SotDH T2 - Chapitre 3 : Partie 4

Le Jardin du Bonheur (4)

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Traduction : Calumi
Correction : Raitei
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Je pensais être morte. Mais j’étais consciente, et mon corps pouvait encore bouger. J’étais donc toujours en vie.

Je rampai hors des décombres, sans comprendre comment c’était possible. Peut-être que j’aurais préféré mourir. Autour de moi, il ne restait rien. La maison s’était effondrée, les fleurs du jardin étaient parties en fumée, et ma balle avait disparu.

Je me relevai, l’esprit vide. J’avais tout perdu. Mon père. Ma mère. Ma maison. Pourquoi avais-je été la seule à survivre ?

J’étais brisée. Mais rester dans ce lieu vidé de tout me faisait trop souffrir. Alors je suis partie.

Tout le sud du quartier résidentiel des samouraïs avait été réduit en cendres. L’incendie, plus terrible que tout ce que la ville avait connu, finit par s’éteindre. Et il ne laissa derrière lui que des ruines. Ce qu’il restait ne pouvait plus s’appeler Edo. Il ne subsistait rien du lieu où j’avais grandi. C’était comme si le feu avait consumé jusqu’à mes souvenirs.

J’errai là, sans but. Puis je vis un groupe de personnes qui m’observaient avec un regard empli d’effroi. Elles tremblaient sans que je ne sache pourquoi. Puis je me redemandai comment j’avais pu survivre à l’effondrement et aux flammes.

— Hé, regarde…

— Ses yeux… rouges.

— Tu crois que…

— Aucun doute.

Leur voix, bien craintives, se ressentaient dans leurs murmures. Les regards, eux, plein de dégoût.

En les écoutant, je compris. Quand un humain est englouti par la jalousie, la haine ou le désespoir… il devient un démon. C’était ce que j’étais devenue.

J’avais tout perdu. Mon père, ma mère, ma maison. Jusqu’aux souvenirs de ce lieu si cher. Et maintenant…

— Ce n’est pas un démon, cette fille ?

Je m’étais perdue moi-même.

Alors je partis. Je m’en allai loin de tout

Je ne savais pas combien de temps s’était écoulé. Après avoir quitté Edo, j’errais sans fin, comme portée par les flots. Il n’y avait plus de retour possible. Mon jardin avait disparu. Je ne pouvais le revoir qu’en rêve.

Des coins baignés de soleil. Maman et Papa. Ces jours heureux, insouciants. Chaque fois que je fermais les yeux, je revoyais tout… Mon jardin de bonheur, encore plus magnifique maintenant qu’il n’était plus qu’un souvenir.

Maman…

Papa…

J’ai vécu ma vie à ressasser ce que j’avais perdu.

Dix ans passèrent. J’avais atteint l’âge adulte. Vingt ans. J’ai cessé de vieillir. Cinquante ans. Je me suis mêlée aux humains, encore en errance.

Ma souffrance semblait éternelle… mais les décennies avaient défilé malgré tout.

Je ne me souvenais plus du visage de mon père, ni de la voix de ma mère. Le temps en avait effacé l’essentiel. Mais quand je fermais les yeux, je revoyais encore ces jours de bonheur perdus.

Puis encore plus de temps passa. Il ne me restait rien de cette époque, rien d’autre que la tristesse. Je vivais, enchaînée à mes pertes, tandis que le temps m’échappait. Je ne voulais plus vivre. Mais j’avais peur de mourir, peur d’oublier ces deux silhouettes enveloppées de flammes. Alors je vivais encore, simplement, machinalement. Je ne savais pas combien d’années pouvait durer la vie d’un démon, mais elle ne pouvait pas être infinie.

Aux alentours de ma centième année, quelque chose changea.

Je revins à Edo pour la première fois depuis des décennies. Plus personne de mon passé n’y vivait. Même les rues avaient changé, méconnaissables.

Guidée par la nostalgie, je marchai vers le sud du quartier résidentiel des samouraïs. Je marchai longtemps… jusqu’à retrouver l’endroit où j’avais vécu.

— Ah…

Une superbe demeure s’élevait là. Ce n’était plus ma maison, bien sûr. Le quartier avait été reconstruit. Une autre famille y vivait désormais. Ce lieu n’était plus le mien. Je le savais. Mais je voulais le croire.

— …Maman… Papa…

Je ne pus retenir mes larmes. Elles coulèrent sans fin. Le monde entier semblait me rejeter. Le vide m’envahit, et avec lui, une dernière prière désespérée.

Je veux rentrer à la maison. Je veux rentrer à la maison. Je veux rentrer à la maison. Je veux rentrer à la maison. Je veux rentrer à la maison.

Je revoyais ce jardin de bonheur, ces jours passés avec mes parents, où je souriais, insouciante. Tout ce que je voulais, c’était revenir à ces instants-là.

