THE TOO-PERFECT SAINT T4 - CHAPITRE 1
Le retour triomphal de la Sainte vendue
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Traduction : Calumi
Harmonisation : Opale
Relecture : Raitei
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— Le germe du démon. Non seulement les cas observés sont extrêmement rares, mais les informations concernant cette maladie sont aussi désespérément insuffisantes. Il sera difficile d’en créer un remède miracle.
Le lendemain de ma rencontre avec le prince Reichardt, je passai la journée dans le manoir à étudier des ouvrages de recherche. Il semblait que la maladie touchait aussi bien les hommes que les femmes, des adolescents jusqu’à la cinquantaine.
— Il ne semble pas y avoir de nouvelles informations… Et aucun apothicaire n’a consacré plus de quelques années à son étude. Je suppose que je n’ai d’autre choix que d’adopter une approche lente et méthodique.
Alors que je réfléchissais, j’entendis frapper à la porte. Qui cela pouvait-il bien être ?
— Le prince Osvalt est arrivé, m’annonça Leonardo.
— Vraiment ?
En entendant la nouvelle, je quittai précipitamment la pièce et me rendis en hâte au salon pour l’accueillir. Je le trouvai assis sur le sofa, m’attendant calmement. Lorsqu’il croisa mon regard, il m’adressa un sourire, mais j’y perçus une certaine gêne.
— Pardonnez-moi de vous avoir fait attendre, Osvalt. Lena, pourrais-tu nous apporter du thé noir et quelques douceurs ?
— Entendu.
Lena s’inclina et quitta la pièce.
— Non, c’est moi qui ai été impoli en venant sans prévenir. Pardonne-moi, Philia. Je voulais simplement avoir ton avis sur quelque chose.
— Vraiment ? Y a-t-il un problème ?
— Non, rien de tout cela… Enfin, attendons que Lena revienne avec le thé.
Osvalt paraissait un peu mal à l’aise, mais son expression retrouva vite son calme habituel. Je me demandai ce qu’il pouvait bien vouloir me dire.
Nous échangeâmes quelques mots légers avant qu’il ne prenne enfin la parole, une fois le thé servi.
— Philia, te souviens-tu de notre discussion à propos de la personne qui te conduirait à l’autel ?
— Oh, oui. Comme je n’ai pas de père, vous m’aviez suggéré de demander à d’autres proches. J’avais pensé que Mia pourrait s’en charger.
Quelqu’un devait bien me mener à l’autel, après tout. Traditionnellement, c’était le rôle du père de la mariée, mais mon père biologique était mort, et celui qui m’avait élevée, le père de Mia, était emprisonné à Girtonia. J’avais donc respecté la coutume en demandant à un membre de ma famille de le remplacer.
— Mia a-t-elle répondu ?
— Oui. Elle a dit que ce serait un honneur.
Ma réponse arracha à Osvalt un sourire gêné.
— Oh, je vois. Hm… je ne sais pas trop comment dire cela. Pardonne-moi, ce n’est vraiment rien d’important. Je voulais simplement te demander si tu accepterais que ce soit Hildegarde qui te conduise à l’autel le jour de notre mariage, plutôt que Mia.
— Maître Hildegarde ? Pensez-vous que Mia poserait problème ?
— Pas à proprement parler… mais, pour être exact, la tradition des mariages royaux à Parnacorta veut qu’en l’absence du père, la priorité revienne au parent le plus proche de la mariée. Cette ancienne coutume m’était inconnue, mais certains fonctionnaires et nobles tiennent à ce que les formalités soient scrupuleusement respectées.
C’était la première fois que j’entendais parler de cette coutume. J’aimais étudier la magie ancienne, mais les mariages royaux ne faisaient pas partie de mes domaines de prédilection. J’ignorais totalement qu’il existait des règles précisant qui devait accompagner la mariée à l’autel.
— Cela signifie-t-il que mon Maître… ma mère biologique, serait plus indiquée que Mia pour ce rôle ?
— En termes de lien du sang, oui. Certains trouveraient étrange que Dame Hildegarde ne t’accompagne pas, puisqu’elle assistera à la cérémonie.
Il n’avait pas tort. Si nous respections la tradition, il paraîtrait curieux que Mia s’en charge tandis qu’Hildegarde serait présente. En vérité, il était étrange que je n’aie pas songé à lui demander dès le départ. J’ignorais la coutume, certes, mais ce n’était pas une excuse. Était-ce parce qu’au fond de moi, je ressentais encore…
— J’ai l’impression que lui demander une faveur te met mal à l’aise, Philia, alors je ne vais pas insister. Mais accepterais-tu d’y réfléchir ?
— Oui, bien sûr. Il est normal de respecter la tradition.
— Philia…
Avec le recul, apprendre qu’Hildegarde était ma mère n’avait pas vraiment changé notre relation. Comme moi, mon maître était une femme peu bavarde, et j’avais toujours hésité à aborder des sujets personnels, même durant l’entraînement. Avec le temps, je compris que cette réserve m’avait sans doute nui. Si j’avais davantage cherché à me rapprocher des autres, ma vie aurait pu être différente.
— Merci beaucoup, dit Osvalt. — Je suis désolé de te placer dans une position aussi délicate.
— Vous exagérez, Osvalt. Demander une faveur à mon maître n’a rien de difficile.
Osvalt comprit mes sentiments sans que j’aie besoin de les exprimer. C’était un homme véritablement bon. C’est pour cela que je lui faisais confiance.
— Ne vous en faites pas, Dame Philia, intervint alors une voix. — Je suis certaine que Dame Hildegarde serait honorée de vous accompagner à l’autel.
— Lena…
À ces mots, Lena m’adressa un sourire encourageant.
Elle avait raison. Mon maître n’y verrait sans doute pas d’inconvénient. Mais je ne pouvais pas l’imaginer exulter non plus. Était-elle seulement capable d’éprouver de la joie ?
— Très bien. C’est une affaire importante, mais je ne peux pas me permettre un long voyage à l’étranger. Je vais lui écrire une lettre dès que…
— Vous voulez qu’on vous ramène jusqu’à votre ville natale ?
Une voix familière me coupa, nous laissant tous sans voix. C’était celle d’une amie qui avait travaillé sans relâche à mes côtés pour percer le mystère des disparitions et résoudre l’affaire du faux testament du Pape.
— Cela faisait longtemps, Sainte Salvatrice.
— Hé, Petite Philia. Ça fait un bail.
— E-Erza ! Et Mammon est là aussi !
Dans l’encadrement de la porte se tenaient deux de mes amis : Erza, l’exorciste, et Mammon, son familier. Quand je me retournai, stupéfaite, ils m’adressèrent tous deux un large sourire.
Pourquoi étaient-ils ici ? Et que signifiait cette histoire de m’emmener dans ma ville natale ?
— Hé, vous deux ! Ne pourriez-vous pas entrer normalement ? Par la grande porte, par exemple ?
— Oh, Lena. Tes réactions sont toujours aussi adorables. J’avais bien proposé d’ouvrir la porte et de faire une entrée convenable, mais Erza voulait voir si elle pouvait surprendre la petite Philia.
— Franchement, Sainte Salvatrice, je ne sais pas comment vous restez si calme. À côté de vous, j’ai l’impression d’être une enfant.
— Je vous assure que je suis tout à fait surprise. Cela ne se voit simplement pas sur mon visage.
Retrouver ce duo me remplit de nostalgie, ce qui était étrange, car nous ne nous étions pas séparées depuis si longtemps.
— Quoi qu’il en soit, Erza, qu’est-ce qui vous amène aujourd’hui ?
— Oh, vous insinuez que je ne peux pas venir sans raison ?
— Pas du tout, mais…
— Je plaisante. L’Église-mère envoie les salutations du nouveau Pape à chaque Sainte du royaume, alors j’ai pensé être celle qui vous remettrait la vôtre.
Erza sortit de la poche de sa tunique une lettre qu’elle me tendit. Je la parcourus du regard. Elle venait d’Olstra, le nouveau Pape.
— Je vois. Merci d’avoir fait tout ce chemin.
— Eh bien, Grande Sœur Erza a trouvé un prétexte pour venir te voir, et elle s’est empressée de saisir l’occasion, déclara Mammon.
— Mammon. Tu sais ce qui arrive quand tu dis des choses inutiles, n’est-ce pas ?
— Non, Grande Sœur ! Range ton épée ! Il est bien trop tôt pour décapiter quelqu’un !
Les protestations de Mammon furent aussitôt suivies d’un bruit métallique sec, tandis qu’Erza dégainait son cimeterre, prête à frapper. Ces affrontements semblaient être leur routine quotidienne.
— Je suis vraiment heureuse que vous soyez venue me voir, Erza, dis-je en m’interposant.
— O-oh… Dans ce cas, je suppose que ça valait la peine.
— Oui. Merci.
Alors que je lui exprimais humblement ma gratitude, Erza détourna le regard, légèrement gênée, et rengaina son arme.
Quel soulagement. Nous avions toutes connu notre lot de violence, mais je préférais éviter de voir des têtes tomber dans mon propre salon.
Il était temps d’en revenir au sujet principal.
— Vous avez dit que vous m’emmèneriez à Girtonia. Dois-je en déduire ce que je pense ?
— Oui. J’étais justement en route pour remettre les salutations du Pape à votre sœur et à votre mère.
— Je vois. Voilà donc votre véritable objectif.
Quand je vis les deux lettres de salutation qu’Erza tenait en main, tout devint clair. Depuis le début, elles avaient prévu de m’emmener à Girtonia. Le débat sur la personne qui me conduirait à l’autel n’était qu’un prétexte.
