VIOLET EVER V2 : CHAPITRE 7

Le major et son « tout »

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Traduction : Nova
Correction : Raitei
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Les yeux couleur émeraude s’ouvrirent. Ils appartenaient à un enfant d’à peine six ans qui venait de se réveiller, ses yeux somptueux reflétant le monde qui l’entourait.

En descendant de la voiture dans laquelle il avait dormi, le long de la route, il remarqua un paysage s’étendant devant lui. La première chose qui attira son attention fut la beauté des arbres alignés sur le chemin d’une forêt verdoyante. Blottis les uns contre les autres, des vieux aux plus jeunes, ils se tenaient dignement. Les ombres formées par une lumière douce et chaleureuse se répandant sur le sol par les espaces entre leurs feuilles ressemblaient presque à des danseurs. Ces feuilles se balançaient dans le vent, faisant songer aux rires des petites filles.

Pendant cette saison, les fleurs blanches éparpillées en tempête de pétales étaient caractéristiques de Leidenschaftlich. Presque comme les blizzards des pays nordiques, les fleurs flottaient dans l’air.

Les vignes quant à elles, associées à des héros qui avaient protégé la nation contre un nombre non négligeable d’invasions, pouvaient être rencontrées partout dans tout le pays. De belles fleurs s’épanouissaient au printemps et en été.

— C’est la fleur de notre famille.

Son père lui murmura cette seule phrase, marchant devant lui.

Ses yeux, qui se déplaçaient dans plusieurs directions lorsqu’il était guidé par la main de son frère aîné, se posèrent sur le dos de son père. Le père, sentant peut-être le regard persistant de son fils, se retourna une fois et, bien qu’il ne puisse pas l’admettre, c’était certainement pour s’assurer que son fils n’était pas perdu. Tout comme son jeune fils, le père arborait de jolis yeux verts, d’une teinte légèrement différente toutefois et avec un regard plus strict.

Du seul fait que son père avait fait marche arrière, il était heureux au point de vouloir danser. Cependant, bien qu’il fût au fond satisfait, il restait raide. Avait-il fait quelque chose qui méritait de sévères réprimandes ?

— C’est quoi ce truc… sur « notre fleur de famille » ?

Son frère aîné reprit de manière très peu correcte les paroles de leur père à voix basse. 

Tous les trois parcouraient ce chemin de verdure. Au-delà de la scène créée par la beauté de la nature se trouvait ce qui semblait être une zone d’installations d’entraînement militaire. Il y avait en effet, sur place, plusieurs personnes qui portaient le même uniforme noir violacé que leur père.

Le petit se comportait comme s’il explorait quelque chose de particulier, et ce qui se trouvait sous ses yeux scintillants de curiosité était la figure de soldats dans une marche millimétrée. 

— C’est…

Le père avait emmené ses fils s’installer pour ce qui allait vraisemblablement être une représentation. Les sièges étaient à l’extérieur.  

En plus de ceux qui portaient l’uniforme de l’armée, il y avait aussi des soldats portant le col blanc de la marine. Tout autour des avions de chasse et de reconnaissance, ils discutaient entre eux, proprement divisés en deux ensembles.  Bien qu’ils étaient tous deux des forces de défense, il semblait y avoir une certaine hostilité entre les deux corps.

Du point de vue d’un enfant, c’était un bien étrange spectacle. 

Devenant peut-être nerveux parce qu’il ne voyait son père nulle part, il agitait ses bras et ses jambes, laissant tomber son regard vers ses pieds sans but. Un pétale de bougainvillier, que son père avait appelé leur « fleur familiale », tomba. Alors qu’il tendait la main en essayant avec force de le reprendre tout en restant assis, son frère aîné, assis à côté de lui, lui retint le corps.

— Gilbert, un peu de tenue. 

Comme son frère le lui dit d’un ton maussade, Gilbert s’exécuta. C’était un enfant obéissant.

Il était originaire de Leidenschaftlich, et il était le descendant de héros d’une nation militaire bien connue du Sud. Pour les hommes de la famille Bougainvillea, il était d’usage de s’engager dans l’armée. Ce n’était pas la première fois que son père, qui y occupait lui-même un poste de haut rang, amenait son frère et lui-même à des événements similaires.

Son frère saisit sa main et la serra. Gilbert n’était pourtant pas le genre de garçon à persister après avoir été grondé. 

— Si tu déshonores le nom des Bougainvillea, c’est moi qui serai puni pour avoir négligé mon devoir de surveillance.

Comme son frère tâtait souvent du poing de son père, il n’était guère surprenant qu’il agisse ainsi afin de ne pas gâcher l’humeur de ce dernier. Gilbert l’avait bien compris.

Dans la maison des Bougainvillea, où vivaient Gilbert et son frère aîné, chacun devait se comporter avec le plus grand soin. Les murs de la maison, ornés d’aiguilles, de clous, d’épées et d’épines de roses, semblaient à tout moment pouvoir percer leur corps pour obtenir une couleur sang. 

Au lieu d’être un endroit rassurant et réconfortant, leur maison était plutôt une zone hostile. 

— C’est tellement ennuyeux… dit son frère, soupirant à moitié.

Ses yeux étaient dirigés non pas vers les soldats de l’armée, mais vers ceux de la marine 

— Tu n’es pas d’accord Gil ?

Bien qu’il ait demandé à Gilbert de confirmer, il n’obtint pas de réponse. Il ne pouvait pas y consentir.

