THE TOO-PERFECT SAINT T1 - CHAPITRE 1

La sainte de Parnacorta

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Traduction : Calumi
Correction : Opale, Nekos
Relecture : Raitei

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Bienvenue à Sa Sainteté, Sainte Philia ! Nous vous réservons un accueil triomphal, immense, immense, immense !

Hein ?

On m’avait conduite dans une calèche jusqu’à un poste de contrôle, où j’avais passé les formalités douanières. Ensuite, je fus transférée dans un autre véhicule, conçu pour franchir les montagnes avant d’atteindre la capitale du royaume de Parnacorta, qui s’étendait au creux d’un vaste bassin.

On m’avait ordonné de commencer mon travail de Sainte dans cette capitale. J’enfilai mes robes et me rendis à l’église, le cœur noué par l’angoisse de ma première mission dans ce nouveau royaume.

Une grande bannière était suspendue au plafond. Je la lus plusieurs fois. Je crus d’abord que ma vue me jouait des tours.

Bienvenue ! Une chaleureuse, immense, triple bienvenue à Sa Sainteté, Sainte Philia !

Non, c’était bien ce qu’elle disait. Mais pourquoi ? Parnacorta avait déboursé une fortune pour m’acheter, je m’attendais donc à être envoyée immédiatement sur le terrain, à affronter les monstres. Et à la place, c’était… c’était…

Bienvenue, Sainte Philia.

Un homme d’âge mûr aux cheveux sombres, portant des lunettes et un chapeau pointu rouge s’inclina profondément devant moi. Lorsqu’il se redressa, je vis un grand sourire.

Merci infiniment d’avoir quitté votre cher royaume pour venir sauver Parnacorta ! Je suis l’évêque Bjorn, en charge de cette église. Si vous avez le moindre besoin, je vous en prie, n’hésitez pas à me le faire savoir.

Derrière lui se tenait une foule, visiblement composée de membres du clergé. Je remarquai des tables chargées d’un assortiment de mets appétissants. Je demandai timidement la chose suivante :

Est-ce que… c’est une fête ?

Bien sûr ! Ce n’est pas grand-chose, mais organiser une réception de bienvenue était la moindre des choses pour vous, Sainte Philia. J’ai fait le gâteau moi-même !

U-une fête de bienvenue ? Mais pourquoi… enfin, que signifie…

Allons, tout le monde attendait avec impatience votre arrivée. Allez, buvez un peu !

L’évêque Bjorn me tendit un verre et entama un toast.

Je l’acceptai machinalement, toujours aussi déconcertée.

Excusez-moi, dis-je, je suis venue ici parce qu’on m’avait dit qu’il y avait du travail…

Bien sûr, et votre tâche d’aujourd’hui est de participer à votre fête de bienvenue ! Tout le monde est si heureux de votre présence. Les plats viennent d’un restaurant voisin, Le Loup Affamé. Son propriétaire tenait à ce que vous goûtiez à notre cuisine locale. Alors, qu’en pensez-vous ? Nous avons aussi prévu une réception pour ce soir, mais si vous êtes fatiguée, nous pouvons l’annuler. Nous aurons bien d’autres occasions de célébrer !

Il s’inclina de nouveau. J’étais si embarrassée que je n’osais lever les yeux.

Je vous en prie, relevez-vous. Je suis désolée… c’est juste que je n’ai jamais participé à une fête de ce genre…

Ce n’était pas tout à fait vrai. J’avais assisté à quelques réceptions, mais jamais en tant qu’invitée d’honneur. Quant à celle organisée pour mes fiançailles avec le prince Julius, elle avait bien sûr été annulée. Et puis, je n’étais pas douée pour les fêtes. Je n’étais pas sociable, je ne savais jamais quoi dire. Comme l’avait dit le prince Julius : j’étais froide. Dans les ambiances festives, je ne me sentais pas à ma place.

Perdue dans ces pensées, je laissai la fête commencer sans moi, soupirant intérieurement. Encore une soirée à rester dans mon coin…

Hé ! Alors, cette salade ? Elle est bonne, hein ?

Alors que je picorais timidement ma salade, un bel homme blond engagea la conversation. J’en conclus qu’il devait faire partie du clergé. Avant que je ne puisse répondre, il enchaîna :

C’est moi qui ai cultivé tous ces légumes ! Et avec la sécheresse de cette année, ça n’a pas été de tout repos.

Un fermier ? Il semblait donc que les invités ne se limitaient pas aux officiels de l’église.

Vraiment ? répondis-je. — Accordez-moi deux ou trois jours, et je pourrai augmenter les précipitations dans la région.

Contrôler le climat avait longtemps été difficile pour moi, mais à force d’entraînement, j’avais fini par en maîtriser les bases.

Ouah, vraiment ? On dit que les Saintes sont extraordinaires, mais là, je comprends mieux ! Dans ce cas, je vais redoubler d’efforts pour que les cultures soient prêtes !

Voilà une conversation des plus animées, prince Osvalt, fit remarquer l’évêque Bjorn.

Prince Osvalt… ? Si mes souvenirs étaient bons, c’était le nom du second fils de la famille royale de Parnacorta. Je devais en avoir le cœur net.

Évêque Bjorn… cet homme est-il Son Altesse, le prince Osvalt ?

C’est bien le cas, madame.

Son Altesse me gratifia d’un large sourire.

Enchanté ! Je compte sur vous, Sainte Philia.

C’était le premier jour de ma nouvelle vie à Parnacorta, et cette fête de bienvenue se révélait déjà pleine de surprises, à plus d’un titre.

 

* * *

Après avoir bavardé gaiement de légumes, le prince Osvalt devint soudain sérieux.

Écoutez, je tiens à m’excuser pour la manière peu digne dont vous avez fini par arriver ici. Une Sainte aussi réputée que vous, achetée comme une vulgaire marchandise… c’est impensable. Mais nous venions de perdre notre unique Sainte, alors nous n’avons pas pu refuser la proposition de Girtonia.

Il inclina profondément la tête devant moi.J’en restai bouche bée. Jamais je n’aurais imaginé qu’un membre de la famille royale s’incline ainsi devant une étrangère d’un autre royaume. Le prince Julius m’avait dit que Girtonia avait approché Parnacorta pour proposer de me vendre, ce qui ne faisait que renforcer mes soupçons : tout cela venait sans doute de lui, depuis le départ. J’étais un obstacle à son projet d’épouser Mia.

Vous avez dû laisser derrière vous votre famille et vos amis, dit le prince Osvalt. — Nous avons tous prêté serment de rendre votre vie ici aussi aisée que possible, mais rien ne saurait compenser ce que vous avez sacrifié. Pour l’instant, je n’ai que des mots à vous offrir, mais je travaillerai dur pour vous faire aimer ce royaume. Un jour, j’espère pouvoir vous rendre ce que vous nous avez donné en venant ici. Mais laissons cela pour une autre fois. Ce soir, c’est la fête.

Le prince Osvalt voulait que j’apprenne à aimer ce royaume… Mais en y pensant bien, est-ce que j’aimais ma patrie ? C’était le pays où j’étais née et avais grandi, la terre que j’avais protégée pendant si longtemps… et pourtant, je ne pouvais pas dire que je l’aimais. J’aimais ma sœur, Mia. Mais je n’éprouvais rien de tel pour Girtonia. Peut-être que personne là-bas ne m’avait jamais aimée… parce que je n’avais jamais su les aimer non plus.