— Je vous remercie, Erza, mais je dois refuser. Il ne serait pas convenable qu’une Sainte quitte son pays aussi souvent.
— Attends un instant, Philia, dit Osvalt en posant une main sur mon épaule.— Parnacorta ne pourrait rêver d’une meilleure Sainte. Personne ne te reprochera de prendre un peu de repos. Depuis que tu as la capacité de maintenir le Grand Cercle de Purification même en ton absence, tu n’as cessé d’œuvrer pour le bien du royaume.
Pour moi, cela revenait simplement à accomplir mes fonctions habituelles. Je ne me considérais pas particulièrement surchargée. Pourtant, je me souvenais que Lena et Leonardo m’avaient tous les deux conseillé de me reposer dès mon arrivée à Parnacorta. Je savais que le repos était nécessaire, mais je n’avais jamais su en trouver la juste mesure.
— J’espère sincèrement que vous profiterez de cette occasion pour vous détendre, Dame Philia, ajouta Lena. — Je suis certaine que Mia et Dame Hildegarde seraient ravies de vous revoir.
— Je partage cet avis, déclara Leonardo. — Moi, Leonardo, vous conseille de vous accorder un peu de répit, Dame Philia, pour votre bien être, et afin que votre mariage ait la célébration unique qu’elle mérite d’être.
Même mes domestiques tentaient de me convaincre. Autrefois, je les aurais ignorés et aurais continué à travailler sans relâche. Mais désormais, je comprenais que leurs paroles naissaient d’une réelle bienveillance.
Je finis par céder à leurs encouragements.
— Très bien. Je vais suivre vos conseils et prendre un court congé.
Mes valeurs semblaient avoir complètement changé depuis mon arrivée à Parnacorta.
— Voilà qui est mieux, répondit Osvalt avec un sourire.
— Dame Philia ! Vous allez enfin vous accorder un peu de repos ? Préparons le voyage, Leonardo !
— Bien sûr. Lena, préviens Himari que nous aurons besoin de son aide.
— C’est chose faite !
Osvalt ne dit rien, mais un sourire satisfait se dessina sur son visage. Lena et Leonardo quittèrent la pièce à la hâte, impatients de tout organiser pour le départ.
— Tout de même, est-ce vraiment raisonnable que je quitte le pays ?
— Ne songe même pas à refuser. Avec tout ce que tu accomplis et les efforts que tu fournis, tu mérites bien davantage qu’un simple congé. De plus, tu es fiancée à un prince de Parnacorta, et tu vas rencontrer quelqu’un pour discuter de la personne qui t’accompagnera à l’autel. Considère cela comme une mission officielle.
— Une mission officielle ? dis-je. — Vous me connaissez trop bien, Osvalt.
— On dirait bien, répondit-il en riant. — Quoi qu’il en soit, j’aimerais avoir une nouvelle occasion de saluer Dame Hildegarde.
— Quoi ? Vous venez avec nous ?
— Pourquoi pas ? Je vais être ton époux, déclara-t-il en souriant. — Il est temps que je rencontre convenablement ma belle-famille.
Je sentis mes joues s’empourprer. Ce genre de remarque suffisait toujours à me faire rougir.
— Allons-y, alors. Erza, pourriez-vous nous prêter main-forte ?
— Ce serait un plaisir. Vous êtes toujours le bienvenu, Votre Altesse, ainsi que vos loyaux gardes du corps et serviteurs. Quant au transport, ce sera l’affaire de Mammon.
— Franchement… Ces derniers temps, j’ai vraiment l’impression que vous me prenez pour un simple moyen de transport, grogna Mammon, les lèvres boudeuses, mais son regard trahissait un amusement évident.
Ainsi, Osvalt, Lena et mes domestiques se préparèrent pour notre voyage vers mon pays natal, Girtonia.
***
Le lendemain, après avoir bouclé nos bagages, nous nous rassemblâmes dans le jardin du manoir. Lena, Leonardo et Himari se tenaient aux côtés de Osvalt et de moi-même.
— Je n’aurais jamais imaginé revenir un jour à Girtonia, murmura Himari.
— Merci d’avoir protégé ma sœur la dernière fois, lui dis-je.
Autrefois, je lui avais demandé de veiller sur Mia en mon absence. Elle était restée à Girtonia pendant cette période, et semblait garder un souvenir plutôt tendre de ces jours-là.
— Ce n’était rien. Je me sacrifierais sans hésiter pour ma maîtresse.
— Merci infiniment. Cela faisait longtemps, n’est-ce pas ?
Je n’étais pas retournée à Girtonia depuis l’époque où j’y avais étendu le Grand Cercle de Purification. À ce moment-là, je venais à peine de devenir la Sainte de Parnacorta, et j’étais convaincue que je ne remettrais jamais les pieds dans mon pays natal.
— Bien, dis-je, — Je vais insuffler de l’énergie magique au Grand Cercle de Purification de Parnacorta. En mon absence, il devrait tenir une semaine.
— Si vous continuez à employer cette méthode, le mana qui compose le cercle finira par devenir instable, n’est-ce pas ?
— Oui. Il faut attendre au moins deux mois entre deux utilisations. Mais il s’est écoulé suffisamment de temps depuis mon voyage à Dalbert, donc il ne devrait pas y avoir de problème cette fois.
Je recueillis le mana présent dans l’air, puis levai la main pour former une sphère de lumière.
— Cette énergie magique est si densément comprimée qu’on dirait un minuscule soleil, observa Erza.
Elle avait raison. Ma sphère de lumière renfermait une magie extrêmement concentrée. L’étape suivante consistait à transférer cette énergie dans le cercle de purification.
— Allons-y ! Utilise ma magie comme carburant, cercle de purification ancien, et révèle ta véritable forme !
Le sol se mit à trembler tandis que le Grand Cercle absorbait la puissance. Une lueur dorée jaillit du jardin, et la terre vibra encore avant de s’immobiliser.
Grâce à cette infusion, le cercle de purification conserverait son efficacité même en mon absence.
— Ouf… Ce sort épuise vraiment l’énergie vitale.
— Es-tu sûre que tout va bien, Philia ?
— Merci, Osvalt, mais je vais bien. Pardonnez-moi de vous avoir inquiété.
Je ne savais pas quand cela s’était produit, mais Osvalt m’avait retenue par-derrière, me soutenant de ses bras. Depuis quand avais-je commencé à accepter son aide aussi naturellement ?
— Tu es sûre de ne pas vouloir faire une pause, petite Philia ? demanda Mammon.
— Non, tout va bien. Tout est prêt, je suis ravie de pouvoir partir.
— D’accord, compris ! Destination : Girtonia ! Nous irons devant le manoir de Sainte Hildegarde, près de la chaîne de montagnes à l’est !
Tandis que Mammon rassemblait l’énergie magique, je lui adressai un signe de tête pour confirmer. Sans attendre, il fit apparaître un portail de téléportation, orné d’étranges décorations, pour nous permettre de voyager. Seuls les démons pouvaient utiliser la magie pour se déplacer instantanément d’un lieu à un autre. C’était une capacité d’une utilité inestimable.
— Très bien, allons-y.
Au signal de Osvalt, nous franchîmes le portail. En un instant, notre environnement changea. Une vieille demeure, surmontée d’un large portail, se dressa devant nous. Un sentiment de nostalgie m’envahit.
— Tu crois pouvoir te reposer sur tes lauriers ? Rassemble ton mana et continue de courir ! Cent tours de plus !
— Hah… hah… je vais mourir… Je crois que c’est mon dernier jour…
— Personne ne jacasserait ainsi au seuil de la mort ! Si tu as la force de parler, tu as la force d’en faire cinquante de plus !
— Hein ?
Je découvris Hildegarde en train de gronder ma petite sœur, lestée de lourds poids, tandis qu’elle courait en rond dans le jardin. Mia était à bout de souffle, mais j’eus la satisfaction de voir qu’elles semblaient toutes deux en bonne santé.
— Cela réveille de bons souvenirs, dis-je. — Cela me rappelle l’époque où je m’entraînais enfant…
— C’est cela qui vous fait sourire ? demanda Osvalt avec un air un peu tendu. — Dame Mia n’a pourtant pas l’air de s’amuser.
Il n’avait pas tort. Mia semblait au bout de ses forces. Mais je savais d’expérience que l’entraînement rigoureux de maître Hildegarde renforcerait sa constitution au point qu’elle pourrait, un jour, travailler du matin au soir sans fatigue, une préparation indispensable à ses futures fonctions de Sainte.
— Une minute… quoi ? Je suis si épuisée que je commence à halluciner ? Hah… hah… Je vois Philia… Et pas seulement elle. Hah… hah… Le prince Osvalt et Erza aussi…
— Euh, Mia… C’est bien nous.
Lorsque nos regards se croisèrent, Mia demeura stupéfaite. Notre apparition soudaine l’avait d’abord convaincue qu’elle rêvait, mais dès qu’elle entendit nos voix, un large sourire se dessina sur son visage.
— Grande Sœur ! Quelle surprise ! D’où est-ce que vous sortez comme ça ? Je n’y comprends rien !
— Philia… ? Et le prince Osvalt, avec vos domestiques.
Mia, qui s’était précipitée vers moi, pencha la tête, complètement perdue. Maître nous avait remarqués à son tour et s’approchait calmement.
Je n’en attendais pas moins d’elle. Elle gardait toujours son sang-froid, même dans les situations les plus improbables.
— Mia. Maître Hildegarde. Cela fait si longtemps. Pardonnez-nous d’être venus sans prévenir.
— Ne t’en fais pas. Je me doute que tu n’es pas venue sans raison. Entrons donc, ce sera plus agréable pour discuter.
