THE TOO-PERFECT SAINT T4 - CHAPITRE 4

Un remède à la maladie incurable

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Traduction : Calumi
Harmonisation : Opale
Relecture : Raitei

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— Vous voulez retourner à Parnacorta ? Vous ne vous arrêtez jamais, n’est-ce pas ?

Après avoir entendu mon projet, Erza accepta de m’aider, non sans un sourire embarrassé.

— Je suis désolée, dis-je. — J’ai besoin de l’autorisation du prince Reichardt avant de pouvoir rechercher la Fleur des Larmes de Lune.

— Allons, ce n’est rien. Après tout, c’est seulement l’énergie de Mammon que vous épuisez.

— Écoute-toi, grande sœur Erza ! Je savais bien que tu ne me voyais que comme un simple moyen d’arriver à tes fins !

— En réalité, je te vois plutôt comme un esclave.

— Comment peux-tu être aussi cruelle ?

Mammon prit un air scandalisé devant l’attitude d’Erza. En les observant se chamailler comme à leur habitude, j’eus presque envie de rire. Pourtant, j’étais sincèrement reconnaissante de pouvoir utiliser la porte de téléportation de Mammon. Sans son aide, il me serait impossible de voyager aussi aisément d’un royaume à l’autre.

Mammon concentra son pouvoir magique, et une porte richement ouvragée, au charme sinistre, se matérialisa devant nous.

— Voilà. Je suis toujours ravi d’exaucer les souhaits d’une belle demoiselle, cela fait partie de mon service. Considère cela comme un cadeau de mariage. Tu peux l’utiliser autant que tu le désires.

— Je vous remercie infiniment.

— Pardon pour la gêne occasionnée, Mammon.

— Vous souhaitez tous deux apparaître devant le palais royal ?

— Oui. Ce serait parfait.

En un instant, nous nous retrouvâmes devant le palais royal de Parnacorta. Nous nous y dirigeâmes aussitôt.

— Oh, prince Osvalt. Et vous avez amené Dame Philia avec vous.

— Pardonnez cette visite impromptue. Où se trouve mon frère ?

— Le prince Reichardt est actuellement dans son bureau.

Nous demandâmes à un serviteur du palais où se trouvait Son Altesse, puis nous nous y rendîmes sans tarder. Lorsque nous atteignîmes son bureau, on nous laissa entrer sans attendre.

Le prince Reichardt leva les yeux de son travail.

— Osvalt, Dame Philia ? Que se passe-t-il ? Votre mine ne me plait gère.

— Mon frère, la vérité, c’est que Philia souhaite te demander une faveur…

— Une faveur ? De la part de Dame Philia ? Voilà qui n’arrive pas tous les jours. Asseyez-vous donc.

Après avoir écouté Osvalt, le prince Reichardt nous invita à prendre place sur le sofa de son bureau. Nous obéîmes.

  • Très bien. Dame Philia, quelle faveur désirez-vous me demander ?

— Prince Reichardt, je suis venue aujourd’hui pour vous demander la permission d’entrer dans la zone interdite.

Ma demande suscita un regard méfiant.

— Pardonnez-moi, voulez-vous dire la Zone des Miasmes Volcaniques ? Qu’est-ce qui vous prend ?

Je compris sa confusion. Qui ne serait pas perplexe, après tout, à qui l’on demandait l’autorisation d’entrer dans une zone proscrite sans aucun avertissement préalable ?

— Le fait est que je veux créer un remède contre le germe du démon…

Je lui racontai tout ce qui s’était passé jusque-là, y compris ma raison de vouloir m’aventurer dans la Zone des Miasmes Volcaniques à la recherche de la Fleur des Larmes de Lune.

— …et c’est pourquoi je souhaiterais que vous m’accordiez la permission d’entrer.

Le prince Reichardt écouta mon récit en silence, le visage sévère. Il ne donnait assurément pas l’air d’être enclin à accepter.

— Des Fleurs des Larmes de Lune pourraient pousser en cet endroit désolé ? Intrigant.

— Votre Altesse…

— Dame Philia, j’ai quelques mots à vous dire. Mais d’abord, Osvalt. Il est inacceptable que tu n’essayes pas de l’en empêcher. En tant que fiancé, c’est à toi qu’il incombe d’empêcher de telles décisions irréfléchies. As-tu oublié que tu es membre de la famille royale ?

— Pardonne-moi, mon frère.

Osvalt inclina la tête, mais le prince Reichardt poursuivit sa remontrance d’un ton sévère.

— Cesse d’agir avec tant d’insouciance. Je sais que le pouvoir politique ne t’intéresse pas, mais, en tant que membre de la royauté, tu as tout de même le devoir de protéger nos sujets.

Osvalt se tut.

— Dame Philia est la Sainte de Parnacorta. Si un mal lui arrivait, tout le pays en pâtirait. Tu es son fiancé, Osvalt, tu dois être prêt à risquer ta vie pour la protéger. Ne me force pas à répéter cela.

— Agh…

Osvalt tenta de répondre, mais tout ce qui sortit de sa bouche fut un gémissement.

En réalité, il avait fait de son mieux pour m’en dissuader, mais il lui semblait noble de s’abstenir de chercher des excuses. Aussi appréciée que fût sa délicatesse, je ne pus pourtant m’empêcher d’ouvrir la bouche.

— Prince Reichardt, dis-je, — Osvalt a essayé de m’en empêcher. Je l’ai forcé égoïstement à se plier à ma volonté.

— J’en suis conscient, Dame Philia, mais au bout du compte, mon frère n’a pas su tempérer votre témérité. Autrement dit, il ne vous a pas arrêtée du tout. C’est honteux. Suivre son cœur est une chose, mais je ne m’attendais pas à voir mon frère mettre quelqu’un qu’il aime en danger de mort.

Son Altesse se tourna de nouveau vers Osvalt, visiblement exaspérée. Elle laissa échapper un petit soupir.

— Osvalt, as-tu oublié ce qui m’est arrivé lorsque j’ai perdu Elizabeth ? Tu vivras la même chose si tu perds Dame Philia. Veux-tu finir comme moi ?

— B-bien sûr que non ! J’aime Philia. Je veux un avenir avec elle !

— Alors place sa vie au-dessus de tout ! Parfois, aimer quelqu’un signifie prendre des décisions contraires à sa volonté, même si cela la contrarie ! Si tu refuses de le faire, un jour tu commettras une erreur fatale !

La réprimande du prince Reichardt réduisit Osvalt au silence. Puis Son Altesse se tourna de nouveau vers moi. Son regard n’était plus aussi perçant. Il y brillait même une certaine douceur.

— Dame Philia, je comprends ce que vous ressentez. Je plains votre père, moi aussi. Néanmoins, tout cela n’a aucun sens. Pourquoi vouloir vous jeter dans la gueule du loup ? Si vous veniez à perdre la vie, d’innombrables personnes en seraient affligées. Votre existence n’a pas de prix.

— P… Prince Reichardt…

À ma grande surprise, ses paroles réchauffèrent mon cœur. Il était un homme si bon et si attentionné. Combien d’épreuves avait-il dû endurer pour son pays depuis la mort de Dame Elizabeth ? Je n’osais l’imaginer.

— Dame Philia. Je crois que vous ne mesurez pas à quel point les gens vous chérissent.

— Si, je le sais. Tout le monde ici a été si bienveillant envers moi.

— Non, vous ne le savez pas. Dame Philia, vous êtes la Sainte de notre royaume et la future épouse de notre second prince. Et, comme si cela ne suffisait pas, vous êtes une Sainte Salvatrice. Une personne aussi éminente que vous n’a aucune raison d’aller se jeter dans une zone aussi dangereuse.

Son Altesse avait sans doute raison. Cette fois, je n’avais pensé qu’à mon idée obstinée. En y réfléchissant posément, je voyais bien la justesse de son raisonnement.

Je ne pouvais pas permettre que mes sentiments personnels plongent le pays dans le désordre. Ce serait impardonnable pour une Sainte. Protéger la paix du royaume faisait partie de mon devoir. Je le savais depuis la première réprimande de ma mère.

Et pourtant…

— Prince Reichardt. Je ne peux toujours pas renoncer. Je suis prête à tout pour trouver un remède à la maladie qui a emporté mon père et Dame Elizabeth.

