VIOLET EVER V2 : CHAPITRE 13

Violet Evergarden

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Traduction : Raitei
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Le chemin de fer qui partait du pays maritime méridional de Leidenschaftlich pour finalement s’étendre aux nations du nord était assez récent.

Les moyens de transport public étaient fort utiles pour se déplacer sur un vaste territoire, mais les trains qui traversaient le continent apportaient une énorme contribution logistique non seulement pour chaque individu, mais aussi pour la société. Ces résultats furent obtenus en partie parce que le conflit Nord-Sud de la Grande guerre avait pris fin.

L’information selon laquelle une cérémonie était organisée pour le départ du train transcontinental se répandit rapidement dans la ville de Leiden, et les gens se précipitèrent à la recherche de billets pour le premier voyage. Le lendemain dans la matinée, la popularité de l’information fut telle que le journal écrivant un article à ce sujet fut distribué dans tout Leidenschaftlich, mais aussi dans les pays voisins le jour de la cérémonie. Bien qu’il s’agît d’un article banal, l’apparition d’une femme seule parmi les photographies publiées fit naître pour le meilleur ou pour le pire, un sentiment subtil chez ceux qui la connaissaient.

Lux Sibyl, qui était en poste dès l’aube, sourit fièrement en apercevant la silhouette de sa ravissante amie.

Un romancier qui récitait tranquillement des mots au milieu des montagnes fut de bonne humeur, comme s’il avait trouvé un trésor parmi les photos de l’article. Il plaça la photo de ce dernier comme une décoration sur son mur.

Un jeune astronome en voyage acheta deux autres exemplaires du même journal après un moment de stupeur, et Cattleya, qui était de service en tant qu’écrivain public dans un endroit éloigné du bureau, demanda à un homme, son client, tenant le journal à la main, qui était la plus séduisante entre elle et la femme sur la photo.

Il y avait aussi cette personne qui n’avait pas vu le visage de Violet depuis longtemps qui se laissa aller en dessinant le contour de ce dernier du bout de ses doigts.

Ce n’était qu’une photo, mais lors de cette matinée, la sensation que quelque chose de spécial était sur le point de commencer se grava de façon indélébile dans l’esprit de ceux qui avaient pu croiser le chemin de Violet Evergarden.

La cérémonie de départ avait lieu dans la gare de Leidenschaftlich, à deux heures de l’après-midi. À trois heures, après que les passagers eurent embarqué à bord du train transcontinental, celui-ci quitta la ville.

Les enfants qui montèrent dans un train pour la première fois penchèrent leur corps en avant au travers des fenêtres et se délectèrent du paysage, se vantant fièrement entre eux de la chance qu’ils avaient eue de réussir à monter dans cette première expédition.

Ceux qui étaient en déplacement professionnel étaient satisfaits du service soigné et de conduite prudente et ceux qui avaient réservé les voitures-lits laissèrent leur corps tomber dans la somnolence, car leurs cœurs furent happés par le confort.

L’opération se déroula sans problème dans l’ensemble même si des problèmes mineurs furent toutefois constatés, comme le fait que certains agents avaient envoyé des bagages dans la mauvaise chambre, ou qu’un client d’une des voitures-restaurants qui avait commandé un plat sans oignons, y avait trouvé un petit morceau, déclenchant sa colère.

Le paysage défilant devant les fenêtres se teinta progressivement d’un rouge garance, et une heure à peine après le départ, le ciel commença à montrer des signes de l’arrivée imminente de la tombée de la nuit.

Une fois par heure, le train devait aussi être ravitaillé en eau.

Nous allons bientôt nous arrêter temporairement au point d’approvisionnement en eau, alors veuillez bien vous asseoir, car nous ferons face à des secousses.

Un agent informa les passagers de chaque voiture. Comme les gens étaient complètement fascinés par la visite, personne ne tenta de se plaindre de ceux qui ne montraient aucune intention de s’asseoir.

Il y en avait aussi beaucoup qui observaient le paysage en sirotant des boissons alcoolisées.

Ceux qui étaient de bonne humeur n’écoutaient pas non plus ce que les autres disaient.

L’agent qui avait donné l’avertissement esquissa un sourire gêné marchant doucement à côté des passagers en leur demandant de prendre place.

Ce fut un voyage exceptionnel.

Mais personne n’imaginait une seule seconde qu’une tragédie se produirait. D’autant plus que personne ne laissait apparaître un comportement suspect.

Ainsi, le fait que la gorge de l’agent fut tranchée passa inaperçu.

Ce jour aurait dû être un jour merveilleux pour beaucoup de gens.

* * *

À 16h15 sous les épais nuages qui se répandaient dans un ciel d’automne, un cadavre fut jeté sur la voie ferrée comme s’il s’agissait d’un vulgaire détritus. Il roula sur le sol et, avant que les corbeaux ne puissent le dévorer avec avidité, il fut trouvé par le propriétaire d’un pré voisin passant par là.

Tout comme la pluie qui se déversait à la surface d’un lac, cela laissait présager un incident majeur. La première goutte était le cadavre. Une, puis deux autres gouttes tombèrent du ciel ensuite, marquant la découverte d’un problème qui s’amplifiait progressivement.

Le comportement anormal du train transcontinental, passant toutes les gares sans s’y arrêter comme initialement prévu, ne manqua pas d’attirer l’attention. L’armée finit même par être mobilisée.

Il y eut d’abord un rapport des employés et des civils d’une des stations concernées, et le message fut relayé à la brigade militaire. La brigade militaire basait ses activités principalement sur le maintien de l’ordre et la sécurité de la vie quotidienne des citoyens. Elle constituait une entité distincte de l’armée, malgré l’emploi du terme « militaire ».

Le temps que la brigade arrive au ministère de l’Armée de Leidenschaftlich, une demande de renfort avait également été émise par la direction des Chemins de fer nationaux de Leidenschaftlich.

Le siège du ministère de l’Armée de Leidenschaftlich était, en un mot, un fort. Pour un simple bâtiment, il avait une architecture difficilement descriptible.

Tout d’abord, il y avait une construction ressemblant à une tour de château qui abritait le ministère des Armées, avec des doubles murs de pierre. Il y avait une douve sèche à l’extérieur des murs, et les arbres et arbustes au-delà de ce fossé avaient été entièrement coupés afin de dégager la vue.
Il n’y avait aucun endroit où les ennemis pouvaient se cacher en cas d’invasion. La structure était déjà intimidante en soi et montrait qu’elle était prête à recevoir n’importe quel assaut.

Le fait de pouvoir se prélasser dans un tel endroit bien adapté pour se défendre en cas d’attaque était la preuve que ces soldats avaient surmonté de nombreuses guerres violentes.

Dans ce contexte, grâce au système de défense nationale, le projet de demande de renfort pour l’affaire « Détournement du train transcontinental », fut lancé très tôt par le ministère des Armées.

Mais les officiers chargés de la mission n’étaient pas encore conscients de l’ampleur des dégâts de cette « pluie ». 

* * *

Ce jour-là, à 17h20, dans l’une des pièces du ministère des Armées, Gilbert Bougainvillea discutait de ce qui allait advenir de la Force spéciale d’intervention de l’armée de Leidenschaftlich qu’il dirigeait auparavant sur le terrain.

  • La dissolution est logique, mais si possible, j’aimerais choisir mes hommes.

Gilbert Bougainvillea, autrefois un major de l’armée de Leidenschaftlich, avait aussi servi comme lieutenant-colonel, et, en reconnaissance de ses prouesses durant la Grande Guerre lorsqu’il avait dirigé la Force d’attaque spéciale de l’armée de Leidenschaftlich, il obtint une promotion, celle de colonel. Après avoir monté à ce grade, diriger depuis l’intérieur du ministère des Armées était essentiellement sa tâche principale. Son escouade opérait toujours, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays, puisque les circonstances avaient exigé des interventions armées post-guerre, mais sa récente promotion mettait quelque peu en péril son maintien.

