CLASSROOM Y2 V12 : CHAPITRE 7
La stratégie d’Ayanokôji
Alors que j’entrai en salle, Ichinose, assise, et me salua d’un geste de la main.
Moi — Je ne m’attendais pas à ce que tu écrases Horikita. Il semblerait que tu t’en sois parfaitement bien sortie.
Ichinose — C’est de la chance. J’ai juste fait mieux que d’habitude.
Alors qu’elle disait ceci avec humilité, je m’asseyais sur la chaise vacante.
Moi — Il y a encore quatre minutes de pause. Est-ce qu’on peut discuter ?
Ichinose — Bien sûr, je voulais aussi discuter avec toi, Ayanokôji-kun
Elle ne montrait aucun stress. L’identité de l’adversaire n’avait aucune importance, elle était prête à tout donner, ce qui montrait une bonne préparation mentale.
Moi — Tout d’abord, je tiens à m’excuser d’avoir menti. J’avais dit que je ne savais pas si j’allais participer, mais finalement je suis là en tant que général.
Ichinose — Dès le début je n’étais pas inquiète pour ça. Nous sommes adversaires alors nous ne pouvons pas toujours exprimer nos vrais sentiments.
Ichinose me pardonna et fit preuve de compréhension.
Moi — J’apprécie que tu dises ça.
Ichinose — Je peux te demander quelque chose ? Que ressens-tu, là ?
Moi — Pas grand-chose. Tu restes redoutable et j’ai du mal à trouver un angle. J’ai parlé brièvement avec Horikita avant d’arriver, et elle était exténuée.
Ichinose — J’ai certes bien performé avant, mais pas sûre que ça se reproduise.
Moi — J’espère.
Ichinose — Ayanokôji-kun… Tu ne sembles ressentir ni pression ni stress.
Moi — Tu sembles très calme, toi aussi.
Ichinose — Je suis… vraiment nerveuse. Ta simple présence me fait naturellement sentir comme ça.
Si quelqu’un avait entendu une telle déclaration, cela aurait pu être un choc. En effet, l’examinateur qui se tenait debout, le regard sévère, fut perplexe quelques instants.
Ichinose — Mais je ressens aussi un fort sentiment de confort. C’est étrange et contradictoire de se sentir encouragée par son adversaire.
Ma présence n’était donc pas un obstacle, mais une aide. Avec trois minutes de pause restantes, il était impératif d’en faire bon usage.
Moi — Ce n’est que mon avis, mais tu sembles penser pouvoir battre n’importe qui actuellement, n’est-ce-pas ?
Ichinose — Je me le demande. Mais je ne manque pas de confiance, c’est sûr.
Moi — C’est ce que je pensais. Toutefois, je vois qu’il y a aussi une chose qui te rend anxieuse. Peu importe la confiance que l’on a, il y a toujours la possibilité d’être renversé dans cet examen spécial.
Il était facile de comprendre où je voulais en venir.
Ichinose — Oui. L’existence d’un intrus est le seul élément imprévisible.
Ce système de désignation de l’intrus a été introduit comme un atout pour renverser le cours du jeu. Cette façon de l’incorporer de manière équilibrée fut bien pensée. Dans cet examen, les « intrus » étaient supposés mentir dans la mesure du possible pour des gains personnels ou collectif. Or, cela n’augmentait pas nécessairement le risque d’expulsion. Si « l’intrus » était une personne qui ne laissait rien transparaître, s’accrochant à ses mensonges lors de l’interrogatoire, le représentant pouvait-il facilement le débusquer ? La réponse est non.
Il fallait que « l’intrus » nie l’être et que le représentant adverse le désigne comme « intrus » pour qu’il soit expulsé de l’établissement. Mais peu de représentants voudraient ainsi causer du tort. La récompense pour trouver l’ « intrus» n’était qu’une façade qui ne faisait qu’ajouter de l’incertitude pour ces derniers, afin de donner une chance à un représentant qui serait en train de perdre. Ichinose, qui avait un sens de l’observation aigu, pouvait facilement débusquer l’intrus, mais il n’était pas certain qu’elle allait épargner l’élève de l’expulsion. C’était sûr à 99%, mais pas à 100%, tel était le poids de ce rôle. Par conséquent, la prudence était toujours de mise.
Moi — Avant que nous commencions ce match, j’ai une suggestion qui pourrait nous être mutuellement bénéfique.
Ichinose — Une suggestion ?
Moi — C’est à propos de l’intrus. Il ne nous reste plus beaucoup de temps, alors je voulais clarifier ceci : les intrus dans cet examen sont les seuls qui risquent l’expulsion. Mais le gain étant conséquent, cela reste cohérent.
Ichinose — C’est vrai.