— Dame Philia…

— Je vous en supplie, Prince Reichardt.

Je me levai et m’inclinai profondément.

— Permettez-moi d’entrer dans la Zone des Miasmes Volcaniques.

— Relevez-vous, Dame Philia, répondit le prince Reichardt d’un ton troublé. — Je n’arrive pas à comprendre. Pourquoi quelqu’un comme vous, toujours si rationnelle, irait-elle à de telles extrémités pour trouver un remède ? Je comprends vos sentiments, mais si vous veniez à perdre la vie, votre sœur et mon frère seraient accablés de chagrin.

— J’apprécie votre sollicitude, Prince Reichardt, mais je vous jure que je ne mourrai pas. Je vous promets de revenir saine et sauve.

Ma déclaration fut accueillie par le silence. Je soutins sans ciller le regard ambré et brillant du prince Reichardt.

J’avais beau tenter d’adoucir la vérité, je demeurais égoïste, et je savais bien que mon projet n’avait rien de raisonnable. Et pourtant, c’était une chose à laquelle je ne pouvais tout simplement pas renoncer.

— Mon frère. Philia hait cette maudite maladie qui a pris la vie d’Elizabeth. C’est pour cela qu’elle cherche un remède.

— Osvalt…

— Essayez de voir les choses de son point de vue.

Le prince Reichardt resta silencieux, visiblement à court d’arguments. Sans aucun doute, il voulait encore m’en dissuader.

— Je me souviens de ce que tu as traversé à l’époque comme si c’était hier. Tu as perdu la femme que tu aimais, tu as été consumé par le chagrin, et plus rien ne t’importait. Je n’ai rien pu faire pour t’aider.

Le prince Reichardt ne répondit pas.

— Mais aujourd’hui, c’est différent. Philia peut te libérer des regrets que tu portes encore, mon frère.

Osvalt m’adressa un sourire qui se voulait rassurant, puis se tourna vers le prince Reichardt.

— S’il y avait eu une chance de guérir la maladie d’Elizabeth, n’aurais-tu pas risqué ta vie pour la sauver, quitte à tourner le dos à tes responsabilités de prince héritier ?

— Osvalt, ne…

— Tu aimais Elizabeth à ce point. Tu aurais tout fait pour la sauver, mais tu n’as pas pu. C’est cette impuissance qui t’a plongé dans le désespoir, n’est-ce pas ?

Le prince Reichardt ne répondit toujours pas. Osvalt avait sans doute visé juste.

— Hahhh…

Son Altesse resta un moment plongée dans ses pensées, puis poussa un léger soupir. Elle leva vers moi un regard empreint de résignation.

— Comme si un frère encombrant ne suffisait pas, voilà que je me retrouve avec une belle-sœur tout aussi pénible.

Le prince Reichardt esquissa un sourire forcé.

— Mais, Dame Philia, je veux que vous continuiez à me causer autant de tracas que possible. Si nous vous perdons, je passerai à la postérité comme le prince idiot qui vous aura laissée vous faire tuer.

— Mon frère !

— Merci, Prince Reichardt !

Je perçus une pointe de bonheur dans le sourire résigné du prince Reichardt C’était, pour ainsi dire, le dénouement que j’espérais. J’avais soupçonné qu’il portait encore en lui des sentiments inachevés envers Elizabeth.

— Inutile de vous incliner. Je n’ai jamais rien fait d’aussi irréfléchi, mais soit… Philia Adenauer, je vous accorde, à vous et à votre sœur Mia Adenauer, Sainte de Girtonia, la permission d’entrer dans la Zone des Miasmes Volcaniques.

Le ton du prince Reichardt resta strictement formel, mais son expression, elle, était plus douce et bienveillante que celle de quiconque.

Grâce à l’aide d’Osvalt, j’avais fini par le convaincre et obtenir l’autorisation d’entrer dans la Zone des Miasmes Volcaniques.

 

***

 

— Eh bien, nous avons réussi à obtenir l’approbation de mon frère.

— Oui. Je suis sûr que Mia reviendra elle aussi avec le feu vert. Il ne nous reste plus qu’à attendre.

Après avoir reçu la permission du prince Reichardt, Osvalt et moi retournâmes aussitôt au manoir de Mère.

Mia n’était pas encore rentrée du palais royal de Girtonia, et ce fut donc Mère qui nous accueillit.

 

 

— Quelque chose me dit que le prince Reichardt t’a donné son accord, dit-elle.

Nos visages avaient dû la trahir avant même que nous ayons le temps d’expliquer.

— Je suis désolée, Mère.

— Ne t’excuse pas, Philia. C’était ta décision. De toute façon, je ne peux plus t’arrêter maintenant, n’est-ce pas ? Dès que Mia reviendra, je vous dirai tout ce que je sais.

— Très bien. Merci.

On nous conduisit dans le salon pour patienter. Après plusieurs heures à attendre en buvant du thé, Mia finit enfin par revenir.

— Coucou, Philia ! Obtenir l’autorisation a été un jeu d’enfant ! Enfin, le prince Fernand avait l’air un peu contrarié, mais quand je lui ai dit que j’annulerais nos fiançailles s’il refusait, il a fini par accepter à contrecœur.

— Mia ! Comment as-tu pu lui faire ça ?

— Ce n’est pas bien grave. Après tout, nous n’avons pas de temps à perdre. Qui sait combien de jours il m’aurait fallu pour le convaincre avec des arguments raisonnables ?

Mia ne montrait pas la moindre trace de remords. Elle semblait même parfaitement sereine. Cette fille était décidément unique.

Néanmoins, grâce à elle, nous avions obtenu l’autorisation des royaumes de Girtonia et de Parnacorta.

— Mia n’a pas tort, Philia, fit remarquer Osvalt. — Même si je plains le prince Fernand, nous avons désormais toutes les autorisations nécessaires. Elle pourra toujours s’excuser une fois revenue saine et sauve, non ?

— Vous avez raison, dis-je. — Il nous faut maintenant recueillir les informations auprès de Mère et préparer notre expédition dans la Zone des Miasmes Volcaniques.

Je lançai un regard à Mère, cherchant à deviner sa réaction. Elle s’assit face à Mia et moi.

— Philia, Mia, écoutez-moi attentivement. Comme je vous l’ai déjà dit, la Zone Volcanique est constamment secouée par des phénomènes semblables à des explosions magiques. Le seul moyen de vous protéger est d’utiliser une défense magique.

— Entendu, Mère.

— Si vous sentez qu’une explosion approche, vous devez immédiatement ériger une barrière magique pour vous protéger.

Les recommandations de Mère semblaient simples, mais les mettre en pratique serait extrêmement difficile. Les explosions étaient incessantes, il faudrait donc rester en alerte en permanence. Même Mère s’était déjà laissée surprendre par le passé.

— Voulez-vous vous exercer un peu avant de partir ? Cela ne rendra pas vos barrières plus puissantes, mais au moins vous saurez à quoi vous attendre.

— Ce serait parfait.

— Très bien, dit Mia. — Donnons le meilleur de nous-mêmes, Philia !

 

Après cela, Mia et moi nous entraînâmes à maîtriser notre magie et à lancer des sorts destinés à affiner nos sens. Cet entraînement exténuant me rappela mes débuts aux côtés de Mère, mais nous fîmes de notre mieux pour tenir le rythme.

— Hah… hah… Comment puis-je être aussi épuisée ? Nous n’avons même pas encore mis les pieds dans la Zone des Miames.

— Tu as raison, dis-je. — Je suis un peu fatiguée. Reposons-nous jusqu’à l’aube.

— O…oui… Bonne idée.

Complètement épuisée, Mia acquiesça et vacilla en entrant.

— J’avais entendu dire que Dame Hilda avait la main lourde sur l’entraînement, remarqua Osvalt, — Mais c’était au-delà de tout ce que j’aurais pu imaginer.

— Vous nous avez observées tout le temps, n’est-ce pas, Osvalt ? Je vous avais pourtant dit de vous reposer.

— Ne sois pas ridicule. Comment aurais-je pu me reposer pendant que tu travaillais si dur ?

Osvalt nous avait surveillées tout au long de l’entraînement. Il était vraiment quelqu’un de bon. Sa bienveillance et sa tranquillité m’avait donné un courage inestimable.