Avec ou sans amour, tant que j’étais la Sainte de Parnacorta, je comptais bien remplir mon devoir. L’évêque Bjorn m’expliqua la situation de Parnacorta :

Jusqu’au bout, le prince Osvalt s’est opposé à l’idée de payer un autre royaume pour obtenir une Sainte. Il s’est violemment disputé à ce sujet avec le prince héritier Reichardt. Mais notre royaume est encerclé par des montagnes infestées de monstres. Les nobles idéaux sont admirables, certes, mais avoir une Sainte pour nous protéger est une question de vie ou de mort. Finalement, le prince Osvalt a accepté de vous acheter, mais il en garde une profonde culpabilité.

J’avais en effet senti la présence de vastes nids de monstres en traversant les montagnes. Parnacorta me semblait être un royaume riche, doté de ressources bien plus abondantes que celles de Girtonia, mais sa géographie l’exposait à un danger constant.

La fête de bienvenue s’acheva sans encombre, et une calèche, apparemment envoyée par le roi de Parnacorta, vint me chercher pour me ramener chez moi. Durant le trajet, je repensai au fait que, de l’âge de cinq ans jusqu’à mes fiançailles avec le prince Julius, j’avais passé très peu de temps chez moi, auprès de ma famille.

Ma mère estimait qu’en tant qu’aînée de la famille Adenauer, je devais être formée dès que possible à la voie de la Sainteté. On m’avait donc envoyée pour être élevée par l’Église. Ce jour-là marqua le début d’une éducation si rude que j’avais à peine le temps de dormir. Je crois que mes parents avaient dit à Mia que je vivais à l’église par choix.

Je ne savais toujours pas pourquoi mes parents m’avaient imposé de telles épreuves. Tout ce que j’avais compris, c’est qu’à leurs yeux, j’étais une gêne. Alors, quand j’étais finalement retournée au domaine familial pour préparer mon mariage avec le prince Julius, je n’avais pas vraiment eu l’impression de rentrer chez moi.

Dame Philia, voici le domaine où vous vivrez désormais.

Je levai les yeux vers un manoir au moins deux fois plus grand que celui de ma famille. Il devait y avoir une erreur.

Ce n’est pas un peu trop grand pour une personne seule ?

Ce n’est pas possible… Peu importe, ce lieu est bien trop vaste…

Nous avons choisi une demeure de cette taille pour vous parce que nous avons pensé que vous pourriez avoir besoin de majordomes et de servantes pour vous aider à vous installer dans votre nouvelle vie. Et puis, bien sûr, une fois que vous vous serez fait des amis ici, vous aurez tout l’espace nécessaire pour les recevoir. Si jamais quoi que ce soit vous manque, n’hésitez pas à me contacter, afin que nous puissions y remédier immédiatement.

Ce fut à cet instant précis que je compris enfin toute la portée des paroles du prince Osvalt, lorsqu’il disait vouloir me faciliter la vie. C’était un traitement totalement différent de celui auquel j’avais été habituée. Même sans tout ce luxe, j’avais de toute façon l’intention de me consacrer sans relâche à mon nouveau royaume. Un relâchement de ma part pourrait causer un désastre pour la population et compromettre la paix actuelle. D’un côté, j’étais reconnaissante, de l’autre, je ressentais une pression écrasante.

Quoi qu’il en soit, maintenir mon corps en parfaite condition était primordial. Je n’étais pas habituée à un lit aussi doux et moelleux que celui que l’on m’avait préparé, mais il me fallait dormir suffisamment. Je fermai les yeux et concentrai mon énergie sur le repos, en me répétant que le sommeil m’aiderait à récupérer et à atteindre ma pleine forme. La bienveillance dont j’avais été entourée jusque-là m’apaisa, facilitant mon endormissement.

Mes nouvelles fonctions commenceraient dès le lendemain alors je me concentrai sur une seule chose : être prête à donner tout ce que j’avais. Je me levai à mon heure habituelle, bien avant le lever du soleil.

Dame Philia ! s’exclama une servante. — Où allez-vous si tôt ?

Hein ? J’ai du travail, répondis-je, déconcertée.

Le rôle d’une Sainte était essentiel à la sécurité et à la prospérité de son royaume. Il fallait que je commence tôt si je voulais accomplir toutes les tâches que j’avais prévues pour la journée. Était-ce si étrange ?

Je ferais bien d’étudier ce nouveau royaume…

Il faisait encore sombre dehors lorsque je déployai une carte de Parnacorta. Le soleil semblait se lever tard, sans doute à cause des montagnes qui entouraient le royaume.

Que comptez-vous faire avec cette carte ? demanda Leonardo, un majordome aux yeux perçants, dont les cheveux noirs étaient striés de blanc.

Rien d’inquiétant, le rassurai-je. — J’essaie simplement de repérer les endroits les plus propices à abriter des nids de monstres.

Je vois, je vois. Je n’aurais jamais cru qu’on puisse tirer autant d’informations d’une simple carte, mais j’aurais dû m’en douter venant d’une Sainte aussi exceptionnelle que vous, Dame Philia.

La question de Leonardo m’avait prise de court. Jusqu’alors, personne ne s’était jamais intéressé aux détails fastidieux du travail d’une Sainte. Mais il était logique que le personnel ait reçu l’ordre de me surveiller. Après tout, j’étais une étrangère. Si jamais j’avais la moindre intention suspecte, ils se devaient de me signaler immédiatement. Je ne pouvais pas leur en vouloir.

Pardonnez-moi, Dame Philia. Je vous ai apporté du thé pour vous aider à rester alerte tout au long de la journée.

Heu… ai-je demandé du thé ?

La servante, une jeune fille aux cheveux châtain attachés en deux couettes, se présenta sous le nom de Lena. Elle avait quinze ans. Gênée, elle proposa aussitôt de retirer le plateau.

Oh, je suis désolée ! Peut-être préférez-vous boire autre chose le matin ? Dites-moi comment je peux vous être utile, je vous prie !

Je ne savais plus quoi dire. Jamais personne ne m’avait préparé de thé, et je n’avais aucune idée de ce que j’aurais pu commander d’autre. Pourquoi faisait-elle cela pour moi ?

Je suis désolée, répondis-je dans la panique. — Oui, je vais prendre du thé finalement tant qu’il est encore chaud…

Je consultai la carte en le sirotant. Pour commencer, j’évaluai la zone que je pourrais protéger en une journée de travail, tout en réfléchissant à des moyens d’améliorer mon efficacité. Mon stylo filait sur le papier, traçant des calculs à la hâte.

Enfin, je me dirigeai vers le portail principal, impatiente de me mettre au travail. Mais pourquoi Leonardo et Lena me suivaient-ils ? Lorsque je leur posai la question, ils me répondirent :

Nous sommes à votre service pour tous les aspects de sa vie.

Laissez-nous vous assister dans votre mission.