— Pourquoi tu dis ça ? 

Il pensait que des sentiments tels que l’ennui devaient être écartés dans cette situation. Même si cela pouvait être fastidieux, ils devaient endurer. C’est pourquoi il avait cessé d’agir comme un enfant agité qui se laissait facilement influencer par les autres. Son frère était censé savoir tout cela lui aussi, alors pourquoi était-il allé faire part de telles émotions à voix haute ? 

Comme Gilbert n’était encore qu’un enfant, il répondit de manière manichéenne. 

— Tu ne peux pas dire des choses comme ça.

— C’est bon, nous pouvons parler à voix basse. Puis c’est sorti tout seul.  Tu sais, Gil… Tout ça, c’est quelque chose que papa, son père, ainsi que le père du père de papa ont fait. C’est terrible, non ?

— Pourquoi ? demanda Gilbert.

— N’est-ce pas comme s’ils n’avaient pas de volonté propre ? Écoute, si papa nous a fait venir ici aujourd’hui, c’est pour nous dire : « Tu vas devenir comme moi ».

— Pourquoi est-ce mauvais ? demanda Gilbert.

— C’est pour nous faire comprendre que nous ne pouvons pas choisir autre chose que ça.

— Pourquoi est-ce mauvais ? demanda une nouvelle fois Gilbert.

Comme il ne comprenait pas les sentiments de son frère, ce dernier semblait frustré et agacé, tapant légèrement du poing et frappant fortement l’épaule de Gilbert avec la main qui lui tenait la sienne.

— Je veux devenir marin. Pas n’importe quel marin. Un capitaine. Je mènerai mes camarades et explorerai le monde. Je veux aussi mon propre bateau. Gil, tu es un bon élève, tu pourrais aussi devenir un voyageur. Mais… Je… On ne nous permettra jamais de devenir ce que nous voulons.

— N’est-ce pas évident ? répondit Gilbert. Après tout, nous sommes de la Famille des Bougainvillea.

Le ménage était proprement composé d’une hiérarchie pyramidale où le père se tenait au sommet ; en dessous de lui se trouvaient la mère, l’oncle et la tante, et en dessous d’eux le frère aîné, Gilbert et leurs sœurs. Dans la maison où Gilbert était né, il était naturel pour les gens de moindre importance de baisser la tête devant leurs aînés, et s’opposer à eux n’était pas toléré. Gilbert et son frère étaient de petits rouages destinés à perpétuer la famille Bougainvillea, en protégeant son honneur et sa réputation héroïque. Les engrenages pouvaient-ils faire part de leurs états d’âme ? Non, ils ne le pouvaient pas.

— Je vois que le lavage de cerveau a été fructueux.

Ainsi finissait-il, d’une voix laissant entrevoir de la pitié.

— Je me demande ce que… « lavage de cerveau »…

Alors que Gilbert était perdu dans ses pensées, les avions de chasse prenaient leur envol. 

Afin de voir les oiseaux de fer se retrouver et dessiner des arcs dans le ciel, Gilbert leva les yeux. Les plans se croisaient avec le Soleil et disparaissent pendant un instant.

C’était incroyablement éblouissant.

Cependant, ses yeux lui firent mal comme s’ils étaient brûlants, ce qui l’obligea à fermer ses paupières lentement. Peut-être en raison de la trop forte luminosité, des larmes s’étaient formées.

***

Les yeux émeraude se rouvrirent. Ils appartenaient maintenant à un jeune homme sage. Mélange de la sévérité de son père, mais aussi de sa propre personnalité, à savoir de gentillesse et de solitude, ils fixaient une poupée. 

Enfin, plutôt une fille qui ressemblait à une poupée. Dans son champ de vision figurait également son frère aîné, qui avait grandi tout comme Gilbert lui-même.

La pièce était emplie de décorations raffinées. Il s’agissait de mobilier coûteux ce qui laissait supposer que seules les personnes du même acabit pouvaient normalement y résider bien que l’idée soit risible dans l’absolu. 

Pourtant, tout était sens dessus dessous. La pièce était devenue le théâtre d’un quintuple meurtre. La fille, tachée de sang, était la coupable. Même avec ses vêtements et son parfum baignés de sang, sa beauté n’en était altérée. Elle était le plus bel assassin du monde.

— Hé, tu vas la prendre, hein, Gilbert ?

Avec un sourire amical, son frère aîné poussa la fille. Elle fit un pas vers Gilbert ; ce dernier, automatiquement, fit un pas en arrière. Elle était horrifiante.

— Ne me regarde pas !

Son frère avait insisté sans relâche sur le fait que la fille devant lui était un « outil » et l’avait livrée avec force. En effet, elle fut traitée et agit comme tel. Cependant, sa respiration était encore lourde.

Pendant qu’il essuyait sa main, dégoulinante de sang et de sueur, avec son bouton de manchette, elle le regardait fixement comme si elle attendait le prochain ordre.

— P-Pourquoi me regardes-tu ? 

Dans une certaine mesure, il faisait déjà preuve de bien plus de compassion que son frère aîné.  

Ou plus exactement, il se souvenait que la hiérarchie existait non seulement au sein de la famille, mais également au sein de la société. Les enfants qui se trouvaient au bas de celle-ci, dans l’espoir d’en atteindre le sommet, devaient lutter. Cela nécessitait de se surpasser personnellement, certes, mais surtout d’user de tout ce qui était en sa possession. Ce n’était pas quelque chose dont il fallait faire l’éloge, mais c’était quelque chose que Gilbert savait et souhaitait. Sans aucun doute, s’il apprenait à l’utiliser correctement, elle pouvait devenir le meilleur bouclier et la meilleure épée.