— Philia Adenauer, la plus grande Sainte de l’Histoire. Je croyais que vous étiez un génie né, mais je me trompais. Vous avez simplement été malmenée depuis l’enfance.

Erza s’approcha, l’air stupéfaite. Elle avait dû nous observer elle aussi.

— Les exorcistes ne subissent-ils pas eux aussi un entraînement rigoureux ? demandai-je.

— Bien sûr que si. Un entraînement intense, mais normal. Les exercices que votre maître vous fait subir dépassent tout ce que j’ai vu.

— Vraiment ?

En effet, l’entraînement de Mère était plus sévère que jamais. Pourtant, maintenant que j’en comprenais les véritables intentions et que je m’y consacrais de tout mon cœur, son amour m’était devenu palpable. Recevoir à nouveau les enseignements de ma mère après si longtemps me remplissait de joie.

— Quoi qu’il en soit, dit Erza, — Il se fait tard. Vous partez toujours à l’aube ?

— Oui. Je veux commencer immédiatement la recherche de la Fleur des Larmes de Lune. Il paraît qu’il y a moins d’explosions le matin.

Il serait difficile de cueillir cette plante insaisissable avec toutes ces détonations autour de moi, mais j’étais déterminée à y parvenir.

Mia avait proposé de m’aider et Osvalt était prêt à risquer sa vie pour moi. Si je renonçais maintenant, tous nos efforts auraient été vains. C’était la seule chose que je devais éviter à tout prix.

— J’ai une idée, dit Erza. — Je demanderai à Mammon de vous conduire aussi près que possible de la zone. C’est un démon, je doute que les explosions l’affectent beaucoup.

— N’en sois pas si sûre. Je suis robuste, mais il y a une limite au nombre d’explosions que je peux encaisser.

— Quel dommage. Tu finiras donc par mourir.

— Quelle froideur !

Malgré sa nature démoniaque, même Mammon se méfiait de la Zone des Miasmes Volcaniques. Il était incroyablement résistant, il pouvait même survivre à une décapitation, mais pas à une pluie d’explosions magiques. Cela ne rendait pas son aide moins précieuse. Comme toujours, son portail de téléportation serait d’un grand secours.

— J’aimerais que vous nous déposiez à l’extérieur de la zone de danger, Mammon, dis-je. — Je ne peux pas vous laisser prendre de risque.

— Je savais que tu dirais ça, Petite Philia. Contrairement à ma grande sœur, toi, au moins, tu as du cœur.

— Avant de partir, Philia, dit Osvalt, — Tu devrais te reposer un peu. Tu dois être exténuée.

— Vous avez raison. Je vais faire une courte sieste pour être en pleine forme.

Je rentrai précipitamment. Mia devait être épuisée, elle aussi, car je la trouvai profondément endormie sur le canapé. Elle n’avait même pas eu la force de regagner sa chambre.

Quand je me réveillai après une heure de sommeil, Osvalt, qui était apparemment resté éveillé tout ce temps, m’accueillit.

— Tu es déjà debout ? Nous avons encore beaucoup de temps devant nous.

Je soupçonnais qu’il avait plus besoin de dormir que moi, mais il affirma qu’il ne pouvait se permettre de se reposer pendant que je me donnais autant de mal.

— J’ai appris à récupérer efficacement, expliquai-je. — Ce peu de sommeil me suffira.

— Je vois. Je suppose que je n’ai plus qu’à te croire sur parole.

Osvalt serra les dents. On aurait dit qu’il voulait dire quelque chose, mais qu’il se retenait. Était-il encore tourmenté à l’idée que je me jetais dans la gueule du loup sans me soucier de ma propre vie ?

Je m’inclinai, pleine de remords.

— Je suis désolée de me montrer aussi incroyablement égoïste.

Je ne savais plus combien de fois je m’étais déjà excusée. Aucune révérence, aussi sincère soit-elle, ne suffirait jamais à compenser mes actes, mais je ne pouvais m’en empêcher.

— Allons, Philia, dit Osvalt, soudain pris de panique en me voyant m’incliner. — Redresse-toi. Je ne m’oppose plus à ta décision. Si c’était le cas, je ne me serais pas donné la peine de convaincre mon frère.

— Osvalt ?

Je relevai la tête et le trouvai plongé dans un trouble visible.

— Malgré tout, je ne peux pas te dire à quel point je me sens impuissant. La femme que j’aime s’apprête à risquer sa vie, et tout ce que je peux faire, c’est prier, dit-il en laissant échapper ses véritables sentiments.

Je ne comprenais pas cette frustration. Il avait accepté mon comportement obstiné et égocentrique, et même aidé à rallier le prince Reichardt à ma cause. Pourquoi, après tout ce qu’il avait fait, se sentait-il encore inutile ?

— Écoutez-moi, Osvalt. Pour être franche, cela m’a rendue heureuse que vous ayez voulu m’arrêter avec autant d’insistance. À ce moment-là, j’ai senti votre amour.

— Philia ?

— J’étais heureuse aussi lorsque vous avez dit vouloir m’aider à convaincre le prince Reichardt. J’ai vu à quel point vous teniez à moi. Maintenant, je sais que je ne peux plus vivre sans vous.

Ces paroles égoïstes risquaient de le bouleverser, mais je devais les dire. Je voulais qu’il comprenne à quel point j’avais besoin de lui.

— Osvalt, repris-je, déversant toute ma gratitude dans mes mots, — Vous rencontrer a été la plus grande bénédiction de ma vie, et être aimée de vous est le plus prodigieux des miracles. Je vous en suis infiniment reconnaissante. En cet instant, je suis vraiment heureuse.

Osvalt resta figé, les yeux écarquillés. Peu à peu, son visage vira au rouge vif, et ses oreilles ne tardèrent pas à prendre la même teinte.

— Qu… qu’y a t’-il ?

— Tu peux être d’une franchise désarmante. C’en est adorable.

— Qu… qu’entendez-vous par là ?

— Veux-tu que je t’explique ?

— Mais je ne comprends pas…

On m’avait toujours dit que je manquais de charme, mais de temps à autre, Osvalt prononçait ce genre de phrases qui me laissaient désemparée. Je ne savais pourquoi, mais ses mots faisaient soudain bouillonner tout mon corps de chaleur.

Il me serra alors dans ses bras avec une force douce et rassurante, comme s’il refusait de me lâcher.

— Je rends grâce au miracle qui me permet de te tenir ainsi, Philia.

— Oh, Osvalt…

— S’il te plaît, ne meurs pas, murmura-t-il d’une voix brisée. — Je ne crois pas que je pourrais supporter un monde où je ne pourrais plus te toucher.

Je ressentais la même chose. Sans sa chaleur, j’aurais renoncé depuis longtemps.

— Ne vous inquiétez pas. Je reviendrai vivante, la Fleur des Larmes de Lune en main. Je ne supporterais pas de mourir avant de pouvoir vous épouser, Osvalt.

— Cela me rappelle que j’ai hâte de te voir dans ta robe de mariée, Philia.

— Oh, Osvalt…

Je me mis à rire. Nous nous regardâmes dans les yeux et échangeâmes un sourire. Puis nous nous installâmes autour d’une théière remplie thé noir, attendant que Mia se réveille.

 

— Bonjour, Philia. Bonjour, prince Osvalt.

Dès que Mia ouvrit les yeux, nous nous préparâmes à partir. Nous avions peu de bagages, si bien que cela ne prit pas longtemps.

— Il y a de fortes chances que vous reveniez les mains vides, mais vous êtes mes deux meilleures élèves. Vous devez revenir vivantes. Si vous sentez le moindre danger, faites demi-tour. Je vous attendrai.

Telles furent les paroles d’adieu de Mère. Ses yeux humides étaient emplis d’une tendresse que je ne lui avais jamais connue. Elle devait retenir ses larmes.

— Ce sont des larmes, Mère ?

— Mia !

Surprise par sa franchise, je tournai la tête vers ma sœur. Malgré la gravité du moment, elle arborait son éternel sourire espiègle.

— Oui, Mia. L’idée que tu reviennes sans pouvoir reprendre un entraînement digne de ce nom m’a presque fait pleurer.

