Hyouka t4 - chapitre 3
Le fantôme, lorsqu’on l’examine
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Traduction : Raitei
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1
La remarque de Satoshi : « Tout fantôme, lorsqu’on l’examine, n’est jamais qu’une fleur fanée. », je l’avais souvent entendue. Mais à notre époque moderne, où le romantisme échappe à l’entendement même après consultation du terme dans le dictionnaire, les fleurs fanées ne passent plus pour des esprits, et les apparitions de ce monde se révèlent l’une après l’autre n’être que de banales fleurs desséchées.
Peut-être serions-nous incapables de remarquer un véritable spectre, s’il prenait soin de conserver sa forme authentique.
Je répondis en ces termes dans un bus cahotant sur une route de montagne, par un mois d’août où la chaleur de l’été tardait à s’éteindre. Assis à côté de moi, Fukube Satoshi hocha la tête, l’air songeur.
— Intéressant. Une réfutation métaphysique du sens même de l’idée, formulée sous la forme d’un trait d’esprit. Cela te ressemble, Houtarou.
Installée devant nous, Ibara se retourna bien qu’on ne l’eût pas appelée ; ses sourcils se haussèrent.
— Je n’aime pas ce genre de raisonnement. Je ne suis pas du genre à tout rationaliser et à réfléchir autant.
J’écoutai leurs réponses, pris un instant pour les digérer, puis protestai vivement :
— Hé, ce n’est pas là où je voulais en venir !
En réalité, je voulais seulement évoquer quelque légende urbaine du même acabit que les OVNIS ou le monstre du Loch Ness. Bref, un sujet de conversation des plus banals.
Plus précisément, je voulais parler du reportage télévisé d’hier : « Sur les lieux ! La vérité sur l’anguille géante du lac Hamana, Hussie[1] ! »
Ma tournure avait peut-être été un peu alambiquée, mais je ne pensais pas que mes mots seraient à ce point mal interprétés.
Au moment où j’allais m’expliquer, Chitanda, en robe d’été, assise à côté d’Ibara, se retourna et sourit.
— Moi aussi, je suis curieuse de connaître la véritable nature de ces fleurs fanées.
Il semblait que tout le monde avait compris de travers. Je n’avais pas envie de forcer les autres à suivre mes raisonnements, alors je me tus.
Nous étions quatre membres du club de littérature classique du lycée Kamiyama. Et pourquoi donc tous les membres du club se retrouvaient-ils ensemble dans ce bus secoué sur la route de montagne ? La réponse se trouvait naturellement à notre destination.
Le terminus, le village de Zaizen, est niché dans une vallée réputée pour ses sentiers de randonnée et ses sources thermales.
Comme je n’irais jamais faire de randonnée, il ne restait qu’une option : les sources chaudes.
Le ronflement du moteur se fit plus fort à mesure que la pente s’accentuait.
2
C’était les vacances d’été, en plein mois d’août, et, pour être honnête, ne rien faire durant une période censée être consacrée au repos correspondait parfaitement à ma philosophie personnelle. Mais à cause de la présidente du club de littérature classique, Chitanda, j’avais dû me résoudre à partir en voyage.
Durant ces vacances, nous avions tous ensemble élucidé ce que Satoshi appelle « l’affaire Hyouka », une affaire qui, pour Chitanda, avait une importance toute particulière. Pour nous remercier de notre aide, elle avait voulu nous offrir un séjour aux sources chaudes. En temps normal, j’aurais refusé sans hésiter. Mais sans que je sache trop comment, ma résistance avait fini par céder, et ma participation fut décidée.
Le village de Zaizen se trouvait à une heure et demie de bus de Kamiyama.
Nous n’avions rien à payer pour le logement : la famille d’Ibara tenait une auberge, et, les bâtiments étant actuellement en rénovation, ils nous avaient proposé d’y séjourner gratuitement.
Je n’avais jamais été particulièrement sujet au mal des transports, mais peut-être à cause des virages incessants et de la route escarpée, j’avais fini par me sentir malade juste avant l’arrivée. Nous fûmes alors pris en charge à l’arrêt de bus par un fourgon conduit par des parents d’Ibara, et nous arrivâmes enfin à l’auberge Seizansô.
Assis près de la fenêtre de la chambre qui m’avait été attribuée, je contemplais le paysage splendide qui se déployait au-dehors ; et, peu à peu, mon malaise s’évapora.
La chambre faisait bien vingt tatamis : immense, pour seulement Satoshi et moi. J’ouvris la large fenêtre. La montagne, toute proche, semblait nous surplomber, drapée d’un feuillage épais. Par endroits, des nappes de brume blanche s’élevaient : sans doute la vapeur des sources.
Le long de la route sinueuse, on distinguait quelques auberges et des maisons privées. Un peu plus loin, une école : primaire et collège réunis, faute d’élèves.
Je n’ai jamais prétendu être un homme de grande sensibilité, mais je ne suis pas non plus assez insensible pour ne rien éprouver en voyage.
— La vue est pas mal, hein ? lança Satoshi derrière moi.
Je répondis sans me retourner :
— Ce genre d’endroit n’est pas désagréable, de temps en temps. Mais quitte à faire les choses bien, ce serait plus digne d’y venir seul.
Satoshi eut un petit rire.
— Toi, voyager seul ? Allons donc ! Tu n’es pas du genre à entreprendre de toi-même quelque chose d’aussi raffiné que d’aller aux sources chaudes. Et n’oublie pas : si tu es ici, c’est grâce au programme de Chitanda et aux relations d’Ibara.
Comme il l’avait voulu, je demeurai muet, un peu contrarié. Parmi les membres du club, Ibara était la plus critique, mais les tirades bien tournées de Satoshi pouvaient se révéler tout aussi vexantes. Et, pour ne rien arranger, il avait raison. Je n’aurais jamais eu l’idée de venir à Zaizen par mes propres moyens. Je devais donc, d’une certaine manière, remercier Chitanda : sans elle, je n’aurais sans doute jamais vu ces paysages magnifiques.
Des pas résonnèrent dans le couloir, puis trois coups fermes furent frappés à la porte.
— À table !
C’était la voix d’Ibara. Une seconde plus tard, celle de Chitanda, qui semblait l’imiter malicieusement :
— À taaaable !
— T’as entendu ? On y va ! fit Satoshi.
Je me détachai de la fenêtre.
Certes, les sources chaudes n’avaient rien de désagréable, mais l’idée de passer tout ce temps entouré de ces trois-là me laissait vaguement mal à l’aise. Une odeur de fromage flottait dans le couloir. Dîner à base de gratin, peut-être ? Ou de fondue ? Allez, je parierais sur la fondue.
Je pris une grande inspiration.
L’auberge Seizansô comportait deux bâtiments : l’annexe, que nous occupions, et le bâtiment principal, alors en travaux. Tous deux étaient de taille similaire et reliés par un couloir couvert. Vus du ciel, ils formaient ensemble la syllabe ko (コ).
Chaque aile comptait deux étages, entièrement en bois, si bien que les planchers craquaient à chaque pas. Un unique escalier reliait les étages. La chambre des filles, Chitanda et Ibara, se trouvait tout au bout du deuxième étage. Celle de Satoshi et moi, juste à côté. Ces pièces, si vastes qu’elles auraient pu accueillir le double de personnes, restaient néanmoins pleines de charme.
