COTEY3 T1 - CHAPITRE 7

La défaite d’Ayanokôji

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Traduction : Calumi
Correction : Raitei
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Deux semaines s’étaient écoulées en un éclair, et le jour du premier examen spécial des terminale était arrivé. Il était 7 h 40. Karuizawa s’était couchée la veille au soir au lieu de lutter pour rester éveillée toute la nuit. Grâce à cela, elle s’était réveillée parfaitement reposée. Après sa préparation habituelle, elle quitta le dortoir seule, en silence. Elle avait connu une vie lycéenne en solitaire avant de la connaître avec quelqu’un.

À présent, elle se retrouvait de nouveau seule. Depuis sa séparation avec Ayanokôji jusqu’à ce jour, Karuizawa n’était pas parvenue à sourire une seule fois. Son cœur ne laissait aucune place à un sourire. Satô et ses autres amies avaient tout fait pour l’encourager et lui rendre le sourire, mais cela n’avait eu pour effet que de resserrer l’étau autour de son cœur, qui hurlait chaque jour un peu plus de douleur. Pourtant, c’était uniquement par entêtement qu’elle continuait à se rendre à l’école sans jamais s’arrêter.

Sur le chemin de l’école, Karuizawa s’arrêta soudainement. C’était parce qu’Ayanokôji était assis un peu plus loin sur un banc, manipulant son téléphone. Elle avait traversé les jours sans y prêter attention depuis leur rupture, mais comme elle nourrissait encore de profonds sentiments pour lui, son cœur se serrait malgré elle chaque fois qu’elle le voyait. Son regard se tournait naturellement vers cet homme, et à chaque fois que leurs yeux se croisaient, elle sentait cruellement qu’Ayanokôji ne gardait aucune attache vis-à-vis de sa séparation.

Cette prise de conscience resserrait impitoyablement l’étreinte sur son cœur. Et pourtant, elle devait avancer. Dans l’idéal, elle aurait simplement pu le saluer d’un « bonjour » ferme et continuer son chemin. Il lui suffisait de faire bonne figure pour que ce soit supportable. Elle se le répétait intérieurement et s’apprêtait à reprendre sa marche quand…

— Bonjour, Karuizawa-san.

Karuizawa — !?

Alors que toute son attention était accaparée par Ayanokôji non loin, Karuizawa sursauta en entendant une voix venant d’une élève qui s’approchait par-derrière. Le visage qui s’approcha du sien arborait de grands yeux brillants, une longue chevelure soyeuse et éclatante, et des lèvres pulpeuses, qui ne laissaient aucun regard indifférent, même féminin.

Karuizawa — Oh, Ichinose-san, bonjour…

Ichinose — Tu es plus en avance que d’habitude, aujourd’hui.

Karuizawa — Hein ? Ah, oui, peut-être bien.

Ce n’est qu’à cet instant qu’elle réalisa être sortie du dortoir plus tôt que d’habitude. Cependant, elle fut troublée par le fait qu’Ichinose parle comme si elle connaissait sa routine.

Karuizawa — Tu sais… à quelle heure je quitte le dortoir d’habitude ?

Ichinose — Oui. En général, c’est vers 7 h 50, non ?

Karuizawa — Heu… peut-être…

Ichinose avait donné l’heure avec une telle assurance que Karuizawa en eut un frisson. D’ailleurs, elle-même ne connaissait pas avec précision l’heure à laquelle elle partait habituellement.

Ichinose — Dernièrement, Ayanokôji-kun s’assoit souvent sur ce banc.

Karuizawa — Vraiment… Tu sembles bien le connaître.

Ichinose — Eh bien, je pars généralement à cette heure-là, donc je le vois assez souvent. Changer un peu son heure de départ peut vraiment offrir une nouvelle perspective, tu ne trouves pas ?

Alors que les deux continuaient à discuter, d’autres élèves passaient peu à peu à proximité. La plupart saluaient Ichinose, qui leur répondait avec un sourire.

La vie scolaire ne se résumait pas au nombre d’amis qu’on avait. Karuizawa en avait conscience, mais il était évident que les chemins qu’elles avaient empruntés au cours de ces deux années étaient profondément différents. Partout où elle posait le regard, à droite, à gauche, devant, derrière, elle ne voyait que des amis d’Ichinose.

Même des camarades de Karuizawa, de la classe A, saluaient Ichinose avec plus de familiarité qu’ils n’en montraient envers elle. Ichinose avait sans doute élargi son cercle bien au-delà des élèves de première et elle s’imaginait sans mal qu’elle avait déjà commencé à créer des liens avec les seconde aussi.

Karuizawa — Tu es toujours aussi populaire, pas vrai ?

Ichinose — Populaire ? Je ne fais que saluer des amis, comme toi.

Cela aurait pu paraître banal, mais dans la bouche d’Ichinose, cela sonnait vrai. Ses accomplissements parlaient pour elle.

Ichinose — C’est enfin le jour de l’examen spécial d’ailleurs.

Karuizawa — …Oui, c’est vrai.

Ichinose — Tes révisions se sont bien passées ?

Karuizawa — J’ai fait de mon mieux. Mais toi, Ichinose-san, tu n’as sans doute pas trop à t’en faire. J’imagine que ça doit être agréable.

Ichinose — Pas du tout. Je tiens à peine le coup, mais j’ai la pression.

Elle disait cela, mais elle n’avait pas l’air de souffrir. Du moins, c’est ainsi que Karuizawa la percevait à ses côtés. La conversation approchait naturellement de sa fin, et Ichinose allait sûrement bientôt se remettre à marcher.

Karuizawa — Je peux… te demander quelque chose ?

Juste au moment où son esprit avait décidé qu’elle ferait mieux de la laisser partir, ces mots lui échappèrent.

Ichinose — Hmm ? Demande ce que tu veux. Ah, mais je ne te révélerai rien sur nos groupes et pénalités. Ça, c’est secret, d’accord ?

Karuizawa — Ce n’est pas ça que je veux savoir.

Ichinose — Alors je t’écoute…

Ichinose lui adressa un sourire en attendant qu’elle s’exprime.

Karuizawa — Est-ce que Ayanokôji-kun et toi… vous sortez ensemble ?

La voix de Karuizawa tremblait lorsqu’elle laissa échapper la question qui lui brûlait les lèvres.

Cependant, elle détourna le regard sans s’en rendre compte, effrayée par la réponse à venir. C’était l’une des raisons possibles pour lesquelles Ayanokôji l’avait quittée à savoir qu’il l’avait laissée pour une autre fille, Ichinose. En tant que terminale, elle ne pouvait s’empêcher de remarquer à quel point Ayanokôji et Ichinose s’étaient rapprochés. Cela ne ressemblait pas à une simple amitié. Et elle était loin d’être la seule à le penser. Des rumeurs circulaient.

Ichinose — Moi ? Impossible. Aucune chance qu’il sorte avec moi.

La réponse qu’elle reçut fut curieusement formulée. Elle se rabaissait tout en mettant Ayanokôji sur un piédestal. Et pourtant, quel que soit l’angle sous lequel on les observait, ils formaient un duo parfait, peut-être même un couple idéal. Cependant, Karuizawa ne pouvait pas accepter ses paroles semblant manquer de sincérité. Elle tourna de nouveau son regard fuyant vers elle.

Karuizawa — Si tu caches la vérité juste pour me ménager…

Ichinose — C’est vraiment la vérité. Nous n’avons pas cette relation.

Karuizawa — Mais…

Pour elle, leur relation avait clairement changé d’où son insistance, prête à passer pour une forceuse. C’était une question qu’elle n’aurait jamais voulu poser, mais il le fallait. Saisissant l’intensité de la détresse dans les yeux hésitants de Karuizawa, Ichinose poussa un léger soupir.

Ichinose — Cela dit, on peut dire que ça y ressemble, hein ? Enfin, ce n’est pas le genre de relation auquel tu penses.

Karuizawa — Hein ? Je capte pas… Vous sortez ensemble, oui ou non ?

Ichinose — Non, vraiment pas. Absolument pas.

Karuizawa — Je vois… c’est donc comme ça…

La vertueuse Ichinose répondit avec une conviction inébranlable. Cela signifiait qu’elle ne mentait vraiment pas. Karuizawa pouvait au moins le croire. S’ils sortaient réellement ensemble, elle l’aurait sans doute dit, mais elle n’arrivait pas à s’en réjouir sincèrement. Ses sentiments étaient confus. Même s’ils ne sortaient pas ensemble pour l’instant, cela pouvait changer dès demain.  Non… ils pouvaient même commencer à sortir ensemble aujourd’hui.

