, plus aucun aventurier ne remettrait les pieds dans ce territoire. Et si même quelqu’un comme Silver était maltraité, il était évident que les autres seraient traités bien pire encore.
— Ça s’est bien passé.
— C’est un plan plutôt diabolique. On dirait presque une mascarade qui se joue toute seule, non ?
— Tu es cruel de parler de mascarade. C’est cette famille qui a rejeté Silver. Je n’ai fait qu’aggraver la blessure… ce n’est pas moi qui l’ai causée.
— Si vous avez été chassé, vous auriez pu vous infiltrer discrètement. Mais vous avez saisi l’occasion et agi en conséquence, n’est-ce pas ? En plus, vous avez mis en valeur Son Altesse Leonard tout en vous comportant avec arrogance. Je vous félicite : vous êtes un remarquable stratège.
— C’est mon rôle. Leo est trop gentil. Si l’on devait le comparer à de l’eau, il serait si pur qu’aucun poisson ne pourrait y survivre. Il a besoin de quelqu’un pour salir l’eau à sa place.
— Si vous avez décidé d’endosser ce rôle, je ne vous en empêcherai pas. Mais vous serez le seul à y perdre, vous le savez ?
— Peu importe. Ce qui compte, pour l’instant, c’est la réputation de Leo. Je me fiche de savoir à quel point la mienne va en pâtir.
— Moi, ça m’importe. Et cela vaut aussi pour votre mère et pour Son Altesse Leonard.
— Si trois personnes se soucient de moi, c’est largement suffisant.
Alors que nous échangions ces mots, j’entendis soudain le duc crier depuis l’extérieur :
— ESPÈCE D’IDIOT ! TU VEUX DÉTRUIRE NOTRE MAISON ?
On dirait que le duc avait fini de rassembler ses informations. Je me demande comment tout cela va se terminer.
2
— NOUS VOUS PRÉSENTONS NOS PLUS PLATES EXCUSES !
Le duc Kleinert s’inclina en prononçant ces mots. À ses côtés, le jeune gardien blond fit de même. Cependant, il semblait que le duc l’avait amené de force, car le garçon affichait une expression contrariée et ne semblait pas encore avoir saisi toute l’ampleur de la situation.
Il fallait quand même avoir un certain culot pour garder une telle attitude dans un moment pareil.
— Duc. Nous ne sommes pas là pour entendre vos excuses. Dites-nous ce qui s’est passé.
— Oui… Il paraît que Silver nous a rendu visite il y a cinq jours, mais mon idiot de fils l’a renvoyé sans même vérifier son identité…
— Vous l’avez… renvoyé ?
— Mais père ! C’est quand même étrange qu’un aventurier de rang SS se présente sans prévenir à notre porte, non ? On aurait pu croire à un imposteur !
— TAIS-TOI, IMBÉCILE ! Comme tu n’es bon à rien, je t’avais laissé la garde du manoir pendant que je combattais les monstres ! Et même ça, tu n’as pas su le faire correctement !
— Mais… mais père avait dit… de refuser tous les hommes venus voir Finne…
— Je ne t’ai jamais dit de refuser un aventurier de rang SS ! Il suffisait de vérifier sa carte, non ? Pourquoi ne l’as-tu pas fait ?
— C’est… c’est…
Les yeux du fils se mirent à fuir dans tous les sens. C’était le regard typique de celui qui cherchait déjà un mensonge pour s’en sortir.
On sait tout de suite quand un idiot s’apprête à mentir. Même s’il prétendait que Silver n’avait pas montré sa carte d’aventurier, il suffirait de le demander directement à l’intéressé pour connaître la vérité. Et si cela devait arriver, le mieux serait encore de s’excuser franchement et de s’incliner pour limiter les dégâts.
— Duc. Vous pourrez passer votre colère plus tard. Je suis désolé de devoir vous le dire, mais vous portez également une part de responsabilité.
— Oui, je comprends ! Est-ce que nous pourrions régler cela avec des excuses écrites, à adresser au prince Leonard et à vous-même, prince Arnold… ?
— Des excuses écrites ? Pour avoir chassé un aventurier de rang SS envoyé par un prince ? J’ai hâte de lire ça ! Comment allez-vous présenter vos excuses ? Vous avez jeté le discrédit sur Silver, et maintenant, il pourrait refuser de nous aider ! Comment comptez-vous réparer ça ?
— C’est que… Je vous en supplie, pardonnez-nous… je suis prêt à en répondre sur ma propre tête !
— Espèce de crétin, je ne veux pas de votre tête ! Et je ne veux pas non plus de celle de votre fils incapable, qui a renvoyé un aventurier de rang SS !
Le duc Kleinert désespérait face à mes paroles, tandis que son fils poussa un soupir de soulagement. Dire qu’un père aussi remarquable pouvait avoir un fils pareil…
Puisqu’une vie ne suffirait pas à réparer ça, le duc Kleinert allait devoir nous offrir quelque chose de plus important en compensation.
Et cette chose devait être à la fois précieuse pour la famille du duc… et avoir de la valeur pour Leo et moi.
En d’autres termes…
— Alors je m’offrirai moi-même. C’est pourquoi je vous prie de pardonner mon père et mon frère, Votre Altesse.
Finne, vêtue de bleu, entra dans la pièce.
En la voyant de près, je ne pus réprimer l’admiration que je ressentais face à sa beauté. Même dans une situation comme celle-ci, je ne pouvais détacher mes yeux d’elle.
Ses longs cheveux blonds ondulaient doucement et captaient la lumière avec éclat. Ses yeux bleus, profonds comme l’océan, dégageaient une lueur douce et bienveillante. Bien que son corps fût petit, le haut de sa robe laissait percevoir un certain glamour. Son visage était un peu tendu, mais cela ne suffisait pas à ternir sa beauté.
Honnêtement, puisque c’était elle qui avait proposé de venir avec nous, j’eus presque envie de l’accueillir à bras ouverts. Peu importe qui vous êtes : si vous êtes un homme, vous réagiriez de la même façon, faillis-je répondre instinctivement.
Mais ce n’était pas le moment de me laisser guider par mon instinct.
Je ne m’attendais pas à voir Finne intervenir ici. J’avais encore l’intention de pousser un peu plus le duc pour le convaincre de se joindre à la guerre de succession à nos côtés.
— ! Finne !? Pardonnez-nous ! Votre Altesse, ma fille est encore une enfant !
La silhouette du duc, prosterné désespérément, transmettait tout l’amour qu’il portait à sa fille. Il avait offert sa tête à la place de celle de son fils, et se prosternait maintenant pour protéger sa fille. C’était sûrement un bon père.
— Épargnez mon père et mon frère, je vous en supplie ! J’ai vu Silver-sama lors de sa venue ! Si c’est un crime, alors je l’assume aussi !
— Ma sœur n’a rien fait de mal ! Tout est de ma faute ! Pardonnez-moi !
Le fils se prosterna lui aussi cette fois-ci.
C’était donc ça ? Ce scénario où j’étais le méchant ?
Je n’aurais jamais imaginé que les choses prendraient cette tournure.
Moi qui pensais devoir continuer un peu plus longtemps cette bataille psychologique avec le duc…
Je me tournai vers Sebas pour chercher un appui. Il poussa un soupir et prit la parole.
— Votre Altesse. Tous les membres de la famille du duc sont déjà prêts à aller jusque-là. Ne vaudrait-il pas mieux apaiser votre colère ?
— Tu veux que je leur pardonne ? Ils nous ont humiliés tous les deux, tu sais ! Si on laisse passer cette fois, comment allons-nous préserver notre dignité ?
— Tant que cette affaire reste confidentielle, cela me convient. Faisons comme si rien ne s’était passé.
— Et Silver, alors ?
— C’est un homme avec un grand sens des responsabilités. Il ne renoncera pas simplement parce qu’on l’a repoussé une fois. Il est peut-être encore dans les parages. Envoyons quelqu’un à sa recherche. Si nous lui présentons des excuses sincères, il devrait comprendre.
— Donc, si Silver parvient à régler le problème dans ce territoire, tu me dis que l’affront du duc Kleinert disparaîtra aussi ?
Je pensai que nous pouvions enfin conclure cette affaire dans de bonnes conditions. Après cela, si Sebas soulignait que j’avais agi de manière arbitraire, je pourrais m’effacer. Aux yeux de la famille du duc, je passerais pour un homme qui avait simplement emprunté le pouvoir de son frère… Et c’était exactement ce que je cherchais.
Celui qui convoitait le trône ici, c’était Leo, pas moi.
— Très bien. Je consulterai Son Altesse Leonard à ce sujet plus tard.
— Ce n’est pas la peine de le consulter ! Il pardonnerait n’importe quoi, non ?
— C’est justement parce qu’il est comme ça que les gens se rassemblent autour de lui. Et puis, Votre Altesse Arnold… Vous êtes peut-être le frère aîné du prince Leonard, mais c’est toujours lui qui attire les autres. Même si vous êtes l’aîné, si vous aggravez encore vos relations avec le duc sans même en parler à Son Altesse, vous ne ferez qu’empirer votre propre situation.
— Tss… Je comprends. Tu as raison. Duc, envoyez quelques-uns de vos hommes pour rechercher Silver. Si vous le trouvez, je lui parlerai en votre nom. Sebas, accompagne-les.
Tout en faisant mine d’hésiter, je rassemblai dans mon esprit toutes les informations nécessaires. Il ne me restait plus qu’à me faire passer pour Silver et à aider ce territoire à résoudre sa crise.
Si j’y parvenais, le duc Kleinert deviendrait l’allié de Leo. On pourrait dire que ce serait le tout premier pas dans la bataille pour le trône.
Avec cela en tête, je commençai à planifier soigneusement comment j’allais jouer mon double rôle.
***
— Alors vous êtes toujours dans le duché. C’est inattendu.
— Je me doutais que vous finiriez par envoyer quelqu’un pour me retrouver. Ce qui me surprend davantage, c’est que le prince terne se soit déplacé en personne.
Silver séjournait dans une auberge ordinaire. Enfin, pour être précis, elle avait été conçue pour en donner l’apparence.
J’avais utilisé un sort ancien sur l’aubergiste pour lui faire croire qu’un client étrange logeait dans son établissement depuis cinq jours. Puis, j’avais orienté Sebas vers cet endroit, afin de créer les conditions de ma rencontre avec Silver.