Moi — Les intrus vont être sous pression. Même s’ils peuvent être tentés de l’avouer, les récompenses peuvent les persuader du contraire. C’est un rôle problématique et je pense que cette règle n’est pas nécessaire pour nous.
Ichinose — Je suis d’accord. Je trouve ça effrayant de se faire avoir par ce système. J’aimerais éviter de causer du tort.
Moi — Toutefois, parce que nous reconnaissons que l’intrus est une arme puissante, en cas de désavantage, cela peut bien nous aider. Si cela ne te dérange pas, pourquoi ne pas assigner un intrus, et nous les communiquer mutuellement ? Comme ça on les identifie très vite et on évite de perdre du temps avec un sujet aussi futile. Donc, dès le début, nous ne nous combattrons pas. À la place, nous utiliserons le tour pour nous débarrasser de ce droit.
Ichinose — Ce n’est pas une mauvaise proposition. Mais le droit de désignation de l’intrus peut changer la donne. Tu es sûr de vouloir abandonner ça ?
En cas de désavantage, c’était l’option pour tenter le tout pour le tout. Il était naturel pour elle de douter de ma volonté de l’abandonner.
Ichinose — Sommes-nous autorisés à révéler nos intrus ?
Moi — Il ne devrait pas y avoir de problème. Montrer la tablette à son adversaire ne constitue pas une violation des règles, n’est-ce-pas ?
Je demandai ça à l’examinateur qui nous regardait depuis un coin de la pièce.
— O-Oui. Bien sûr. Je ne pense pas que cela constitue une violation, mais…
Il n’avait pas anticipé que quelqu’un utilise les règles de cette manière ou il ne pensait pas que l’on poserait cette question. Il acquiesça tout de même, bien que perplexe.
Moi — S’il-vous-plaît, si vous pouviez vérifier au cas où. Sait-on jamais.
Alors que je le pressais, il eut confirmation de la chose dans son oreillette.
— Oui, pas de problème.
Ichinose — Abandonner nos atouts, hein ? Je ne m’attendais pas à ça.
Un tel développement devait bien arranger les affaires d’Ichinose.
Moi — Il n’y a qu’une raison pour laquelle je souhaite abandonner ce système. C’est pour m’assurer que personne ne soit expulsé dans nos classes.
Ichinose — En effet, si on élimine d’emblée la chose, je n’aurais pas à m’inquiéter d’une expulsion éventuelle.
Qu’allait être la réponse d’Ichinose ? Il ne restait plus que trente secondes.
Ichinose — Et si j’ajoutais une condition ? Je suis d’accord sur le fait que nous n’avons pas besoin de ce système, mais si nous pouvions finir la discussion avec nos deux intrus encore présents, nous pourrions sécuriser la récompense. Au lieu d’abandonner le système, nous pouvons juste ignorer les intrus. Cela serait plus avantageux pour nos deux classes afin de sécuriser 50 pc chacun.
Dans le cadre d’une collaboration, il serait idéal de finir la discussion avec les intrus encore présents dans la discussion. La récompense était soit 5M de pp ou 50 pc, mais il suffisait de désigner un « intrus » digne de confiance pour qu’il choisisse les points de classe. Je n’avais pas abordé la chose, mais naturellement, elle l’avait remarqué. Pour Ichinose, qui ne pensait pas pouvoir perdre dans un combat équitable, la présence d’un intrus était la seule source d’inquiétude. L’idéal était que nous nous accordions sur la manière d’utiliser ce droit de désignation de l’intrus.
La discussion va maintenant commencer
Malgré l’annonce, je continuai la discussion sans m’en soucier.
Moi — Je peux accepter la condition. Mais je ne veux pas que les autres élèves aient connaissance de notre coopération. Abandonner un moyen aussi important de renverser la situation pourrait me porter préjudice en cas de défaite. Je n’ai pas envie que l’on dise de moi que je n’ai pas trouvé l’intrus.
Ichinose — Donc tu veux éliminer l’intrus lors d’une interrogation ?
Moi — Oui. C’est ce que j’avais en tête.
Je lui fis comprendre qu’il y avait des choses que je privilégiais par rapport aux points de classe. J’étais ainsi proche d’une négociation réussie.
Moi — Nos objectifs sont différents, mais nous utiliserons nos droits de désignation pour nos intérêts mutuels. Est-ce que cela te va ?
Ichinose — Oui. Mais tu veux réellement rendre inutile cet atout pour toi ?
Dit-elle, parce que je ne montrais aucune réticence à ce que sa classe gagne 50 pc.
Moi — Tu sais que ta classe est soudée et celle de Horikita, encore un peu fragile. Si Kôenji était l’intrus, il pourrait nous trahir sans vergogne pour son propre bien. Une interrogation en face à face avec lui pourrait se transformer en une négociation périlleuse. Des gens comme Ike ou Hondô peuvent succomber à la tentation des gains personnels. Si une telle situation arrivait, on se retrouverait à faire un choix difficile pouvant les exclure.