Pour Karuizawa, l’idée qu’Ichinose sorte avec Ayanokôji relevait du désespoir.
Et pourtant, elle ressentait malgré elle un mince soulagement en son cœur. À cet instant, il lui restait encore une lueur d’espoir. Elle s’efforça d’en prendre conscience et de l’accepter mentalement. Pendant ce temps, Ichinose, debout à ses côtés, percevait le léger relâchement dans le cœur de Karuizawa.

Karuizawa était soulagée à l’idée qu’ils ne soient pas en couple. Et Ichinose l’avait compris. Une nouvelle émotion était née en elle au cours de leur échange. Un soupçon de malveillance s’était bel et bien éveillé, aussi faible soit-il. L’année dernière, lorsqu’elle avait compris ses sentiments amoureux pour Ayanokôji, Karuizawa était déjà sa petite amie. Elle avait pleuré, plus d’une fois, à la seule pensée de l’existence de Karuizawa.

Ichinose — Je comprends, c’est quelqu’un de merveilleux, hein ?

Karuizawa —

Ichinose — Mais je ne saisis pas… Pourquoi avoir rompu lui ?

Elle posa cette question en sachant pertinemment qu’Ayanokôji l’avait quittée.

Karuizawa — C’est que…

Elle ne pouvait pas lui avouer qu’elle avait été larguée. Elle le savait, et pourtant, elle ne voulait pas donner la moindre lueur d’espoir à Ichinose.

Karuizawa — T-Tu sais… À propos d’Ayanokôji-kun, il…

S’approcher de lui ne menait qu’à la souffrance. Elle voulait la prévenir.
Mais alors qu’elle hésitait à poursuivre, Ichinose ouvrit les lèvres.

Ichinose — Il est peut-être différent des autres. C’est ça ?

Elle répondit comme si elle avait déjà deviné le fond de ses paroles.

Karuizawa — …O-Oui.

Puisqu’au fond, c’était bien ce qu’elle voulait dire, elle ne put que hocher la tête, malgré un trouble certain. Ichinose, debout à ses côtés, semblait en savoir plus qu’elle ne le montrait sur les secrets d’Ayanokôji. Karuizawa le sentait intuitivement.

Ichinose — Merci pour le conseil, ou l’avertissement. Mais je vais bien.

Karuizawa — Comment tu peux dire ça avec autant d’assurance ?

Ichinose — Comment ? Je ne sais pas trop moi-même. Dis-moi, tu regrettes d’avoir rompu avec lui ?

Karuizawa — N-Non, pas vraiment… Ce n’est pas ça du tout…

Ichinose — Vraiment ? Ce n’est pas l’impression que tu donnes. Tu ne crois pas que vous auriez pu préserver une relation aussi importante si quelque chose avait été différent ?

Qu’importe la personne à l’origine de la rupture, il y avait forcément une raison pour que cela se termine ainsi. Et si ces éléments instables avaient été traités à temps, peut-être que le futur aurait été tout autre.

Ichinose — Ce n’est qu’une supposition, mais… peut-être que votre relation a pris fin parce que tu attendais quelque chose en retour ?

Ces paroles firent remonter à la surface les émotions que Karuizawa s’efforçait de contenir. Pourquoi devrait-elle se laisser juger ainsi par une étrangère ?

Karuizawa — Qu’est-ce que tu veux dire par « attendre quelque chose en retour » ? Je n’ai jamais demandé quoi que ce soit de ce genre…

Ichinose — Parce que quand on aime quelqu’un, on veut être aimé aussi, que ce soit réciproque. C’est à la fois douloureux et triste quand ça ne vient pas et ça concerne aussi l’amitié et la famille…

Karuizawa — Qu’est-ce que tu essaies de dire… ? C’est normal, non… ?

Ichinose — Ça l’est, en général. Mais peut-être que je suis différente.

Karuizawa — C’est impossible. Même toi, Ichinose-san… Si tu sortais avec quelqu’un, tu voudrais la même chose, pas vrai ?

Après un « je t’aime », on espérait entendre « moi aussi » en retour. Cet échange en apparence banal était ce qui donnait toute sa valeur à l’amour.

Ichinose — Quelqu’un ? Tu parles d’Ayanokôji-kun ?

Karuizawa — Non…

Ichinose — Tu le sais, pas vrai, Karuizawa-san ? Que j’aime Ayanokôji-kun.

Sans aucune gêne ni hésitation, Ichinose l’énonça clairement. Puis, après un court silence, elle reprit la parole avant que Karuizawa ne puisse réagir.

Ichinose — Je crois que je suis plus du genre à donner qu’à recevoir. J’ai envie de m’impliquer activement pour aider tous les membres de ma classe, mais je n’attends rien en retour. Je pense qu’Ayanokôji-kun ressent la même chose. Je n’ai pas besoin qu’on réponde à mes sentiments. Tant qu’on me laisse aimer, ça me suffit.

Karuizawa — …Endurer ça… ce serait impossible…

Ichinose — C’est possible. Je crois que je l’ai déjà dit, mais ce n’est pas qu’une question d’amour. J’ai simplement envie d’être utile. Si quelqu’un autour de moi a des problèmes, j’ai envie de l’aider. C’est tout.

C’était sans aucun doute ce qu’elle ressentait. Un service désintéressé.

Karuizawa — C’est…

Pour Karuizawa, ce moment qu’elle vivait à présent n’était que cruauté et oppression. Et pourtant, en croisant le regard qu’Ichinose lui adressait, elle en fut certaine. C’était quelque chose que seules deux personnes amoureuses du même être pouvaient ressentir. Et comme celle qui s’était tenue la première aux côtés de cet homme, elle ne put s’empêcher de poser la question.

Karuizawa — Et si…

Ichinose — Hm ?

Karuizawa — Et si c’était moi… qui te demandais de l’aide, Ichinose-san… Tu m’aiderais ?

Karuizawa faisait naturellement partie de ces personnes dont Ichinose avait parlé un peu plus tôt. Du moins, elle aurait dû en faire partie. Qu’une rivale amoureuse comme elle demande de l’aide à Ichinose relevait de l’impensable. Pour Ichinose, ces mots durent résonner comme une surprise totale. Après un court silence, Ichinose esquissa un léger sourire.

Ichinose — Désolée. Je retire ce que j’ai dit tout à l’heure. Peut-être que je ne peux pas t’aider.

Bienveillance… Hypocrisie…

C’était une nouvelle manière de penser pour Ichinose, différente de toutes les autres facettes qu’elle avait montrées jusqu’ici.

Ichinose — Je n’ai pas le pouvoir d’aider tout le monde.

Il y avait des moments où il fallait faire des choix. Avant, si cent personnes avaient eu besoin d’aide, Ichinose aurait tenté de les aider. Même si elle n’avait la force d’en aider que cinquante, elle aurait visé trop haut. Et cela aurait signifié échouer à sauver même les cinquante qu’elle aurait pu secourir.

Dans ce cas, mieux valait ne pas viser aussi loin et sauver les cinquante dès le départ. Telle était désormais la nouvelle échelle de valeurs et de priorités d’Ichinose. Et parmi ces cinquante premières personnes, Karuizawa Kei ne figurait tout simplement pas.

Ichinose — Ah, au fait. Je ne te l’avais pas dit, mais si Ayanokôji-kun est assis sur ce banc, c’est parce que…

Elle s’exprima en souriant, les yeux baissés vers le regard fuyant de Karuizawa.

Ichinose — Il m’attend. On s’est donné rendez-vous à cette heure-là.

Incapable de répondre, Karuizawa ne put que baisser encore les yeux.

Ichinose — Ah oui, j’oubliais. S’il y a eu des événements importants entre Ayanokôji-kun et moi, un lien plus profond qui s’est tissé… S’il y a eu des choses qu’on ne pourrait pas dire aux autres… c’est venu après. Après qu’il t’a dit adieu, Karuizawa-san. Il n’y a rien entre nous qui devrait poser problème du coup. Alors, on peut continuer à être amies, pas vrai ? Il n’y a pas de raison que ce soit un souci.

Sur ces mots, Ichinose s’éloigna et appela Ayanokôji.

Celui-ci rangea son téléphone, se leva, et se mit à marcher aux côtés d’elle. Il avait sans doute remarqué que Karuizawa était restée immobile derrière un bref instant, mais cela n’alla pas plus loin.

Il ne tourna pas les yeux vers elle, ni ne changea d’expression. Le visage d’Ichinose, tourné vers Ayanokôji, rayonnait de bonheur. Quelque chose monta dans la gorge de Karuizawa. Elle quitta le chemin de l’école et alla se cacher dans les buissons. Sans que personne ne la voie.

1

Après la pause déjeuner, juste avant le début de l’examen spécial, la terminale B de Ryuuen, baignait dans un climat de stress extrême. La plupart des élèves avaient passé presque tout leur temps à réviser dans l’unique but de grappiller ne serait-ce qu’un point de plus et d’éviter les représailles de Ryuuen. Leur seul souhait, en vérité, était de ne pas être choisis parmi les cinq participants. Car s’ils étaient sélectionnés et perdaient, nul ne savait quel genre de traitement Ryuuen leur réserverait. Les participants au combat en petit groupe étaient, en principe, informés à l’avance. Mais Ryuuen, lui, n’avait rien dit.

