REIGN OF V3 - CHAPITRE 3

Salvadori, la Progéniture des Succubes

—————————————-
Traduction : Colonel Raclette
Correction : Raitei
———————————————–

…Hé, regarde.

  • Ouais, c’est elle. J’ai entendu les rumeurs…

Les regards des autres élèves posés sur elle étaient toujours un mélange de peur et de jalousie…de curiosité ou de dégoût, et ce, depuis qu’Ophelia avait rejoint Kimberly.

— C’est comme si son odeur m’emportait…

  • Whoa, ne t’approche pas trop près ! Elle va te kidnapper.
  • C’est vrai qu’elle fait des enfants avec n’importe qui ?
  • Seulement parce que c’est mieux que de le faire avec un monstre.

À l’époque, certains étaient encore assez stupides pour parler d’elle à portée de voix. C’était ennuyeux, mais elle l’ignorait comme un bruit de fond. Son dédain pour ses pairs grandissait également ; elle supposait que plus la lignée de sang et l’intellect d’une personne étaient de basse extraction et plus elle était susceptible de faire des commérages dans de petits cercles.

  • U-um, Miss Salvadori…
  • Quoi ?

Parfois des gens l’appelaient, et elle répondait de manière insolente. En conséquence, la plupart s’enfuyaient après un regard glacial de sa part. Pendant la moitié de sa première année à Kimberly, Ophelia n’avait parlé à personne, à l’exception de Carlos.

——————————————————————

  • Toujours sans amis, Lia ?
  • …Tais-toi.

Carlos, qui avait intégré l’école un an plus tôt, passait autant de temps que possible avec elle. Ce jour-là en particulier, ils avaient déjeuné dans une salle de classe vide. Ophelia détestait par-dessus toute la cafétéria à cause de la foule, ainsi elle préférait manger dans des endroits à l’abri du regard d’autrui.

  • Je peux comprendre que le nom Salvadori puisse effrayer les gens, mais tu prends quand même trop tes distances. Pourquoi t’essayerais pas d’être un peu plus amicale ? Cela devrait plaire à quelqu’un d’original.
  • Je n’ai pas besoin d’amis. Je peux attirer autant d’hommes que je veux. C’est bien assez.

Elle grignota un muffin soufflé au fromage. Le faible espoir que Carlos avait eu pour elle avant qu’elle ne commence l’école s’était complètement éteint au cours des six derniers mois. Elle s’était isolée de presque tout contact avec les autres. Carlos secoua la tête, troublé.

  • Tu dis que ça te va, mais moi non. Je veux te voir rire au milieu d’un groupe d’amis. C’est devenu un rêve depuis le jour où nous nous sommes rencontrés.
  • Garde tes rêves glauques pour toi… De toute façon, je m’en fiche. Je ne me ferais pas d’amis.

Elle jeta son muffin à moitié mangé dans la poubelle et se détourna de lui en faisant la moue. Carlos observa son profil et se mit à réfléchir.

  • …D’accord. Mais qu’en est-il de mes amis ? Je peux au moins te présenter, non ?
  • Fais ce que tu veux. Je vais juste les ignorer, dit-elle froidement, sans regarder Carlos.

Mais Carlos sourit en ayant eu son approbation. Il se retourna rapidement et quitta la classe, puis revint en trainant un autre élève avant qu’Ophelia n’ait eu le temps de comprendre quoi que ce soit.

  • C’est parti. Al, voici Ophelia. Présente-toi.
  • Bien.

Sous l’impulsion de Carlos, le garçon s’avança devant elle. Il était grand, avec des épaules larges et musclées ; ses cheveux noirs étaient si raides qu’ils semblaient résister à toute frisure ; et ses yeux sombres la fixaient inconfortablement. Intimidée par sa pression silencieuse, Ophelia se retrouva à reculer sur son siège.

  • Je m’appelle Alvin Godfrey, je suis en deuxième année. C’est un plaisir de te rencontrer, Ophelia. J’espère que tu pardonneras mon audace. On m’a dit que tu détestais être appelée par ton nom de famille.

Godfrey se présenta de manière tout à fait formelle, puis afficha un sourire étonnamment doux. Il tendit immédiatement sa main droite pour initier une poignée de main ; Ophelia la regarda comme si c’était une créature rare.

  • ……

  • Carlos m’a beaucoup parlé de toi. Je réalise que je n’ai qu’un an de plus, mais ça fait de moi ton ainé alors n’hésite pas à me contacter si tu as du mal à t’adapter—— Hmm ?

Son discours fluide jusque-là s’arrêta brusquement. Quelques secondes de silence s’écoulèrent, puis le garçon fit calmement volte-face et dégaina sa baguette.

  • DOLOR !

Le dos tourné à Ophelia, il lança le sort sur son entrejambe. Sa grande taille s’effondra aussitôt sur ses genoux.

  • …Guh… Haaa… !
  • …Huh ? …Quoi ?! A-attends, qu’est-ce que tu fais ?!

Ophelia sauta de sa chaise dans une légère panique, ne comprenant pas ce qui venait de se passer. Godfrey était au sol, serrant les dents avec les bras tremblants autour de la taille. De la sueur coulait sur son front alors qu’il luttait pour se relever.

  • …Je suis terriblement désolé. Une sensation ignoble a surgi en moi, mais j’ai réussi à l’étouffer avec la douleur d’un coup de pied dans l’entrejambe. Pardonne-moi.

Elle le regarda fixement. Était-il un idiot ? Personne ne lui avait demandé d’aller jusqu’à de telles extrémités. Godfrey se releva en titubant et prit de profondes inspirations pour se remettre de la punition qu’il s’était infligée. Alors qu’Ophelia le regardait avec étonnement, Carlos lui chuchota à l’oreille :

  • …Tu vois ? Original, n’est-ce pas ?
  • ……

En effet, elle était prête à l’admettre. Tout le reste mis à part, il n’y avait aucun doute sur ce point.

Il était peu probable que l’on trouve une seule autre personne dans le monde magique assez stupide pour se punir avec un tel sort aussi spontanément. Godfrey laissa échapper une grande inspiration, puis se retourna vers Ophelia, avec une expression calme sur le visage. Il tendit à nouveau sa main comme si rien ne s’était passé.

  • Ton Parfum était plus intense que je ne l’avais prévu… Mais un peu de force mentale le rend impuissant. C’est un plaisir de te rencontrer, Ophelia.

Il eut une mine renfrognée et bomba le torse, comme pour dire : « Allez-viens ». Ophelia en fut si surprise qu’elle éclata de rire pour la première fois de sa vie.

——————————————————————

Sa première impression de lui était qu’il était un idiot comme elle en avait rarement vu. Mais il s’était avéré qu’elle avait tort. Elle allait découvrir qu’Alvin Godfrey était un idiot inégalé.

  • Bonjour, Ophelia. Cela te dérangerait de prendre le petit-déj——DOLOR !
  • Bonsoir, Ophelia. As-tu trouvé comment utiliser la biblio——DOLOR !
  • Ophelia, regarde ! Un nid de fées, ici même——DOLOR !

Depuis qu’il avait fait connaissance, Godfrey répétait cette routine sans faute chaque fois qu’ils se croisaient sur le campus. Cela ne le dérangeait pas que d’autres puissent regarder. Et bien sûr, il terminait toujours sa routine en tombant à genoux. Ophelia comprit que c’était sa façon de réprimer le désir que lui inspirait son parfum, mais ses méthodes et sa persistance étaient clairement anormales. Il savait que le fait de la voir le ferait se tordre de douleur, mais c’est pourtant ce qu’il faisait une fois tous les deux jours.

Il était si coutumier du fait qu’elle avait commencé à soupçonner que c’était l’un de ses fétiches. Chaque fois qu’il le faisait, cela provoquait un tumulte parmi les élèves voisins, attirant inutilement l’attention sur elle. Alors bien sûr, Ophelia trouvait ses singeries très gênantes, mais elle ne l’avait jamais arrêté.

Peut-être était-elle curieuse de voir jusqu’où cet idiot irait, voir quels sommets sa bêtise atteindrait.

  • Bonjour, Ophelia. Tu déjeunes ?
  • Euh, oui…

Environ deux mois s’étaient écoulés depuis qu’ils avaient été présentés. Ophelia était assise sur un banc dans un coin de la cour de l’école. C’était leur trentième rencontre, et elle se préparait une fois de plus à ce qui allait arriver à coup sûr.

  • …Heh-heh-heh-heh-heh…
  • … ?

Mais cela n’arriva pas. Godfrey s’assit à côté d’elle et commença à glousser de manière glauque. Elle le regarda d’un air suspicieux alors qu’il formait des poings avec ses mains.

  • …J’ai gagné. J’ai enfin vaincu mes instincts par la douleur ! dit-il avec satisfaction.

Ophelia le regarda avec des yeux écarquillés. Elle n’arrivait pas à croire que cet idiot avait enfin réussi. Ce qu’il avait précisément fait était de s’imprimer un réflexe conditionné. Chaque fois qu’ils se rencontraient et que l’excitation sexuelle montait en lui, il éteignait le désir avec un sort de douleur.

En répétant ce processus sur une longue période, son corps se souvenait que ressentir des désirs sexuels pour elle entraînerait une douleur extrême.

  • Maintenant, on peut apprendre à mieux nous connaître, et je serai en mesure de te donner des conseils. Parle-moi de tout, Ophelia. L’homme qui s’évanouissait de douleur en se saisissant l’entrejambe après t’avoir regardé a disparu depuis longtemps. Devant toi se trouve maintenant un nouvel homme, Alvin Godfrey !
  • U-um…

Il saisit sa main et la secoua vigoureusement; le cerveau d’Ophelia sembla à l’arrêt. Réalisant ce qu’il faisait, Godfrey la lâcha rapidement.

  • Désolé. J’ai laissé mon exaltation prendre le dessus. Recommençons. Puis-je déjeuner avec toi ? Tu peux refuser si tu préfères être seule.

Avec sa candeur habituelle, il demanda à la rejoindre. Il était on ne peut plus sérieux ce qui fit déglutir Ophelia. Elle réussit ainsi à lâcher une question.

  • …Pourquoi… ?
  • Hmm ?
  • …Pourquoi avoir forcé comme ça ? Il devait y avoir des centaines de façons plus faciles, demanda-t-elle.

Le plus idiot pour elle dans tout ça était que ses efforts n’avaient aucun sens. Il existait des moyens beaucoup plus simples et plus logiques pour obtenir les mêmes résultats. Des potions ou des sorts qui augmenteraient sa résistance, par exemple. En fait, même s’il était excité, il pouvait simplement garder un visage impassible. Personne ne verrait la différence.

Et si le fait de la désirer était le problème, alors il pouvait simplement rester loin d’elle pour commencer. Peu importe comment on voyait les choses, il avait choisi la voie la plus douloureuse et la plus inutile de son plein gré. C’est tout ce qu’elle pouvait penser. Godfrey croisa les bras, faisant un « hmmm ».

  • …En effet, je vois ce que tu veux dire. Je ne pense pas non plus avoir choisi la meilleure méthode. Je veux dire, chaque fois que je pensais à aller te voir ces deux derniers mois, mon corps frissonnait. Si je voyais un ami faire la même chose, je l’arrêterais certainement.

Elle était surprise d’entendre qu’il en était conscient. L’expression de Godfrey devient solennelle.

  • Mais la douleur que j’ai éprouvée ces deux derniers mois, ce n’est rien comparé à ce que tu as dû endurer toute ta vie.
  • … !

C’était comme un coup au cœur. Tant de personnes l’avaient évité parce qu’ils n’aimaient pas les effets de son Parfum. Pendant ce temps, Godfrey était la première personne autre que Carlos à considérer la douleur qu’elle vivait, étant née de cette façon.

  • Alors ça ne me dérange pas. La douleur ne me dérange pas si cela me permet de m’asseoir fièrement à côté de toi.

Il afficha un sourire amical. Après un long silence, Ophelia reprit la parole.

  • …Alors que cherches-tu en approchant fille aussi problématique que moi ?

C’était une question mesquine ce qui surprit Godfrey.

  • Problématique ? Toi ? …Ha-ha-ha ! C’est hilarant !

Il éclata de rire et se tapa le genou. Ophelia le regarda avec méfiance, alors il étouffa son rire et lui fit de nouveau face.

  • Écoute, Ophelia. Une personne vraiment problématique ne penserait jamais une telle chose. Elle se contenterait de rire et de prendre avantage de la situation. J’ai eu trois expériences de ce genre dans la seconde moitié de l’année dernière. Deux de ces fois, j’ai failli mourir ! Mon sang bouillonne rien que d’y penser.

Une colère forte apparut soudainement sur le visage du jeune homme. Elle voulut demander ce qui s’était passé, mais il se calma avant de la fixer.

  • C’est donc pour ça que tu étais distante, alors ? Eh bien, je suppose que tu m’as vu sous mon pire jour à plusieurs reprises. Mais c’était de mon plein gré. Tu n’as aucune raison de te sentir coupable. Donc pour la troisième fois : On déjeune ensemble ?

Elle hésita une seconde, puis hocha la tête. Godfrey sourit. Il ramassa le panier qu’il avait posé sur le banc et le posa sur ses genoux.

  • Alors, discutons. Comment se passent tes cours ? La prof de biologie magique est un monstre, n’est-ce pas ?

Ils se mirent à bavarder. Le garçon assis à côté d’elle était censé être un idiot qui n’apprenait jamais. Pourtant, pour une raison quelconque, la pause du déjeuner ce jour-là sembla bien trop courte pour Ophelia.

——————————————————————

Pete envisagea les moyens de s’échapper de la sombre cellule, mais il était vite apparu que cette tâche était impossible. Il n’avait aucune arme à disposition. Il n’y avait donc aucun moyen logique de s’échapper de la prison de son aînée. Avec cela à l’esprit, il décida de son prochain plan d’action.

  • …Hé. Hé, réveille-toi… !