—  Je pense sincèrement que sa dissolution est regrettable. Il y a des membres qui veulent partir, car ils ont reçu une promotion, mais même avec des postes vacants, l’escouade a un tel niveau d’excellence qu’elle peut très bien fonctionner comme une unité indépendante. Les supérieurs ne le permettront probablement pas si facilement, car ils pourraient penser qu’il s’agit de vos soldats privés.

Un homme aux cheveux bleus et noirs était d’accord avec Gilbert. « Laurus Schwartzman » était inscrit sur la plaque signalétique de son bureau. Gilbert acquiesça devant cette personne qui avait le même statut de colonel que lui, mais qui était autrefois dans une position de supérieur hiérarchique.

— Finalement, nous pourrions créer cette unité indépendante… Du point de vue des dirigeants, une unité qui a trop de liberté est dangereuse, mais en cas d’urgence, elle s’avère très utile pour entrer en action. Toutefois, si l’on nous dit qu’il n’y a pas eu d’unité indépendante jusqu’à présent, on ne nous donnera pas l’autorisation pour en créer une. C’est pourquoi j’aimerais laisser tout de même une escouade prête à intervenir dans le cas où la situation l’exigerait pour faire office de précédent. Et si je dois transmettre le commandement à quelqu’un d’autre, je veux que ce soit une personne qui tienne compte des qualités individuelles de chacun de mes hommes. Après tout, seul un des leurs est légitime pour reprendre le commandement vu qu’ils ont servis sous mes ordres.

— Qui as-tu l’intention de désigner comme successeur ?

— Idris est le plus apte.

— N’est-ce pas quelqu’un de basse extraction, sans éducation et sans quelqu’un pour le recommander ? Il est presque comme moi. Pourquoi ne pas choisir quelqu’un de la Maison des Bougainvilliea ? Il doit y avoir des gens dans l’armée qui sont de votre famille, non ?

—  Colonel Laurus… vous m’avez recommandé parce que vous n’aimez pas les nominations basées sur l’appartenance à des factions, et maintenant vous me dites de nommer un Bougainvilliea ? Idris est intelligent, même sans éducation. Il est aussi très ambitieux. Quant aux recommandations, je serai son soutien.

—     Je vous taquinais, ne vous mettez pas en colère.

Au ton assez bas de la voix de Gilbert, Laurus se mit rapidement à rire et s’excusa. En vieillissant, Gilbert avait fini par dégager une présence qu’il n’avait pas dans sa jeunesse.

— Alors, en ce qui concerne le successeur dans mon unité… je compterai sur vous pour prendre les dispositions nécessaires.

— Quelle sera ma récompense ?

— Ma petite sœur a dit qu’elle voulait monter à cheval avec vous lors de notre prochaine sortie.

Laurus montra une réaction satisfaite et Gilbert soupira un peu, ses épaules s’affaissant comme si un poids lui était tombé dessus.

La position de Gilbert dans l’armée semblait stable, mais ce n’était en réalité pas le cas. Bien qu’il y ait des gens qui le soutenaient simplement parce qu’il était un Bougainvilliea, il y avait aussi ceux qui tentaient de l’ostraciser à cause de son statut de noble. Gilbert était arrivé à une période où il devait clairement désigner ses alliés.

La jalousie et la corruption s’élèvent toujours là où il y a de l’influence. Rassembler peu à peu les personnes qu’il avait tant de mal à aimer et les serrer étroitement dans ses bras devint une nécessité pour Gilbert.

Laurus était quelqu’un dont il avait l’habitude d’observer le dos comme s’il le poursuivait lorsqu’il avait rejoint l’armée, et maintenant Gilbert était enfin à ses côtés. Il y avait très peu de personnes qui pouvaient réussir la promotion de colonel à brigadier-général et de brigadier-général à major-général.

Comme Laurus lui-même ne manifestait pas d’intérêt pour une promotion, Gilbert pensait qu’il ne dépasserait pas le grade de colonel. Ses origines, contrairement à celles de Gilbert, ne le mettaient pas non plus dans une condition avantageuse pour aller plus loin.

— Cela dépend de vous deux, mais s’il vous plaît, ne contrariez jamais ma sœur, car elle vous chérit profondément. Promettez-le-moi.

— Je le sais bien. Elle a avoué son amour pour quelqu’un comme moi, après tout. J’ai l’intention de la suivre jusque dans la tombe.

Il ne montrait aucun signe de recherche de concurrence et il était fiable de nature.

Que Gilbert lui laisse la garde de sa sœur montrait à quel point il l’estimait.

En atténuant les rides entre ses sourcils du bout des doigts de son bras gauche, devenu prothèse, Gilbert prit dans sa main un journal sans rapport avec le travail qui était posé sur le bureau.

Depuis qu’il l’avait lu le matin à son réveil, il l’avait emporté avec lui pendant son service. Il regarda inconsciemment la partie qui contenait des photos du train transcontinental.

— Vous… lisez ça depuis ce matin, hein. Vous aimez les trains ?

— S’il y a une chance de monter dedans un jour, pourquoi pas.

Avec un geste dénué d’artificialité, il plia le côté des photos et posa le journal.

Les deux hommes se retrouvèrent dans une situation où même Laurus en était venu à se demander pourquoi Gilbert avait abandonné la vierge guerrière de l’armée de Leidenschaftlich au lendemain de la Grande Guerre, mais il ne souhaitait pas aborder le sujet.

Alors qu’ils bavardaient de manière triviale, quelqu’un frappa à la porte.

— Colonel Schwartzman… ah, Colonel Bougainvillea, vous arrivez au bon moment. Nous avons une réunion d’urgence. Un incident grave s’est produit. L’affaire a été ouverte au quartier général des contre-mesures, alors venez vite s’il vous plaît. En ce moment, nous convoquons tout le personnel des forces opérationnelles.

Après avoir été informés par l’agent, les deux hommes se regardèrent et se levèrent en même temps.

* * *

Ceux qui se réunirent au quartier général autour d’une table ronde préparée pour l’occasion étaient principalement des colonels. L’incident survenu allait être expliqué au préalable par le major général.

— À 14h, une cérémonie de départ a été organisée en l’honneur du premier voyage du train transcontinental, et une heure après, il a quitté la garde avec les passagers. Il est passé par Attaccare, l’un des arrêts, mais a continué au lieu de s’arrêter. C’est également à ce moment qu’un cadavre a été jeté dans les environs. Le corps a été trouvé et signalé par un fermier. Selon les informations des Chemins de fer nationaux de Leidenschaftlich, le train est actuellement à l’arrêt à la gare de Rauschend, qui est l’un des points de ravitaillement en eau. Une demande de rançon en échange des passagers a été adressée à Leidenschaftlich par l’intermédiaire du personnel de la gare.

Pendant que tout le monde lui prêtait attention, le major-général parla maintenant avec plus de hargne.

— L’ennemi nous demande de libérer un criminel politique qui est retenu dans la prison d’Altaïr. C’est un criminel de Rohand, l’un des pays qui avaient formé une alliance lors de la précédente guerre. Après la proclamation de leur capitulation, il a fait chanter les dirigeants de sa patrie pour qu’ils révoquent cette annonce, ce qui avait provoqué un conflit interne. Il a ensuite été arrêté. Les responsables de cet incident de détournement sont peut-être ses chiens de garde, certainement ses camarades. Ce qui signifie que les principaux responsables de cette affaire sont des gens qui ne veulent toujours pas reconnaître qu’ils ont perdu la guerre.

Un sentiment de tension parcourut la salle lorsque le major général désigna l’autre partie comme un « ennemi ». À Leidenschaftlich, les « ennemis » causaient du tort à toute la nation. Ils devenaient tous des cibles à éliminer et la plupart d’entre eux comptaient sur la puissance militaire comme moyen de contrôle, ne voulant rien résoudre par le dialogue.

— Pour couronner le tout, les ennemis espèrent retourner dans leur pays. Le train se dirige vers la ville portuaire la plus au nord du continent. Ils ont un navire préparé là-bas aussi. On dirait qu’ils sont méticuleusement organisés.