Pas un mot. Pas même un nom. Jusqu’au moment du début de l’épreuve, tout le monde restait un candidat potentiel. Face à une stratégie aussi agressive, personne ne pouvait se permettre de relâcher la pression. Katsuragi, qui avait une vue d’ensemble des capacités académiques de la classe, constatait les progrès accomplis en moins de deux semaines. Bien sûr, des élèves comme Kaneda, Shiina ou lui, n’ayant pas peur des conséquences, n’avaient qu’une chose en tête : rapporter un maximum de points, qu’ils soient choisis ou non pour être représentants. Mais leurs visages restaient tendus. Ils savaient qu’ils étaient encore bien loin du niveau de leurs adversaires de la classe C.

M. Sakagami — Maintenant, je vais vous annoncer les noms des cinq élèves qui participeront dans la phase des petits groupes.

Sakagami, leur professeur principal, était le seul à avoir été informé la veille par Ryuuen de l’identité des cinq sélectionnés.

M. Sakagami — Ishizaki Daichi. Yabu Nanami. Ibuki Mio. Kondô Reon et enfin Kinoshita Minori. Voilà les cinq représentants.

Une fois les noms annoncés, les élèves se regardèrent, incapables de contenir leurs réactions. Même s’il était impossible de deviner à l’avance qui allait être choisi, la composition du groupe semblait totalement incohérente, un choix que Ryuuen aurait été absolument incapable de faire, en apparence. Parmi les participants se trouvaient plusieurs élèves parmi les plus faibles de la classe sur le plan académique, des élèves sans motivation, mauvais en études.

Notamment Ibuki, qui avait réussi à suivre un rythme convenable jusqu’au début de sa première, mais qui avait progressivement décroché, au point d’être au même niveau qu’Ishizaki. Voilà ce qu’était cette sélection. Et parmi les élèves qui auraient dû être prioritaires pour ce rôle, pas un seul nom n’avait été retenu. Tirant sa chaise, Tokitô repensa à tout le travail acharné fourni durant les deux dernières semaines, et reporta sa frustration sur Ryuuen.

Tokitô — C’est quoi ce groupe ridicule, Ryuuen ? Tu as déjà renoncé à la phase de combat en petit groupe ?

Le match de classe était déjà quasiment perdu d’avance. La seule manière de renverser cette issue, c’était de réussir l’exploit de remporter quatre victoires au sein des affrontements en petit groupe. Tous les élèves de la classe nourrissaient, même faiblement, l’espoir d’un tel miracle. Mais Ryuuen répondit sans la moindre hésitation.

Ryuuen — Oui, j’ai laissé tomber. Peu importe à quel point on élabore des stratégies, c’est perdu d’avance. T’es pas content ?

Tokitô — Ok, j’ai jamais cru qu’on pourrait gagner cet examen spécial en jouant franc jeu. Et si tu avais utilisé des points privés pour acheter des pénalités, j’aurais été furieux aussi. Cela dit, il n’y avait aucune raison de baisser les bras avant même d’avoir commencé. Tu crois qu’on a étudié comme des fous pendant deux semaines pour quoi ?

Ryuuen — Pourquoi ? Pour ta foutue gueule.

Tokitô — Me cherche pas !

Les disputes entre Ryuuen et Tokitô étaient devenues un spectacle quotidien.
Sakagami, indifférent à leur échange, retira ses lunettes et se mit à en essuyer soigneusement les verres.

Ryuuen — Hah ! Alors dis-moi, tu crois vraiment qu’on aurait eu une chance en y allant à fond ?

Tokitô — Il y avait une possibilité. Ils sont pas tous brillants. Peut-être qu’ils ont mis des gens capables de marquer à peine soixante points, de peur qu’on les cible avec des points de pénalité. Si on envoyait Kaneda ou Katsuragi contre eux, on avait peut-être une chance de gagner…

Ryuuen — T’es tellement loin de la réalité. Même un gosse le verrait.

Tokitô — C’est… peut-être. Mais malgré tout, il n’y avait pas de raison d’abandonner dès le départ !

Ryuuen — Pas de raison ? Si, justement. Sakagami, parmi les cinq que j’ai désignés, y en a qui ont reçu des points de pénalité ?

Sakagami — …Aucun. Zéro.

Ryuuen esquissa un sourire mauvais en entendant cette réponse, convaincu d’avoir fait le bon choix.

Tokitô — Et alors ? Ça sert à rien de faire participer Ishizaki et les autres.

Ryuuen — Pas vraiment. L’équipe adverse n’a pas réussi à deviner l’identité des cinq. Ça veut dire qu’ils n’ont pas su lire mes intentions.

Le jour où il avait rencontré Ayanokôji, il avait organisé une réunion stratégique dans une salle de karaoké. À la fin, il avait rappelé Katsuragi pour annuler toutes les stratégies qu’il lui avait transmises jusque-là. Autrefois, il se serait jeté dans la bataille de front et aurait concentré tous ses efforts pour vaincre Ayanokôji. Puis, il aurait été surpassé par les stratégies supérieures de ce dernier, et probablement victime d’une contre-attaque.

Il avait compris qu’il fallait d’abord observer la situation. Dans un examen spécial aussi défavorable à sa classe, il n’existait aucune méthode viable pour contrer Ayanokôji. Foncer tête baissée n’aurait été qu’un pur acte d’inconscience. Ce qui importait désormais, c’était d’appuyer calmement sur les freins, et de garder le contrôle selon les circonstances. En d’autres termes, c’était une manière de se battre qu’Ayanokôji n’aurait pas pu prévoir.

L’adversaire allait s’attendre à ce que Ryuuen agisse toujours dans l’optique de remporter la victoire. Selon la situation, ils pouvaient même penser qu’il utiliserait ses points privés pour attaquer. Ayanokôji allait devoir réfléchir sérieusement pour espérer gagner. Mais au bout de ses réflexions désespérées, tout ce qui l’attendait, c’était une chose : personne ne pouvait lire dans ses intentions. Incapable de percer la stratégie de Ryuuen, qui avait préféré battre en retraite plutôt que d’affronter, Ayanokôji s’était montré ridicule, peinant à deviner les élèves choisis comme participants.

Il s’était trompé. Les cinq noms étaient complètement à côté de la plaque. C’était la réalité.

Katsuragi — Ryuuen, on dirait bien que tu as pris l’avantage en déjouant sa stratégie. Ils doivent être sous le choc.

Ryuuen — Kukuku, ça prouve simplement qu’il n’est pas tout-puissant.

Comme pour dire que tout s’était déroulé selon son plan, l’attitude de Ryuuen agaça de nouveau Tokitô.

Tokitô — Même si tu arrives à le ridiculiser en déjouant ses prévisions comme ça, au final, ils s’en tireront très bien, non ? Ils doivent juste être contents qu’on les affronte avec une équipe pareille, remplie de crétins.

Ryuuen — Tous sauf Ayanokôji, du moins.

Tokitô — Il paraît qu’il fait beaucoup parler de lui avec son transfert complètement absurde… Mais Ayanokôji, sérieusement ? Il croit qu’il peut remplacer Sakayanagi comme leader ?

Tokitô parlait sans connaître les détails, et Katsuragi répondit aussitôt.

Katsuragi — En tout cas, Ryuuen en est convaincu. Et moi aussi. Je ne vais pas entrer dans les détails ici, ça n’aurait pas d’intérêt, mais pour l’instant, Ayanokôji est en train d’être mis à l’épreuve quant à sa légitimité en tant que leader. Le fait qu’il puisse ou non anticiper les pensées de Ryuuen sera un facteur déterminant à l’avenir.

Tokitô — Tu voulais donc qu’il se trompe sur toute la ligne ?

Ryuuen — Exact.

Tokitô — Même si ça peut marcher sur le long terme, là, c’est franchement abusé. On va peut-être perdre les sept duels et se faire plumer en points de classe…

Ryuuen — Ça n’arrivera pas.

Il se mit à rire tout en rejetant catégoriquement cette hypothèse, mais Tokitô, incompréhensif, fit claquer sa langue.

Tokitô — On va sûrement se faire écraser sur la phase des classes et les participants qu’on envoie pour les petits groupes sont nuls… C’est la défaite totale assurée…

Ryuuen — Tu crois ? Moi, j’ai lu les intentions d’Ayanokôji. Et si j’ai vu juste, ce crétin va même participer au combat en petit groupe, non ?