Il essayait de secouer ses camarades prisonniers pour les réveiller. Avoir un allié pouvait créer une opportunité aussi infime soit-elle. Il fallait parier dessus. Malheureusement, ses efforts furent vains. Ils refusaient de se réveiller, même en leur pinçant les fesses ou en les giflant au visage. Au bout de dix tentatives, il en eut assez. Il faillit désespérer, mais fut convaincu que la onzième fois serait la bonne. Il pinça finalement quelqu’un sur sa joue de toutes ses forces. Quelque chose finit par changer.

  • …Mm… ?
  • Oh… Tu es réveillé ?! Oui ! Ne te rendors pas ! Ne te rendors pas !

Pete eut une voix teintée d’espoir et de désespoir à la fois. C’était le premier étudiant à montrer une sorte de réaction. Cela semblait fonctionner, car il commençait à émerger avant de fixer son regard sur le visage de Pete.

  • Tu es… l’un de ces bons à rien… du groupe d’Oliver. Où… ?

Pete sursauta en entendant ces mots. Il n’avait pas réalisé, à cause de l’obscurité et du désespoir qu’il s’agissait de Joseph Albright, le garçon qu’Oliver avait combattu lors du petit tournoi. Le souvenir de l’essaim d’abeilles était encore frais dans son esprit. Pete n’était soudainement plus aussi soulagé. Albright se releva et regarda autour de lui, son expression devenant sinistre.

  • … L’atelier de Salvadori, huh ? Bordel, quel merdier !

Réalisant la situation, il fouilla tout son corps.

  • Elle a pris nos athamés et nos baguettes bien sûr. Tout le reste… Ugh !
  • T-tout va bien ?!

Albright s’arrêta soudainement et se tint la tête. Pete sauta plus près, mais Albright l’arrêta d’une main.

  • Ne braille pas. Je vais très bien, dit Albright. —— On est en train de respirer son parfum. Même mon extraordinaire résistance au poison et aux charmes ne suffit pas, expliqua-t-il en calmant sa respiration.

Il regarda Pete avec méfiance.

  • …Hé, la crevette. Comment tu peux arriver à bouger ?
  • Huh… ?
  • Tu ne t’en rends pas compte, n’est-ce pas ? …Regarde les autres idiots endormis. Tu aurais dû être dans le même état. Aucun homme ne peut résister à son parfum. Même moi, je ne me serais pas réveillé si tu ne m’avais pas perturbé. Et pourtant, tu es là, à bouger sans encombre dans ce miasme. Je trouve cela difficile à croire.

Pete n’était pas sûr de comment répondre. Il pouvait sentir l’odeur particulière dans l’air, mais cela ne l’endormait pas pour autant. Si les autres étudiants avaient succombé aux effets naturels du parfum, alors pourquoi était-il le seul à ne pas être affecté ?  Soudainement, il se mit à haleter.

  • …Oh…

Inconsciemment, il fouilla son corps. Trouvant que sa supposition était juste, il se raidit. Albright, qui assistait au déroulement de l’événement, plissa les yeux en signe de compréhension.

  • Ah, je vois. Tu n’es pas un homme, n’est-ce pas ?

Une grande panique s’empara de Pete. Mais après un moment, il réalisa que ce n’était pas le moment de garder des secrets. Il hésita, puis révéla ce qui se passait avec son corps. Albright ricana.

  • Hmph, un reversi. Pas quelque chose que j’attendais d’un bon à rien. Mais je comprends mieux. La chimère de Salvadori t’a pris pour un mâle et t’a capturé. Puis, après avoir été amené ici et endormi, tu t’es transformé en femme. Comme l’effet du charme est plus faible sur quelqu’un du même sexe, tu t’es réveillé. Ça résume bien la situation.
  • S-si vous comprenez ce qui se passe, alors il faut qu’on sorte d’ici ! Il doit y avoir un moyen— Mgh ?!

Pete commença à élever la voix dans l’excitation, mais Albright couvrit sa bouche d’une main.

  • Ferme là. Tu ne comprends pas dans quel pétrin tu te trouves. Si on te trouve, tu seras tué.
  • … !
  • Ta présence est un problème inattendu pour Salvadori. Si on a de la valeur pour elle, c’est parce que nous sommes des hommes.

Albright expliqua calmement, en couvrant toujours la bouche de Pete. Il écoutait en silence, comme si on lui avait versé de l’eau glacée sur la tête.

  • Vu ses méthodes peu rudimentaires, Salvadori a probablement perdu la raison. Il ne faut pas s’attendre à ce que la rareté d’un reversi incite sa curiosité, ni qu’elle fasse preuve d’une quelconque compassion pour ses cadets. La preuve de la chose est sous nos yeux.

Albright retira finalement sa main de la bouche de Pete et jeta un regard à l’extérieur de la cage de chair. Pete tourna la tête dans la même direction et vit ce qui l’avait fait frissonner un peu plus tôt à savoir, un groupe d’étudiants cloué au mur avec des vêtements déchiquetés et des « tuyaux » de chair reliés à divers points de leur corps. Parmi eux se trouvait l’un de ceux que ses amis avaient combattus récemment.

  • …Mr. Willock…
  • Contrairement à toi, la vitalité d’un demi-loup-garou en fait une cible parfaite. On est tous ici pour finir comme lui, puis éliminés quand on ne sera plus utiles.

Quand Albright énonça la vérité crue, Pete déglutit et se tut.

  • Tu comprends maintenant ? Si on prend l’initiative, on peut renverser la situation. Personne n’aurait pu prévoir que tu serais capable de te déplacer librement dans ce miasme. Tu es notre carte maîtresse.

Maintenant qu’ils étaient tous deux sur la même longueur d’onde, Albright avait commencé à discuter de la façon dont ils pouvaient s’échapper. Pete le regarda avec espoir ; puis Albright planta calmement ses doigts dans ses côtes et grimaça.

  • Qu-qu’est-ce que… ?! s’exclama Pete
  • Tais-toi et regarde !

Albright fouilla dans ses propres entrailles, et finit par trouver plusieurs petites sphères. Quelque chose semblait être scellé dans les boules de verre qui étaient de quatre couleurs différentes. Les boules sanglantes se trouvaient maintenant dans la paume d’Albright.

  • C’est dans le cas où l’on me confisquerait ma baguette. Deux d’entre elles sont explosives. Infuse-les de mana et elles provoqueront une petite explosion, mais avec des effets destructeurs. On va les utiliser pour s’échapper de cette cellule. Les deux autres sont un écran de fumée, qui réduit la visibilité, nous donnant l’occasion de s’enfuir. C’est également un signal de détresse qui émet un son fort et une décharge de mana appeler un allié au secours.

Pete écouta avec étonnement. Albright mit sa main devant le nez du garçon à lunettes.

  • Je te les donne toutes. Il ne me sert à rien de les avoir dans cet état.
  • …Oh…

Par réflexe, Pete tendit les mains et accepta les huit sphères de verre. Il pouvait sentir sur elles la chaleur persistante des entrailles d’Albright. Pete se leva, sentant qu’on venait de lui confier une énorme responsabilité.

  • Attends une opportunité, continua Albright d’un ton strict. —— Jusqu’à ce que Salvadori quitte l’atelier, en espérant qu’elle s’éloigne le plus loin possible. Je suis certain qu’une équipe de recherche composée d’élèves de classes supérieures a été envoyée dans cette couche du labyrinthe. Si on peut les alerter, on renverserait la tendance.

C’était leur plus grand espoir. Maintenant que Pete connaissait le plan, Albright se souvint soudain de quelque chose.

  • Je suppose que je dois te demander ton nom, petite crevette, puisque je te confie ma vie. Quel est-il ?
  • …Pete Reston, répondit le garçon à lunettes d’un ton raide. Albright renifla.
  • Pete…Si on s’en sort vivants, je m’en souviendrai.

——————————————————————

La chimère géante faisait gronder le sol de son poids tandis qu’elle avançait dans la forêt, renversant les arbres sur son passage. Un peu plus loin, à l’ombre d’un arbre, deux étudiantes observaient la scène en retenant leur souffle.

  • …Il est enfin parti. Woo, c’était terrifiant !

L’une était plus grande que l’autre et semblait être une ainée. La fille à côté d’elle se leva du sol, se mettant en route avec détermination, se ruant dans la forêt. La grande fille l’avait rapidement poursuivie.

  • Hé ! Fais un peu plus attention ! On aura de gros problèmes si on est repérées.
  • Nous n’avons pas le temps ! Je dois sauver Fay !

La fille paniquée était une des participantes du petit tournoi. Elle avait réussi à donner du fil à retordre à Chela : Stacy Cornwallis. Tout comme Oliver et les autres avaient perdu Pete face à la chimère, elle avait perdu son partenaire demi-loup-garou, Fay Willock. Après l’avoir rattrapée, la grande fille poussa un soupir dramatique.

  • Je suis déjà au courant, d’accord ? …Ugh, j’ai eu tort de t’emmener. J’aurais dû savoir que quelque chose n’allait pas quand quelqu’un d’aussi irrespectueux que toi était venu me demander de l’aide.

Les plaintes venaient d’une fille nommée Lynette Cornwallis, la sœur de Stacy, de trois ans son aînée. Lynette se pinça les lèvres, froissée par l’insistance de sa petite sœur à foncer vers le danger.

  • Tu es bien attachée à ton petit animal de compagnie. Est-il vraiment si précieux pour toi ? C’est juste un chiot errant que tu as trouvé par hasard un jour. Tu pourrais facilement le rempla——

Stacy se retourna et lança un regard assassin à sa sœur. Lynette leva les mains en signe de capitulation.

  • …Je suppose que non. Ouais, ça va. Je suis désolée.

Stacy fit silencieusement demi-tour et continua à avancer une fois de plus. C’était l’occasion parfaite pour arrêter de parler, mais Lynette ne semblait pas l’avoir compris.

  • Ce que je ne comprends pas, c’est que peu importe à quel point tu tiens à lui, tu ne porteras jamais ses enfants. Tu pourrais avoir n’importe quel homme en tant que Cornwallis. Père peut ne pas t’aimer, mais tu es toujours la lueur d’espoir de notre famille.
  • ……
  • Ou bien penses-tu abandonner complètement la famille ? Nous lâcher pour devenir un McFarlane par exemple ? C’est pour ça que tu essayes de rester proche d’Oncle Theodore, n’est-ce pas ? …Eh bien, je te souhaite bonne chance. Aussi talentueuse que tu puisses être, tu ne pourras jamais faire tomber Miss Michela et la remplacer.

Elle se moquait clairement de Stacy, essayant de la provoquer, mais sa sœur refusa de répondre. Lynette fit claquer sa langue.

  • Pourrais-tu arrêter de m’ignorer pendant, disons, une seconde ? ….Aah. Tu es muette ou quoi ? J’ai toujours essayé de te parler à la maison, mais tu ne répondais quasiment jamais.

Elle se souvenait vaguement d’une fois, il y a longtemps, quand Michela McFarlane était venue leur rendre visite. Sa petite sœur avait offert à ce prodige de la famille principale une couronne de fleurs. Michela semblait sincèrement ravie ce qui fit grandement rougir Stacy. Michela et elles formaient une bien belle paire fraternelle. Bien plus qu’avec Lynette qui ne saurait être au niveau.

  • …Tu aurais pu m’en faire une aussi.
  • … ?

Stacy capta les murmures de sa grande sœur et se retourna, intriguée. Lynette haussa les épaules, détournant les yeux pour tenter d’éviter le regard de Stacy.

  • Ce n’est rien. Allons-y. Tu es pressée, non ?

——————————————————————

Pendant ce temps, le groupe d’Oliver avait atteint le bout de la deuxième couche.

  • Très bien, il est temps d’en finir avec ce niveau, déclara Miligan, en ouvrant la voie.

Ils avaient déjà traversé la forêt alors les arbustes se faisaient de plus en plus petits. En remarquant qu’il y avait de la terre sans herbe sous ses pieds, Chela leva les sourcils en signe de suspicion.

  • La végétation a pratiquement disparu. Je ne sens aucun être vivant.
  • Mais il y a encore de la terre. Bizarre… Miss Miligan, qu’est-ce qui se passe ? demanda Oliver, sentant lui aussi que quelque chose n’allait pas. Miligan s’arrêta.
  • Je pourrais expliquer, mais comme on dit, il faut le voir pour le croire.

L’instant suivant, le sol sous leurs pieds se mit à trembler légèrement. Perplexe, Oliver baissa les yeux pour voir des bras d’os blancs percer le sol.

  • Qu—— ?!

Il fit un bond en arrière sous le choc, mais ce n’était que le début.  Des os pâles jaillirent du sol à perte de vue. De la terre mouvante apparurent des guerriers squelettes vêtus d’armures fracassées et brandissant des épées et des lances. Ils y en avaient facilement des milliers. Chela regarda avec étonnement les dizaines de morts-vivants qui apparaissaient sans prévenir.

  • Des spartoi[1]… ?! Et si nombreux ! s’exclama-t-elle.
  • Quel spectacle, n’est-ce pas ? Détendez-vous. Ils sont de notre côté.

Miligan était étonnamment calme. Oliver et les filles n’avaient pas tout de suite compris ce qu’elle disait, mais la sorcière jeta un sort sur le sol, créant une plateforme de taille moyenne avant de sauter dessus pour examiner le côté opposé de l’armée de morts-vivants.

  • Nos adversaires se mettent également en position. Étudiez attentivement les formations de combat de chaque côté, maintenant.

Confus, ils décidèrent d’imiter Miligan en sautant sur la plate-forme créée par la magie pour avoir une meilleure vue. Au loin, au-delà de l’armée de squelettes, ils pouvaient voir un autre groupe de guerriers osseux émerger de la terre. Les armures de chaque camp qui se faisaient face en formation ordonnée portaient des motifs différents.

  • Ils forment des lignes de combat, armes à la main…c’est une bataille.
  • Bonne réponse, Nanao. C’est l’épreuve finale de la deuxième couche, la bataille des armées de l’enfer.

Miligan révéla la chose avec enthousiasme, puis se retourna vers les trois autres.

  • Laissez-moi vous résumer les règles. Il y a deux armées de spartoi devant vous et vous allez combattre aux côtés de l’une d’entre elles. Votre objectif est de mener vos forces à la victoire. Plus précisément, le moment où vous détruisez le général ennemi est le moment où vous gagnez. Si votre général tombe, vous perdez.