Le major-général pointa la partie nord de la carte posée sur la table ronde. Les hauts gradés assis ne bougèrent pas même s’ils étaient intimidés par sa colère. Ils avaient les yeux fixés sur le major-général.

— Nous… l’armée de Leidenschaftlich… existons dans le but de défendre notre peuple et notre territoire contre les menaces étrangères. Permettre une telle chose après la fin d’une guerre est un affront. Mais ce n’est pas seulement une question d’honneur. Il y a déjà eu des victimes. C’est une déclaration assez évidente, mais il est clair qu’ils sont capables de continuer à prendre la vie d’innocents jusqu’à ce que leur objectif soit accompli. Il y a sûrement des femmes et des enfants et il n’est pas difficile d’imaginer ce qu’ils risquent de subir. Nous devons empêcher cela coûte que coûte. L’ennemi est mobile. Le problème est de savoir comment prendre le contrôle du train. Nous allons élaborer une stratégie en considérant les pires scénarios. À partir de maintenant, je donne à chacun, qu’il soit de rang supérieur ou inférieur, la permission d’exprimer ses suggestions.

Aux mots du major-général, chacun commença à énoncer des tactiques tout en observant la carte. Le train était en mouvement donc difficile de faire une attaque de front depuis l’extérieur à moins de compromettre la vie des passagers.

L’opinion selon laquelle il n’y avait pas d’autre choix que d’attendre le train à l’un des points d’approvisionnement en eau et de tendre une embuscade ne fut pas considéré plus longtemps, car l’ennemi aurait probablement anticipé la chose. La crainte qu’un otage puisse être exécuté à la vue de tous, juste pour que le passage des criminels soit autorisé, avait été énoncée. D’autant plus que les passagers étaient à la merci des criminels, car ils dépendaient de si le train ou non s’arrêtait. 

C’est ainsi qu’Ils cherchèrent à obtenir un contact sur place et le débat fut houleux.

Au milieu de tout cela, seul Gilbert pâlissait en silence. Ses oreilles enregistraient les échanges de chacun. Il formulait également d’éventuelles propositions à verbaliser, cependant une seule pensée domina tout son corps et stoppa ses fonctions motrices.

–Violet est à bord.

Il n’aurait pas pu se tromper sur sa silhouette lorsqu’il l’avait repérée sur une photographie de personnes essayant d’acheter des billets pour le premier voyage. Il était extrêmement naturel pour une poupée de souvenirs automatiques voyageant à travers le monde d’utiliser les trains. Cela signifiait qu’il n’y avait personne de plus qualifiée qu’elle pour établir un contact à bord du train.

— Si j’appelais Hodgins, est-ce qu’il répondrait ?

Il avait fustigé Gilbert pour s’être fait passer pour mort. Lors de leur dernière conversation, il avait dit qu’il couperait les ponts avec lui jusqu’à ce qu’il décide à reconsidérer la question pour Violet.

— Gilbert… ? Vous êtes bien calme. N’avez-vous donc aucune idée ?

Comme Laurus lui parlait de côté, Gilbert se tourna dans sa direction.

Il était probablement en train de faire une grimace qu’il n’aurait pas faite normalement. Laurus se pencha en arrière en sursautant. Le major-général remarqua rapidement la chose.

— Qu’est-ce qui ne va pas, Laurus ? Ne te retiens pas de donner ta suggestion.

— Non… je… bon, je suis d’accord avec l’embuscade au point de ravitaillement. Ce sera une action d’urgence pour la garnison du secteur, mais je pense que nous ne pouvons rien faire d’autre que de préparer les troupes à l’assaut et attendre… Il faut que l’on soit bien organisé, que ce soit avec nos troupes et le personnel de la guerre, mais dans tous les cas il est crucial que le train soit à l’arrêt pour intervenir.

Une fois que Laurus eut formulé sa proposition, peut-être parce qu’il pensait que Gilbert se sentait malade, il lui demanda à voix basse s’il allait bien.

Gilbert hocha la tête sans rien dire. Comme le major-général lui demandait aussi son avis, Gilbert se contenta de ne pas en dire plus.

— J’approuve le déroulement de ce plan.

Comme il s’inquiétait pour la sécurité de Violet et des passagers, Gilbert privilégia la ligne de conduite d’une bataille décisive à court terme. Pourtant, ce n’était qu’une question de temps pour qu’un avis opposé se manifeste. Comme il le pensait, ce que Gilbert redoutait devint vite une réalité.

— Cela manque de solidité. Pour assurer le succès de notre stratégie, ne serait-il pas préférable de formuler un plan pour que nous prenions le contrôle du train à la dernière station de cette ville portuaire du nord ?

Après que Laurus et Gilbert aient exprimé leurs avis, un colonel qui s’était contenté d’observer, comme Gilbert jusque-là, éleva la voix.

— Ahmar, quand tu fais une objection, tu dois expliquer ton plan en détail.

Le major-général exhorta le colonel Ahmar à parler davantage. Laurus avait un visage visiblement quelque peu amusé.

Barbu et énorme, le dénommé Ahmar n’avait rien à envier à Laurus, mais tous deux étaient comme chien et chat. Les personnes présentes étaient conscientes que le fait qu’Ahmar n’ait pas exprimé ses propres suggestions jusqu’alors était dû à sa volonté de s’opposer à Laurus.

L’air devint plus lourd.

Cet avis a été donné il y a peu, mais si nous les ciblons au point de ravitaillement et que nous finissons par les laisser passer, on ne ferait qu’augmenter le nombre de victimes n’est-ce pas ? Les terroristes tueraient les otages par vengeance, et leurs exigences à notre égard pourraient s’accroître. Nous avons bien vu qu’ils exigeaient une rançon. Si c’est le cas, il est plus prudent de leur faire croire que les choses vont se dérouler comme prévu et les abattre au moment où ils s’y attendent le moins. Je suis désolé si je fais reculer la discussion, mais c’est une urgence. Nous devons rester prudents dans l’exécution du plan.

Non ! Si vous pensez vraiment aux citoyens, nous devons agir immédiatement ! Imaginez dans quel état de stress ils sont ? Vous dites ça tout en sachant combien de temps il faut pour atteindre la dernière gare ! Leurs familles aussi veulent que l’armée fasse quelque chose le plus vite possible !

Laurus, vous affichez toujours vos principes avec des arguments axés sur l’émotion, mais c’est inutile pour une stratégie. Les résultats font autorité et nous pouvons blablater sur la manière plus tard. Avez-vous imaginé les conséquences qu’il peut y avoir ? Il y a déjà eu des victimes, et pour ne pas en causer d’autres, nous n’avons pas d’autre choix que de faire endurer ça aux passagers.

Il y avait clairement deux camps : Laurus, qui pensait au sauvetage des citoyens avant toute chose, et Ahmar, qui avait pour priorité la maîtrise de la situation. Gilbert, silencieux à côté de Laurus, pouvait même sentir son cœur agité se démêler dans le cours des événements.

Plutôt que l’agitation, son impatience de faire quelque chose contre la direction que prenaient les choses, qui n’était pas celle qu’il souhaitait, se renforçait. Gilbert ne pouvait pas consentir aux méthodes d’Ahmar.

Il était difficile d’imaginer que Violet Evergarden se laisserait tranquillement conduire jusqu’à la dernière station. Elle allait probablement agir d’une manière ou d’une autre. Le fait qu’elle soit à bord suscite non seulement de grands espoirs, mais aussi un sentiment de malaise.

–Si elle est seule, il est évident qu’elle sera téméraire.

Elle n’était pas le genre de jeune femme à se laisser faire si la situation l’exigeait. Gilbert l’avait disciplinée de cette façon.

–Je dois aller l’aider. Je dois la protéger. C’est précisément parce qu’elle est forte qu’elle…

Cela signifiait revenir sur sa résolution de ce jour-là, où il avait versé des larmes en prenant la décision de se séparer d’elle. Si elle découvrait qu’il est toujours en vie, Violet essaierait certainement de devenir l’outil de Gilbert une fois de plus. C’était sa plus grande peur.

