THE TOO-PERFECT SAINT T4 - Prologue
Postface
—————————————-
Traduction : Calumi
Harmonisation : Opale
Relecture : Raitei
———————————————–
« — Froide !
Peu aimable !
Bien trop sérieuse. Elle est juste… ennuyeuse ! »
Voilà ce que l’on disait de moi depuis toujours.
Mais, par un caprice du destin, j’avais rencontré quelqu’un qui voyait dans ces défauts un charme singulier et, pour mon plus grand bonheur, j’allais bientôt l’épouser.
En ce moment, je l’aidais aux travaux des champs. Nous avions labouré un terrain désolé plus tôt dans la journée, et nous nous apprêtions à y planter des haricots.
— Hé, Philia ! Viens par ici !
— Entendu. J’arrive de ce pas !
— Tu es toujours si formelle. Tu devrais te détendre un peu.
— Toutes mes excuses. C’est dans ma nature.
Ma réponse n’avait rien d’encourageant, mais il me sourit malgré tout. Je finis, moi aussi, par lui rendre son sourire. C’est ainsi que je j’étais.
— Même ainsi, Philia, es-tu certaine que tout va bien ? Ces derniers temps, tu passes tout ton temps à m’aider aux champs. N’y a-t-il rien d’autre que tu aimerais faire ? N’hésite pas à me le dire.
— Ne vous inquiétez pas. Il n’est rien que j’apprécie davantage que de passer du temps avec vous, Osvalt.
— V…vraiment ? Voilà qui me flatte.
Osvalt détourna le regard, se grattant la joue. Désireuse de voir son expression, je tentai de m’approcher davantage. Mais soudainement…
— Ah !
Je trébuchai, perdis l’équilibre et tombai à terre. Le sol se précipita à mon encontre, mais, au moment où mon visage allait heurter la terre, Osvalt me rattrapa dans ses bras.
— Ouf ! Tout va bien ? Il est rare de te voir perdre l’équilibre.
— Osvalt… je… je suis désolée. Merci.
J’avais baissé ma garde sans m’en rendre compte. Au fond de moi, j’avais cru être en sécurité. Quelle honte.
— Inutile de me remercier. Je suis simplement heureux que tu ne sois pas blessée. Hmph. Peut-être que c’est cette pierre qui t’a fait trébucher.
— Oh…
Il ramassa un gros caillou dissimulé à mes pieds. C’était sans doute la cause de ma chute.
— Regarde, Philia. Sous cette pierre, quelque chose s’efforçait d’étendre ses racines.
— Oui. Quelle plante courageuse. Je ne savais pas que les mauvaises herbes pouvaient pousser dans un endroit pareil.
— Elles peuvent. C’est ce genre de détermination que j’aimerais posséder. Je continuerai à m’efforcer de devenir l’homme que tu mérites.
Osvalt parlait avec sincérité. Il s’efforçait sans cesse de s’améliorer. Il était déjà prince, mais estimait devoir faire davantage pour devenir un mari aimant. Je l’admirais profondément pour cela.
— Vous êtes incroyable, Osvalt. Vous êtes pourtant deuxième dans la ligne de succession au trône, mais vous vous efforcez à être telle une mauvaise herbe, à vivre à la dure. Ce n’est pas chose courante.
— Peut-être, mais à mes yeux, c’est toi qui es incroyable. Après tout ce que tu as traversé, après les entraînements les plus éprouvants, tu continues d’incarner ce que doit être une grande Sainte. Tu es une femme d’une force remarquable.
— Je suis loin d’être forte. J’ai songé à abandonner tant de fois…
— Et pourtant, tu as surmonté tes doutes à chaque fois. Pour moi, tu es la mauvaise herbe parfaite… Non, c’est une comparaison bien grossière. Quoi qu’il en soit, je te respecte profondément, et c’est ta force qui m’a plu chez toi.
— Osvalt…
Mon cœur se remplit de chaleur. Rencontrer Osvalt relevait déjà du miracle, alors pouvoir l’épouser…
— Je veux me montrer digne de me tenir à tes côtés.
— Et moi, devenir l’épouse que vous méritez, Osvalt.
— Une relation où chacun pousse l’autre à devenir meilleur. Ce n’est pas une mauvaise chose.
— Bien au contraire !
Nous nous prîmes la main en riant.