— Excellente idée, approuva Osvalt. — Pardonnez-nous cette intrusion, Dame Hildegarde.
— Pas du tout, Votre Altesse. Je vous prie d’excuser mon retard à vous féliciter pour vos fiançailles. N’hésitez pas à entrer.
Hildegarde nous salua d’un léger signe de tête avant de nous inviter à pénétrer dans sa demeure. Tandis que le prince et mes compagnons observaient les lieux avec curiosité, j’entrai à mon tour, le cœur serré d’une excitation mêlée d’appréhension. Après tout, cela faisait bien longtemps que je n’étais pas revenue ici.
Le manoir de Maître Hildegarde était presque silencieux. Aucun serviteur ne semblait présent. Il était probable qu’elle et Mia s’entraînaient seules.
On nous conduisit dans le salon, où nous prîmes place pour attendre. Peu après, Hildegarde revint avec du thé.
— Vous[1] gérez toujours la maison seule ? demandai-je.
— Oui. Enfin, maintenant que Mia est ici, c’est elle qui s’occupe des repas.
Mon mentor rayonnait toujours de la même vitalité juvénile. Ses cheveux d’un argent éclatant, que nous partagions toutes deux, encadraient un visage dont les années n’avaient nullement émoussé la vivacité du regard. Son aura demeurait d’une intensité rare. Elle n’avait pas relâché son entraînement, même après avoir quitté son poste. D’après Mia, ses pouvoirs de Sainte étaient plus impressionnants que jamais. Connaissant sa discipline inébranlable, j’étais certaine qu’elle continuait de servir Girtonia dans l’ombre, sans jamais faiblir.

— Cela faisait longtemps que vous ne m’aviez pas préparé de thé, Maître.
— Il doit être bien plus léger que celui que ta servante te prépare à Parnacorta.
— En effet. Je reconnais les herbes qui régulent le flux d’énergie magique.
— Hm. Tu sais, je t’ai plusieurs fois « empruntée » à l’Église pour t’amener ici quand tu étais enfant, alors que je savais que ce n’était pas bien. Peut-être restait-il en moi quelques instincts maternels. Désireuse de t’aider d’une manière ou d’une autre, je te préparais ce thé. Je te trouvais attachante, même après être devenue la fille de quelqu’un d’autre.
Les yeux d’Hildegarde se plissèrent tandis qu’un sourire empreint de nostalgie se dessinait sur son visage. J’en restai sans voix. Je n’avais jamais su qu’elle ressentait cela. Après tout…
— Que faisiez-vous ici toutes les deux, Dame Philia ? demanda Lena.
— Nous passions la majeure partie du temps à nous entraîner. Mon maître trouvait toujours un moyen de me pousser plus loin, même pendant mon sommeil. Il m’a fallu m’habituer au manque de repos.
— Euh…
Mon aveu fit grimacer Lena. Les autres, eux aussi, semblaient troublés. Pourtant, c’était simplement la vie quotidienne chez mon maître
— On dirait que notre Sainte Salvatrice a suivi un entraînement qui ferait passer celui d’un exorciste pour un jeu d’enfant, marmonna Erza, mi-amusée, mi-incrédule. — C’est donc de là que viennent votre force mentale et votre résistance physique.
J’avais six ans lorsque j’avais commencé à m’entraîner sous la supervision d’Hildegarde.
Le rythme était impitoyable, sans le moindre répit, jusqu’à ce que je devienne Sainte à mon tour. Quand j’y repensais, ces souvenirs n’étaient pas douloureux.
— À l’époque, je croyais que forger cette enfant pour en faire une Sainte puissante était le seul accomplissement maternel qui me restait, dit mon maître d’une voix empreinte de regret. — Avec le recul, j’aurais sans doute pu agir autrement…
Certes, cet entraînement avait été atrocement pénible. Il m’avait brisée physiquement et mentalement. Je ne pouvais nier avoir souffert entre les mains de mon maître.
Mais ce n’était pas toute la vérité. J’y avais aussi beaucoup gagné.
— Malgré tout, Maître, je vous suis reconnaissante. Quand j’ai appris que vous étiez ma mère, j’ai compris que vous m’aviez toujours aimée. Vous m’avez offert un présent irremplaçable.
— Philia… tu…
Un instant, Hildegarde resta figée, puis un sourire radieux illumina son visage.
Sans le moindre doute, c’était à elle que je devais la vie que je menais aujourd’hui. D’ailleurs, mes propres épreuves paraissaient bien dérisoires face à la douleur qu’Hildegarde avait endurée en refoulant ses sentiments pour me soumettre à une discipline si sévère.
— Hmph. En tant que démon, j’ai du mal à m’y retrouver, fit remarquer Mammon.
— L’amour humain revêt bien des formes, répondit Osvalt.
— Sans vouloir vous offenser, Votre Altesse, ce genre d’amour me dépasse aussi… et pourtant je suis humaine, ajouta Erza.
— Pour vous aussi, Erza ? Eh bien, l’amour n’est pas quelque chose qu’on peut voir. Peut-être n’est-il pas fait pour être compris.
— Ouf, fit Erza. — Je ne devrais sans doute pas m’en étonner, puisque vous êtes le fiancé de la Sainte Salvatrice, mais vous êtes un drôle de personnage également.
Tandis qu’il m’observait avec Hildegarde, Osvalt hochait la tête avec compréhension, mais les autres semblaient déconcertés par notre relation. Il est vrai que nous n’avions rien d’une mère et d’une fille ordinaires, mais elle avait contribué à mon éducation, et cela me suffisait amplement.
— Merci d’avoir patienté, Grande Sœur. Tu m’as surprise en plein moment gênant.
Mia nous rejoignit. Son entraînement l’avait couverte de saleté, et elle était allée se changer dans sa chambre.
— Prince Osvalt, Erza, Lena, Mammon, je suis ravie de vous revoir. Merci d’avoir pris si grand soin de ma sœur.
Après avoir salué Osvalt et mes compagnons, Mia s’assit près de maître Hildegarde. Son sourire lumineux et franc avait le pouvoir d’apaiser n’importe quelle âme. Dès qu’elle entrait dans une pièce, l’atmosphère s’éclaircissait.
— Je suis heureux de voir que vous vous portez bien, Dame Mia.
— Merci, Votre Altesse. Heureusement, je suis en assez bonne santé pour supporter les entraînements les plus éprouvants.
Osvalt éclata de rire.
— Voilà qui me rassure.
Mia n’avait rencontré Osvalt que deux fois auparavant, mais tous deux semblaient déjà à l’aise ensemble, échangeant avec simplicité. Rien d’étonnant : ma sœur avait ce don naturel pour mettre les gens à l’aise. Aimée de tous, elle était un véritable rayon d’espoir pour son peuple.
— Bien, dit Hildegarde. — Qu’est-ce qui t’amène aujourd’hui ? Y a-t-il un problème ?
— Pas exactement, Maître. C’est plutôt une affaire personnelle…
— Je vois.
Une fois Mia installée, je mis fin aux échanges de courtoisie et lui expliquai la situation.
— Je comprends. Tu veux que je te conduise à l’autel, n’est-ce pas ?
— C’est exact. Ignorant les coutumes de Parnacorta, j’avais d’abord demandé à Mia de s’en charger… mais il semble que ce soit vous, Maître, qui conveniez le mieux à ce rôle. En tant que mère et fille, nos liens du sang sont plus forts.
— Liens de sang ?
Le sourcil d’Hildegarde tressaillit, et elle resta un moment silencieuse.
J’avais eu du mal à accepter que celle que j’avais toujours crue être ma tante fût en réalité ma mère. En toute honnêteté, je n’avais pas encore pleinement assimilé la vérité.
J’étais la fille de mon maître, Hildegarde, et d’un homme que je n’avais jamais connu. Impossible de prévoir ce que cette révélation signifierait pour mon avenir. Lui demander de me conduire à l’autel représentait un geste important. Du moins, je l’espérais.
— Très bien. J’accepte ta demande.
— Oh ? Vraiment, Maître ?
Pour dire la vérité, je m’attendais à ce qu’elle refuse, au moins une fois, cela lui aurait ressemblé. Son accord me surprit donc profondément, bien que j’en sois heureuse.
— Je ne serais pas assez insensible pour ternir ton grand jour, Philia. Même le prince Osvalt a pris la peine de venir jusqu’ici, je ne peux donc décemment pas refuser.
— Pourquoi cette pause dramatique avant de répondre, alors ? demanda Mia.
— Tu as dit quelque chose, Mia ?
— Non, Maître.
D’un simple regard, Hildegarde la réduisit au silence avant de se tourner de nouveau vers moi. Son regard, lointain, était empreint d’une douce tristesse.
— De plus, tu me demandes de remplacer la seule personne qui, plus que quiconque, se réjouirait de ton mariage. Je ne pouvais pas refuser.
— Que voulez-vous dire ?
— C’est habituellement au père de conduire la mariée à l’autel, n’est-ce pas ? Si j’hésitais, Kamil Elraheem, qui nous observe d’en haut, ne me le pardonnerait jamais.
Kamil Elraheem. Hildegarde m’avait déjà confié que c’était le nom de mon père. Apothicaire de son métier, il avait contracté une maladie incurable. Au moment de ma naissance, il lui restait déjà peu de temps à vivre.
— Mon père ne vous le pardonnerait pas ?
— Non. Jusqu’à son dernier souffle, il n’a cessé de souhaiter ton bonheur.
Chaque fois qu’elle évoquait mon père, Hildegarde affichait une expression mélancolique. Je n’avais jamais osé lui poser trop de questions à son sujet, mais ce jour-là, ma curiosité prit le dessus.