–Je ne veux pas… voir celle que j’aime agir comme un outil, plus jamais.

Dans les circonstances actuelles, de quoi l’homme nommé Gilbert Bougainvillea avait-il le plus peur ?

–Sa mort.

 Dans les circonstances actuelles, que souhaitait-il le plus ?

–Sa sécurité.

En jetant un coup d’œil aux discordances de son cœur, ce qu’il devait faire était clair comme de l’eau de roche.

–Est-ce que c’est… aussi le destin ?

Gilbert ferma les yeux une fois et stabilisa sa respiration. Le visage de la fille qu’il avait abandonnée refit surface dans son esprit. Tout comme son apparence sur cette photo, qui montrait qu’elle avait bien grandi depuis qu’ils ne s’étaient pas vus.

Il avait déployé de nombreux efforts pour obtenir ce grade dans l’armée. Le prochain qu’il visait était celui de major-général. Plus il s’élèverait, plus il allait avoir de pouvoir en échange de la restriction de sa liberté.

À ce moment-là, alors qu’un tel incident se produisait, il put sentir la guidance du Tout-Puissant une fois de plus. Il avait été bousculé, car il s’inquiétait pour Violet, mais il pouvait clairement comprendre ce qu’il devait faire en raisonnant calmement.

–Pourquoi tu vis au juste ? Ne t’énerve pas.

Lentement, lentement, il décolla ses paupières.

— J’ai choisi cette voie-là et je savais à quoi m’en tenir. Le moment est venu, c’est tout.    

— Puis-je… proposer quelque chose ?

Il n’y eut pas d’hésitation dans ses yeux vert émeraude.

Il fixait de ses yeux grands ouverts le major-général et tous ceux de la table ronde. Il savait quelle conduite il devait tenir sans même y penser.

— J’ai une idée.

Sa voix n’était ni trop forte ni trop faible.

— Tout d’abord, concernant l’envoi de soldats à la garnison située près du chemin de fer… Je suis d’accord. Nous ne devons pas nous contenter de le laisser partir vers le Nord. Si, par hasard, ils atteignaient la mer, c’est la marine qui s’en chargerait et j’en parlerais à mon grand frère, Dietfried Bougainvillea. Comme l’a dit le major général, nous devons agir en gardant à l’esprit le pire scénario possible.

Il était important de parler avec sérénité.

— Concernant la dernière gare, je suis contre une escarmouche là-bas. Si l’endroit se transforme en champ de bataille nous risquons gros, car ces gens sont des héros là-bas. Les tuer dans les terres du Nord, leur propre maison, deviendrait un symbole et nous devrons nous attendre à ce que cela provoque un choc émotionnel assez important pour causer des représailles. Pour l’instant, ils font preuve d’une attitude bienveillante à l’égard du Sud-Est concernant le positionnement de leurs forces militaires, mais ils en garderont certainement une rancune.

Nous ne devrions pas discuter d’une telle chose maintenant !

Gilbert répondit au tac au tac à l’intervention colérique d’Ahmar,

C’est vous colonel, qui avez parlé d’imaginer les conséquences !

Vous… avez du culot pour me manquer de respect alors que vous n’êtes colonel que depuis peu.

Le major général a déclaré dès le début que nous devions donner nos suggestions librement. Êtes-vous contre sa décision ?

Alors que leur supérieur était cité, Ahmar refusa de faire marche arrière en exprimant son refus, son visage devenant rouge vif.

Tout comme Ahmar l’avait fait avec Laurus, Gilbert protesta.

Permettez-moi de continuer à expliquer mon idée. Il n’y a aucune garantie que les dégâts se limitent aux seuls passagers. Il est nécessaire d’évacuer toutes les stations le long du circuit du train et les citoyens à proximité également. En plus de l’embuscade au point de ravitaillement, je propose un plan d’infiltration en les traçant depuis la capitale, Leyde.

Il déclara cela bien distinctement avec une manière de parler qui avait une touche de calme et d’élégance. Les gens jugeaient les autres principalement par la vue et l’ouïe. En adoptant une telle conduite, il voulait que les autres soient à l’écoute.

Plan d’infiltration, vous dites ? Est-ce qu’on arrivera à temps si on commence à les poursuivre dès maintenant ?

Gilbert répondit à la moquerie d’Ahmar sans même froncer un sourcil.

Je vais faire en sorte que les Nighthawks décollent.

Même si le train est à l’arrêt maintenant, il finira par bouger !

Celui qui devenait émotif perdait.

—  Même si c’est le cas, il s’arrêtera de nouveau pour refaire le plein d’eau. Si l’infiltration réussit, cela augmentera considérablement nos chances de victoire lors de l’embuscade. Le sauvetage des passagers est une priorité absolue. Plus cette affaire de détournement prendra du temps, plus le nombre de morts augmentera ce qui instaura un climat de plus en plus oppressif pour les criminels et les victimes. Vous saurez si les Nighthawks arriveront à temps ou non si vous me laissez faire. Mobilisons la force d’attaque spéciale de Leidenschaftlich. Bien sûr, je serai aux commandes.

Il y eut une agitation. Il examina le teint du major-général, mais ce dernier ne trouva rien à redire à sa proposition. Ne laissant pas échapper son élan, Gilbert reprit la parole,

Tout à l’heure, il y a eu une remarque sur la façon dont nous devions nous organiser pour ce genre de situation, mais avez-vous oublié que la force d’attaque spéciale de Leidenschaftlich avait été largement active en tant qu’unité de raid depuis la guerre ? Ils ont clairement les compétences pour une infiltration en petit groupe. Ainsi si on nous en donne l’ordre, nous pouvons agir immédiatement. Bien qu’il puisse y avoir des opinions selon lesquelles je ne devrais pas être celui qui la dirige sur le plan opérationnel au vu de mon rang, cette troupe est toujours sous ma responsabilité et avec mon statut de nouveau colonel, je me dois de prouver mon efficacité. Considérez-moi comme une pièce de l’échiquier. Une pièce d’échiquier qui mobilisera la marine, et, si tout va bien, accomplira l’infiltration qui apportera une résolution rapide à cette affaire. Si mes troupes échouent, ce sont les soldats de l’armée de Leidenschaftlich qui les attendront. J’ai du mal à croire que cet incident ne soit que le résultat d’une vengeance du Nord. Il doit y avoir… quelque chose d’autre en coulisses. Il n’y a pas qu’un seul piège. J’ai le sentiment qu’ils… cherchent à remporter une victoire écrasante, qu’ils ont plus qu’un tour dans leur sac et qu’ils ont fait diversion.

Après avoir fait une pause pour avaler sa salive, Gilbert s’enquit de son supérieur hiérarchique.

Major-général, qu’en dites-vous ? J’aimerais que vous me laissiez faire.

Le droit de décider ne lui appartenait pas en effet.

En maintenant sa posture, il insista encore plus avec ses yeux et son approche.

Gilbert le savait.

Depuis son plus jeune âge, il avait toujours compris comment il devait se comporter devant quiconque, chaque fois qu’il était en présence d’autres personnes. S’il commettait une erreur, les réprimandes fusaient. C’était le secret pour triompher afin de vivre comme un Bougainvilliea.

En fonction des attitudes qu’il adoptait, il savait quel pouvait être le résultat de son adversaire. Dans ce monde qu’il comprenait, il existait actuellement pour le bien d’une seule et unique personne qu’il ne savait pas qu’il aimait autrefois.

Eh bien, faites un essai. Démontrez vos capacités en tant que pièce de l’échiquier.

Je vais certainement vous montrer des résultats satisfaisants.

Alors qu’il répondit cela, Gilbert avait déjà une stratégie différente en tête.

* * *

S’il y avait bien un jour de gloire dans la vie de Samuel LaBeouf, c’était aujourd’hui. Il avait été nommé ingénieur en chef de la salle des machines frontale du premier train transcontinental, qui allait bientôt entrer dans l’histoire du pays.