Oliver déglutit. Ils étaient censés se lancer dans la bataille au milieu de cet océan de squelettes ? Miligan ignora son appréhension et continua.

  • Il est caché derrière l’armée ennemie. Et c’est en gagnant que la porte de la troisième couche s’ouvre. Mais faites attention : Monter sur un balai est contraire aux règles. Si vous le faites, vous perdez immédiatement, alors n’oubliez pas cela. Si vous perdez, la prochaine bataille ne commencera pas avant trois heures. De plus, si vous laissez votre armée se débrouiller seule, elle est assurée de perdre. Le but de ce jeu est de changer le résultat avec votre propre force. Réfléchissez bien et bataillez dur !

Et avec cela, elle passa devant ses cadets stupéfaits. Ils la regardèrent partir, et quand elle parcourut vingt mètres, elle se retourna et s’installa pour observer.

  • Désolée, mais je ne peux pas aider. J’ai déjà réussi cette épreuve cette année. Faites-le une fois, et vous êtes libre de passer pour l’année entière. Mais en échange, vous ne pourrez plus participer au jeu.

Une pointe d’inquiétude apparut sur le visage d’Oliver. Autrement dit, ils devaient tous les trois réussir cette épreuve par leurs propres moyens.

  • Si ça tourne vraiment mal, j’interviendrai pour vous sauver. À ce moment-là, vous devrez ignorer les règles et courir. Avant de vous faire tuer par les troupes ennemies, bien sûr, ajouta-t-elle nonchalamment, au moment où le son grave d’une corne retentit sur le champ de bataille.
  • C’est la corne. Vous avez cinq minutes pour élaborer une stratégie.

Et avec ce dernier conseil, elle se tut pour de bon. Les trois première année eurent immédiatement une discussion, ne voulant pas perdre une seconde.

  • Si ce jeu est une simulation de bataille, alors c’est essentiellement comme aux échecs, dit Chela. —— Nous devrions commencer par vérifier les pièces de chaque côté !
  • D’accord, répondit Oliver. —— N’oubliez pas de noter les formations de chaque camp et la typographie du terrain !

Ils hochèrent la tête et se séparèrent. Après avoir fait le tour du champ de bataille, le trio se regroupa.

  • C’est un terrain plat. Aucune formation géographique notable. Les deux camps semblent de force égale, mais j’ai compté plus de soldats à cheval sur leurs flancs.
  • En échange, nous avons un autre type d’unité sur notre ligne de front…
  • À en juger par leur taille et leur structure squelettique, je dirais que ce sont des Swordrhinos[2], un type de créature magique, déclara Oliver.
  • On peut les utiliser pour faucher l’avant-garde de l’ennemi et, une fois leur formation brisée, poursuivre avec notre infanterie… Du moins, c’est mon analyse de profane.

Oliver n’avait guère confiance en lui, mais il offrait son opinion. Un duel de mages n’était rien comparé à une bataille de cette ampleur, il était donc complètement hors de son élément. Il ne savait même pas si son analyse était correcte. Chela semblait tout aussi incertaine.

  • On semble manquer de chevaux. Je n’ai aucune connaissance des batailles des non-mages, donc je ne peux pas dire avec certitude si c’est un désavantage certain. Miss Miligan a dit que nous étions assurés de perdre si on ne faisait rien. Nanao, tu as une idée de la raison pour laquelle c’est le cas ?
  • Mm…

La seule personne sur laquelle ils pouvaient compter était Nanao, qui avait de l’expérience dans des batailles similaires. Ses amis déchantèrent et la regardèrent croiser les bras et réfléchir pendant dix bonnes secondes.

  • …Mm, je n’en ai pas la moindre idée ! Je n’ai jamais été général, après tout ! finit-elle par dire, l’expression brillante.

Les épaules d’Oliver s’affaissèrent en signe de déception, mais Chela se reprit rapidement.

  • Nous n’avons pas besoin de faire semblant d’être des généraux, expliqua-t-elle. —— Notre objectif est simple : tuer le général ennemi. C’est tout ce à quoi nous devons penser.

Cela donna de l’espoir à Oliver. Elle avait raison, il ne fallait pas se laisser distraire les futilités. Ils restaient des mages, après tout.

  • …D’après ce que j’ai vu, les soldats qui entourent le général sont coriaces, dit Oliver. —— Ce sont très probablement des gardes impériaux. Leur équipement est différent de celui des autres et ils ont une quantité folle de mana. Si on attaque sans réfléchir, on se fera certainement repousser.
  • Notre seule chance est d’attaquer une fois que les deux camps s’affrontent et que la bataille devient une mêlée générale. Si on peut se mettre à portée de sorts, je finirai ça en un seul coup, annonça Chela avec confiance. Les deux autres acquiescèrent, et la corne retentit à nouveau.
  • Nous n’avons plus le temps… Suivons le plan de Chela. Fais attention à ne pas être pris dans l’affrontement de la ligne de front. Garde tes distances et attends l’occasion parfaite pour abattre le général ennemi. Compris, Nanao ?

La jeune fille aziane hocha la tête. Au même moment, les Swordrhinos squelettiques de leur avant-garde commencèrent à charger.

  • Ça a commencé… !

Les bêtes squelettiques se ruèrent vers l’avant en soulevant des nuages de poussière dans leur sillage. Leur charge était clairement une tentative de premier choc comme Oliver l’avait prédit. Mais l’instant d’après, ses attentes s’évanouirent.  Les lignes ennemies qui auraient dû être écrasées par l’attaque des Swordrhinos s’étaient déplacés rapidement pour laisser un chemin. Ces derniers avaient ainsi chargé dans le vide et finirent du côté opposé de l’armée ennemie, sans infliger aucun dommage.

  • …Ma parole ! Ils sont passés au travers !
  • En effet, ils avaient anticipé la charge. De telles tactiques sont révélatrices d’un général talentueux.

Chela fut choquée, mais Nanao semblait étrangement impressionnée. Oliver, cependant, avait un sentiment assez similaire à celui de Chela. Dans le même temps, il y avait un sentiment tenace à l’arrière de son esprit qui disait que quelque chose n’allait pas.

  • … ?

Alors qu’il se débattait avec cette incertitude, cette fois, les unités montées des deux camps s’affrontèrent. Même Oliver savait que leur côté était désavantagé, en termes de nombre, mais la réalité était encore plus terrible. Leurs unités avaient été repoussées lors de l’affrontement initial, ce qui sembla les démoraliser, car ils avaient détalé du champ de bataille.

  • Nos unités montées ont également été repoussées… ! Est-ce qu’on peut faire pire niveau scénario ?
  • On ne peut pas continuer à observer depuis nos lignes, cria Chela.
  • Je vais soutenir nos troupes, FRAGOR !

Avec la charge des Swordrhinos ratée et leur cavalerie vaincue, tout ce sur quoi ils pouvaient compter maintenant était leur force principale de fantassins. Les deux camps s’affrontaient avec des lances et des boucliers. Pendant ce temps, des sortilèges furent lancés au-dessus de leurs têtes alors que Chela et Oliver offraient leur soutien. Les sorts d’explosion atterrissaient au milieu des lignes ennemi pour pulvériser un groupe de soldats squelettiques. Malheureusement, le trou laissé par l’explosion fut immédiatement rempli par d’autres soldats venant de l’arrière. Cela n’avait donc eu aucun effet.

  • …Inutile ! Une bataille de cette ampleur ne peut pas être affectée par de petits sorts ! dit Oliver.
  • Alors dois-je me joindre au front ?
  • Stop, Nanao ! Si la situation est si mauvaise, alors nous devrions juste courir ! cria Chela.

La jeune fille aziane tenta de rejoindre la bataille comme si c’était une seconde nature, mais ses amis l’attrapèrent par les épaules et l’arrêtèrent. Mais alors qu’ils tâtonnaient pour trouver leur prochain mouvement, l’état de la bataille changea sous leurs yeux. Leur ligne de front complètement fauchée, la ligne arrière avança pour remplir l’espace vide, stoppant l’avancée de l’ennemi.

  • Attendez, dit Oliver —— Quelque chose cloche.
  • La ligne avant s’est effondrée, mais la ligne arrière ne cède pas de terrain, expliqua Nanao. Nos meilleurs soldats ont dû être placés là à l’avance.

Et comme elle l’avait décrit, les nouvelles lignes de soldats se battaient avec acharnement. Leurs boucliers ronds fermement verrouillés, ils tenaient bon face à l’ennemi, ne le laissant pas faire un seul pas en avant.

  • Ils les repoussent ! cria Chela, excitée.
  • Ce n’est pas encore fini !
  • ……

Oliver, cependant, nourrissait toujours ce sentiment persistant de tout à l’heure. Il devenait de plus en plus fort, passant d’un tic tac inconnu à une réponse unique et cohérente.

  • …La bataille de Diama, murmura-t-il.

Les filles se sont tournées vers lui.

  • …Qu’est-ce que tu viens de dire, Oliver ?
  • La fameuse bataille de Diama, en l’an 300 de l’Ancien Calendrier. Ce fut une bataille décisive de la longue guerre qui opposa les deux grandes nations de Rumoa et Kurtoga. Je me souviens que Pete m’en avait parlé.

Oliver chercha dans ses souvenirs pendant qu’il parlait. Il ne se souvenait que de bribes d’informations concernant la bataille alors il était difficile de se rappeler ce que Pete avait dit exactement à ce sujet.

—  Je connais ces deux noms, répondit Chela. Ils sont tous deux tombés avant la formation de l’Union.

— Ouais. Peu de mages sont familiers avec l’histoire militaire, mais parmi les non-mages, c’est apparemment assez populaire.

Oliver hocha la tête en se rappelant ce détail particulier. Dans les temps anciens, quand il y avait beaucoup moins de mages, les guerres entre nations étaient souvent décidées en fonction de l’utilisation de soldats non-mages. La bataille de Diama, en particulier, fut un affrontement entre deux célèbres généraux profondément liés par le destin.

  • Le déroulement de cette bataille correspond parfaitement à ce qu’on vient de voir. Si ce n’est pas une coïncidence, alors c’est une reproduction.

Oliver ferma les yeux et se concentra sur la recherche de ses souvenirs. La voix de Pete, inhabituellement bavarde, refit surface à ses oreilles.

  • Le général de Rumoa, après avoir subi de lourdes pertes dans les batailles précédentes à cause des manœuvres de flanc de la cavalerie de Kurtoga, tenta de les attirer dans un piège. Sachant cela, le général de Kurtoga plaça ses Swordrhinos en première ligne, mais grâce à une excellente manœuvre de la part de Rumoa, la charge avait été esquivée en créant simplement un espace pour les laisser avancer. Vois-tu, il est presque impossible pour les Swordrhinos de changer de direction une fois qu’ils prennent leur vitesse de croisière. Et avec leur manque d’entraînement, la plupart des Swordrhinos n’avaient même pas pu retourner au combat.

Oliver relaya tout ce dont il pouvait se souvenir à Nanao et Chela, qui l’écoutèrent en silence.

  • Cependant, le général de Kurtoga ne se laissa pas faire. Afin d’éviter un affrontement frontal alors que sa cavalerie était en infériorité numérique, il choisit de la retirer en premier. C’était pour attirer la plus grande menace de l’ennemi, à savoir sa cavalerie, sur les côtés.
  • Ah, c’était donc une stratégie, dit Nanao convaincue, en hochant la tête.

Leur retraite rapide et décevante était une ruse pour attirer la cavalerie de l’ennemi loin de sa force principale. Oliver continua, partageant son opinion :

  • En conséquence, la bataille se termina en un affrontement entre les fantassins restants. Kurtoga était sur la défensive, mais grâce aux efforts de leurs habiles soldats, ils avaient réussi à changer le cours de la bataille. Ainsi, la formation de combat s’étira en une longue ligne, là où nous sommes maintenant.

Il fit une pause pour reprendre son souffle. Chela, comprenant ce que cela signifiait, reprit là où il s’était arrêté.

  • Donc nos forces sont celles de Kurtoga. Mais que se passe-t-il après ?

C’était la partie la plus importante. Oliver chercha un peu plus dans sa mémoire.

  • Nos forces ont failli conduire Rumoa à la défaite. Cela s’est joué à rien. La cavalerie de Kurtoga était vaincue et la cavalerie de Rumoa revint batailler, perçant les rangs par-derrière. En quelques secondes, les formations de Kurtoga furent brisées et la bataille fut décidée.

La leçon d’histoire s’arrêta là. Avec toutes les informations dont ils disposaient maintenant, il tenta de les relier à leur situation actuelle.

  • Autrement dit, si on n’empêche pas la cavalerie ennemie de revenir, l’histoire se répétera, et nous perdrons.

La conclusion était assez simple. Tous trois se retournèrent les yeux fixés sur la cavalerie positionnée à l’écart du champ de bataille principal. Bien qu’en infériorité numérique, leurs forces remplissaient fidèlement leurs ordres pour attirer la cavalerie ennemie. Cependant, elles allaient bientôt être décimées.

  • Comment peut-on renverser la situation ?
  • Rien ne me vient à l’esprit dans l’immédiat. Nanao, des idées ?!
  • Hmm. Avec seulement trois d’entre nous, le seul moyen d’arrêter la charge adverse est d’utiliser, j’ose le dire, la magie, répondit honnêtement Nanao, puisant de son expérience en situation réelle.

La situation était suffisamment tendue pour que même le plus grand stratège jette l’éponge, mais Oliver serra le poing. Il n’allait pas capituler aussi facilement.

  • Ouais. Nous sommes des mages. Il doit y avoir un moyen, dit-il fermement.

Les filles partagèrent rapidement sa résolution.

— Qu’en est-il de la corne du dragon utilisée pendant la cérémonie de rentrée ? demanda Nanao.