Avaient-ils l’intention de me suivre toute la journée ? J’avais du mal à y croire. Le royaume devait être plus désespéré que je ne l’avais imaginé pour préserver la vie de sa seule Sainte mais il fallait faire avec. En tout cas, ma première destination était une montagne située à l’extrême nord de Parnacorta. Pendant que la calèche traversait la campagne, je finalisai la formule d’un remède efficace contre une épidémie qui frappait le pays, puis fis halte dans un village pour remettre mes notes à l’apothicaire du secteur.

Dame Philia ! s’exclama-t-il en les consultant. — Vous vous y connaissez aussi en médecine ? Vous êtes vraiment la plus grande Sainte de l’Histoire ! Je ne savais même pas que cela faisait partie de votre rôle.

Cela n’en fait pas partie ?

Heu… pas à ma connaissance…

On m’avait enseigné que le rôle d’une Sainte était de soulager toutes les souffrances d’un royaume. Dans cette optique, j’avais étudié un large éventail de disciplines, notamment la médecine, la pharmacologie, l’agriculture et l’architecture. Maintenant que j’y repensais…

Lorsque j’inventais de nouveaux remèdes à Girtonia, le prince Julius m’avait dit : « L’apothicaire royal se plaint que ses collègues se moquent de lui. Tu ne devrais pas humilier les gens dans leur travail. » C’était une chose de plus qui me rendait détestable. Finalement, après un long trajet, nous arrivâmes à destination.

Ce nid est bien plus grand que je ne l’imaginais, déclarai-je. Reculez, je vous prie.

Depuis le pied de la montagne, je pouvais déjà sentir la présence de nombreux monstres. J’étais préoccupée par cette zone depuis mon arrivée, mais ce n’est qu’à cet instant que je pris conscience de l’ampleur de l’infestation. Si j’avais attendu ne serait-ce qu’un ou deux jours de plus, les monstres auraient pu se répandre sur tout le royaume.

Il en faudra quatre… non, huit.

Pour créer un sanctuaire sacré, qui servirait de barrière contre les forces du mal, je devais entourer la zone de piliers de Lumière. Plus une barrière comportait de Piliers, plus elle était puissante, mais il fallait environ trente minutes de prière pour ériger un seul Pilier. Autrement dit, j’allais devoir prier pendant au moins quatre heures. Je m’agenouillai, joignis les mains, et commençai à prier. Bientôt, les nuages s’écartèrent dans le ciel, et la lumière se déversa sur moi. Derrière moi, j’entendis Leonardo s’exclamer, stupéfait :

Incroyable ! Je n’aurais jamais cru qu’on puisse ériger un Pilier de Lumière aussi rapidement. Il fallait une demi-journée à votre à la Sainte d’avant et celle encore d’avant, pour en créer un seul.

Il m’était moi aussi déjà arrivé de mettre autant de temps. Ma mère m’avait alors traitée d’imbécile, et j’avais prié sans interruption pendant trois jours et trois nuits afin d’accélérer mon invocation.

Quatre heures passèrent. Entourée de huit Piliers de Lumière, la montagne baignait désormais dans une lueur argentée et douce. Une fois la montagne la plus au nord scellée, j’appelai Leonardo et Lena.

Cette barrière retiendra les monstres tapis dans la montagne. Même si quelqu’un venait à en croiser un, il serait affaibli au point de ne pouvoir faire aucun mal.

Merci infiniment, madame, dit Leonardo. — Et si nous retournions à la calèche ?

Il s’était écoulé un bon moment depuis la dernière fois que j’avais dressé huit Piliers d’affilée, et je commençais à ressentir la fatigue. Mais le travail n’était pas terminé.

Je dois d’abord étudier l’écosystème local. Comprendre comment les monstres survivent ici nous sera utile à l’avenir. Ensuite, nous irons vers la montagne la plus à l’ouest pour y ériger une barrière semblable.

Si nous ne nous dépêchions pas, ces tâches s’étaleraient sur le lendemain. Je pestai contre mon manque d’efficacité, mais avec mes capacités moyennes, c’était tout ce que je pouvais offrir.

Pardonnez-moi de vous avoir retenus si tard.

Je parvins à terminer ma première série de tâches en tant que Sainte de Parnacorta juste avant que le jour suivant ne commence. J’avais espéré poser d’autres barrières et invoquer la pluie, comme je l’avais promis au prince Osvalt, mais Leonardo et Lena m’en empêchèrent. Ils me dirent des choses que je n’avais pas l’habitude d’entendre : que j’avais déjà repoussé mes limites en érigeant la première barrière, et que mon corps ne tiendrait pas si je continuais.

Vous travaillez déjà cinq fois plus que notre précédente Sainte, déclara Leonardo, — et en plus, vous vous occupez de choses qui sortent totalement de vos obligations, comme la médecine ou les plans de construction de barrages !

Si vous continuez comme ça, vous allez tomber malade, approuva Lena. — Vous n’avez presque pas pris de pause, même quand on vous le demandait…

Je remarquai des larmes poindre aux coins de leurs yeux. Pourquoi s’inquiétaient-ils autant ? En tant que Sainte, j’étais censée traiter mon corps comme un temple, et je prenais soin de ma santé. Sauf quelques rares fois durant mon enfance, je n’étais jamais tombée malade. Grâce à la magie de soin et à la méditation, je pouvais dissiper les pires signes de fatigue : un simple repos de quinze minutes me suffisait pour tenir toute une journée.

Mais je me dis qu’il valait mieux ne pas les contraindre davantage. Je décidai donc d’écouter leurs conseils et de clore la journée. À peine étions-nous rentrés que Leonardo et Lena insistèrent pour que je me repose le lendemain.

Et si on prenait un congé demain ? Dame Philia, vous ne pouvez pas continuer à ce rythme !

J’ai appris que la famille royale a été stupéfaite par votre manière de travailler, dit Leonardo. — Ils aimeraient que vous réserviez une journée pour vous reposer.

Me reposer ? Une Sainte ne peut pas se reposer ! Ce serait contraire à l’intérêt du royaume.

L’idée même me paraissait inconcevable.

Je me souvenais du danger qui pesait sur ce pays. Si je me permettais de faire une pause, les monstres pourraient se déchaîner et causer des dégâts irréparables.

La santé de Dame Philia passe avant les intérêts du royaume !

Ne vous épuisez pas ! Cet endroit est encore tout nouveau pour vous !

Je persistai pourtant.

Ce royaume est dans une situation critique. Je dois au moins ériger des barrières à l’est et au sud demain. En tant que Sainte, je ne peux faire de compromis là-dessus. Mais vous deux, reposez-vous. Cela ne me dérange pas.

Je savais que pour la plupart des gens, il était difficile de travailler du lever au coucher du soleil. Grâce à mon entraînement, je pouvais me passer de sommeil pendant une semaine entière, mais suivre mon rythme devait être exténuant pour des personnes comme Leonardo et Lena.

C’est pour cette raison que je travaillais généralement seule. Et à partir du lendemain, je décidai qu’il en serait ainsi à Parnacorta. Mais Leonardo et Lena parurent horrifiés par cette idée.

Il n’en est pas question ! déclara Leonardo. — En tant que majordome, né et formé pour ce rôle, je ne peux pas rester à ne rien faire pendant que ma jeune maîtresse se tue à la tâche.