Katsuragi — Exact. Les cinq participants de l’autre camp sont, en premier, Ayanokôji Kiyotaka, en deuxième, Shimazaki Ikkei, en troisième, Fukuyama Shinobu, en quatrième, Sanada Kôsei, et en cinquième, Sawada Yasumi. Et… comme prévu, les points de pénalité que tu avais spécifiés ont bien été appliqués à Ayanokôji Kiyotaka : l’intégralité des cent points. Ce qui signifie que peu importe son score, il obtiendra zéro. Ils ne pourront remporter une victoire complète que si Ishizaki-kun, de son côté, fait également un zéro.

Tokitô — Quoi… ? Cent points de pénalité appliqués à Ayanokôji… !?

Ryuuen — Je te l’ai dit, j’ai lu dans ses intentions.

Même Ishizaki, qui n’avait rien d’un élève brillant, n’aurait pas zéro… sauf s’il rendait copie blanche. Mais bien sûr, Ishizaki ne ferait jamais une chose pareille. Autrement dit, même en perdant sur tous les autres duels, une victoire était garantie à 100 %.

Ishizaki — Je peux vraiment battre Ayanokôji !? Sérieux, c’est génial !

En ne regardant que le résultat, avec une victoire et six défaites, ils allaient probablement perdre. Mais cette unique victoire avait une valeur inestimable.

Katsuragi — J’étais perplexe en entendant le plan, mais c’est sûrement la meilleure solution pour éviter les risques. L’équipe adverse est composée uniquement d’élèves très doués sur le plan scolaire. On ignore qui, chez nous, a été ciblé avec des points de pénalité, mais il y a fort à parier qu’il s’agit de nos meilleurs éléments. C’était donc une bataille perdue d’avance.

Si des élèves de niveau similaire s’étaient affrontés, en fonction des duels et des circonstances, la classe B aurait pu arracher une ou deux victoires.
Mais avec déjà deux défaites lors de la bataille de classe, leurs chances de l’emporter restaient minces. Tokitô n’eut d’autre choix que de ravaler sa frustration en voyant les membres choisis par le camp adverse.

Ryuuen — Je vais au moins leur faire goûter le délice de la victoire. Mais toutes les précautions prises par Ayanokôji ont été inutiles. Le connaissant, ça ne m’étonnerait même pas qu’il ait fièrement annoncé ses prédictions avant l’épreuve.

Pour pouvoir prendre les rênes de la classe C, ce genre d’exploit était indispensable.

Katsuragi — Finalement, tu t’es vraiment moqué de lui.

Ryuuen — Grâce à ça, la classe C aura bien du mal à accepter Ayanokôji aussi facilement.

Retarder l’ascension d’Ayanokôji en tant que leader était une nécessité.

Pour pouvoir un jour l’affronter sur une scène parfaite et le vaincre, Ryuuen voulait lui prouver qu’il était capable de changer, de s’adapter, et de se battre avec souplesse, et lui montrer les résultats que cela pouvait produire.

Tout ce développement allait exactement dans le sens souhaité par Ryuuen.

2

Pendant ce temps, la classe de Horikita, la classe A, s’apprêtait elle aussi à vivre ce moment décisif. Il s’agissait d’un affrontement entre les terminale A et D. Bien que la classe d’Ichinose disposât d’un léger avantage numérique, la classe de Horikita conservait de solides chances de remporter les phases de combat de classe. Selon la manière dont chaque côté avait anticipé les sélections pour le combat en petit groupe et l’application des points de pénalité, tout pouvait encore basculer. La bataille s’annonçait serrée et intense. Et la tension monta encore d’un cran lorsque Chabashira reprit la parole.

Chabashira — Malheureusement… trois des cinq élèves que vous avez sélectionnés ont été visés par les pénalités adverses. Votre deuxième choix, Wang Mei-Yui, votre troisième choix, Yukimura Teruhiko et votre quatrième choix, Kôenji Rokusuke, recevront chacun une déduction de vingt-cinq points. En revanche, parmi les adversaires que vous avez pénalisés correctement, on trouve leur deuxième choix, Kanzaki Ryûji, et leur troisième, Tsube Hitomi, qui perdront chacun dix points.

Horikita — Trois élèves avec vingt-cinq points !? C’est énorme… !

La situation était effectivement critique. Une différence de vingt-cinq points suffisait presque à ramener un élève de niveau A face à un niveau D.

Yôsuke — Ils auraient utilisé des points privés ?

Chabashira — Malheureusement, le nombre exact de points de pénalité achetés par l’adversaire n’est pas communiqué. Tout ce que nous savons, c’est que trois personnes ont été visées.

Si vingt-cinq points de pénalité étaient appliqués à dix élèves, cela représentait un total de 250 points. En retirant les cent points de base fournis initialement, cela signifiait qu’ils avaient dû en acheter cent cinquante en plus, soit un coût total de 7,5M de pp. Même en supposant qu’ils n’aient ciblé que dix personnes, la somme nécessaire restait difficile à envisager. Dans ce cas, la pensée suivante s’imposa naturellement…

Sudou — Hé, Hirata. J’veux pas penser au pire, mais… ça pourrait vouloir dire qu’il y a eu une fuite, non ?

Sudou interpréta la situation et accepta la réalité qui se présentait à lui.

Hirata — Difficile à dire… mais seuls quelques-uns étaient au courant : les personnes avec qui j’ai échangé pour faire mon choix, les participants, et Horikita-san.

Pour désigner les cinq participants au combat en petit groupe, Horikita avait confié la responsabilité à Hirata, estimant qu’elle ne pouvait pas prendre de décision lucide. Il n’était pas du genre à décider seul, il avait donc échangé avec quelques personnes clés avant de désigner les cinq élus. Cela allait de soi, cette sélection était confidentielle pour éviter la moindre fuite.

Sudou — Alors c’est forcément l’un d’eux.

Hirata — Non… Je n’arrive pas à y croire.

Sudou — Mais regarde les noms visés. Personne ne choisirait Kôenji. C’est pas son genre de participer activement, et l’adversaire le sait…

Alors qu’il parlait, Sudou eut une idée soudaine.

Sudou — C’est Kôenji hein ? Tu les as bien prévenu à l’avance, non ?

Kôenji ne montra aucune réaction à cette accusation. Mais Hirata intervint rapidement pour rejeter cette hypothèse.

Hirata — C’est impossible. Je n’avais pas dit à Kôenji-kun que je l’avais choisi. Je lui avais simplement signalé qu’il pourrait être sélectionné.

Au cours des discussions, il avait été convenu que laisser Kôenji en dehors du combat en petit groupe dès le départ serait exactement ce que souhaiterait l’adversaire. Qu’il s’agisse d’Ike ou de Kôenji, il était essentiel d’évaluer sérieusement tous les candidats potentiels avant de faire un choix. Finalement, ils avaient estimé que choisir Kôenji prendrait l’adversaire par surprise. Kôenji n’obéissait aux ordres de personne, mais il s’était montré relativement sérieux lors des précédents examens écrits. Le combat en petit groupe n’était que le prolongement du combat de classe, et il ne demandait aucun effort supplémentaire aux élèves désignés.

Ils avaient donc supposé que Kôenji obtiendrait un score plutôt élevé, même sans s’impliquer particulièrement. Le fait qu’il ait été visé en tant que participant était totalement inattendu.

Sudou — Alors pourquoi ? Peu importe comment on voit les choses…

Kushida — Une fuite me parait étrange vu que les deux autres n’ont pas été ciblés. S’ils savaient tout, aucune raison d’en épargner deux.

Kushida fit cette remarque à l’intention de Sudou, qui ne voulait pas entrer dans l’examen la tête pleine de soupçons.

Sudou — …C’est vrai, maintenant que tu le dis…

Shinohara — Alors Ichinose-san aurait deviné ces trois personnes simplement par pure spéculation ? C’est impressionnant…

À cela s’ajoutait l’audace d’avoir infligé vingt-cinq points de pénalité à chacun.
Beaucoup d’élèves, y compris Shinohara, avaient été surpris par cette méthode peu conventionnelle. Tous, sauf une.

Karuizawa — …Je ne pense pas… que ce soit ça.

On aurait dit qu’elle se parlait à elle-même.

Hein ? Qu’est-ce que tu veux dire par là, Kei-chan ?

Depuis une place plus éloignée, Satô manifesta son incompréhension.

Karuizawa — Peut-être que ce n’est pas Ichinose-san qui a visé juste…

Elle s’interrompit un instant. Prononcer ce nom lui pesait. L’image de cette scène radieuse entre eux deux, ce matin-là, lui revenait en mémoire. C’est pour cela que Karuizawa parvint à une seule et unique conclusion.

Karuizawa — Ce serait pas Ayanokôji-kun… ?

Un camarade de classe, pas si lointain. À l’écoute de ce nom, Ike réagit avec une pointe d’agacement dans la voix.