— Alors ? Qui est cette jeune dame ?
— Enchantée de vous rencontrer, Silver-sama. Je me nomme Finne von Kleinert.
— Ce n’est pas la première fois que nous nous croisons. Nos regards se sont rencontrés il y a cinq jours.
À ces mots, Finne marqua une légère hésitation. À seulement seize ans, il n’était pas facile pour elle de s’adresser à un aventurier de rang SS. Encore moins quand on cherchait à se faire pardonner une faute aussi grave.
Le duc Kleinert, de son côté, devait s’occuper de la menace monstrueuse qui sévissait sur son territoire. Il ne pouvait donc pas venir lui-même. C’est pourquoi je lui avais proposé de me charger seul de cette entrevue avec Silver. Mais Finne avait insisté pour qu’un représentant officiel de la famille soit présent.
Résultat : je devais créer une illusion de Silver par magie, et jouer un double rôle devant elle.
J’avais choisi de créer l’illusion de Silver plutôt que celle de moi-même pour une bonne raison : Même si elle venait à soupçonner que le Silver devant elle n’était qu’une illusion, je pourrais toujours prétexter qu’il se méfiait encore.
En revanche, créer une illusion du prince Arnold aurait nécessité une magie d’un tout autre niveau, capable de reproduire non seulement mon apparence, mais aussi ma voix.
Quant à Silver, il était impossible de déceler la vérité grâce à sa voix.
Le masque argenté qu’il portait était un artefact magique extrêmement puissant.
Il me permettait non seulement de modifier ma voix à volonté, mais aussi de manipuler l’aura perçue de Silver et l’impression qu’il laissait à ceux qui le rencontraient.
Même si nous étions ensemble dans la même pièce, il était absolument impossible que quiconque pense que nous étions la même personne.
— … Notre maison s’est montrée impolie envers vous… Je suis sincèrement désolée pour cette offense…
— Assez d’excuses. Mon opinion sur votre maison est déjà au plus bas.
J’avais entendu dire que votre lignée était sage, et qu’elle prenait soin de ses membres… mais il semble que ce n’était qu’une réputation, après tout.
— C’est…
— Il est naturel que des aventuriers visitent une région en proie aux monstres. Si votre maison se souciait réellement de ses gens, vous vous seriez préparés à accueillir tout type d’aventurier. Le fait que votre frère aîné m’ait repoussé suffit à prouver que le duc n’a jamais mis en place de telles mesures.
C’était un point essentiel.
Il ne s’agissait pas seulement de la négligence de son fils, mais bien de la responsabilité de toute la maison ducale. À ce titre, il ne suffisait pas que le duc condamne simplement son héritier. Mais bon… s’agissant de ce duc, je savais qu’il n’en ferait rien.
— C’est vrai… C’était bien une négligence de notre maison Kleinert…
En voyant Finne ainsi abattue, je me dis que le moment était venu d’entamer les négociations avec Silver. Si je parvenais à lui montrer que je pouvais, d’une manière ou d’une autre, le persuader, alors j’atteindrais mon objectif.
Si je n’avais pas fait venir Sebas dans cette pièce, c’était justement parce que je ne savais pas ce qu’il dirait en voyant une mise en scène aussi bancale.
Quoi qu’il en soit, il allait falloir que je me persuade moi-même.
— Silver. Êtes-vous toujours disposé à accepter notre demande ?
— Si ce n’était pas le cas, je ne serais pas ici. Cependant, il y a une chose que je dois confirmer avant cela.
— Et qu’est-ce donc ?
— As-tu réussi à obtenir l’alliance du duc ? Prince terne.
— … Ils ne m’ont pas encore donné leur parole.
— Comme on pouvait s’y attendre du prince terne. Tu es bien loin de ton petit frère.
Silver soupira de manière exagérée. C’était étrange d’entendre parler de moi-même en mal… mais puisque c’était Silver qui le disait, cela renforcerait probablement notre position auprès du duc.
— Je vais m’assurer qu’ils nous accordent leur entière coopération. Vous pouvez en être sûr.
— Tu obtiendras leur entière coopération, hein ? Si tu y parviens, j’accéderai à votre demande. J’ai mes raisons de vouloir faire de ton petit frère l’empereur, quoi qu’il arrive. Si j’ai quitté la capitale impériale pour venir jusqu’ici, c’était précisément pour rallier le duc à la cause de Leonard.
S’il est tel que le disent les rumeurs, il saura se montrer reconnaissant de l’aide et du soutien apportés à Leonard. Mais il semble que la réalité soit un peu différente.
Si vous ne lui faites pas signer un serment écrit, il pourrait très bien vous trahir à l’avenir, vous savez ?
— Mon père ne ferait jamais une chose pareille !
— Vos paroles ne valent rien face à moi, Mademoiselle Finne. Vous avez déjà perdu ma confiance.
Silver lui répondit d’un ton indifférent.
Il y avait une raison pour laquelle j’avais formulé cela ainsi. Je voulais lui faire croire que Silver n’était pas prêt à rendre service. Ce genre de message finirait sans doute par parvenir aux oreilles du duc par l’intermédiaire de Finne. Et naturellement, cela concernait aussi les intentions de Silver.
Si nous en étions déjà là, le duc finirait sûrement par se rallier à la cause de Leo. C’était une méthode détournée, certes, mais la coopération du duc Kleinert était capitale dans la bataille pour le trône.
— Silver. Vous dites que vous ne l’aiderez que s’il promet de nous accorder sa pleine coopération, n’est-ce pas ?
— Bien entendu.
— … Je veux que vous fassiez un compromis et que vous l’aidiez à vaincre les monstres. Je m’assurerai moi-même d’obtenir son soutien.
— … Tu me demandes de faire confiance au prince terne ? Tu sais à quel point c’est déraisonnable ?
— Je le sais. Mais je vous le demande quand même. Je vous prie de comprendre.
Je dis cela en inclinant la tête. Je pouvais m’incliner devant n’importe qui : je n’avais ni fierté ni statut à défendre. Et de toute façon, je n’avais rien à perdre à m’incliner devant une illusion que j’avais moi-même créée.
— À te voir baisser la tête aussi vite, on dirait que tu n’as aucune fierté en tant que membre de la famille impériale.
— Si Leo était là, il ferait la même chose… Je sais que vous ne pouvez pas me faire confiance. Mais même dans cet état, je reste le frère aîné de Leo. Je vais au moins vous prouver que je suis capable d’accomplir ma part. C’est pourquoi je veux que vous éliminiez ces monstres. Je ne veux pas que cette affaire s’éternise davantage.
— … Très bien. En tant qu’aventurier, je ne peux pas laisser les monstres continuer à sévir ainsi. J’accepte votre demande. Cependant, Mademoiselle Finne, j’attends beaucoup du duc. N’oubliez pas notre accord.
— M-Merci beaucoup ! Je ferai en sorte de répondre à vos attentes !
Ainsi, nous avions fini par convaincre Silver et quittâmes l’auberge.
Nous montâmes dans la calèche que Sebas avait préparée à l’extérieur et poussâmes un profond soupir.
En me voyant ainsi, Finne baissa la tête en signe d’excuse.
— Merci beaucoup…
— … ? Pourquoi me remercie-tu ?
— Votre Altesse s’est inclinée pour nous… Même si la faute nous revient, vous avez réussi à convaincre Silver d’aider notre peuple. Il est naturel que je vous exprime ma gratitude.
Hm. Il semble y avoir un malentendu ici…
Cette enfant serait-elle du même genre que Leo, qui voit le bien en chacun ?
Il fallait que je rectifie cela. Si elle se méprenait sur ma prétendue bonté, cela risquait de me compliquer les choses par la suite.
— Je me suis incliné pour moi-même. Pas pour la raison que tu crois. Tu te méprends.
— C’est ainsi… Alors je continuerai à me méprendre sur vous. Je vous ai… légèrement mal jugé, Votre Altesse. Je pensais que vous étiez une personne effrayante, mais je me suis trompée.
— Non, comme je l’ai dit…
— Oui. C’est moi qui me suis trompée. Votre Altesse s’est incliné pour lui-même, pas pour notre peuple. Pas pour nous. Mais… me permettez-vous de continuer à me méprendre ainsi ?
En prononçant ces mots, Finne esquissa un sourire doux.
Un sourire encore plus éclatant que celui qui avait charmé les habitants de la capitale, le jour où l’empereur lui avait offert l’ornement de cheveux en forme de mouette bleue.
Devrais-je dire que j’en fus ému ? Son sourire me bouleversa… comme lorsque ma mère m’avait emmené admirer le spectacle des météores, un phénomène qui ne se produit qu’une fois tous les dix ans.
Le ciel nocturne, empli d’étoiles filantes. Cette scène m’avait profondément marqué. Le bonheur d’avoir pu être témoin d’un tel instant. C’était le même sentiment que je ressentais en voyant le sourire de Finne.
Surpris par l’émotion, je détournai les yeux vers l’extérieur pour dissimuler mon visage rougi. Et à cause de cela, je perdis l’occasion de corriger son malentendu.
Au final, je me dis que… Être pris pour une bonne personne par Finne n’était peut-être pas une si mauvaise chose.
Et ainsi, je ne corrigeai jamais son malentendu.
3
— Bon sang, quelle situation terrible.
Sous l’apparence de Silver, j’observais le nid de monstres en question avec Sebas depuis une certaine distance.
Le monstre apparu sur le territoire du duc Kleinert était de rang AA.
Il s’agissait du quatrième rang le plus élevé dans le système de classification allant de F à SS. Ces monstres nécessitent une équipe d’au moins cinq aventuriers de rang A pour être vaincus. C’est un peu trop pour la guilde des aventuriers de l’Empire.
En réalité, le duc Kleinert avait déjà envoyé une requête à la guilde, qui avait dépêché un groupe de six aventuriers : quatre de rang B et deux de rang A. Cependant, ils n’avaient pas réussi à mener leur mission à bien.
— On ne pouvait pas faire autrement, puisqu’ils devaient affronter les Mères Slimes. Dans une montagne un peu éloignée de la capitale du duché.
Il y avait là d’innombrables slimes. Un slime seul est un monstre insignifiant, mais ils ont tendance à se regrouper. Ces créatures parcourent le territoire et dévorent les récoltes, ce qui oblige le duc à envoyer des chevaliers pour les chasser.