— Hein… ?

Et soudain, tout changea. Le soleil s’était couché sans que je m’en rende compte. Le crépuscule était tombé. Et devant moi, la demeure était en ruine.

— Qu’est-ce que… ?

Je ne comprenais pas. Tout m’échappait. Et pourtant… ce lieu me semblait familier. Je franchis le portail, portée par mes jambes. Je tournai à gauche, et me dirigeai droit vers le jardin.

Et je l’atteignis.

Un petit étang m’attendait. Des narcisses en fleurs parfumaient l’air d’un doux parfum envoûtant. L’odeur, presque enivrante, me tournait la tête.

J’entendis une éclaboussure. Sans doute une carpe dans l’eau.

Je connaissais cet endroit. Comment l’oublier ? C’était la maison où j’étais née. Mon jardin de bonheur, lointain et rêvé.

— Oh là là. Voilà une petite boule d’énergie aujourd’hui.

Ils étaient là. Deux personnes assises sur la véranda. Je croyais les avoir oubliées… mais je les reconnus aussitôt.

— Maman… Papa…

Le visage de mon père était toujours aussi sévère, mais son regard, si aimant. Et leur voix résonna, pleine de tendresse.

— Je te regarde, je te regarde.

— Elle s’améliore, tu ne trouves pas ?

Qu’est-ce que vous racontez ? pensai-je… puis je baissai les yeux vers mes mains.

Elles étaient petites. Comme quand j’étais enfant. Et j’y tenais ma balle. Celle que j’avais perdue.

Je ne comprenais pas ce qu’il se passait. Mais peu importait.
Ce moment perdu était revenu. Et rien d’autre ne comptait.

Je faisais rebondir la balle pour retrouver ce passé, pour m’accrocher à ce jardin de bonheur. J’avais la balle que mon père m’avait offerte, et les fleurs de ma mère m’entouraient. Je n’avais besoin de rien d’autre.

Je continuerais à chanter ma comptine et à faire rebondir ma balle pour l’éternité, s’il le fallait.

J’errais dans une douce brume douce. Même maintenant, j’étais encore prisonnière de mon jardin de bonheur.

Les jours deviennent de vieux récits, soupirs pour ce qui fut, puis s’enfuit.

***

Le parfum des fleurs lui faisait tourner la tête, brouillait ses sens. Et dans ce court instant de confusion, Naotsugu eut une étrange vision, un rêve d’une vie entière, celle d’une jeune fille qu’il n’avait jamais vue.

À genoux, il secoua la tête deux fois, puis une troisième, pour retrouver ses esprits. Quand il rouvrit les yeux, il se rendit compte qu’il n’était plus dans la chambre de son frère aîné.

Hein… ?

La pièce y ressemblait, mais tout, de l’agencement des meubles aux objets, était subtilement différent.

Qu’est-ce que… ?

L’esprit en alerte, il se mordit le pouce.

— On dirait une vieille demeure de samouraï.

— Whoa ?!

Surpris par cette voix tout près de lui, Naotsugu fit instinctivement quelques pas en arrière. Un homme approchant des six shaku de haut s’était tenu à ses côtés sans qu’il s’en rende compte.

— J-Jinya-dono… ?

— Mais sa construction est différente de celle du domaine Miura. Il semblerait que nous ayons mis les pieds dans un endroit… qui n’est pas tout à fait la chambre de votre frère, dit Jinya en balayant les lieux d’un regard aiguisé.

Naotsugu, lui, était préoccupé par autre chose.

— Euh… Jinya-dono ?

— Oui ?

— Je suis sûr que vous n’étiez pas avec moi jusque-là… Alors comment… ?

Naotsugu était certain d’être entré seul dans la chambre. Personne ne l’avait suivi. Comment Jinya s’était-il retrouvé ici ? C’était comme s’il était apparu de nulle part.

Impassible, Jinya répondit :

— Ah. J’ai utilisé un petit tour. Ne vous en faites pas.

Ce « tour » en question, il l’avait perfectionné jusqu’à pouvoir l’utiliser même sous sa forme humaine. Mais il ne semblait pas avoir l’intention d’en dire plus. Il enchaîna plutôt :

— Ceci dit, vous avez vu quelque chose, n’est-ce pas ?

— Vu quoi ?

— L’incendie. La fille devenue démon, condamnée à errer. La maison qui a réapparu… là où elle ne devrait pas.

Les yeux de Naotsugu s’écarquillèrent. C’était exactement ce qu’il avait vu dans cette étrange vision.

— Je l’ai vue, oui. Vous aussi ?

Jinya hocha la tête. L’étonnement de Naotsugu laissa place à une lourde inquiétude.

— Si nous avons vu la même chose, alors…

— Ce n’était pas un simple rêve.