Ike — Hein ? Pourquoi Ayanokôji ? Il est en classe C, quel est le rapport ?

Karuizawa — Mais pour la classe C aussi, on est des ennemis, non ?

Le regard vide d’émotion, Karuizawa fixa Ike.

Face à cette intensité inhabituelle dans ses yeux, Ike en eut le souffle coupé.

Hirata — Eh bien… peut-être…

En entendant les paroles de Karuizawa, Hirata eut l’impression que les fils emmêlés de cette situation commençaient peu à peu à se dénouer.

Hirata — C’est possible… Il a passé deux ans avec nous. Il comprendrait mieux que quiconque l’état de la classe et qui serait susceptible d’être choisi. Il savait que Kôenji-kun avait une attitude plutôt positive face aux examens écrits, donc ce n’est pas étonnant qu’il ait été visé.

Ike — Si c’est vrai, alors Ayanokôji est vraiment le pire… !

Hirata — Pas de conclusions hâtives. Que ce soit une fuite d’information ou une implication d’Ayanokôji-kun, ce ne sont que des suppositions. On n’a pas le choix : il faut jouer avec les cartes qu’on a en main.

Ils étaient déjà écrasés par le désespoir avant même le début de l’examen.
Et pourtant, ils devaient surmonter ce handicap et gagner.

Horikita — Je suis désolée, tout le monde… C’est parce que… je n’ai rien pu faire…

Elle exprima ses regrets et s’excusa. Elle se haïssait profondément. Si elle avait été plus digne de confiance, peut-être que la situation aurait été un peu différente.

Hirata — On n’a pas encore perdu. Même en étant désavantagés, tant qu’on refuse d’abandonner et qu’on continue de se battre, on a encore une chance.

Sans céder à la panique, Hirata exposa calmement la situation.

Faire chuter leur moral à cet instant ne ferait que les affaiblir davantage. Ils ne pouvaient pas augmenter leurs points, mais en perdre, oui…

Peu après, Chabashira annonça le début de l’examen spécial.

3

L’examen spécial, qui s’était déroulé en début d’après-midi, était terminé, et l’heure de vie de classe pour la terminale D approchait. Les résultats devaient être annoncés le jour même, si bien que de nombreux élèves ne cachaient pas leur nervosité. Ichinose balaya lentement la classe du regard, observant attentivement les expressions de chacun, et sentit naître en elle une lueur d’espoir à l’idée d’obtenir de bons résultats

Ils n’étaient pas certains des phases de bataille de classe, mais en ce qui concernait les phases de petits groupes, l’application des points de pénalité avait surpassé toutes leurs attentes. Leurs chances de victoire, qui tournaient autour de 60%, avaient dû grimper au-delà des 70%, c’était, du moins, ce qu’Ichinose estimait.

Bien sûr, il ne fallait pas relâcher leur vigilance avant la fin. Il restait la possibilité que la classe de Horikita, malgré les multiples handicaps, ait obtenu de très bons résultats individuels, ou même surpassé les prévisions dans la bataille collective. Ils étaient donc partagés entre de grandes attentes… et une pointe d’anxiété. Cependant, dès l’instant où Hoshinomiya entra dans la salle, cette anxiété se dissipa aussitôt chez tous les élèves.

C’était un trait typique de Hoshinomiya, qu’on ne pouvait qualifier ni de qualité ni de défaut, qui rendait le résultat évident avant même qu’elle ne le prononce. Son visage s’était déjà visiblement détendu, et elle avait bien du mal à contenir sa joie. Rien que cela suffisait à tout révéler.

Hoshinomiya — Tout le monde, désolée pour l’attente. Les résultats de l’examen spécial sont arrivés, et je vais vous les annoncer !

Shibata — Ouais ! On a réussi !

Shibata leva les bras en signe de victoire, un peu prématurément.

Hoshinomiya — Hé, je n’ai encore rien dit, moi~ !

Shibata — Mais c’est évident, non ?! C’est bon, c’est bon, on a réussi !

En soulignant à quel point son comportement trahissait la bonne nouvelle, Shibata se mit à sautiller de joie. Mais les joues de Hoshinomiya restèrent détendues, souriantes.

Shibata-kun est devenu sacrément joyeux ces derniers temps. Je veux dire, c’est pas un peu excessif ? On dirait un nouveau lui.

Kobashi et la personne assise devant elle, Iizuka, commencèrent à chuchoter à propos de Shibata.

Iizuka — Tu vois, avec cette peine de cœur… Il n’est pas en plein désespoir, mais peut-être qu’il fait le pitre pour ne pas craquer.

Kobashi — Ah~ Et c’est pas que Shibata-kun, hein ? Bon, on peut pas lui en vouloir~

Iizuka — Tu te rends compte que Honami-chan a fait sa déclaration en public ? Eh, attends, est-ce qu’elle sort déjà avec Ayanokôji-kun ?

Kobashi — Je sais pas, mais ils viennent souvent à l’école ensemble ces derniers temps, donc peut-être bien.

Iizuka — Hmm… Je veux dire, Ayanokôji-kun est cool, d’accord… mais quand même, réussir à séduire Honami-chan… Je me demande comment ça s’est passé entre eux.

Iizuka jeta un regard à Ichinose, puis hocha la tête avec une certaine admiration.

Iizuka — Chut, arrête de fixer comme ça, ils vont s’en rendre compte. Les garçons sont déjà tous tendus avec cette histoire. Mieux vaut éviter d’en rajouter.

Kobashi — Mais j’suis curieuse de savoir ce qui se passe avec Karuizawa-san, tout ça… J’devrais lui demander ?

Iizuka — Pas question. Ce genre de truc, c’est… franchement malvenu.

Hoshinomiya — Bon, tout le monde, concentrez-vous un peu sur les résultats~

Alors que les bavardages s’intensifiaient, Hoshinomiya intervint doucement et se racla la gorge. Puis, elle utilisa sa tablette, et les résultats s’affichèrent.

Classe A vs Classe D

Combats en classe complète

Classe A : 2633 points | Classe D : 2712 points
La classe D remporte la bataille de classe

Combats en petits groupes

Sudou Ken — 66 pts vs. Himeno Yuki — 69 pts

Wang Mei-Yui — 82 pts (−25) vs. Kanzaki Ryûji — 75 pts (−10)

Yukimura Teruhiko — 84 pts (−25) vs. Tsube Hitomi — 77 pts (−10)

Mori Nene — 69 pts vs. Kobashi Yume — 68 pts

Kôenji Rokusuke — 72 pts (−25) vs. Beppu Ryôta — 71 pts

La classe D remporte 4 duels sur 5

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Classe B vs Classe C

Combats en classe complète

Classe B : 2327 points | Classe C : 2880 points

La classe C remporte la bataille de classe

Combats en petits groupes

Ishizaki Daichi — 40 pts vs. Ayanokôji Kiyotaka — 100 pts (−100)

Yabu Nanami — 47 pts vs. Shimazaki Ikkei — 81 pts

Ibuki Mio — 43 pts vs. Fukuyama Shinobu — 79 pts

Kondou Reon — 47 pts vs. Sanada Kôsei — 83 pts

Kinoshita Minori — 50 pts vs. Sawada Yasumi — 80 pts

La classe C remporte 4 duels sur 5

 

Les deux leaders, Horikita et Ichinose, s’étaient doutées qu’elles seraient visées par les points de pénalité, et avaient donc choisi de ne pas participer aux combats en petit groupe. La classe A avait opté pour une stratégie mêlant très bons élèves avec ceux ayant un niveau plus modéré, avec des combinaisons inattendues comme Sudou et Kôenji.

À l’inverse, la classe D avait surtout sélectionné des participants légèrement au-dessus de la moyenne de leur propre classe. Si l’on s’en tenait aux résultats bruts, les deux classes les mieux classées avaient essuyé une défaite, mais la victoire de la classe D ne s’était pas jouée à une large avance. Peu auraient qualifié cela de victoire facile.

Amikura — C’était flippant, mais je suis contente qu’on ait acheté les points de pénalité.

Ichinose acquiesça avec un léger sourire face au ton joyeux d’Amikura. En plus des trois élèves ciblés avec justesse parmi les participants au combat en petit groupe, vingt-cinq points de pénalité avaient également été assignés à Hirata Yôsuke et Kushida Kikyô. Cela signifiait que la classe d’Ichinose avait dû débourser 1,25M de pp de sa poche pour obtenir les points nécessaires.

C’était une somme conséquente, mais répartie sur quarante personnes, chacun n’avait eu à payer que 31250 pp, ce qui restait raisonnable.
Et comme leur revenu mensuel allait augmenter de 10000 pp grâce à leur victoire, ils pourraient récupérer leur investissement en quatre mois environ.

Ichinose — Félicitations à tous ! Il fallait absolument qu’on batte la classe A, et on l’a fait avec brio !