Un instant, Mère nous lança un regard glacial. Rien n’était plus terrifiant que l’aura d’autorité qui se dégageait d’elle.

— Ouf… Je voulais juste détendre l’atmosphère, mais maintenant je ne suis même plus sûre de survivre à ce qui m’attendra à mon retour…

— Fais attention à avec qui tu plaisantes.

— Hé hé, clairement. Dans ce cas, je suppose que je n’ai plus qu’à revenir vivante pour apprendre de mon erreur, répondit Mia d’un ton léger, affichant un sourire radieux.

La voir fidèle à elle-même me rassura profondément.

— Eh bien, eh bien, dit Erza en s’avançant aux côtés de Mammon, — La Sainte salvatrice et sa sœur s’apprêtent à risquer leur vie, et pourtant elles restent d’un calme remarquable. Peut-être seriez-vous plus faites pour être exorcistes que Saintes.

— Philia la calme et Mia la charmante, deux trésors, conclut Mammon. Sur ce, êtes-vous prêtes à ce que j’ouvre le portail ?

Après les paroles d’Erza saluant notre sang-froid, Mammon concentra la magie dans son corps et posa la question essentielle.

L’heure était enfin venue de se rendre dans la Zone des Miasmes Volcaniques pour cueillir la Fleur des Larmes de Lune.

— Oui. Je suis prête. Quand vous voulez.

— Comme Philia, je suis fin prête.

Nous acquiesçâmes toutes deux et posâmes les yeux sur Mammon.

À notre signal, il libéra sa magie, et une grande porte ornée de sinistres arabesques apparut devant nous.

— Philia ! Garde la foi. Je t’attendrai ! Et Dame Mia, prenez soin de Philia pour moi !

Le cri rassurant de Osvalt me remplit d’énergie. Nous lui répondîmes d’une voix pleine d’assurance.

— Merci infiniment, Osvalt. Je vous promets de revenir vivante !

— Ne vous en faites pas, prince Osvalt ! Je ne laisserai jamais Philia mourir !

Je n’avais plus peur de rien. Je pouvais affirmer avec certitude que j’étais prête pour cette expédition, corps et âme.

— Maintenant que tu as dit adieu à ton mari, dit Mammon, — J’ai relié la porte à l’endroit que tu souhaitais.

Mammon ouvrit le portail et nous fit signe d’entrer.

— Prêtes ?

— Oui. On va y arriver, Philia.

Mia et moi échangeâmes un regard, acquiesçâmes d’un même mouvement, puis franchîmes la porte.

L’espace d’un instant, tout devint noir, puis, aussi brusquement, nous nous retrouvâmes face à un paysage morne et désolé.

 

***

 

Dès que nous eûmes traversé le portail, Mammon observa les environs.

— Nous devons être à la lisière de la zone volcanique. L’air est encore plus lourd.

Je me sentais oppressée. C’était sans doute la densité étrange de l’atmosphère qui pesait sur nous.

— Vous n’avez pas besoin d’attendre ici, Mammon, dis-je. — Nous amener jusqu’ici est déjà bien suffisant.

Erza lui avait ordonné de nous attendre, mais je n’aimais guère cette idée. Même si nous étions à l’extérieur de la zone de danger, mieux valait rester prudents.

— J’apprécie l’inquiétude, mais tu n’as pas à t’en faire Petite Philia. Un petit contretemps ne me fera pas peur. Après tout, je suis du genre à ne pas broncher quand on m’arrache la tête. Et puis, si je ne vous ramène pas toutes les deux entières, grande sœur Erza me tuera.

Avec un sourire narquois, Mammon s’assit sur un rocher voisin. Il semblait bien décidé à attendre notre retour.

— Je ne savais pas que Mammon était si loyal, dit Mia.

Cette remarque tira à Mammon des larmes de crocodile.

— Qu’est-ce que tu racontes, Petite Mia ? Quand je fais une promesse à une belle femme, je la tiens coûte que coûte, même si ma vie en dépend.

Lorsqu’il vivait à mon manoir, Mammon passait ses journées sous sa forme féline pour nous divertir, et il se pliait toujours de bonne grâce aux exigences les plus absurdes d’Erza. Finalement, sa volonté de rester ne m’étonnait pas tant.

— Très bien, Mammon. Nous reviendrons, je te le promets. Attends-nous ici.

— Entendu. Prenez tout votre temps. Nous, les démons, sommes bien plus patients que les humains.

Je lui adressai un léger signe de tête, puis me tournai vers la zone volcanique. Des explosions résonnaient sans discontinuer à travers l’air brûlant.

— Une fois dans la zone de danger, il faudra rester concentrées. Garde tous tes sens en alerte, jusqu’au bout des doigts.

— Oui, je sais, Philia.

Nous nous regardâmes et acquiesçâmes une dernière fois avant d’avancer d’un pas résolu vers notre destination. Dans quelques minutes à peine, nous serions en danger constant, et il nous fallait garder toute notre concentration.

— Nous n’aurons pas vraiment le loisir de bavarder là-dedans, dit Mia, — Alors je préfère le dire maintenant… Je suis vraiment heureuse d’être à tes côtés, Philia, et de marcher vers le même but que toi.

— Vraiment, Mia ?

— Je ne veux pas te mettre mal à l’aise, mais tu m’as sauvé la vie, et tu as toujours été mon modèle. C’est la seule façon que j’ai trouvée pour te rendre un peu de ce que je te dois.

L’aveu de Mia me prit au dépourvu. Je n’avais jamais songé qu’elle voyait les choses ainsi. J’étais consciente de mettre ma vie en jeu de manière téméraire, mais je n’avais pas imaginé qu’elle puisse considérer cela d’un œil positif. Pourtant, Mia n’aurait jamais plaisanté sur un sujet aussi grave. Je savais qu’elle disait vrai.

— Philia, reprit-elle, — Je serai toujours de ton côté, quoi qu’il arrive.

— Merci. Tu sais, le simple fait de savoir que j’ai ton soutien m’a sauvée d’innombrables fois. Tu n’as pas besoin de me rendre quoi que ce soit.

— Peut-être, mais malgré tout, je veux continuer à rester près de toi.

Mia s’étira, puis tourna la tête vers moi avec un sourire bien serein. Ce sourire avait apporté espoir et réconfort à tant de gens en Girtonia, et il m’avait sauvée, moi aussi, plus de fois que je ne saurais le dire.

Malgré l’angoisse qui accompagnait notre marche vers le danger, le charme indomptable de Mia emplissait mon cœur de courage.

— Je ne mérite pas une sœur aussi merveilleuse que toi, dis-je.

— Ne dis pas de bêtises. Mon admiration pour toi ne changera jamais, Philia.

— Je suis si heureuse que tu sois venue avec moi.

Après avoir répondu aux paroles bienveillantes de ma sœur, je reportai toute mon attention sur ce qui nous attendait. Nous venions d’entrer dans la zone interdite.

À partir de maintenant, la moindre erreur d’inattention pouvait nous coûter la vie.

Nous échangeâmes un dernier signe de tête silencieux, puis reprîmes notre route.

 

— C’est bien plus éprouvant que je ne l’imaginais. Et ces nuages épais rendent tout si sombre et lugubre.

— Je comprends pourquoi c’est une zone interdite. Sans mes défenses magiques, j’aurais déjà perdu un bras.

Mia et moi avions déjà essuyé une explosion. Elle m’avait frappée à la jambe gauche et Mia au bras droit. Dès l’impact, j’avais senti la magie envelopper mon corps et j’avais aussitôt invoqué une petite barrière pour me protéger. Comme Mère me l’avait prévenue, créer une barrière puissante sur l’instant relevait de l’exploit, et c’était dangereux.

Pour ne rien arranger, la région tout entière baignait dans une couche dense de nuages orageux qui bloquaient presque toute la lumière du soleil. Dans cette pénombre, nous devions surveiller chacun de nos pas.

Il y avait toutefois un léger avantage. J’avais entendu dire que la Fleur des Larmes de Lune émettait une faible lueur, ce qui la rendrait plus facile à repérer dans l’obscurité.

— Je n’arrive pas à croire que Mère soit revenue vivante après une blessure pareille, dis-je. — Déjà qu’il est difficile de garder sa concentration sans être blessée… Avec des plaies aussi persistantes, cela devait frôler l’impossible.