Il était désormais clair qu’ils étaient pris dans un phénomène surnaturel. Un frisson parcourut l’échine de Naotsugu. Jinya, lui, restait imperturbable. Peut-être avait-il l’habitude de ce genre de situation. Son ton, néanmoins, paraissait presque… satisfait.

— Nous l’avons trouvée.

— Trouvée ? De quoi parlez-vous ?

— Vous ne vous souvenez pas ? Nous cherchons un démon qui vit dans un lieu en dehors du monde des hommes. Ce que vous venez de voir… c’était exactement ça.

Naotsugu se remémora ce que Jinya avait supposé plus tôt. Le rônin avait pressenti tout cela. Son frère lui avait dit qu’il allait voir sa fille. Peut-être que cette fille était un démon… et que son frère avait été emmené dans un monde différent de celui des humains. Autrement dit…

— Vous pensez que mon frère a été amené ici ?

— Je ne sais pas s’il a été emmené ou s’il est venu de son propre chef. Mais oui.

Naotsugu se racla la gorge. Après tant de recherches, il approchait enfin d’une réponse. Et pourtant, une autre question lui brûlait les lèvres : comment Jinya pouvait-il en savoir autant ? Toute cette affaire était étrange… mais le savoir du rônin l’était tout autant.

— Mais… comment avez-vous su ? Qu’est-ce qui vous a fait penser que mon frère n’était plus dans le monde des humains ? Je veux dire, vous aviez raison, bien sûr, mais je ne vois pas comment vous avez deviné ça…

Sans même tourner la tête, Jinya répondit simplement :

— Je m’y connais un peu en fleurs.

Puis il quitta la pièce.

— Heu, vous allez où ? demanda Naotsugu.

— Ça ne sert à rien de rester plantés là. Je vais explorer un peu.

— Oh… Très bien, je viens avec vous.

Les deux hommes marchèrent dans le couloir, côte à côte. Dehors, le jour avait cédé place au crépuscule. Le bout du couloir était plongé dans l’ombre. L’endroit entier dégageait une atmosphère étrange, encore plus maintenant qu’ils savaient être dans la demeure d’un démon.

Le sol en bois paraissait usé, mais ne grinçait pas sous leurs pas. Comme l’avait fait remarquer Jinya, la structure correspondait à celle des vieilles maisons de samouraï. Cela dit, l’agencement n’était pas si différent de celui du domaine Miura, si bien qu’ils parvinrent sans se perdre jusqu’à l’entrée.

Ils sortirent de la maison et levèrent les yeux vers un ciel assombri. L’obscurité du crépuscule pesait sur les lieux, mais elle semblait parfaitement convenir à l’atmosphère de cette demeure. Le portail devant eux était imposant, signe que les samouraïs ayant vécu ici autrefois occupaient sans doute un rang élevé.

— Hm… le loquet ne bouge pas.

Naotsugu tenta d’ouvrir le portail, juste pour vérifier s’ils pouvaient sortir, mais rien à faire. Ils étaient coincés à l’intérieur du domaine.

Jinya essaya à son tour, mais ne parvint pas non plus à le faire bouger. Le loquet ne paraissait pourtant pas si lourd, et pourtant il refusait obstinément de céder.

— On dirait qu’on ne peut pas partir aussi facilement, dit-il d’un ton calme.

Il fallait bien reconnaître que le Yasha, ce gardien légendaire, avait des nerfs d’acier. Tandis que Naotsugu était encore secoué, Jinya, lui, analysait déjà la situation. Il réfléchissait à voix haute :

— Cette jeune fille que nous avons vue… C’est probablement elle, la cause de tout ça. Peut-être possède-t-elle un pouvoir capable d’emprisonner les gens… Non. Cela n’explique pas la vision.

Naotsugu était complètement dépassé, et ces histoires de « pouvoir » ne faisaient qu’ajouter à sa confusion. Il n’aimait pas être un poids, mais il ne put s’empêcher de demander :

— Excusez-moi, mais… de quoi parlez-vous, exactement, quand vous dites “pouvoir” ?

— Les démons, au bout de cent ans, finissent par éveiller un pouvoir. Certains, même, y parviennent avant. Cela peut aller de la clairvoyance à une force surhumaine. Chaque démon possède un don différent. Mais lorsqu’un démon développe un tel pouvoir, il devient de fait un démon supérieur.

— Donc… vous pensez que cette fille qu’on a vue tout à l’heure a créé cet endroit grâce à son pouvoir ?

— …Peut-être.

— Vous n’avez pas l’air très convaincu.

— J’ai du mal à imaginer quel genre de pouvoir permettrait d’accomplir tout ça. Quoi qu’il en soit, nous ne pourrons pas sortir d’ici tant que nous n’aurons pas compris la nature du pouvoir de ce démon… ou tant que nous ne l’aurons pas éliminé.