Si vous me demandez pourquoi les slimes se sont rassemblés en si grand nombre, la réponse est la présence d’un monstre rare appelé Mère Slime, qui se cache dans la montagne.
Comme son nom l’indique, la Mère Slime est la génitrice de ces slimes. C’est un monstre capable de produire une descendance. Elle absorbe tout, transforme ce qu’elle avale en nutriments, puis continue à engendrer toujours plus de slimes. C’est une créature redoutable, capable de détruire un pays à elle seule.
La seule solution consiste à trouver le nid de la Mère Slime avant qu’elle ne commence à se reproduire, puis à la vaincre. Cependant, lorsque le duc fit appel à la guilde des aventuriers, il était déjà trop tard.
D’après les archives, le nombre de slimes produits par la Mère Slime équivalait déjà à celui d’une armée.
— Pour l’instant, nous devons nous débarrasser de la Mère Slime, sinon cela n’en finira plus.
— C’est vrai… mais comment allez-vous expliquer cela aux aventuriers qui ont déjà accepté la requête ?
— C’est justement le problème.
Les aventuriers sont, pour la plupart, des hors-la-loi.
Contrairement à la société noble, ils ne sont pas tenus de céder à autrui, même à un supérieur hiérarchique. Ils s’engagent pleinement à accomplir la mission qui leur a été confiée, afin d’honorer la confiance qu’on a placée en eux.
De tels aventuriers ne pardonneraient même pas à un aventurier de rang SS s’il venait à interférer dans leur quête. Ce serait différent s’ils recevaient une lettre officielle de la guilde, mais pour l’instant, j’interfère totalement dans leur mission.
— C’est ce que j’aime chez les aventuriers, mais pour l’instant, c’est justement là que réside le problème.
— Selon leur attitude, cela pourrait prendre un certain temps.
— Honnêtement, nous n’avons pas le temps pour ça. Je ne peux que demander la compréhension des aventuriers locaux. Retourne d’abord là-bas. Je vais m’occuper de ça moi-même.
— Que la chance soit avec vous.
Je me séparai de Sebas et me dirigeai vers les aventuriers qui campaient près de la montagne.
Après tout, si j’emmenais Sebas avec moi, ils pourraient avoir des soupçons et faire le lien avec ma véritable identité.
— Tiens donc. On dirait qu’un aventurier de rang SS s’est donné la peine de venir nous rencontrer.
Entendant les paroles du jeune homme roux qui montait la garde, les aventuriers sortirent de leur tente.
Cinq hommes et une femme. Leurs regards étaient sévères.
— Je suis Abel, le chef de ce groupe. Je suis de rang A. Je dois te sembler insignifiant, n’est-ce pas ?
— Je suis Silver, aventurier de rang SS.
Je serrai la main qu’Abel me tendait.
Je la serrai légèrement, mais Abel la saisit fermement, comme s’il voulait me la briser…
Comme prévu, il était en colère contre moi.
— Le duc m’a dit que tu étais venu en renfort, mais si je réponds simplement—
— Oui, je comprends. Je ne serais plus un aventurier sinon. Tu le sais, n’est-ce pas ?
— Oui, je le sais.
— Interférer dans la quête d’un autre aventurier est une violation de notre code. Tu le sais aussi, n’est-ce pas ?
— Oui, bien sûr.
Lorsque je baissai la main, je me tournai vers les cinq autres aventuriers.
À leur posture, je devinai que l’autre aventurier de rang A était une femme.
Elle avait les cheveux bruns attachés en une courte queue de cheval. Son visage était caché par un chapeau, mais je pense qu’il s’agissait bien d’une femme.
Ses vêtements étaient ceux d’un garçon ; je pense que beaucoup de gens l’avaient prise pour un homme.
Elle jouait probablement le rôle de soutien du groupe d’Abel, car elle restait silencieuse, ce qui signifiait qu’elle n’avait pas l’intention d’interrompre Abel.
Si tel est le cas, je dois convaincre Abel d’une manière ou d’une autre.
— Bien sûr, tu dis ? Si tu comprends cela, alors pourquoi essaies-tu de t’immiscer dans nos affaires ? Tu as même utilisé tes relations nobles ! Un aventurier comme toi ne devrait pas avoir de mal à trouver sa propre quête !
— Ce que tu dis est raisonnable. Je comprends aussi ton mécontentement. Donc, si tu veux me crier dessus ou me frapper, je ne m’en plaindrai pas.
— Quoi ?
— Mais… je veux te demander, d’un aventurier à un autre. Peux-tu gérer cette situation ?
— …
Abel ne répondit pas. Il en allait de même pour les autres aventuriers.
Il serait plus facile de prétendre qu’ils pouvaient le faire. Cependant, pour un aventurier, la confiance est sa raison d’être. Ils ne peuvent pas se permettre de dire qu’ils peuvent réussir une mission qu’ils savent ne pas pouvoir accomplir.
Ces six aventuriers étaient les plus puissants de la région. Peut-être n’avaient-ils pas accepté cette quête de leur propre chef, mais avaient-ils été persuadés par les membres de la guilde.
Cependant, ils avaient découvert une situation bien pire que ce qu’on leur avait décrit.
La Mère Slime est un monstre dont la puissance varie.
Si elle continue à se nourrir dans son nid, elle deviendra de plus en plus forte. Elle continuera alors à donner naissance à d’autres slimes.
Chaque fois qu’elle en crée un, elle s’affaiblit.
Cependant, chaque slime enfant lui rapporte toujours plus de nutriments, et la Mère Slime finit par devenir invincible.
Si la situation continue de s’aggraver ainsi, toute la région serait menacée si elle n’était pas éliminée rapidement.
— …La Mère Slime était bien plus grande que ce qu’on nous avait dit.
On a essayé de l’attaquer plusieurs fois, mais on n’arrive pas à lui infliger de blessures mortelles, et on a dû battre en retraite.
On n’a clairement pas assez de puissance de feu.
L’aventurière qui n’avait rien dit jusqu’à présent prit la parole. En entendant ses mots, Abel claqua la langue. Il semblait avoir compris, lui aussi.
— Si vous ne voulez absolument pas que j’intervienne dans votre quête, je ne le ferai pas. Cependant, pour la sécurité de cette région, je vais directement signaler la situation actuelle au siège de la guilde et leur demander de lancer une quête d’urgence. J’accepterai cette quête et je reviendrai ici. Cependant, cela prendra certainement quelques jours. Si vous parvenez à la vaincre dans ce laps de temps, je ne vous en empêcherai pas. Mais… dans les prochains jours, cette zone sera certainement en grand danger.
— … Je le sais. Un aventurier de votre niveau ne viendrait pas jusqu’ici pour de l’argent…
— Vous pouvez recevoir toutes les récompenses. Mais je vous prie de me laisser m’occuper de la subjugation de la Mère Slime. En tant qu’aventurier, je ne peux pas laisser une telle menace s’intensifier davantage.
— … D’accord. Nous admettons que nous n’avons pas assez de pouvoir pour le faire… Fais comme tu l’entends.
Abel baissa la tête et s’assit sur place.
Les aventuriers sont des personnes qui se sont construites par leurs propres moyens. Il n’y a pas de plus grande honte pour un aventurier que de ne pas pouvoir mener à bien la quête qui lui a été confiée. Il existe même des aventuriers qui n’abandonneraient jamais et poursuivraient leur mission imprudemment, au risque de mourir. En ce sens, Abel était un aventurier intelligent, capable de comprendre les signes de son environnement.
— Désolé, tout le monde…
Abel s’excusa auprès de tous les membres de son groupe. S’il avait été seul, il aurait peut-être continué à foncer tête baissée, mais il avait pensé à ses compagnons. C’était un bon chef.
— C’est grâce à vos attaques contre la Mère Slime que la situation n’a pas empiré. Si vous n’aviez pas été là, cette zone serait déjà envahie par les slimes. À l’origine, cette quête nécessitait un groupe composé d’aventuriers de rang A ou plus. Vous avez bien fait. La guilde doit également vous être reconnaissante pour votre travail.
— Ha… Qui aurait cru qu’un jour, un aventurier de rang SS me féliciterait.
— Laisse tomber le sarcasme. Je te suis vraiment reconnaissant, je te considère comme mon débiteur. Si quelque chose arrive, contacte la branche de la capitale impériale. Je t’aiderai.
Sur ces mots, je tendis la main vers la montagne.
J’ignorai les regards dubitatifs des six aventuriers et commençai à psalmodier.
[[Je suis un agent du divin・ J’agis au nom du ciel et de la terre・ L’heure du jugement a sonné・ Tremble, pécheur, réjouis-toi, innocent・ Ma parole est celle de Dieu・Mon coup est le coup de Dieu・Dans ma main se trouve la flamme qui peut embraser le monde・Ô Flamme du Ciel, réduis le pécheur en cendres — EXÉCUTION PROÉMINENCE]]
Une incantation de huit vers. Un cercle magique ridiculement grand se déploya depuis ma main tendue.
Les sorts transmis jusqu’à nos jours ne nécessitaient pas de chant aussi long. Le plus long n’en comptait que sept. Utiliser un sort à huit vers signifiait qu’il ne s’agissait pas d’une magie contemporaine.
Un sort inventé à l’époque où la magie était florissante. Il s’agissait d’un sort ancien. Comme elle ne pouvait être pratiquée que par des personnes talentueuses, cette magie avait fini par être oubliée et était tombée dans la légende.
La seule façon de la faire revivre était de lire les précieux ouvrages laissés derrière. C’est pourquoi il n’existait que quelques pratiquants de magie ancienne sur le continent.
Bien sûr, seuls quelques-uns d’entre eux étaient connus du grand public. En un sens, on pouvait donc dire que ces six personnes venaient de vivre quelque chose de vraiment précieux.
Une énorme quantité de pouvoir magique s’éleva du cercle magique géant. Puis six petits cercles magiques apparurent autour de celui d’origine.
Les petits cercles se mirent à tourner autour du grand cercle. Puis, lorsque le pouvoir magique atteignit un point tel qu’il menaçait de s’effondrer, une flamme éclatante jaillit du centre.
Elle brûla la montagne en un clin d’œil, ainsi que les slimes qui en avaient fait leur nid.
Non seulement cela, mais la montagne elle-même fut entièrement consumée.
Il ne resta plus qu’une terre noircie.