— P-Pourquoi me regardes-tu ? 

La poupée assassine automatisée semblait également désirer Gilbert.

Finalement, tout se passa comme son frère l’avait prévu, et le jeune Gilbert, qui avait encore des traits que l’on pouvait considérer comme ceux d’un jeune, se tenait au milieu d’une rue du centre-ville. Ses somptueux yeux fixaient l’un de ses bras.  

La poupée, emmitouflée dans sa veste, ne dégageait pas une odeur très douce, mais plutôt, au contraire, celle du sang dans lequel elle venait de se baigner. Cela n’aurait guère été surprenant si elle ressemblait à un ogre, néanmoins il se trouvait qu’elle semblait plus proche d’un lutin de conte de fées.

— J’ai… peur de toi.

La jeune fille n’avait pas réagi aux paroles honnêtes qui s’étaient échappées de ses lèvres. Ses yeux bleus le regardaient simplement.

— Je suis… J’ai peur de… t’utiliser.

Gilbert continua tout en l’enlaçant fermement.

— Tu- es terrifiante. En fait… Il se pourrait même que je doive te tuer.

Malgré ces douloureux murmures, il ne lâcha jamais la fille. Il n’avait pas non plus essayé de la laisser tomber et de la laisser sur la route, de lui tirer dans la tête avec le pistolet dans sa poche, ou encore de serrer son cou élancé avec ses mains.

— Mais… je veux que tu vives.

— Il s’accrocha à elle malgré ses craintes. Ses paroles étaient sincères.

— Je veux que tu vives.  

C’était une vérité qui brillait faiblement au milieu d’un monde cruel.  Le problème était de savoir s’ils allaient être capables de supporter sa dure réalité.

Gilbert pouvait-il y arriver ? Incertain, Gilbert ferma les yeux. Il pria pour la pensée idéaliste selon laquelle tout serait fini une fois qu’il allait les rouvrir.

***

Les yeux couleur émeraude s’ouvrirent. 

La situation n’était guère celle que Gilbert avait espérée quand il priait.

La jeune fille procédait au meurtre d’hommes devenus incapables de bouger, les fouettant à l’aide de bâtons. Elle les frappait. Le sang coulait. Des cris s’élevaient. Elle les frappait et celui qui l’avait ordonné n’était autre que Gilbert lui-même.

Quelque chose d’autre que la vie se perdait dans cet espace. La violence remplaçait en effet la raison, la conscience et d’autres valeurs de ce genre. C’était…

— Plus que douteux. Non pas pour la justice. Pour son bien, le mien ou celui de ce pays… Elle était faite pour ça… 

Gilbert avait atteint une espèce d’autosatisfaction, assez forte pour lui donner envie de vomir quand il y réfléchissait sérieusement, ainsi qu’une soif de conquête due au fait qu’il avait mis la main sur un pouvoir immense : une fille qui n’écoutait les ordres de personne d’autre que lui. Il avait l’impression de dominer le monde.

Prétextant l’accompagner dans ses quartiers, Il put ainsi s’extraire du cercle des officiers supérieurs venus poser des questions concernant la jeune fille.

Il marcha sur la mare de sang des personnes qu’elle avait massacrées et se dirigea vers elle. C’était comme si elle faisait sortir du sang de tout ce qu’elle touchait. Le sang de ses victimes, oui. Jamais le sien. Pourtant, il y avait peu de différence entre elle dans cet état et Gilbert quand il était couvert de sang. Cela lui allait toutefois.

Les sentiments qui s’étaient brusquement élevés en lui disparurent, comme une bougie s’éteignant. Sa respiration était de nouveau lourde.

On n’y peut rien. On n’y peut rien, se ditGilbert.

En effet, il n’y avait rien à faire, car on attendait seulement de lui qu’il veuille garder confidentielle l’arme effrayante qu’il avait acquise, qui possédait une conscience. Il craignait qu’elle ne fasse du mal aux autres. Dans ces circonstances, il était préférable de l’utiliser tout en la maintenant à portée de main, ce que par ailleurs l’outil lui-même souhaitait également.

— On n’y peut rien. Il le faut… pour que nous… soyons ensemble. Pour qu’elle reste en vie.

Malgré cela, l’intérieur de ses yeux lui faisait aussi mal que la fois où il avait regardé directement le Soleil. Gilbert emmena la fille dans un couloir vide. Elle était un outil. Pas sa fille ou sa petite sœur. Elle était quelqu’un qui allait bientôt devenir son sous-fifre. Il aurait été gênant que d’autres personnes perçoivent leur relation particulière. S’ils ne gardaient pas une certaine distance, vivre côte à côte allait leur être impossible. 

–mais… 

Il la fit marcher, marcher et marcher. Une fois que personne d’autre n’était en vue, il se retourna et lui tendit la main.

— Viens. 

Il ne pouvait pas se retenir. Le fait que son uniforme était souillé de sang ne lui posait pas de problème. Il dut la tenir à ce moment précis, se déplaçant automatiquement pour la réconforter. C’était aussi ce qu’il avait fait lors de leur première rencontre. 