Les marches étaient quelque peu raides. Il fallait descendre avec prudence. Le réfectoire du rez-de-chaussée, dans le bâtiment principal, était inutilisable en raison des travaux, nous devions donc dîner dans une grande pièce de style japonais, au rez-de-chaussée de l’annexe.
Je fis glisser la cloison ornée d’une peinture du mont Fuji : à l’intérieur, Chitanda, Ibara et les deux sœurs étaient déjà installées.
Chitanda et Ibara faisaient face aux deux sœurs tandis que les places d’honneur, en bout de table, restaient vides. Personne n’avait encore commencé à manger : elles nous attendaient, par politesse. Je pris le coussin le plus proche, laissant à Satoshi celui de la place d’honneur, mais personne, ici, ne semblait se soucier du protocole.
Nous étions six autour de la table, ce qui la rendait presque trop étroite.
Devant nous, contrairement à mes attentes, s’étalaient une salade de légumes frais, des shishamo[2] frits, des tranches de porc froides et une soupe miso au tofu et au radis blanc. Le riz avait déjà été servi dans de petits bols de bois. L’odeur de fromage, elle, persistait. D’où pouvait-elle venir ? Je jetai un œil vers la cuisine et murmurai :
— On prépare un chessecake, non ?
— Ah, comment as-tu deviné ? répondit une voix enjouée.
C’était une fille aux cheveux coupés au milieu du front, un grand sourire aux lèvres. Sa taille menue faisait paraître le coussin encore plus bas ; avec ses lunettes sans monture, ses yeux ronds et son air pétillant, elle dégageait une vitalité presque contagieuse.
Elle portait un T-shirt léger et un short en jean jusqu’aux genoux.
Placée à côté d’Ibara, on aurait pu les prendre pour des sœurs, et pour cause : elles l’étaient, au moins par le sang. Ibara, elle aussi, portait une chemise et un pantalon en jean.
À bien y réfléchir, Ibara n’avait guère changé depuis l’école primaire.
Placée à côté de n’importe qui, elle donnait toujours l’impression d’être la cadette. Mais inutile de lui dire : je tiens à ma vie.
Cette fille débordante d’énergie, c’était Zenna Rie, l’une des deux sœurs qui tenaient l’auberge Seizansô.
— Incroyable ! C’est exactement ce que disait Maya-neechan !
Qu’est-ce qu’elle leur avait raconté, encore ?
À côté d’elle, une autre fille, les cheveux attachés en queue-de-cheval, se tenait bien droite, presque raide. Pour être plus précis, elle était timide. Elle n’était pas encore à l’aise avec nous. Sa réserve et sa fragilité trahissaient une nature douce, peu habituée à accueillir des étrangers. Je me demandai vaguement si cette enfant avait vraiment l’âme d’une aubergiste.
Tout, chez elle, différait de son aînée : sa voix, sa posture, même la pâleur de son teint. Je les avais vues toutes deux debout plus tôt ; elles faisaient sensiblement la même taille. Sous sa chemise à manches longues, bien fine pour la saison, la cadette semblait pourtant avoir chaud. Elle passerait au collège l’an prochain, mais sa taille égalait déjà celle de Rie, qui entrait en deuxième année de collège. Elle avait donc dû grandir bien vite.
Elle s’appelait Zenna Kayo.
— Bon appétit !
Ibara, plus hôte qu’invitée, donna le signal. Chacun joignit les mains, à la suite de Chitanda qui, fidèle à elle-même, le fit avec une sincérité presque solennelle. Les parents des deux sœurs n’étaient pas là : ils devaient dîner dans le bâtiment principal, car il eût été impossible de loger deux convives de plus dans cette pièce.
Je commençai par la soupe miso, que je bus longuement. Délicieuse, digne d’un établissement professionnel. Puis je goûtai le shishamo. Ce n’était peut-être pas du véritable shishamo, mais le goût et la texture, craquante sous la dent, étaient parfaits.
Rie, toute à sa curiosité, bombardait Ibara de questions sur le lycée.
De son côté, Kayo demandait timidement à Chitanda d’où venait son prénom.
Satoshi ponctuait les conversations de remarques amusées, tandis que je me contentais de manger en silence, savourant le poisson grillé que je n’avais pas goûté depuis longtemps.
— …Et donc, c’était comme ça !
Tout en parlant, Rie gesticulait avec ses baguettes, traçant des figures dans l’air. Mauvaise manière à table, certes, mais je n’allais pas m’occuper de la discipline d’autrui.
Rie tendit le bras pour attraper la louche en bambou dans le saladier, tandis que Kayo allongeait ses baguettes vers le plat de porc. Leurs gestes se croisèrent, le bras de l’une heurta la main de l’autre. Les baguettes de Kayo, tenant une tranche de porc, heurtèrent le bol de soupe miso. J’avais vu toute la scène et voulu les avertir, mais il était déjà trop tard.
Un peu de soupe se renversa. Kayo poussa un cri.
— Ah !
— Aah, qu’est-ce que tu fais ?!
Rie la réprimanda en fronçant les sourcils. À mes yeux, elles étaient aussi fautives l’une que l’autre, mais bon…
— D…dé…désolée, Grande Sœur !
Kayo s’excusa précipitamment, tendant la main vers la serviette posée un peu plus loin. Chitanda, déjà prête à intervenir, la lui tendit avec un sourire.
— Tiens, prends-la.
— M…merci beaucoup !
Rie sermonna doucement sa cadette de faire plus attention la prochaine fois.
Une fois le dégât épongé, je repris mes baguettes et attrapai un autre shishamo.
J’aurais bien aimé qu’on nous serve quelques légumes de montagne, mais bon… on ne peut pas tout avoir.
3
Après avoir savouré le cheesecake que Rie avait préparé, chacun retourna à ses occupations. Je regagnai ma chambre, mais Satoshi, qui aurait déjà dû être rentré, n’y était pas. Avait-il filé au bain ?
Resté seul, je sortis de mon sac en bandoulière un manga que j’avais emprunté à Satoshi. D’après lui, c’était une œuvre remarquable sur l’époque des provinces en guerre, le Sengoku Jidai. Effectivement, le récit était d’un réalisme surprenant, riche en émotions humaines, et le dessin, d’une minutie rare, rendait la lecture très agréable. Satoshi avait décidément bon goût.
L’histoire se déroulait au point culminant de l’offensive d’Oda Nobunaga contre le clan Asakura. Alors qu’il s’apprêtait à remporter la victoire, Nobunaga reçut un présent de sa jeune sœur : une petite bourse nouée aux deux extrémités, remplie d’azukis[3]. En la voyant, il s’exclama : « Cela signifie que nous sommes faits comme des rats ! Le clan Azai nous a trahis ! » C’était l’épisode où sa sœur, mariée à un membre du clan Azai, l’avertissait en secret du danger qui le guettait.
Je me demandai comment Nobunaga avait pu deviner une trahison à partir d’une simple bourse de haricots rouges, mais l’histoire, dans son ensemble, était bien construite. Je me pris à songer : si je me retrouvais dans une telle situation, ma sœur volerait-elle à mon secours sans hésiter ? Le spectacle vaudrait assurément le détour.