— Avec ça, le nombre de slimes ne va plus augmenter.
— Sérieusement…
— …
C’est l’ancienne magie d’un aventurier de rang SS… ? murmuraient Abel et l’aventurière.
Les autres restèrent silencieux, tentant de comprendre ce qui venait de se produire sous leurs yeux.
Une magie capable de faire exploser une montagne. C’est quelque chose qui relève déjà de la légende.
Il est normal de ne pas comprendre lorsqu’on en est témoin soudainement.
— Puis-je vous laisser le soin de faire le rapport à la guilde ?
— … Tu devrais y aller toi-même. Nous n’avons rien fait. C’est toi, le héros qui a sauvé le duché, tu sais ?
— Désolé, mais ça ne m’intéresse pas. J’ai d’autres choses à faire. Je vous laisse vous occuper du reste.
Je dis cela et quittai les lieux en utilisant la magie de téléportation.
Ma destination était une pièce à l’intérieur du manoir du duc Kleinert. C’était la pièce qui m’avait été attribuée.
Le prince Arnold était censé rester dans le duché. Il recevrait le rapport de Silver sur la façon dont il avait vaincu la Mère Slime, aux côtés du duc, et mettrait fin à la discussion concernant sa coopération.
Après cela, ma mission serait terminée. D’ici là, je ne pouvais pas baisser ma garde.
C’est ce que je pensai en retirant mon masque argenté.
— Eh… ?
Ce n’est qu’après avoir entendu la voix que je me rendis compte de ma grave imprudence.
Une situation à laquelle je ne m’attendais pas venait de se produire.
C’était ce ton de voix.
En entendant cette voix familière, la première chose que je ressentis fut le regret.
Je pensais qu’il n’y avait personne dans la pièce. C’était la pièce qui avait été attribuée à un prince, je pensais donc que personne n’y entrerait sans autorisation.
Je me retournai pour regarder. Quand je vis le visage devant moi, le regret m’envahit à nouveau.
— … Finne.
— … Prince Arnold… ?
Debout devant moi se tenait la fille du duc, d’une beauté sans pareille.
Finne, la fille dont je n’avais pas pu sceller les lèvres si facilement, était là.
4
Finne tenait un plateau de friandises dans ses mains.
Elle avait probablement voulu m’apporter quelque chose à manger et était entrée dans la pièce lorsque je n’avais pas répondu à son appel.
Je leur avais dit que je ne voulais rien manger, alors je pensais que personne ne viendrait dans ma chambre.
Quelle erreur de calcul !
— P-prince Arnold… ? La personne qui vient d’être transférée, et cette apparence… N’est-ce pas Silver-sama… ?
— …
Puis-je la tromper en prétendant que c’est mon passe-temps de m’habiller ainsi ? Non, c’est probablement impossible.
Alors, je devrais la tuer ? Impossible aussi. Finne est la préférée de l’empereur.
S’il lui arrivait quelque chose, l’empereur mènerait personnellement l’enquête et je serais sans aucun doute le suspect numéro un.
Si je devenais un tel suspect, la part de Leo dans la guerre de succession serait terminée.
Je ne peux ni la tromper, ni lui faire promettre de garder le secret.
Je ne vois pas comment me sortir de cette situation.
— … Pourquoi es-tu entrée dans ma chambre ?
— Ah, euh… J’ai préparé des gâteaux, alors j’ai pensé que je devrais en apporter à Votre Altesse… Et comme Votre Altesse ne répondait pas à la porte, j’ai pensé qu’il s’était passé quelque chose, alors…
— Aaah…
En voyant l’expression désolée de Finne, tandis que son corps se ratatinait presque, mon hostilité se dissipa.
Ma volonté de prendre des mesures sévères contre elle disparut également.
Cependant, je ne pouvais pas la laisser repartir ainsi.
— Tu connais mon secret. Tant que c’est le cas, je ne peux pas te laisser partir sans rien faire.
— Je ne le dirai à personne ! Que la véritable identité de Silver est celle d’un prince…
— Mais tu le dis à voix haute.
— Ah…
— Calme-toi. J’ai déjà érigé une barrière insonorisée. Quoi que tu dises, cela ne s’échappera jamais à l’extérieur.
— Vraiment… Merci beaucoup…
Les joues de Finne rougirent de honte.
Elle ne semblait pas réaliser la gravité de la situation dans laquelle elle se trouvait.
Si l’extérieur ne pouvait rien entendre depuis cette pièce, cela signifiait que, quoi que je fasse à Finne maintenant, elle ne pourrait pas appeler à l’aide…
— Tu ne crois pas que je vais te faire quelque chose ?
— Comme quoi ?
— Je pourrais te tuer pour te faire taire, par exemple.
— Votre Altesse ? C’est impossible. Mais si c’est ce que Votre Altesse doit faire, alors je l’accepterai.
— … Je ne me souviens pas avoir autant gagné ta confiance.
— Si vous êtes Silver, vous avez déjà vaincu les monstres, n’est-ce pas ? Vous êtes donc le héros qui a sauvé notre duché. Et le fait que vous soyez venu ici en tant que prince et que vous ayez accompli toutes ces prouesses, c’est aussi pour le bien de votre petit frère, n’est-ce pas ? C’est pour cela que je vous fais confiance.
Une personne capable d’agir pour le bien d’autrui comme vous doit être quelqu’un de gentil.
En disant cela, Finne affichait un sourire empreint de douceur.
Elle est vraiment quelqu’un de bien, pour croire autant en les autres.
Puisqu’elle sait que je suis Silver, elle doit aussi savoir que chacun de mes gestes visait à provoquer la chute du duc, afin de le forcer à nous soutenir en échange d’une dette de gratitude.
Malgré cela, Finne continue de croire en moi.
Je ne peux pas trahir cette confiance.
— La seule personne qui connaît mon secret, c’est Sebas. Et Sebas ne me trahira jamais. Si ce secret venait à être révélé, je ne te le pardonnerai jamais. Alors n’en parle à personne.
— Oui ! Je comprends.
En entendant sa réponse joyeuse, je soupirai.
J’avais envisagé d’utiliser un sort d’illusion pour lui faire croire que tout cela n’était qu’un rêve, mais cela finirait sûrement par être découvert.
Et une fois révélé, ce serait une faille fatale pour nous.
Il vaut donc mieux que Finne continue à croire en moi.
D’après nos échanges, je comprends assez bien la personnalité de Finne.
Si le secret venait à être révélé, ce ne serait qu’à des personnes très proches d’elle.
Il ne serait pas trop tard pour prendre des mesures drastiques à ce moment-là.
— Quand je pense que le secret que je garde depuis si longtemps va être révélé comme ça…
— Allez, courage. Vous pouvez prendre des bonbons. Ah, je vais vous verser du thé.
Tout en regardant Finne, qui rangeait joyeusement ses bonbons sur la table et commençait à préparer le thé, je rétorquai dans mon esprit.
C’est ta faute, d’accord…
***
— Cela conclut le rapport sur cet incident.
Abel, qui venait de rentrer dans la capitale du duché, s’agenouilla devant le duc et lui fit son rapport.
Après avoir tout entendu, le duc acquiesça plusieurs fois et remercia Abel.
— Tu as vraiment bien fait. Je suis désolé que cela ait été une demande si difficile. Cela n’a rien à voir avec la récompense pour ta quête, mais je veux que tu prennes ça.
Sur ces mots, il posa des bourses devant Abel. Elles contenaient de l’argent.
Cependant, Abel secoua la tête et refusa.
— La récompense de la quête nous suffira, monsieur. Comme je l’ai dit dans mon rapport précédent, c’est Silver qui nous a permis de résoudre la situation. Veuillez nous pardonner.
— Je vois… Hum, compris. Si quelque chose arrive, je ferai à nouveau appel à vous. Je m’en remettrai à vous à ce moment-là.
— Oui, monsieur. Nous répondrons sans faute à vos attentes et mènerons à bien votre quête de nos propres mains.
Abel s’en alla après avoir dit cela.
Il ne restait plus que moi et le duc dans la pièce.
— Voilà, nous en avons terminé.
— Oui. Je ne saurais vous remercier assez, Votre Altesse. Merci beaucoup.
— Adressez votre gratitude à Leo. Après tout, Silver et moi sommes ici pour Leo.
— Oui… Votre Altesse, la maison ducale de Kleinert apportera son entière coopération et son soutien au prince Leonard. Nous vous rendrons certainement votre gentillesse.
Je pus enfin respirer après avoir entendu ces mots.
Je tendis ma main droite au duc. Voyant cela, le duc prit ma main.
— Nous comptons sur vous.
— Nous mettrons Son Altesse Leonard sur le trône sans faute.
— Oui.
Avec cela, Leo allait pouvoir s’imposer comme la quatrième faction dans l’actuelle guerre de succession à trois camps.
Avec le prestigieux duc de Kleinert à nos côtés, ceux qui attendaient encore de voir dans quelle direction le vent tournerait se rallieraient également à Leo.
Notre père reconnaîtrait Leo comme l’un des prétendants légitimes à la succession. Nous étions enfin sur la ligne de départ.
Je ne pouvais toujours pas baisser ma garde, mais j’étais de bonne humeur après avoir accompli mon travail.
Cependant, le duc reprit la parole, l’air légèrement inquiet.
— Votre Altesse… avez-vous suffisamment d’hommes à vos côtés ?
— Des hommes, hein… J’aimerais pouvoir dire que oui, mais ce n’est absolument pas suffisant. Il y a encore de nombreux nobles qui ont décidé de rester neutres.
Pour entamer des négociations avec eux, nous aurions besoin de plus de personnes en qui nous pouvons avoir confiance.
— Je vois. Je suis soulagé.
— Allez-vous nous prêter quelqu’un ?
— Oui, je pense demander à ma fille de vous accompagner.
— Pardon ? répondis-je sans réfléchir.
Le duc répondit à ma réaction par un sourire amer.
— Il est normal que Votre Altesse soit surprise. J’ai moi-même été étonné lorsque Finne m’en a parlé hier.
Apparemment, elle veut remercier les princes qui ont sauvé notre territoire, quoi qu’il en coûte…
Comme ma fille ne m’a jamais rien demandé auparavant, je suis profondément ému qu’elle ait dit une telle chose.