Même c’était attendu, la classe explosa de joie une fois la victoire confirmée.

Amikura — On a réussi, Honami-chan ! On a gagné, on a gagné !

Les filles à proximité se joignirent à son enthousiasme et célébrèrent la nouvelle en chœur avec leur professeur.

Ichinose — Ouf. Quel soulagement. J’ai l’impression qu’un poids vient de se lever de mes épaules.

Elle partagea sa joie avec Shiranami, assise à côté d’elle, et se tapèrent dans la main. Devant ces visages rayonnants, Hoshinomiya, hocha la tête, satisfaite.

Mlle. Hoshinomiya — Oui, oui. En tant que prof principal, je suis très satisfaite du résultat. Bon, on a encore un gros écart à combler, alors restons concentrés. Continuons de bosser dur~.

Au fait… Je croyais qu’Ayanokôji était le seul à avoir perdu, mais en fait, il a obtenu un score parfait à ce test !?

Y’avait des questions super dures, non ? J’avais pas capté des trucs.

Alors que la surprise gagnait la salle, Kobashi et Iizuka échangèrent un regard. Une idée venait de leur traverser l’esprit : « C’est donc pour ça ! »

Iizuka — Le garçon discret, beau gosse, qui cachait ses capacités… Ah, voilà pourquoi, Kobashi-san…

Kobashi — Voilà pourquoi, Iizuka-san… C’est sûr, c’est pour ça… Honami-chan savait…

Les deux amies joignirent leurs mains, interprétèrent la situation à leur manière, et hochèrent la tête avec des yeux brillants. Ignorant totalement leur échange, Ichinose sortit son téléphone et envoya un message à Ayanokôji.

Ichinose — Obtenir un score parfait, c’est vraiment impressionnant. Dommage que certains points de pénalité aient été gaspillés, mais je suis contente que la classe C ait pu gagner. Notre victoire, à nous aussi, c’est grâce à toi, Ayanokôji-kun. Comme prévu, Kôenji-kun s’est bien présenté, et Horikita-san n’a pas participé. Merci infiniment.

A peine le message envoyé, il fut lu. Et aussitôt, une réponse arriva.

Ayanokôji — C’est parce que tu as eu le courage de me faire confiance que vous avez gagné.

Ichinose ne put s’empêcher de sourire face à une réponse aussi humble.

Cependant, comme ils étaient encore techniquement en cours, elle décida de ne pas poursuivre la conversation et éteignit aussitôt son téléphone.

4

Mashima-sensei avait terminé d’annoncer la victoire de la classe C et avait quitté la salle. Normalement, les élèves auraient commencé à se lever et à rentrer chez eux, mais cette fois, personne ne semblait pressé de quitter la classe. Le premier à se lever fut Shimazaki. Ou plutôt, il serait plus juste de dire qu’il attendait simplement le bon moment pour bouger.

Il se leva en silence de sa chaise et se dirigea droit vers mon bureau, sans la moindre hésitation. Plusieurs élèves commencèrent aussi à bouger, intrigués par ce qu’il se passait. Le visage de Shimazaki, tandis qu’il approchait, ne laissait aucun doute : il était fermé, grave.

Shimazaki — Ayanokôji. Tu sais très bien ce que je veux dire, pas vrai ?

Il désigna l’écran qui affichait encore les résultats de l’examen spécial.

Shimazaki — Tu t’es trompé sur tous les participants. Pour un premier coup d’éclat, c’est raté.

Hashimoto — Du calme, Shimazaki. On a remporté l’examen, alors au final, ça revient au même, non ?

Hashimoto s’interposa en hâte Shimazaki et moi, mais ce dernier le repoussa sans ménagement.

Shimazaki — Je te l’avais dit avant l’épreuve, non ? Cette fois, on ne jugerait pas la réussite à la victoire de la classe.

Moi — Si je me souviens bien, on devait évaluer la précision des points de pénalité attribués.

Shimazaki — J’attendais que tu en devines au moins deux… J’espérais secrètement que tu en aurais trois…

Hashimoto — Les gagnants ont raison, les perdants ont tort. Disons qu’on en reste là, d’accord ?

Hashimoto tenta une nouvelle fois de calmer les choses, visiblement encore troublé par ce qui s’était passé.

Shimazaki — Désolé, mais il en est hors de question. J’ai bien l’intention de clarifier les choses ici et maintenant.

Moi — Alors parlons-en tous les trois. Pas besoin d’exposer nos différends devant toute la classe.

Alors que Shimazaki serrait le poing, prêt à rejeter cette proposition, la porte de la salle s’ouvrit brusquement. Le bruit inattendu interrompit les paroles et détourna l’attention de tous.

Yo, vous occupez pas de moi.

Ryuuen ouvrait la marche lorsqu’il pénétra dans la salle de classe sans autorisation, suivi de son groupe habituel : Ishizaki, Ibuki et Albert.

Shimizu — Hé, c’est quoi ce squat !

Alors que ce groupe imposant faisait irruption dans la pièce, Shimizu, assis au premier rang près de la porte, tenta courageusement de se lever pour intervenir, mais une silhouette massive lui barra aussitôt le passage. Écrasé par la pression, Shimizu se rassit aussitôt.

Pendant que la scène se déroulait près de la porte, Sawada, une élève qui écoutait la conversation entre Shimazaki et moi, se retrouva involontairement sur le chemin de Ryuuen. Ne trouvant pas le bon moment pour se retirer, elle resta figée. Ryuuen l’écarta sans ménagement en lui saisissant l’épaule.

Sawada — Kyaa !?

Elle poussa un petit cri et vacilla, basculant contre un bureau, parvenant de justesse à se rattraper avec les mains. Même si la chute n’était pas violente, le geste brutal de Ryuuen glaça immédiatement toute la classe. L’atmosphère donnait l’impression qu’une bagarre pouvait éclater là, en plein jour, au beau milieu de la salle.

Hashimoto — On est déjà occupés ici, tu sais ? Tch, j’ai qu’un seul corps, moi…

Ne pouvant abandonner Shimazaki, qui s’approchait de moi les poings serrés, Hashimoto soupira, frustré de ne pas pouvoir se dédoubler pour gérer deux problèmes à la fois. Il lança un regard d’appel à l’aide à Kitô, qui se trouvait non loin de Sawada, mais ce dernier ne bougea pas d’un pouce, se contentant d’observer la scène en silence, assis à sa place.

Hashimoto — Pourquoi y a si peu d’alliés… ?

Décidé à agir, Hashimoto se plaça seul entre Shimazaki et Ryuuen.

Ryuuen — J’suis venu jusqu’ici pour parler au vainqueur, pousse-toi.

Souriant avec arrogance, Ryuuen ignora totalement Hashimoto et continua d’avancer vers moi.

Morishita — J’en prends la responsabilité. Abattez-le immédiatement.

Quelqu’un derrière moi murmura cette absurdité, mais il était évident qu’elle n’assumerait rien du tout. Je décidais donc de l’ignorer.

Moi — Épargne-moi ça, Ryuuen. Je n’ai pas le temps aujourd’hui.

Ryuuen — Et alors ?

Moi — Je ne m’attendais pas à ce que tu comprennes, mais bon…

Alors que Ryuuen avançait vers Hashimoto, il lui attrapa l’épaule exactement comme il l’avait fait avec Sawada. Hashimoto hésita un instant, se demandant s’il devait riposter, mais Ryuuen le repoussa sans ménagement et força le passage pour s’approcher de moi. Hashimoto avait sans doute compris qu’il ne pouvait pas se permettre de frapper en premier.

Ryuuen — Alors ? C’est officiel, maintenant ? C’est toi qui prends la tête de la classe C, Ayanokôji ?

Moi — D’après Shimazaki, ce n’est pas le résultat qui comptait, mais ma capacité à désigner les bons élèves à pénaliser dans les combats en petits groupes. Malheureusement, je n’ai identifié aucun des participants que tu avais choisis.

Les résultats s’affichaient toujours à l’écran, prouvant que je m’étais trompé sur les cinq élèves.

Ryuuen — Eh bien, voilà qui est embêtant. Pas étonnant que l’ambiance soit aussi morose malgré la victoire de ta classe. Mais j’imagine que tu ne comptes pas te chercher d’excuses du genre « Qui aurait pu croire qu’il allait aligner une bande d’abrutis », hein ?

Ibuki — C’est qui que tu traites d’abrutis ?

Ishizaki — Heu, nous deux, non ? Ibuki et moi.

Il pointa tranquillement son doigt vers lui-même, puis vers Ibuki.

Ibuki — Je sais ! Mais il était pas obligé de le dire en face, débile !

Ishizaki — Ah, donc tu savais qu’il parlait de toi. Puis d’abord, on est derrière lui, pas en face.

Ibuki — La ferme !