— Quel genre d’homme était-il ? Je sais que je vous l’ai déjà demandé, mais vous n’êtes jamais entrée dans les détails.
À mesure que le jour de mon mariage approchait, je me surprenais à m’interroger davantage sur mon identité. Peut-être cela venait-il de mon enfance atypique, ou peut-être d’un trouble plus profond. Quoi qu’il en soit, mon désir de connaître la vérité ne cessait de croître.
— Bonne question. Si tu veux vraiment savoir, je te dirai tout ce que je peux. Il n’y a plus de raison de garder le silence.
— Merci, Maître.
— Il est né à Gyptia, un pays du nord-est. Ah, cela me rappelle quelque chose. Il avait un frère nommé Luke, qui vit peut-être encore là-bas. Ce serait ton oncle, Philia.
— Gyptia ?
Elle ne m’avait encore jamais mentionné que mon père venait d’un pays lointain. C’était aussi la première fois que j’entendais parler de ce frère. J’avais donc un oncle, depuis toujours…
— Tu avais l’air surprise quand j’ai mentionné Gyptia. Kamil était venu à Girtonia pour trouver des terres où cultiver une plante médicinale bien précise. Il cherchait à mettre au point un remède contre sa maladie chronique, celle qu’on appelait le germe du démon.
Les mots de ma maîtresse me bouleversèrent.
— Le germe du démon ? Mon père en souffrait aussi ?
Le germe du démon… la maladie incurable qui avait emporté Elizabeth, l’ancienne Sainte de Parnacorta. Je n’aurais jamais imaginé que cette même affliction ait pu emporter mon père.
— Mon frère t’a parlé d’Elizabeth, Philia ? demanda Osvalt, devinant sans doute, à mon expression, que le prince Reichardt m’en avait parlé.
— Tu connais quelqu’un qui a souffert de cette maladie, Philia ? demanda Hildegarde.
— Oui. C’est cette maladie qui a tué Elizabeth, la dernière Sainte de Parnacorta.
— Je vois. Je l’ignorais. Ton père, mon époux Kamil, a consacré sa vie à la médecine, utilisant son propre corps comme cobaye, dit mon mentor, le regard fixé sur moi tandis qu’elle évoquait le combat de son mari contre cette terrible maladie. — Il voulait créer un remède à ce mal incurable, mais ses efforts furent vains. Finalement, la maladie eut raison de lui.
— Vous m’aviez dit l’avoir rencontré durant votre service en tant que Sainte.
— En effet. Je me trouvais au plus profond d’une forêt, à l’abri des monstres, lorsque nos chemins se croisèrent. Bien qu’il travaillât à guérir son propre mal, cet excentrique venu de Gyptia trouvait encore le temps de créer des remèdes pour autrui. Habile dans l’usage de la magie, il employait des sorts de guérison pour soigner d’innombrables personnes, sans jamais chercher la reconnaissance. C’est cette bonté silencieuse qui m’a attirée vers lui. Avant même que je ne m’en rende compte, nous étions mariés.
— Je vois…
Si le portrait qu’en faisait mon maître était fidèle, mon père avait été un homme remarquable. Mais leur union à peine scellée, elle avait dû dire adieu, d’abord à lui, puis à moi. Sans doute avait-elle hésité à évoquer ces souvenirs trop chargés de douleur.
En l’entendant parler de mon père, la voix tremblante, je sentis ma poitrine se serrer. Mia, percevant l’atmosphère lourde, tenta d’alléger l’ambiance.
— E…enfin, on ne peut pas faire comme si de rien n’était maintenant que Philia a peut-être un oncle à Gyptia, pas vrai ?
Osvalt acquiesça.
— Mia a raison. S’il est l’oncle de Philia, il faudrait l’inviter au mariage.
J’avais donc un oncle du côté paternel, et dans un autre pays, qui plus est. Jamais je n’aurais pu l’imaginer.
— Inviter Luke ne sera pas facile, dit Hildegarde. — J’ignore totalement où le trouver.
— On ne peut pas abandonner avant d’avoir essayé. Et puis, Luke doit sûrement en savoir beaucoup sur ton père. Tu voulais mieux connaître tes origines, n’est-ce pas, Grande Sœur ?
— Mia, tu lis dans mes pensées ?
Mia rit doucement.
— Peut-être bien.
En apprenant que mon père venait de Gyptia et qu’il y avait encore un frère là-bas, mon cœur s’était mis à battre plus vite. Un désir brûlant de savoir m’envahissait, une soif de vérité qui me poussait en avant.
— Mais si nous voulons partir à la recherche de Luke, il nous faudra trouver un moyen de voyager jusqu’à Gyptia…
— Bon sang, vous ne savez vraiment pas demander de l’aide ! Évidemment que nous vous y emmènerons, répondit Erza.
— Si tu es prête, je peux ouvrir un portail de téléportation ici et maintenant. Qu’en dis-tu, Petite Philia ?
Je demeurai un instant silencieuse, figée devant la générosité d’Erza et de Mammon, dont les visages affichaient une sincérité étonnée.
— Vous en êtes sûrs ?
— Bien sûr. Nous ne vous avons toujours pas remerciée d’avoir aidé l’Église-mère à résoudre ce différend avec le Pape.
— Avoue-le, Grande Sœur. Tu es surtout impatiente de te rendre utile aux rares amies que tu possèdes.
— Pardon ?
— Je te rappelle que je suis farouchement opposé à la violence. Cette attitude ne te mènera nulle part.
Alors que Mammon plaisantait, Erza lui lança un regard si perçant qu’il se tut aussitôt. Sa sollicitude me toucha profondément, et un sourire m’échappa.
— Merci, Erza. J’accepte volontiers votre offre.
— Parfait. Laisse-moi m’en charger. Quand souhaitez-vous partir ?
— Voyons voir… Si cela vous convient, nous pourrions partir immédia…
— Attends une minute ! s’écria Mia, me coupant soudain la parole.
Que lui arrivait-il ? Était-elle opposée à ce que nous allions à Gyptia ?
— M-Mia ? Qu’y a-t-il ?
— Philia, tu viens juste d’arriver ! Tu ne peux pas rester un peu plus longtemps ? Un jour ou deux, ce serait déjà bien. Je suis certaine que quelqu’un serait ravi de te revoir.
Je penchai la tête, intriguée.
— Quelqu’un ?
— O-oui. Mon fiancé, le prince Fernand de Girtonia. En vérité, j’allais t’écrire à ce sujet aujourd’hui même. Le prince Fernand et moi sommes fiancés.
— Vraiment ? Félicitations ! Mais la dernière fois que nous nous sommes vues, tu m’avais assuré que tu n’éprouvais aucun sentiment pour lui.
— Allons, Dame Philia ! lança Lena avec un sourire malicieux. — Elle a probablement dit cela par pudeur !
Les gens mentaient donc pour cacher leur embarras ? Voilà qui m’était nouveau. Les affaires de cœur n’avaient jamais été mon fort, et j’étais bien trop naïve pour saisir ce genre de sous-entendu. J’en étais presque honteuse.
— Tu n’as pas changé, Philia. Quoi qu’il en soit, le prince Fernand et moi dînons ensemble demain. Ce serait formidable si le prince Osvalt et toi pouvez-vous joindre à nous.
— Un dîner ? Qu’en pensez-vous, pri…
— Dame Mia, vous êtes fiancée ? Quelle merveilleuse nouvelle ! Philia et moi serions ravis de vous présenter nos félicitations en personne, déclara Osvalt avec chaleur.
— Cela me touche beaucoup, prince Osvalt. Très bien, Philia, c’est donc convenu.
Je n’avais pas revu le prince Fernand depuis mes fiançailles avec Julius, lorsqu’il était venu nous féliciter. J’avais le sentiment que l’impression qu’il gardait de moi n’était guère flatteuse. Nous avions eu du mal à entretenir la conversation, sans doute à cause de ma nature peu avenante.
Mia m’avait dit que sa santé s’était beaucoup améliorée ; il était désormais si plein de vie qu’on aurait dit un tout autre homme. Avec cela en tête, j’étais heureuse à l’idée de le revoir.
Quoi qu’il en soit, la nouvelle des fiançailles de Mia m’avait comblée. Mon plus grand souhait avait toujours été de voir ma sœur, celle que j’avais laissée derrière moi, heureuse. À présent que ce vœu se réalisait, toutes mes inquiétudes pour ma patrie s’étaient dissipées.
— Eh bien, Philia, dit maître Hildegarde, — Vous devriez passer la nuit ici. Ma maison n’est sans doute pas aussi spacieuse que ce dont vous avez l’habitude, prince Osvalt, mais je vais vous préparer une chambre. Par ici.
— Oh, merci.
— Nous vous sommes reconnaissants de votre hospitalité.
Sur ces mots, mon maître nous guida vers les chambres d’amis. Grâce à sa générosité, nous pûmes passer la nuit sous son toit.
***
Le lendemain matin, Osvalt et moi prîmes la route du palais royal, guidés par Mia. Le manoir de maître Hildegarde était niché dans les montagnes ; il nous fallut donc emprunter un sentier escarpé.
— Dis-moi, Philia, demanda Osvalt, — Quand tu rencontreras ton oncle Luke, de quoi comptes-tu lui parler ?
— Excellente question. J’aimerais d’abord lui présenter mes salutations, puis, si possible, lui poser des questions sur la vie que mon père menait à Gyptia.
— Je comprends, murmura Mia. — C’est normal d’être curieuse de sa famille d’origine.
Elle paraissait étrangement mélancolique. Que pouvait-elle bien avoir ? Elle qui débordait toujours de gaieté.
— Qu’y a-t-il, Mia ?
— Ne t’inquiète pas. Ce n’est rien.