On pouvait se demander combien de baisers de joie il avait apposés sur les parois de la voiture polies d’un beau noir. Il s’en était vanté à sa famille et à ses amis d’innombrables fois et ceux qui étaient au courant de ses efforts l’avaient sincèrement félicité, le regardant partir avec un sourire.

Au départ, Samuel avait prévu de passer son temps à fredonner un air tout en faisant ce voyage digne d’un tour du monde jusqu’au coucher du soleil, dans le but de repasser cette merveilleuse journée dans sa tête en boucle.

Les remplaçants… ne sont toujours pas arrivés ?

Je suis désolé ! je suis désolé ! je suis désolé… !

Il était exactement six heures et quarante-trois minutes dans la soirée. Samuel avait un pistolet pointé sur son cou, par-derrière. Le corps immobile d’un de ses collègues ingénieur et assistant gisait à ses pieds, la tête pendante. Cette personne, qui l’avait salué et qui avait discuté avec lui le jour même, gisait maintenant sans vie.

Le train dont le récit venait à peine de commencer et dont le nom allait être gravé dans l’histoire avait soudainement été détourné et occupé par des criminels.

Pourquoi… Pourquoi en sommes-nous arrivés là ? Qu’est-ce que j’ai fait ?

Lorsqu’ils sont exposés à un destin cruel, les gens avaient généralement des pensées de ce genre. Tout d’abord, ils se lamentaient sur leur sort.

— Qu’est-ce que j’ai fait de mal ? Où ça ?

Ensuite, ils retracèrent dans leur tête le chemin les menant à l’instant où ils furent frappés par le malheur.

Ce fut peu avant le crépuscule et à la fin de la cérémonie que le train conduit par Samuel quitta la gare de Leiden, capitale de Leidenschaftlich.

Ce train transcontinental que l’on surnommait « Femme Fatale » était composé de treize compartiments. Les locomotives 1, 2 et 3, les voitures-lits 1 et 2 avec cabines privées, les voitures-lits 1 et 2, le voitures-voyageurs 1 et 2 pour la position assise, une voiture avec vue panoramique, les voitures-restaurants 1 et 2 et un wagon de marchandises. Pour tirer les dix autres voitures, chacune des trois locomotives avait un mécanicien et un aide-mécanicien. Avec un sifflet à vapeur comme signal, chaque locomotive faisait une traction synchronisée (ou triple traction) pour ajuster l’allure. Ainsi, si un membre du staff venait à manquer, l’opération ne se déroulerait pas comme prévu.

Femme Fatale fut ainsi pris d’assaut moins d’une heure après son départ de Leidenschaftlich par des terroristes bien armés. Ces derniers s’étaient dispersés dans chaque voiture dès le début de l’opération, wagon-marchandises inclus. Les personnes assassinées étaient un agent du train de la voiture-lit 1, un mécanicien de la locomotive 3 et les trois assistants de Samuel au sein de la locomotive 1. Femme Fatale avait besoin de se réapprovisionner en eau à certaines stations, car elle faisait office de carburant.

Actuellement, parallèlement à l’approvisionnement en eau, une demande avait été envoyée à Leidenschaftlich et à la compagnie nationale des Chemins de fer pour remplacer les employés morts des locomotives. Les assaillants semblaient avoir fait d’autres demandes au gouvernement, mais n’en avaient pas informé Samuel, qui n’était qu’un des otages.

Les assaillants avaient un tissu enroulé autour de leurs bras portant l’emblème national d’un certain pays du Nord. Quel était leur objectif ? Voulaient-ils se venger de la guerre ? Avaient-ils des plans encore plus ambitieux ? En tout cas, on pouvait supposer que leur groupe était composé de personnes qui s’étaient comportées avec négligence, car elles n’avaient pas obéi aux ordres. Alors qu’ils ne connaissaient rien au fonctionnement des trains, ils avaient assassiné de précieux employés ce qui entravait la bonne marche de leur plan.

Ne t’en fais pas. Tant que tu écouteras nos instructions, on n’te fera pas de mal. T’as bien de la chance d’être chauffeur. Alors te fais pas dessus sinon ça va schlinguer. La pièce est petite en plus.

Dit l’un des terroristes, comme pour calmer Samuel qui faisait état physiquement de son effroi.

Hum, lorsque quelqu’un viendra pour m’assister, jusqu’où devrai-je vous conduire ?

Jusqu’à l’arrêt final comme prévu et sans changer de direction. Tout ce qu’on te demande c’est de ne pas nous la faire à l’envers. On veut arriver là-bas en vie.

Il pensait que sa question aurait été mal reçue, mais il fut surpris d’avoir une réponse non violente de la part de l’assaillant.

Ils sont peut-être des êtres humains comme moi, mais je ne peux pas me résoudre à les considérer comme tels.

Du point de vue de Samuel, ils semblaient être des gens d’un monde complètement différent.

* * *

Il n’y avait évidemment pas seulement Samuel LaBeouf qui se demandait pourquoi les choses avaient pris cette tournure. Contrairement à lui dont la vie était dans une certaine mesure assurée parce qu’il occupait un poste important, les personnes concernées étaient les passagers effrayés, qui n’avaient aucune idée du moment où ils risquaient d’être tués s’ils énervaient les terroristes.

Plusieurs heures s’étaient écoulées depuis le début de l’incident à l’arrivée au point d’approvisionnement en eau. Le nombre de criminels n’était pas trop important, mais quelques-uns d’entre eux surveillaient les otages en se relayant les uns les autres.

L’information selon laquelle un mécanicien et quelques assistants avaient opposé une résistance et avaient été massacrés dans la salle des machines à l’avant du train, et que du personnel de remplacement était attendu, ne leur était pas parvenue. La tension due à la peur persista pendant un long moment, et l’état mental des passagers était proche de sa limite.

Aah, pourquoi a-t-il fallu que cela m’arrive !

Au fond de la voiture-restaurant n°2, l’un des passagers, un homme d’un certain âge, se lamentait devant son repas qui avait refroidi devant lui.

Vu l’heure, je suis censé voir ma nièce en robe de mariée et se lier avec son mari dans notre ville natale.

Il ne s’attendait pas à ce que le voyage en train, qui avait commencé dans une ambiance festive, se transforme en cauchemar. Les grands incidents qu’il lisait dans les journaux ou les rumeurs de faits divers qui lui parvenaient se déroulaient toujours très loin de lui. Il n’avait donc jamais imaginé qu’une catastrophe d’une telle ampleur puisse le toucher. Il n’avait pas dirigé ses mots vers quelqu’un en particulier, mais la femme assise près de lui y a réagi.

Qu’est-ce qu’un train transcontinental est censé être… ?

En plein milieu de cette tension, une belle et douce voix résonna dans ses oreilles.

Comme son nom l’indique, il s’agit d’un grand moyen de locomotion établissant des connexions par le biais d’un chemin de fer qui s’étend d’un bout à l’autre du continent, transportant aussi bien des marchandises que des personnes. Il permet l’accessibilité à des zones lointaines, ce qui arrange pléthore de personnes. Cependant, les trains ne peuvent circuler sans réseau ferré alors pour construire des chemins de fer, il faut tout raser. Tout y passe, même des parterres de fleurs ou des maisons. Tout ce qui se trouve sur la route de la construction est froidement éliminé.

Cette voix appartenait à une femme excentrique et séduisante qui s’était contentée de regarder silencieusement jusqu’à maintenant le changement de couleur dans le ciel, sans pousser un seul cri depuis que la voiture avait été prise d’assaut par les terroristes. Comme si une machine ou quelque chose de ce genre était incrustée dans sa tête, elle parlait avec aisance.

Pour construire ce chemin de fer, il semblerait qu’un château du Nord, un monument culturel, ait été…démoli. De plus, j’ai entendu dire que la main d’œuvre du Nord qui, rappelons-le, est le camp perdant de la guerre avait profondément souffert à cause du surmenage résultant de leur faible salaire. De plus, du matériel explosif est utilisé créer les tunnels sous les montagnes. Un nombre élevé d’accidents n’aurait été guère étonnant.