Pour protéger nos alliés, il fallait que cet atout soit supprimé. Ichinose, imaginant cette situation, acquiesça fermement comme si elle en était convaincue.
Ichinose — Tu ne vas pas rompre ta promesse de ne pas te battre durant la première discussion, n’est-ce-pas ?
Moi — Bien sûr, je te montrerais chaque étape sur la tablette.
Ichinose — Bien, éliminons l’intrus dès à présent.
Il était temps de décider des groupes. Je me levai, tablette à la main, et lui montrai.
Ichinose — Profitons du premier tour de discussion afin d’éliminer cet atout. Choisis ton intrus. L’interrogatoire se déroulera ensuite sans problème.
Moi — Je choisis Mako-chan.
Acceptant sa requête, je désignai Amikura Mako comme « intrus ».
Moi — Maintenant, tu sais que c’est bien elle.
Ichinose — Oui. Qui devrais-je prendre pour toi ?
Alors qu’elle me montra sa tablette, je pointai l’élève de ma classe que je voulais choisir et elle confirma le choix. De cette manière, nous savions qui choisir avant le début de la discussion. Je retournai à ma place pour soulever le dos de ma chaise avec la main, et me plaça devant Ichinose. Je me positionnai de telle sorte à ce que l’écran de la discussion soit derrière nous. Je bloquai ainsi la vue d’Ichinose.
— Déplacez votre chaise immédiatement. C’est un acte d’obstruction !
Moi — Qu’il s’agisse d’une obstruction ou non dépend de la personne en face. Comme vous l’avez déjà entendu, j’ai l’intention de renoncer à cette discussion pour éliminer l’intrus. Je me suis déplacé pour la rassurer afin de lui montrer que je ne comptais pas la trahir. Ça te pose un problème, Ichinose ?
Ichinose — Pas du tout. Je ne ferai rien dans la discussion. Nous sommes égaux.
Personne n’aurait eu l’audace de se détourner et de bloquer la vue de l’écran. Et encore moins que la chose soi accepté par l’adversaire. Pour l’examinateur, c’était lunaire. La discussion commença sans que les représentants ne daignent la regarder.
Moi — Ichinose, vu que tu es d’accord avec moi, on devrait éviter de trouver trop rapidement l’intrus pour ne pas paraître suspect.
Ichinose — Ayanokôji-kun ?
Moi — J’interrogerai l’intrus au troisième tour seulement.
Cela ne coutait rien en point de vies d’interroger les mauvaises personnes.
Ichinose — Dans ce cas, je t’énoncerai les deux rôles qui me seront révélés.
Moi — Tu n’as pas besoin d’aller jusque-là. J’ai confiance en toi.
Ichinose — Mais non. Je ne serai pas satisfaite sinon.
Après les cinq minutes de discussion, nous choisîmes nos actions en montrant nos tablettes. Pour le premier interrogatoire, j’appelai Okitani et Ichinose fît de même. Nous devions quitter la salle pour nous rendre dans une autre. Un examinateur, que je voyais pour la première fois aujourd’hui, nous avait rejoint et était entré avec moi pour surveiller l’interrogatoire. Il y avait deux chaises qui se faisaient face, et, comme dans une classe normale, un bureau pour le professeur. Okitani vint sans faute. Il n’y avait rien de précis à faire alors je lui avais dis que je l’avais appelé, car je le soupçonnais d’être l’intrus, ce qu’il nia, évidemment. Vu que je connaissais son véritable rôle, je le déclarai innocent.
Ichinose-san, Ayanokôji-kun, vous avez échoué à identifier les intrus. Ils restent ainsi toujours présents dans la discussion.
Les participants et les représentants qui attendaient dans la salle prévue à cet effet n’avaient aucune idée de notre coopération inattendue.
Ichinose — Oh, la notif arrive donc comme ça ? Je viens de la recevoir.
Elle me montra le message l’informant que Mitarai était un « élève » grâce à l’effet de désignation de l’intrus. De la même manière, je lui montrai ma tablette. Le deuxième tour se déroula de façon identique. Nous fîmes venir des participants qui n’étaient pas des intrus et finissions par les innocenter sur la tablette après les avoir vu nier. Je retournai ensuite en salle après avoir entendu l’annonce.
Ichinose — Tu es de retour Ayanokôji-kun. Une annonce a été faite ici aussi.
Ichinose, qui était revenue avant moi, me fit un rapport.
Ichinose — Il semblerait que les annonces se fassent dans plusieurs salles.
Ichinose m’informa ensuite du nouveau rôle divulgué et le troisième tour débuta. Je ne pouvais qu’entendre leur voix, mais la discussion avait l’air de s’intensifier. Mais, avec les intrus toujours en lice, les élèves de la classe B n’étaient pas sereins. Après cinq minutes de discussion, nous choisissions de passer, et nous nous levâmes.