La fille eut la même réaction. Elle tremblait, mais contrairement aux autres fois, ses petits doigts s’accrochaient à son uniforme – fermement – comme pour dire qu’elle n’allait pas lâcher prise. Elle était un être vivant avec une température, un poids. À son contact il se remémorait l’époque où il portait ses petites sœurs, bébés. Les sentiments de cette période se chevauchaient.

Elle était douce, comme si elle pouvait se briser, au point de faire croire à Gilbert qu’il devait la protéger quoiqu’il arrive. Elle tenait mieux dans ses bras qu’il ne l’avait d’abord pensé. Son visage, miné par une extrême tristesse, se reflétait dans les yeux bleus de la petite. Tout doucement, Gilbert chuchota.

— Veux-tu vraiment… un maître comme ça ?   

Il ne pouvait pas directement faire face à la lueur excessivement innocente des yeux de la jeune fille, fermant les siens comme pour fuir.

***

Les yeux émeraude s’ouvrirent.

— Je… ne comprends pas ce que vous dîtes. 

Même s’il était encore à un âge qui respirait la jeunesse, ses yeux montraient de l’exaspération lorsqu’il fixait un équipement de télécommunication.

Il pleuvait dehors. Le bruit des gouttelettes se déversant sur le bâtiment perturbait les conversations. Partout, c’était trop bruyant.

Gilbert, commandant de la Force offensive spéciale de l’armée de Leidenschaftlich, avait pour mission de parcourir le pays pour mettre fin aux différents conflits qui s’y déroulaient. De plus, il avait pour rôle d’apprivoiser celle qui allait devenir la pièce maîtresse de cette force d’intervention. Et il reçut soudainement une mission bien particulière.

— Concernant l’endroit, un chauffeur a été affrété pour l’y emmener. Préparez- la et donnez-lui l’ordre de tuer. Cela suffira. Éliminez tous ceux qui vivent dans ce bâtiment. Elle ne doit s’inquiéter de rien d’autre et doit revenir dès qu’elle aura fini.

Ayant reçu de manière inattendue un message d’un officier supérieur pendant son séjour au quartier général, il s’était opposé au contenu de l’opération.

— Mais ! –

Bien qu’il ait attendu son tour pour parler, il se retint après avoir élevé la voix.

— Si cela doit nous permettre d’avoir le contrôle, toute ma troupe devrait y participer. Pourquoi Violet seule… ? Ce n’est pas quelque chose qu’un seul soldat pourrait faire.

Il n’avait toutefois pas réussi à atténuer la désapprobation de son ton.

— C’est parce que peu de gens doivent être au courant. La cible est un marchand d’armes national qui a signé un contrat d’exportation pour une organisation antigouvernementale. Cela a été signalé par un espion qui s’y est infiltré. Ce problème ne va pas se résoudre tout seul. Après tout, ils sont tout à fait conscients de nos faiblesses. Le moment est opportun. Nous devons régler cette affaire. Il est regrettable d’appeler cela un meurtre, mais il y a certainement beaucoup de gens qui le prendraient ainsi. Je ne pense pas que nous devons exposer au monde nos idéaux les plus douteux. 

— Si tel est le cas, raison de plus pour rassembler du personnel capable d’accomplir la mission.

— Ce que votre poupée est, précisément. Une arme meurtrière qui ne désire que vos ordres sans les remettre en question. Il n’y a personne de plus apte qu’elle, n’est-ce pas ? Je n’ai pas oublié le spectacle que vous nous avez présenté. Combien de gens avait-elle tués à l’époque, déjà ? Quel âge avait-elle ? Avec vos conseils, la précision de ses meurtres a dû encore s’améliorer davantage ! Je ne vous laisserai pas dire qu’elle n’en est pas capable. Mais si c’était un choix, que choisiriez-vous ? 

— C’est…

—  Le symbole le plus important de la famille Bougainvillea, à savoir la défense nationale, n’est-il que mensonge ? 

Incapable de parler correctement, Gilbert s’agrippa à ses vêtements sur la zone située près de ses poumons.

Pendant les quelques secondes de silence, une image apparut dans son esprit, celle de lui-même commandant à Violet d’accomplir la tâche susmentionnée. Sa réponse allait certainement être un « Oui »

Elle répondrait certainement par un « oui » obséquieux, sans la moindre hésitation. Elle n’était pas du genre à hésiter. Un ordre de Gilbert… Pour l’amour de celui qui s’occupait d’elle, elle était prête à tout. Et ce qui affligeait le plus Gilbert, c’était que Violet allait probablement exécuter cette tâche sans aucune difficulté.

Il imaginait alors simplement comment ça allait se passer. Il se voyait incapable de dormir dans la caserne, attendant simplement son retour.

— Elle peut le faire.

Sa voix était enfin sortie. 

— Elle peut le faire, mais Violet a besoin de consignes précises sur place. Si vous avez été témoin du massacre de l’époque, vous le comprenez, n’est-ce pas ? Elle ne peut pas fonctionner comme une arme à moins que je ne donne des instructions. Permettez-moi donc de l’accompagner.

Il put dire quelque chose, mais pas tout à fait ce qu’il aurait voulu.

***

— Violet, es-tu prête ?

Vêtu de son uniforme militaire noir violacé, Gilbert regarda la fille avec ses yeux vert émeraude. Ils semblaient intenses dans l’habitacle sombre du véhicule. À part les siens, la seule autre paire d’orbes qui brillait était celle de la fille. Plus largement, ses cheveux dorés, qui complétaient ses beaux yeux d’une couleur plus claire que le bleu de la mer et plus profonde que le bleu du ciel, étaient attachés à l’intérieur d’un chapeau militaire identique à celui que portait Gilbert.