  • Elle ne serait pas assez puissante avec seulement trois d’entre nous. Et même si elle l’était, c’est une technique pour jouer sur les instincts d’une créature vivante. Je doute que ça marche sur des morts-vivants.
  • Ma double incantation ne serait pas non plus capable d’anéantir l’ensemble des forces ennemies, ajouta Chela. —— Une intervention directe ne semblerait pas fructueuse pour nous. S’il faut juste ralentir la cavalerie, alors pourquoi ne pas changer le terrain ?
  • Je vois ce que tu veux dire, mais les murs créés avec la magie de terrestre seraient trop faibles. Nous n’avons pas assez de temps pour en construire un assez long, non plus.

Si le mur n’était pas assez solide, l’ennemi passerait au travers. S’il n’était pas assez long, il se contenterait de le contourner. Le temps permettait difficilement d’atteindre un seul de ces objectifs alors que le trio devait réussir à remplir les deux en même temps. Il n’y avait plus beaucoup de temps pour réfléchir. La cavalerie alliée survivante diminuait de seconde en seconde.

  • « C’est un jeu de dupes que de livrer bataille sur un champ ouvert. La cavalerie doit être combattue dans la forêt. » Je ne sais pas si c’est utile dans cette situation, mais mon père avait l’habitude de dire ça assez souvent, marmonna Nanao.

À l’instant où Oliver entendit cela, une seule idée émergea dans son esprit.

— La forêt…Mais oui, c’est ça ! Les arbres !

Il avait simultanément fouillé dans son sac, attrapant le sachet rempli de graines de Plantoutils, puis lança un regard à Chela. Elle comprit instantanément et ouvrit son sac pour prendre une pochette similaire.

  • Chela, tu sais quoi faire, non ?
  • Oui ! Utilisons des incantations à retardement.
  • Exactement cent secondes ! Nanao, attends ici ! cria Oliver.

Chela et lui prirent ensuite des directions opposées. Ils éparpillèrent les graines sur le sol avant de dégainer les athamés et lancer un sort.

  • BROGOROCCIO !

Ils repartirent en éparpillant d’autres graines et lancèrent le sort une fois de plus. Oliver et Chela continuèrent ce schéma encore et encore, courant sur cinquante mètres dans des directions opposées. Oliver leva les yeux pour voir leur propre cavalerie vaincue et l’ennemi revenir en lignes verticales. D’après leur distance, il leur restait environ dix secondes.

  • Allez ! BROGOROCCIO !

Oliver lança son sort final au moment où Chela terminait sa tâche. Soudainement, des arbres avaient commencé à pousser tout le long de la ligne droite qu’ils avaient parcourue. Les tiges s’arquèrent en grandissant, s’enfonçant dans le sol. Elles finirent par se rejoindre, formant une barrière temporaire de cent mètres de long. La cavalerie ennemie n’avait pas pu réagir à l’obstacle soudain apparu sur son chemin. N’ayant pas le temps de ralentir la charge de leurs chevaux, les troupes de tête s’écrasèrent contre la barrière de Plantoutils, tombant en morceaux et éparpillant d’innombrables os partout. Cela avait également fait tomber la cavalerie suivante, les conduisant au même sort. Chela poussa un cri de joie en voyant les résultats.

  • On a réussi de justesse… ! C’est un succès, Oliver !

Oliver, incapable de contenir son excitation lui aussi, leva le poing en l’air. Tout cela c’était grâce à Guy. Ses Plantoutils étaient excellentes, tant par leur facilité d’utilisation que par leur faible coût en mana. Un mage n’avait besoin que de les imprégner d’un peu de mana pour que les graines commencent à absorber les nutriments du sol. Cela nécessitait que la terre soit riche, bien sûr, mais tant qu’elle l’était, l’utilisateur pouvait créer un mur bien plus solide qu’avec de la magie terrestre.

Le paysage semblait ravagé à première vue, mais cela était dû aux guerriers squelettiques qui avaient soudainement jailli du sol. Cela ne signifiait pas que ce dernier était dépourvu de nutriments. Et au vu la verdure de la deuxième couche, il y avait fort à parier que la fertilité était de mise dans cette zone ici. De plus, les Plantoutils de Guy furent également bien utiles lors de leur précédente bataille contre la chimère. Avec tout cela en tête, ça valait le coup d’essayer.

  • Super ! Allons-y, Nanao ! Vise le général ennemi avant le retour de la cavalerie !

Le désastre imminent évité pour le moment, Oliver se retourna pour lancer une contre-attaque. Mais Nanao n’était nulle part.

——————————————————————

L’histoire changea de cours dans cette bataille de squelettes au moment où la cavalerie Rumoanne échoua dans sa charge de l’arrière-garde Kurtoganne. Kurtoga, connu pour sa dextérité dans l’infanterie, était en train de gagner.

En conséquence, la garde principale de Rumoa fut forcée de se joindre à la bataille afin de repousser l’offensive de leur ennemi.

  • …?

Le général mort-vivant s’arrêta et scruta son environnement, sentant quelque chose. L’escarmouche s’était transformée en mêlée générale, dépourvue de tactique. Leurs lignes de bataille étaient effilochées par endroits, et ce n’était qu’une question de temps avant que les troupes ennemies ne débordent sur la position du général. Sans aucune hésitation, ce dernier se focalisa sur l’épée qu’il tenait en main.

  • Je suis là pour votre tête, dit quelqu’un d’une voix digne.

Tranchés au niveau du torse, les gardes du général tombèrent. Une fille armée d’un sabre sauta dans l’espace ainsi créé. La tête du général tomba sur le sol, roulant aux pieds de la fille. Ses orbites sans yeux fixèrent son dos. Soudainement une voix lui parla :

  • Joli. Si seulement nous avions pu nous rencontrer quand j’avais encore de la chair, petite héroïne.

Au moment où Nanao accepta ce compliment, les guerriers squelette de tout le champ de bataille s’écroulèrent. Avec des bruits creux et fracassants, ils s’effondrèrent en un gigantesque tas d’os blancs. Les morts-vivants étaient morts une fois de plus. Chela baissa son athamé dans un état de sidération.

  • C…C’est… fini ? demanda-t-elle.

Oliver était là, lui aussi stupéfait. Nanao rengaina son épée, puis courut jusqu’à eux.

  • Je m’excuse, Oliver. J’avais repéré une brèche dans les défenses ennemies alors j’ai tenté ma chance.
  • ……

Elle s’était excusée avant qu’il ne puisse dire un mot. Il fixa son visage pendant un moment, puis lui pinça silencieusement les joues.

  • Hyeek !
  • …J’ai toute confiance en ton instinct. Mais quand même, ça n’aurait pas fait de mal d’attendre qu’on soit tous regroupés.

Nanao écouta son discours hésitant, sans essayer de résister à son pincement. Il finit par lâcher prise, empoignant fermement ses épaules à la place. Son inquiétude était palpable.

  • S’il te plaît, Nanao, ne te jette pas dans le danger toute seule. Ta sécurité est un million de fois plus importante que ta victoire.
  • Oliver…

Elle l’avait fixé dans les yeux, absorbant chacun de ses mots. Chela accourut, et Miligan commença à les applaudir.

  • Félicitations pour avoir passé la deuxième couche. C’est un exploit rare pour trois première année, surtout dès leur premier essai. Vous êtes vraiment des enfants stupéfiants.

Oliver lâcha Nanao et se tourna vers Miligan. Chela regarda le tas d’os.

  • …D’où viennent ces spartoi ?
  • Qui sait ? La nécromancie n’est pas mon domaine d’expertise, donc je ne peux pas le dire. Je n’ai aucune idée de la raison pour laquelle ils continuent à recréer cette ancienne bataille encore et encore. Mr. Rivermoore pourrait savoir quelque chose à ce sujet, cependant.

Miligan ne semblait pas préoccupée plus que ça. Une seconde plus tard, un sourire étrange se glissa sur son visage.

  • Mais si je laissais cela à mon imagination…On ne sait jamais. Ça pourrait être les généraux eux-mêmes.

Un frisson parcourut l’échine d’Oliver. Même après que leur chair ait pourri et qu’ils ne soient plus que des os, les deux anciens généraux cherchaient toujours à régler leur compte, continuant à diriger des armées de morts pour l’éternité. Si Miligan avait raison, alors c’était sans fin.

  • Vous devez être fatigués, dit Miligan. —— Il y a un terrain pour camper relativement sûr plus loin. On a beaucoup marché, alors une longue pause s’impose là-bas. 

Tandis que Miligan s’éloignait, l’épuisement s’installa dans tout le corps d’Oliver. Les échos de la victoire toujours dans leur esprit, ils suivirent la sorcière à la recherche de repos.

——————————————————————

Ils trouvèrent une grotte située entre la deuxième et troisième couche, là où ils purent avoir leur première pause significative depuis leur entrée dans le labyrinthe. Ils allumèrent un feu au milieu du camp, faisant bouillir de l’eau et préparant du thé. Miligan avait également sorti les fruits qu’elle avait ramassés en errant dans la deuxième couche. Tout le monde était trop fatigué pour discuter.

  • Ces deux-là se sont vite assoupies. Elles sont si mignonnes quand elles dorment, marmonna Miligan en regardant Nanao et Chela dormir côte à côte.

De l’autre côté du feu, le sommeil n’avait pas réussi à saisir Oliver. Il observait les flammes en silence.

  • Tu devrais te reposer aussi, Oliver, dit gentiment Miligan. Nous avons pris le chemin le plus direct à travers le deuxième niveau, mais nous allons devoir fouiller toute la troisième couche pour trouver l’atelier d’Ophelia. Tu ne feras pas long feu si tu ne dors pas maintenant.
  • …D’accord. Peut-être après avoir regardé le feu un peu plus longtemps.

Il continua à regarder fixement les flammes. Oliver savait qu’il devait dormir dès que possible, mais ses yeux ne voulaient pas se fermer. Après avoir échappé de peu à la mort, son corps n’acceptait pas le repos.

  • Trop nerveux, hein ? Je comprends. Tiens, prends une autre tasse de thé aux herbes.
  • …Merci.

Oliver ne leva pas ses yeux, se sentant coupable d’avoir causé son inquiétude. Miligan sélectionna quelques herbes pour leurs propriétés calmantes, les avait mélangées et versa de l’eau chaude sur les feuilles.

  • Au fait, commença-t-elle. —— Puis-je poser une question ?
  • Je t’écoute. Tu n’as pas besoin de ma permission.
  • Cela peut paraître impoli, mais vous vous êtes tous rencontrés à votre arrivée à Kimberly non ? Vous ne connaissez donc Pete que depuis peu.

Oliver hocha la tête. Miligan regarda les feuilles se dérouler à l’intérieur de la tasse et continua doucement.

  • J’aurais peut-être dû le demander avant de venir ici, mais… Pourquoi aller si loin ? Je ne dis pas qu’il faut complètement l’abandonner, mais vous auriez pu laisser tout ça au président Godfrey et aux autres. Personne ne vous aurait reproché quoi que ce soit.
  • ……
  • Les Reversi sont rares, c’est certain, mais ce n’est pas une raison pour risquer sa vie si tu veux mon avis. Alors pourquoi êtes-vous tous si désespérés à sauver Pete ?

Un sourire maladroit se dessina sur les lèvres d’Oliver. Rossi lui avait demandé la même chose il n’y a pas si longtemps.

  • …Vous vous souvenez de l’incident lors de la cérémonie, n’est-ce pas ? Enfin oui, c’est sûr que vous vous en souvenez.
  • Oui. Je n’oublierai jamais le troll qui s’est déchaîné après une manipulation mentale.
  • C’est là que tout a commencé pour nous. Quand nous avons travaillé tous les cinq pour sauver Katie de ce troll.
  • Hmm.
  • De notre groupe, Pete était le seul né de non-mages. Il avait un manuel de magie pour débutants sous le bras, et il a fait de son mieux pour ne pas s’effondrer sous la pression de son nouvel environnement. Il devait être plus nerveux que nous tous réunis. Il venait juste de réaliser qu’il était un mage et qu’il était sur le point d’entrer dans une école de magie.

Alors qu’il parlait, Oliver réfléchit à ses souvenirs de l’époque. Il ne s’était jamais attendu à ce que Pete leur donne un coup de main. Il n’avait aucune raison de le faire. Pour Pete, ils n’étaient qu’une bande d’étrangers bruyants qui faisaient la queue à côté de lui.

  • Mais Pete ne s’est pas enfui. Il aurait dû être le plus effrayé quand Marco a attaqué. Personne ne lui aurait reproché de s’enfuir comme les autres nouveaux élèves, mais il a tenu bon et s’est battu avec nous.

C’était sûrement un acte des plus purs, sans aucune arrière-pensée et motivé par l’incapacité d’abandonner quelqu’un en danger. Chez la plupart des mages, c’est la première émotion qui s’éteint.

  • Ça m’a rendu tellement heureux. Et je parie qu’il en va de même pour les autres. Nous sommes heureux d’avoir rencontré quelqu’un de pareil dès notre premier jour dans un endroit aussi horrible que Kimberly.

Oliver continua à fixer le feu alors qu’il révélait ses sentiments en toute transparence. Miligan croisa les bras.

  • Alors tu ne comptes pas reculer…Eh bien, n’est-ce pas magnifique ?
  • C’est du sarcasme ?
  • Pas du tout. C’est juste assez rare. Honnêtement, c’est assez contre-intuitif. Kimberly est comme un conte de fées ici. Ça ne me dérange pas d’avoir un peu des frissons, dit Miligan en souriant et en attrapant sa tasse sur le feu de camp.

Les feuilles de thé s’étaient complètement déroulées pendant leur discussion.

—  D’ailleurs c’est toi qui me surprends le plus.

  • … ?

Oliver était confus par le changement de direction de leur conversation.

  • Avec un peu d’effort, je peux comprendre Chela et Nanao. Tout en elles, de leur talent naturel à l’environnement dans laquelle elles ont été élevées, est extraordinaire. Une demi-elfe McFarlane et une samouraï d’une île de l’Extrême-Orient. Cela peut sembler lunaire, mais on s’attendait à quelque chose de spécial. Mais qu’en est-il de toi ? Je ne sais rien de ton passé, bien que…

La sorcière leva les yeux vers Oliver en versant le liquide rouge fumant dans une tasse.