Jinya se replongea dans ses pensées. Cette fois, Naotsugu préféra ne pas l’interrompre. Il regarda autour de lui. C’était pitoyable, mais il ne pouvait rien faire d’autre que rester en alerte. Il scrutait le moindre détail, tendu, mais tout restait figé. Pas la moindre brise. Pas le moindre bruit. Le silence était absolu. C’était la première fois qu’il percevait une ambiance aussi pesante, au point d’en entendre le sifflement dans ses propres oreilles.

Puis, soudain, un son très faible parvint à ses oreilles, venant de quelque part au loin. C’était si discret qu’il aurait pu se fondre dans le silence si l’endroit n’avait pas été aussi calme.

Bomp… Bomp…

— Jinya-dono.

— Oui ?

— Vous entendez ça ?

Absorbé par ses réflexions, Jinya ne remarqua le bruit que lorsque Naotsugu le lui fit remarquer.

Bomp… Bomp…

Le son se répétait à intervalles réguliers.

—Deux, la maison s’efface et les pas s’opposent

Puis vint le chant d’une comptine entonnée d’une voix claire. Une voix d’enfant. Et là, ils comprirent : le bruit qu’ils entendaient était celui… d’une balle qui rebondissait.

Naotsugu se mit à trembler. Cette voix, c’était celle qu’il avait déjà entendue plus tôt, dans la chambre de son frère. Une voix juvénile, qui résonnait avec douceur… et semblait l’appeler vers un autre monde.

— On dirait que la maîtresse des lieux nous invite, lança Jinya avec un léger sourire.

Il posa la main gauche sur son fourreau, et son pouce sur la garde du sabre, prêt à dégainer à la moindre alerte.

L’air était chargé de tension : tous deux savaient qu’ils allaient devoir affronter un démon.

— Le son vient du jardin, dit Naotsugu.

— On y va ?

Ils échangèrent un regard, acquiescèrent d’un même mouvement, puis se mirent en marche. Ils tournèrent à gauche et avancèrent jusqu’à l’atteindre, un jardin couvert de fleurs, exactement comme dans leur étrange vision.

Et au centre de ce jardin, se tenaient un homme à la carrure imposante… et une jeune fille tenant une balle.

— Mon frère !

Les yeux de Naotsugu s’écarquillèrent. Il venait de retrouver son frère aîné disparu. Dès qu’il en eut la certitude, il se précipita vers lui.

Mais sa tête se mit à tourner. Le parfum des fleurs l’enveloppa de nouveau, l’étourdissant, et il trébucha. Ses jambes fléchirent. Sa conscience vacilla. Chaque pas devenait plus difficile. Pourtant, il devait continuer. Il était si près…

Sa vision se brouilla. Ce qu’il voyait devant lui sembla se déformer au point de devenir flou…

C’était presque irréel.

***

— Tu es ici depuis longtemps ? demanda Miura Sadanaga Hyouma, en posant un genou au sol pour se mettre à hauteur de la fillette.

Dans ses mains, elle tenait une balle.

— Plus de cent ans.

— Plus de cent ans ? Eh ben, ce n’est pas rien.

La fillette semblait avoir tout au plus cinq ou six ans. Il était difficile de croire qu’elle ait vécu plus d’un siècle… mais étrangement, il n’avait pas le sentiment qu’elle mentait.

— Et tu es restée seule tout ce temps ?

Elle hocha la tête, impassible. Ses yeux ne reflétaient aucune émotion. Elle s’agrippait à sa balle comme à la seule chose qu’il lui restait, avec une forme de désespoir silencieux.

— Je vous l’ai dit, non ? Il n’y a plus de retour possible pour moi. Je suis coincée ici.

Sadanaga n’avait aucune idée du temps qu’il avait passé dans cet endroit. Il avait été attiré là par une comptine. D’abord effrayé, il avait fini par se laisser prendre par la curiosité, intrigué par la voix de cette petite fille. Et le temps s’était écoulé sans qu’il s’en aperçoive.

Au début, elle parlait peu d’elle-même. Mais à force de patience, il avait réussi à la faire s’ouvrir, un peu. Elle lui avait parlé du fait qu’elle était un démon qui avait perdu ses parents, du secret de ce domaine, du fait qu’elle était seule ici depuis plus d’un siècle… et d’autres petites choses encore.

Sa venue ici n’était qu’un hasard, et rien ne le retenait réellement. Sa maison était liée d’une certaine manière à cet endroit, ce qui lui avait permis d’y pénétrer. Il savait que la fillette n’y était pour rien, et ne lui en voulait pas.

— Vous devriez repartir. En restant trop longtemps ici, vous aussi vous n’aurez plus d’endroit où retourner.