— Oui.

Sa réaction était nette, sans émotion, mais pleine de confiance.

La jeune fille qui ne pouvait pas parler n’était plus là. Gilbert remit un couteau et une arme de poing à la femme soldat d’une rare beauté.

— Officiellement nous ne venons que pour parler. Mais ce que nous allons faire… servira d’exemple pour tous les trafiquants d’armes impliqués dans Leidenschaftlich.

— Je le sais.

— L’intérieur n’est pas assez spacieux pour les grands combats. Je veux donc que tu te familiarises le plus rapidement possible aux conditions de ce champ de bataille. Après tout, tu ne peux pas utiliser Sorcellerie. Mais je serai avec toi. Je te protégerai. Concentre-toi sur les ennemis.

— Oui, Major.

En hochant la tête, quel que soit le regard qu’on lui porte, elle ne donnait pas la moindre impression qu’elle était sur le point de tuer des gens. Ses épaules fines et son physique délicat indiquaient qu’elle était au milieu de l’adolescence ou légèrement avant.

Gilbert la regarda avec dépit et quitta la voiture. Il faisait nuit noire dehors. Un ciel nocturne sans étoiles créait une atmosphère sereine.

— Cela ne prendra pas plus de trente minutes. Attendez ici.

Après en avoir informé le conducteur, les deux sortirent de la voiture et se dirigèrent vers la propriété. Devant l’endroit qui semblait tout à fait banal se trouvait un homme au visage dur qui gardait les portes, tenant un fusil comme pour dissuader.

Il y avait plusieurs maisons à proximité, mais aucune n’était éclairée. Il semblait s’agir d’une zone résidentielle abandonnée, au fin fond d’une ville de banlieue. Il y avait une raison pour laquelle plus personne n’y vivait : aucune famille normale ne souhaiterait se retrouver dans un quartier fait de sang et de violence.

— Je suis membre de l’armée de Leidenschaftlich, le major Gilbert Bougainvillea. Je suis venu voir le marchand d’armes. Je sais qu’il est ici.

Dites-lui que j’ai quelque chose à lui dire.

Le gardien montra manifestement un visage de mécontentement face à ces visiteurs soudains.

— Aah… ? Quel est votre problème ? Qui est-ce que vous croyez être ?

A l’attitude inconvenante de cracher sur ses chaussures, Gilbert restait sans expression tout en marmonnant,

— Vous devriez aussi surveiller votre langage. 

D’un geste rapide, il prit le fusil du gardien dans une main, enfonçant simultanément un poing dans l’estomac de l’autre. Il pointa ensuite le fusil vers le haut de la tête du gardien qui gémissait, le frappant avec.

Cela ne s’arrêta pas là ; dès que ce dernier tomba à genoux, Gilbert mit un coup de pied sur le côté du visage avec ses chaussures militaires. Une grande quantité de sang et une dent couronnée jaillirent de la bouche du gardien.

Gilbert lui jeta un regard froid, restant de marbre face à ces cris d’agonie et ces grognements. 

— Disparais. J’utiliserai une arme la prochaine fois.

L’ordre était qu’ils assassinent tous ceux qui se trouvaient dans le bâtiment. Dans la mesure où ils n’étaient pas encore à l’intérieur, ils lui laissèrent la vie sauve. Cependant, quelques secondes après que l’homme ne tente de s’échapper, la jeune fille lui tira une balle dans la tête avec précision avec son arme. La main de l’homme qui avait été abattu tenait un revolver caché.

— Violet.

— Major, il pointait une arme sur vous.

Quelques minutes après que les deux compères soient entrés dans le bâtiment, des coups de feu vicieux et des cris résonnaient comme des morceaux de musique. Des bruits de chair éclatée et de verre brisé, des cris d’agonie mortelle. Tout cela était joué dans une harmonie chronométrée et continua à plusieurs reprises, jusqu’à ce que la mélodie ne s’achève par un hurlement particulièrement intense.

Le bâtiment qui était la seule source de lumière dans la région finit par perdre son éclat et son intérieur devint complètement silencieux. Le monde avait enfin retrouvé sa vraie forme. C’était ce genre de silence qui précédait le sommeil.

— Comme c’est ennuyant.  

En chargeant son pistolet vidé de ses balles, Gilbert soupira et s’assit sur un canapé. Les jambes des corps gisant sur le sol étaient sur son chemin, mais il les ignorait, car il ne pouvait rien y faire. Après tout, c’était Violet que les officiers supérieurs avaient désigné pour s’occuper du marchand d’armes. Elle était même supposée venir seule, initialement.

–Elle s’occupe déjà des soldats ennemis, mais maintenant elle doit faire ce genre de sale boulot. Les supérieurs la traitent comme une simple machine à tuer.

Si l’élimination des éléments gênants était dans l’intérêt de leur pays, il pouvait le faire sans remords, après tout. Lui-même n’y aurait pas réfléchi à deux fois, tout du moins.

— Major, quelque chose ne va pas ? Mission accomplie. Il n’y a pas de survivants.

Même dans une telle situation, la jeune fille en question contemplait les cadavres avec un visage calme. Gilbert savait mieux que quiconque qu’il n’était pas nécessaire de l’accompagner.

— Non.