Elle lui décocha un violent coup de pied aux fesses, mais Ryuuen, ignora leur numéro.

Ryuuen — Donc, tu n’as pas été reconnu comme leader cette fois. Dommage pour toi.

Hashimoto, que Ryuuen avait écarté un peu plus tôt, revint s’interposer.

Hashimoto — Arrête de tirer des conclusions hâtives. Peu importe la manière, on a gagné l’examen spécial. C’est justement pour ça qu’on discutait des projets à venir avec Shimazaki et les autres. Pas vrai ?

Il lança un regard implorant, suppliant presque qu’on lui donne raison… juste cette fois. Mais… Shimazaki ne hocha pas la tête.

Shimazaki — Je vous l’ai dit, cet examen spécial était censé être une victoire facile. Les épreuves écrites sont notre point fort. Gagner ou perdre n’a aucune importance ici. Ce qui compte, c’est de savoir si Ayanokôji a été capable d’assigner correctement les points de pénalité aux participants. Et le résultat global est sans appel.

En effet, malgré les handicaps, notre score total pour la bataille de classe dépassait largement ceux des trois autres classes.

Hashimoto — Mais Shimazaki, c’est…

Hashimoto tenta d’intervenir, mais Ryuuen le coupa sèchement.

Ryuuen — Kukuku. Je vois. Tu as l’air bien occupé, en effet. On dirait que la célébration pour l’ascension d’Ayanokôji devra attendre.

Satisfait d’avoir saisi la situation, Ryuuen fit demi-tour avec un sourire en coin.
Hashimoto, de son côté, claqua discrètement de la langue. Mais à cet instant, il voulait probablement surtout que les fauteurs de troubles quittent la salle. Ryuuen semblait en avoir fini avec ses vérifications, et normalement, personne ne l’aurait retenu. Personne, sauf moi.

Moi — Ryuuen. Si c’est vraiment ta façon de voir les choses, tu ne trouves pas que tu manques un peu de discernement ?

Ryuuen — Hein ? Je manque de discernement, tu dis.

Il s’arrêta net, ne comprenant pas le sens de mes paroles. Il se tourna vers moi.

Moi — Si tu ne comprends pas, demande à Shimazaki de finir.

Le rire de Ryuuen s’interrompit aussitôt. Son regard devint acéré alors qu’il se tourna vers Shimazaki, resté tout près.

Hashimoto — Ayanokôji, tu pourrais pas attendre qu’il parte pour ça ?

Hashimoto, qui sentait que la tournure que prenaient les choses n’annonçait rien de bon, tenta de calmer le jeu à voix basse. Mais je refusai. Shimazaki, qui avait brièvement reculé comme s’il avait été fixé par un serpent, prit une grande inspiration, puis releva la tête.

Shimazaki — Très bien. Ayanokôji. Je ne suis pas venu pour me plaindre. Y a beaucoup de choses qui me déplaisent, franchement… mais malgré tout, je suis venu te reconnaître en tant que meneur de cette classe.

Ses paroles étaient une reconnaissance. Naturellement, Ryuuen et Hashimoto ne comprirent pas pourquoi Shimazaki venait de dire une chose pareille.

Ryuuen — Hein ? C’est quoi ce délire ? Ce type n’a même pas été foutu de deviner mes participants. T’as pas dit que c’était là-dessus que tu jugeais ses compétences ? En plus, il a participé de son plein gré au combat en petit groupe et s’est mangé une énorme pénalité de ma part. Il a fini avec zéro point ce qui vous a couté la victoire totale.

Non seulement je n’avais pas été capable de percer ses choix, mais en plus, ils avaient bien anticipé les nôtres, le pire scénario possible. Conscient de cela, Hashimoto, resté en retrait jusque-là, tenta à son tour de calmer Shimazaki.

Hashimoto — C’est vrai que si Ayanokôji n’avait pas participé, on aurait eu une vraie chance de décrocher une victoire totale. Mais… après avoir vu ces résultats…

Shimazaki laissa échapper un petit rire et tourna à nouveau les yeux vers l’écran toujours allumé. Ryuuen suivit du regard, sans pour autant ressentir la moindre gêne en regardant les résultats. La classe C avait remporté six duels sur sept. Une victoire qu’il avait lui-même offerte. Dans les combats en petit groupe, je n’avais deviné aucun de ses participants. J’avais moi-même pris part à l’épreuve, subissant toutes les pénalités. La victoire complète leur avait échappé. C’était exactement le résultat que Ryuuen avait visé, planifié. Mais ce que je voulais souligner n’avait rien à voir avec ça.

Ryuuen — J’vois toujours pas.

Face à sa demande de clarification, je pris la parole à la place de Shimazaki.

Moi — La clé de la victoire, c’est le combat en petit groupe. C’est vrai qu’il est important de deviner les élèves sélectionnés, et c’est donc logique que la classe C base son évaluation là-dessus. Mais si l’adversaire ne prend pas l’examen au sérieux, alors il n’y a rien à deviner. Même si j’avais pu prédire la présence d’élèves comme Ibuki ou Ishizaki, il n’y avait aucun intérêt à leur attribuer des points de pénalité.

Ryuuen — Hah. En temps normal, ouais, je veux bien. Mais là, c’était justement ça, le but. Le cœur de l’épreuve. T’étais censé lire dans mes choix. Même en te plantant sur toute la ligne, t’avais de grandes chances de nous faire gagner. Donc si t’as échoué, ça montre que ta classe n’a pas besoin de toi comme leader pour tenir debout.

Moi — Ce que je devais vraiment deviner, ce n’était pas ta sélection absurde après avoir volontairement cessé de réfléchir, mais l’essence même de ta stratégie. Est-ce que l’adversaire affrontera l’épreuve de front ? Comment va-t-il combattre ? Et comment devons-nous réagir ? Voilà ce qui comptait.

Ryuuen ne raterait pas une occasion précieuse de m’affronter directement.
Mais dans une épreuve académique, ses chances étaient minces. Allait-il investir massivement pour espérer l’emporter ? Ou allait-il abandonner ? C’était ça, l’enjeu véritable. Et j’avais prédit que Ryuuen choisirait de se retirer de la bataille tout en tentant d’infliger des dégâts à ses ennemis. Renoncer sciemment à un point faible, une décision qui pouvait sembler sage à première vue. Mais la véritable bataille aurait lieu les deux prochains trimestres. C’est pourquoi il voulait retarder au maximum ma prise de pouvoir. Il voulait différer la prise de conscience collective que j’étais le mieux placé pour assumer ce rôle. Mais au fond, tout cela n’était qu’une stratégie passive née de la peur.

Moi — Shimazaki. Après ce résultat… que penses-tu de ma présence dans cette classe ?

Shimazaki — Honnêtement ? T’es bien plus impressionnant que ce que j’imaginais. Pas étonnant que Hashimoto compte sur toi.

Ryuuen — Hein ?

Plutôt que de lui reprocher son échec, Ryuuen fronça les sourcils en entendant ces paroles de reconnaissance.

Shimazaki — Réfléchis, Ryuuen. Dans cet examen écrit, même les élèves qui ont un A en aptitude académique, le même niveau qu’Ayanokôji, peinaient à atteindre les 80 points. J’en fais partie. Mais lui, il a obtenu un score parfait. Il y avait des questions vraiment difficiles… Que ça me plaise ou non, je dois le reconnaître.

Shimazaki, fier de ses capacités, ressentait une chose qu’il ne pouvait nier.

Ryuuen — Et alors ?  Ça change quoi qu’il soit meilleur à l’écrit ?

Shimazaki — C’est justement ça, le cœur du sujet. Au fond, ce qu’on voulait savoir, ce n’était pas s’il serait capable de percer les choix de l’adversaire pour le combat en petit groupe ou quoi que ce soit. Ce qu’on voulait vraiment évaluer, c’était sa force. S’il était l’homme capable de sauver cette classe après la chute de Sakayanagi. Et… maintenant que j’ai tout expliqué, je me rends compte encore une fois qu’il a fait le meilleur choix possible pour mener la classe à la victoire, sans se laisser distraire par mes exigences absurdes.

Avec les paroles de Shimazaki, les sens engourdis de Ryuuen commencèrent peu à peu à se mouvoir.

Shimazaki — Ce n’est pas juste parce qu’il a obtenu cent points. Le fait qu’un type aussi dangereux que toi se soit concentré uniquement sur lui, c’est ce qui est vraiment impressionnant. Normalement, tu ne miserais pas cent points de pénalité sur une seule personne. Vingt ou trente auraient suffi pour garantir une certaine marge.

Ryuuen avait anticipé ma participation au combat en petit groupe. Il savait que je chercherais à démontrer ma valeur. Il avait alors opté pour une approche qui permettait de préserver ses points privés tout en limitant les risques. La défaite de sa classe n’était pas un prix négligeable à payer, mais si j’avais échoué dans le combat en petit groupe et empêché une victoire complète, cela aurait sérieusement nui à ma capacité de manœuvre au sein de la classe C.