La fillette ne lui avait jamais véritablement souhaité la bienvenue. En tant que maîtresse des lieux, elle pouvait le renvoyer dans le monde des vivants quand elle le voulait, et elle le lui proposait à chaque occasion. C’est ce qu’elle affirmait, en tout cas. Mais Sadanaga refusait toujours, et restait. Même maintenant, il faisait semblant de ne pas l’entendre et se laissait aller à admirer les fleurs sans réfléchir.

— Elles sont belles, celles-là. Je ne m’y connais pas trop, mais même moi je vois qu’elles sont jolies. Comment s’appelle celle-ci ?

Ses yeux restaient vides, mais lorsqu’on lui posait une question, elle répondait.

  • Un daphné de l’hiver.

— C’est vrai ? Elle a un parfum doux, un peu amer. J’imagine que ça aurait bon goût… Dommage que je n’aie pas emporté un peu de sucre avec moi, plaisanta-t-il.

La fillette esquissa un très léger sourire et Il le lui rendit.

— Ah, voilà. Tu as enfin souri.

Il n’était pas prisonnier de son jardin de bonheur, mais il restait parce qu’il s’inquiétait pour elle. S’il partait, elle se retrouverait à nouveau seule. Et ce ne serait qu’une solitude de plus, par-dessus cent ans déjà passés dans l’isolement. Il ne pouvait se résoudre à l’abandonner ainsi.

— Ça suffit. Vous devriez partir.

Peut-être gênée d’avoir souri, elle redevint complètement impassible, et insista à nouveau. Mais une fois de plus, il fit comme s’il n’avait rien entendu.

— Je me demande ce que je vais manger ce midi… Sans me vanter, je fais un excellent soba. Oui, des soba, ce serait parfait.

— Écoutez-moi.

Cette fois, elle n’avait pas l’intention de le laisser s’en tirer comme ça. Sa voix, ferme, ne semblait plus du tout appartenir à une enfant.

— Votre famille vous attend. Vous n’avez pas à les perdre simplement parce que vous avez un peu de peine pour moi.

— Mais…

— Je suis bien ici, dans mon jardin de bonheur. Je peux être avec mon père et ma mère. Je n’ai pas besoin de vous. En fait… vous me gênez plus qu’autre chose.

Il y avait de la tendresse, cachée dans ses mots. Elle disait cela pour lui. Et il le comprenait. Mais elle, elle ne comprenait pas pourquoi il refusait encore.

Il poussa un léger soupir, un peu las. Cette fille ne comprenait rien.

Quel homme digne de ce nom repartirait après qu’on lui ait dit ça ?

— Je crois que tu fais erreur sur un point. La maison, ce n’est pas l’endroit où se trouve ta famille. C’est là où ta famille peut être heureuse. Et si tu ne peux pas sourire ici… alors ce n’est pas chez toi.

— Qu’est-ce que vous racontez ?

— Je dis que tu n’as pas ta place ici. Et ça… tu le sais déjà, pas vrai ?

— Ça…

La fillette se tut. Se disant qu’il avait peut-être été un peu dur avec elle, il lui ébouriffa doucement les cheveux pour s’excuser.

— D’accord, dans ce cas… Si tu quittes cet endroit, alors je partirai moi aussi.

— Je ne peux pas.

— Et pourquoi ça ?

— Je n’ai pas d’autre maison que ce jardin.

— Alors viens vivre avec moi. Tu pourras t’installer dans la maison de ma famille. Attends… ce serait peut-être mieux si on vivait seuls, tous les deux. Ouais… Et si tu devenais ma fille ? Je laisserai tout derrière moi, et on ira vivre ailleurs, comme on l’entend.

L’idée lui paraissait plutôt bonne. Mais elle secoua la tête.

— Je ne peux pas quitter cet endroit. Et je ne pense pas pouvoir vous voir comme un père.

— Aïe, je me suis fait rejeter. Tant pis. Tu n’as qu’à me le dire si jamais tu changes d’avis.

Sadanaga n’aimait pas les discussions trop sérieuses, alors il avait pris un ton léger, presque joueur. Pourtant, la fillette sembla un peu déçue. Il comprit qu’il avait mal tourné les choses, et son visage s’assombrit légèrement. Il la regarda droit dans les yeux.

— Mais je suis sérieux. Si un jour tu peux me considérer comme ton père, alors je partirai d’ici avec toi.

Cette fois, ses mots la touchèrent. Après un bref silence, elle détourna le regard et répondit dans un petit souffle :

— Ce jour n’arrivera jamais.

Ses joues, pourtant, s’étaient un peu teintées de rouge.

Il se mit à rire devant ce geste puéril, attendri.

— Dans ce cas, c’est décidé. Je resterai ici avec toi, pour toujours.

Puis il afficha un grand sourire lumineux et…

***

…Il disparut en un clin d’œil.

— Mon frère ?

Naotsugu l’interpela, mais son frère n’était plus là. Il peinait à comprendre ce qui venait de se passer. Lorsqu’ils atteignirent le centre du jardin, Jinya et lui ne trouvèrent plus personne… Non. En y regardant de plus près, la fillette était toujours là, debout, immobile, tenant sa balle.