Alors qu’il laissait son regard vagabonder sur le sol, les pieds d’un homme qu’il avait tué lui apparurent. Troublé, il détourna les yeux.

— Je vais bien. Tu es fatiguée, n’est-ce pas ? Assieds-toi aussi.

Alors qu’il faisait un geste vers le canapé, elle hésita légèrement, mais s’assit docilement. C’était une scène étrange – un homme et une fille s’accordant un moment de détente dans une pièce remplie de cadavres. Le clair de lune béni de la fenêtre illumina les deux criminels.

Violet observa son supérieur – plutôt quelqu’un qu’elle considérait comme bien plus que cela – alors qu’il refusait de la regarder. À quoi pensait la propriétaire de ces yeux bleus ? C’était comme si elle ne voyait rien d’autre que lui ; tel était le regard avec lequel elle le fixait.

— Est-il normal de rester ? 

— Encore une minute. Une fois sortis d’ici, nous retournerons à la caserne et à notre routine de voyage. Nous exterminerons les unités ennemies comme les supérieurs nous le demanderont, nous voyagerons à nouveau et nous exterminerons ces dernières.

— Oui.

— Il y a très peu de moments que je peux passer… juste avec toi, où nous ne sommes rien que nous deux.

— Oui. 

— Même si nous sommes ensemble depuis que tu es petite, ces derniers temps, ce n’est que dans des moments comme celui-ci que…

— Oui.

Il avait l’impression que sa gorge allait se boucher de chagrin. C’était la somme de choses qui allaient au-delà de sa froideur. La somme des sentiments apportés par la fille assise à côté de lui. Parce que celui qui avait élevé et géré cette femme soldat de sang-froid était Gilbert lui-même. Celui qui l’avait utilisée directement comme outil d’assassinat n’était pas en mesure de réprimander les autres.

— Hum, Violet… désolé, mais peux-tu ouvrir la fenêtre ? L’odeur du sang est terrible.

Après avoir entendu le bruit de ses pas sur les flaques de sang sur le sol, la fenêtre s’ouvrit. Bien que ce fût une nuit sans étoiles et sombre, la lune était visible.

Exposée au clair de lune, sa silhouette se reflétait vaguement dans les yeux de Gilbert. Ses beaux traits de visage étaient déjà pleinement développés, bien qu’elle soit encore si jeune. Des gouttelettes de sang avaient éclaboussé ses joues blanches, entachant son apparence pure.

— Major ?

Peut-être mal à l’aise d’être fixée si intensément, Violet pencha son cou sur Gilbert.

— Violet, tu as encore grandi. 

Sa voix était rauque. Il se couvrait la tête avec ses bras repliés contre ses genoux. Chaque fois qu’il regardait sa silhouette de plus en plus belle, une douleur indescriptible bouillonnait dans sa poitrine.

— Est-ce vrai ? Si le major le dit, c’est peut-être vrai.

— Es-tu blessée ? 

Il n’était pas facile pour lui de parler sans bégayer. 

— Non. Et vous major, vous allez bien ?

— Pour qui me prends-tu ?

Alors qu’il parlait comme s’il crachait du sang, la jeune fille cligna des yeux de surprise. Elle avait dû être vraiment choquée. Après un moment de silence, elle répondit à voix basse, comme si elle chuchotait « Je ne comprends pas la question ».

Pour Gilbert, c’était une réponse prévisible.  Un sourire sec lui vint naturellement.

— Ai-je… échoué à quelque chose ?

— Non, ce n’est pas ça. Il n’y a rien dont tu es responsable.

— S’il y a quoi que ce soit, dites-le-moi. Je le rectifierai.

Sa silhouette reprit alors la posture d’un outil, peu importe à quel point c’était difficile à supporter pour Gilbert.

–Mais je n’ai pas le droit de penser que c’est triste ou qu’elle est pitoyable. C’est dur, mais nous n’y pouvons vraiment rien.

—  Violet, tu n’as rien à te reprocher. C’est la vérité. S’il y a quelque chose à critiquer, c’est le fait que tu sois à mes côtés, que tu tues des gens sans hésitation pour mon bien. Et celui qui est à blâmer pour tout cela, c’est moi.

Violet n’avait pas la notion de bien et de mal, dès le départ. Elle ne « savait » pas ce qui pouvait être considéré comme juste ou erroné, se contentant de courir après l’adulte qui lui donnait des ordres.

— Pourquoi cela ? Je suis l’arme du major. Il est simplement évident que vous vous serviez de moi.

C’est parce que les paroles de Violet étaient d’une sincérité absolue que chaque note de chacune d’entre elles transperçait le corps de Gilbert. Elle n’était qu’un outil de massacre, dépourvu d’émotions.

— De toute façon… c’est moi qu’il faut blâmer. Je ne veux pas que tu fasses ça et, pourtant, je t’y force.

Peu importe sa beauté, peu importe combien l’homme à ses côtés la chérissait…

— Pour moi, tu n’es pas un outil…

…Elle était une poupée sans sentiments… 

— Pas un outil…

…qui ne souhaitait que des ordres.

***

Gilbert voulait crier.

Il voulait probablement le faire depuis qu’il était enfant, si on lui avait permis de le faire. Si on lui avait laissé la liberté, sans se soucier d’être bien élevé, la vérité était qu’il avait toujours, toujours, toujours, toujours, toujours voulu crier.

— Comme si je pouvais me conformer à quelque chose comme ça !!!!!