— Non, attendez… Je suis troublé si vous présentez les choses ainsi…
— Ne dites pas cela, mon prince. Cette jeune fille est très célèbre dans la capitale impériale. Sa Majesté l’Empereur l’a également prise en affection. Elle vous sera certainement utile.
— Je l’admets, mais… cela vous convient-il, duc ?
Il y a trop d’avantages à la compter à nos côtés. Finne est très capable.
Cependant, la raison pour laquelle elle veut soudainement se rendre à la capitale, c’est qu’elle a découvert ma véritable identité hier.
Honnêtement, si elle restait tranquille dans son territoire, cela me rassurerait davantage.
Dans la capitale impériale, elle aurait de nombreuses occasions de croiser du monde, et je ne saurais pas à quel moment l’information risquerait de filtrer.
J’ai donc essayé de faire appel au cœur paternel du duc, mais…
— C’est le souhait de cette fille. Veuillez lui trouver une utilité.
— …
Je voulais éveiller son inquiétude en invoquant la gentillesse de sa fille, mais cela ne fit que le conforter dans sa décision.
Quel genre de parent êtes-vous donc ?
Je n’avais plus d’excuse pour refuser.
Finalement, j’ai autorisé Finne à m’accompagner. Et puis…
— Alors, je vais y aller. Otou-sama, Onii-sama.
— Oui, fais en sorte de te rendre utile, d’accord ?
— Fais attention à toi.
Après avoir été raccompagnée par son père et son frère, Finne monta dans la calèche.
Elle leur fit signe depuis la fenêtre jusqu’à ce qu’ils disparaissent, puis elle me regarda, assise en face de moi, les yeux fermés.
— Prince Arnold. Je ne suis pas quelqu’un de talentueux, mais je vous prie de prendre soin de moi.
— Aaah…
— Vous êtes en colère… ?
— Je suis simplement étonné. À partir de maintenant, nous allons nous battre pour le trône. C’est une guerre obscure, une lutte où beaucoup de sang sera versé.
Si tu veux te retirer, c’est maintenant ou jamais, tu comprends ?
— Je comprends très bien. Mais je veux quand même vous aider. Et puis, si je suis à vos côtés, vous pourrez mieux veiller sur moi, non ?
— Non, si tu restes dans ton territoire, je serai beaucoup plus tranquille.
— Ehhhhhhh !?
En regardant Finne agiter les mains dans tous les sens, paniquée, je soupirai à nouveau.
Est-ce que ça va aller si je laisse une fille comme elle connaître mon secret… ?
5
De retour dans la capitale impériale, je me rendis immédiatement chez Leo.
Leo savait que j’étais parti travailler pour lui, mais il ignorait tout de ma relation avec Silver. Je devais régler cette partie du problème.
Je me dirigeai vers la chambre de Leo d’un pas pressé, mais au moment où j’arrivais, quelqu’un en sortit. Quelqu’un que je n’étais pas ravi de voir.
— Oh, salut, Marie…
— Bonjour, prince Arnold.
La servante m’a fait une petite révérence. C’était Marie Wilcke, avec des cheveux bleu clair coupés aux épaules et des yeux bleu clair sans émotion, comme des cristaux.
Marie était une femme aux multiples talents, travaillant comme servante personnelle de Leo tout en jouant un rôle de secrétaire grâce à ses compétences.
Elle avait seize ans et était issue d’une famille modeste. Elle avait rencontré Leo alors qu’elle cherchait du travail, et grâce à ses compétences, elle s’était vu confier de plus en plus de responsabilités, devenant la servante et la conseillère la plus proche de Leo.
Tout ce qu’elle faisait, c’était pour Leo, et je ne l’aimais pas du tout. La raison était…
— Euh… Leo est là ?
— Oui.
— …
C’était une femme extrêmement taciturne et dépourvue de toute expression.
J’avais l’impression que ces traits de caractère ressortaient particulièrement lorsqu’elle était en ma présence. De son point de vue, elle n’appréciait probablement pas beaucoup un bouffon irresponsable comme moi.
En général, plus ma réputation était mauvaise, meilleure était celle de Leo, mais certaines personnes avaient également une mauvaise opinion de Leo en raison de son lien avec moi. Cela ne devait pas plaire à Marie. J’interprétais sa réticence à me parler comme une façon voilée de me dire qu’elle aurait aimé que je sois un peu plus compétent.
— Il y a eu du nouveau pendant mon absence ?
— Oui. Beaucoup de gens commencent à soutenir le prince Leonard, surtout ceux qui sont nés roturiers. J’étais justement en route pour mener l’enquête.
— Hum. Eh bien, Leo n’a jamais été du genre à se soucier du statut des autres. Merci, et continues ton bon travail.
— Merci. Si vous voulez bien m’excuser.
Sur ces mots, Marie passa devant moi, toujours impassible.
Mais une pensée la fit s’arrêter, et elle se retourna pour me regarder droit dans les yeux.
— Votre Altesse.
— Oui ?
— Vous êtes devenu un peu plus… audacieux ces derniers temps. Pour la première fois, vous me rappelez, très légèrement, le prince Leonard.
Marie s’inclina puis s’éloigna. Qu’est-ce que cela signifiait ?
— Marie a toujours été perspicace. Je vais devoir faire attention à elle.
J’ajustai mon expression faciale et ma posture pour paraître pitoyable, puis je me rendis dans la chambre de Leo.
— Quand je pense que Nii-san a aussi un lien avec Silver… Je sais que tu as beaucoup de relations, mais je ne savais pas que tu connaissais une personne aussi importante.
— Ce n’est pas une connaissance. C’est lui qui m’a contacté. Il m’a dit qu’en gage de confiance, il allait nous aider à rallier le duc Kleinert à notre cause. C’est pour cela que j’ai inventé cette histoire selon laquelle Silver s’était déplacé parce que tu lui avais demandé de l’aide. Je suis désolé de devoir obtenir ton accord après coup.
Après lui avoir rapporté ce qui s’était passé dans sa chambre, je lui expliquai la situation concernant Silver.
Si je ne faisais pas croire que c’était Silver qui avait pris l’initiative, cela rendrait les choses plus difficiles pour moi à l’avenir.
Tôt ou tard, ma relation avec Silver sera découverte.
Je dois également me préparer à cette éventualité.
— Ce n’est pas grave. Nii-san a aussi son opinion sur la question, n’est-ce pas ?
— Oui. Je ne t’en ai pas parlé tout de suite parce que je ne faisais pas entièrement confiance à Silver. Mais il a fait ce qu’il avait dit.
Je pense qu’on peut lui faire confiance pour l’instant. Cependant, il est certain que c’est un homme plein de mystères.
On ne connaît pas non plus ses raisons de coopérer avec nous. Il serait plus sage de ne pas lui faire totalement confiance pour le moment.
— Je vois… J’aimerais bien le rencontrer, moi aussi.
— Je lui transmettrai, mais comme il a fait l’effort de me contacter, je ne pense pas que cet homme ait l’intention de te rencontrer directement pour le moment.
Je sais comment le joindre, mais cela dépendra de lui s’il répond ou non.
Comme il n’agit pas selon nos ordres, je pense qu’il faut le considérer comme un joker qui agit à sa guise, alors ne comptons pas trop sur lui.
— Je comprends. Mais grâce à lui, le duché de Kleinert a été sauvé et le duc nous a également accordé sa coopération, n’est-ce pas ?
Je pense donc que c’est quelqu’un de bien.
— Tout le monde est quelqu’un de bien avec toi…
Abandonnant toute discussion, je soupirai.
J’avais l’impression de soupirer beaucoup ces derniers temps.
La raison était évidente, puisqu’il y a une autre personne qui possède le même type de personnalité que Leo.
— Au fait, j’ai entendu dire que le duc avait envoyé quelqu’un pour nous aider. Mais qui a-t-il envoyé ? Le duc ne peut pas venir ici en personne, après tout…
— Oui, c’est vrai. Sebas, peux-tu l’appeler pour moi ?
— Oui, monsieur.
Je demandai à Sebas, qui se tenait dans un coin de la pièce, d’aller chercher Finne, qui se trouvait dans la pièce voisine.
— Enchantée de faire votre connaissance, Votre Altesse Leonard. Je suis la fille aînée du duc Kleinert, Finne von Kleinert. Je vous prie de prendre soin de moi.
Finne pinça gracieusement l’ourlet de sa jupe et fit une révérence.
Sans se laisser surprendre, Leo lui répondit avec une aisance parfaite.
— Je suis le huitième prince, Leonard Lakes Adler. Je n’aurais jamais pensé avoir l’occasion de parler à la Blau Möwe en personne. Vous êtes encore plus belle de près. C’est un honneur de vous rencontrer enfin.
— Quelle personne talentueuse ! C’est un honneur de rencontrer le petit frère d’Arnold-sama.
Je suis soulagée de voir que Votre Altesse est aussi gentil qu’Arnold-sama me l’avait dit.
— Nii-san a parlé de moi ? C’est intrigant. Puis-je entendre ce qu’il a dit ?
— Oui, avec plaisir. Ah, je vais préparer du thé.
— Merci.
Il leur fallut moins d’une minute pour discuter à cœur ouvert.
Mon frère est vraiment effrayant. Sa capacité à se mettre les gens dans la poche est déjà un talent en soi.
Ils avaient quelques sujets de conversation en commun.
Naturellement, comme ils n’avaient pas tant de points communs, ils en vinrent rapidement à parler de moi.
Je ne pouvais que prendre un air crispé lorsqu’ils évoquaient mon nom.
Leo l’avait sans doute remarqué, car il orienta aussitôt la conversation vers moi.
— À propos, Nii-san. Quelle sorte de coopération envisages-tu avec Finne-san ?
— En gros, je vais la nommer négociatrice. Et plus tard, je lui demanderai de faire fréquemment le trajet entre son manoir dans la capitale et notre maison.
Cela montrera que le duc Kleinert est de notre côté. C’est tout pour l’instant.
Ah, je lui ai déjà parlé de Silver. Tu n’as pas à t’inquiéter à ce sujet. Elle sait que j’ai trompé sa famille, et elle continue malgré tout à coopérer avec nous.
— Vous me faites passer pour une méchante… Il est vrai que notre maison a mis Silver-sama en colère, mais il est également vrai qu’Arnold-sama a joué le rôle de médiateur entre nous.
Ne pourrait-on pas en rester là ?