Moi — Je vais maintenant en finir avec ce droit de désignation.
Ichinose — Ok. Je vais t’attendre alors.
Le troisième tour était arrivé. Avant de passer aux choses sérieuses, il fallait boucler tout ça. Je quittai la salle pour la troisième fois, et me dirigeai vers celle où il y allait avoir l’interrogatoire. « L’intrus », Maezono, se présenta devant moi.
Maezono — C’est mon tour cette fois ?
Moi — Désolé. Je suis vraiment perdu, je n’arrive pas à trouver l’intrus.
Maezono, qui semblait inquiète, prit place sur le siège mis à sa disposition.
Moi — Tu as sans doute pas mal de questions, mais concentrons-nous sur l’interrogatoire pour l’instant. C’est le plus important.
Maezono — Pas de soucis, mais n’oublie pas c’est stressant pour les participants. On ne connait rien de la situation. Et je ne suis pas l’intrus donc pas de conclusion hâtive, OK ?
Les intrus eux-mêmes semblaient ne pas savoir à quel point leur présence entravait la vie des représentants. Mais quand il s’agit des interrogatoires, mentir sur son rôle en tant qu’intrus signifiait risquer l’expulsion. Elle comprenait bien cela.
Moi — Je comprends. Je ne t’ai pas suspecté jusqu’à présent, et je ne compte pas le faire. C’est juste que je n’ai pas encore trouvé d’indices. Je fais des appels aléatoires. J’espère que tu ne le prends pas trop à cœur. Durant la précédente interrogation avec Hondô, il m’a dit que tu semblais suspecte.
Maezono — Eh ? Hondô a dit ça ? Quel relou.
Moi — Qu’est-ce que tu aurais pu dire pour qu’il le pense ?
Maezono — Hmm… Peut-être que… Non désolée, je sais pas.
Moi — Je vois. Encore quatre élèves. Je vais devoir encore chercher.
Maezono — Ce serait bien que l’intrus ne soit pas démasqué. On gagnerait des points de classe. Vaut mieux peut-être laisser les choses telles qu’elles sont.
Moi — Bon, laisse-moi formellement avoir confirmation. Tu es obligé de me donner une réponse pour que l’interrogatoire s’arrête. Tu n’es pas l’intrus ?
Je répétais la même phrase qu’à Okitani et Hondô au mot près.
Maezono — …Eh, s’il s’avérait que j’étais l’intrus que je mente, tu perdrais ?
Moi — Cela serait un peu désavantageux, mais ça ne poserait pas de problème majeur. Tu ne serais pas responsable. Non, au fait, il vaudrait mieux mentir.
Maezono — C’est pour les points de classe…
Moi — Oui. Mais c’est mieux de ne pas trop en parler. Les règles nous interdissent d’aborder les détails de l’examen spécial, n’est-ce-pas ?
Maezono — Ouais…
Moi — En tout cas, tu ne l’es pas pour moi. Tu peux t’exprimer librement.
Ayant confirmé mes intentions, une annonce se fit entendre.
Maezono-san, veuillez dire si vous êtes l’intrus ou non.
Maezono — Hmm, je ne suis pas l’intrus. Ayanokôji-kun, fais de ton mieux !
C’est ainsi que cela se termina. Maezono respira profondément et se leva, me tournant le dos. Au même moment, l’examinateur se prépara à sortir. Je m’asseyais et regardais la chaise maintenant vide, profitant d’un temps de pause.
Moi — Je suis convaincu et veux déclarer que Maezono est l’intrus.
Ce fut ma réponse. S’ensuivit un moment de silence.
Maezono — Hein… ?
Pensée tirée d’affaire, elle, qui semblait ne rien comprendre, se retourna perplexe.
Maezono — Euh, quoi… ? Tu viens de dire quoi ?
Moi — Tu ne m’as pas entendu ? J’ai dit que tu étais l’intrus.
Maezono — Attends, heu… ? Non, je veux dire, je t’ai dit que c’était pas le cas. Pourquoi… ? Je n’ai rien montré de suspect. Enfin, si je suis vraiment l’intrus et que j’ai menti, je me fais expulser ? C’est pas vraiment le cas, hein ?
Son agitation n’était pas surprenante. Une expulsion était en jeu. Il valait mieux éviter de mentir et les représentants devaient penser aux conséquences. Mais c’était un peu contradictoire. Les intrus se voyaient offrir des récompenses alléchantes alors la tentation du mensonge était là. S’ils savaient qu’ils ne seraient pas dénoncés, mentir était plus bénéfique. Cette règle, basée sur la présomption de bonne foi, comportait une brèche majeure, car l’on pouvait clairement l’utiliser à des fins cruelles.
Moi — Ton expulsion est actée.