Je suis d’accord, ajouta Lena. — En tant que servante, je ne peux tout simplement pas détourner les yeux des besoins de ma maîtresse !

Je ne comprenais pas bien leur raisonnement, mais il était clair qu’ils comptaient m’accompagner de nouveau le lendemain. Dans ce cas, je n’avais plus qu’à faire de mon mieux.

Guérison Sainte !

Je pris les mains de Leonardo et de Lena, puis lançai un sort de soin. C’était une magie que j’avais moi-même inventée, conçue pour renforcer le corps, nourrir l’énergie vitale et apaiser la fatigue.

Elle permettait même de traiter les douleurs chroniques, comme les maux de dos ou les raideurs dans les épaules. Elle était destinée à favoriser la relaxation, mais le prince Julius avait rejeté l’idée. Il m’avait dit que personne n’en voudrait, car cela nuirait aux revenus des stations thermales et des sources chaudes.

Incroyable ! s’exclama Leonardo. — Je me sens rajeuni ! Je déborde d’énergie ! Mais qu’est-ce que c’est que cette magie ?

Monsieur Leonardo, vos cheveux sont d’un noir profond ! fit remarquer Lena. — Oh, c’est si agréable ! Quel soulagement… C’est comme si je venais de me réveiller après une excellente nuit de sommeil !

À partir de ce jour, tous deux m’accompagnèrent dans l’accomplissement de mes fonctions de Saintes. Je craignais d’en faire moins qu’à Girtonia, et pourtant, tout ce que je faisais à Parnacorta était accueilli avec des acclamations et de sincères remerciements.

Par exemple, Parnacorta était réputé pour la force et la rigueur de l’entraînement de ses chevaliers, mais les combats contre les monstres avaient affaibli leurs rangs. L’armée s’était donc réjouit des barrières protectrices que j’érigeai. À Girtonia, on m’avait reproché de prendre la place des soldats. Ici, j’avais enfin le sentiment d’être utile.

Mais plus je m’habituais à ma nouvelle vie, plus l’étude des nids de monstres me révélait des signes inquiétants : un désastre semblait se profiler à l’horizon.

Tout cela… indique le pire scénario possible.

Je consignai la taille de ces nids de monstres entourant le royaume ainsi que la férocité des récentes attaques. En comparant ces données avec mes propres notes antérieures et celles issues de manuscrits anciens, j’en vins à formuler une hypothèse. Peut-être pour la première fois depuis quatre cents ans…

Quelque chose ne va pas, Dame Philia ? demanda Lena, tout en affrontant des loups-garous et des grizzlys mortifères sans sourciller.

Les monstres à l’intérieur de la barrière avaient été affaiblis par mes prières, mais les talents de Lena restaient impressionnants. Elle frappait leurs points vitaux d’un seul coup, avec une précision remarquable.

Leonardo non plus n’était pas en reste : ses coups de pied puissants terrassaient les créatures sans difficulté. Après ces semaines passées ensemble, j’avais compris qu’ils n’étaient pas seulement mon majordome et ma servante, mais aussi mes gardes du corps.

Je n’ai encore aucune preuve formelle, répondis-je, — mais il se pourrait que le Royaume Démoniaque soit en train de remonter à la surface.

Au fil de mes recherches en archéologie, j’avais appris que tous les quelques siècles, le Royaume Démoniaque, habitat des monstres démoniaques que je devais contenir, s’approchait du monde des humains. Ces périodes étaient toujours précédées d’une recrudescence spectaculaire de l’activité des monstres. L’état actuel du monde ressemblait fortement à celui de la dernière époque de ce type, il y a quatre cents ans. Autrement dit, nous devions nous préparer à une invasion massive de créatures démoniaques.

Ça a l’air vraiment grave ! s’exclama Lena. — Alors c’est pour ça que vous érigez toutes ces nouvelles barrières autour du royaume…

Exactement. Je suis sûre que certains doivent m’en vouloir de gâcher le paysage avec tous ces Piliers de Lumière… mais pour moi, la vie humaine passe avant tout.

Leonardo, qui revenait à peine de sa propre bataille contre les monstres, parut stupéfait.

Le paysage ? Je doute que quiconque s’en soucie. Il s’agit d’une crise potentielle. Je vais en informer la famille royale immédiatement.

Cela ne m’enchantait guère.

Je crains de ne pas disposer de preuves formelles que le Royaume Démoniaque se rapproche. Ce n’est qu’une hypothèse fondée sur des données.

Que racontez-vous, Dame Philia ? Vous savez combien de vies ont déjà été sauvées grâce à votre clairvoyance, en si peu de temps ? Même si vous faites preuve d’excès de prudence, mieux vaut prévenir que guérir, non ? Personne ne vous en tiendra rigueur pour avoir été soucieuse de notre sécurité.

Je n’arrivais pas à partager la confiance de Leonardo.

Je suis heureuse que vous le pensiez… mais en tant que Sainte, je ne peux me permettre de dépasser mes fonctions.

La voix douce de Lena me réconforta.

Ne vous inquiétez pas, madame ! Tous les humains commettent des erreurs. Vous aussi, Dame Philia, êtes une humaine avant d’être une Sainte. Vous n’êtes pas obligée de tout savoir. Et puis, c’est précisément le genre de problème auquel le royaume tout entier devrait faire face, ensemble !

Je dus reconnaître qu’elle avait raison. Il nous fallait mettre en place des mesures préventives au plus vite. Et si, en fin de compte, je m’étais trompée, je pourrais toujours présenter mes excuses et assumer l’entière responsabilité. Leonardo informa la famille royale qu’il était possible que le Royaume Démoniaque soit en train de s’approcher de notre monde, pour la première fois depuis quatre siècles.

Ce même jour, le prince Osvalt forma une cellule de contre-mesures. Je fus un peu surprise de le voir agir aussi vite, moi qui ne pensais pas qu’on prendrait mes conclusions non vérifiées autant au sérieux. Dans tous les cas, je devais expliquer mes prédictions. En réunissant mes recherches historiques et mes observations actuelles, je rédigeai un rapport sur la possible remontée imminente du Royaume Démoniaque.

Alors, à quoi devons-nous nous attendre si le Royaume Démoniaque s’approche du nôtre ?

Dans la grande salle de conférence du palais royal, Son Altesse le prince Osvalt, deuxième fils de la famille royale de Parnacorta, avait rassemblé des experts de tous horizons ainsi que les principales figures politiques et militaires du pays.

Tout cela afin de discuter des préparatifs à mettre en place face à une possible incursion du Royaume Démoniaque. J’avais été conviée à prendre la parole lors de cette réunion, et j’étais venue avec des documents pour exposer les dangers potentiels que nous pourrions affronter.

À Girtonia, j’avais déjà formulé certaines propositions pour freiner l’activité des monstres. Mais lorsque j’avais tenté de les soumettre, mon père m’avait sèchement réprimandée : « Ne sois pas si envahissante. » Depuis ce jour, je m’étais abstenue de m’exprimer en public.