L’avenir apporterait sans doute son lot de peines et de chagrins, mais j’étais convaincue que Osvalt et moi pourrions affronter n’importe quelle tempête. Lorsqu’il disait vouloir être aussi résistant qu’une mauvaise herbe, il songeait sûrement aux épreuves à venir. J’éprouvais exactement le même sentiment.

— Quoi qu’il en soit, Philia… reprenons là où nous en étions.
— Oui ?
— As-tu entendu qui sera le nouveau pape ? La nouvelle n’a pas encore été rendue publique.
— Non, je n’en ai rien entendu. Mais je recevrai sans doute bientôt une lettre d’Erza.
J’avais presque oublié que l’agitation provoquée par ma nomination frauduleuse au poste de pape s’était enfin apaisée, et que l’Église-mère de la foi de Crémoux désignait actuellement un nouveau candidat. D’après les rares informations que j’avais reçues par courrier, une annonce officielle devait arriver sous peu.
— Hmph. Tant pis. Mon frère était curieux, alors j’ai pensé à te poser la question. Préviens-le si jamais tu apprends quoi que ce soit.
— Entendu. J’en informerai le prince Reichardt dès que j’aurai des nouvelles.
— Parfait, j’apprécierais beaucoup.
Osvalt m’adressa un sourire satisfait avant de retrousser ses manches.
— Bien ! Il est temps de reprendre le travail !
— J’ai encore beaucoup d’énergie à vous offrir.
— Ahah, je n’en demande pas moins.
Ainsi reprîmes-nous notre besogne aux champs.
Avoir quelqu’un qui m’aimait, et savoir que j’allais l’épouser me comblait d’un bonheur immense… mais me rendait aussi plus avide que jamais. J’avais commencé à rêver de découvrir de nouveaux horizons et d’explorer des contrées lointaines à ses côtés.
J’étais une Sainte. Naturellement, je voulais me dévouer à mon pays. Pourtant, parfois, j’espérais pouvoir passer une journée simplement à profiter de la vie avec Osvalt.
À ma grande surprise, ce désir grandissait chaque jour un peu plus.
***
Quelques jours plus tard, je me trouvais dans le jardin de mon manoir, savourant le thé noir que Lena m’avait préparé, lorsque Leonardo me remit une lettre.
— Une correspondance de demoiselle Erza de Dalbert.
— Merci.
Je posai ma tasse sur la table et pris la lettre.
Une lettre d’Erza. Elle devait concerner le futur pape.
Elle avait, comme à son habitude, adressé l’enveloppe à « Philia Adenauer, future épouse de Son Altesse le prince Osvalt de Parnacorta ». Typiquement Erza. J’en brisai le sceau.
À l’intérieur se trouvaient plusieurs feuillets. Le message d’Erza était simple.
Cela fait longtemps, Sainte Salvatrice. Vous allez bien ?
Le conclave chargé d’élire le nouveau Pape s’est achevé, alors je vous écris comme promis.
L’Archevêque Olstra a été élu Pape.
Vous vous souvenez de lui. C’est un ancien exorciste, celui qui avait autorité directe sur moi et mes collègues exorcistes. C’est la première fois dans l’histoire de Crémoux qu’un exorciste devient Pape.
Et ce n’est pas tout. Je sais que c’est un peu hors sujet, mais beaucoup de gens ont voté pour vous. Nous avons seulement écarté votre candidature parce que vous aviez déjà refusé le poste.
Enfin, passons.
Votre mariage approche, alors prenez soin de vous. On dit que la dernière Sainte de votre pays est morte de maladie. Ne vous épuisez pas trop. Si vous sentez la fatigue, dites-le sans attendre.
À bientôt.
Erza.
— Oh, Erza… Elle n’a pas changé.
La lecture de sa lettre me remplit de joie. Sa bienveillance transparaissait dans chaque mot. Depuis mon retour de Dalbert, je ne l’avais pas revue, et elle me manquait.
— Maintenant que j’y pense…
Je me rappelai que Osvalt m’avait demandé d’avertir le prince Reichardt dès que le nouveau Pape serait désigné.
— …Je devrais aller lui annoncer la nouvelle.
Je me levai.
C’était le jour du mois où Elizabeth était morte. Je savais où se trouverait le prince Reichardt, et ce ne serait pas dans son bureau.
— Je sors un moment, Lena. Peux-tu m’aider à m’habiller ?
— Vous sortez ? Bien sûr, aucun problème.
— Merci.
Lena et moi gagnâmes ma chambre pour choisir une tenue.