Les yeux bleus de cette jeune femme scrutaient l’emblème du pays nordique enroulé autour du bras d’un des assaillants qui tenait une arme.

Ce n’est pas possible. Vous ne devriez pas proférer des mensonges pareils. Une telle chose n’était pas dans les journaux, n’est-ce pas ?

Rares étaient les personnes qui ne se sentaient pas mal à l’aise en entendant que l’État ou la nation à laquelle elles appartenaient était du mauvais côté. Alors que le monsieur était quelque peu indigné, la jeune femme, Violet Evergarden, continua son élocution.

Ce n’est pas une histoire très connue. Je l’ai entendue par hasard, lors d’un voyage. Il faut dire que je suis allée partout. En tout cas, on pouvait présumer que c’était le motif de leur action. Mais ce ne peut pas être le cas, car tous nous tuer aurait dû être leur objectif principal. Ils ont certes assassiné des employés de la compagnie de train, mais ils semblent considérer la vie des passagers, comme très importante. Ils pourraient être motivés par un objectif plus ambitieux…

Le vieil homme fut ébranlé par le fait qu’une fille à l’apparence si frêle ait prononcé le mot « assassiné ».

Par cela, vous voulez dire que… ?

Qui sait ? Puisqu’ils nous ont pris en otage… il est raisonnable de penser qu’ils aient effectué des demandes au gouvernement.

Le gentilhomme n’était pas convaincu par le discours de Violet, mais il était impressionné par son intelligence.

–Que…fait exactement cette jeune fille dans la vie ?

C’était une jeune femme mystérieuse qui avait l’apparence d’une de ces poupées que les petits enfants portent avec eux. La peur qui l’enveloppait s’atténua un tant soit peu grâce à sa curiosité à son égard.

Pourtant, cela n’a rien à voir avec nous. Je voulais simplement… assister au mariage de ma nièce.

Oui. Il faut partir du principe que…

Violet poursuivit de plus belle :

Nos circonstances ne comptent pas non plus pour eux. Chaque camp persiste dans ses convictions, c’est l’objectif des guerres. Cet endroit peut déjà être considéré comme un champ de bataille.

Le monde couvert par le crépuscule laissa place à la nuit. La douce lueur des lanternes suspendues dans la voiture produisait une lumière douce qui contrastait significativement avec la tension ambiante. Ces yeux bleus fixaient l’approvisionnement en eau à l’extérieur, les lampes de la voiture et les terroristes qui hurlaient sur quelques otages.

Il est bientôt temps d’agir.

C’est alors que le gentilhomme remarqua la chose. Elle ne se contentait pas d’observer la situation en silence. Elle cherchait une sorte d’ouverture.

Hé, petite, je ne sais pas ce que tu as l’intention de faire, mais il vaut mieux arrêter…

Il fait complètement noir dehors. Cette fenêtre est plutôt grande, n’est-ce pas ?

Le vieil homme fut confus face à cette phrase qui n’avait pas de sens.

Monsieur, si je peux me permettre, fumez-vous ?

O-Oui.

Avez-vous des allumettes ?

Dans ma poche droite…

Puis-je vous en emprunter une ?

Ne disant rien d’autre que cela, Violet se leva rapidement. Elle leva lentement une main vers le faisceau de tresses de ses cheveux. Le gentilhomme pouvait voir que sa main tenait une épaisse tige d’argent finement aiguisée. C’était l’une de ses armes secrètes, qui pouvait être utilisée en combat rapproché ou à distance, mais du point de vue d’une personne ordinaire elle ne pouvait être perçue que comme une grande aiguille. Malgré tout, l’un des criminels menaça Violet avec une arme, car elle avait commencé à agir bizarrement.

Hé, qu’est-ce que tu fais ?! Mains en l’air !

Compris.

Elle leva les bras, comme on lui a dit. L’instant suivant, les lanternes de la voiture éclatèrent brusquement et les lumières s’éteignirent. Les cris des passagers se mêlèrent aux voix furieuses des terroristes. Mais il n’y eut pas de coups de feu. Seulement le bruit de coups et de verre brisé se faisait entendre.

Puis, plus rien. Les passagers furent déconcertés par le silence qui régnait dans cette obscurité totale. Qu’était-il arrivé aux assaillants ? Qu’avait-on fait de la jeune fille qui s’était soudainement levée ? Que diable se passait-il dans cette voiture à ce moment-là ? Alors que l’esprit des passagers était rempli de questions, le feu se ralluma dans l’une des lanternes brisées. Une belle femme tenant une allumette émergea de l’obscurité comme un esprit. Avec son index contre ses lèvres, elle murmura un « chut ». La femme se démarquait nettement des couleurs de la nuit. Tous les passagers qui pouvaient l’apercevoir se turent automatiquement.

Enchantée de faire votre connaissance, je suis une humble passagère en voyage. Je suis consciente que vous devez être épuisés, mais veuillez patienter encore un peu. Je vais maintenant prendre le contrôle des gardes dehors et du wagon de marchandises.

Sans en dire plus, Violet souffla le feu de l’allumette d’un souffle. Le gentilhomme s’était alors rendu compte qu’une allumette avait été prise dans la poche de sa poitrine sans qu’il s’en aperçoive. Dans ce monde d’obscurité, seuls les bruits avaient commencé à résonner, notamment lorsque l’une des fenêtres du côté gauche fut ouverte et que quelqu’un se rendit à l’extérieur.  Le bruit du gravier sur lequel quelqu’un effectuait une course, se fit entendre.

Après un court instant, on entendit le gémissement d’un homme. Quelques secondes plus tard, on entendait le bruissement d’un objet lourd que l’on traînait. Les passagers frissonnèrent, étonnés par la tournure inattendue des événements. Ils entendirent un bruit de pas sur le gravier, une fois de plus, se rapprochant agilement de la voiture. Les bruits de pas de la personne invisible alimentèrent le sentiment de malaise de ceux qui étaient plongés dans la peur depuis longtemps.

Excusez-moi.

Hih !

Le gentilhomme se racla la gorge sèchement lorsque l’on frappa soudainement la fenêtre de l’extérieur. C’était Violet qui se tenait dehors que l’on apercevait avec le clair de lune dans son dos.

Assurez-vous de rester calme. Je vous prie de fuir avant que les assaillants des autres voitures ne viennent attaquer celle-ci.

Des vêtements de poupée, des traits de poupée. Tout indice de son humanité était faible la concernant.

Aidez les femmes, les personnes âgées et les enfants. Veuillez suivre la voie ferrée et marcher dans la direction opposée au trajet. Cela prendra probablement du temps, mais si vous allez à la gare la plus proche, la police militaire vous accordera certainement sa protection. Ce n’est pas une bonne idée de rester dans cette gare. Des personnes qui semblaient être des employés de la station conversaient amicalement avec les assaillants alors il doit y avoir des complices.

On pouvait le dire sans regarder. Elle n’était pas une personne ordinaire. Les gens commencèrent à sortir par la fenêtre et à descendre en masse.

Et vous ? Vous ne venez pas ?

Une fois qu’il posa le pied sur le sol, le gentilhomme demanda cela à cette énigmatique femme qui le rendait curieux, mais elle secoua la tête.

J’ai quelque chose à faire. Un tel incident est une première depuis la fin de la guerre. Notre armée va très probablement intervenir, car il est très difficile d’arrêter un train. C’est une prison pour les passagers et un fort imprenable pour les assaillants. S’il n’y a plus d’otages alors l’armée n’hésitera pas à attaquer. Une bataille commencera dans les arrêts prochains alors je dois faire mon possible.

Cela ne vous concerne en rien, non ? Fuyons tous ensemble.

Non…

Ses yeux bleus fixaient le vieil homme en face, mais sa conscience était ailleurs.

C’est mon devoir. C’est… C’est… pour le bien d’une personne dont je souhaite devenir la force. Même si cela doit être indirect.

Elle regardait Gilbert Bougainvillea, qui, quelque part au loin, consacrait sûrement ses efforts au sauvetage des citoyens.