— C’est vrai. Je pense qu’elle a eu de la chance que ses jambes soient restées intactes. Pour le reste du corps, on peut toujours se débrouiller avec un sort de guérison en urgence.

Au moment même où nous parlions, une détonation assourdissante fit vibrer mes tympans. Une nouvelle salve d’explosions éclata tout autour de nous.

Je comprenais désormais. Le mana ambiant était d’une instabilité extrême. C’était sans doute la cause de ces violentes décharges magiques.

Les archives rapportaient que, jadis, lorsque le Royaume Démoniaque et le Ciel avaient été séparés, notre monde avait été ravagé par des cataclysmes et des distorsions dimensionnelles. Peut-être que le mana de cette région demeurait en désordre pour la même raison.

— Avec un mana aussi déséquilibré, dis-je, — Il serait trop dangereux d’utiliser la magie ancienne.

— Oui, j’y ai pensé aussi. J’espérais pouvoir absorber du mana pour regagner l’énergie que j’ai dépensée à me défendre, mais à ce rythme…

— En effet. Tenter de capter un mana instable provoquerait encore plus de distorsions. Une seule erreur, et tu déclencherais une explosion à l’intérieur de ton corps.

— Argh…

Mes paroles tirèrent un sourire nerveux à Mia.

— Je ne pensais pas que les effets pouvaient être aussi désastreux. Je comptais simplement abandonner parce que ce genre de mana est trop difficile à absorber.

Sans pouvoir recourir aux anciens rituels, nos possibilités se trouvaient grandement réduites. Comme Mia, j’avais prévu de restaurer mon énergie magique en absorbant celle de l’air, mais c’était désormais impossible.

— Si mes calculs sont exacts, nous devrions avoir assez de magie pour nous défendre pendant un peu plus d’une heure.

— Oui. Pour être plus efficaces, on devrait se séparer et chercher la Fleur des Larmes de Lune chacune de notre côté. On se retrouve ici dans une heure ?

— Excellente idée. Retrouvons-nous dans une heure.

Sur cette décision, nous nous séparâmes.

Bien sûr, je ne comptais pas explorer au hasard. Il était logique de penser qu’aucune fleur ne pouvait pousser dans une zone continuellement ravagée par des explosions. Cela suggérait que les Fleurs de Larme de Lune devaient croître dans des zones relativement stables, des poches sûres au sein de la région périlleuse. C’était du moins mon hypothèse.

— Je devrais sans doute chercher depuis un point plus élevé, murmurai-je pour moi-même.

Sans hésiter, j’escaladai un rocher afin d’observer les environs. À ma grande déception, je ne distinguai aucune zone stable. Des explosions jaillissaient à perte de vue. Il ne semblait exister aucun endroit sûr.

Sans moyen de régénérer ma magie, je ne disposais que de peu de temps pour explorer. Et la moindre erreur pouvait signifier une mort instantanée… C’était encore plus angoissant que d’invoquer la magie divine.

— J’ai encore un peu de temps, mais je ne peux pas le gaspiller. Il faut que je me dépêche.

La pression mentale était bien plus intense que je ne l’avais imaginé. Je sentais la panique commencer à m’envahir.

Reste calme. Osvalt et Mia sont derrière toi.

Je fermai les yeux. Il ne me fallut qu’une seconde pour rassembler mes pensées et retrouver mon calme.

C’est alors que le désastre survint.

Dans un fracas assourdissant, le rocher sous mes pieds explosa, projetant de la vapeur brûlante dans les airs.

 

***

 

Je dus perdre connaissance un court instant.

Lorsque je revins à moi, j’essayai de me redresser. Le paysage autour de moi avait complètement changé. En adoptant une posture défensive, je constatai que la force de l’explosion m’avait projetée au loin.

— Le rocher que j’utilisais comme point d’observation a été soufflé… Quelle imprudence.

En temps normal, j’aurais pu éviter une déflagration de cette ampleur, mais j’étais trop concentrée sur la création d’une barrière pour réagir à temps.

— Il faut que je me relève… Ah ! Ma jambe !

Hélas. J’avais dû être touchée par une autre explosion pendant mon évanouissement, car du sang s’écoulait abondamment de ma jambe droite. Si je ne la soignais pas vite, la situation risquait de dégénérer.

— Guérison !

Idéalement, j’aurais préféré utiliser Guérison Sainte, mais me concentrer sur la guérison, ne serait-ce qu’un instant, m’exposerait à une nouvelle explosion. Je ne voulais pas non plus puiser trop profondément dans mes réserves de magie.

Le principal inconvénient du sort Guérison Sainte résidait dans la quantité d’énergie magique qu’il consommait. Pour compenser, j’utilisais d’ordinaire d’anciens rituels permettant d’absorber le mana ambiant. C’est d’ailleurs pour cette raison que je n’avais pas hésité à l’employer pour dissiper l’ivresse de Mia. Il me suffisait alors d’absorber un peu de mana pour regagner mes forces.

À présent, incapable d’absorber la moindre parcelle de mana, je devais économiser ma magie autant que possible.

— Aussi important que soit le contrôle de ma consommation, pensai-je, — je ne vois pas comment je pourrais rejoindre Mia avec cette jambe.

Ma seule chance était d’atteindre le point de rendez-vous, de retrouver Mia et de fuir vers une zone sûre. Mais ce plan comportait une faille : l’explosion m’avait projetée assez loin, et j’allais probablement épuiser mes forces magiques avant d’y parvenir. Et, qui plus est…

— Ma jambe met plus de temps que prévu à guérir. À ce rythme, je n’y arriverai pas.

Si ma magie venait à s’épuiser, je deviendrais totalement vulnérable aux explosions. Malgré le danger mortel, je parvins à garder mon sang-froid. Était-ce grâce à mon entraînement, ou simplement parce que je n’avais pas encore pleinement conscience de la gravité de la situation ? Sans doute la seconde hypothèse.

Je ne veux pas mourir.

Je rêvais d’épouser Osvalt et de bâtir avec lui une vie heureuse. Ce rêve était presque à portée de main. Pourtant, j’avais ignoré ses conseils, ceux de Mère, et même les avertissements du prince Reichardt. Par égoïsme, j’avais tout compromis. L’épithète de « plus grande Sainte de l’Histoire » et le titre de « Sainte salvatrice » me semblaient à présent parfaitement absurdes.

Au moment décisif, mon orgueil avait pris le dessus. Mon excès de confiance m’avait poussée à croire que je pouvais réaliser le rêve de mon défunt père. Tout cela, je l’avais provoqué moi-même.

Non. Il était trop tôt pour les regrets. Je ne pouvais pas abandonner tout espoir.

Je recentrai mon esprit et observai les environs. Il devait bien exister un moyen de me tirer de cette impasse désespérée…

— Philia !

Avais-je rêvé ?

Une voix d’homme, inconnue, venait de m’appeler. Je me tournai machinalement vers la source du son, et aperçus alors un rayon de lumière percer les nuages pour venir frapper un pan de terre. Étrangement, aucune explosion ne semblait provenir de cet endroit.

Traînant ma jambe blessée, je me mis à boiter vers cette lueur. C’était comme si elle m’attirait.

On aurait dit un rêve.

Là, baignant dans cette clarté, se trouvaient des Fleurs des Larmes de Lune, la plante médicinale insaisissable, qui diffusaient une lueur argentée. Leur beauté envoûtante me cloua sur place.

Toute la lumière semblait converger vers ce parterre de fleurs éclatantes sous le faisceau céleste. Le spectacle était d’une splendeur irréelle, plus saisissante que tout ce que j’avais contemplé jusqu’alors, mais empreint d’une fragilité éthérée.

Je l’ai trouvée, Mère… la plante que vous cherchiez, dans l’espoir de sauver la vie de Père. Elle est là.

— Aah !

Mes pensées furent interrompues par une explosion sous mes pieds, qui me projeta loin du parterre de fleurs. J’avais baissé ma garde, fascinée par la scène irréelle, et je n’avais pas réagi à temps.

Je devais vite me soigner. Tant que je pouvais guérir mes blessures, tout n’était pas perdu.

— Guérison !

Je baissai les yeux vers ma jambe meurtrie, incrédule.