— Où allez-vous, Dame Philia ?
— D’abord, je passerai chez le fleuriste. J’espère qu’ils auront des freesias jaunes…
— Oh. Je vois ce que vous avez en tête.
Une fois dans ma chambre, Lena choisit des vêtements adaptés à ma sortie. Je quittai rapidement ma tenue d’intérieur et enfilai les habits qu’elle m’avait préparés.
Tout étant prêt, je montai dans un carrosse et me rendis sans tarder vers la capitale.
***
— Dame Philia. Je ne m’attendais pas à vous voir aujourd’hui.
— Bonjour, prince Reichardt. Il y a longtemps que nous ne nous étions vus.
Après avoir acheté des freesias jaunes en ville, Lena et moi étions venues rendre visite à la tombe d’Elizabeth, l’ancienne Sainte de Parnacorta. Comme je m’y attendais, le prince Reichardt ne tarda pas à apparaître. Lui aussi tenait un bouquet de fleurs destiné à Elizabeth. Ils avaient été fiancés, après tout.
Des freesias jaunes. On disait que c’étaient ses fleurs préférées de son vivant. La lumière pâle des cheveux blonds du prince et le jaune délicat des pétales partageaient la même beauté éphémère.
Nous nous tînmes côte à côte pour réciter une prière.
— Dame Philia, dit enfin Son Altesse, — Je suppose que si vous êtes ici, c’est que vous souhaitez m’informer de quelque chose. Allez-y, je vous écoute.
— En réalité, Osvalt m’a demandé de vous transmettre la nouvelle du nouveau Pape.
— Je vois. Voilà donc pourquoi vous avez tenu à venir jusqu’à la tombe de Liz… enfin, d’Elizabeth. Je suis désolé de vous avoir dérangée pour cela.
— Ce n’est pas la raison de ma venue. Je tenais moi aussi à lui rendre hommage.
Le prince Reichardt sembla soulagé.
— Cela me fait plaisir de l’entendre. Je suis sûr qu’Elizabeth en serait touchée.
Je recentrai la conversation sur son sujet principal.
— Une élection s’est tenue au sein de l’Église-mère et l’Archevêque Olstra a été choisi comme nouveau pape. L’Archevêque est aussi le chef des exorcistes. Erza le tient en haute estime.
— Vraiment ? Peut-être cela signifie-t-il que les exorcistes seront rétablis comme branche officiellement reconnue de l’Église.
— Oh. Vous avez raison. C’est fort probable.
Dans sa lettre, Erza mentionnait que les mystérieuses disparitions orchestrées par Asmodeus avaient pesé dans le choix de l’Archevêque Olstra. Autrefois, les exorcistes exerçaient ouvertement au sein de l’Église, mais ces dernières années, ils avaient poursuivi leurs activités dans le secret. Peut-être que, sous le nouveau Pape, ils coopéreraient de nouveau avec les nations étrangères en tant que membres officiels de l’Église.
— Pourquoi teniez-vous tant à savoir qui serait le prochain Pape ? demandai-je. — La nouvelle sera rendue publique tôt ou tard.
— Eh bien…
Le prince Reichardt parut hésiter, comme s’il voulait me confier quelque chose.
Intriguée, j’inclinai la tête.
— Je dois beaucoup à Henry Orenheim… Enfin, il appartenait encore à la famille Elcrantz quand je l’ai connu, alors je devrais sans doute l’appeler Henry Elcrantz. C’est lui qui m’a présenté à Elizabeth.
— Quoi ?! Il… il a fait ça ?
Un cri de stupeur m’échappa. Jamais je n’aurais imaginé que l’Archevêque déchu Henry, avait servi d’intermédiaire entre le prince Reichardt et Elizabeth.
En y repensant, puisqu’il était le frère aîné d’Elizabeth, cela n’avait rien d’impossible. Et pourtant, je ne pouvais m’empêcher d’être surprise. Henry nourrissait une rancune profonde envers Son Altesse.
— C’est peut-être pour cela qu’il m’a toujours refusé son pardon. Je n’ai pas pu sauver Elizabeth du germe du démon… cette maladie incurable qui l’a emportée.
Je ne répondis pas. Je ne savais que dire.
Le prince Reichardt avait surmonté son chagrin et tentait d’aller de l’avant, mais au fond de lui, son incapacité à sauver Elizabeth avait laissé une cicatrice indélébile.