Mia força un sourire, rayonnant d’une joie un peu trop étudiée pour être sincère.
— Il n’y a personne que Dame Philia chérisse plus que vous, Dame Mia, dit Osvalt. — Quand nous sommes ensemble, votre nom revient toujours. Peu de grandes sœurs aiment leur cadette autant qu’elle vous aime, même lorsqu’elles sont liées par le sang.
Le visage de Mia s’illumina aussitôt.
— Vous le pensez vraiment ?
Osvalt avait raison, mais je ne voyais pas bien en quoi cela répondait à la conversation.
— C’est moi qui ai encouragé Philia à demander à sa mère de la conduire à l’autel, poursuivit-il. — Comme nous l’avons dit, les anciennes coutumes de la famille royale de Parnacorta accordent une grande importance aux liens du sang. Quoi qu’il en soit, Philia vous considère comme la personne la plus proche d’elle. Vous n’avez rien à craindre.
— D’accord… Je vous remercie de m’avoir rassurée.
Rassurée par les paroles du prince, Mia lui adressa un sourire apaisé.
Était-ce ma faute si elle paraissait si triste ? Je n’y avais même pas songé.
— Mia, tu n’es pas contrariée de ne pas pouvoir me conduire à l’autel, n’est-ce pas ?
— Eh bien… J’ai juste été un peu prise de court quand tu as dit que ta mère devait le faire parce que vous êtes plus proches par le sang. J’ai eu peur qu’un jour nous nous éloignions, puisque je ne suis pas ta vraie sœur…
— C’est donc cela qui t’inquiétait ? Rassure-toi. Tu es ma précieuse sœur. Nous n’avons peut-être pas les mêmes parents, mais aucune sœur n’a un lien aussi fort que le nôtre. En tout cas, c’est ce que je ressens.
Quand je vivais à Girtonia, Mia était la seule à me soutenir moralement. Elle était essentielle à ma vie. Je ne me souvenais pas d’avoir jamais reçu d’affection de mes parents ; c’est sans doute pour cela que mon attachement envers elle était si profond.
— Oui… Pardon, Philia. Je me suis un peu laissé gagner par l’inquiétude. C’est rare venant de moi, pas vrai ? Ha ha…
— Je te l’ai déjà dit, Mia, mais je ne pourrais pas être plus fière de toi. Aie davantage confiance en toi.
— Merci… Grande Sœur, répondit Mia d’une voix douce, la gêne perceptible.
Osvalt l’observait avec un sourire empreint de bienveillance. Peut-être Mia portait-elle ce poids depuis longtemps.
Le seigneur Adenauer et sa femme, ses parents, et mes parents adoptifs, étaient emprisonnés pour avoir tenté d’assassiner le prince Fernand. Cela devait peser lourd sur sa conscience, même après qu’Hildegarde l’eut adoptée. Il n’était donc pas étonnant qu’elle craigne encore que nous puissions un jour nous éloigner.
— Je sais à quel point tu m’aimes, Philia. Désolée d’avoir dit toutes ces choses étranges ! Oh, et pardon, prince Osvalt, je ne voulais pas rendre la situation gênante. Quelle honte…
— Ne vous en faites pas. En vérité, Mia, je pense que vous devriez vous ouvrir plus souvent à Philia. Cela lui ferait sûrement plaisir.
Mia rit de nouveau.
— Je profite déjà bien assez de sa gentillesse. Oh ! Voici le carrosse que le prince Fernand a envoyé pour nous.
Elle nous avait conduits jusqu’à destination, où nous attendait un splendide carrosse attelé.
— Il a pris la peine de nous envoyer un moyen de locomotion, puisque ma mère adoptive Hildegarde vit si loin dans les montagnes. Désolée de vous avoir fait marcher tout ce chemin, prince Osvalt.
— Ce n’est rien. Si je ne fais pas un minimum d’exercice, je risque de ne plus être au goût de Philia.
— J-je vous aimerai toujours, même si vous prenez un peu de poids.
— Vous êtes si proches, dit Mia en riant. — J’en suis presque jalouse. Après vous, Votre Altesse. Montez donc.
Le carrosse se mit en route vers le palais royal de Girtonia, où devait avoir lieu le dîner. Cela faisait longtemps que je n’y étais pas allée. En vérité, je n’y avais pas remis les pieds depuis la rupture de mes fiançailles avec Julius.
***
Après un court trajet cahoteux, nous atteignîmes la capitale de Girtonia. Lorsque nous descendîmes du carrosse, le prince Fernand nous attendait sur les marches du palais pour nous accueillir. Ses longs cheveux bruns, attachés en arrière, et sa posture droite lui donnaient une prestance que je ne lui avais jamais vue. L’aura qu’il dégageait n’avait plus rien à voir avec celle dont je me souvenais.
— Cela faisait longtemps, Philia, Mia. Je suis heureux de vous revoir. Et vous devez être le prince Osvalt, second héritier de Parnacorta. C’est un honneur de faire votre connaissance.
— Enchanté, prince Fernand. Je vous remercie sincèrement pour votre invitation.
— Ce n’est rien. Puisque votre visite n’a rien d’officiel, inutile de nous embarrasser de formalités. Entrez donc. Nous avons beaucoup de choses à nous raconter. Je vais vous conduire directement à la salle à manger.
Le prince Fernand nous guida à l’intérieur, nous escortant jusqu’à la salle à manger du palais.
Le palais n’avait guère changé depuis mon départ de Girtonia. Tandis que je traversais ses couloirs étincelants, les souvenirs affluaient. C’était ici même que mon ancien fiancé, le prince Julius, m’avait annoncé qu’il rompait nos fiançailles et me vendait au royaume voisin de Parnacorta.
Et pourtant, après bien des détours, j’étais de retour en ces lieux. Des détours… si simple que soit ce mot, il éveillait en moi des émotions profondes.
— Bienvenue dans la salle à manger. Le dîner sera servi sous peu, installez-vous donc.
Nous fîmes comme le prince Fernand le suggérait. Osvalt et moi prîmes place côte à côte, tandis que Mia et le prince Fernand s’assirent en face de nous.
— Vous devrez m’excuser, poursuivit Fernand. — Je me doutais que Philia se sentirait mal à l’aise en revenant au palais royal, mais je ne voyais pas d’autre lieu digne d’un accueil princier.
— Ce n’est rien. Je ne me sens pas mal à l’aise. Cela me rappelle simplement des souvenirs. Je ne ressens que de la nostalgie.
Certes, ces souvenirs n’étaient pas heureux. Mais en ces murs, je n’éprouvais plus ni tristesse ni rancune. Je me contentais de goûter l’atmosphère de mon pays natal, étrangement apaisée.
Pourquoi cela ? Était-ce parce que j’étais heureuse à présent ?
— Ah, j’en suis soulagé, répondit Fernand avec un sourire.
Et Mia avait raison : le prince Fernand avait bien changé. Autrefois, ses paroles et ses gestes étaient empreints d’une soumission distante qui le rendait difficile à approcher. Sa mauvaise santé y était sans doute pour beaucoup. Mais à présent, il paraissait plein de vie, avenant et chaleureux.
D’après Mia, il consacrait ses journées à aider les victimes des attaques de monstres et à redynamiser l’économie de Girtonia.
Et surtout…
Je regardai Mia, assise à ses côtés. La confiance qu’elle lui portait se lisait clairement dans son regard.
— J’ai beaucoup changé, n’est-ce pas ?
— Pardon ?
— Je repensais simplement à la froideur dont j’ai fait preuve la dernière fois que nous nous sommes vus, Philia.
— Vous étiez malade, Votre Altesse. C’était compréhensible.
— Non, j’aurais pu faire mieux. J’ai profité de votre gentillesse, me cachant derrière ma faiblesse. Je rejetais la faute sur les autres et je leur faisais payer mon propre désarroi… Quel homme pitoyable j’étais.
— Votre Altesse…
Le prince Fernand regrettait son passé. Voilà pourquoi il s’était efforcé de changer.
L’homme qui se tenait devant moi n’avait plus rien à voir avec celui que j’avais connu autrefois. Ses yeux brillaient d’un éclat résolu, empreint d’une énergie nouvelle.
— C’est grâce à votre sœur, Mia, que j’ai pu changer. C’est elle qui m’a donné la force de me transformer. Mais en même temps, j’ai le sentiment qu’il est trop tard. Je ressens une profonde culpabilité d’avoir laissé Julius agir impunément. Je me sens également responsable de la manière dont vous avez été traitée dans notre pays. Je sais qu’il est sans doute trop tard pour cela, mais permettez-moi de présenter mes excuses. Je suis sincèrement désolé, Philia.
— Prince Fernand…
Le prince s’inclina devant moi avec un profond remords. En temps normal, un prince ne se serait jamais excusé ainsi devant une simple roturière, et pourtant, il l’avait fait.
Un seul autre prince s’était déjà incliné ainsi devant moi…
Je tournai le regard vers Osvalt. Le jour de notre première rencontre, il s’était excusé de l’achat dont j’avais fait l’objet en tant que Sainte. Ce geste d’humilité lui avait valu ma confiance.
Le prince Fernand, lui aussi, portait en lui un sincère repentir. En le regardant, je sentis la vérité de ses paroles.
— Relevez la tête, prince Fernand.
Il resta silencieux.
— Ce qui est arrivé avec Julius est en partie ma faute, poursuivis-je. — Si j’avais eu plus de force, si j’avais su défendre ma position, j’aurais pu épargner au peuple de ce pays une part de sa souffrance. C’est ainsi que je vois les choses.
— Ne dis pas de sottises ! Ce n’était pas ta faute, ma chère sœur !