C’est pourquoi, lorsqu’on m’avait d’abord invitée à cette conférence, j’avais décliné poliment et envoyé mes recherches au palais. Mais en apprenant ma décision, Son Altesse s’était déplacée en personne, tard dans la nuit, jusqu’à mon manoir. Il s’était incliné devant moi et m’avait suppliée :

Dame Philia, j’aimerais entendre vos avis, en tant que Sainte. Je vous en prie… pour le bien de ce royaume, prêtez-nous votre force.

Après cela, je ne pouvais plus refuser. C’est ainsi que je me retrouvai debout devant l’assemblée réunie dans la salle de conférence royale, avec Son Altesse qui me demandait mon avis. Parlant un peu trop vite, tant j’étais nerveuse, je décrivis les grandes incursions de monstres du passé et les catastrophes que l’avenir pourrait réserver.

Je ne connais pas encore tous les détails, mais il y a environ quatre cents ans, la population de monstres avait subitement été multipliée par dix, voire vingt. L’humanité a été décimée. Des royaumes entiers ont été anéantis. J’essaie actuellement de protéger notre territoire en érigeant des Sanctuaires sacrés à l’aide de Piliers de Lumière, mais si de nombreux nids venaient à apparaître à l’intérieur de ces zones, même ces barrières pourraient céder.

Naturellement, tout cela demeurait hypothétique. D’après mes recherches, ce phénomène se produisait par cycles, tous les quelques siècles, mais des écarts pouvaient survenir. Il était même possible que rien ne se passe.

Dix fois plus de monstres, hein… murmura le prince Osvalt, le visage grave. — Cela dépasse le cadre d’une simple crise nationale. Pour l’heure, je propose que nous triplions le budget de la défense.

Il déclara qu’aucune dépense ne serait épargnée pour financer les contre-mesures nécessaires. Le Premier Ministre, chargé de la gestion du budget national, afficha un air préoccupé, comme s’il s’apprêtait à exprimer une objection que Son Altesse risquait de mal recevoir. Néanmoins, il trouva le courage de recommander un peu de retenue.

Votre Altesse, suggéra-t-il timidement, — je dois vous rappeler que le budget de cette année est déjà plutôt serré. Peut-on vraiment se permettre de dépenser autant sur la base d’une simple incertitude ?

Le Premier Ministre faisait preuve de bon sens. Puiser autant dans le Trésor public à cause des dires d’une étrangère comme moi… Il était tout à fait compréhensible qu’on s’y oppose. Espérant de tout cœur que le royaume soit épargné, Son Altesse insista toutefois sur la nécessité de tout mettre en œuvre pour éviter un désastre.

Vous ne comprenez pas. Ne voyez-vous pas que le meilleur scénario possible, c’est justement qu’il ne se passe rien ? Il faut agir maintenant pour prévenir le pire. Nous ne voulons pas en arriver au point de regretter ce que nous aurions pu faire. J’assumerai l’entière responsabilité du rééquilibrage budgétaire. Mais que ce soit clair : je ne transigerai pas sur ce point, surtout après tous les efforts que Dame Philia a fournis pour nous avertir.

Comment pouvait-il parler avec une telle assurance ? Ne redoutait-il pas les conséquences ? Si j’avais tort et que ces dépenses s’avéraient vaines, même son statut princier ne le protégerait pas du blâme.

C’est décidé, poursuivit Son Altesse. — À titre provisoire, nous allons augmenter nos effectifs. Dame Philia, pensez-vous que ce renfort de soldats sera suffisant ?

Le commandant des chevaliers de Parnacorta, ainsi que plusieurs hauts gradés de l’armée, s’approchèrent en hâte du prince Osvalt pour le conseiller. Son Altesse nota sur une carte le nombre de soldats supplémentaires à mobiliser, ainsi que leurs zones d’affectation, puis me la présenta.

Une fois encore, je fus saisie d’étonnement. Cet effectif correspondait à une mobilisation de guerre totale. Quelque chose me dérangeait.

Recruter davantage d’infanterie ne suffira pas, dis-je. — Un nombre incalculable de soldats risqueraient de mourir en vain.

Malheureusement, c’est tout ce que nous pouvons faire pour l’instant. Il nous faudra même puiser dans le budget de l’année prochaine pour couvrir les dépenses.

Si les Sanctuaires sacrés venaient à être franchis, nous aurions à affronter des monstres plus puissants et plus féroces que tout ce que j’avais connu jusque-là. Une armée improvisée, à moitié formée, quelle que soit sa taille, serait balayée. Les chevaliers de Parnacorta étaient réputés dans le monde entier pour leur maîtrise de l’épée, mais des lames, aussi habiles soient-elles, ne suffisaient pas contre des hordes de monstres.

Et pourtant, le prince Osvalt m’impressionnait. Il faisait passer la sécurité du royaume avant ses propres intérêts politiques. Je n’avais jamais rencontré quelqu’un comme lui auparavant.

Je continuais de m’inquiéter pour Mia, et j’éprouvais encore un certain attachement pour ma patrie. Mais j’avais un royaume à protéger. J’étais la Sainte de Parnacorta, et la volonté des cieux m’ordonnait de placer sa sécurité avant toute chose. Ma décision était prise.

Il existe un moyen. Ce sera un fardeau pour le royaume, mais c’est la seule solution envisageable à mes yeux.

Tous les regards se tournèrent vers moi.

Que proposez-vous ? demanda Son Altesse.

Je vais invoquer un Grand Cercle de Purification sur l’ensemble du royaume. Si tout Parnacorta est placé sous protection sacrée, tous les monstres qui tenteront d’entrer seront considérablement affaiblis.

Le Grand Cercle de Purification était le rituel le plus puissant que j’avais appris pour faire face à une affluence massive de monstres. Il s’agissait d’un cercle protecteur de très grande envergure, capable de cibler exclusivement les créatures démoniaques.

Il ne pouvait pas empêcher les monstres de pénétrer sur le territoire, mais sa magie purificatrice neutraliserait leurs pouvoirs, les rendant faciles à éliminer. Si je parvenais à enfermer le royaume tout entier dans ce cercle, les soldats pourraient exterminer les monstres sans prendre de risques. Mais un seul problème subsistait.

Pour maintenir ce cercle sur l’ensemble de Parnacorta, je devrai rester en permanence dans un rayon de dix kilomètres autour du centre du royaume. Autrement dit, je ne pourrai plus quitter la capitale royale.

C’était pour cela que j’hésitais à recourir à cette technique.

Être confinée à la capitale limiterait grandement mes capacités en tant que Sainte. Je ne pourrais plus accomplir bon nombre de mes tâches habituelles, comme récolter des herbes médicinales ou purifier des terres pour les cultures. Vu la somme que le royaume avait investie pour m’obtenir, le peuple risquait fort d’être mécontent si leur nouvelle Sainte cessait soudainement de travailler pour eux.

Cela signifiait aussi que je ne pourrais pas rendre visite à ma patrie, Girtonia. Même si elle était envahie par les monstres, je ne pourrais pas y retourner pour les aider. J’espérais que Mia et l’armée girtonienne sauraient se débrouiller sans moi… mais l’inquiétude ne me quittait pas.

Malgré tout, j’étais désormais la Sainte de Parnacorta, et je devais proposer la solution qui protégerait le mieux le royaume. Le Conseil rejetterait sans doute l’idée de toute façon, une fois qu’il verrait à quel point il serait désavantageux de me maintenir en permanence à la capitale. Mais le prince Osvalt hocha la tête, pensif.