Heureusement, je suis en avance sur ma destination. J’ai utilisé ce train par coïncidence, car il m’amenait à destination, mais il existe d’autres moyens de transport. Je peux encore contacter mon entreprise pour que l’on envoie un remplaçant. C’est un incident assez important, alors le président a peut-être déjà anticipé la situation. C’est mon seul sujet d’inquiétude à vrai dire.

Vous devriez vous préoccuper de votre survie plutôt que de ce genre de choses. C’est dangereux… N’êtes-vous pas une simple jeune fille ?

Ne vous inquiétez pas. La nuit est bien noire. Je pense donc pouvoir prendre le contrôle de la situation en minimisant les dégâts.

Le contrôle de…

Ce n’était pas « opposer une résistance » ou une quelconque petite action. Elle avait l’intention de forcer le combat afin de balayer toute la menace. Cette belle femme ne semblait pas du tout s’inquiéter d’être en infériorité numérique.

–J’ai l’impression que ce n’est pas de la simple confiance…

Toutes ses actions apparurent pour lui comme un mécanisme automatique.

Vous n’avez pas peur ?

Pas le moins du monde.

Elle avait un calme impérial malgré la situation de crise. Le train se mit rapidement en marche. Il la remercia d’avoir sauvé tout le monde alors qu’elle remontait dans le véhicule et lui posa une question avant de partir :

Quel est votre nom ?

L’expression de Violet devint encore plus séduisante qu’auparavant tandis qu’elle plaça un index contre ses lèvres sans rien dire.

Comme le train partit, il ne put entendre son nom.

* * *

Retournons en arrière à 18h27. Gilbert envoya une convocation d’urgence à ses troupes, les rassemblant près de la piste de décollage des Nighthawks. Tous attendaient que la transmission du contenu de l’opération, l’armement des troupes et la vérification des Nighthawk soient finalisés. Il avait décidé de mettre à profit ce temps pour contacter les deux hommes avec lesquels il devait s’entretenir.

Nous sommes en communication avec la Marine de Leidenschaftlich.

Désolé pour ça. Je compte sur vous pour tenir les autres à l’écart.

La personne en charge de la communication, à qui Gilbert avait demandé au préalable de passer un appel à son frère, lui concéda la place. La voix de son frère se fit ainsi entendre.

Gil, tu as une faveur à demander à ton cher frère aîné ?

C’était le ton de quelqu’un qui feignait le mécontentement, pensa Gilbert. Bien que Dietfried fasse des demandes à Gilbert, le contraire ne se produisait généralement pas. Chaque fois qu’il demandait quelque chose, Gilbert était agacé, mais ne refusait jamais. Il se sentait probablement redevable pour le traitement qu’il lui avait réservé jusqu’à présent.

Oui, mon frère. C’est bien le cas.

Dietfried n’était nullement mécontent que son frère cadet se repose sur lui. Gilbert avait pu déclarer lors de la réunion que la Marine pouvait être mobilisée puisqu’il avait un bon contact. Ainsi, les informations sur la situation avaient été transmises au QG de la Marine et ainsi, une demande d’envoi d’un cuirassé pour couper la venue de renforts depuis la capitale portuaire du Nord fut officiellement émise.

Même si les deux institutions étaient des organisations nationales, l’Armée de terre et la Marine de Leidenschaftlich étaient des entités distinctes qui se partageaient le budget militaire. Un médiateur était nécessaire pour que l’une obtienne la coopération de l’autre, auquel cas, il était assez difficile de le faire quand il n’y avait pas de réel bénéfice pour l’une ou l’autre institution.

Au fil du temps, le fait que Dietfried ait trahi les Bougainvilliea, une famille qui s’engageait dans l’Armée de terre depuis des générations, pour s’engager dans la Marine était devenu un atout pour les deux frères. Tout comme Gilbert, Dietfried avait réussi à être assez haut placé dans la hiérarchie pour avoir des hommes à sa disposition.

Je te rembourserai cette dette un jour.

Apporte des boissons à mon prochain anniversaire pour le fêter avec moi. Ce sera amplement suffisant.

Je peux le faire naturellement. Nul besoin que cela fasse office de remboursement.

Gilbert répondit cela et s’apprêtait à raccrocher, mais le bout de ses doigts, qui s’étaient tendus vers l’outil de communication, s’arrêta aux prochains mots de Dietfried.

C’est vrai… juste une chose. La raison pour laquelle tu es si désespéré est à cause de cette chose n’est-ce pas ? J’ai vu le journal et j’y ai vu cette chose dedans, sans le vouloir. Est-ce que cette chose est venue te voir et sait que tu as survécu ? J’étais curieux de savoir ce qui s’est passé après. As-tu fait tienne cette chose ?

Hein ?

Il savait depuis l’enfance que son frère était un farceur alors Gilbert pensa que c’était juste une plaisanterie de mauvais goût.

Ce n’est pas le moment de faire des mauvaises blagues dans une telle situation mon frère. Violet n’est pas au courant de ma survie.

Il y eut un silence.

Mon frère ?

Ce n’était pas une blague. Je vois… J’étais sûr que cette chose était partie à ta recherche, mais j’avais tort, hein ? Cette chose a préféré faire profil bas. Comme tu es si gentil, tu es resté à l’écart afin de lui offrir une vie paisible. Tu dois t’inquiéter que cette chose puisse découvrir ta survie à cause de ce plan de sauvetage d’urgence n’ai-je pas raison ? Ne t’en fais pas, cette chose est déjà au courant.

Que… Qu’est-ce que tu dis… ?

Une sueur froide coula lentement dans son dos.

C’est… impossible qu’elle le soit…

Sa voix était hésitante.

Pourtant cela a l’air d’être le cas. La dernière fois que je t’ai vu durant les Lettres volantes, je t’ai dit avoir rencontré cette chose n’est-ce pas ? À l’époque, cette chose m’avait demandé si tu étais en vie. J’ai donné une réponse qui ni n’infirmait ni ne confirmait la chose. Cette chose a conclu d’elle-même que tu étais en vie.

Même si Gilbert ne pouvait pas revenir en arrière, il voulait dire « attends ». Sa vision se troubla, étourdie au point d’avoir la nausée. Avec une main sur ses lèvres, il se tut. Violet… est au courant ?

Hé, Gil. Ça va ?

Il avait été sermonné par Hodgins concernant ô combien son mensonge l’avait affligée et attristée. Si elle avait appris qu’il était vivant, alors Gilbert n’était devenu rien d’autre qu’un maître qui avait rejeté Violet sans même louer ses exploits militaires. Si elle venait à le détester, il ne pourrait rien y faire.

Pourquoi… as-tu fait quelque chose de si déplacé… ?!

Une colère intense engloutit le cœur de Gilbert. Il était sur le point de se défouler, mais le seul exutoire de sa rage était son frère.

Comme si je m’en souciais. Ne me mêle pas à ta puérile histoire d’amour. Je n’ai rien dit, mais elle en était convaincue. C’est tout.

Tu te mets hors de cause, comme toujours… Comment suis-je censé lui faire face maintenant… ?!

Sommes-nous d’accord que les personnes les plus proches sont celles liées par le sang ? On aurait dit qu’elle a toujours eu foi en ta survie. Quand ses doutes furent confirmés, comment dire ? Elle avait les yeux qui brillaient telle une écervelée. Si elle n’est pas allée te voir, je ne vois qu’une seule chose. En tant qu’outil, elle attend que son maître vienne la chercher. Elle anticipe le moment où on aura besoin d’elle. Voilà à quel point elle est idiote. Saisis l’occasion pour aller la chercher une bonne fois pour toutes.

Arrête !!

Tu t’es préparé au pire en faisant ce plan de sauvetage d’urgence, non ? Sois reconnaissant envers ton frère ainé pour ce coup de pouce. Au revoir, Gil. La mer m’appelle. La prochaine fois que nous nous reverrons, ce sera lors de mon anniversaire… Porte-toi bien d’ici là.

Attends !