— Grâce à vous, Dame Philia, j’ai pu me relever. Je vous en suis reconnaissant. Maintenant que j’ai entendu ses dernières volontés, je crois pouvoir enfin tourner la page.
— …Votre Altesse.
Le lendemain du jour où le testament du précédent Pape avait été dévoilé comme un faux, j’avais utilisé un sort de communication spirituelle pour invoquer l’âme d’Elizabeth, afin qu’elle puisse exprimer ses sentiments à son frère Henry. À ce moment-là, elle avait également parlé de son ancien fiancé, le prince Reichardt.
Elizabeth avait placé le bonheur du prince avant le sien. Puisqu’il en était ainsi, je m’étais sentie tenue de lui transmettre ses dernières paroles.
— Revenons au sujet du Pape, dit Son Altesse. — C’est la douleur d’Henry face à la perte d’Elizabeth qui l’a poussé à semer ce chaos, alors j’ai estimé de mon devoir d’en suivre l’issue. C’est pour cela que j’ai demandé à mon frère de vous prier de me tenir informé des résultats.
— Je comprends.
Le prince Reichardt devait lutter depuis longtemps pour accepter la mort d’Elizabeth. Son calme apparent ne dissimulait sans doute que trop bien des émotions lourdes et douloureuses.
— À mon avis, dis-je, — Vous n’avez pas à vous forcer à tourner la page. Cela dit, si cela peut apaiser votre cœur… je doute qu’Elizabeth souhaite vous voir souffrir.
— Vous avez raison. Je tâcherai d’y parvenir à mon rythme, sans me brusquer. J’aimerais seulement pouvoir trouver un remède au germe du démon, afin que plus personne n’ait à éprouver ce que j’ai ressenti.
Le germe du démon faisait partie de ces maladies dites incurables. Après les premiers symptômes, le malade s’affaiblissait peu à peu.
il était rapidement pris ensuite de violentes quintes de toux et de douleurs au cœur. En fin de compte, cette terrible maladie le conduisait à la mort.
C’était elle qui avait emporté Elizabeth.
— Le remède le plus efficace restait celui que vous aviez mis au point, Dame Philia. Mais même lui n’avait fait que prolonger sa vie d’un peu.
— Prince Reichardt, je…
— Pardonnez-moi. Ce n’était pas un reproche. En vérité, je vous suis très reconnaissant. Grâce à votre remède, elle et moi avons pu passer un peu plus de temps ensemble.
Le prince Reichardt esquissa un sourire rare. D’une douceur infinie, mais qui rendait sa tristesse d’autant plus palpable.
On savait peu de choses du germe du démon. J’avais moi-même mené des recherches à ce sujet, sans encore trouver de remède véritable. Partout dans le monde, les apothicaires avaient tenté mille méthodes pour atténuer la fréquence des crises de toux, avant de finir par abandonner tout espoir. J’aurais voulu offrir au prince Reichardt le remède qu’il désirait, mais ce défi paraissait plus ardu encore que les grands cercles de purification ou la magie divine.
— Je vais vous laisser, dit le prince Reichardt. — Osvalt et moi devons encore préparer le mariage. Je sais que la tâche est difficile, mais continuez à persévérer, je vous en prie.
— Je le ferai. Merci.
Le prince Reichardt effleura une dernière fois la pierre tombale d’Elizabeth avant de s’éloigner. Je demeurai un moment sur place, récitai une prière pour Elizabeth, puis repris le chemin du retour.
— Le prince Reichardt est un homme fort, murmurai-je. — Pourtant, il doit se sentir bien seul.
Je n’avais jamais rencontré personne d’aussi résolu et bienveillant que lui.
Il aimait Parnacorta, le pays qu’Elizabeth avait protégé jusqu’à son dernier souffle, plus que tout au monde. Il s’efforçait de le servir du mieux qu’il le pouvait, quitte à se montrer sévère envers lui-même.
J’étais inquiète pour lui. Et je n’étais pas la seule : Osvalt, son frère cadet, partageait cette préoccupation.
— J’espère qu’un jour les blessures de son cœur guériront…
— Dame Philia ! Avez-vous terminé de parler avec le prince Reichardt ?
Alors que je songeais à cela, la voix de Lena me tira de mes pensées.
— Oui, tout va bien. Rentrons à présent. Je suis désolée pour l’attente.
— Oh, ne vous en faites pas. Allons-y.
Nous regagnâmes le carrosse côte à côte et prîmes la route du manoir.