— J… je n’ai plus assez de magie…

Jamais je n’aurais cru me retrouver dans une impasse pareille. Mes réserves de magie étaient à sec, et ma jambe à nouveau blessée.

Ma situation venait de s’aggraver terriblement.

— Je dois continuer… Si j’abandonne maintenant, j’aurai trop honte pour affronter Osvalt…

Je devais continuer, même si je devais ramper. J’avais enfin trouvé l’ingrédient que mon père avait tant cherché. Il était hors de question que je m’allonge pour attendre la mort.

Je ne voulais pas que cette scène magnifique soit la dernière lueur de chance de mon existence.

— Quoi ?! Encore une explosion ?!

J’utilisai les dernières parcelles de ma magie pour dresser un bouclier, tout en rampant vers les Fleurs des Larmes de Lune.

Était-ce une punition pour avoir agi par égoïsme, au lieu d’agir pour le bien de mon royaume ? J’étais une Sainte, après tout.

— Pardonnez-moi, Osvalt, Mia, Mère… et vous, habitants de Parnacorta, qui m’avez tant donné.

La prochaine explosion, ou celle qui suivrait, allait me tuer. Je devais me résigner à l’accepter.

J’avais des regrets, bien sûr, mais on ne lutte pas contre le jugement de Dieu…

— Philia !

— Quoi ?

— Philia ! Tends-moi la main ! Je suis là !

À cet instant, j’entendis la voix de Mia. En me tournant vers la direction d’où elle venait, je la vis, au milieu du parterre de Fleurs des Larmes de Lune. Mes yeux s’écarquillèrent de stupeur devant cette apparition inattendue.

— Ce n’est pas le moment de rester figée !

Mia tendit vers moi une chaîne de lumière. Je rassemblai toutes mes forces et tendis la main pour la saisir.

Au moment où mes doigts se refermèrent dessus, Mia m’appela de nouveau. Son visage exprimait une résolution farouche.

Cette fille était incroyable.

— Tu es devenue une Sainte admirable, Mia…

Je le savais depuis longtemps. J’avais toujours pressenti qu’un jour, elle deviendrait une Sainte dont l’éclat surpasserait le mien.

— Philia ! Je suis tellement heureuse que tu sois saine et sauve !

À cet instant, j’en eus la certitude. Peut-être étais-je partiale, mais lorsque je la rejoignis et que je me retrouvai serrée dans ses bras, je tremblais de fierté.

— Merci, Mia. Tu m’as sauvée.

— Ce n’est rien. Regarde un peu combien de Fleurs des Larmes de Lune nous avons trouvées !

Entourée de l’éclat irréel des Fleurs des Larmes de Lune, j’enlaçai ma sœur avec reconnaissance. J’étais si fière d’elle.

Une fois les fleurs nécessaires cueillies, Mia se pencha vers moi et me souffla à l’oreille :

— Après la grande explosion, j’ai entendu un bruit comme si toute une montagne s’effondrait. C’est là que je t’ai vue projetée dans les airs. J’ai eu si peur, mais je savais que je devais agir. Je n’ai jamais autant réfléchi de toute ma vie.

En voyant la hauteur de ma chute, Mia avait deviné l’endroit où j’avais atterri et était venue à mon secours.

— Je ne savais pas si tu étais blessée, ni à quel point, alors j’étais prête à tout pour te retrouver au plus vite.

— Et pendant que tu me cherchais, tu es tombée sur les Fleurs des Larmes de Lune.

— Oui. Comme tu l’avais prévu, le flux de mana était stable dans les zones épargnées par les explosions. J’ai pensé que si j’arrivais à te tirer jusqu’à moi, nous pourrions utiliser Guérison Sainte pour reconstituer nos réserves d’énergie magique.

Repousser les explosions exigeait une manipulation extrêmement précise de la magie, mais Mia y était parvenue avec une rapidité stupéfiante. Ce n’était pas pour rien qu’on la considérait comme la plus rapide incantatrice du continent. Guidée par un instinct supérieur, elle avait agi sans hésiter et m’avait sauvée en un temps record. Aucun éloge ne pouvait rendre justice à son exploit.

— Je suis heureuse d’être arrivée à temps. Hein, Philia ?

— Oui. Tu m’as sauvée la vie. Je ne te remercierai jamais assez…

— Tu n’as pas besoin d’en dire plus. Je n’ai fait que te rendre la pareille. Et puis, c’est normal pour une petite sœur d’aider sa grande sœur quand elle en a besoin.

Mia porta un doigt à ses lèvres et me fit un clin d’œil, un sourire satisfait aux lèvres. Elle paraissait si mûre, presque comme une autre personne.

— Dans ce cas, je ne te remercierai pas, Mia. Mais permets-moi de te dire une chose : tes progrès me laissent sans voix. Tu es la plus grande Sainte qui soit.

Souriante, Mia me saisit la main.

— Qu’est-ce que tu racontes, Philia ? C’est toi, la plus grande Sainte. Et tu le resteras toujours.

— Oh ?

Elle m’avait toujours suivie de loin, tentant de me rattraper.

— Puisque tu insistes, je ferai de mon mieux pour te rendre fière.

— Tu l’as déjà fait. Tu es vraiment étrange, Philia.

Mia sourit tout en absorbant le mana autour d’elle, emplissant son corps d’énergie magique.

J’avais moi aussi retrouvé toute ma puissance. Grâce à Guérison Sainte, je pus guérir complètement ma jambe droite meurtrie, et je pouvais désormais marcher sans peine.

— Il faut rester sur nos gardes pendant le trajet du retour.

— Oui. Je sais, Philia.

Le retour était tout aussi dangereux, mais nous parvînmes malgré tout à quitter la Zone des Miasmes Volcaniques et à préserver nos Fleurs des Larmes de Lune. Cette fois, nous connaissions la route à suivre. Nous nous avertissions mutuellement des périls et bloquions chaque explosion sur notre passage, si bien que le retour se fit bien plus sereinement.

 

 

***

 

— Philia ! Dame Mia ! Quel soulagement ! Je suis tellement heureux que vous soyez saines et sauves !

Après avoir quitté la Zone des Miasmes Volcaniques, nous avions demandé à Mammon de nous ramener au manoir de Mère. À peine arrivées, Osvalt accourut vers nous. Nous n’avions été séparés que peu de temps, mais il me sembla ne pas avoir vu son visage depuis une éternité.

— Osvalt ! J’ai frôlé la mort, mais Mia…

— Ma sœur ne déçoit jamais, n’est-ce pas ? Regardez combien de Fleurs des Larmes de Lune elle a récoltées !

— Incroyable ! Vous avez trouvé la plante miracle et vous en rapportez tout un bras plein !

J’allais expliquer comment Mia m’avait sauvée, mais elle porta un doigt à ses lèvres, m’enjoignant de garder le silence. Voulait-elle éviter d’inquiéter inutilement mon fiancé ?

Mère paraissait tout aussi stupéfaite par la quantité de Fleurs des Larmes de Lune que nous avions rapportées.

— C’est… incroyable. Je ne m’attendais pas à ce que vous en trouviez une seule, encore moins autant.

— C’est grâce aux informations que vous nous avez données, Mère, et à notre travail d’équipe. N’est-ce pas, Philia ?

— Hein ? Oh, oui. Grâce à une suite d’heureux hasards, tout s’est bien déroulé.

J’étais trop heureuse d’être en vie pour y réfléchir davantage, mais c’était sans doute un véritable exploit.

— Une suite d’heureux hasards, dites-vous ? J’ai plutôt l’impression que vous avez forcé le destin par vos efforts et votre entraide. Oh, Philia, et toi aussi, Mia… vous me rendez fière d’être votre maître.

Le visage de Mère s’adoucit. Notre retour sain et sauf devait être un immense soulagement pour elle. Recevoir ses louanges me remplit d’une fierté profonde.

— Oh ? Fière d’être notre maître ? C’est tout, Mère ?

Mia, en revanche, sembla peu satisfaite de cette remarque. Comment pouvait-elle s’en offusquer ?

— Ahh… très bien… Je suis fière d’être votre mère, aussi.

— M… Mère !