  • Je peux dire que tu es ordinaire comparé à ces deux-là. Tes niveaux de mana et de puissance en sortilège sont dans la moyenne des première année et il ne me semble pas que tu excelles dans un domaine particulier. Si on demandait l’avis de dix personnes, je suis sûr qu’elles te décriraient toutes de la même façon : un connaisseur en tout, mais un expert en rien, destiné à un succès moyen, au mieux.
  • ……

— Mais tu es là, combattant côte à côte avec ces deux-là. Et d’après ce que j’ai vu, tu arrives à ne pas être un poids. Cela, plus le fait que tu ne sois qu’un première année, c’est vraiment mystérieux, tu sais ?

Elle lui tendit la tasse de thé, qu’il accepta sans un mot. Son silence ne semblait pas la déranger.

  • Chela et Nanao ont aiguisé leur corps et esprit dans des environnements parfaits pour leur talent exceptionnel. Il est inouï pour ceux qui n’ont pas les mêmes chances de se retrouver dans le même environnement au même âge. C’est même presque impossible de réunir toutes ces conditions optimales. Tu comprends ce que je veux dire ? Le fait que tu sois ici est assez magique.

Oliver sirota son thé au lieu de répondre. La sorcière avait compris qu’il n’y avait rien à dire.

— Tu pourrais dire que tu as travaillé comme un fou pour compenser ton manque de talent, mais ça ne voudrait rien dire. Ce n’est pas suffisant. Même si tu trouvais le plus incroyable des professeurs et que tu consacrais toute ta vie à t’entraîner, ce serait loin d’être suffisant pour aller aussi loin. Du moins, pas avec les méthodes que je connais.

Elle l’étudia de nouveau avec ses yeux humains, ainsi que son œil de Basilic qu’elle laissait entrevoir de sa manche.

— Il doit y avoir quelque chose dans ton passé qui ferait même pâlir mon œil de basilic.

Oliver lui retourna son regard, luttant contre sa pression. Miligan rigola et se tapa dans les mains, laissant le regard glisser sur elle comme de l’eau.

— Je ne veux pas être indiscrète. C’est normal pour un mage d’avoir un passé mouvementé. En tant qu’aînée, je ne peux m’empêcher d’être inquiète. Il y a comme quelque chose de dangereux qui gravite autour de toi. Katie et Nanao l’ont aussi, mais pas comme cela.

L’inquiétude soudaine de son mentor dans sa voix prit Oliver au dépourvu. Il détourna le regard même s’il avait toujours du mal à savoir si ce qu’elle faisait était motivé par la bonté ou par d’autres arrière-pensées. Elle semblait très tolérante et attentionnée, ce qui la rendait encore plus compliquée à gérer. Il refusait de trop compter sur elle ou de baisser potentiellement sa garde.

— Désolée, est-ce que je laisse trop parler ma langue de vipère ? Est-ce que je t’ai déjà ennuyé au point de dormir ?

  • …Je pense que le sommeil viendra si je m’allonge, dit-il, essayant de s’en convaincre.

S’il ne s’endormait pas rapidement, il serait certainement moins performant demain. Il avait donc bu la dernière gorgée de son thé. Miligan eut une idée.

— Hmm… Si tu as du mal à dormir, je peux peut-être t’aider à te détendre.

Elle se leva du rocher qui lui servait de siège, se dirigea vers Oliver et se plaça derrière lui. Elle glissa ses bras autour de ses épaules et lui chuchota à l’oreille :

  • …Ou tu n’aimes pas les choses vilaines ?

— …!

Oliver repoussa instantanément ses bras et se leva. Il plaqua sa tasse vide sur le rocher sur lequel il était assis, puis marcha d’un pas rapide jusqu’à l’autre côté du feu. Il s’allongea en silence, dos à la sorcière. Il n’aurait pas pu faire plus pour montrer son refus. Miligan grimaça en autodérisation, sa main encore douloureuse de son rejet.

— Tu n’es pas fan de ces blagues, hein ? Pardonne-moi. C’est dans l’instinct d’un mage d’essayer de séduire ceux qui piquent leur curiosité. Bonne nuit, Oliver. Fais de beaux rêves.

Sa voix était aussi douce que jamais. Oliver ferma les yeux pour chasser son existence de son esprit et se força à dormir.

——————————————————————

Après leur première interaction sérieuse, les choses entre eux avaient commencé à changer progressivement.

  • …Hum…

—  Oh, Ophelia ! Excellent, tu es là. Viens t’asseoir !

Cela faisait longtemps qu’elle n’était pas entrée dans la cafétéria en soirée. Les étudiants environnants la dévisageaient désagréablement, mais contrairement à avant, elle avait maintenant une table qui l’accueillait. Encouragée par la voix tonitruante de Godfrey, elle s’assit.

— Laisse-moi te présenter à mes amis. Ils peuvent sembler froids au début, mais une fois que tu auras passé le cap, tu verras que ce sont tous des gens bien.

Il y avait deux autres étudiants à la table en plus de Godfrey et Carlos. L’un était un petit garçon délicat de première année, et l’autre était une fille de deuxième année avec des boucles et un air vif. Le garçon semblait être originaire de l’Union, mais la peau sombre et les traits du visage de la fille suggéraient qu’elle avait probablement des origines provenant d’un autre continent. Il était rare de voir des personnes d’origine étrangère à Kimberly.

  • …Je reconnais que nous avons formé un lien, même si ce n’était pas intentionnel. Mais nous ne sommes certainement pas des amies.

— Je ne me souviens certainement pas m’être lié d’amitié avec toi.

La fille et le garçon le contredirent rapidement, puis se lancèrent des regards furieux. Ophelia s’était raidie devant l’accueil inattendu et distant. Godfrey l’avait remarqué et intervint.

— Hé maintenant, vous lui faites peur. Gardez vos remarques pour plus tard. Présentez-vous et sans vous interrompre.

Ils cessèrent à contrecœur leur concours de regards et se tournèrent vers la nouvelle fille pour se présenter.

— Je suis Lesedi Ingwe, en deuxième année. Appelle-moi quand tu veux.

— Tim Linton, première année. Tu es libre de ne pas t’en souvenir.

Leurs présentations étaient assez brutales. Ophelia se présenta prudemment, elle aussi, et fut surprise de les voir réagir à peine au nom de Salvadori. Godfrey hocha la tête en signe de satisfaction.

— Nous sommes le Groupe de Surveillance Rapproché de l’école. Bien sûr, nous ne sommes que des étudiants de deuxième année, mais cet endroit est trop dangereux. Notre but est d’enseigner des méthodes d’autodéfense efficaces ou bien tout simplement aider en général.

— Aider… ?

Ophelia ruminait des mots qui ne lui étaient pas familiers. Godfrey semblait habitué à cette réaction et haussa sèchement les épaules.

— Je ne nierai pas que la plupart des gens nous trouvent étranges. Mais c’est un monde vaste, avec des intérêts variés. Tu peux toujours compter sur nous pour t’aider. Si tu avais l’amabilité de te joindre à nous, ça me ferait vraiment très plaisir.

Il la regarda droit dans les yeux en allant droit au but.

  • …Cela dit, ajouta Carlos, —— nous avons complètement échoué à attirer de jeunes étudiants. Tous les gens intéressés abandonnent rapidement.

— Non, non ! Je suis toujours là, Carlos !

 Tim leva la main. Carlos grimaça un peu.

  • Je t’apprécie, mais malheureusement, il semble que tu sois à 60% fautif de l’abandon des nouvelles recrues.
  • Je suis très exigeant, c’est tout ! Nul besoin de camarades sans conviction.
  • J’aime ton enthousiasme. Mais quelle est la vérité derrière ?
  • L’attention de Mr. Godfrey ne devrait se porter sur moi et moi seul ! Tous les autres peuvent mourir !

Son honnêteté était rafraîchissante, même si Lesedi se tenait la tête avec une grimace. Ophelia les regarda tous tour à tour, déglutit nerveusement, puis ouvrit prudemment la bouche.

  • …Puis-je vraiment être d’une quelconque aide ? demanda-t-elle.

Tim et Lesedi parurent surpris, comme s’ils ne s’attendaient pas à ce qu’elle réagisse de la sorte après avoir vu l’interaction précédente. Lesedi se redressa un peu et regarda Ophelia.

  • Laisse-moi plutôt te demander ceci : Qu’est-ce que tu peux nous apporter ?
  • Huh ?

Ophelia fut prise de court. C’était la première fois qu’elle rejoignait un groupe, et donc aussi la première fois que quelqu’un lui demandait quelque chose. Alors qu’elle avait l’esprit vide, Carlos intervint pour l’aider.

  • Ne t’inquiète pas pour ça, elle apporte beaucoup. Lia est une travailleuse acharnée.

Son ami d’enfance lui adressa un sourire et Ophelia se sentit un peu plus calme. Elle passa en revue les choses qu’elle venait d’entendre et dressa une liste de ce dont ils pourraient avoir besoin.

  • Hum, si c’est de la magie de guérison ou des potions simples, alors…

Dès qu’elle eut entendu cela, Lesedi claqua ses mains sur la table et se pencha.

  • Tu peux guérir les brûlures ?
  • Huh ? O-oui…
  • Et les brûlures d’acide ? L’empoisonnement ?
  • Ça dépend de la gravité, mais dans la plupart des cas, oui.

Les exemples étrangement spécifiques avaient fait hésiter Ophelia qui répondit en se basant sur ses compétences. Lesedi sauta de sa chaise et l’attrapa par les épaules.

— Je ne te laisserai pas t’échapper, la nouvelle.

  • Hwuh… ?
  • Laisse-moi te dire que l’une des personnes à cette table a un canon à la place de sa baguette et a plus de chances de toucher ses amis que ses ennemis. Un autre est obsédé par les poisons, mais ne sait pas comment faire des antidotes pour ses propres concoctions, dit Lesedi avec irritation en regardant les autres de manière perçante.

Godfrey et Tim se défendirent aussitôt.

  • Attends un peu ! Je n’ai pas été si mauvais ces derniers temps !
  • Moi non plus ! J’ai évité tous poisons aérosol, n’est-ce pas ? Et tu sais à quel point j’aime leur potentiel de meurtre de masse !
  • Taisez-vous, bande d’idiots ! Combien de fois croyez-vous que j’ai failli mourir à cause de vous deux ?

Ophelia les regardait se disputer, hébétée. Tout faisait sens maintenant : Les questions spécifiques de brûlures, d’acide et de poison venaient de leurs expériences. Elle avait senti que ce qu’ils faisaient était dangereux, mais elle ne s’attendait pas à quelque chose comme ça.

  • U-um…
  • S’il te plaît, tu dois m’aider ! Je ne suis pas douée en soin, et Carlos ne peut pas suivre le rythme tout seul !

Lesedi attrapa sa main, la suppliant pratiquement maintenant. C’était la première fois qu’Ophelia ressentait un désir aussi fort pour ses compétences alors elle ne sut pas comment refuser.

——————————————————————

Après avoir rejoint le groupe de surveillance rapprochée de Kimberly, Ophelia apprit beaucoup de choses sur ses nouveaux amis. Comme elle s’y attendait, ils avaient chacun leur personnalité, mais ce qui l’avait le plus marquée était l’extrême maladresse d’Alvin Godfrey.

  • FLAMMA !

Ils avaient réservé une salle de classe vide pour s’entraîner. Pour une raison quelconque, Godfrey avait enlevé sa robe et puis retroussé ses manches afin de lui faire une démonstration de sa magie. Une boule de feu d’une puissance aveuglante explosa du bout de sa baguette, mettant le feu à sa main.

  • Guh… !
  • Oh non !

Ophelia avait immédiatement éteint le feu avec un sort. L’odeur de chair brûlée emplit la pièce. Godfrey finit par soupirer.

  • Je vais bien… Et merci pour ton aide.

Ophelia fixa avec stupéfaction son bras, terriblement brûlé du coude jusqu’au bout de ses doigts. En même temps, elle comprit pourquoi il avait enlevé sa robe et remonté sa manche. Il savait que cela allait arriver.

  • Depuis que j’ai appris ce sortilège, ça se passe toujours comme ça. Je suis incapable de le contrôler, alors non seulement le débit est instable, mais il se répercute également dans mon propre bras. Selon la prof Gilchrist, je ne suis pas capable de contrôler correctement ma réserve de mana innée. Je me suis quand même un peu amélioré avec le temps.

Il expliqua la chose avec une expression amère, comme si la douleur de ses brûlures n’était rien comparée à son incapacité à contrôler sa magie.

  • Je me suis reposé sur Carlos pour me soigner, mais il semble que je vais devoir compter sur toi aussi à partir de maintenant… Pathétique, n’est-ce pas ? Si seulement je pouvais utiliser la magie de soin moi-même et ne pas gaspiller autant les efforts de tout le monde…
  • …N-ne t’inquiète pas pour ça.

Ophelia choisit soigneusement ses mots, puis pointa sa baguette sur le bras de Godfrey. Ce n’était pas quelque chose qui pouvait être réparé en un jour, d’autant plus que le contrôle fin du mana de la magie de guérison aurait bien été au-dessus de ses moyens.

  • Chaque fois que tu seras brûlé, je serai là. Je te soignerai…tout de suite.

Elle avait décidé d’accepter ce rôle et commença à traiter sa brûlure.

——————————————————————

  • C’était il y a trois ans, huh ? Comme le temps passe vite…

Marmonna Carlos, repensant à de vieux souvenirs alors qu’ils marchaient péniblement dans le marais sombre. Godfrey avait rapidement compris à quoi ils faisaient référence.

  • Quand Ophelia était encore avec nous, huh ? … Je n’étais pas encore assez mûr et j’avais l’esprit libre. Je me jetais dans toutes les situations sans réfléchir… Rien que de me souvenir de ces jours est embarrassant.
  • C’était cet esprit qui attirait les gens vers toi. Ce sont de beaux souvenirs.

Carlos lui sourit, mais un regret amer assombrit le visage de Godfrey.

  • …Malheureusement, j’ai tout gâché. C’est pour ça qu’elle est partie. C’est pourquoi cela arrive.
  • Ce n’était pas ta faute.