Après une demi-heure de lecture, mes yeux commencèrent à fatiguer.
L’éclairage de la chambre était faible, normal pour une auberge, mais tout de même plus tamisé que celui d’un hôtel.
Que faire, sinon lire ? Il y avait bien une télévision, mais mes yeux en souffriraient encore davantage. Bref, j’avais du temps à tuer. Quand je ne savais pas quoi faire, en général, je me couchais pour dormir.
Mais puisque nous étions dans une auberge thermale, autant en profiter pour aller prendre un bain. Je pris la serviette fournie dans la chambre et sortis dans le couloir. C’est là que je croisai Chitanda.
— Ah, Oreki-san, tu allais quelque part ?
Elle tenait elle aussi une serviette.
— Au même endroit que toi, répondis-je.
— Il n’y a pas de bain mixte ici, semble-t-il.
— Personne n’a dit le contraire.
Nous marchâmes côte à côte. Nos claquettes résonnaient tour à tour contre le plancher grinçant. Après un moment, Chitanda demanda :
— La question va peut-être te sembler étrange, mais… ta sœur, c’est quel genre de personne ?
Hein ? Voilà qui était pour le moins soudain. Je me rappelai que Chitanda était fille unique. Je pris un instant pour choisir mes mots.
— Ma sœur, hein… Certains la qualifieraient d’excentrique, d’autres de génie. Dans tous les cas, je doute de pouvoir la surpasser en quoi que ce soit.
— Ah.
— Pas que j’en aie jamais eu l’ambition, d’ailleurs… Pourquoi cette question, tout à coup ? C’est à cause des sœurs Zenna ?
Chitanda acquiesça légèrement. Un sourire timide lui effleura les lèvres.
— En réalité, j’ai toujours rêvé d’avoir des frères et sœurs. Une grande sœur, ou un petit frère…
Tu ne trouves pas que c’est merveilleux, d’avoir quelqu’un à qui parler de tout, toujours à tes côtés ?
Je restai un peu surpris, puis haussai les épaules sans répondre. Elle avait décidément tendance à idéaliser les gens.
Et elle croit encore aux fantômes, en plus.
L’annexe possédait bien un petit bain intérieur alimenté par la source, mais il paraissait aussi exigu qu’une salle de bain ordinaire. D’après ce qu’on nous avait dit, il existait un bain extérieur commun, un peu plus bas, alors nous nous y rendîmes. Je prônais l’économie d’énergie, certes, mais pas au point de renoncer à quelques minutes de marche pour un bain plus agréable.
Nous sortîmes de Seizansô et descendîmes la pente. Le bain extérieur, qu’on apercevait après le virage, était géré conjointement par plusieurs auberges du coin. Une femme d’âge mûr tenait la caisse derrière un petit comptoir de bambou, mais nous laissa passer dès qu’elle sut que nous logions à Seizansô.
Chitanda et moi prîmes ensuite des directions opposées, ce qui, fort heureusement, allait de soi. Le vestiaire était étonnamment petit. Personne n’y était, mais un panier posé à mes pieds contenait déjà des vêtements. En regardant de plus près, je reconnus un pantalon cargo. Il ne faisait guère de doute : Satoshi était déjà à l’intérieur.
Je me déshabillai et pénétrai dans le bain. L’endroit, entièrement fait de roches artificielles, imitait l’aspect d’une source naturelle. Le bassin était plus vaste que je ne l’aurais cru, et l’eau, laiteuse et opaque, ressemblait vraiment à celle d’une vraie source thermale.
Une haute palissade de bambou entourait le bain, masquant toute vue sur le village de Zaizen, sans doute pour éviter les regards indiscrets.
Je pris un seau, m’aspergeai, puis entrai dans l’eau. La température était parfaite.
J’avançai vers le fond du bassin, où un grand rocher se dressait au centre. Je le touchai : il était bien réel. À travers la vapeur, j’aperçus une silhouette de l’autre côté. Probablement Satoshi. Je levai la main, et la forme indistincte me répondit d’un signe nonchalant avant de venir vers moi à la brasse.
Pendant ce temps, je m’étais adossé au rocher, le corps immergé jusqu’au menton.
— Houtarou ! s’écria-t-il joyeusement. — Tu es venu ! Ce bain est génial ! J’ai l’impression que l’eau circule jusque dans mes veines !
— Te faire diluer le sang par osmose, ça me paraît risqué.
— Oh, encore une remarque scientifique… Quelle froideur ! Enfin, j’imagine que c’est bon signe : ça prouve que tu te détends.
Je ne répondis pas, et nous restâmes silencieux un moment, profitant simplement de la chaleur de l’eau. J’entendis alors un léger clapotis : quelqu’un entrait dans le bain. C’était sans doute Chitanda, de l’autre côté.
Le soir tombait. Les derniers rayons du soleil s’adoucissaient, et la lumière déclinante se reflétait sur la vapeur. Les étoiles commençaient à percer le ciel.
La chaleur se diffusait peu à peu dans mon corps, au même rythme que le temps s’écoulait. Je me sentais somnolent, sans doute la faute au trajet en bus.
À un moment, Satoshi quitta le bain pour se laver.
Je restai seul, à moitié engourdi dans l’eau chaude.
Ma vue se troubla.
Hm…
Je ne pouvais plus bouger.
4
Je dois vraiment remercier Satoshi de m’avoir ramené sain et sauf jusqu’à la chambre. Si j’avais été seul, cela aurait pu finir à l’hôpital, voire pire. Lorsque nous rentrâmes à Seizansô, moi soutenu par son épaule, Ibara poussa un cri sec :
— Qu’est-ce qui t’est arrivé, Oreki ?!
J’étais incapable de répondre. Satoshi prit la parole à ma place.
— Il a eu un coup de chaleur. L’eau était trop chaude pour lui.
— …
— C’est assez pathétique, à vrai dire. Il n’est même pas resté la moitié du temps que moi. Quand je me suis retourné, il était à deux doigts de s’évanouir.
Ibara se massa le front, exaspérée.
— Oreki, vraiment…
Merci de t’inquiéter.
On me fit allonger dans la chambre. Ibara déplia rapidement un futon et ouvrit la fenêtre. Je m’étendis de tout mon long et respirai profondément.
— …Désolé, tous les deux.
— Ne t’en fais pas, répondit Satoshi.
— Tu es vraiment sans espoir, ajouta Ibara. — C’est comme si tu étais condamné à ne jamais profiter d’un événement.
Sur ces mots, ils quittèrent la pièce. Comme elle l’avait dit, inutilement, d’ailleurs, j’étais bel et bien pitoyable. Je ne suis pas ce qu’on appelle un battant, mais j’ai toujours eu un minimum de confiance en ma constitution physique. Sans doute les secousses du trajet en bus y étaient pour quelque chose.
Alors que je restais allongé, les yeux clos, j’entendis la porte s’ouvrir.
À l’odeur du shampoing, je compris aussitôt que c’était Chitanda.
Elle s’agenouilla à côté de mon futon et parla d’une voix douce.
— Oreki-san… tu vas bien ?