— Mia…
Mia soutint mon regard avec une expression ferme, inhabituellement sérieuse.
— Attendez, Dame Mia, intervint Osvalt. — Calmez-vous. Je suis sûr que les arguments de Philia comme ceux du prince Fernand sont tout à fait valables.
— Mais…
— Vous n’avez pas tort de ressentir ce que vous ressentez non plus. Nous avons le droit d’avoir des points de vue différents. Je mentirais si je disais ne pas éprouver de culpabilité à l’idée que mon pays ait acheté Philia, mais je ne peux pas non plus nier que je suis heureux de la tournure finale.
Sur ces mots, Osvalt m’adressa un sourire avant de se tourner de nouveau vers Mia d’un ton léger et enjoué.
— Mieux vaut chérir le bonheur que nous avons aujourd’hui plutôt que de s’inquiéter du passé. N’est-ce pas, Philia ?
— En effet. Je ne nie pas avoir des regrets, et je n’essaierai pas de les cacher. Mais ces regrets ne sont pas ma priorité. Ma priorité, c’est la vie que je mène à présent.
— Philia…
— Pas d’inquiétude ! lança Osvalt. — Parlons plutôt de la bonne nouvelle de vos fiançailles, prince Fernand et dame Mia !
— Oui, c’est justement l’un des sujets que je voulais aborder, répondit le prince. — Profitons du repas pour en discuter plus tranquillement.
Sur ces mots, Son Altesse nous invita d’un signe de tête énergique à entamer le dîner, et le banquet convivial put enfin commencer.
— Mia m’avait dit que vous étiez un homme affable, prince Osvalt, et elle ne s’était pas trompée. C’est la première fois que nous nous rencontrons, et pourtant, j’ai l’impression de parler à un vieil ami.
Osvalt rit.
— Je suis honoré de l’entendre. Mon frère aîné me reproche souvent d’être trop détendu, mais c’est dans ma nature.
— Vraiment ? J’en suis jaloux. Le prince Reichardt a bien de la chance d’avoir un frère aussi aimable… ah, peu importe. Je suis simplement heureux que nous ayons enfin l’occasion de nous rencontrer.
Le prince Fernand, tout sourire, levait son verre de vin tout en complimentant Osvalt, qui accueillait ses éloges avec une joie simple. Le prince Fernand semblait bien plus ouvert et chaleureux qu’autrefois. La rencontre de Mia l’avait sans doute aidé à affronter ses faiblesses et à retrouver la paix avec lui-même.
Mia m’avait autrefois confié qu’elle ne pensait pas grand-chose du prince Fernand, mais les choses avaient changé. À présent, elle le regardait avec un mélange de respect et d’admiration.
— Osvalt est exactement comme je l’avais décrit, dit Mia, les joues légèrement rosies par le vin. — Ma sœur ne serait pas tombée amoureuse de lui autrement.
Je sursautai, la voix soudain rauque.
— D’où te vient cette idée, Mia ?
— Mais tu es bien tombée amoureuse de lui, non, Philia ?
— Euh… bien sûr. Je l’aime beaucoup. J’ai été ravie lorsqu’il m’a demandée en mariage.
— Je vois, répondit le prince Fernand. — Je suppose que pour vous, le prince Osvalt est la personne la plus chère au monde.
— Assurément, répondis-je.
— Oh, Philia, dit Mia, — Je ne m’attendais pas à ce que tu le dises aussi franchement.
Elle semblait à la fois charmée et stupéfaite par la spontanéité de ma réponse à propos de mon fiancé. Pourquoi ? C’était elle qui avait posé la question, après tout.
— Ah, vous deux êtes vraiment faits l’un pour l’autre, poursuivit Mia.
— Tu le crois ?
— Tant que ton époux te chérit, c’est tout ce qui compte pour moi. Dès le premier instant où j’ai vu le prince Osvalt, j’ai eu ce pressentiment que tu serais en sécurité avec lui. C’est pour cela que je suis si heureuse de votre mariage.
— Mia…
Mia me sourit. À cet instant, je compris que je n’aurais pu rêver d’une sœur plus merveilleuse.
— Je ne pensais pas que vous aviez une si haute opinion de moi, Mia, dit Osvalt. — Je suis vraiment honoré de votre confiance. Je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour rendre Philia heureuse.
— Hé hé… Ne me décevez pas, prince Osvalt.
— Vous pouvez compter sur moi, répondit-il en riant. — Je ferais n’importe quoi pour Philia.
— Osvalt ! A-arrêtez-vous là, je vous en prie ! Je ne pourrais rien demander de plus…
Le vœu ardent d’Osvalt me laissa toute déboussolée, mais il se contenta de répondre avec un haussement d’épaules exagéré.
— Allons, Philia. Notre mariage approche à grands pas. C’est le début de notre vie à deux.
— V…vraiment ?
— Bien sûr. Je veux fonder avec toi une famille heureuse. Il est bien trop tôt pour prétendre que j’en ai fait assez. J’aimerais que tu continues d’attendre davantage de moi.
J’entendis dans sa voix une pointe de gêne. Pouvions-nous vraiment être plus heureux que nous ne l’étions déjà ? C’était impossible à imaginer, mais s’il existait un miracle capable d’y parvenir, c’était bien de rester à ses côtés pour toujours.
Je ne m’étais jamais vraiment attardée sur l’idée de fonder une famille avec Osvalt, et pourtant le simple fait de savoir que mon fiancé regardait déjà si loin devant lui me toucha profondément.
Je devais lui répondre comme il se devait.
— Oui. J’attends avec impatience… notre vie commune.
— Ha ha. Moi également.
Un sourire satisfait s’épanouit sur son visage.
— Vous avez l’air tellement amoureux, vous deux. Nous ne pouvons pas nous permettre de prendre du retard, n’est-ce pas, prince Fernand ?
— Mia, j’ai encore du mal à croire que vous ayez accepté ma demande. Êtes-vous bien sûre de ne pas être ivre ?
— Quelle insolence ! Je suis parfaitement sobre, je vous signale. Je tiens très bien debout toute seule, regardez !
En réponse à la remarque du prince Fernand, Mia se leva en titubant. Elle avait tout de même l’air d’avoir un peu trop bu.
— Oui, je le vois bien, mais… oh, là là. Vous devriez tout de même garder un minimum de tenue, Mia. Même si je suis bien mal placé pour donner des leçons.
— Ha ha ! Alors vous pouvez vous fâcher, finalement. Vous n’êtes plus vexé par la façon dont je vous ai fait la morale, la première fois que nous nous sommes rencontrés, hein ?
— Ça suffit, Mia !
Elle était bel et bien ivre, et ses paroles me choquèrent. Avait-elle vraiment osé sermonner un membre de la famille royale ?
— Tu as réprimandé le prince Fernand ?
Au lieu de paraître offensé, le prince Fernand se mit à rire, visiblement amusé.
— Il n’y a pas de quoi s’inquiéter. C’est vrai que Mia m’a passé un savon, la première fois que nous nous sommes croisés, mais je ne serais pas l’homme que je suis aujourd’hui sans elle. On dit qu’elle a sauvé ce pays de la destruction. Je ne lui en serai jamais assez reconnaissant.
— V…vraiment ? Je vous crois sur parole, votre altesse…
Le prince Fernand accordait manifestement à Mia une confiance absolue. Quoi qu’elle lui ait dit en le réprimandant, ses mots avaient dû le marquer profondément.

— Au fait, dit alors le prince Fernand, j’ai entendu dire que vous partiez pour Gyptia rendre visite à l’oncle de Philia. Est-ce exact ?
Notre discussion légère s’était poursuivie, et sans que nous nous en rendions compte, une bouteille de vin avait disparu.
C’est à ce moment-là que le prince Fernand aborda le sujet de Gyptia.
Mia avait sans doute partagé la nouvelle avec lui.
— Oui. Maintenant que mon mariage approche, je me suis mise à me demander quel genre d’homme était mon père. J’aimerais rencontrer mon oncle, si j’en ai la chance. Il doit en savoir beaucoup à son sujet.
— Votre père, hein ?
— Oui. Il n’est plus de ce monde, mais j’espère pouvoir apprendre certaines choses sur lui à travers son frère.
C’était là la véritable raison de mon voyage à Gyptia. Je souhaitais en apprendre davantage sur mon père pendant que je m’y trouverais.
— Je vois. Voilà donc ce que vous avez en tête. J’espère sincèrement que vous parviendrez à retrouver votre oncle.
— C’est aussi mon souhait. Je vous remercie de vous y intéresser.
Je m’inclinai pour le remercier, et le prince Fernand m’offrit un léger sourire. Puis, portant la main à son menton, il prit un air songeur. À quoi pouvait-il bien réfléchir ? Tandis que je me posais la question, il prit lentement la parole.
— Mais dites-moi, seigneur Osvalt. Votre fiancée semble considérer cette démarche comme un caprice. Est-ce également ainsi que vous la voyez ?
— Hein ? Oh, c’est vrai. Je me suis mal exprimé tout à l’heure. Philia, vouloir en savoir plus sur ton père n’a rien de capricieux. C’est on ne peut plus naturel de ressentir cela.
— V…vous le pensez vraiment ?
— Évidemment. Et pour être honnête, moi aussi j’aimerais en apprendre davantage à son sujet. C’est peut-être un peu égoïste de ma part, ceci dit.
Osvalt me sourit, et mon cœur se serra.
Il trouvait toujours quelque chose de gentil à me dire, quelle que fût la situation. C’était comme s’il faisait fondre la glace qui était restée tapie au fond de mon cœur.
Alors que le repas touchait à sa fin, le prince Fernand aborda la question de notre voyage.