— Tu m’as bien eue, Mia. Mais toi, Philia, tu as fait un travail remarquable. Je suis certaine que mon mari, là-haut, se vante d’avoir une fille aussi admirable.

Les mots « fille admirable » furent pour moi le plus grand honneur qu’elle pût me faire. Je savourai ce moment, le cœur empli de chaleur.

La Fleur des Larmes de Lune entre mes mains, il ne restait plus qu’une chose à accomplir. L’état de Luke s’aggravait de jour en jour, et nous ne pouvions perdre un instant.

Je me tournai vers Erza.

— Vous devez aller voir cet apothicaire à Gyptia, n’est-ce pas ? Mammon !

— Oui, oui… tu ne laisses jamais un pauvre démon se reposer, grande sœur.

Erza s’approcha aussitôt et commença à donner ses ordres à Mammon.

Grâce à cet ingrédient essentiel, nous allions pouvoir achever le remède contre le germe du démon. Luke guérirait.

— Quand je reviendrai, dis-je, — Je vous remercierai comme il se doit.

— Très bien. Pas besoin de remerciement, mais retrouvons-nous bientôt pour en reparler.

— On se reverra au mariage, n’est-ce pas ? dit Mia. — Philia, transmets mes vœux à Luke.

— Je le ferai.

Après avoir pris congé de Mère et de Mia, je franchis le portail de téléportation que Mammon avait ouvert et retrouvai Lena et les autres. Dès que nous arrivâmes devant le chalet de Luke, un chœur de voix inquiètes m’accueillit.

— Dame Philia ! s’exclama Lena. — Je suis tellement soulagée que vous alliez bien ! Je me suis fait un sang d’encre !

— Retiens tes larmes, Lena, dit Leonardo. — Dame Philia ne sait jamais comment réagir quand tu deviens trop émotive.

— Mais toi aussi, tu étais inquiet cette fois. Je suis vraiment heureuse que vous soyez saine et sauve, Dame Philia.

— J’étais prête à mettre fin à mes jours si mon maître venait à mourir.

À peine avais-je franchi le portail et posé le pied devant le chalet de Luke que ces voix, toutes empreintes de sollicitude, s’élevèrent autour de moi.

— Je suis désolée de vous avoir causé tant d’inquiétude, dis-je.

— Philia ! Vous n’avez pas à vous excuser ! Tout s’est bien terminé, n’est-ce pas ? Votre oncle… comment déjà ? Lulu ? Enfin bref, vous allez sauver sa vie !

— C’est Luke. Lena, il faudrait vraiment que tu apprennes les noms des gens.

— Nous comprenons que vous ne pouviez pas laisser la maladie de votre oncle sans remède, Dame Philia.

Mes domestiques accueillirent mon imprudence avec des sourires de soulagement. J’avais décidément beaucoup de chance d’être entourée de personnes aussi bienveillantes. Depuis mes premiers jours à Parnacorta, ils m’avaient toujours soutenue.

— Merci. Lena, Leonardo, Himari… Je sais que j’ai mes défauts, mais j’espère que vous continuerez à rester à mes côtés.

Je m’inclinai. Un bref silence suivit. Avais-je dit quelque chose d’inconvenant ? Peut-être ma remarque paraissait-elle déplacée après toutes les inquiétudes que je leur avais causées.

— Dame Philia !

Lena, en pleurs, me sauta au cou, me prenant totalement au dépourvu.

— Lena ?

— Nous resterons toujours avec vous ! Même si le monde venait à s’effondrer !

Les larmes coulaient sur son visage. Que pouvais-je bien répondre à cela ?

— Evite de mettre Dame Philia mal à l’aise avec des propos absurdes, dit Himari. — Rester auprès de notre maître est notre devoir le plus naturel. Je ne pourrais espérer un meilleur maître.

— Je suis du même avis que Himari, ajouta Leonardo. — Moi, Leonardo, j’ai l’intention de vous assister de toutes les façons possibles, Dame Philia.

Himari détacha Lena de moi et s’inclina, suivie de Leonardo. Leur gentillesse me toucha profondément.

— Ne monopolisez pas Philia trop longtemps, vous trois, dit Osvalt. — N’oubliez pas que Dame Erza et Mammon sont avec nous aussi.

— Personnellement, j’aime beaucoup assister à ces petites scènes ridicules, dit Erza.

— Hein ?! Qu’est-ce que vous dites ? C’est méchant, Erza !

— Tu es vraiment adorable, Lena, ajouta Mammon.

Tout le monde bavardait joyeusement devant la porte du chalet de Luke. Comme l’avait souligné Osvalt, il valait mieux remettre les discussions à plus tard, une fois notre mission pleinement accomplie.

— Pardonnez-moi, dis-je, mais je dois aller voir Luke.

 

Je frappai à la porte.

***

 

Lorsque Luke aperçut les Fleurs des Larmes de Lune, ses yeux s’écarquillèrent.

— Ainsi, voici la Fleur des Larmes de Lune, cette plante médicinale légendaire… Comme je le pensais, mon frère aîné avait bien identifié le dernier ingrédient. Je suis stupéfait que vous soyez parvenue à la trouver en si peu de temps.

Je ne pouvais lui reprocher sa surprise face à la rareté de cette fleur.

— Oui. Ma sœur et moi avons réussi à en récolter plusieurs.

— Maintenant que vous le dites, vous êtes toutes deux des Saintes, n’est-ce pas ? Eh bien, eh bien… On dit que les Saintes sont exceptionnelles, et je le crois volontiers. Vous avez trouvé ces Fleurs des Larme de Lune avec une aisance déconcertante.

Luke inclina la tête, comme pour une prière.

— Je vous suis profondément reconnaissant.

En vérité, cela avait été une épreuve qui avait bien failli me coûter la vie. Mais je préférai taire ce détail. Il aurait été injuste de troubler davantage Luke, déjà alité et affaibli.

— Relevez la tête, Luke. Je dois encore préparer le remède. Gardez vos remerciements pour le moment où vous serez guéri.

Luke redressa la tête et m’adressa un léger signe d’assentiment.

— Très bien. Je vous suis tout de même infiniment reconnaissant, Dame Philia.

Comme c’était touchant. Son regard brillait d’une lumière nouvelle, plein de vie et d’espoir. Pour que cet espoir devienne réalité, je devais accomplir le rêve que mon père avait tant poursuivi.

Le germe du démon avait pris la vie de mon père, ainsi que celle de Dame Elizabeth, la fiancée du prince Reichardt.

J’avais l’impression que le destin m’avait conduite jusqu’ici. Maintenant que j’étais allée aussi loin, je voulais aller jusqu’au bout.

Je possédais une certaine confiance en mes connaissances d’apothicaire. En m’appuyant sur les recherches de mon père et de Luke, j’étais persuadée de pouvoir créer ce remède miraculeux.

C’est donc ce que je me décidai à faire.

J’étais déterminée à accomplir ce que mon père, Kamil, avait toujours rêvé de réaliser, et à sauver Luke de la maladie qui le rongeait.

 

 

***

 

Quelques jours plus tard, je terminai mon travail dans le laboratoire de Luke. Par chance, grâce à ses recherches et aux notes laissées par mon père, le remède était presque achevé. Il ne me restait qu’à ajuster minutieusement l’ajout de la Fleur des Larmes de Lune. La formule en elle-même ne posait pas de réelle difficulté.

— Quelle démonstration de talent, Dame Philia, dit Luke. — Votre expertise est véritablement remarquable.

— Pas du tout. C’est moi qui devrais vous remercier de m’avoir permis d’étudier vos travaux, Luke. Ils m’ont beaucoup appris.

— Ne soyez pas modeste. Vous avez finalisé le remède en un rien de temps. « Extraordinaire » est un mot encore trop faible pour décrire votre talent.

Devant nous reposait une poudre dorée étincelante : le remède contre la graine du démon que j’avais préparé grâce à la Fleur des Larmes de Lune.

Une fois qu’il l’aurait absorbé, Luke retrouverait la santé, j’en étais convaincue. Et pourtant…

— Ce remède est effrayant à administrer, murmurai-je. — La Fleur des Larmes de Lune devrait neutraliser les effets toxiques des autres plantes de la formule, mais si je n’ai pas parfaitement équilibré les éléments…

— Attendez, Philia. Vous voulez dire que si la Fleur des Larmes de Lune ne réagit pas comme prévu, cela pourrait très mal tourner ?