— C’est une bonne idée. Je suis d’accord. Nii-san a tendance à trop se dévaloriser.
— Aaah…
C’était comme s’il y avait deux Leo.
Bon, si nous voulons rassembler plus d’alliés, il serait bon de recruter davantage de personnes comme lui.
Mais cela allait aussi augmenter mes problèmes.
— C’est mon style, ne t’inquiète pas pour moi. Plus important, Leo, as-tu rassemblé des alliés dans la capitale ?
— Euh… difficile à dire. Les personnes influentes dans la capitale ont déjà été prises par ces trois-là, après tout.
J’essayai de changer de sujet en lui demandant comment cela avançait de son côté, mais c’était exactement ce à quoi je m’attendais.
Même si les gens savaient que le duc Kleinert soutenait Leo, seuls ceux de la faction neutre pouvaient encore bouger.
Ceux qui s’étaient déjà ralliés à l’un des trois rivaux ne changeraient pas de camp.
C’était sûrement ainsi tant qu’ils ignoraient que le duc nous soutenait.
— Euh… Je ne connais pas très bien la situation dans la capitale impériale, alors… pouvez-vous me parler des trois rivaux dont vous parliez ?
— Tu ne lui as pas dit ?
— Elle n’a pas arrêté de poser des questions sans rapport avec le sujet pendant le trajet, alors je n’ai plus assez d’énergie pour lui expliquer.
— Je suis désolée…
— Ce n’est pas grave, c’est normal qu’il soit troublé. Après tout, c’est quelqu’un qui évite toujours ce genre de conversation.
— Ah bon ?
— C’est parce que c’était trop compliqué à esquiver.
— Oh…
Je jetai un coup d’œil à Finne, qui paraissait peinée, puis je pris trois joyaux dans la pièce et les disposai sur la table pour faciliter mon explication.
— Voici nos trois rivaux.
Le premier est ce joyau bleu. Le deuxième prince, Erik Lakes Adler, vingt-huit ans. Il a la majorité des ministres de son côté et est connu comme le prince intelligent.
Le second, ce joyau rouge. Le troisième prince, Gordon Lakes Adler, vingt-six ans. Il se bat au front et est considéré comme notre atout militaire le plus puissant — il incarne la faction armée.
Et enfin, ce joyau vert. La deuxième princesse, Zandra Lakes Adler, vingt-deux ans.
Elle excelle en magie et bénéficie du soutien de nombreux magiciens à travers l’Empire.
Ces trois-là visent le trône tout en étendant leur pouvoir.
D’autres membres de la famille impériale aspirent également au trône, mais ils ne peuvent rivaliser avec ces trois-là.
— Les fonctionnaires civils, les militaires et les magiciens.
Ils ont tous une base solide.
Les nobles profitent de cette division pour renforcer leur propre position, et c’est ainsi que se déroule actuellement la guerre de succession.
Tout a commencé il y a trois ans… lorsque notre frère aîné, le prince héritier, est mort au combat.
— J’ai entendu dire… que mon père disait que si le sage premier prince était encore en vie, une guerre de succession comme celle-ci n’aurait jamais eu lieu.
— Je suis tout à fait d’accord.
Si cette personne était encore en vie, cette situation absurde n’existerait pas.
Au contraire, c’est précisément sa mort qui a offert aux autres leur chance.
Je me souviens de l’injustice que j’avais ressentie. Il était à la fois digne et courageux.
Il possédait aussi une personnalité exceptionnelle — comme une version améliorée de Leo.
Une personne comme lui aurait-elle vraiment pu mourir sur le champ de bataille ?
Une enquête officielle a été menée, et l’empereur lui-même s’en est chargé, ce qui a prouvé qu’il ne s’agissait pas d’un complot.
Mais malgré tout… je ne peux m’empêcher de penser qu’il y avait autre chose derrière tout cela.
Cependant, ressusciter les morts ne nous aidera pas.
— Cette personne n’est plus là, et nos trois frères et sœurs aînés sont impitoyables envers leurs ennemis.
Leo, à moins que tu ne prennes la place de notre frère aîné et ne deviennes empereur, il n’y aura plus d’avenir pour nous.
— Je sais. Mais serai-je capable de le faire…
— Sois rassuré. Je te garantis que tu peux le faire.
Je tapotai vigoureusement le dos de Leo, ce qui le fit tousser.
— … Hé, ça fait mal.
Après cela, nous passâmes encore un moment à bavarder. Juste au moment où nous allions nous séparer…
— Excusez-moi.
Marie revint, plusieurs documents à la main.
— Merci, Marie. Je te présente Finne Von Kleinert, la fille du duc Kleinert.
— Enchantée.
— Enchantée également. Je m’appelle Marie. Je suis la femme de chambre du prince Leonard. J’ai beaucoup entendu parler de la très chère Blau Mowe. Vous êtes encore plus belle que le disent les rumeurs, et vous semblez également très perspicace. C’est sans doute pour cela que vous êtes ici ?
— C’est exact. La famille Kleinert nous apporte son soutien. Tout cela grâce à Arnold, ici présent.
— Oh, arrête. Tu me fais rougir.
— Excellent travail, Votre Altesse.
Malgré ma réponse en plaisantant, Marie me félicita avec sérieux. J’essayais encore de trouver quoi répondre lorsqu’elle montra les documents qu’elle avait apportés à Leo.
Dès qu’il vit les papiers, le visage de Leo s’assombrit.
— Le comte Seyfried et le baron Bormann, que nous avions prévu de rallier à notre cause, ont été débauchés respectivement par Lady Zandra et le prince Gordon.
— Bon sang. C’est l’argent qui a fait pencher la balance ?
— Oui. Il semble qu’ils aient tous deux reçu des sommes considérables.
— Nous n’avions aucune chance de gagner une partie d’argent contre ces deux-là, étant donné leurs relations avec de grandes entreprises. Il n’y a rien à faire.
— Je suis vraiment désolé. Je voulais vraiment avoir au moins le baron Bormann dans notre camp.
Le baron Bormann était un noble de la cour. Il ne possédait aucun territoire, mais venait d’une famille noble occupant des fonctions importantes dans la capitale impériale. La famille avait servi dans l’armée pendant de nombreuses générations, et le baron Bormann lui-même était l’assistant du ministre de la Défense, qui était le principal responsable de la logistique militaire. Si Gordon, qui bénéficiait déjà d’un fort soutien de l’armée, avait réussi à mettre le ministre de la Défense dans sa poche, cela signifiait que la majorité de l’armée serait entre ses mains.
Le ministre de la Défense actuel semblait peu disposé à prendre part au conflit pour le trône et refusait de rencontrer les héritiers, mais qui savait combien de temps cela durerait.
Alors que nous rassemblions nos forces, les autres faisaient de même, et même plus rapidement.
— Cela ne se passe pas aussi bien que je l’avais espéré.
— Mais nous progressons. La prestigieuse maison Kleinert est de notre côté, et nous avons ici la célèbre Finne. Les choses vont devenir plus faciles pour nous à partir de maintenant.
— Oui ! Je ferai tout ce que je peux pour aider !
— Je vais m’allonger. J’ai mal au dos à cause du trajet à cheval jusqu’au territoire des Kleinert.
— Ne fais pas le vieux.
— Essaie donc de faire le trajet toi-même. Tu verras ce que je veux dire.
Nous avons plaisanté ainsi, profitant de ce bref moment de répit.
***
Trois jours s’étaient écoulés depuis l’arrivée de Finne dans la capitale. Après avoir présenté ses respects à l’empereur, elle avait rendu visite à mon frère et moi avec assiduité. Ses visites étaient bien sûr observées par de nombreuses personnes, et des rumeurs commencèrent à circuler selon lesquelles le duc Kleinert avait envoyé Blau Mowe pour aider le prince Leonard.
À mesure que ces rumeurs se propageaient, elles s’embellissaient de plus en plus.
Les habitants de la capitale, qui adoraient les histoires d’amour, étaient bien partis pour créer une histoire d’amour entre Leo et Finne, mais ce n’était pas nécessairement une mauvaise chose. Chaque jour qui passait, de plus en plus de gens apprenaient que le duc Kleinert soutenait Leo.
Un jour, Finne vint me voir avec une demande.
— Pourriez-vous me faire visiter la capitale ?
Je savais pourquoi elle me demandait cela. Je connaissais beaucoup mieux la capitale que Leo. Mais il y avait un problème.
— Je peux me promener dans la capitale sans que personne ne me remarque, mais toi…
— Je vais me déguiser !
Avec beaucoup d’assurance, Finne sortit une paire de lunettes et les mit.
C’était apparemment son idée du déguisement, mais cela ne la déguisait pas du tout. Moins de gens la reconnaîtraient peut-être, mais les lunettes ne cachaient en rien sa beauté.
En fait, elles ne faisaient que renforcer son charme intellectuel, lui donnant l’air d’être à la fois belle et intelligente. Il y aurait sans doute beaucoup de gens qui trouveraient cela encore plus attirant. Mais on ne pouvait pas vraiment dire qu’une personne qui pensait qu’une paire de lunettes était un déguisement était particulièrement douée sur le plan intellectuel.
— Non.
— Pourquoi ?!
Comme Finne insistait de plus en plus, je soupirai. Apparemment, elle n’avait aucune idée de sa beauté, malgré le fait que recevoir en cadeau la parure de mouettes bleues revenait à être déclarée la plus belle femme de tout l’empire.
— Je ne veux rien faire qui me fasse remarquer. Je n’y réfléchirai que si tu peux te fondre davantage dans la masse.
Je me disais en silence que c’était probablement impossible tout en essayant de la dissuader.
Ce n’était pas une très bonne idée que Finne et moi soyons vus ensemble à ce moment-là.
Les rumeurs concernant Finne et Leo commençaient tout juste à se répandre. Il ne fallait pas que le prince terne soit mêlé à tout ça.
La matinée s’écoula ainsi, jusqu’à midi, lorsque Finne vint dans ma chambre avec un sourire confiant.
— S’il vous plaît, faites-moi visiter la capitale !
— Non. Tu te fais trop remarquer.
— Je vais me déguiser !
Comme auparavant, elle sortit avec assurance un vêtement.
C’était une cape grise à capuche, une tenue de voyageur. Finne enfila la cape sur sa tête et ses épaules. Son visage étant complètement caché, personne ne pourrait la reconnaître au premier coup d’œil.