— Et si nous en restions là pour ce soir ? Je ne voudrais pas vous faire veiller trop tard, surtout avec ce départ pour Gyptia qui approche. Cela dit, j’ai entendu dire que dame Erza, l’exorciste, connaissait un sort de déplacement instantané sur de longues distances.
— Oui, c’est exact. Erza et Mammon ont proposé de nous y emmener.
— Très bien. Dans ce cas, prenez bien soin de vous pendant le trajet. Et s’il devait survenir le moindre problème, n’hésitez pas à me solliciter. Je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour vous venir en aide.
— Oh, merci beaucoup ! Nous nous tournerons vers vous si nous avons besoin de quoi que ce soit.
À ces mots, le prince Fernand me sourit avec douceur.
Mia était fiancée à un homme charmant. J’aurais dû me réjouir de son bonheur plus que quiconque, et pourtant…
— Hein ? Tu t’en vas déjà, Philia ?
Rouge comme une tomate, Mia me regardait avec un air délicieusement ahuri. À ce rythme, le prince Fernand allait finir par perdre patience.
— Mia, comment peux-tu être encore ivre ? Guérison Sainte !!
— Hein ? J-je suis complètement désaoûlée ! Heu, Philia… Comment savais-tu que Guérison Sainte soignait l’ivresse ?
— Ma Guérison Sainte est un sort qui corrige toute anomalie physique. L’intoxication alcoolique en fait partie.
— Tu es incroyable, Philia ! Je n’avais encore jamais bu d’alcool, je ne pensais pas que je serais aussi pompette. Mère m’aurait vraiment passée un savon si j’étais rentrée ivre, alors, tu me sauves la vie. Merci !
Mia se leva pour me serrer dans ses bras.
Mon Dieu. Cette fille était irrécupérable.
— C’est prodigieux, Philia, dit Osvalt. — Tu ne m’as jamais lancé ce sort lorsque nous avons bu ensemble. J’ignorais totalement que tu en étais capable.
— C’est parce que vous n’êtes pas un fléau en état d’ivresse, contrairement à Mia, Osvalt.
— Ouinnn ! Philia et moi, en train de dîner avec nos fiancés respectifs… Je n’aurais jamais imaginé voir un jour pareil arriver. J’étais tellement heureuse que j’ai fini par trop boire !
Elle paraissait sincèrement embarrassée. C’était la première fois que nous partagions un verre au cours d’un repas. Je ne m’étais pas attendue à ce qu’elle se laisse à ce point aller.
Osvalt serra la main du prince Fernand et prit congé.
— J’ai vraiment passé une excellente soirée, Fernand. J’ai hâte de vous revoir à notre mariage.
— Oh, je m’assurerai d’y être, et j’y viendrai avec Mia, bien sûr.
— Merci de nous avoir reçus aujourd’hui, prince Fernand, ajoutai-je.
— Non, tout le plaisir était pour moi. J’espère que vous parviendrez à retrouver votre oncle.
Après avoir souhaité le meilleur à Mia et au prince, nous quittâmes le palais pour rejoindre Erza et Mammon, qui nous attendaient à l’extérieur.
— Alors, comment ça s’est passé ? Le repas, c’était comment ?
Erza nous attendait sous un arbre près du palais royal. À peine avions-nous franchi le perron qu’elle nous bombardait déjà de questions.
— C’était merveilleux. Nous avons savouré des mets délicieux et une conversation des plus agréables. Pardonnez-nous de vous avoir fait attendre.
— Pas de problèmes. De toute façon, nous venons juste d’arriver.
— Si vous le dites…
Je poussai un soupir de soulagement. Comme moi, Erza ne laissait presque jamais paraître ses émotions sur son visage, ce qui m’inquiétait toujours un peu.
En apercevant Mia, Erza sortit les enveloppes qu’elle m’avait montrées plus tôt.
— Oh, j’allais oublier. J’ai une lettre pour vous, Mia. Celle-ci est pour votre mère adoptive.
— Oh, d’accord. Merci d’avoir pris la peine de me les remettre en main propre.
Mia prit les enveloppes avec précaution.
— Euh, Erza ? Je me demandais si je pourrais vous demander une faveur… un peu particulière. On peut en parler là-bas ?
— Ah oui ? De quoi s’agit-il ?
Mia désigna une ruelle tranquille.
— Vous voyez, c’est juste que… Ce n’est pas l’endroit idéal pour aborder ce sujet. Je préférerais que nous soyons seules.
On aurait dit que Mia voulait s’entretenir avec Erza en privé. Autrement dit, il y avait quelque chose qu’elle ne souhaitait pas que j’entende. Je penchai la tête, intriguée. Je ne m’y attendais pas du tout.
— D’accord, dit Erza. Par ici, Mammon.
— Qu’est-ce qu’il y a, demoiselle Mia ? Ne me dis pas que tu veux m’inviter à un ren…
— Hors de question.
— Toujours aussi prompte à m’envoyer balader. On ne te surnomme pas la sainte la plus rapide pour rien.
Sur ces mots, les deux jeunes femmes s’éloignèrent, Mammon sur leurs talons.
L’attitude de Mia me laissait songeuse. De quoi voulait-elle lui parler ?
— Osvalt…
— Elle a sûrement un sujet qu’elle préfère que nous n’entendions pas, et ce n’est pas grave. Tu connais bien Dame Mia.
— O…oui, j’imagine.
La conclusion simple d’Osvalt m’arracha un sourire forcé. Et si quelque chose tracassait Mia, sans que je le sache ? Même si c’était le cas, si elle tenait à le garder pour elle, tout ce que je pouvais faire était de lui faire confiance et de veiller sur elle à distance.
Le cœur de Mia débordait d’une gentillesse naturelle et d’un sens aigu de la justice. Quoi qu’il arrive, j’étais fière de pouvoir la considérer comme ma petite sœur.
Quelques minutes plus tard, Mia, Erza et Mammon revinrent.
— Désolée, Philia. Je ne voulais pas te faire attendre.
— Ce n’est rien. Il y a un problème ?
Je voulais faire confiance à Mia, mais je ne pus m’empêcher de poser la question.
— Eh bien… on peut dire ça.
Mia tenta d’esquiver en usant d’une réponse vague et embrouillée.
Elle n’avait pas l’air décidée à s’ouvrir. Dans ce cas, mieux valait que je n’insiste pas davantage.
— Bon, Sainte Salvatrice, dit Erza. — Mettons-nous en route. Je récupérerai votre bâton plus tard.
À ces mots, Mammon concentra de l’énergie magique dans ses mains et ouvrit un portail à notre intention.
— Ce serait très aimable à vous. Au revoir, Mia. Merci pour aujourd’hui. J’ai beaucoup apprécié le banquet.
— Mais bien sûr ! Je me suis bien amusée, moi aussi !
— Bon courage, Dame Mia !
— Merci ! Et prenez soin de vous, prince Osvalt !
Après ces adieux échangés, Osvalt et moi franchîmes le portail de téléportation que Mammon avait invoqué.
En un clin d’œil, nous arrivâmes à Gyptia, un pays situé au nord-est de Sedelgard.
***
(Mia)
La porte somptueusement ornée s’ouvrit et Philia la franchit pour se rendre à Gyptia, accompagnée d’Erza, de Mammon et du prince Osvalt. D’après ce que j’avais compris, ils ne disposaient que d’un nom pour indice. Retrouver l’oncle de Philia n’allait donc pas être chose facile.
— Bon, eh bien, voilà, murmurai-je en soupirant.
Je ne pouvais pas rester là à me morfondre. J’avais du travail, et il était important.
Une voix retentit derrière moi.
— Vous avez l’air bien triste.
— Prince Fernand…
Je me retournai pour voir mon fiancé se tenir là, derrière moi. Il avait sans doute fait le déplacement pour veiller sur moi.
— Je parie que vous auriez voulu partir avec elle, n’est-ce pas ? dit-il.
Je me mis à rire.
— C’est donc si évident ? Pour être honnête, oui.
— C’est naturel que vous vouliez l’aider. Pas seulement en tant que Sainte, mais aussi en tant que sœur.
— Oui. Je suis bien décidée à tout faire pour elle. C’est ma façon de lui rendre tout ce qu’elle a fait pour moi, au fil des années.
C’était la vérité. Je voulais me rendre utile à Philia. Mais la meilleure façon d’y parvenir était encore de mener à bien les tâches qui se présentaient devant moi.
J’étais la Sainte de Girtonia. C’est pour cette raison que je ne pouvais pas l’accompagner dans son voyage. J’avais mes propres devoirs à remplir.
La première responsabilité d’une Sainte allait à son propre pays. Je ne pouvais pas déserter ma terre et mon peuple comme bon me semblait.
Par le passé, lorsque je devais quitter Girtonia pour aller prêter main-forte ailleurs, ma mère adoptive Hilda m’avait remplacée. Mais, en principe, une sainte n’avait pas le temps de faire du tourisme.
Tout cela n’atténuait en rien la douleur de voir Philia s’en aller. Je ne pouvais pas m’empêcher de me sentir frustrée de ne pas pouvoir rester à ses côtés.
— Faites ce que vous jugez juste, Mia. Je suis prêt à vous soutenir de toutes les manières possibles.
— M-merci. Je risque bien de prendre votre offre au mot.
— Heh… J’aurais dû m’y attendre. Vous pouvez compter sur moi.
Après avoir répondu au sourire amusé du prince Fernand, je pris le chemin du manoir, où Mère m’attendait.
— …Et c’est pour ça que je veux aller à Gyptia pour aider Philia ! Je t’en prie, Mère !
— Ça suffit, ça suffit. Pourquoi viens-tu me demander de l’aide ?