Carlos secoua la tête et essaya de le nier, mais Godfrey ne pouvait pas l’accepter. Il n’était pas arrogant au point de penser qu’il aurait pu faire quelque chose. Il était conscient de sa propre maladresse, surtout à l’époque. Mais même ainsi, il ne pouvait pas s’en empêcher.

  • Pourtant, j’aurais dû faire quelque chose… J’étais son mentor.

——————————————————————

Pendant ce temps, à la surface, sous le soleil de midi, Katie et Guy attendaient le retour de leurs amis.

  • …Oh, tu veux m’aider ? Merci, Milihand.

Ils étaient tous les deux terrés dans un coin du salon, faisant des copies de leurs notes de cours du matin pour leurs amis. Ils avaient aussi un assistant très utile qui tournait la page juste au moment où ils avaient fini de copier le texte : Milihand, la main de Miligan, coupée par Nanao, à laquelle Miligan avait donné vie artificiellement afin de l’utiliser comme familier. Katie caressa le dessus de la main ainsi que ses phalanges avant de la complimenter. Cela avait suscité du dégout de la part des élèves qui passaient par là.

  • Je n’y crois pas, dit Guy exaspéré. —— C’est sa main coupée, tu sais ?
  • Je suis au courant, mais… c’est plutôt charmant. Et elle semble vraiment m’apprécier.

En effet, Milihand était partout sur le bras de Katie comme un chat. Le processus de transformation en familier signifiait qu’une grande partie de son comportement était artificiel, mais Milihand semblait tout de même très expressive. Elle pouvait manipuler les muscles de sa paume autour de l’œil, créant toutes sortes d’expressions. Guy regarda avec appréhension Milihand se promener joyeusement sur la table. Il poussa un profond soupir.

  • …Tu crois qu’Oliver va s’en sortir ?

 

  • J’ai foi en eux. Ils ont promis qu’ils reviendraient tous vivants, dit fermement Katie, en continuant à copier ses notes.

Le grand garçon secoua la tête.

  • Je sais ce qu’ils ont dit… mais c’est un homme. Le seul.

Elle l’avait regardé, confuse un petit moment.

  • Et alors ?
  • Aaah… Quoi, tu as oublié qu’ils affrontent Ophelia Salvadori ? Je n’ai pas ressenti ses effets, mais elle a son puissant Parfum qui fonctionne en continu, non ? Si on le respire trop longtemps, eh bien…ce sera plus facile de la faire réagir, répondit maladroitement Guy, en détournant le regard.

Après quelques instants de silence, Katie se leva d’un bond, toute rouge.

  • Qu-qu…qu’est-ce que tu sous-entends ?!
  • Je dis juste que… c’est, euh… difficile de ne pas se sentir concerné…
  • O-Oliver ne ferait jamais ça !
  • Facile à dire pour toi. Ce n’est pas si facile pour nous quand il y a autant de pression, grommela Guy en plaçant ses mains sur ses joues.

Katie, qui n’avait pas du tout envisagé cet angle, paniqua d’un coup.

  • Et puis, Chela a l’air d’être sage à ce niveau. Il y a aussi Miligan, alors peut-être que j’ai aucune raison de m’inquiéter, ajouta Guy.
  • S-sage ? ! Qu’est-ce que ça veut dire ? Qu’est-ce que Miss Miligan va faire ?! Dis-le moi !!

Katie se précipita vers lui, attrapa ses épaules et le secoua. Juste à ce moment-là, un élève poussant un grand chariot rempli d’articles à vendre passa.

  • Extra, extra ! Le titre du jour : ‘Révélation ! La vie sexuelle à Kimberly’ !
  • Donnez-m’en un !
  • Un, s’il vous plaît !

Les deux demandèrent immédiatement un exemplaire. Ils n’avaient jamais lu la rubrique des potins, mais aujourd’hui, ils avaient l’air bien concentrés.

——————————————————————

Alors qu’ils entraient dans la troisième couche, le labyrinthe changea à nouveau de tout au tout. L’odeur de verdure et de terre de la couche précédente avait presque disparu, remplacée par un sol boueux qui dégageait une humidité désagréable. Un seul faux pas vous faisait vous enfoncer jusqu’aux chevilles ; par endroits, c’était même un marécage sans fond. Le soleil artificiel de la deuxième couche maintenait les choses dans une lumière éternelle, mais ici, la seule source de lumière était la mousse lumineuse qui recouvrait le plafond. Par conséquent, le niveau entier était obscur. De nombreuses créatures magiques marécageuses résidaient également ici, exigeant une extrême prudence de la part de tous ceux qui s’aventuraient dans ses profondeurs.

  • Huff ! Huff… !
  • … !

La chimère à l’agonie s’effondra dans la boue avec un bruit sourd. Le groupe d’Oliver fixa cette bête géante récemment tuée avant de pousser un soupir de soulagement. Cette fois, ils rencontraient beaucoup plus de chimères qu’auparavant. Ils analysaient leur adversaire, découvraient leurs faiblesses pour les abattre efficacement tout en luttant dans une topographie complexe. Après seulement trois heures dans la troisième couche, ils avaient déjà répété ce processus quatre fois. Si l’on incluait les cas où ils avaient pu éviter un combat grâce à un repérage, le nombre de chimères qu’ils avaient rencontrées était monté en flèche.

  • Hmm, c’est donc la quatrième ? On aurait dû s’attendre à beaucoup plus de chimères sur la troisième couche. Continuons à avancer.

Miligan les exhorta à poursuivre. Oliver reprit péniblement sa marche dans la boue tandis que la jeune aziane le rattrapait en trottinant derrière lui.

  • Quelle excellente coordination, Oliver !
  • …Ouais.

Nanao passa avec enthousiasme un bras autour de son épaule, sans être particulièrement gênée par le terrain délicat. La pause qu’ils avaient faite avant de sortir de la deuxième couche avait dû faire des merveilles pour elle, car elle était encore plus énergique qu’avant. C’était même une très bonne chose, mais Oliver avait un autre problème. Après s’être débattu un moment, il demanda calmement.

  • …Nanao, tu pourrais essayer d’être moins tactile ?
  • Huh ?

Elle se figea sur place, puis fit quelques pas tremblants en arrière dans la boue avant de se tourner vers Chela, les larmes aux yeux.

  • …Oliver me déteste…
  • Pas du tout ! s’empressa-t-il de dire.

Chela, voyant la vérité, intervint

  • C’est vrai. Il ne te déteste pas, Nanao. Le Parfum est juste devenu trop difficile à supporter. Pas vrai, Oliver ?

Elle l’avait remarqué il n’y a pas si longtemps. Le garçon détourna les yeux en guise de honte, puis hocha la tête avec amertume.

  • Je déteste l’admettre, mais oui… Depuis que nous sommes entrés dans la troisième couche, ça devient de plus en plus épais à chaque pas. Bien sûr, je ne la laisserai jamais prendre le dessus sur mon esprit, mais dans notre situation, je préfère ne pas perdre ma concentration, dit Oliver avec un soupir.

Depuis qu’il avait mis les pieds dans cet échelon, le moindre bout de peau de filles pouvait l’attirer dangereusement. Chacun de leurs mouvements attirait son regard parce que l’air était envahi d’un parfum. Il avait une bonne maîtrise de ses pulsions, mais quand une fille entrait en contact étroit avec lui comme tout à l’heure, cela rendait les choses plus délicates. Il ne pouvait pas savoir quand il pouvait déraper et faire quelque chose qu’il regretterait. C’était particulièrement vrai avec Nanao, qui avait tendance à ignorer l’espace personnel. Mais la fille semblait perplexe alors elle pencha la tête vers lui.

  • En quoi est-ce difficile, Oliver ?
  • Nanao, s’il te plaît, ce n’est pas…
  • Il a la gaule, dit Miligan, en allant droit au but.  —— C’était à prévoir. C’est la conséquence du parfum.

Oliver fronça les sourcils, mais Nanao croisa les bras, confuse.

  • …Avoir la gaule ? Qu’est-ce que ça veut dire… ?
  • Ne t’y attarde pas, Nanao. Je vais bien maintenant. Il n’y avait pas besoin d’intervenir, Miss Miligan.

Il se concentra sur sa respiration, éliminant ses pensées imprégnées de parfum. Miligan l’observa.

  • Hmm… Tu sembles bien résister, mais si ça devient trop, n’hésite pas à en parler. Nous avons un long chemin à parcourir. Tu ne pourras pas te forcer éternellement.
  • Je peux me débrouiller tout seul. Comme je l’ai déjà dit, votre aide n’est pas nécessaire, déclara-t-il platement en se remettant en route sans une once de tact en rejetant l’offre de Miligan.

La sorcière eut un sourire moqueur.

  • Il est têtu. Je suppose que j’ai encore touché un point sensible.
  • …Qu’avez-vous fait pendant notre sommeil ? demanda Chela
  • Je lui ai juste fait une petite invitation coquine.
  • C’est un première année ! À quoi vous pensiez ?!!

Chela, outrée, continua de critiquer son ainée. Pendant ce temps, Nanao s’approchait prudemment d’Oliver qui continuait à avancer.

  • …Ça te va comme ça, Oliver ?
  • Oui, c’est très bien. Encore désolé.

Nanao se tenait maintenant à distance de bras. Cependant, cela semblait la perturber, car elle levait et baissait son bras sans relâche, dérangée de ne pas pouvoir s’engager comme elles le faisaient auparavant.

  • …C’est frustrant.
  • Non, c’est normal. Tu es bien trop tactile.
  • Donc tu détestes ça ?
  • Je n’ai jamais dit ça, répondit fermement Oliver.

Nanao continua de le suivre de près à cette étrange distance. Miligan, qui avait ignoré les complaintes de Chela, regardait la scène embarrassante se dérouler. Elle couvrit un œil de sa main.

  • …Comment décrire la chose ? Ils sont si lumineux, c’est comme si mon œil allait finir par être détruit.
  • Si vous pensez vraiment ça, alors veuillez garder vos flirts et contentez-vous de regarder de loin, dit Chela avec sévérité. Miligan la fixa.
  • Bien sûr, je serais plus qu’heureuse de le faire. Mais et toi alors ?
  • Qu’est-ce que c’est censé vouloir dire ?

Chela fronça les sourcils, mais ses yeux ne tardèrent pas à se tourner vers les deux personnes devant elle. Il y avait une jalousie et une admiration dans son regard, comme si elle observait une ligne qu’elle ne pouvait jamais franchir.

  • Awww, bon sang. Vous me donnez vraiment envie de vous ramener tous sains et saufs.

Miligan haussa les épaules, puis frappa dans ses mains pour attirer l’attention de tous.

  • Maintenant, on devrait avoir une discussion. Pour l’instant, nous marchons simplement dans la direction où le Parfum est le plus fort, mais cela ne suffira pas pour localiser l’atelier d’Ophelia. Nous devons trouver une sorte d’indice.

Chela croisa les bras et réfléchit.

  • On pourrait prendre en filature une chimère… Non, ce serait inutile.
  • En effet, elle ne laisserait pas une trace aussi évidente. La plupart des chimères sorties de son atelier sont ensuite abandonnées. Il est aussi probable qu’elle ne ramène pas ses chimères à elle, dit Oliver.

Comme il s’y attendait, trouver un seul atelier dans la vaste troisième couche n’était pas une tâche aisée. Il s’était forcé à changer de manière de penser.

  • Affinons la recherche avec une autre approche, dit-il. —— Si vous deviez installer un atelier ici, par où commenceriez-vous ?

Il regarda Miligan, la plus expérimentée du groupe dans le labyrinthe. Elle mit une main sur son menton et réfléchit.

  • Tout d’abord, l’emplacement est important. Naturellement, la plus grande priorité est de ne pas être trouvé par les autres élèves ou les bêtes magiques. Cette couche est beaucoup trop humide, donc on peut exclure cela de nos critères. Pour faciliter la collecte de matériaux, j’aurais voulu être plus proche de la deuxième couche…

À ce moment-là, Miligan s’arrêta et reconsidéra sa décision.

  • Non… C’est juste mon opinion. Il y a beaucoup de bons endroits dans la quatrième couche et au-delà. Ils sont trop dangereux pour moi, mais je ne doute pas que Ophelia puisse en faire ses principales sources de matériaux par exemple. Dans cette optique, il est fort probable que son atelier se trouve près de la quatrième couche.

Oliver s’était souvenu que Vera Miligan avait dit qu’Ophelia Salvadori la surpassait de loin. Si elle avait le respect de Vera Miligan, alors la troisième couche n’était probablement qu’une promenade de santé pour Ophelia.

  • Ce sera un problème, par contre. Nous allons devoir traverser ceci afin d’atteindre la quatrième couche.

Miligan reprit la marche. Les autres suivirent. Cinq minutes plus tard, la boue devint beaucoup plus aqueuse, se transformant finalement en une énorme zone humide. Le paysage entier s’étendait au-delà de ce qu’ils pouvaient voir, il était donc impossible de juger de l’ampleur du marais. La rive opposée se trouvait probablement quelque part au-delà de la brume. Chela regarda la surface de l’eau trouble.

  • …C’est un marais, n’est-ce pas ? Un très, très grand.
  • C’est le marais Miasma, la section la plus périlleuse de toute la couche, expliqua Miligan.

L’air leur irritait la gorge ce qui contribuait à expliquer le surnom. Un gaz toxique semblait bouillonner depuis le marais, imprégnant toute la zone.

  • Il existe tout au mieux deux méthodes pour le traverser. Soit on le survole avec un balai soit on prend un bateau. Puisque nous sommes en groupe, nous nous en tiendrons au bateau pour cette fois.
  • Oh ? Pourquoi ça ? demanda Nanao, confuse.

Un balai semblait être la méthode la plus rapide, c’était donc une question naturelle. Miligan leva les yeux vers la brume étrangement épaisse à des dizaines de mètres au-dessus d’eux.

  • D’abord, parce que plus on se rapproche du haut de la couche et plus le miasme s’épaissit. Il suffit de voler un peu trop haut pour recevoir une dose de miasme sur tout le corps. Ce ne serait pas beau à voir.
  • À quel point…c’est mauvais ? demanda Chela.
  • Ta peau va commencer à fondre. Tu vas devenir aveugle. Tes poumons vont cesser de fonctionner et ton esprit deviendra de la bouillie. Naturellement, le miasme affecte aussi négativement les balais, puisqu’ils se nourrissent du mana dans l’air. Alors tu finiras par tomber dans le marais pour nourrir les poissons.