S’arrêtant net, Maezono se retourna. Ses émotions surgirent vivement.
Maezono — Hein, hein ?! Ça n’a aucun sens. J’ai seulement menti pour le bien de la classe parce que je pensais que tu ne me suspectais pas ! Tu avais dit que tu ne me dénoncerais pas !
Moi — Les participants nient ou non être l’intrus puis les représentants décident s’ils le sont ou non. Ce sont les règles de l’interrogatoire.
Ce que j’avais dit avant que Maezono nie être l’intrus n’avait pas d’importance.
Maezono — Hein ? Hein ? HEIN ? Quoi ? Ok, je vais être réglo à partir de maintenant !
Moi — C’est trop tard. Monsieur, pouvez-vous la faire sortir ?
Je pressai l’examinateur estomaqué, mais il donna une réponse inattendue.
— Êtes-vous vraiment sûr ? Comprenez-vous que votre camarade sera exclue. Pour éviter que ce genre de chose se produise, cet examen spécial fut hâtiv…
Le surveillant, qui n’aurait pas dû intervenir, se retint comme pour s’empêcher d’en dire plus. Comme un enfant, il couvrit sa bouche, essayant désespérément de couper le flux de parole. Il regarda la caméra et baissa légèrement la tête, comme pour excuser son impolitesse. Comme le témoignait sa panique, il semblerait que cette manière d’utiliser les règles n’avait pas été anticipée. À en juger par son claquement de langue qui en disait long, il aurait pu y avoir des circonstances spéciales dans cet examen de fin d’année. Les règles ne furent dévoilées qu’à la dernière minute aux élèves. Représentants et participants étaient complètement isolés et ne pouvaient échanger d’information. Et par-dessus tout, abordé de la bonne manière, personne n’aurait été expulsé, une mesure qui semblait trop indulgente. Mais mettons ce problème de côté pour l’instant. J’avais besoin de mettre à terme à cette situation.
Ayanokôji-kun. Souhaitez-vous reposer la question à Maezono ?
Etonnamment, j’avais une seconde chance. C’était gentil de leur part.
Moi — Je vois. Maezono, pourrais-tu retourner à ta place ? Il semblerait que je puisse reconsidérer la chose.
Maezono, bien qu’énervée, s’assit très vite. Que voulait-elle faire en me regardant avec cette rage assassine ? Elle n’avait pas l’air énervée contre elle-même. Si cela avait était Ryuuen ou Sakayanagi en face d’elle, elle aurait clairement avoué.
Moi — En fait, il y a une raison pour que je veuille t’expulser. Toute la classe savait que j’allais participer à cet examen en tant que général et tout ceci devait rester secret. Toutefois, la classe d’Ichinose fut au courant. Quel est ton avis ?
Maezono — C’est parce que…
Moi — Parce que quelqu’un a fait fuiter l’info. Et ce quelqu’un, c’était toi, hein ?
Il n’y avait aucun intérêt à mentir ici. Il était clair que si elle m’énervait, je pouvais ne pas reconsidérer son expulsion
Maezono — Oui, il se pourrait que…j’ai fait fuiter l’info. Mais je ne pensais pas que cela atteindrait la classe d’Ichinose ! Je te le jure !
Moi — Tu as révélé l’info à qui ?
Maezono — C’est… !
Moi — Dois-je mentionner que c’est quelqu’un en 1ère A ?
Réalisant que la classe avait déjà été identifiée, elle cria comme pour abandonner.
Maezono — Masayoshi ! Je l’ai dit à Masayoshi !
Moi — C’est ça, Hashimoto. Tu peux sortir avec qui tu veux, mais vous êtes dans des classes différentes. Il y a des limites à ne pas franchir, même si ton amour te dit le contraire. Tu n’es pas d’accord ?
Maezono — Je comprends, mais… mais cette information n’était même pas si importante ! Je ne sais même pas pourquoi Masayoshi l’a fait fuiter !
Du point de vue de Hashimoto, s’il devait choisir entre la victoire et la défaite de la classe de Horikita, il préférerait naturellement qu’elle perde. Si par chance j’arrivais en classe A, même si Sakayanagi se trouvait hors-jeu, son problème ne serait pas résolu.
Dans un tel cas il serait logique de penser que mes chances de transfert dans une autre classe seraient amoindries. Il avait probablement contacté les élèves de la classe D pour qu’ils se préparent mentalement pour le jour J.
Au moins, faire quelque chose comme ça, n’allait pas le mettre dans une position délicate.

Moi — Que ce soit important ou non, ce n’est pas à toi d’en décider. A minima, Horikita l’aurait considéré comme une information très importante.
Maezono — Désolée ! Ça se reproduira pas ! Je savais pas ! C’est la seule fois !