–Comme si je pouvais me conformer à quelque chose comme ça. Comme si je pouvais me conformer à quelque chose comme ça. Comme si je pouvais me conformer à quelque chose comme ça. Comme si je pouvais me conformer à quelque chose comme ça. Comme si je pouvais me conformer à quelque chose comme ça. Comme si je pouvais me conformer à quelque chose comme ça. Comme si je pouvais me conformer à quelque chose comme ça. Comme si je pouvais me conformer à quelque chose comme ça. Comme si je pouvais me conformer à quelque chose comme ça. Comme si je pouvais me conformer à quelque chose comme ça. Comme si je pouvais me conformer à quelque chose comme ça. Comme si je pouvais me conformer à quelque chose comme ça. Comme si je pouvais me conformer à quelque chose comme ça. Comme si je pouvais me conformer à quelque chose comme ça. Comme si je pouvais me conformer à quelque chose comme ça. Comme si je pouvais me conformer à quelque chose comme ça. Comme si je pouvais me conformer à quelque chose comme ça. Comme si je pouvais me conformer à quelque chose comme ça. Comme si je pouvais me conformer à quelque chose comme ça. Comme si je pouvais me conformer à quelque chose comme ça. Comme si je pouvais me conformer à quelque chose comme ça. Comme si je pouvais me conformer à quelque chose comme ça. Comme si je pouvais me conformer à quelque chose comme ça. Comme si je pouvais me conformer à quelque chose comme ça. Comme si je pouvais me conformer à quelque chose comme ça. Comme si je pouvais me conformer à quelque chose comme ça. Comme si je pouvais me conformer à quelque chose comme ça.  Aah, aah, comme si je pouvais me conformer à quelque chose comme ça !

Quand ce sentiment avait-il germé en lui ?

–Pourquoi maintenant ?

Il n’avait aucune idée de l’élément déclencheur.

–Pourquoi elle ?

Si jamais on lui demandait ce qu’il aimait chez elle, il ne pourrait pas l’exprimer correctement avec des mots. Avec quelqu’un d’autre, il y aurait eu un autre effet.  

— Major.  

Avant qu’il ne s’en rende compte, il était heureux chaque fois qu’elle l’appelait.

— Je n’ai d’yeux que pour toi…

Il pensait qu’il devait la protéger, car elle le suivait par-derrière.

–Mes lèvres…

Sa poitrine battait avec une dévotion immuable.

–…Bougent toutes seules…Comme si elles allaient dire « Je t’aime »

S’il savait qu’il allait l’aimer un jour, il ne l’aurait pas fait combattre. 

–Dans quel but est-elle comme ça ? Si c’est par dévotion… Alors elle ne prononcerait rien qui risquerait de me déplaire. Puisqu’elle recherche la soumission et les ordres, avoir l’approbation de son maître est ce qui lui importe. Et moi donc… ? Qu’en est-il de ma propre vie ? À qui suis-je donc dévoué ?

— Je t’…

 –Qu’en est-il de ma propre vie ? 

— t’…

–Pourquoi est-ce que…

— t’…

–je l’aime ? 

— Violet…

Pour le bien de qui… est-ce que je vis maintenant ?

***

— Qu’est-ce que l’amour ? 

— Violet, l’amour est…

À ce moment-là, il avait tout compris.

Aah.

Gilbert n’aimait pas le mot « destin » 

–C’est le destin

Ce terme lui déplaisait, car il était de nature à effacer tous les efforts fournis jusqu’à présent. Il ne pouvait pas se faire au fait que les expériences accumulées depuis son plus jeune âge, alors qu’il visait à s’élever au sommet de la pyramide, n’étaient que le résultat du destin. Tout aurait dû être le fruit des efforts. Néanmoins, aux portes de la mort, Gilbert comprit enfin.

–C’est le destin.

La raison pour laquelle il était né dans la famille Bougainvillea…

–C’est le destin.

La raison pour laquelle son frère l’avait abandonné et avait coupé ses liens avec la famille.

–C’est le destin.

La raison pour laquelle ledit frère l’avait trouvée et ramenée à la maison avec lui…

–C’est le destin.

La raison pour laquelle Gilbert avait fini par l’aimer…

–C’est le destin.

— Violet.

–Juste… enseigner ce qu’est l’amour… à cette fille qui ne le sait pas… est le but de ma vie.

— Je ne comprends pas. Je ne comprends pas l’amour. Je ne comprends pas… les choses dont parle le Major. Si c’est comme ça, pour quelle raison me suis-je battue ? Pourquoi m’avez-vous donné des ordres ? Je suis… un outil. Rien d’autre. Votre outil. Je ne comprends pas l’amour… Je veux juste… vous sauver… vous, Major. S’il vous plaît, ne me laissez pas seule. Major, ne me laissez pas seule. Donnez-moi un ordre, s’il vous plaît ! Même si cela me coûte la vie… s’il vous plaît, donnez-moi l’ordre de vous sauver !

–Je t’aime, Violet. J’aurais dû… te le dire… plus correctement avec des mots. Ta façon de bouger, la façon dont tes yeux bleus s’élargissaient à chaque fois que tu découvrais quelque chose de nouveau… J’ai aimé te regarder comme ça.

Fleurs, arcs-en-ciel, oiseaux, insectes, neige, feuilles mortes et villes remplies de lanternes tremblantes… J’avais voulu tout te montrer sous une plus belle lumière. Je voulais t’offrir un moment pour les apprécier librement, non pas avec mes pensées, mais avec ton point de vue. 