Chela fronça les sourcils à cette pensée macabre. Miligan continua :

  • Tu peux atténuer quelque peu les effets avec suffisamment de préparation, mais tu dois toujours faire attention à ne pas voler trop haut. Tu auras aussi à faire face à ces choses à tes trousses.

Elle baissa les yeux, et les autres suivirent son regard. Ils repérèrent un groupe d’ombres qui volaient au-dessus de la surface de l’eau avec de longs corps cylindriques et des ailes en dentelle. Des centaines d’entre-elles parsemaient le marais en grands groupes.

  • Des poissons-volants…
  • Ouaip. Des poissons magiques volant à basse altitude qui habitent les marais. Un seul n’est pas un gros problème, mais leurs bancs sont énormes. Le plus souvent, on finit par rentrer dans un groupe avant de tomber dans le marais. Ça m’est arrivé une fois, déclara Miligan.

La révélation de son échec passé, plus que toutes ses explications, fut la plus efficace pour attirer leur attention. Alors que le trio réfléchit en silence, Miligan leur fit part de l’autre méthode qu’ils pouvaient choisir.

  • Cela peut prendre plus de temps, mais dans un bateau, on peut brûler de l’encens qui éloigne les poissons du ciel. Bien sûr, nous devrons toujours nous méfier des bêtes du marais. De nombreuses variétés différentes ont élu domicile dans le labyrinthe. C’est un peu la loterie.

Les trois baissaient leur regard du poisson volant à la surface de l’eau. Il était logique que l’eau présente ses propres menaces, c’était le labyrinthe, après tout. Il n’y avait pas de chemins faciles. En fin de compte, ils devaient évaluer les risques et se lancer.

  • Cela dit, continua Miligan, —— À nous quatre, nous devrions être capables de repousser à peu près tout.  Dans un bateau. Il sera plus facile de s’entraider que sur des balais, et si le pire devait arriver, nous pourrions abandonner le bateau et voler le reste du chemin.

Et c’est ainsi que Miligan prit la décision de les faire partir en bateau. Oliver acquiesça. Rien de ce qu’il avait entendu ne lui permettait de la réfuter.

  • …Je suis d’accord. La vitesse est importante, mais le plus important est de traverser en toute sécurité.
  • Je suis d’accord, aussi, dit Chela. —— Et toi, Nanao ?
  • Je suis d’accord avec les deux choix. Celui que vous préférez donc.

Comme personne ne s’y opposait, Oliver passa rapidement à l’étape suivante.

  • Bien, dit-il. —— Fabriquons un bateau d’abord. Il n’en reste pas beaucoup, mais on peut utiliser le reste de nos Plantoutils pour en construire un.
  • Ça accélérerait les choses, répondit Miligan. —— Je vais devoir me mettre à genoux et remercier Guy à notre retour.
  • …J’espère que c’est tout ce que vous faites à genoux.
  • Ha-ha-ha ! Ne t’inquiète pas. Je ne suis pas si désespérée.

Miligan ricana à la remarque de Chela, puis ils s’étaient mis à construire le bateau. Soudain, Oliver sentit une fréquence de mana venant vers lui.

[…J’ai de mauvaises nouvelles, Monseigneur.]


C’était Teresa Carste, son éclaireuse secrète.

[Je t’écoute] dit-il.

Elle répondit immédiatement.

[Si vous voulez traverser en bateau, alors je ne pourrai pas maintenir la même distance. J’ai mon propre bateau, mais le marais est trop calme. Je dois rester plus loin, sinon Œil de serpent me remarquera. J’ai honte de le dire, mais notre meilleure option serait de nous retrouver de l’autre côté.]

Oliver maudit son manque de prévoyance. Elle était si douée pour les filatures qu’il n’avait pas pensé une seule fois à la façon dont le marais pouvait l’affecter. Cela dit, il n’y avait pas d’autre choix. Oliver réfléchit quelques secondes, puis accepta.

[Très bien, c’est parfait. Je laisserai une trace quand nous serons de l’autre côté. Elle t’amènera jusqu’à moi.]

[Compris. Cette couche est dangereuse. Soyez prudent, Monseigneur.]

Et avec cela, sa présence disparut rapidement. Oliver continua à travailler pendant tout ce temps, donc les autres ne semblaient pas se douter de quoi que ce soit. Il s’était reconcentré sur la construction du bateau. Après dix minutes à tisser des brins de Plantoutils ensemble, l’activité se termina.

  • Ça m’a l’air bien, dit Miligan, en le regardant et en croisant les bras de satisfaction.

C’était à mi-chemin entre un bateau et un radeau, mais assez large pour qu’ils puissent tous les quatre marcher. Il y avait un mât au centre, auquel ils avaient fixé une voile carrée en tissu renforcé par de la magie. Pour une construction bâclée, ce n’était pas si mal.

  • Mettons les voiles. Ah oui ! Une chose d’abord.

Ils avaient poussé le bateau jusqu’à l’eau et étaient prêts à embarquer quand Miligan les arrêta.

  • Puisque nous sommes ici, que diriez-vous d’une leçon ?
  • Une leçon… ? répéta Chela. Qu’est-ce qu’on pourrait bien faire ici ?
  • Oh, c’est l’endroit parfait pour la technique de la Marche du lac, du style Lanoff. Oliver, Chela, vous en avez entendu parler, non ?

Les deux étudiants regardèrent Miligan alors qu’elle descendait du bateau en direction du marais. Oliver fit la grimace, mais ses pieds avaient silencieusement atterri sur l’eau. Nanao resta bouche bée, incrédule.

  • …Ohhh ! Elle se tient debout sur l’eau !
  • J’adore cette réaction. Marcher sur l’eau est une technique importante pour les mages et on dit qu’elle permet de tester toutes les facettes des bases de la magie spatiale.

Alors que Miligan expliquait, elle se promenait sur la surface de l’eau. De légères ondulations s’étaient répercutées au contact de ses pieds, mais ses appuis semblaient très solides. Oliver et Chela restèrent bouche bée.

  • Cela nécessite une certaine quantité de mana, donc normalement vous devriez commencer à la pratiquer dès votre deuxième année. Mais d’après ce que j’ai vu, vous êtes tous les trois plus que capables. Alors pourquoi ne pas essayer maintenant ? Allez-y.

Elle leur fit signe de la main, et tous les trois regardèrent l’eau.

  • …Hum, si nous échouons, nous tombons dans l’eau, dit Chela.
  • Cela devrait aiguiser votre concentration, n’est-ce pas ?  Personne ne veut tomber dans un marais grouillant de monstres, après tout, dit Miligan en souriant.

Elle voulait qu’ils transforment le risque en motivation.

  • Hmm. Alors je vais commencer.

Pendant qu’Oliver et Chela prenaient quelques secondes pour se préparer, Nanao s’avança immédiatement sur l’eau. Avant qu’ils ne puissent réagir, son pied toucha la surface, et elle plongea directement dans le marais.

  • Mmgh… !
  • Ha-ha-ha ! Tu as vraiment coulé comme une pierre. Tu vas bien ?

Miligan tendit une main et la ramena sur la terre ferme. Nanao secoua la tête, trempée.

  • Quelle énigme. Je n’ai pas la moindre idée de comment faire.
  • Cela ne devrait pas être si difficile une fois que tu auras saisi l’essentiel. Oliver, à toi.

Le garçon regarda l’eau, puis expira. Calme-toi. Tu peux le faire. Tu as pratiqué les postures de terre tant de fois. C’est juste la même chose.

  • … !

Se ressaisissant, il fit un pas. Le bout de son orteil toucha l’eau et sembla s’enfoncer, mais cela n’alla pas plus loin. Il suivit avec son pied gauche et expulsa du mana à la surface de l’eau, comme il l’avait fait avec son impulsion tombale tout en faisant attention à équilibrer son poids sur les deux pieds. Tremblant et faisant onduler l’eau, il arriva à se tenir sur ses deux jambes.

  • Whoa !
  • Oui, oui ! Je savais que tu pouvais le faire, puisque tu maîtrisais si bien les postures de terre. Ok, maintenant, essaie de marcher.

Oliver n’avait pas hésité cette fois. Il reproduit cette même sensation alors qu’elle était encore fraîche dans son esprit et marcha sur l’eau avec peu d’ondulations. Bien sûr, c’était beaucoup plus fatigant que de marcher sur la terre ferme. Dix minutes de cela le mettrait au bord de l’épuisement. Chela étudia ses mouvements avec stupeur. Il n’avait pas autant de facilité que Miligan, mais il marchait vraiment sur l’eau.

  • Fantastique, dit Miligan. —— En répartissant ton poids lorsque tu marches et en économisant ton débit de mana, tu peux faire en sorte que l’eau supporte ton corps. C’est très impressionnant que tu puisses faire ça dès ton premier essai.
  • ……
  • C’est une étape nécessaire pour apprendre la technique plus avancée, la Marche du ciel. En tant que mage, et en tant qu’utilisateur des arts de l’épée, tu as fait un grand pas en avant, Oliver.

La sorcière l’avait félicité avec un enthousiasme surprenant. Cela fit remonter à la surface un souvenir enfoui profondément dans les confins de l’esprit d’Oliver.

« Pas mal, huh ? Ne t’inquiète pas, c’est certain que tu seras capable de le faire aussi, Noll. Tu es mon fils, après tout. »   

Pour un jeune garçon, il n’y avait rien de plus génial que de se tenir dans les airs. Et, ignorant à quel point cet objectif était complexe, il s’était juré d’atteindre un jour ces mêmes hauteurs, ignorant totalement ce que le mot talent signifiait. Il ferma les yeux, se disant qu’il progressait vers cet objectif.

  • …Nanao. Tu viens aussi.

Avant de s’en rendre compte, il avait tendu la main vers son amie. Il n’y avait pas de pensée profonde derrière ce geste. Il croyait simplement sans aucun doute qu’elle pouvait se tenir au même endroit, à ses côtés.

  • …Bien !

Nanao accepta son offre. Les yeux rivés sur sa main tendue, elle se lança une fois de plus sur l’eau et atterrit en tremblant sans éclaboussure.

  • Oh ? Ohhh ? …Je l’ai fait !

Les pieds bien ancrés dans l’eau, Nanao s’était accrochée à la main d’Oliver tout en exprimant sa joie. Les yeux de Miligan s’écarquillèrent.

  • Bonté divine, tu as réussi. L’exemple d’Oliver était-il plus clair ? Ou bien… était-ce uniquement ton désir de te tenir à ses côtés ?

Elle dit cela pour se moquer avant de jeter un coup d’œil à Chela, qui se tenait seule sur la rive pendant que ses amis célébraient.

  • ……

Bien sûr, Chela n’était pas du genre à se laisser aller. Elle ferma les yeux pour se calmer, puis les rouvrit avant d’entrer dans l’eau. Tous les trois regardèrent son pied droit toucher la surface et son pied gauche qui suivit.

  • …Ouf. Je suis là aussi !
  • Ohhh, Chela ! Tu l’as fait !
  • Je n’ai jamais douté de toi une seule seconde.

Tous les trois, unis sur l’eau et tapant dans leurs mains, ils étaient réjouis. Miligan sourit et acquiesça.

  • Heureusement, vous vous en êtes tous bien sortis. Si quelqu’un tombe du bateau, il sera en mesure de survivre. Maintenant, en route !

Une fois tout le monde dans le bateau, la sorcière jeta un sort sur la voile. Une bourrasque soudaine se mit à souffler, et le bateau glissa sur l’eau.

——————————————————————

Pendant qu’ils naviguaient, Miligan expliqua aux trois personnes comment elle s’y prenait.

  • Un bateau n’est pas aussi polyvalent qu’un manche à balai, mais c’est quand même un moyen de transport utile pour un mage. Les non-mages doivent ajuster la voile en étudiant le vent, mais pour nous…

Elle pointa son athamé sur la voile, indiquant le cercle magique et l’incantation qui s’y trouvait. C’était la raison pour laquelle ils se déplaçaient sans rames ni pagaies. Oliver avait entendu parler de mages marins qui utilisaient ces techniques, mais il ne les avait jamais vues en personne.

  • On peut invoquer des élémentaires de vent et les placer autour de la voile. C’est un peu délicat, mais une fois qu’on l’a, on peut continuer à avancer sans lever le petit doigt. Vous feriez bien de vous en souvenir.
  • Je vois… C’est très instructif.

Chela écoutait avec attention tandis qu’Oliver cherchait Nanao. Il la vit penchée sur le côté du bateau. Des ombres noires couraient sous la surface trouble de l’eau.

  • …Ce sont de gros poissons.
  • Sois prudente, Nanao, prévint Oliver. —— Ils peuvent attaquer à tout moment.
  • Mmm… Quand même, ils pourraient être savoureux grillés avec un peu de sel.
  • Tu as faim maintenant ?!

Nanao ne changera jamais, même aussi profondément dans le labyrinthe. C’était à la fois exaspérant et rassurant. Soudainement, Oliver remarqua un changement dans l’atmosphère et ferma la bouche. Il regarda autour de lui pour voir que les autres écoutaient tout aussi attentivement.

  • …Ils ont tous disparu, remarqua Chela.
  • Ouais. C’est un peu étrange, répondit Miligan en hochant la tête.

Non seulement les poissons sous l’eau avaient disparu, mais les poissons du ciel ne planaient même plus près des abords de la brume. Ils étaient censés faire attention aux attaques venant d’en bas, mais pourtant, il n’y avait aucun signe de danger.

  • Cela est assez anormal d’arriver aussi loin sans encombre. En plus, c’est beaucoup trop calme. Peut-être qu’il se passe quelque chose d’étrange dans les profondeurs.

Miligan scruta bien autour d’eux, et du coin de l’œil, elle repéra l’éclair d’une silhouette blanche.