— Qui a eu cette idée ?
— C’est Sebas qui me l’a recommandé !
— J’aurais dû m’en douter… Bon, il faut aussi qu’on te trouve un garde du corps. On s’en occupera plus tard.
— Sebas a dit que je n’avais pas besoin de garde du corps tant que j’étais avec vous !
— …
Pourquoi mon intendant ne pensait-il qu’à me contrarier ?
J’avais prévu de passer la journée à terminer une liste de tous les nobles neutres que je pensais pouvoir rallier à notre cause… Mais le regard plein d’espoir de Finne m’a fait fléchir.
— D’accord. On peut sortir déjeuner.
— Super !
— Mais on ne peut pas rester trop longtemps, d’accord ? Je sais que tu dois avoir beaucoup de gens qui veulent te voir.
— Non, personne ne m’a rien demandé.
— Hum, c’est probablement parce que tu es la préférée de mon père. Je suppose que tout le monde hésite à faire le premier pas.
Ce n’était pas que l’empereur envisageait Finne comme une épouse potentielle. Il l’aimait simplement comme un père aime sa belle-fille.
Cependant, cela était encore plus dangereux, car quiconque osait la courtiser sans succès risquait de s’attirer les foudres de l’empereur.
Sa relation avec Leo était également une raison probable pour laquelle les autres nobles l’évitaient. Se rapprocher de Finne signifiait nécessairement se rapprocher de Leo. Apparemment, aucun des nobles n’était prêt à prendre un tel engagement.
— Peu importe. Allons-y, alors. Mais on rentre à la maison quand je te le dis, d’accord ?
— D’accord ! Merci beaucoup ! répondit Finne avec un sourire radieux.
***
Les rues de la capitale étaient toujours animées.
Finne observa un moment l’effervescence, puis se tourna vers moi.
— Arnold-sama. Qu’est-ce que c’est ?
— C’est un magasin d’évaluation. Cet endroit a un certificat, donc leurs frais sont assez élevés. Et tu peux m’appeler Al.
— Ça ira ? Utiliser un surnom ?
— Ça me poserait problème si quelqu’un découvrait mon identité par hasard, alors appelle-moi simplement Al.
— … Même si je continue de vous appeler ainsi après ?
Finne me regarda avec un air légèrement interrogateur.
Peu de gens m’appelaient Al.
Cependant, si elle le souhaitait, je n’avais aucune raison de l’en empêcher.
— Fais comme tu veux.
— Oui ! Al-sama !
— Pourquoi as-tu l’air si heureuse ?
Tout en étant surpris qu’une chose aussi insignifiante puisse lui procurer autant de joie, je continuai à lui faire visiter la capitale.
En chemin, nous dînâmes dans un restaurant local.
Ensuite, je lui fis découvrir quelques lieux importants de la ville.
À un moment donné, nous avons vu des enfants jouer et utiliser des sorts d’eau très rudimentaires pour s’éclabousser les uns les autres.
— Ça me rappelle de bons souvenirs. Je jouais comme ça avec les enfants du quartier.
— Vraiment ?
— Oui. Je m’échappais souvent du château. Je revois encore parfois mes anciens amis, même si c’est plus difficile aujourd’hui.
— On dirait que ce sont de vrais amis, si vous êtes restés proches malgré la différence de statut. Je vous envie. Je n’ai pas beaucoup d’amis…
— Ici, dans la capitale, tu peux t’en faire autant que tu veux. Il y a beaucoup de monde, des gens bien et des moins bien. Il suffit de trouver ceux en qui tu peux avoir confiance, et tu auras des amis. Ce n’est pas parce que tu es ami avec quelqu’un depuis longtemps que c’est forcément mieux. Ce n’est pas la durée d’une amitié qui compte.
— C’est… très perspicace.
Finne s’arrêta de marcher pour réfléchir à mes paroles. J’aurais préféré qu’elle ne le fasse pas, je n’avais rien dit d’intéressant.
Alors que j’observais sa réaction excessive avec un sourire amer, certains enfants se mirent à courir dans notre direction. Trois d’entre eux semblaient poursuivre les autres, et ils décidèrent tous les trois d’utiliser la magie de l’eau en même temps.
Malheureusement, l’eau n’avait fait que mouiller légèrement les enfants qui s’enfuyaient, et à la place…
— Ha ?!
Finne, qui se trouvait directement dans la trajectoire de l’eau, avait été la plus touchée. Les multiples éclaboussures avaient trempé ses vêtements. Les enfants s’étaient immédiatement précipités vers elle.
— Hé, ça va ?
— Désolé !
— Non, non, ça va.
Finne leur avait souri en retour.
Au début, les enfants semblaient stupéfaits par son joli sourire visible sous sa capuche, mais leurs visages devinrent rapidement rouge vif lorsqu’ils remarquèrent autre chose. Finne semblait confuse par leurs regards.
Je suivis le regard des enfants et réalisai l’énorme problème qui se posait. Leur embarras était compréhensible ; cela avait dû être un choc pour ces petits enfants.
— Finne, viens avec moi !
— Hein ? Que se passe-t-il ?
J’attrapai Finne par la main et l’éloignai précipitamment.
Après avoir couru pendant quelques minutes, je nous cachai dans une ruelle.
Finne me questionna entre deux halètements tandis qu’elle reprenait son souffle.
— Maître Al… Que se passe-t-il ?
— On voit tout à travers tes vêtements.
— Quoi ?
Ne voulant pas m’étendre davantage, j’ai détourné le regard et lui ai fait signe de la main. Lorsque Finne avait baissé les yeux vers ses vêtements, elle avait enfin compris la gravité de la situation.
— Oh, mon Dieu !
Finne rougit et tenta de se couvrir. Ses vêtements étaient devenus complètement transparents après avoir été mouillés, laissant apparaître ses sous-vêtements blancs.
Elle parvint à utiliser sa cape grise pour cacher en partie son corps, mais pas tout.
— Je suppose qu’il va falloir t’acheter des vêtements. Je ne voudrais pas que tu attrapes froid.
— O-oh… ?
— Mon ami a une boutique non loin d’ici.
Je pris la main de Finne et la conduisis à la petite boutique de vêtements en empruntant le chemin le plus désert possible.
— Oh, bonjour, Votre Altesse. Que puis-je faire pour vous aujourd’hui ?
Le commerçant était un homme aux goûts peu conventionnels en matière de coiffure et de vêtements.
Cela faisait longtemps que je m’échappais du château en cachette pour venir m’habiller ici avant de sortir en ville. Grâce aux recherches menées par Sebas, je savais qu’il était tout à fait fiable et qu’il ne représentait aucun danger.
— J’aurais besoin de vêtements pour femme.
— Je vois. Et où comptez-vous aller habillé en femme ?
— Pas pour moi ! Euh, c’est pour elle. Montrez-moi simplement ce que vous avez.
— Oh ? C’est inhabituel de vous voir avec une compagne.
Pendant que nous parlions, le commerçant apporta plusieurs vêtements parmi lesquels choisir. Heureusement, il semblait avoir compris la situation délicate dans laquelle nous nous trouvions, car Finne portait une cape à capuche, et il ne nous demanda pas plus d’informations. J’appréciais sa discrétion.
Finne examina les vêtements, mais tout était destiné à des roturiers, et n’était pas du genre à être porté par la fille d’un duc. Elle regardait dans tous les sens, ne sachant pas quoi choisir.
Après un moment, elle prit la parole d’une petite voix.
— Que dois-je porter ?
— Choisis ce qui te plaît. Ce n’est que pour aujourd’hui.
— Seulement pour aujourd’hui ? Vous allez gaspiller des vêtements comme ça ?
— Je… Je ne pensais pas à ça exactement…
Pour une fille de duc, elle était étonnamment sensée. Le duc Kleinert avait vraiment bien élevé ses enfants. À part son fils, apparemment.
Quand je répétai à Finne de se dépêcher de choisir quelque chose, elle fronça les sourcils. Finalement, après m’avoir regardé plusieurs fois, elle sembla trouver le courage de me redemander.
— Que… Que devrais-je porter, à votre avis ?
— Moi ? Hum, voyons voir.
Je voulais qu’elle porte quelque chose de sensé qui n’attire pas trop l’attention quand on nous verrait ensemble. Et aussi quelque chose qui corresponde à sa personnalité.
Je lui indiquai une robe blanche toute simple.
Finne s’empara alors de la robe avec une rapidité surprenante et se rendit à l’arrière de la boutique pour l’essayer.
— Quelle jeune femme adorable, hein ?
— Ne va pas raconter à tout le monde que je sors avec une fille, tu m’entends ?
— Je ne dirai rien ! Je suppose qu’il y a une explication, car je ne vous ai presque jamais vu sortir avec une femme auparavant. C’est juste un peu surprenant, c’est tout.
— Il n’y a rien d’inhabituel à ce que je sorte avec une fille.
— Vous fréquentez des amis peu recommandables, mais je ne vous ai jamais vu avec une femme en particulier. Ne me dites pas que le moment est venu pour Son Altesse de se ranger ?
— N’y pense même pas.
Pendant que nous parlions, Finne ouvrit le rideau de la cabine d’essayage.
(Illustration)
Son visage était toujours caché par sa capuche, mais je voyais bien que la robe blanche lui allait à ravir. Je trouvais qu’elle était généralement très jolie en blanc.
— Alors, qu’en pensez-vous ?
— C’est joli.
— Oui, cette robe vous va à ravir. Allez-vous payer comme d’habitude, Votre Altesse ?
— Oui. Sebas enverra quelqu’un plus tard. Désolé pour le dérangement.
— Pas de quoi. C’est grâce à votre clientèle que les voyous du quartier me laissent tranquille. Profitez bien du reste de votre rendez-vous.
— Rendez-vous ?!
— Je lui fais juste visiter la ville. Ne te fais pas d’idées.
— Quelle que soit la raison, un jeune homme et une jeune femme qui sortent ensemble en ville, ça s’appelle un rendez-vous !
Le commerçant nous taquina alors que nous quittions sa boutique.
Pendant un moment, Finne continua de rougir et d’agir bizarrement, apparemment incapable de se sortir la remarque du commerçant de la tête.
Je pris la décision de me venger de ce petit voyou la prochaine fois que je le verrais.