Moi — Ah, tu penses que c’était la seule fois ? Tu ne te rappelles pas avoir réuni quelques-uns de nos camarades pour diffuser des rumeurs à mon propos. Tu as trompé des gens de ta classe à la demande de Hashimoto, ai-je tort ?
Maezono — Euh…
C’était en fin d’année. Impossible d’oublier cette demande de Hashimoto.
Maezono — Ça, euh… Comment tu es au courant… ?
Moi — Ce n’est pas important pour le moment.
Maezono — Ok, OK, j’ai compris ! Je ne ferai plus jamais rien de tel !
Moi — Si Hashimoto te disait de trahir quelqu’un pour être avec lui, tu le ferais sans une once d’hésitation, je me trompe ?
Maezono — Je ne le ferais pas ! Il n’y a aucun moyen que je fasse ça !
Moi — J’ai bien peur de ne pas pouvoir te croire.
La leçon fut musclée. On pouvait considérer qu’elle allait réfléchir à deux fois.
Maezono — Je ne ferai plus rien !! Je t’ai tout dit alors pardonne-moi !
Moi — Tu as raison. Il n’y a plus rien à ajouter.
J’avais décidé de conclure la chose et regardai en direction de la caméra.
Moi — Mon jugement reste inchangé. Maezono est l’intrus.
Ainsi, je montrai qu’il n’y avait pas besoin de reconsidérer la situation.
Maezono — C’est pas juste ! Tu te prends pour qui au juste pour faire ça ?!
Moi — Les participants nient ou non être l’intrus et les représentants font leur choix ensuite. Rien de plus, rien de moins.
J’énonçai simplement que c’était les règles de l’interrogatoire.
…Maezono-san, veuillez quitter la pièce.
Malgré la seconde chance accordée par le staff, le jugement fut maintenant appliqué comme s’il ne pouvait pas perdre plus de temps. C’était une bonne chose de l’exclure, mais naturellement, Maezono refusa de partir.
Ayanokôji-kun a réussi à identifier l’intrus. Maezono-kun sera expulsée.
Alors que l’annonce retentit, Maezono cria.
Maezono — Non ! Je ne partirai pas avant de le revoir !
Moi — La seule chose que tu puisses espérer là c’est l’expulsion de Hashimoto. C’est peut-être le seul scénario où vous serez ensemble après ton départ.
Mais selon moi, ce futur était peu probable. Qu’Hashimoto soit expulsé ou non, il ne voyait probablement pas Maezono comme une partenaire potentielle. Il ne l’avait approché que pour gagner un avantage en vue du diplôme en classe A. S’il ne pouvait plus lui soutirer d’information, elle devenait inutile et il n’aurait plus eu de raison de la garder sous la main. Ce qui n’avait plus de valeur devait être évincé.
Maezono — Ramenez-le moi ! Ramenez-le-moi maintenant !
Que Maezono devait être expulsée ou non était questionnable. Lui expliquer qu’elle a été utilisée par Hashimoto n’aurait pas été trop difficile. La divulgation d’information devait être condamnée, mais cela ne méritait sans doute pas l’expulsion. Toutefois, pour moi, c’était pratique à bien des égards. Je ne faisais que faire bon usage de Maezono, un outil qui fut à portée de main. Ce n’était que ça.
Maezono — Je ne te le pardonnerai jamais !
Ignorant les cris continus de Maezono, je décidais de partir en premier. Alors qu’elle me poursuivait, elle fut arrêtée par des surveillants avant que la porte ne se ferme. Ichinose avait dû être au courant via l’annonce. La douce expression qu’elle arborait toujours était maintenant atténuée, comme s’il s’agissait d’une autre personne.
Ichinose — Ayanokôji-kun… pourquoi… pourquoi Maezono a été expulsée ?
En tant que représentante, elle avait dû comprendre ce qu’il s’était passé. Toutefois, elle avait été loin d’imaginer que cela allait finir comme ça.
Moi — Ah, elle a nié être l’intrus. J’ai conclu qu’elle mentait, alors voilà.
Ichinose — Mais, mais, tu le savais, n’est-ce-pas ? Pourquoi avoir fait ça ?
Moi — Pourquoi… ? J’avais dit que je voulais me débarrasser de ce système d’intrus. Maezono a donc été expulsée. C’est tout ce qu’il y a à savoir.
Si nous n’avions pas coopéré, les chances qu’Ichinose choisisse Maezono comme intrus auraient été très faibles. C’est pourquoi je l’avais laissé choisir l’intrus de sa classe. Elle n’avait eu d’autre choix que de me laisser choisir pour la mienne.
Moi — Nous avons tous les deux rempli notre part du marché. Tu as également gagné 50 points de classe. Tout est OK entre nous, non ? Naturellement, cela ne gênera pas le match sérieux qui va suivre.