— Il ne reste plus rien ici. Plus personne. Plus rien du tout, murmura-t-elle dans le vide, sa voix juvénile claire et résonnante.

Elle ressemblait à une petite poupée, avec ses yeux rouges inexpressifs.

— Où est mon frère ? demanda Naotsugu.

Les yeux de la fillette s’assombrirent légèrement. Il était évident qu’elle était la cause de tout cela. Mais Naotsugu, fidèle à sa nature douce, ne leva pas la main sur elle. Il demanda à nouveau, la voix tendue :

— Où est-il ?

Elle resta silencieuse, l’air toujours plus accablé. Incapable de supporter ce silence, Naotsugu tomba à genoux et inclina le front jusqu’au sol.

— Je t’en supplie. Rends-moi mon frère. Je t’en prie.

Pour un samouraï, se prosterner ainsi était une humiliation. Mais il n’y pensa même pas, et supplia, les épaules tremblantes. Et pourtant, la fillette ne dit rien. Elle aussi semblait retenir ses larmes.

— Ça suffit, dit Jinya, ne pouvant plus rester là sans agir.

Il posa une main sur l’épaule de Naotsugu. Mais ce dernier se redressa brusquement.

— Non ! Vous l’avez vu aussi, n’est-ce pas ?! Il était là !

Naotsugu était au bord de l’effondrement. Après tant de recherches, il avait enfin une piste concrète. Il ne pouvait pas abandonner maintenant.

Jinya secoua la tête.

— Les fleurs ont leurs saisons pour éclore.

— …Qu’est-ce que vous racontez ? dit Naotsugu, perdu.

Mais Jinya poursuivit, imperturbable. Ce qu’il allait dire touchait au cœur de cette affaire. Et Naotsugu devait l’entendre, qu’il le veuille ou non.

— Vous m’avez dit avoir trouvé un narcisse dans la chambre de votre frère. C’est ce qui m’a mis la puce à l’oreille, ce qui m’a fait penser qu’il avait été emporté hors du monde des humains.

— Et alors ?! répliqua Naotsugu, à bout, incapable de suivre.

D’un ton neutre, Jinya répondit :

— Les narcisses sont des fleurs d’hiver.

Le temps sembla s’arrêter.

Les narcisses fleurissent de l’hiver au début du printemps. Mais ceux qui apparaissent au printemps ont généralement de grands pétales. Or, le narcisse que Naotsugu avait montré à Jinya avait de petits pétales, ce qui en faisait une variété précoce, propre à l’hiver.

— Vous avez dit que votre frère avait disparu au début du printemps. Et nous sommes en automne… Alors comment aurait-il pu obtenir un narcisse d’hiver ?

Sadanaga avait disparu depuis le printemps, et nous étions en automne. Logiquement, il ne pouvait pas avoir mis la main sur un narcisse à floraison hivernale. Et pourtant, l’un d’eux avait bel et bien été trouvé dans sa chambre. Ce qui ne laissait qu’une seule conclusion : il avait erré dans un monde où le temps s’écoulait différemment de celui des humains.

— Mais… mon frère était là.

— Oui. Il était là.

— Alors que voulez-vous dire ?

— J’ai dû réfléchir à la manière dont Sadanaga-dono avait pu se procurer ce narcisse. La seule hypothèse plausible, c’était qu’il s’était rendu dans un lieu créé par le pouvoir d’un démon. Un lieu où le temps ne s’écoule pas comme chez nous. J’en étais arrivé là. Mais… regardez. Ce sont des daphnés qui fleurissent maintenant.

Il devait dire la vérité, aussi cruelle soit-elle. Il avait accepté cette mission dans le but de résoudre l’affaire… mais la vérité, c’était qu’elle était terminée depuis longtemps.

— Je croyais d’abord qu’il s’agissait d’un monde où les narcisses fleurissent à l’infini, un endroit hors du temps… Mais je me trompais. Les daphnés annoncent le début du printemps. Cela signifie que le temps passe ici aussi, simplement à un rythme différent de celui du monde humain. C’est ainsi que Sadanaga a pu obtenir une fleur hors saison.

La vraie question, c’était de savoir à quelle vitesse le temps passait ici. Si c’était plus lent, soit. Mais si la fillette disait vrai, alors il ne restait plus rien. Ni personne.

Jinya poursuivit :

— Très probablement, dans ce monde…

— …Le temps s’écoule bien plus vite que dans le monde humain, coupa la fillette, reprenant enfin la parole.

Il avait vu juste. Le temps passait ici à un rythme accéléré. Il ne servait plus à rien de chercher Sadanaga.