« Je ne laisserai pas Ayanokôji l’emporter. Je saboterai leur victoire parfaite en y apposant l’étiquette de sa défaite. »  Telle était l’idée qui l’avait mené à m’imposer la pénalité maximale de cent points. Autrement dit, une démonstration claire du plus haut degré de prudence, perceptible aux yeux de tous. La lecture de Ryuuen était juste, mais inutile car prévue. Je m’étais engagé dans le combat en petit groupe en supposant que je perdrais, justement pour mettre en évidence la pénalité écrasante qu’il avait placée sur moi.

Moi — Tu as bien étudié mes capacités, mais la majorité de la classe C ne savait rien de tout ça. Ils ignoraient jusqu’à quel point je pouvais performer dans ce genre d’examen, ou à quel point tu étais sur tes gardes face à moi. J’ai simplement choisi les cinq meilleurs éléments académiques de la classe C. Une stratégie des plus ordinaires. Mais j’avais prévu que tu choisirais tes participants de manière non conventionnelle, et que tu m’imposerais les pénalités. Il ne me restait plus qu’à prévoir un plan de secours, au cas où les choses tourneraient mal. Attribuer les pénalités à des élèves brillants comme Katsuragi, Hiyori ou Kaneda, c’était la meilleure manière d’augmenter nos chances de victoire. Il n’y avait pas besoin de faire plus.

Même si j’avais deviné juste les participants, est-ce que cela aurait vraiment suffi ?  Certains se seraient dit que ce n’était qu’un coup de chance.

Et bien sûr, une stratégie qui repose sur le hasard ne peut pas être parfaitement anticipée dès le départ. Il n’y avait aucune raison de prendre un pari risqué. Mais le résultat, lui, était incontestable. Et il fut transmis par Shimazaki à mes camarades, les uns après les autres.

Shimazaki — Ryuuen… non, vous tous, vous ne regardiez que la victoire ou la défaite. C’est logique, mais moi, je visais aussi autre chose. La vérité, c’est qu’Ayanokôji Kiyotaka est tout sauf ordinaire. Il a prouvé qu’il pouvait produire des résultats exceptionnels, et qu’il était surveillé de près par un leader comme toi. Ce n’était pas nécessaire d’aller aussi loin, mais je cherchais quelque chose que tout le monde puisse constater. Regardez l’écran : une seule défaite dans les combats en petit groupe. Et pourtant, personne ne peut dire que c’est son niveau scolaire qui en est la cause. Cette défaite ressort de manière… très inhabituelle.

Hashimoto — Haha, pas de doute. On a la preuve de sa menace.

Hashimoto, qui avait observé cet examen spécial plus attentivement que quiconque, esquissa un sourire crispé. Si je n’avais pas participé, personne n’aurait su combien de points de pénalité m’avaient été attribués. C’est pour ça que ma participation avait tout son sens. Ryuuen et les siens étaient venus en fanfare pour voir comment j’allais réagir. Mais même ça… tout était prévu dans mon plan. Tout s’était déroulé comme prévu, du début à la fin. Ryuuen avait agi avec une prévisibilité parfaite.

Moi — Ryuuen, c’est vraiment cette conclusion que tu voulais ?

Les autres élèves de la classe C le fixèrent d’un regard noir, lui, l’intrus.
C’était moi qui étais censé être acculé sur son territoire… et pourtant, tout s’était retourné contre lui.

Ryuuen — C’est comme ça, hein… ? Faites-vous plaisir.

Ryuuen tourna les talons après avoir dit ce qu’il avait à dire, quittant la salle de classe de la classe C en silence. Albert, le dernier à sortir, referma la porte derrière lui, et aussitôt, des acclamations de joie éclatèrent dans la pièce. Après avoir vu leur adversaire repartir la tête basse, la classe ne put contenir sa jubilation. Ce spectacle avait été des plus rafraîchissants.

Hashimoto — C’est donc ça la fin que tu visais ? Tu avais tout prévu depuis quand, exactement ?

Moi — Depuis le début. L’information, ce n’est pas seulement quelque chose que l’on collecte. Puisqu’elle circule, autant l’utiliser à notre avantage. Tu te souviens du moment au café, quand on parlait de l’examen spécial avec Morishita ? Quand ces deux seconde envoyés par Ryuuen sont venus écouter discrètement ?

Hashimoto — Ah, ouais. J’avais trouvé ça impressionnant que tu les repères si vite.

Moi — Vous étiez en train de discuter sérieusement, Morishita et toi, sur le fait qu’il me faudrait identifier deux ou trois participants au combat en petit groupe pour être reconnu par la classe. Cette conversation a été enregistrée par ces « sbires » envoyés par Ryuuen, et transmise directement à ses oreilles. Et ce n’est pas tout, ils surveillaient aussi Shimazaki et les autres.

Ryuuen n’aurait jamais laissé passer une information aussi précieuse.

Hashimoto — Donc tu t’en es servi, mais…

Moi — Même quand j’ai dit que je connaissais toutes les données sur les seconde, Morishita avait des doutes sur le fait qu’ils aient vraiment reçu des consignes de Ryuuen, non ?

Hashimoto — Oui, ça manquait un peu de fondement.

Moi — Il y a une chose que je n’avais pas encore révélée. Depuis la cérémonie d’ouverture jusqu’à l’annonce de l’examen spécial, j’avais confié une mission bien précise à quelqu’un concernant les seconde.

Hashimoto — « Concernant les seconde » ? Qui donc ?

Moi — Comme tu peux t’en douter, Ryuuen gardait un œil sur Hashimoto et d’autres qui s’occupent de la collecte d’informations dans la classe C. Bouger de manière imprudente, c’était risquer de révéler ses intentions. Mais il y a une autre personne, d’une autre classe, capable de communiquer naturellement, de gagner rapidement la confiance de nos kôhai et de leur soutirer des informations en toute fluidité.

Hashimoto — C’est Ichinose Honami, pas vrai ?

Moi — Exact. Ces seconde avaient été approchés par des élèves de la classe de Ryuuen et avaient accepté de coopérer en échange de points privés. Le tout avait été vu et entendu par d’autres seconde. Ils n’avaient pas encore noué de liens assez solides pour se couvrir mutuellement. C’était une information précieuse, qu’on n’aurait normalement jamais pu obtenir aussi facilement.

Hashimoto — C’est pour ça que tu as tout de suite compris que ces deux-là venaient pour nous espionner.

Chaque élément se liait parfaitement aux autres, rendant l’ensemble de plus en plus facile à décoder.

5

Euh, Ryuuen-san, écoute… MHFMMGMF !

À peine sortis de la salle, Ibuki plaqua une main sur la bouche d’Ishizaki pour l’empêcher de parler, stoppant net leur avancée. Ryuuen, marchant seul en tête, ne remarqua pas que ses camarades s’étaient arrêtés. Dès le départ, tout le monde, pas seulement Ryuuen, savait que ce serait un affrontement difficile. Il avait volontairement choisi de se battre à armes égales dans un domaine où sa classe était faible, avec quasiment aucune chance de l’emporter. Il visait donc autre chose : prendre l’avantage à long terme par des moyens détournés, en humiliant Ayanokôji et en retardant son ascension en tant que leader.

Mais son plan avait échoué de manière lamentable. Ayanokôji avait vu clair dans ses intentions. Tout avait été vain. C’était comme s’il s’était battu contre un adversaire… qui n’était même pas là. Il avait surestimé son ennemi, cru à tort qu’il ferait preuve de stratégies complexes et d’un raisonnement bien plus poussé pour cet examen. Mais en y regardant de plus près… ce n’était rien d’extraordinaire. Ayanokôji n’avait rien fait de spectaculaire. Et pourtant, il avait réussi à imposer sa singularité à sa classe… et à toute la promo.

Il était seul à avoir obtenu un score parfait, et il avait anticipé la prudence extrême de Ryuuen en encaissant sciemment une pénalité de cent points. Il avait même orchestré une entrée en scène triomphale en salle de classe. Non… c’est peut-être ça, justement, qui rendait la chose si extraordinaire.

Ryuuen — Il rend fou, ce mec ! C’est pas humain…

Ayanokôji avait lu en lui dans tous les domaines. Il avait même prévu la flexibilité que Ryuuen avait tenté d’introduire. Sans s’en rendre compte, il donna soudain un coup de poing dans le mur du couloir. Son corps avait réclamé, de lui-même, une punition. Un exutoire. Il lui fallait une douleur physique pour étouffer sa frustration. L’écart en points entre les classes s’était réduit… mais il restait en tête. Si le prochain examen spécial ne portait pas sur l’écrit alors peut-être… juste peut-être… il aurait encore une chance.

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