— Pas vraiment.
— Veux-tu que j’aille chercher une serviette ?
Une serviette froide m’aurait certainement fait du bien, mais je n’avais pas envie d’abuser de sa gentillesse.
— Non, ça va. Désolé d’avoir gâché ton voyage si soigneusement préparé.
— Ce n’est rien. D’ailleurs, nous allions bientôt nous raconter des histoires de fantômes. Tu veux venir ?
J’eus un petit sourire. Raconter des histoires de fantômes ? Voilà une tradition qui sentait bon les étés d’autrefois. J’étais vaguement tenté, mais dans mon état, impossible de participer.
J’ouvris les yeux : son visage était bien plus proche que je ne l’aurais cru.
Cette jeune fille avait décidément une notion très personnelle de l’espace intime.
Ce n’était pas la première ni la deuxième fois qu’elle me surprenait ainsi.
Tout ce que je voyais, c’étaient ses joues rosées et ses cheveux encore humides qui luisaient sous la lampe. Je détournai instinctivement le regard.
— Ah… Je vais plutôt dormir.
— Je comprends. Repose-toi bien, alors.
La porte se referma, ne laissant derrière elle que le parfum léger de son shampoing.
Je consultai ma montre : il n’était même pas vingt heures. Des bruits étranges montaient de l’extérieur par la fenêtre ouverte. En écoutant attentivement, je distinguai le coassement des grenouilles. Plus loin, un taiko[4] battait un rythme régulier.
Et comme l’auberge était construite en hauteur, on percevait même le chant des insectes, bien qu’on ne fût pas encore en plein août.
Puis…
Au bout d’un moment, j’entendis la voix étouffée de Rie. La fenêtre de la chambre voisine devait elle aussi être ouverte. Je n’y prêtais d’abord guère attention, mais ses paroles me parvinrent clairement.
— Vous savez que l’auberge est divisée entre le bâtiment principal et l’annexe, non ? En vérité, l’annexe n’était pas nécessaire. Il y a un secret derrière sa construction. Il y a longtemps, du temps où ma grand-mère tenait encore l’auberge, un client à la mine sombre y séjourna. On lui donna la chambre 7, dans le bâtiment principal. Mais il leur dit : « Je ne veux ni repas ni service de chambre. Ne vous approchez pas ». Comme il avait déjà payé d’avance, et que c’était la haute saison, on accepta ses conditions. Cette nuit-là, un cri perçant retentit dans tout l’établissement. Ma grand-mère, affolée, sortit en courant. Des clients qui se promenaient dehors pointèrent la chambre 7 et dirent qu’ils voyaient à la fenêtre l’ombre floue d’un homme pendu, se balançant au vent. Il s’avéra que ce client avait détourné de l’argent de son entreprise avant de s’enfuir. Depuis cet incident, les clients qui logent dans la chambre 7 disent tous la même chose : qu’il y a « quelque chose » dans cette pièce, et qu’ils voient des ombres la nuit. Et le neuvième client à y avoir dormi est mort soudainement d’une maladie inconnue, en pleine nuit ! C’est pour cela que Grand-mère a fait venir un prêtre pour exorciser l’endroit. Mais elle jugea que ce n’était pas suffisant, alors elle fit construire l’annexe pour détourner les rumeurs. On peut voir la chambre 7 juste en face, depuis cette fenêtre : c’est celle tout au fond du deuxième étage. Nous, nous habitons au rez-de-chaussée, et on nous a toujours interdit de monter à l’étage… Cette histoire est strictement confidentielle ! Ne la racontez surtout pas aux clients, d’accord ?
Je ricanai doucement dans mon futon. Une histoire de fantôme aussi classique… décidément, on ne faisait plus dans la nouveauté.
Je voulais dormir tranquille. Rassemblant le peu de force qu’il me restait, je sortis du futon pour aller fermer la fenêtre.
Je pouvais bien supporter un peu de chaleur.
En la refermant, il me sembla distinguer une silhouette mouvante dans la cour.
Mais je n’eus pas le temps de vérifier : je regagnai aussitôt mon futon et m’endormis profondément, sans rêves, jusqu’au matin.
5
J’ouvris lentement les yeux. Il était déjà huit heures, à en croire ma montre. Wow, j’avais dormi près de douze heures. J’avais encore un peu mal à la tête, mais sans doute moins à cause d’un vertige résiduel du bain que d’un excès de sommeil.
Je remarquai soudain que Satoshi dormait juste à côté de moi. Veillant à ne pas le réveiller, je pris le temps de me remettre en état. Je descendis au rez-de-chaussée en me tapotant la tempe, encore un peu embrumé.
Rie et Kayo étaient déjà dans la salle de séjour, mais le petit-déjeuner n’était pas encore servi. J’allais demander où étaient passées Chitanda et Ibara quand elles entrèrent toutes deux dans la pièce.
Ibara avait une attitude étrange. Elle s’agrippait à la manche de la robe de Chitanda. Puis elle nous regarda et déclara :
— Il… il est apparu…
J’observai la scène avec froideur. « Apparu » ? de quoi au juste ?
Ibara fit un pas sec vers Rie et lâcha d’une traite :
— Une petite brise tiède m’a réveillée au milieu de la nuit. Quand je me suis retournée, dans la chambre en face de la nôtre, j’ai vu l’ombre d’un pendu qui se balançait vaguement, comme ça !
C’était d’un vieux jeu, du vu et revu… Il était rare de voir Ibara paniquer à ce point, cela dit. Dommage que tu ne voies pas ça, Satoshi.
Kayo nous apporta du thé brûlant. J’allais saisir une tasse, mais je remarquai qu’elle portait le nom de Rie, alors j’en pris une autre. Je pensai que Kayo aurait, elle aussi, inscrit son nom sur la sienne, mais je ne trouvai pas de tasse à son nom. Rie sourit :
— Je ne savais pas que ce genre d’histoires te faisait peur, Maya-neechan.
— Ce n’est pas que j’aie peur des fantômes, ni que j’aie une raison de les détester. Mais quand on voit ça, c’est juste… perturbant !
Kayo, qui tenait la théière, se figea.
— Maya-neechan, tu l’as vue ?
— Je l’ai vue. Je l’ai vraiment vue. Je l’ai vraiment vue !
— Grande Sœur ! Tu leur as raconté l’histoire ? Papa a dit de ne rien dire à personne !
— Oh, ça va. Ce n’est pas grave, non ? Ce n’est que Maya-neechan.
Tandis qu’Ibara et les sœurs Zenna s’échauffaient autour du récit, je tournai la tête vers Chitanda, agenouillée un peu à l’écart. Nos regards se croisèrent.
Chitanda avait l’air embarrassée, comme si quelque chose la travaillait.
D’après l’expérience, elle avait sûrement quelque chose à dire. Je demandai doucement :
— Qu’est-ce qu’il y a ?
Elle répondit :
— Euh… Qu’est-ce que tu penses de ce qu’a dit Mayaka-san ?
— L’ombre pendue, hein ?
Je souris.
— Disons que ces histoires classiques, ou si tu préfères, clichées, se transmettent parce qu’elles font désormais partie de la vie. Comme cette fois où…
— Cette fois ?