— Ce que vous voyez ici, ce n’est que ce qui fut jadis perdu… Le jardin de bonheur de mon moi d’autrefois…

Sa voix était douce, chargée d’une pointe de mélancolie.

— Après cent ans, je me suis éveillée à un pouvoir. Celui de recréer le jardin de bonheur que j’avais connu. Cependant…

— Oh là là. Voilà une petite boule d’énergie aujourd’hui.

Soudainement, deux silhouettes apparurent sur la véranda.

— Je te regarde, je te regarde.

— Elle s’améliore, tu ne trouves pas ?

Un couple harmonieux, semblant tout droit sorti d’un souvenir. Mais l’instant d’après, ils disparurent, comme s’ils n’avaient jamais existé.

— Mon pouvoir s’appelle Fragment. Il me permet de créer un monde miniature pour revivre mes souvenirs. Mais ce n’est que cela. Il ne peut retenir personne à l’intérieur. Il ne fait que me laisser revivre le passé…

Autrement dit, le couple qu’ils venaient de voir, les visions précédentes, et Sadanaga lui-même… tout cela n’était que des souvenirs. Son pouvoir permettait de matérialiser ses souvenirs, pour que d’autres puissent les voir.

Elle avait dit ne pas pouvoir quitter cet endroit — non pas au sens littéral ou physique, mais parce qu’elle était incapable de se détacher de ses souvenirs heureux. Ce n’était pas Sadanaga qui avait été prisonnier de ce lieu… c’était elle, la fille qui l’avait créé.

— Le temps s’écoule plus vite ici qu’à l’extérieur. Et ceux qui restent dans ce monde finissent peu à peu par être oubliés des autres. Plus quelque chose est précieux, plus il est facile de le perdre. Les souvenirs sont condamnés à être emportés par le courant du temps et à disparaître.

Son regard, empli de tristesse, se perdit au loin.

 Je suis la seule à ne pas pouvoir rejoindre le flot du temps.

Telles étaient les lois de ce monde. Elle pouvait revivre ses souvenirs heureux encore et encore dans ce jardin de bonheur… mais elle devait y rester seule. Même si quelqu’un parvenait à y entrer, il vieillirait bien avant elle, et disparaîtrait. Les jours heureux défileraient devant ses yeux, encore une fois.

— Alors… mon frère est… ? demanda Naotsugu d’une voix tremblante.

Si le temps s’écoulait plus vite ici que dans le monde extérieur, si Sadanaga avait choisi de ne jamais quitter cet endroit, et s’il ne restait plus personne ici maintenant, alors…

— Il n’y a plus personne, dit la fille en le regardant droit dans les yeux.

Tout était fini depuis le début. Dès l’instant où il avait commencé à le chercher, son frère était déjà… depuis longtemps… parti.

— Ce… ce n’est pas possible…

Naotsugu baissa la tête, anéanti.

À cet instant, un vent violent se leva dans ce jardin où il n’y avait pourtant pas eu le moindre souffle jusqu’ici.

— Adieu… Je suis désolée d’avoir pris votre frère.

Le vent rugissait, comme s’il pleurait. Les pétales s’envolèrent, arrachés des fleurs, emportés dans le ciel. Le domaine tout entier se désagrégeait, comme aspiré vers le néant.

— Et merci. C’est grâce à Hyouma que je suis enfin libre.

Tout s’effaçait. Le jardin de bonheur touchait à sa fin.

— Ne vous en faites pas. Quand vous vous réveillerez, vous serez de retour là où vous étiez.

La tendresse de sa voix ne collait pas à son apparence enfantine. Mais elle n’avait jamais eu l’intention de garder qui que ce soit ici. Sadanaga était tombé ici par hasard.

Et elle n’avait jamais voulu faire de mal à Naotsugu ou à Jinya. Peut-être les avait-elle seulement laissés entrer… pour pouvoir s’excuser.

— Et maintenant, que vas-tu faire ? demanda Jinya d’un ton calme, alors que le monde s’effondrait autour d’eux.

Ce n’était qu’une simple curiosité. Il voulait savoir ce qu’il adviendrait de cette fille démon, née du désespoir.

— Je vais partir. Loin d’ici.

Sa voix claire et juvénile ne portait plus la moindre trace de solitude.

— Je n’ai plus de raison de revenir dans ce jardin vide. Plus maintenant que Hyouma est devenu mon père.

— Tu es sûre ? Ce lieu comptait beaucoup pour toi, non ?

— C’est vrai, dit-elle avec un petit sourire. — Mais j’ai assez ressassé le passé. Hyouma a donné sa vie pour m’offrir un endroit où vivre, alors j’ai décidé de laisser ce lieu derrière moi. Parce que je veux être sa fille.

— Je vois. Tu vas donc tenir ta promesse à Sadanaga-dono ?

— Oui. Ainsi je pourrai dire, avec fierté, que cet homme était mon père.