— Parce que je me disais que tu trouverais bien un moyen !
À peine rentrée au manoir, j’avais annoncé à Mère que je voulais rejoindre Philia. Sans surprise, elle m’avait accueilli par un soupir désapprobateur.
Je pouvais la comprendre. Je lui avais déjà demandé un service énorme, pas si longtemps auparavant. Malgré tout, il m’était impossible d’abandonner Philia.
— Tu es toi-même une Sainte. Tu devrais pourtant savoir remettre tes priorités dans l’ordre.
— Je le sais ! Mais je suis sa sœur avant d’être une Sainte. Ce n’est peut-être rien comparé au fait que Philia ait été pressentie pour devenir le prochain Pape, mais je me dois d’être honnête avec moi-même.
— Es-tu bien sûre qu’il n’y a pas autre chose derrière tout ça ?
Aïe. J’aurais dû me douter que Mère verrait clair en moi. Elle avait toujours le chic pour percevoir le cœur du problème. S’il ne s’était agi que de porter secours à Philia, j’aurais commencé à m’agiter dès la veille.
Il y avait une autre raison à mon entêtement.
— Je suis jalouse. Je suis jalouse de toi, et du père de Philia.
Oui. C’était la véritable raison pour laquelle je voulais la rejoindre. Je nourrissais envers la famille de sang de Philia une jalousie absurde. Le simple fait de me rappeler que je n’étais pas sa véritable sœur me donnait envie de bouder.
Et pourtant, paradoxalement…
— Philia a toujours veillé sur moi, même après avoir découvert que je n’étais pas sa sœur de sang. Je veux être digne de sa confiance. Je veux devenir quelqu’un dont elle a besoin.
Au moins, cela était la stricte vérité. La confiance de Philia comptait plus que tout à mes yeux. Bien sûr, je savais qu’elle tenait à moi, qu’elle n’attendait pas de moi que je fasse mes preuves à tout prix, mais je n’y pouvais rien. Je brûlais du désir de devenir la sœur qu’elle méritait.
— Tu sais, Mia, tu es bien plus égoïste que Philia.
— Désolée.
— Non, tu n’as pas besoin de t’excuser. Tu restes un être humain. Tes sentiments sont parfaitement naturels.
Mère esquissa un sourire mélancolique en plongeant ses yeux dans les miens. Son expression était si douce que j’en oubliai presque son visage habituellement sévère.
— Dis, Mère. Si Philia n’avait pas appris que tu étais sa mère biologique, est-ce que tu lui aurais avoué de toi-même ?
— C’est une question difficile. Je ne pense pas que j’en aurais eu le courage. J’ai perdu le droit d’être sa mère le jour où on me l’a arrachée.
Je me tus.
— Mia, j’aime Philia. Cela n’a pas changé. Mais c’est précisément pour cette raison que j’ai choisi de garder mes distances avec elle.
Je sentais toute la résolution contenue dans la voix de Mère. Sous ses mots flottait un mélange de tendresse et de tristesse.
— Mais Mère… N’étais-tu pas heureuse quand Philia a appris la vérité ? Tu avais dit que tu étais ravie qu’elle t’ait demandé une faveur aussi importante.
En entendant cela, Mère demeura silencieuse un instant, puis détourna les yeux, quelque peu embarrassée.
— Pour être honnête, je n’en suis pas certaine. J’ai manqué d’être une mère convenable pour elle durant les années les plus cruciales de sa vie. Je porterai toujours cette culpabilité.
— Pourquoi ?
— Tu sais pourquoi. Je savais que les Adenauer la traitaient mal, et tout ce que je fis fut de la soumettre à un entraînement sévère. Cela me parut la seule chose que je pouvais lui offrir. Je ne suis pas en position de me revendiquer sa mère. Elle doit probablement ressentir la même chose.
Le sourire de Mère était teinté d’auto-dérision, mais à mes yeux, cela sonnait comme une fanfaronnade. Car je connaissais la vérité. J’avais vu l’amour dans son regard chaque fois qu’elle posait les yeux sur Philia. C’est précisément pour cela que je ne pus m’empêcher de répliquer.
— Je ne pense pas que ce soit vrai, dis-je.
— Qu’est-ce qui te fait dire ça ?
— Philia t’a dit que ta sévérité était un cadeau ! Elle ne mentirait pas à ce sujet. Je suis certaine que tu as été stricte pour son bien, et Philia le sait aussi. Certes, c’est peut-être tordu, mais Philia a clairement dit qu’elle ressentait ton amour.
Mère ne répondit rien.
J’en étais sûre. La veille encore, Philia avait reconnu que l’entraînement imposé par Mère était une forme d’amour. Peu importait que Hildegarde se juge inapte à être sa mère, Philia, elle, la considérait déjà comme telle.
— Tu ne te retiens vraiment pas, hein, Mia ?
— Si je ne le dis pas, je le regretterai, répondis-je en riant. — Au fond, tu préférerais que Philia t’appelle « Mère » plutôt que « Maître », n’est-ce pas ?
— H-hé bien, je…
Les joues de Mère s’empourprèrent, et elle détourna de nouveau la tête. C’était si adorable et tellement inattendu. Je ne pus retenir un éclat de rire.
Mère était une personne comme les autres, en fin de compte. Même si elle me crierait dessus si je le lui disais en face.
— Ah, quelle fille épouvantable j’ai là, soupira Mère.
Elle attrapa une bouteille d’alcool, remplit un verre et le vida d’une traite.
Après un court silence, elle reprit la parole.
— Puis-je te confier cette mission, Mia ?
Je lui répondis par un hochement de tête assuré. Évidemment que j’acceptais. Je ne lui aurais pas demandé une faveur pareille si je n’avais pas l’intention d’aller jusqu’au bout.
Je me servis moi aussi un verre et l’avalai d’un coup.
Mais… qu’était-ce que c’était que ce breuvage ? Où avait-elle trouvé un alcool pareil ? Mon estomac brûlait, mais je gardai les yeux fermement braqués sur Mère, sans laisser transparaître la moindre gêne.
— Oui, bien sûr. Compte sur moi ! Je veillerai sur Philia et je réaliserai ton rêve, Mère !
Après cette déclaration, je me resservis un verre.
Argh. Si j’avais rempli ce verre, c’était uniquement parce que Mère l’avait fait. Je n’avais aucune envie de me saouler. Philia n’était pas là pour utiliser Guérison Sainte, cette fois.
— Bon, où est donc le duo chargé de t’escorter ? C’est le moment de vous montrer.
— Eh bien, dites donc, vous ne ratez rien. Je pensais que nous étions assez discrets.
Je me retournai pour découvrir deux visages familiers.
Erza et Mammon, bien entendu.
— Demoiselle Mia. Nous sommes venus te chercher, comme promis.
— Je ne pensais pas que vous mettriez autant de temps à la convaincre, ajouta Erza. — J’en avais presque assez d’attendre.
— Désolée, dis-je en inclinant la tête. La situation était un peu… compliquée.
Avant de raccompagner Philia, j’avais demandé un service à Erza en privé. Elle et Mammon avaient accepté de m’emmener à Gyptia, à condition que j’obtienne la permission de Mère.
— Ne t’en fais pas. C’est touchant de voir à quel point tu tiens à ta grande sœur, Demoiselle Mia.
— Alors, Dame Hildegarde a donné son accord ?
— Oui. Mère, pourrais-tu prendre en charge mes fonctions de Sainte pendant mon absence ?
Je me tournai vers Mère et m’inclinai profondément. Un instant, je crus percevoir un voile de tristesse dans son regard, mais bien vite, elle retrouva son habituelle expression sévère.
— Laisse-moi faire, dit-elle, — mais attends-toi à un entraînement encore plus spécialisé à ton retour.
— Hein ? Euh, j’aimerais vraiment éviter ça…
Mère sourit, mais son exaspération n’en transparaissait pas moins.
— Vraiment, quelle attitude déplorable. Et tu oses te dire ma fille adoptive ? Essaie de ne pas me décevoir.
— D’accord ! Je compte sur toi pour me remettre au pas. Quand tu en auras fini avec moi, je pourrai prier encore mieux que Philia !
— Ha ha, très bien. Mais avant que je n’oublie… j’aimerais que tu emportes ceci.
Ma déclaration hardie lui arracha un signe de tête satisfait. Elle sortit alors une enveloppe d’un tiroir de la commode.
— Mon mari, Kamil, a laissé cette lettre à la fin de sa vie. Il comptait l’envoyer à son frère, Luke. Il n’y a pas d’adresse, alors je doute que cela t’aide à le retrouver, mais…
Je hochai la tête.
— Compris. Si nous le trouvons, je lui remettrai la lettre.
— Merci. Ce serait merveilleux.
Mère me tendit la lettre. Je ne comprenais pas pourquoi elle ne l’avait pas confiée à Philia.
Bah, elle avait sans doute simplement oublié.
— Bon, je ferais mieux de me mettre en route.
— Prends soin de toi. Et surtout, ne gêne pas Philia. Je sais à quel point tu peux te montrer irréfléchie.
Son avertissement me fit grimacer intérieurement, même si je pris soin de ne rien laisser paraître. Elle n’avait pas besoin de me le rappeler. Certes, il m’arrivait de me montrer étourdie et de perdre mes moyens, mais cette fois, je ne serais qu’une source d’aide. J’en étais convaincue.
— Prête, Demoiselle Mia ?
— Aussi prête que possible. Faites votre magie, Erza, Mammon !
À mon signal, Mammon ouvrit un portail de téléportation, et je le franchis sans hésiter.
[1] On a décidé de garder le vouvoiement en publique pour Philia et Mia envers leur mentor et maître.