— Ah, laisse tomber.
Je ravalai mes mots au dernier moment. J’avais failli dire : « Comme la fois où Satoshi a raconté l’histoire des Sept Mystères. » C’était, là aussi, du classique, du cliché, du vieillot. Et bien sûr, cela jouait sur la suggestion. Mais je n’avais aucune envie de déterrer ce souvenir. Surtout pas devant Chitanda.
Comme je m’étais soudain arrêté au milieu de ma phrase, Chitanda me dévisagea, intriguée.
Mauvais signe, pensai-je.
Heureusement, son intérêt restait tout entier absorbé par l’ombre pendue.
— …Alors, tu penses que ce que Mayaka-san a vu est vrai ?
— Non.
À ces mots, l’inquiétude de Chitanda parut redoubler. Elle pencha la tête, dubitative.
— Alors j’ai peut-être, moi aussi, mal vu.
— Hm ? Qu’est-ce que tu veux dire ?
Pour une raison ou une autre, elle baissa la voix et me souffla à l’oreille :
— Je l’ai vue, moi aussi. L’ombre pendue dont parlait Mayaka-san.
On ne savait plus l’heure. Quand Ibara s’était réveillée, Chitanda avait ouvert les yeux à son tour. Alourdie de sommeil, elle avait aperçu, dans l’obscurité, l’ombre d’un pendu qui se balançait.
— Mais comme je venais de me réveiller, j’étais encore un peu dans le brouillard. C’est pour ça que j’ai cru m’être trompée… Mais si Mayaka-san dit avoir vu la même chose…
— Oh.
Si ça n’avait été qu’Ibara ou que Chitanda, j’aurais conclu à une simple vision.
Mais puisque toutes deux l’avaient vue, au même moment, je ne pouvais plus nier l’existence de cette ombre pendue. Je révisai ma première hypothèse et dis :
— Il est probable que vous ayez pris autre chose pour ça.
Comme le disait Satoshi hier : « Tout fantôme, lorsqu’on l’examine… »
— … n’est jamais qu’une fleur fanée ?
Mais cette réponse ne la satisfaisait pas. Son regard erra vers le plafond, puis revint se planter dans le mien. Ses yeux brillaient d’une énergie qui trahissait une curiosité ardente pour ce mystère.
— Si c’est le cas, alors qu’est-ce que j’ai vu, exactement ?
Sans que je m’en rende compte, Ibara s’était glissée juste derrière nous.
— Voilà. Si tu dis qu’on a confondu avec autre chose, dis-nous quoi.
C’est un peu lâche de nier ce que Chii-chan et moi avons vu, sous prétexte que toi, tu n’as rien vu, non ?
…Était-il vraiment nécessaire de me traiter de lâche ?
Chitanda et Ibara me dévisageaient, sans sourciller. Par expérience, à partir de là, il était trop tard pour reculer.
— Bien sûr, je ne demande pas à Oreki-san de tout régler tout seul.
Enquêtons ensemble ! déclara Chitanda d’un ton décidé, sans baisser les yeux.
Je ne répondis pas. Je n’aimais pas me lancer dans l’impossible, mais j’avais tout de même le droit de soupirer de résignation, non ?
Comme pour m’achever, Chitanda s’exclama :
— Je suis curieuse !
Après un petit-déjeuner simple, bacon et œufs, soupe instantanée et consommé de légumes, nous remontâmes au deuxième étage. Nous croisâmes Satoshi qui descendait l’escalier. Il ignorait tout de l’incident de la nuit mais qu’importe. Il avait beau posséder un kaléidoscope de connaissances sans rapport, je doutais qu’elles soient utiles ici.
Ibara avait promis d’aider Rie pour ses devoirs de vacances.
— Désolé de ne pas aider. Bon courage, alors.
— Laisse-nous faire !
On découvrira la vérité du mystère ! Pas vrai, Oreki-san ?
Difficile d’en jurer. Quoi qu’il en soit, si je dois m’y coller, autant faire vite. Je fis entrer Chitanda dans ma chambre pour l’interroger plus en détail. Près de la fenêtre, deux chaises et une petite table : nous nous y installâmes.
Bon…
— L’ombre pendue, tu l’as vue dans la chambre juste en face de la vôtre ? demandai-je en ouvrant la fenêtre pour regarder le bâtiment principal.
— Oui, c’est ça.
— De quelle taille ?
— J’étais un peu dans les vapes, donc je ne peux pas être précise… mais je dirais à peu près taille humaine. Pour la forme… je suis désolée, je ne me souviens plus. C’est seulement en entendant Mayaka-san parler d’une ombre pendue que j’ai pensé à l’ombre d’une personne.
La voix de Chitanda se fit plus douce, à mesure qu’elle fouillait dans ses souvenirs. Elle n’était visiblement pas sûre d’elle. Or, pour soutenir sa curiosité, Chitanda possède d’ordinaire une excellente mémoire et un sens aigu de l’observation.
Que ce soit flou signifiait qu’elle était vraiment fatiguée hier soir.
Mais comme je n’avais rien vu de cette ombre, ou de ce que c’était, je ne pouvais que m’en remettre à sa mémoire, aussi vague fût-elle.
Je poursuivis :
— De quelle couleur était-elle ?
— Je ne sais pas. Pas parce que j’ai oublié, mais parce que ce n’était qu’une ombre.
J’essayai d’imaginer ce qu’avait vu Chitanda, sans y parvenir. Le mot « ombre » restait trop vague.
— Une ombre, donc. Autrement dit, il y avait une source de lumière, et vous avez vu une silhouette à contre-jour ?
— Si ce n’était pas un phénomène surnaturel, je pense que c’est ça.
— Une source de lumière…
Je me tournai de nouveau vers le bâtiment principal.
— La nuit, la source de lumière, ce serait la lune…
Ma propre voix trahissait le doute.
— Je le pense aussi. La lune était bien ronde, hier. Mais il y a quelque chose qui cloche… Ah.
Chitanda, qui regardait le bâtiment principal, laissa échapper un petit cri.
Évidemment. Qu’il s’agisse de la lune ou d’un projecteur, aucune ombre n’aurait pu se former : tous les volets du bâtiment principal étaient fermés.
— Chitanda, à quelle heure vous êtes-vous couchées ?
— Euh… vers vingt-deux heures.
Nous étions fatiguées, et j’avais promis de prendre un bain avec Mayaka-san ce matin, alors on s’est couchées tôt.
— Dans quel état étaient les volets, à ce moment-là ?
Chitanda réfléchit un instant, puis répondit :
— Je crois qu’ils étaient fermés.
Je ne peux pas l’affirmer, mais le bâtiment principal était plongé dans le noir.
— Hm.
Si les volets étaient clos, il ne pouvait pas y avoir d’ombre. Ça devenait pénible.
Je me grattai la tête.
Emmerdant ou pas, il nous faudrait sans doute aller voir la chambre 7, là où l’ombre avait été vue.
Chitanda lança, tout sourire :
— C’est formidable ! C’est comme un mystère ! Avec des plaisirs pareils, je suis ravie d’avoir fait ce voyage !
Il n’y avait bien que toi pour t’en réjouir.