Je suis heureuse maintenant. J’ai perdu beaucoup au fil de ma vie, mais j’ai pu avoir un second père qui m’aimait profondément.

Elle leur adressa un dernier sourire chaleureux avant que le monde fleuri ne se dissolve dans le crépuscule, puis…

Le néant.

Ainsi prit fin le jardin du bonheur.

… Viendra le jour où les larmes sécheront ; alors enfin…

Certains comparaient la lueur du ciel crépusculaire à celle du feu. Le rougeoiement du ciel alors que le soleil glissait sous l’horizon avait sa propre beauté, mais à cet instant — en se réveillant — Naotsugu était soulagé qu’il ait disparu. La douceur du crépuscule lui semblait bien plus bienvenue que l’éclat flamboyant de l’orange, qui évoquait les flammes.

— Nous sommes de retour… murmura Naotsugu.

Ils étaient dans le jardin. Celui du domaine des Miura.

La nuit était déjà tombée. À l’ouest, ne restait qu’une légère trace rouge là où le soleil s’était couché. Naotsugu observa cette lueur, l’imaginant comme les dernières braises mourantes d’un feu… et son cœur se serra légèrement.

— Vous croyez que cette fille a vécu chez nous tout ce temps ?

— Pas exactement. Mieux vaut voir le monde qu’elle a créé comme un lieu séparé du nôtre. Je ne sais pas comment, mais votre maison était reliée à la sienne. Et Sadanaga-dono… y est entré par hasard.

— Et il n’a pas pu en sortir. Ou plutôt… il a choisi de ne pas en sortir.

Naotsugu ferma les yeux et revit le sourire chaleureux de la fillette. Par un pur hasard, elle avait rencontré un homme qui lui avait dit qu’il deviendrait son père. Qu’est-ce qui l’avait poussé à rester auprès d’elle ? Naotsugu n’en savait rien. Mais au final, la fillette souriait. Il semblait qu’elle avait été libérée de ce qui la retenait. Et que cet homme avait accompli ce qu’il s’était promis. Un peu étourdi, Naotsugu contempla le jardin.

— Je me demande… pourquoi mon frère a fait ce choix.

Sadanaga savait que cette fille était un démon. Il savait aussi que le temps ne s’écoulait pas de la même façon là-bas. Pourtant, il avait choisi de rester. Au prix de son foyer. De sa famille. Ce n’était peut-être qu’un murmure à lui-même, mais Jinya répondit tout de même :

— Et s’il n’y avait pas de raison ?

Peut-être avait-il simplement ressenti de la peine pour cette fille. Et décidé de rester à ses côtés. Même en sachant ce que cela impliquait. Jinya reprit, comme pour lui-même :

— Il est peut-être resté… juste parce qu’il le voulait. Ce n’est pas si étonnant. Il y a des moments, dans une vie, où être auprès de quelqu’un suffit à nous rendre heureux.

Naotsugu ne répondit pas. Peut-être refusait-il cette réponse. Ou peut-être n’avait-il rien à dire. Jinya non plus ne dit rien de plus. Il observa le jardin, baigné dans la lumière du crépuscule.

Il n’y avait plus aucune fleur. C’était l’automne, après tout. Aucune fleur n’y poussait. C’était l’automne, et depuis longtemps, toutes s’étaient fanées. Le lieu paraissait désormais déplacé, presque irréel, alors qu’il sortait à peine d’un jardin très fleuri. Peut-être ce domaine avait-il été bâti à l’endroit même où la maison brûlée s’était autrefois dressée. Cette pensée rendit le jardin encore plus morne.

— Un jardin de bonheur disparu, hein…

Ce qui est perdu devient d’autant plus précieux dans nos souvenirs. Mais il ne faut pas oublier qu’une chose perdue reste perdue. On aura beau la désirer de tout son cœur, elle ne reviendra pas. La fillette avait tout perdu, s’était abandonnée au désespoir, était devenue un démon… et pourtant, tout ce qu’elle pouvait faire, c’était aspirer à ce bonheur disparu.

Mais sa vie ne s’était pas arrêtée là. Sadanaga avait souhaité qu’elle soit libre, et elle avait fait sien ce souhait pour enfin quitter le jardin du bonheur dans lequel elle s’était enfermée.

Quelque chose remua dans la poitrine de Jinya. Peut-être était-ce de la jalousie. Cette fillette et Sadanaga possédaient une force qui lui faisait défaut. Une lumière si vive qu’il devait en détourner le regard vers les cieux assombris.

Alors qu’il observait le ciel lentement s’assombrir, il se demanda où elle pouvait bien être, à cet instant. Il ne sut jamais son nom. Et laissa son esprit vagabonder, imaginant les mille lieux où elle aurait pu aller.

Une étoile lointaine scintilla dans la nuit. Jinya esquissa un léger sourire à l’approche de la nuit tombante.

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