C’est une option envisageable. Vous avez déjà tant fait pour nous, Dame Philia. Ce serait peut-être l’occasion pour vous de prendre un repos bien mérité. À moins que maintenir ce cercle ne soit trop éprouvant…

Non. Une fois le rituel en place, l’invocation ne me demandera presque plus d’énergie. C’est simplement que ma zone de déplacement sera limitée au centre du cercle.

C’était le cas de la plupart des rituels. L’invocation représentait la partie la plus difficile ; après cela, il suffisait d’un flux magique constant mais modéré pour maintenir le sort actif. Quoi qu’il en soit, je ne comprenais pas pourquoi les habitants de Parnacorta me répétaient toujours de me ménager. Rester à ne rien faire me mettait mal à l’aise.

Comment devais-je procéder ?

Si je lançais le Cercle de Purification, j’aurais sans doute plus de temps libre. Mais je restais tourmentée par Mia, ma sœur, que j’avais laissée derrière moi. J’étais devenue la Sainte de Parnacorta. Je ne pouvais plus ériger de barrières pour Girtonia. Et pourtant, à chaque fois que je songeais à Mia en danger, une angoisse profonde m’étreignait…

Quelque chose ne va pas ? Pourquoi cet air préoccupé ? demanda le prince Osvalt.

Oh… Je pensais simplement à ma petite sœur restée à la maison. C’est une Sainte tout à fait respectable à sa manière, mais elle ne connaît rien aux anciens rituels. Elle est incapable d’invoquer un Grand Cercle de Purification.

Vous craignez qu’elle ne puisse pas faire face à la remontée du Royaume Démoniaque ?

Je vous prie de m’excuser, Votre Altesse. En tant que Sainte de Parnacorta, je ne devrais pas me soucier de la sécurité d’un autre royaume.

Pourquoi n’arrivais-je pas à cesser de m’inquiéter ? Encore une fois, je faillis à mes devoirs. Je devrais laisser les affaires de Girtonia à Mia… non, au prince Julius et au gouvernement. Et pourtant…

Allons, pas besoin de vous excuser. Mia est votre petite sœur, non ? Quelle grande sœur ne se ferait pas de souci pour sa cadette ?

Prince Osvalt…

J’ai un grand frère, dit le prince Osvalt.

Peu importe mes responsabilités royales, j’ai toujours voulu l’aider et le soutenir, en tant que frère. Vous êtes une humaine avant d’être une Sainte, n’est-ce pas ? Si vous pouvez faire quelque chose pour votre sœur, alors faites-le.

Une humaine avant tout ? Avant de venir à Parnacorta, je n’aurais jamais osé penser de cette manière. Bien sûr, je savais que le prince Osvalt avait un frère aîné, mais c’était un vrai soulagement d’apprendre qu’il souhaitait être pour lui un pilier solide, tout comme je désirais protéger ma sœur.

Vous avez sans doute raison, dis-je. — Dans ce cas… puis-je lui écrire une lettre ? Je partagerai avec elle les contre-mesures que j’ai développées pour Parnacorta. Ou bien dois-je m’abstenir de transmettre des informations profitant à un autre royaume ?

Pourquoi penser cela ? Vous avez dit que Dame Mia était une Sainte digne de ce nom. Si vous partagez votre savoir avec elle, je suis certain qu’elle saura concevoir ses propres stratégies. Je sais bien que nous avons payé Girtonia un prix fort pour vous avoir, même si je déteste l’admettre… mais ils ont peut-être leurs propres méthodes pour gérer ce genre de menace, différentes des nôtres.

Je l’espère. Si Girtonia agit rapidement, et avec unité, ils devraient pouvoir contenir le danger à venir.

J’étais presque certaine qu’il n’était pas trop tard, surtout si le peuple se rassemblait autour de Mia. Elle avait su gagner leur amour et leur soutien, ce que je n’avais jamais pu faire. Avec l’accord du prince Osvalt, j’écrivis à Mia. Je l’exhortai à examiner attentivement l’état du royaume et à concevoir les mesures adéquates face à la remontée du Royaume Démoniaque. J’envoyai la lettre accompagnée d’une prière pour sa sécurité.

Les préparatifs sont terminés.

J’avais élevé seize Piliers de Lumière aux emplacements clés le long des frontières de Parnacorta, et j’y avais apposé des talismans imprégnés de mon propre sang. Il ne me restait plus qu’à réciter une incantation archaïque et adresser une prière à Dieu devant l’autel de la cathédrale de la capitale royale.

Remarquable. Assister à l’exécution aussi parfaite d’un rituel ancien… J’ai décidément bien fait de proposer d’amener Sainte Philia dans notre royaume !

Je fus interrompue à l’autel par un homme grand, à la longue chevelure blonde ondoyante, qui entra dans la cathédrale comme s’il en était le maître. Tandis qu’il s’avançait vers moi, les dignitaires de l’Église s’inclinaient les uns après les autres.

Prince Reichardt ! s’écria l’évêque Bjorn. — Si j’avais su que vous nous feriez l’honneur de votre visite, j’aurais préparé une réception digne de ce nom.

Ainsi, voici donc Son Altesse le prince Reichardt, prince héritier de Parnacorta… le frère aîné du prince Osvalt.

Tout est de ma faute, répondit le prince. — Je vous présente mes excuses pour cette visite impromptue. J’avais prévu de saluer plus tôt notre nouvelle protectrice, mais ce n’est que maintenant que j’ai pu me libérer.

Bien entendu, Sire, dit l’évêque. — Mais si vous m’aviez averti, j’aurais au moins pu vous préparer un gâteau.

Quel dommage. Dans ce cas, je repasserai une autre fois.

Après ces quelques échanges de courtoisie, Son Altesse se tourna vers moi.

C’est un honneur de rencontrer une Sainte aussi extraordinaire. Votre réputation vous précède.

Ce n’est rien, balbutiai-je. — Je ne suis pas exceptionnelle. C’est un honneur pour moi que Votre Altesse daigne m’adresser la parole.

Le prince Reichardt me répondit par un sourire gracieux, puis me tendit la main. Il était le frère du prince Osvalt, certes, mais je sentais que leurs personnalités étaient aux antipodes. Le prince héritier dégageait une élégance presque androgyne…

Dans ce cas, je vous confie le bien-être de ce royaume.

Une fois le prince Reichardt parti, je repris mon œuvre. Agenouillée devant l’autel, je commençai l’incantation du Grand Cercle de Purification. À partir de cet instant, je ne pourrais plus quitter la capitale.


* * *

Dame Philia ! J’ai rassemblé les herbes que vous aviez demandées !

Lena, ma servante et garde du corps, me tendit un panier rempli d’herbes médicinales. En la voyant, je repensai aux cueillettes d’herbes que je faisais avec Mia, autrefois, à Girtonia. J’avais demandé à un colporteur de passage comment allait Girtonia. Jusqu’ici, il semblait que Mia parvenait à maintenir le royaume uni.

Merci, dis-je. — Nous allons pouvoir créer de nouveaux remèdes.