  • Y avait-il quelque chose là-bas… ?
  • ……

La sorcière était silencieuse, et Chela, qui avait apparemment vu la même chose, fronça les sourcils. Un sentiment terrible envahit Oliver, et il agrippa l’athamé à sa taille. Soudainement, le bateau se mit à s’agiter.

  • Whoa… ?!

Son corps bascula en avant, alors il s’accrocha au mât pour se stabiliser. Le bateau avait accéléré sans prévenir, filant sur l’eau.

  • Qu’est-ce que vous faites ?! cria Chela à leur ainé et leader d’expédition, Miligan. —— Pourquoi allons-nous si vite ?
  • Cette chose est de mauvais augure ! Tous à vos athamés et parés ! hurla Miligan.

Les trois dégainèrent. Instantanément, l’eau derrière le bateau se souleva et éclata. De l’ombre, apparut un serpent de mer d’au moins vingt mètres de long si on se fiait à son squelette. Il était complètement dépourvu de chair, comme une pièce de musée. Il n’aurait pas dû être capable de bouger, mais pourtant, il avait réussi à se glisser derrière eux avec une vivacité incroyable.

  • Qu…?!
  • Mmgh, encore des os ?
  • Un serpent de mer ! L’autre familier de Salvadori ! Accrochez-vous !

Tenant compte de son avertissement, ils se baissèrent. Miligan fit vaciller la voile avec un sort, excitant les élémentaires du vent. Le bateau atteint instantanément plus du double de sa vitesse initiale, entamant un jeu de poursuite aquatique avec le serpent.

  • Cette chose est bien plus dangereuse que n’importe quelle chimère, il est donc temps de s’enfuir ! Il ne devrait pas être capable de nous attraper sur la terre ferme !
  • Je suis d’accord, mais peut-on aller encore plus vite avec ce bateau ?! cria Chela.
  • Si on se fait attraper, on traversera le marais à ce moment-là ! Préparez vos balais ! hurla Miligan.

Oliver et Chela se firent un signe de tête, puis se tournèrent vers le serpent squelettique qui les poursuivait en déclenchant une volée de sorts. Cela sembla être assez efficace, car la créature commença à ralentir, laissant la distance entre eux s’agrandir.

  • Heureusement que nous avons mis un peu d’effort dans la conception ! On dirait que nous allons nous en sortir in extremis.

La sorcière ricana de manière triomphale, mais quelques secondes plus tard, son sourire se raidit comme de la pierre.

  • …Euh, c’est mauvais.
  • Huh ?

Oliver se retourna pour regarder devant eux. De nombreux os flottaient sur la trajectoire du bateau, comme les restes du repas d’une grande créature. Du moins, c’est ce que cela semblait être à première vue.

  • CONGREGANTA !

Cette seule incantation avait révélé sa véritable identité. Sous leurs yeux, les os commencèrent à se reformer. D’abord, une colonne vertébrale de la taille d’un grand arbre, à laquelle se rattachait un crâne. Puis simultanément, des côtes et des nageoires se matérialisèrent. Un gigantesque serpent de mer enroulé, semblable à celui qui les poursuivait, leur barrait maintenant la route.

  • Qu…?
  • Guh…!

Réalisant qu’ils allaient s’écraser, Miligan tira fort à bâbord. Le bateau faillit presque grincer sous l’effet de la force soudaine.

Ils naviguèrent en arc de cercle juste avant de heurter le serpent, soulevant de l’écume blanche. Ils avaient évité un désastre immédiat, mais la manœuvre leur avait aussi fait perdre beaucoup de vitesse.

  • Yeesh… ! Merci pour l’accueil surprise, Rivermoore !

Miligan jeta un regard en avant en s’agenouillant sur le pont. Les autres se retournèrent pour voir ce qu’elle regardait. De l’autre côté du serpent, à travers les interstices de ses côtes, ils purent apercevoir la chose.

  • Oh, mais c’est moi qui suis surpris ici.

Le mage se tenait debout sur une carapace de tortue géante comme un bateau, avec l’austérité d’un prêtre maléfique alors qu’il étudiait les quatre d’entre eux avec une mine assombrie. Non seulement il dégageait la force écrasante caractéristique de quelqu’un de bien plus fort qu’eux, mais une aura de mort s’accrochait également à tout son corps.

  • Qu’est-ce que tu fais Œil de serpent ? Tu comptais emmener trois chairs fraiches avec toi dans les contrées de la mort ?

Oliver et Chela frissonnèrent. Ils l’avaient déjà rencontré dans le labyrinthe auparavant. Cyrus Rivermoore, un nécromancien qui utilisait des techniques pour contrôler les cadavres. Il était tout aussi dangereux que Salvadori.

  • Nous sommes là pour secourir leur ami, dit Miligan, imperturbable.

Il eut un petit ricanement.

  • Ça sonne comme une façon bien compliquée de se suicider.
  • Je ne t’en veux pas de le voir comme ça, mais en fait on espère rentrer chez nous vivants.

La sorcière haussa les épaules. Rivermoore grimaça comme pour se moquer.

  • Tu as l’intention de survivre à un combat contre Salvadori dans son état actuel ? Je te croyais plus intelligente que ça.
  • Touché.

Miligan grimaça amèrement, incapable d’argumenter avec lui. Mais c’est à ce moment d’accalmie dans la conversation que quelqu’un décida d’intervenir.

  • Pardonnez mon intrusion, Mr. Rivermoore, mais peut-être cherchez-vous également l’atelier d’Ophelia Salvadori ?
  • Chela ?!

Oliver l’avait dévisagée, incrédule. Rivermoore tourna son regard sombre vers la questionneuse inattendue.

  • …Pourquoi me demandes-tu ça, petite McFarlane ?
  • Parce que c’est une possibilité. Vous devez chercher quelque chose si vous vous trouvez dans la troisième couche à un moment pareil. Et il n’y a pas beaucoup de raisons pour qu’un élève de Kimberly s’approche volontairement d’un autre qui se fait consumer par le sort.
  • ……
  • La première raison serait qu’une personne importante ait été enlevée, comme dans notre cas. Beaucoup d’ainés nous aident, mais je doute que vous soyez l’un d’entre eux. La seconde raison serait d’être intéressé par la magie de l’étudiant consumé.

Elle fit preuve d’audace face à un homme beaucoup plus puissant qu’elle. Oliver pouvait voir que ce n’était pas seulement un pari imprudent et ignorant de la part de Chela. La voyant de près, il pouvait voir ses mains trembler. Elle ne savait que trop bien que l’homme devant eux était au moins l’égal d’Ophelia Salvadori et qu’il pouvait tous les anéantir s’il en avait envie. Mais il pouvait aussi détenir un indice pour sauver Pete.

  • Ce dernier cas semble vous convenir parfaitement je pense, poursuivit Chela. —— Plus précisément, je crois que vous voulez vous emparer des recherches magiques d’Ophelia Salvadori avant que quiconque n’en ait l’occasion. C’est pour ça que vous êtes là, n’est-ce pas ?

Oliver déglutit. Elle avait raison. Si c’était le cas, alors leurs objectifs n’étaient pas contradictoires. Tout ce qu’ils voulaient, c’était sauver Pete. Ils n’avaient aucune raison de toucher aux recherches d’Ophelia.

  • Si j’ai raison, alors pourquoi ne pas travailler ensemble ? Trois d’entre nous sont peut-être des premières années, mais nous sommes assez nombreux. Si nous partageons nos informations et cherchons ensemble, nous aurons de bien meilleures chances de trouver l’atelier. Même vous, pourriez y voir un intérêt.

Elle fit enfin sa proposition. Même s’ils parvenaient à atteindre la bonne rive en toute sécurité, il n’y avait toujours aucune garantie de trouver l’atelier d’Ophelia, raison de plus pour laquelle Chela tentait de négocier avec le sorcier. En soulignant qu’ils n’étaient pas ennemis, elle pouvait peut-être lui soutirer quelques informations. Tout le monde retint son souffle en silence. Rivermoore étudia Chela pendant un moment, puis secoua la tête.

  • J’aimerais pouvoir dire que c’était une excellente suggestion… mais malheureusement, tu as raté ta cible.
  • …Quoi ?
  • Je ne fais pas de fixation sur les recherches de Salvadori. Nos objectifs en tant que mages sont bien trop différents. Même si je mettais la main sur son travail, il ne me servirait à rien… bien que je ne le rejetterais pas si cela me retombait dessus. Mais ce n’est pas une raison suffisante pour que je risque ma propre peau.

Chela ne fut pas découragée par sa réponse inattendue. Il devait avoir une bonne raison d’être ici.

  • …Alors pourquoi êtes-vous ici ? Y a-t-il une autre raison de vous mettre en danger si ce n’est pas pour vos recherches ? demanda-t-elle.

Les lèvres de Rivermoore se courbèrent en un sourire sec.

  • Une raison, eh ? …Oui, c’est une bonne question.

Il ne dénigrait pas Chela, mais lui-même. En même temps, ils avaient maintenant la preuve définitive qu’il n’était pas ici pour un gain personnel.

  • …Ne me dis pas que tu es son Visiteur Final ? demanda doucement Miligan.

Rivermoore grimaça à cette idée.

  • Ne sois pas si stupide. Je ne serais pas invité ici pour une telle chose. Bien que… je suppose qu’on pourrait me confier le soin d’exprimer mes condoléances à la famille. Un enterrement avec seulement le défunt et un seul pleureur serait une triste affaire en effet.

Il parlait avec une touche d’humilité, mais ne semblait pas du tout intéressé à les aider à comprendre. Avec un peu de résignation, Rivermoore se tourna vers Chela.

  • Nous avons essayé de nous tuer mutuellement plus de fois que je n’ai de doigts pour les compter. C’est le moins que je puisse faire pour ma cadette… Est-ce une réponse suffisante, McFarlane ?
  • ……

Chela s’était préparée au pire, mais s’est retrouvée incapable d’aller plus loin. Des objectifs similaires, des bénéfices mutuels, même tenter une discussion avec des mesures aussi ordinaires ne pouvait qu’exposer son ignorance.

  • Vous avez fini de gagner du temps ? Alors continuons.

À son ordre, les deux serpents de mer levèrent la tête. Chela, voyant que sa négociation avait échoué, prépara son athamé à contrecœur.

  • …Donc on doit en arriver là après tout ?
  • Non. Tu as bien fait, Chela, dit Miligan avec un sourire triomphant.

Oliver l’avait regardée d’un air perplexe. Puis il remarqua qu’elle avait était à genoux pendant toute la durée de leur conversation avec Rivermoore.

  • Je peux comprendre le devoir que l’on ressent envers ses cadets. Mais pour un simple appel de condoléances, le lieu que tu as choisi est un peu excessif. Tu ne trouves pas, Rivermoore ?

Oliver sursauta en réalisant la chose. Miligan était agenouillée sur le pont du bateau, créant un angle mort autour de ses pieds et sa robe. Elle avait glissé son athamé à travers un trou du bateau. La pointe de sa lame était en contact avec l’eau, injectant quelque chose dans le marais. Une vague surgit d’un côté du bateau, le faisant trembler. L’eau avait été totalement calme pendant leur traversée, Oliver savait donc qu’il ne pouvait pas y avoir de vagues sans que quelque chose ne les créât.

  • …Tch.

Rivermoore réalisa le plan de la sorcière une seconde trop tard. Le son avait à peine quitté sa bouche que des dizaines de tentacules surgissaient de l’eau autour de lui.  Les serpents de mer se déplacèrent rapidement pour se mettre entre la menace et leur maître. Les tentacules s’enroulèrent autour de leurs corps osseux avant que deux masses géantes et gluantes n’émergent de l’eau. La créature avait la taille d’une petite île, mélange bizarre entre un calmar et une pieuvre. Les première année regardèrent le monstre avec horreur.

  • Une chimère aquatique… !
  • Je le savais ! Je savais que Salvadori, l’auteur d’Une Étude du Développement Accéléré à partir de Croisements entre Krakens et Scyllas, laisserait un piège ici ! cria Miligan, ravi que son plan se soit déroulé sans accroc.

En effet, pendant toute leur conversation avec Rivermoore, elle avait envoyé des fréquences de mana dans l’eau pour attirer la chimère. Maîtriser les serpents seuls était difficile, mais en attirant une créature tout aussi dangereuse, elle pouvait les neutraliser. Et une fois que la chimère avait réalisé qu’il y avait des intrus sur son territoire, elle était plus susceptible d’attaquer ceux qui dégageaient le plus de mana. Oliver fut étonné de voir à quel point elle avait anticipé cela.

  • Nous sommes pressés, alors je te laisse t’occuper de ça ! Merci, Rivermoore !
  • Tricheuse !

Rivermoore râla, mais avec un soupçon de sourire sur ses lèvres. Même lui ne pouvait ignorer la chimère et se lancer à leur poursuite. Leur bateau accéléra de nouveau, laissant au loin la bataille mortelle entre les titans.

  • On a failli y rester cette fois ! Que quelqu’un me pince, je dois rêver !

Miligan expira un grand souffle une fois qu’ils furent hors de danger. Nanao, qui avait observé derrière eux, se tourna alors vers elle.

  • Miss Miligan, qu’est-ce qu’un Visiteur Final ? demanda-t-elle.

La sorcière avait utilisé cette expression lors de sa conversation avec Rivermoore. Miligan regarda Nanao avec une légère surprise. Oliver savait ce qu’elle ressentait. Peu de gens posaient ce genre de question à Kimberly. c’était un concept que presque tous les élèves connaissaient.

  • Ah, tu ne sais toujours pas… Eh bien, c’est une sorte de coutume de mage.

Le ton de Miligan était anormalement solennel. Il n’y avait probablement pas un seul mage vivant qui ne se redresserait pas un peu en ayant à imaginer le sort qui leur serait réservé, à eux ou à leurs amis proches.

  • Lorsqu’un mage est consumé par le sort, quelqu’un va s’occuper de lui dans ses dernières heures. Et parfois au péril de sa vie. On appelle ce rôle le Visiteur Final.

—————————————–

[1] Les Spartoi sont les « Hommes semés », nés des dents du dragon de Cadmos, c’est-à-dire les Thébains.

[2] Sword signifie « épée » en anglais.

error: Pas touche !!