Je ne sais pas… comment tu aurais pu vivre sans moi là-bas. Mais, si je n’étais pas là, n’aurais-tu pas pu… voir le monde d’une manière un peu plus belle, de la même manière que je l’ai vu à travers toi ? 

Depuis que tu es venue à mes côtés, ma vie a été pratiquement détruite, mais… Paradoxalement, tu as donné un sens à ma vie, un sens autre que celui de monter des échelons.

Violet. Tu es… devenue mon tout. Mon tout. Sans rapport avec la volonté des Bougainvillea. Juste… mon tout personnel à moi, Gilbert.

Au début, j’avais peur de toi. Mais en même temps, je voulais te protéger. Même si tu as péché sans t’en rendre compte, je t’ai quand même souhaité de vivre. Après avoir décidé de me servir de toi, je suis devenu aussi criminel que toi. Tes méfaits étaient mes méfaits. J’aimais ce péché mutuel.

C’est vrai, j’aurais dû… te le dire.

C’est quelque chose de très rare. Il y a très peu de choses que j’aime. En fait, il y a un nombre beaucoup plus important de choses que je déteste. Je ne le dis pas, mais je n’aime pas ce monde ni ce style de vie. Je protège mon pays, mais en vérité, je n’aime pas ce monde.

Ce les gens que j’aime sont… mon meilleur ami, ma famille inévitablement tordue… et toi. Violet. Toi seule.  Vouloir te protéger a été le résumé de ma vie. Te protéger… faire en sorte que tu vives… ont été les premières choses que j’ai voulues de moi-même.

Abjectement, je fais ce souhait. Violet. Je veux… te protéger… de plus en plus, de plus en plus…

***

Un œil vert s’ouvrit. C’était un monde de ténèbres. Les cris des insectes pouvaient être entendus de loin. Était-ce le monde réel ? En sentant l’odeur de produits médicaux, il sut immédiatement : il était à l’hôpital. Gilbert le confirmé, allongé sur un lit. La mémoire lui revint peu à peu. Il était censé être mort sur le champ de bataille. Cependant, peut-être parce qu’il avait prié si misérablement… Même si Dieu n’avait jamais accordé aucun de ses souhaits jusqu’à présent, il l’avait cette fois laissé vivre.

Un seul de ses yeux s’était ouvert. Malgré tous ses efforts, l’autre œil enveloppé de bandages n’avait pas daigné bouger. Il voulait bouger ses bras pour le toucher, comme pour vérifier ce qui lui était arrivé. Cependant, là encore, seul un des membres bougea. Il se demandait qui l’avait fait. Il avait maintenant un bras mécanique. Gilbert tourna son visage sur le côté. Il distingua les yeux de quelqu’un dans l’obscurité. C’était un homme roux. 

— Tu es… vraiment tenace !

Le seul homme dans la vie de Gilbert que ce dernier appelait « meilleur ami » était là. Il avait l’air épuisé. Qu’était-il arrivé à son uniforme ? Il était vêtu d’une chemise et d’un pantalon.

— Toi… aussi…

Alors qu’il répliqua instantanément, son ami rit. Il rit, mais les rires se transformèrent rapidement en sanglots. Gilbert trouvait terrible de ne même pas voir correctement le visage en pleurs de son ami. 

— Et Violet ?

Son ami savait certainement à l’avance qu’une telle question allait être posée. Il déplaça la chaise sur laquelle il était assis et montra le lit à côté de lui. La fille que Gilbert aimait était allongée là.

— Si… elle est… morte… alors s’il te plaît, tue-moi aussi. 

Les yeux fermés, elle ressemblait à une sculpture, ce qui rendait impossible de discerner si elle était vivante ou non. Son ami lui souligna qu’elle avait survécu, mais que son bras n’était plus utilisable.

— Juste… un… d’entre eux ?

— Non, les deux. Les deux côtés… sont maintenant équipés de prothèses. 

Gilbert tenta avec force de se lever.

Alors que son ami se précipita pour le mettre en garde, Gilbert lui prit la main, parcourant la distance insignifiante qui le séparait du lit de la jeune fille aux jambes tremblantes. Lorsqu’il lui enleva ses fines couvertures, ses bras lisses en porcelaine n’étaient plus. À leur place se trouvaient des prothèses spécialisées pour le combat, même si l’on ne savait pas si elle allait vraiment se battre à nouveau. 

Qui les lui avait mises ? Gilbert toucha la prothèse de Violet avec sa main de chair. C’était froid. Ce qui devait être là n’était plus là. Plus que sa propre condition, ce spectacle lui était insupportable.  

— Major. Que dois-je faire avec ça… ?

Les bras avec lesquels elle lui avait montré la broche en émeraude avaient disparu.

— Major.

Les mains qui s’étaient agrippées au bouton de manchette de Gilbert pour ne pas être séparées de lui avaient disparu. Et jamais elles n’allaient revenir. 

— Je veux… écouter… les ordres du Major. Si j’ai… les ordres du Major… je peux aller… n’importe où.

Ce qu’elle avait perdu ne lui reviendrait jamais.

La vision de Gilbert se brouilla à cause des larmes au point qu’il ne pouvait plus voir sa fille bien-aimée.

— Hodgins, j’ai une faveur à te demander.

Une seule larme, et un œil à la lumière d’émeraude fermé à jamais. 

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