Après avoir invoqué le Grand Cercle de Purification, je laissai aux chevaliers de Parnacorta la charge de l’extermination des monstres. Ne pouvant plus quitter la capitale, je me retrouvai soudainement avec une quantité de temps libre inhabituelle. Pour le moment, j’avais décidé de me consacrer à la réalisation de nouveaux médicaments et à l’amélioration des recettes existantes. Rester inactive m’était profondément désagréable, je n’arrivais tout simplement pas à m’y habituer.

Heu, de quel genre de remède s’agit-il ? demanda Lena.

Ah, ça ? C’est pour les cors, ces excroissances sur les pieds, vous voyez ? J’étudiais ce trouble depuis un moment, et le traitement devenait de plus en plus efficace.

Oh… Je ne savais pas qu’un médicament pouvait soigner ça. Vous voulez encore un peu de thé ?

Oui, volontiers. Maintenant, appliquez cette pommade, et le cor se détachera proprement le lendemain matin.

Lena était serviable, attentive, et douée pour préparer le thé.

Cela fait un moment que je me pose la question, mais… Dame Philia, avez-vous des passe-temps ?

Des passe-temps ? Des activités pour occuper son temps libre ? Je réfléchis à la question. Mia aimait aller au théâtre et assister à des opéras.

Elle s’intéressait aussi beaucoup à la musique. Elle m’avait invitée à l’accompagner à plusieurs reprises, et c’était plutôt agréable. Mais chaque fois que j’avais un moment de libre, je cherchais généralement un moyen de me rendre utile. Je ne savais pas vraiment me divertir. C’était sans doute l’une des raisons pour lesquelles le prince Julius me trouvait sans charme.

Pas vraiment, finis-je par répondre. — Si je devais en citer un, je dirais peut-être la lecture. J’aime étudier des textes anciens, fouiller dans des ouvrages savants, faire mes propres analyses…

Oh, moi aussi j’adore lire ! Surtout des romans d’amour et des récits policiers.

D-des romans ? Autrement dit, de la fiction. De la littérature produite uniquement pour divertir. La chose la plus proche de cela que j’aie connue, c’était quand je lisais des livres illustrés à Mia quand nous étions enfants, avant que je ne sois envoyée vivre au sein de l’Église.

Dame Philia, je vous prêterai quelques-uns de mes préférés ! lança Lena, tout sourire. — Si vous arrivez à lire ces énormes vieux grimoires, vous dévorerez mes recommandations sans peine ! C’est parfait pour passer le temps !

Personne ne m’avait jamais proposé de me prêter quoi que ce soit. Une douce chaleur me remplit la poitrine.

Le déjeuner est prêt, madame.

Leonardo, mon majordome et garde du corps, nous interpella depuis l’allée, là où Lena et moi étions en pleine discussion. Depuis mon arrivée à Parnacorta, je savourais une nourriture délicieuse. J’étais capable de me passer de repas pendant une semaine si nécessaire, mais ces derniers temps, je mangeais trois fois par jour, sans jamais sauter un repas. Mieux encore, les plats commençaient à avoir du goût. À Girtonia, lorsque les affaires se faisaient trop pressantes, je devais reléguer les repas au second plan. Ici, mon emploi du temps était bien plus léger en comparaison.

C’est M. Leonardo qui cuisine, en ce moment, expliqua Lena. — C’est son passe-temps.

Ah, vraiment ? Je dois dire… heu…

Je cherchai mes mots pour répondre poliment. Quelle surprise. On dit souvent que les apparences sont trompeuses, mais jamais je n’aurais imaginé que Leonardo fût celui qui préparait tous ces plats exquis.

Les passe-temps étaient peut-être utiles après tout. Ils pouvaient nourrir l’âme… et celles des autres.

Je parvins enfin à complimenter Leonardo pendant que nous dégustions ses préparations maison. En y repensant, je réalisai qu’à Girtonia, je n’avais jamais eu de conversation détendue autour d’un repas.

Je ne savais pas que c’était vous qui prépariez ces plats, M. Leonardo.

Vous me flattez, Dame Phillia. On me dit souvent que je n’en ai pas l’air, mais j’aime beaucoup passer du temps en cuisine. Je suis honoré d’apprendre que ma cuisine vous plaît.

J’aimerais tant apprécier quelque chose à ce point… dis-je, sans pouvoir empêcher une pointe d’envie de teinter ma voix.

Vraiment ? dit Lena. — J’espère, au moins, que vous appréciez ces discussions autant que moi.

Vous croyez ? Mais je ne suis pas très bavarde…

C’est tellement agréable de vous parler ! Vous en savez tant, Dame Philia. J’apprends toujours quelque chose de nouveau et d’intéressant… J’ai l’impression de devenir plus intelligente rien qu’en discutant avec vous. Qui ne voudrait pas ça ?

J’allais répondre que le mot « agréable » était bien le dernier que l’on pouvait associer à ma personne, mais je savais que Lena me contredirait sans tarder. Je ne dis rien, bien que je ne puisse dissimuler ma surprise. Jamais personne ne m’avait parlé ainsi, et j’avais donc toujours pensé n’être qu’une jeune femme froide et sans attrait.

J’apprécie vraiment mes échanges avec vous deux, ajouta Leonardo. — C’est mon devoir, bien sûr, mais je le dis sincèrement, du fond du cœur.

Lena hocha la tête.

Nous ne sommes peut-être pas à votre niveau quand il s’agit de discuter, Dame Philia, mais j’espère qu’un jour vous apprendrez à aimer ces moments autant que nous.

Parler de tout et de rien était agréable. Passer du temps avec des amis était agréable. Lena et Leonardo affirmaient ces choses avec tant de naturel, comme si cela allait de soi. Un jour… parviendrais-je, moi aussi, à baisser ma garde et ressentir la même chose ? Une autre servante s’approcha de la table.

Dame Philia, une lettre de Girtonia vient d’arriver.

Elle venait de Mia. Je l’ouvris aussitôt, impatiente de découvrir la réponse de ma sœur à mon avertissement concernant la montée du Royaume Démoniaque. Son contenu me laissa sans voix. J’avais prévenu Mia du danger imminent que représentait le Royaume Démoniaque… mais je n’étais pas préparée à cela. Je ne pus dissimuler mon choc.

Que puis-je faire ? murmurai-je, suffoquée.

Dans la lettre que j’avais envoyée à Mia, j’avais exposé le pire scénario que mes recherches laissaient entrevoir, ainsi que les mesures possibles pour y faire face. Mais il était évident, à la lecture de sa réponse, qu’elle n’avait pas lu la mienne. Heureusement, Mia avait compris d’elle-même que quelque chose n’allait pas, à cause de l’augmentation soudaine de l’activité des monstres à Girtonia.

Dans sa lettre, elle semblait convaincue que je serais en mesure de tout lui expliquer. Elle mentionnait également qu’elle trouvait étrange de ne pas avoir eu de mes nouvelles depuis mon départ.

Je suis sans doute partiale, car Mia est ma petite sœur, mais j’ai toujours respecté sa vive intuition. Elle avait perçu le danger et pris l’initiative de me contacter. Mais pourquoi n’avait-elle pas reçu ma lettre ? J’en vins à penser que Père ou Mère, ou plus probablement tous deux, l’avaient interceptée.