Même si je n’avais pas tout expliqué, je n’avais rien fait qui causait du tort à sa classe. Je pouvais même dire que je leur avais accordé un avantage. Mais l’issue du match qui m’opposait à Ichinose était en train de changer. Elle aurait dû être heureuse qu’une expulsion dans la classe adverse arrive, or ce n’était pas le cas. Elle regretterait d’avoir involontairement contribué à l’expulsion de Maezono. De plus, elle avait même gagné des points de classe. Mais tout ça n’était que le début de ma stratégie qui allait permettre de me faire gagner
Moi — Merci Ichinose. Grâce à toi, j’ai pu facilement renvoyer l’outil défectueux.
« Tu es horrible ». Elle voulait prononcer ces mots, mais elle en était incapable. Parce qu’elle avait vraiment de l’affection pour moi, elle ne pouvait se résoudre à être rude. Le quatrième tour commença, mais comme nous avions décidé d’ignorer cette première discussion, on pouvait continuer à parler librement.
Moi — Il semblerait que nous ayons du temps avant la prochaine discussion, tu veux discuter ?
Ichinose — Discuter… ?
Ichinose ne pouvait pas sortir Maezono de sa tête, mais elle n’avait d’autre choix que d’avancer maintenant. Ce n’était pas suffisant pour la briser. Ichinose était vraiment devenue quelqu’un de redoutable. Dans cet examen spécial, avoir une seule spécialité n’était pas assez pour gagner. Ce n’était pas difficile d’imaginer comment les représentants de la classe d’Ichinose et de Horikita s’étaient battus jusqu’à présent. Ils devaient regarder attentivement chaque mot et action des alliés comme des ennemis à travers l’écran. Les changements subtils dans les expressions des camarades pouvaient être un indice important pour les représentants.
Bien sûr, il n’était pas possible de deviner sans. C’est pourquoi Horikita avait perçu la capacité d’observation d’Ichinose comme un atout écrasant. Horikita essuya ainsi une défaite claire. L’on pouvait dire la même chose pour le combat entre Ryuuen et Sakayanagi. Toutefois, se battre avec ce seul aspect en tête ne faisait pas tout pour viser la victoire. Les règles ne portaient pas sur la recherche des « élèves d’honneurs » et les « rôles clés ». Il était également possible de désigner des personnes dont ce n’était pas le rôle ou les pousser à l’autodestruction. Par conséquent, certains représentants auraient pu essayer de perturber mentalement les adversaires.
« Es-tu sûr que tu doives désigner ce participant ? » « N’est-il pas suspect ? » De tels mots prêtaient à confusion. Passer d’hésiter entre deux choses à trois augmentait la probabilité de faire une erreur. Pour des élèves qui n’avaient pas l’habitude d’être sous le feu des projecteurs, ces mots pouvaient avoir un effet déroutant. Cependant, pour des personnes comme Ryuuen, Sakayanagi et Ichinose, cela ne fonctionnait guère. Au contraire, ils pouvaient même être trop attentifs et observer des choses qu’ils n’auraient pas vues auparavant. Alors comment perturber ces leaders bien concentrés ?
La réponse se trouvait à l’extérieur de l’examen. Il était crucial d’ébranler leur esprit vif avec quelque chose qui n’avait rien à voir. Si le haut du corps était menacé, on prenait des mesures pour se protéger. Mais si les jambes étaient visées à la place, il allait naturellement être difficile de riposter.
Moi — Tu t’en souviens ? L’an passé, un incident mineur a eu lieu. Il a été révélé qu’une leader avait fait du vol à l’étalage dans sa jeunesse.
Ichinose — Tu parles de moi, c’est ça ?
Je l’emportai sans détour vu qu’elle n’avait toujours pas saisi la situation.
Moi — L’incident aurait résulté de ton excès de confiance envers Sakayanagi. Mais était-ce vraiment elle qui t’a exposée ?
Ichinose — Qu’est-ce que tu veux dire par là ?
Moi — Cette lettre d’accusation…n’as-tu jamais soupçonné quelqu’un d’autre ?
Ichinose devint silencieuse, sans doute pour se remémorer.
Moi — Avant ça, quelques rumeurs désagréables sur toi commençaient à se propager. Elles portaient sur la violence, des rencards rémunérés[1] et du vol. Tu pensais que c’était Sakayanagi la responsable, mais il y avait beaucoup de mensonges dans ces rumeurs, alors tu avais pu supporter la situation.
Ichinose avait l’air abattu, mais je n’hésitai pas à continuer.
Moi — Et si j’avais travaillé en coulisses pour porter ce coup fatal ? Et si c’était moi qui avais mis cette lettre pour te briser mentalement et forcer ta confession ?
Ichinose — Qu’est-ce que tu dis… ?