On pouvait gagner le bâtiment principal par le couloir de jonction. Mais à l’extrémité, une corde barrait le passage, avec une pancarte : « Interdit d’entrer aux personnes étrangères aux travaux. »
Chitanda hésitait à se glisser dessous. Je la comprenais : s’attirer des ennuis serait fâcheux. Il nous fallait probablement demander l’autorisation.
Sauf qu’en parler aux propriétaires pour dire qu’on enquêtait sur « l’ombre pendue » mettrait Rie dans l’embarras, après nous avoir priés de nous taire. Mieux valait s’adresser à l’une des sœurs Zenna.
La chance voulut que Kayo passe justement par là. Je l’appelai. Elle se figea, puis se détendit en apercevant Chitanda à mes côtés.
— Oui ? Qu’y a-t-il ?
Je regardai Chitanda.
— Hein ?
— À toi de jouer.
Je suis mauvais avec les gamines candides.
— D’accord. Kayo-san, nous voudrions entrer dans le bâtiment principal. Est-ce possible ?
— Le bâtiment principal ? Pourquoi ?
— Tu l’as sans doute entendu au petit-déjeuner : nous enquêtons sur l’ombre pendue que Mayaka-san et moi avons vue.
Pourrais-tu nous conduire à la chambre 7 ?
Je comprends que l’honnêteté soit une vertu, et que tu aimes attaquer les problèmes de face, mais ta formulation gagnerait à être travaillée, Chitanda. Sans surprise, Kayo secoua la tête.
— Je suis désolée, mais pas maintenant. Grande Sœur… va se fâcher.
Bon, tant pis. À bien y réfléchir, demander à entrer dans la maison de quelqu’un, par simple curiosité, n’avait rien d’évident. Je renonçai vite à l’examen in situ de la chambre 7, et me rabattis sur une question :
— Au moins, dis-nous ceci : cette chambre est-elle encore utilisée pour les clients ?
Je n’avais aucune intention de l’intimider, mais j’avais peut-être posé la question d’un ton un peu trop direct : Kayo recula légèrement, le front plissé.
Elle répondit tout de même :
— Non. Les clients n’utilisent que la salle de bain et la salle à manger du bâtiment principal.
— Je vois…
— Le deuxième étage sert de débarras… Je peux y aller ?
J’acquiesçai.
— Merci. Tu nous as beaucoup aidés.
Mais Kayo prit ses jambes à son cou avant même que je termine. Je croisai les bras, d’humeur morose.
— On dirait qu’elle ne m’aime pas.
Chitanda se contenta de sourire, amusée par notre échange.
— Ne t’inquiète pas, elle a sûrement peur des grands garçons. C’est trop mignon ! Ah, une petite sœur, ce serait formidable ! s’écria-t-elle, ravie.
Mignon, hein…
Le soleil montait, la chaleur aussi. J’essuyai mon front moite du revers de la main. Chitanda, avec sa résistance surhumaine à la chaleur, demeurait impassible.
— C’est embêtant si on ne peut pas entrer dans la chambre 7 ?
— Plus pénible qu’embêtant.
Je me dirigeai vers l’entrée avec Chitanda. Puisqu’on ne pouvait pas examiner l’endroit de l’intérieur, je comptais l’observer de l’extérieur. Je me penchai pour me déchausser à l’entrée commune aux clients et à la famille Zenna, quand Chitanda s’exclama, tout excitée :
— Ah, ça me rappelle des souvenirs !
Elle venait de trouver, près du meuble à chaussures, deux cartes de présence aux exercices radiophoniques du matin. L’une, au nom de Rie, portait son nom en grandes lettres. L’autre, sans nom, devait être celle de Kayo. Sur la carte de Rie, quelques tampons au début des vacances d’été, puis plus rien. Celle de Kayo, en revanche, montrait une assiduité parfaite.
Chitanda prit les deux cartes en main.
— La gymnastique du matin… Ça fait deux ans que je n’en ai pas fait !
Tu as continué jusqu’en deuxième année de collège… Sérieusement ?
Je n’en ai pratiqué que tout petit, si on exclut cette période-là. À quel moment, déjà, ai-je décidé de devenir partisan de l’économie d’énergie ?
Nous sortîmes au jardin et fûmes aussitôt enveloppés d’air humide et d’une forte odeur de verdure.
Nous levâmes les yeux vers l’emplacement de la chambre 7, dans le bâtiment principal. Les volets étaient toujours clos. Chitanda me proposa d’aller voir derrière. En m’y rendant, je renversai par mégarde un peu d’eau.
— Oups.
L’eau boueuse éclaboussa les pieds de Chitanda et tacha ses chaussures.
— Désolé.
— Ce n’est rien.
Le sol restait détrempé parce que l’annexe interceptait le soleil du matin.
Je pensai d’abord que l’humidité venait des plantes alentour, mais non.
Je remarquai que les zones exposées au soleil étaient presque sèches : un certain temps s’était donc écoulé depuis que le sol était mouillé.
Je demandai :
— Chitanda, il a plu cette nuit ?
— Oui. Je ne sais pas à quelle heure, mais il y a eu une averse.
Nous fîmes le tour du bâtiment principal. Je voulais examiner la chambre 7 de l’autre côté, mais là aussi, les volets étaient fermés. Or, pour former une ombre, il aurait fallu que les volets ouest et est soient ouverts.
Alors que je croisais les bras, je vis Chitanda faire de même, l’air songeur.
J’allais lui demander son avis quand la fenêtre en face de nous s’ouvrit, et Kayo lança :
— Euh… C’est l’heure du déjeuner.
Je consultai ma montre. En effet, midi approchait.
Il était l’heure de la pause.
Le déjeuner, des hiyashi chûka (ramens froids), était délicieux. Ce n’est pas qu’on suffoquait ici, en altitude, mais la fraîcheur était bienvenue. Nous étions six autour de la table. Ibara demanda, en maniant ses baguettes :
— Alors, vous avez découvert quelque chose ?
— Pas encore…
Je pris le relais de Chitanda :
— On commence à peine à creuser. J’ai bien une hypothèse, ceci dit.
— Oh ? On t’écoute.
Ce serait difficile : mes idées restaient floues, insaisissables. Je ne répondis pas, et Satoshi grogna, faussement vexé :
— Qu’est-ce que vous chuchotez tous les trois ? On passe notre temps ensemble, et vous auriez le cœur de m’exclure ?
La protestation théâtrale, typique de Satoshi. Je n’avais pas envie de me lancer dans des explications, alors je répondis par une question :
— Exclu ou pas, où étais-tu passé ? On ne t’a pas vu de la matinée.
— Aux sources, évidemment. On est censés y aller plusieurs fois par jour, quand l’envie nous prend.
Ah bon ? Après la mésaventure d’hier, je n’oserais pas.
Je n’avais mangé que la moitié de mon assiette quand deux voix s’élevèrent coup sur coup :
— Merci pour le repas.
— Merci pour le repas.
C’étaient les sœurs, Rie et Kayo. Rie emporta sa vaisselle vers le bâtiment principal. Kayo l’imita après un court instant. Chitanda sourit, enchantée par cette scène. Apparemment, elle trouvait ça attendrissant.
— Ce doit être merveilleux d’avoir une sœur. J’envie ces deux-là.