Si difficile que ce fût à accepter, ils semblaient déterminés à couper tout lien entre leurs filles.

Envoyer une nouvelle lettre serait probablement inutile.

Mais si mes prédictions s’avéraient exactes, le Royaume Démoniaque atteindrait bientôt notre monde, et il n’y avait pas une minute à perdre. Je devais trouver un autre moyen de prévenir Mia.

Dame Philia, quelque chose vous tracasse ? demanda Leonardo en s’approchant, alors que je murmurais pour moi-même non sans agitation. — Si vous avez besoin d’une oreille attentive, je suis tout disposé à vous écouter.

Je répugnais à lui imposer mes inquiétudes, mais je ne voyais aucune autre issue. Je finis par tout lui confier. Lena nous rejoignit et écouta aussi, en silence.

Leonardo caressa son menton d’un air pensif.

Êtes-vous certaine que votre lettre a été interceptée délibérément ?

J’aimerais pouvoir en être sûre… mais nous n’avons pas le temps d’en avoir le cœur net.

Leonardo et Lena se turent, plongés dans leurs réflexions. Ce fut Lena qui prit la parole la première :

Dites, M. Leonardo… Mlle. Himari ne pourrait-elle pas s’assurer que la lettre parvienne bien à Dame Mia ?

J’avais la même idée. Personne ne serait plus qualifié qu’elle pour accomplir cette tâche.

Himari était l’une des domestiques de la résidence. Son prénom m’avait toujours paru singulier, mais Lena m’avait expliqué qu’elle venait d’un petit royaume insulaire lointain, appelé Murasame. De petite taille, elle attachait ses cheveux noirs en queue de cheval et parlait rarement. Pourquoi Leonardo et Lena la mentionnaient-ils maintenant ?

Vous pensez que Himari devrait livrer une lettre à Girtonia ? Pourquoi donc ?

Je n’arrivais pas à comprendre l’idée d’une servante chargée de remettre une lettre. Mia devait être entourée de bien plus de gardes du corps que je n’en avais jamais eus lorsque j’étais la Sainte de Girtonia. Personne, venant d’un autre royaume, ne pourrait facilement l’approcher. Et si Himari venait à être arrêtée, cela pourrait provoquer un incident diplomatique.

Ne vous en faites pas, Dame Philia. Mlle Himari peut aller partout sans difficulté. Vous voyez… c’est une kunoichi.

Une kunoichi ? m’étonnai-je.

J’avais déjà croisé ce mot quelque part. D’après mes souvenirs, les kunoichi vivaient dans le royaume de Murasame, et étaient des expertes de l’espionnage et de l’infiltration. Je n’en avais trouvé mention que dans quelques anciens traités.

Comme l’a dit Lena, ajouta Leonardo, — Himari est tout à fait compétente. Comme Lena et moi, elle agit sous les ordres directs de la famille royale de Parnacorta pour assurer votre protection.

M-me protéger ? Mais, contrairement à vous deux, je ne la vois presque jamais…

Que voulait-il ? Il disait qu’elle me protégeait tout comme eux… alors que je ne la voyais que rarement. Lena se retourna et lança dans le vide :

Mlle Himari ! Dame Philia souhaite vous parler !

Aussitôt ces mots prononcés, Himari surgit littéralement du mur, juste devant moi. Depuis combien de temps était-elle là ?

Himari, tu as entendu Dame Philia. Penses-tu pouvoir remettre une lettre à sa sœur, Dame Mia ?

Bien entendu.

Himari s’agenouilla devant moi, la tête inclinée avec révérence.

Au nom du clan Fuuma, je mènerai cette mission à bien. Dame Philia, noble maîtresse, n’hésitez pas à me donner vos ordres.

Ainsi, Himari était restée à mes côtés tout ce temps, même lorsque j’exécutais mes tâches de Sainte. Je ne l’avais jamais remarquée.

C’était véritablement une experte en dissimulation. Je me promis intérieurement d’entraîner davantage mes capacités de détection. Les monstres attaquaient souvent par surprise, et il était clair que je devais apprendre à mieux percevoir ce qui m’entourait.

Dans ce cas, Mlle Himari… pourriez-vous remettre cette lettre à ma sœur Mia ? Mais surtout, ne prenez aucun risque. S’il y a le moindre danger d’être capturée, n’hésitez pas à fuir.

Si telle est la volonté de ma maîtresse, je livrerai cette lettre, même au péril de ma vie.

À peine lui avais-je tendu la lettre que Himari disparut de la pièce. Il était extrêmement risqué pour quiconque d’approcher sans avertissement une Sainte d’un autre royaume, mais le temps pressait.

Je vous en prie… que Himari parvienne jusqu’à Mia.

Je priai Dieu en silence, pour la sécurité de Mia… et de Himari.

Après son départ, Lena était tout sourire.

Alors, demanda-t-elle en me resservant du thé, — comment est Dame Mia ? Est-elle aussi belle que sa grande sœur ? Je parie que oui !

Était-elle vraiment si curieuse ? Sans doute certaines personnes portaient-elles un vif intérêt aux familles réputées pour produire des Saintes…

Les gens louent toujours sa beauté, répondis-je. — Elle est aussi très charmante. Elle s’entend avec tout le monde. À Girtonia, elle a conquis le cœur du peuple.

Mais Dame Philia, vous êtes la plus grande Sainte de l’Histoire ! Ils doivent être fous de vous aussi, non ?

Oh, pas du tout. J’ai simplement commencé ma formation bien plus jeune que Mia. C’est la seule raison pour laquelle mes compétences sont plus développées. La Sainteté est venue naturellement à Mia. Je me souviens encore du jour où ses pouvoirs se sont éveillés. La première fois que nous sommes parties ensemble accomplir nos devoirs…

Dès mon plus jeune âge, j’avais mené une vie de solitude sacrée, subissant un entraînement rigoureux imposé par mes parents et ma tante, autrefois grande Sainte de Girtonia. Il m’avait fallu dix années pour développer mes pouvoirs.

Mia, quant à elle, avait fait ses débuts en tant que Sainte après seulement six mois d’entraînement. Nous nous croisions parfois, mais nous n’avions véritablement appris à nous connaître qu’en travaillant ensemble.

Mia était indéniablement un prodige. Elle comprenait tout du premier coup. J’avais craint que sa formation écourtée ne soit insuffisante, mais ces inquiétudes s’étaient dissipées dès que je l’avais vue à l’œuvre.

J’avais redoublé d’efforts dans mes tâches de Sainte afin de lui donner le bon exemple. Je ne voulais pas que ma petite sœur puisse un jour être déçue de moi.

Tout ce que j’avais toujours souhaité, c’était de continuer à marcher devant elle sur le chemin de la Sainteté, afin de lui montrer la voie. Et chaque fois que le découragement menaçait de me gagner, je revoyais le regard brillant de Mia s’élevant vers moi tandis qu’elle disait : « Philia, tu es la meilleure ! Je l’ai toujours su. Je te le promets, un jour, je deviendrai une Sainte comme toi. »

Oh, Mia… Comment avais-tu vécu depuis mon départ de Girtonia ?

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