***
Malgré mon insistance pour ne pas rester dehors trop longtemps, la visite de la capitale prit beaucoup de temps. Juste au moment où je décidais qu’il fallait rentrer, Finne repéra une boutique d’accessoires.
— Ha~a… ne sois pas trop longue, d’accord ?
— Oui !
Comme elle me regardait avec des yeux suppliants, je lui donnai la permission d’y entrer.
Elle ne prononça pas un mot de plus, mais je ne pouvais pas dire qu’elle était capricieuse.
Cependant, les yeux peuvent être aussi bavards que la bouche, et ce qu’elle exprimait du regard n’était pas sans effet.
Combien de fois est-ce que ça fait ?
Comme j’étais fatigué, je n’entrai pas dans le magasin.
Je m’appuyai contre un pilier devant la boutique et attendis.
Cependant, l’un des clients ne me laissa pas en paix.
— Tiens, tiens ? Mais n’est-ce pas le prince terne ?
En entendant cette voix désagréable et sarcastique, je fronçai les sourcils.
Franchement, il fallait que je tombe sur quelqu’un que je ne voulais pas voir.
La personne qui apparut était un jeune homme aux cheveux bruns coupés au carré, entouré de son entourage.
Ses vêtements longs et amples, ainsi que sa coiffure prétentieuse, étaient tout simplement affreux.
Cependant, il semblait convaincu d’avoir du style et débordait de confiance.
Il s’appelait Gied von Horsvath.
Il descendait de la maison Horsvath, la deuxième plus ancienne maison noble de l’Empire.
Et malgré mon refus, c’était mon ami d’enfance.
La maison Horsvath possédait un territoire proche de la capitale impériale.
Il avait donc une résidence en ville et venait souvent au château.
Comme nous avions le même âge, les adultes nous mettaient souvent, Leo et moi, en sa compagnie.
Il nous accompagnait durant les cours et les entraînements. Voilà le genre de relation que nous avions.
Cependant, il ne se montrait agréable qu’en présence de Leo, et me tyrannisait dès qu’il avait le dos tourné.
Son entourage était composé des mêmes camarades de brimades qu’à l’époque.
Je ne ripostais jamais et je n’en parlais pas aux adultes.
D’ailleurs, ceux qui s’en rendaient compte détournaient le regard.
Voir un prince, pourtant d’un rang bien supérieur au leur, se faire harceler leur procurait sans doute un sentiment de supériorité.
Une fois adulte, Gied continua à s’en prendre à moi de la même manière.
— Gied… C’est rare de te voir dans un endroit pareil.
— J’ai aperçu un minable qui n’avait même pas l’air d’un prince depuis ma calèche.
Je me suis dit que je devais t’interpeller, en tant que membre de la noblesse impériale.
— Eh bien, merci.
— C’est quoi, cette attitude ?
Gied me poussa le visage avec sa canne, une expression irritée sur le visage.
— Tu crois que je ne peux pas te frapper juste parce qu’on est en public ? Personne ne dira rien, même si je te tabasse, tu sais ? Tout le monde se fiche de ton visage, de toute façon.
— Je me demande… Leo est devenu célèbre récemment. Peut-être que les gens reconnaissent déjà mon visage, non ?
Ce n’est pas comme si tous les citoyens retenaient les visages de chaque membre de la famille impériale.
Même avec ma notoriété actuelle, ils savent au mieux que j’ai les cheveux noirs et les yeux noirs.
Je suis apparu devant le peuple lors de certaines cérémonies, mais comme la distance était grande, ils n’avaient pas pu distinguer nos traits avec précision.
Cependant, Leo est récemment devenu célèbre.
Il ne fait aucun doute que cela poserait un gros problème s’il frappait quelqu’un qui lui ressemble.
— Tu n’es pas Leonard. Les gens le voient rien qu’en te regardant. Tu es toujours habillé négligemment, et tu gardes constamment les yeux baissés. C’est le signe que tu manques de confiance en toi.
Qui pourrait penser que tu fais partie de la famille impériale ? Ton comportement n’a rien à voir avec celui d’un prince !
Sur ces mots, Gied me frappa le tibia avec son bâton.
Je grimaçai de douleur, mais je ne tombai pas.
Je ne pouvais pas me permettre de faire une scène ici.
Cela donnait toujours l’impression qu’un noble malmenait un passant, mais si les gens reconnaissaient mon visage comme étant celui d’un membre de la famille impériale, cela créerait un véritable remue-ménage.
Et quelle qu’en soit l’issue, ce serait problématique.
Que faire, maintenant ?
— Que se passe-t-il ?
Je faillis claquer la langue.
Elle débarque maintenant.
Peux-tu éviter de compliquer les choses ?
Finne regarda le bâton que Gied avait utilisé pour me frapper, et son visage exprima une colère ouverte.
— Insolent !
— Hein ? Qui est-ce ? Ta servante ? Je vois… tu es donc quelqu’un d’impoli.
Sur ces mots, Finne retira sa capuche.
Pendant un instant, Gied resta figé devant sa beauté, mais dès qu’il comprit à qui il avait affaire, il sursauta de surprise.
— Vous… Vous êtes… Fii… Mademoiselle Finne !?
— Oui, je suis Finne von Kleinert. Et vous êtes ?
— Je… je suis Gied von Horsvath. Le fils aîné du duc Horsvath.
— Le fils du vénérable duc Horsvath ? C’est regrettable.
Je pensais que vous auriez un comportement plus honorable.
Gied tenta aussitôt de se justifier devant une Finne visiblement déçue.
Il avait l’air extrêmement pathétique.
C’était impensable venant de Gied, qui tenait toujours tant à sa dignité.
Être publiquement humilié devant tant de monde devait être insupportable pour son orgueil.
— C’est… c’est un malentendu ! Ce type est…
— Le prince Arnold Lakes Adler.
Vous pensez pouvoir maltraiter le “prince terne” ?
N’avez-vous donc aucun respect, aucune loyauté envers la famille impériale ?
— N-non, ce n’est pas ce que je voulais dire…
Je regardai Finne.
Ce serait problématique si elle faisait perdre la face à Gied ici.
Finne est la Blau Möwe.
En plus d’être célèbre dans la capitale, elle est également la favorite de l’Empereur.
Il serait facile de lui demander de me défendre, mais je ne peux pas lui permettre de s’opposer à Gied.
Il n’est pas nécessaire de se faire un ennemi de plus.
Si je le laisse faire, Gied sera satisfait. Et s’il me frappe sans raison, c’est sa propre réputation qui en souffrira.
J’essayai de lui faire signe d’arrêter, mais Finne n’y prêta aucune attention.
Puis elle prononça quelque chose de complètement inattendu.
— Tout d’abord… pensez-vous vraiment que j’accompagne le prince Arnold ?
— Eh… ?
Finne me fixa droit dans les yeux.
Comprenant ce qu’elle voulait faire, je soupirai.
Si c’est ainsi, je n’ai plus qu’à suivre son plan.
— C’est embêtant, Finne-san.
Comme tu ne veux pas que cela se répande en rumeur, je faisais semblant d’être Nii-san, tu sais…
— Je vous présente mes excuses les plus sincères, Leo-sama.
— Eh… ah… eh… Leonard… ?
— Oui, c’est cela. Gied-san.
Je remis mes cheveux en place, me redressai et adoptai le ton de Leo.
Je modifiai mon expression pour lui donner un air plus doux.
En voyant ma transformation, le visage de Gied vira au bleu en se rappelant ce qu’il venait de faire.
— Le-Leonard… ce n’est pas ce que tu crois… je…
— Ce n’est pas grave, Gied-san.
Je sais que tu as agi ainsi envers Nii-san, mais tant que lui ne dit rien, je ne ferai rien non plus.
Mais nous devons vous laisser pour aujourd’hui.
Je fais visiter la capitale à Finne-san, après tout.
— A-Aa… D’accord…
Gied se recula, le visage crispé.
Si cela avait été moi, au cas où il serait arrivé quelque chose à Leo, j’aurais peut-être fait appel au respect et à la loyauté envers la famille impériale, comme Finne l’a fait.
Après tout, Leo est le quatrième dans l’ordre de succession.
Contrairement à moi, c’est un prince qui pourrait réellement devenir empereur.
Gied devait bien comprendre qu’il valait mieux ne pas laisser les choses empirer.
Je me dépêchai de reprendre mon apparence habituelle.
Cependant…
— Tu devais vraiment faire ça ?
— Je suis désolé…
— Ha~a… Allons-y.
Nous devions d’abord quitter les lieux. Nous avions trop attiré l’attention.
Nous marchâmes rapidement en direction du château.
Je m’arrêtai près des grilles et regardai Finne.
Elle me regardait avec un visage au bord des larmes.
— … Tu as fait ça de ton propre chef, n’est-ce pas ? Je suis vraiment désolé…
— Si tu l’avais laissé faire, il aurait juste terni sa propre réputation.
Mais désormais, il te sera hostile, à toi et à Leo.
Et comme ils savent que Leo peut se déplacer en se faisant passer pour moi, mes déplacements vont devenir plus difficiles.
— …
Si je continuais ainsi, elle allait vraiment pleurer.
Des larmes s’étaient déjà formées dans ses yeux.
Voyant cela, je détournai le regard.
Peu importe ce que je lui dis maintenant, cela ne changera rien.
Je ne peux pas lui reprocher ce qui s’est passé.
— Si tu as compris, la prochaine fois, ne fais pas ça seule.
Ça pourrait être dangereux pour toi aussi, alors ne recommence pas.
— Oui.
Elle baissait toujours la tête, l’air sur le point de pleurer.
En voyant cela, je ne savais pas quoi faire.
Finalement, comme je ne pouvais rien faire, j’ouvris la bouche.
— Mais… je sais que tu l’as fait pour moi. Merci.
— … Al-sama…
— Je suis désolé que cela se termine ainsi, alors que tu t’amusais tant.
— Non, non ! Ce n’est pas la faute d’Al-sama ! C’est entièrement de ma faute !
Je ferai plus attention la prochaine fois ! Alors… vous pourrez me faire visiter à nouveau ?
— Oui.
La prochaine fois, je me déguiserai aussi.
En entendant cela, l’expression de Finne s’éclaira aussitôt, et elle afficha un grand sourire.
Cela valait la peine de faire un détour pour lui faire visiter la capitale, rien que pour voir ce sourire.
C’est en pensant cela que je la raccompagnai au château.