— Oh ? Tu aurais voulu des frères et sœurs ?
— Non, je ne dirais pas que j’en veux absolument. Et toi, Fukube-san, tu as des frères et sœurs ?
Satoshi se lança dans un discours sur sa petite sœur. Je l’avais déjà rencontrée et le moins qu’on puisse dire c’était qu’elle était à part en plus d’être hautaine. Pas du tout conformiste, comme ma sœur.
Nous terminâmes le déjeuner sur ce sujet. À ce moment, Rie, qui s’était rendue au bâtiment principal, revint. Avec un « Ta-daaa », Rie apparut en yukata. Pas un yukata de bain, qu’on enfile après une trempette pénible et peu ragoûtante, un yukata de fête, pour parader lors des feux d’artifice. D’un bleu clair qu’on pourrait dire couleur d’eau, orné d’un motif de vagues et de pluviers, il avait fière allure. Rie en paraissait extrêmement fière.
— Alors ? Vous le trouvez comment, mon yukata ?
— Waaah ! s’écria Chitanda.
— Il est superbe !
— Oui, ça te va bien. Tu fais très adulte.
Rie rayonna sous les compliments.
— Mes parents me l’ont acheté au début des vacances parce que mes notes ont monté. Allons au festival de feux d’artifice ce soir !
Je m’y prépare depuis si longtemps !
Tandis que toutes trois s’extasiaient sur le yukata, Satoshi me jeta un coup d’œil en coin et me glissa, à voix basse :
— Il est beau, oui.
Connaissant la manière alambiquée de Satoshi, je compris très bien ce qu’il voulait dire. Je lui répondis à mi-voix :
— Et qu’est-ce qui ne va pas ?
— L’obi.
L’obi, c’est l’âme d’un kimono, et celui-là est une imitation.
Je regardai de nouveau. Le nœud papillon flottait en effet d’une drôle de façon, mais la remarque de Satoshi me sembla déplacée.
— Pourquoi ce serait radioactif ?
— J’ai dit imitation, pas mutation… Le nœud papillon est une pièce séparée. C’est facile à mettre, mais pour moi, on n’appelle pas ça un yukata.
Qui se soucie de ta philosophie ? Un œil averti le remarquera, mais sinon, personne n’y verra rien. Quelle absurdité, pensai-je en bâillant et en m’étirant.
C’est à ce moment-là.
— …Hmm ?
Je sentis une présence.
Je me retournai vers la cloison ouverte.
Il n’y avait personne. Étrange : j’étais pourtant certain d’avoir vu filer une silhouette humaine. Moi aussi, j’étais atteint par la malédiction de l’ombre pendue ?
— Qu’est-ce qu’il y a ?
J’ignorai la question de Satoshi.
Une silhouette humaine, hein.
Je sortis de la pièce. Ce serait bien si je trouvais un endroit pour réfléchir au calme.
Je remarquai que Chitanda me suivait. J’allais lui dire de ne pas venir, mais une idée me vint.
— Et si nous allions au bain d’hier ?
Je me retournai et lui proposai la chose. Elle sourit et acquiesça.
Sur le chemin du bain, je gardai le silence, rassemblant mes idées. Me voyant ainsi, Chitanda se tut elle aussi.
L’ombre pendue. Une fleur fanée, le produit d’une erreur d’observation d’Ibara et de Chitanda. Ce serait difficile, mais elles accepteraient probablement que je l’affirme. Pourtant, il manquait quelque chose…
Nous arrivâmes au bain extérieur. Avant de nous séparer, Chitanda dit :
— Rentrons ensemble.
Je ne pus répondre. En passant le comptoir et en entrant dans le vestiaire, j’eus une impression de déjà-vu. Je compris aussitôt pourquoi : tout était exactement comme la veille. Un panier à mes pieds contenait des vêtements, dont un pantalon cargo. Satoshi, sans aucun doute. Mais c’était plus mystérieux que l’ombre pendue : n’était-il pas encore assis à table quand nous sommes partis ? Aurait-il utilisé un téléporteur ?
Quand j’entrai dans le bain, Satoshi trempait déjà, comme prévu.
Je restai hors de l’eau et le fixai ; même sans bien me voir, il s’en aperçut, se retourna et fournit l’explication :
— Si tu dévales la pente derrière Seizansô, tu arrives juste derrière ici.
Je ne fus nullement surpris. C’était tout à fait son genre : glisser sur une pente pour gagner un raccourci. Je me plongeai dans l’eau. Je m’essuyai la tête avec une serviette pour dissiper le voile dans mon cerveau, sans grand effet.
Avec les problèmes agaçants du club de littérature classique, autrement dit, les affaires que Chitanda amenait, les solutions devaient la satisfaire.
Or, j’avais beau me creuser la tête, aucune explication de l’ombre pendue ne me venait qui la convaincrait.
Ce qui manquait, c’était le pourquoi. La vraie nature de l’ombre n’était pas difficile à déduire.
Mais sans expliquer pourquoi elle était là, impossible de fournir une réponse acceptable à Chitanda. J’avais toutefois une idée.
Je fouillai ma mémoire en silence un moment. Me voyant immobile, et, songeant peut-être à l’incident d’hier, Satoshi rompit le silence :
— Houtarou ? Tu vas quand même pas retomber dans les pommes ?
Satoshi, hein ? Il savait peut-être quelque chose. Je tentai :
— Dis, il y a eu des événements hier soir ?
Satoshi parut saisi par la question, puis retrouva vite son sourire habituel :
— Le grand moment d’hier, c’est sans doute toi en train de perdre connaissance.
— Je te dois beaucoup, mais je ne te remercierai pas deux fois.
Autre chose ?
— Eh bien, comme tu sais, on s’est raconté des histoires de fantômes.
J’avais une fleur dans chaque main… et une de plus en réserve.
Des fleurs, hein. Chitanda serait le lotus, et Ibara le chardon, j’imagine.
— Non, je ne parle pas d’événements privés. Tu sais s’il y avait quelque chose d’officiel ?
— Hmm, je ne suis pas sûr de ce que tu appelles « officiel », vu que je n’habite pas ici… Mais il y avait le festival d’été. Tu n’as pas entendu les tambours ?
Le festival d’été. Je vois. Donc il y avait ça… Comme je le pensais.
D’ordinaire, Satoshi aurait remarqué ma satisfaction et s’en serait moqué.
Mais la moitié de son visage baignait dans l’eau, ses yeux semblaient lourds, engourdis. Il ne vit rien.
Je lui aurais répondu s’il m’avait interrogé, mais il n’en eut pas besoin.
Je sortis du bain. Je m’habillai et sortis dehors. Chitanda n’était pas encore partie.
Le contraste du chaud et du frais m’aida à ordonner mes idées, en attendant.
Bientôt, Chitanda sortit à son tour, et nous repartîmes.
Sur le chemin du retour vers l’auberge, j’engageai la conversation :
— L’ombre pendue que tu as vue… c’était probablement un yukata suspendu sur un cintre.
— Hein ?