— En effet. Ce remède pourrait même être considéré comme un poison. Théoriquement, il ne devrait produire aucun effet néfaste… mais cela reste une théorie. Luke, vous serez le premier malade atteint du germe du démon à l’ingérer, alors… Oh !

Avant que j’aie le temps de terminer ma phrase, Luke avala le remède sans la moindre hésitation. En tant qu’apothicaire, il comprenait pourtant mieux que quiconque le risque encouru.

— J’ai toujours cru que mon frère, Kamil, était le plus grand apothicaire du monde, dit-il. — Et à présent, sa fille, Dame Philia, a achevé les recherches qu’il n’a jamais pu terminer. Comment pourrais-je ne pas avoir confiance en vous ?

Luke m’adressa un sourire. Il avait foi en mon père, en son frère. Cette pensée m’emplit d’une joie difficile à décrire.

Je passai le reste de la journée au chalet de Luke à surveiller son état.

Le lendemain arriva.

— Cela fait un moment que vous n’avez pas pris de la potion qui supprime vos symptômes…

— Oui. Plus de vingt-quatre heures se sont écoulées, et je ne ressens plus aucune crise. Le remède doit avoir fonctionné !

— C’est une excellente nouvelle. Il vous faudra sans doute un peu de temps pour vous rétablir complètement, mais la plupart de vos symptômes devraient disparaître d’ici quelques jours.

— Oui, je me sens déjà plus fort. Dame Philia, je vous remercie du fond du cœur pour tout ce que vous avez fait pour moi.

Luke s’inclina à plusieurs reprises, les yeux brillants de larmes. Dans son regard, je distinguai la force de la vie renaissante.

J’aurais préféré rester à ses côtés jusqu’à son rétablissement complet, mais je ne pouvais plus négliger mes devoirs à Parnacorta. Il me fallait croire en les travaux de ma famille et prier pour que mon oncle guérisse.

— Relevez la tête, Luke. Nous nous reverrons. Prenez soin de vous.

— Je ferai de mon mieux. Prenez soin de vous, Dame Philia, prince Osvalt. Je veillerai à être présent à votre mariage, dès que ma santé me le permettra.

— Ce n’est pas nécessaire, Luke, dit Osvalt. — Ne vous forcez pas tant que vous n’êtes pas complètement remis.

— J’y tiens. Je veux que Philia me voie en bonne santé.

Après avoir échangé nos adieux, nous décidâmes de reprendre le chemin de Parnacorta. Nous étions accompagnés d’Erza et des autres, il n’y avait donc aucune raison de prolonger davantage le voyage.

— C’est un peu triste de penser que notre périple touche à sa fin.

— Alors, tu l’admets enfin, hein ?

— Je suppose que oui. Mais nous pourrons toujours revenir quand nous aurons un peu de temps libre. Tout va bien.

— C’est vrai. La prochaine fois que nous nous reverrons, ce sera au mariage. J’ai hâte de te voir éblouir dans ta robe de mariée.

Sans eux, je n’aurais jamais pu achever le remède. Erza m’avait donné l’élan dont j’avais besoin, et Mammon m’avait épaulée tout au long de ma quête. Je ne pourrais jamais leur exprimer assez ma reconnaissance.

— Erza, Mammon, je voulais simplement vous dire…

— Allons, pas besoin de nous remercier. Nous l’avons fait parce que nous en avions envie. Et puis, comme je te l’ai déjà dit, je t’en dois encore une pour toute l’histoire avec Asmodeus, sans parler du fiasco avec le Pape.

Je voulais exprimer ma gratitude comme il se devait, mais Erza ne m’en laissa pas le loisir.

— Ce n’est pas vrai, Erza. Vous avez déjà largement remboursée vos dettes.

— Désolé, Petite Philia. Quand il s’agit de ma grande sœur, ce qu’on lui dit entre par une oreille et ressort par l’autre. Bref, le portail est prêt. Allez, vite, entre.

Sans plus attendre, Mammon nous pressa de traverser le portail menant à Parnacorta.

Mon objectif initial avait été de demander à Mère de me conduire à l’autel. Lorsque j’avais quitté mon pays, jamais je n’aurais imaginé que ce voyage se transformerait en mission périlleuse pour découvrir un remède à une maladie mortelle.

À peine eûmes-nous émergé dans le jardin de mon manoir que Osvalt s’étira, l’air profondément satisfait.

— Ouf ! J’ai ressenti la même chose à notre retour de Dalbert, mais rien ne vaut l’air de la maison.

— Osvalt, je suis désolée de vous avoir tenue éloigné de votre royaume si longtemps.

— Oh, je ne m’en plaignais pas. Après un long et agréable voyage, l’air du pays n’en a que meilleur goût. J’adore cette sensation.

Je ne pus m’empêcher de sourire. Il n’y avait bien que lui pour se réjouir ainsi d’un simple souffle d’air.

— Je vais ouvrir les fenêtres pour aérer un peu, dit Lena.

— Je n’ai laissé derrière moi que des ingrédients non périssables, ajouta Leonardo. — Je devrais aller faire des courses.

— Je vais commencer le ménage !

À notre retour, Lena, Leonardo et Himari se mirent aussitôt à l’œuvre. Eux aussi semblaient ravis de retrouver leur chez eux.

— Sur ce, nous devrions rentrer, dit Erza.

Après avoir regardé Lena et mes autres domestiques se mettre aussitôt à l’ouvrage, Erza et Mammon nous annoncèrent leur départ.

J’étais réticente à leur dire adieu. Je doutais de pouvoir un jour m’habituer à la tristesse fugace que je ressentais à chaque séparation.

— Dame Erza, Mammon, dit Osvalt, — Je sais que vous avez dit qu’il n’était pas nécessaire de vous remercier… mais prenez soin de vous.

— Oui, veillez bien sur vous, ajoutai-je. J’espère que nous nous reverrons bientôt.

— Vous aussi, d’accord ? Je vous promets que nous serons là pour le mariage.

— À bientôt, vous deux !

Souriant de tout cœur, le duo qui nous avait promis de revenir traversa le portail de téléportation et regagna Dalbert.

— Je vous dois des excuses, Osvalt. J’ai refusé d’entendre raison et agi selon mes propres désirs. Mia m’a interrompue avant que je ne puisse le dire, mais la vérité, c’est que…

— Pardon, Philia. Je n’aurais jamais dû douter de toi. J’aurais dû te faire confiance. J’ai honte que tu aies vu cette facette de moi.

Alors que j’allais lui avouer que j’avais frôlé la mort, Osvalt m’interrompit pour me présenter ses excuses.

Pourquoi disait-il cela ? C’était à moi de m’excuser.

— Je vous en prie, écoutez-moi, Osvalt. Je…

— Non, je préfère ignorer les détails. Vu l’attitude de Dame Mia, je devine que tu as eu une grosse frayeur. Je suis simplement soulagé que tu sois ici, à mes côtés. Pour être franc, je détesterais que tu refasses quelque chose d’aussi imprudent, mais désormais je resterai toujours auprès de toi.

Il semblait déjà avoir compris ce que j’allais dire. Son regard, grave et sincère, se posa sur moi.

Il était d’une bonté véritable. Cela ne faisait qu’accroître ma culpabilité de lui avoir causé tant d’inquiétude.

— Merci, mais permettez-moi de m’excuser de vous avoir fait peur.

— D’accord. Tout cela a été un peu chaotique, mais s’il arrive un jour que tu doives absolument faire quelque chose de fou, j’irai avec toi. Je te soutiendrai.

— Merci, Osvalt.

Notre périple avait pris des tournants imprévus, mais il touchait presque à sa fin. Il restait une dernière chose à accomplir.

— Nous devons aller sur la tombe de Dame Elizabeth et lui annoncer la nouvelle.

— Excellente idée, dit Osvalt. — Je dois aussi prévenir mon frère. Après tout, j’ai agi contre son opposition farouche. J’ai envoyé Himari en éclaireur avec un message pour lui dire que nous allions bien, mais tout de même…

— Oui, c’est vrai. Je dois remercier le prince Reichardt.

Sur ces mots, nous prîmes la route du palais royal.

 

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