Même si je l’expliquais clairement, Ichinose semblait incapable de comprendre ce que cela impliquait. Ce n’était pas surprenant. Ce n’était pas seulement Ichinose, mais tous les élèves qui pensaient que cela venait de Sakayanagi. Utilisant Kiriyama pour diffuser de manière évidente des rumeurs sur d’autres classes autre que la classe A.
Moi — Tu pourrais penser que c’est une mauvaise blague, mais qu’est-ce qui te prouve que je mens ?
Je croisai les jambes et questionnai Ichinose, qui avait construit une forte barrière protectrice au cours du temps. Durant les derniers mois, elle avait opéré un changement de mentalité unique. Cela lui avait octroyé une sorte d’impassibilité, lui permettant de bien progresser dans l’examen. Toutefois, une des raisons à cela était ma présence.
Qu’allait-il se passer si cette présence était bien plus cruelle qu’elle ne le pensait ? Qu’il s’agissait d’une personne qui pouvait trahir sans hésitation et expulser des personnes froidement comme Maezono ?
Ichinose — Mais… Ayanokôji-kun… Tu ne tirerais aucun bénéfice en faisant ce que tu as fait là…
Moi — Ce n’est pas vrai… À ce stade, Sakayanagi t’aurait seulement averti personnellement et utilisé cette information pour faire un peu de chantage plus tard. Toutefois, en m’impliquant à ce moment-là, je pouvais supprimer cette possibilité. En t’aidant, ma crédibilité a inévitablement augmenté. Peu importe comment tu vois les choses, j’ai suffisamment bénéficié de cette action.
Ichinose — Je ne peux pas y croire…
Moi — Je comprends, mais c’est la vérité. Si tu le souhaites, demande à Sakayanagi après la fin de l’examen. Raconte-lui tout, elle devrait te donner une réponse honnête.
Il ne restait plus qu’à bien finir.
Moi — Toutes mes actions avec toi avaient des arrière-pensées. Même durant l’examen de l’île déserte et le voyage scolaire, je n’ai agi que dans mon propre intérêt. Je n’ai fait que t’utiliser. Et cette promesse…
Ichinose ne savait plus ce qui était vrai, même les mots qui avaient été confirmés sur le banc juste avant l’examen. La promesse avait sans doute existé, mais il n’y avait plus rien à croire. La première discussion touchait à sa fin, et la pause prit fin.
Représentants, veuillez choisir un nouveau groupe
J’avais choisi un groupe adapté. Ichinose utilisa aussi sa tablette, bien que tardivement, mais son expression était vide. On ne pouvait rien y faire. L’examen spécial avait été relégué au second plan. Les ténèbres dans lesquels elle fut tirée étaient profonds. Même l’expulsion de Maezono semblait être un passé lointain, presque obscur.
L’homme devant elle n’était pas un allié, ce n’était pas quelqu’un de compréhensif. Plus la personne était rationnelle, plus elle était tirée dans les ténèbres.
Je remis la chaise à son emplacement d’origine. La lumière et la vitalité qu’avait Ichinose en regardant l’écran avaient disparu. Même en regardant l’écran, la conversation était profondément ancrée dans son esprit.
La vérité et le mensonge. Même si elle ne voulait pas y penser, elle ne pouvait rien y faire. Même en mettant des mots sur leurs pensées, les humains n’étaient pas des créatures qui pouvaient facilement se vider l’esprit.
Plus elle essayait de se concentrer sur l’examen, plus les pensées parasites prenaient de la place. Parfois, son esprit devait même paraître vide. Sa vision lui permettait de voir l’écran, et son ouïe était toujours fonctionnelle. Pourtant, l’information n’atteignait pas le cerveau.
Ce n’était pas de la magie, mais tout simplement structurel. C’est le mécanisme du corps humain. Son rythme cardiaque et sa pression sanguine avaient augmenté, et ses vaisseaux sanguins périphériques s’étaient contractés. Ses pupilles dilatées réduisaient son champ de vision.
Par conséquent, le fonctionnement du cortex préfrontal, responsable du raisonnement, refusa d’accomplir sa tâche. Récupérer après cet état n’était pas une mince affaire sous de telles circonstances.
Après cela, c’était simple. J’observai tranquillement la discussion et identifia les « élèves d’honneur ». Mon adversaire n’avait plus de joker et l’examen continua son cours. Le moment fatidique arriva très rapidement.
Ayanokôji-kun a identifié l’élève d’honneur. Ichinose-san perd donc 3 vies. Cela ramène son nombre à 0. Ichinose-san est vaincue et est priée de quitter la salle.
Sans faire face à une difficulté particulière, la classe de Horikita avait sécurisé une victoire majeure.
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[1] Enjo kôsai 援助交際, signifiant « sortie pour soutenir ». C’est une pratique japonaise où des adolescentes, surtout lycéennes, sont payées par des hommes plus âgés pour les accompagner (escort girl) et parfois pour se prostituer.