Chitanda fut saisie par la réponse. Je la laissai digérer, puis poursuivis :
— Il n’est pas impossible de prendre la silhouette d’un yukata pour l’ombre d’une personne, même sans être à moitié endormi. S’il ne s’agissait pas d’un fantôme, ce devait être un vêtement de type robe, suspendu au plafond, non ?
Chitanda resta muette un instant, puis inclina la tête, signe qu’elle n’acceptait pas l’idée.
— Mais pourquoi un yukata serait-il là, précisément ? Et ce serait bizarre que quelqu’un ouvre les volets juste pour qu’on le voie pendu.
— Ce n’était pas pour que vous le voyiez.
Je jetai un coup d’œil au ciel.
— C’était pour le sécher. Le yukata était mouillé. On avait ouvert pour laisser entrer le vent et accélérer le séchage.
— Pourquoi ?
— Parce qu’il avait plu.
— Non, je veux dire : pourquoi l’avoir mis à sécher dans la chambre 7 ?
— Pour que personne ne le voie en train de sécher.
— Mais nous, on l’a vu !
— Non, pour le cacher au reste de la famille.
Manifestement, je n’avançais pas. Je me grattai la tête.
D’une traite, je repris depuis le début :
— Celle qui a suspendu le yukata, c’est Kayo.
— Kayo était jalouse du yukata de Rie et voulait l’essayer.
Mais, même s’il lui allait, ce yukata appartenait à Rie. Et Rie ne le lui aurait sûrement pas prêté. Tu n’as pas remarqué ? Rie met son nom sur sa tasse et sur sa carte de gymnastique du matin : elle tient à ce que chacun sache ce qui est à elle. Elle est possessive. De plus, Kayo a peur de Rie. Elle n’aurait pas osé lui demander. Mais Kayo voulait quand même le porter, alors elle l’a pris en cachette. Heureusement pour elle, l’obi est attaché au yukata : elle pouvait l’enfiler toute seule.
Et comme c’est la fille des aubergistes, remettre de l’ordre après l’avoir porté ne devait pas lui faire peur. Bref : elle l’a mis hier soir, vers vingt heures, pour aller au festival d’été. Elle a dû bien s’amuser.
— Kayo-san est allée au festival ? Comment le sais-tu ?
— J’ai appris par Satoshi qu’il y avait un festival hier soir. Quant à savoir que Kayo y est allée, c’est parce que j’ai vu quelqu’un quitter la maison avant huit heures. Et Kayo n’était pas là pour les histoires de fantômes, n’est-ce pas ?
Ce matin, Kayo reprochait à Rie d’avoir raconté l’histoire de l’ombre pendue.
Si elles avaient été ensemble quand Rie l’a racontée, Kayo ne s’en serait pas plainte ce matin seulement. En outre, d’après Satoshi, il n’y avait que trois filles dans la pièce.
Selon ses mots, il avait une fleur dans chaque main… et une de plus en réserve.
— J’en ai déduit ceci : pendant que Kayo s’amusait au festival, un pépin est survenu.
Chitanda inspira profondément.
— Il s’est mis à pleuvoir, dit-elle.
— À en juger par l’état de sécheresse du sol, l’averse n’a pas duré, mais le yukata a été trempé. Et Kayo s’est souvenue que Rie comptait jouer aux feux d’artifice le lendemain : il était évident que Rie remettrait le yukata. Il fallait donc qu’il soit sec à temps. Elle a dû être morte de trouille.
Je marquai une pause.
— Or, si elle le faisait sécher au rez-de-chaussée du bâtiment principal, quelqu’un risquait de le voir. Et l’annexe, n’en parlons pas. Impossible aussi d’utiliser le sèche-linge à une heure pareille. Alors Kayo a attendu que tout le monde dorme, puis elle s’est faufilée au deuxième étage du bâtiment principal pour le suspendre dans la chambre la plus éloignée. Mais la malchance a continué : avec les fenêtres ouvertes, la lumière de la lune t’a fait prendre le yukata pour une ombre pendue. Comme la lumière venait de l’ouest, c’était après minuit, sans doute vers trois ou quatre heures. Et pire encore, nous avons commencé à enquêter sur « l’ombre pendue ». Tout à l’heure, au déjeuner, les deux sœurs ont quitté la table bien vite. Rie voulait exhiber son yukata, mais Kayo… Elle devait se sentir sur un lit de clous.
Je marchais en parlant.
Je me rappelai alors la façon dont Kayo s’était raidie en me voyant.
C’était donc pour ça qu’elle était terrorisée.
— Kayo a rendu le yukata ce matin. Assez tôt… Pour l’heure exacte, on pourrait vérifier l’horaire de l’émission de radio, puisque Kayo est assidue aux exercices du matin. Elle a probablement remis le yukata avant d’y aller.
— …
— Mieux vaut éviter d’en parler à Ibara. Si, d’une manière ou d’une autre, Rie l’apprenait, Kayo serait dans de beaux draps. On ne sait jamais.
Chitanda baissa simplement les yeux et continua de marcher sans un mot.
Alors que nous descendions la longue pente douce, Chitanda finit par murmurer, sans relever la tête :
— Mais alors… ça voudrait dire que ces deux-là ne s’entendent pas.
Je n’y avais pas pensé. Sans tenir compte de ma perplexité, elle poursuivit :
— Pour deux sœurs incapables de se prêter un yukata, on ne peut pas parler d’un lien très proche.
Elle dit cela avec un mince sourire. Ses lèvres souriaient, mais son expression était emplie de tristesse. Ce n’était pas la première fois que je la voyais ainsi.
Je parvins à peine à ouvrir la bouche :
— C’est assez banal, entre frères et sœurs, non ? Ma sœur, par exemple…
— Moi…
Il semblait qu’elle ne m’ait pas entendu.
C’était presque un monologue.
— J’ai toujours voulu des frères et sœurs.
Une grande sœur respectable, ou un petit frère mignon…
Nous avancions, vêtus de nos yukatas. L’été n’était pas fini. D’énormes colonnes nuageuses se dressaient devant nous, et c’était un peu déprimant de les voir se dissoudre tout à coup.
Quand Seizansô apparut, Chitanda acheva enfin sa phrase :
— Mais je crois que j’avais compris que l’ombre pendue n’était pas un fantôme. Et j’avais sans doute compris aussi que tous les frères et sœurs du monde n’étaient pas forcément heureux ensemble.…
Je ne tenais pas à en entendre davantage. Heureusement, elle n’ajouta rien.
Nous remontâmes lentement la pente douce, bordée d’une verdure dense. Je le savais depuis le début : les frères et sœurs dont parlait Chitanda étaient comme des apparitions. Dès qu’on y regarde de près, ce ne sont que des fleurs fanées.
La moiteur imbiba mon corps, encore tiède du bain, et je me mis à transpirer à grosses gouttes. Une silhouette, sur la butte, se tourna vers nous. À mesure que nous approchions, la silhouette se précisa.
C’était Rie, qui nous faisait de grands signes.
[1] Ndt : Parodie de « Nessie » surnom donné au monstre du Loch Ness, ici on parle de Hussie comme surnom pour le monstre du lac Hamana. Hamana est d’ailleurs connu pour ses anguilles.
[2] Un poisson d’eau salé.
[3] Haricots rouges japonais.
[4] Cela désigne l’art de jouer du tambour au Japon.