La ligne se coupa d’un côté. Gilbert resta muet et bien perplexe. Peut-être que l’on attendait la fin de la conversation, car on frappa à la porte depuis l’extérieur de la salle de communication. Un de ses hommes lui remit un bagage avec les armes et les munitions qu’il avait spécifiées. Celui qui avait apporté le bagage s’inquiéta de la détresse de Gilbert, prenant cela comme une expression due à des négociations intenses avec la Marine, mais en réalité, ce ne fut pas le cas. Pendant qu’il vérifiait le contenu, Gilbert tenait fermement l’arme. Devait-il se tirer une balle dans la tête ? Ses inquiétudes concernant tout ce qu’il devait supporter disparaîtraient certainement, mais il ne pouvait pas le faire. Il contacta ensuit le service postal CH de Leidenschaftlich. Une fille dont la jeunesse se ressentait à la voix répondit au téléphone, mais l’informa qu’ils étaient fermés temporairement pour la journée. Ils étaient déjà au courant de l’incident du détournement de train.

Veuillez annoncer que j’ai appelé pour proposer mon aide dans l’affaire du détournement du train. L’un de vos membres s’y trouve n’est-ce pas ? Dites à votre patron que je suis de l’armée de Leidenschaftlich, il devrait me reconnaître.

Il pouvait entendre faiblement un état d’agitation de l’autre côté de la ligne. C’était un cri de son vieil ami, suivi par le bruit sourd d’une chaise qui tomba à la renverse et du bruissement des feuilles de papier qui tombaient. Peu après, il put enfin distinguer des bruits de respiration.

Gilbert ! Où…Où étais-tu ? Que faisais-tu depuis le temps ?!

Une voix manifestement emplie de colère résonna dans ses oreilles de manière stridente. Néanmoins, Gilbert finit par ressentir de la joie. Cela faisait vraiment longtemps qu’il n’avait pas parlé à Claudia Hodgins.

Le secrétaire m’a dit il y a peu que tu avais contacté l’armée. Je m’excuse, j’étais en réunion.

Ne va pas faire des réunions alors qu’une de mes employés a de gros problèmes ! Tu es au courant, hein ? L’armée a un plan d’attaque n’est-ce pas ? Je parle bien entendu du train transcontinental détourné ! Elle est… Elle est…

Je suis au courant. Violet est à bord. Il y avait une photo d’elle dans le journal.

Hodgins fut abasourdi par sa réponse désinvolte et répliqua immédiatement,

Et c’est tout ce que ça te fait ?

Perdant encore plus son calme, il commença à faire des affirmations étranges.

Déjà que moi ça me met dans cet état… Je ne comprends pas comment tu es si calme !

— Il est sentimental pour un homme si turbulent.

Gilbert finit par rire. Il se sentit gêné de voir à quel point il avait envie de cet ami bruyant, alors qu’ils ne s’étaient pas parlé depuis des lustres. Ne laissant pas voir qu’il était aussi anxieux que ce dernier, il répondit avec des mots qui n’étaient pas seulement de la vanité, mais qui décrivaient réellement son état d’esprit actuel.

Comme si je pouvais me permettre de perdre la tête. En temps de crise, il est de mon devoir de trouver des moyens de protéger les citoyens.

Est-ce que la Petite Violet… compte comme l’un de ces citoyens ?

Évidemment.

Es-tu fâché… que j’aie laissé la petite Violet se mettre en danger alors que tu me l’avais confiée ?

Gilbert était sincèrement surpris de se voir poser une question complètement différente.

Qu’est-ce que tu dis ? Je te suis reconnaissant. Je ne l’aurais pas confiée… à quelqu’un d’autre. Tu es un homme qui a le sens des responsabilités, alors je te l’ai confiée. Mais cela n’a rien à voir avec ce qui se passe maintenant.

Je ne pense pas.

Gilbert comprit ce dont Hodgins parlait comme s’il avait saisi la question à bras le corps. Même s’il n’était pas en faute, se blâmer tout en se demandant ce qu’il aurait pu faire d’autre était un trait de la personnalité de son meilleur ami.

Hodgins.

Quoi ?

Tu es mon plus cher ami.

C’est quoi ça, tout d’un coup… ?

Hodgins. Un ami comme toi… ne se présentera plus jamais devant moi. Tu es si important, même si tu ne veux pas le reconnaître. Je suis pareil pour toi, n’est-ce pas ? C’est pour ça que… J’ai cru que tu ne me comprenais pas, me demandant pourquoi j’avais lâché Violet et  en m’ordonnant de ne rappeler que si je changeais d’avis.

En effet, oui.

Je… j’ai vivement ressenti que j’étais la dernière personne qu’elle devait voir, alors je l’ai laissée partir. Lorsque nous nous sommes rencontrés, j’avais cru qu’il était préférable que je veille, de loin. Mais je me mentais à moi-même et finalement je ne l’ai guère mieux traité qu’un outil.

Mais ça… dans ces circonstances, il n’y avait rien à faire. J’aurais fait la même chose.

Vraiment ? Je… ne pense pas, non. Comment est-elle maintenant, la Violet que tu as guidée et élevée ? Si je… n’avais pas fait le mauvais choix… si je ne l’avais pas élevée à mes côtés, elle aurait grandi sans connaître le champ de bataille. La Violet actuelle est comme elle était censée être à l’origine. C’est pourquoi il est impossible de te blâmer pour ce qui arrive. Tu n’es pas responsable de cet incident.

Il en est de même pour toi. Qu’elle se soit battue à tes côtés pendant la guerre, soit. Elle a été le cauchemar de bien des soldats. Mais tu as fait de ton mieux. Le problème est ce que tu as fait après, soit en ce moment. Tu n’as absolument pas tenu compte des sentiments de la petite Violet, tu n’as pensé qu’à toi, et c’est ça qui m’a vraiment mis en colère !  Mais, écoute, je te propose de faire temporairement une trêve pour l’instant, la priorité est d’abord de lui venir en aide. Nous sommes les deux personnes sur qui elle compte.

Son ton était déterminé et semblait transmettre, même à travers l’équipement de communication, la chaleur de ses yeux bleu grisâtre.

Je suis d’accord… Néanmoins, pour son bien, J’ai tout fait pour la tenir éloignée de l’armée. Je me suis fait une place au quartier général, j’ai fait en sorte que tout se déroule à la perfection… Alors pour protéger Violet, je ne pinaillerai pas sur les méthodes.

Donc tu vas te la jouer mélodramatique, l’air de dire « Tout ce qui est mauvais pour elle sera exclu… même si c’est moi », en la protégeant dans l’ombre ?

En effet.

À priori, Hodgins ne semblait pas non plus connaître la vérité. Cela signifiait que Violet avait vraiment conclu d’elle-même que Gilbert avait survécu, et, comme Dietfried l’avait dit, qu’elle attendait simplement que son maître vienne la chercher.

Mais je me demande si… Bientôt, le mensonge que je lui ai collé risque d’être démoli. Il y a de fortes chances que j’entre en contact avec Violet.

Après un bref silence, la demande de répétition de Hodgins sous la forme d’un « Haah !? » résonna fortement. Il avait finalement remarqué les bruits de turbine provenant de derrière Gilbert.

Attends un peu, alors où… es-tu maintenant ?

Près d’une piste réservée aux Nighthawks de mes troupes. Je suis en train de coordonner le départ.

Gilbert chargea son arme tout en parlant. Il avait également enlevé son uniforme militaire et fini d’enfiler sa tenue de combat. Cette dernière lui semblait plus familière sur son corps.

Attends, tu parles bien de la « Force Offensive Spéciale de l’armée de Leidenschaftlich » !? T-tu… commandes l’assaut ?

C’est exact.

Tu… as dit que tu ne la verrais pas ! Tout ira bien ?!

Le silence. Gilbert pensait que la conversation s’éterniserait s’il révélait que Violet était apparemment au courant de sa survie.

Pourquoi es-tu silencieux ? Qu’est-ce qu’il se passe ?

Quand tout sera fini, je te ferai un rapport aussi. C’est dans le but de sauver Violet. Il n’y a plus d’autre option. Si nous finissons par nous rencontrer, je lui demanderai pardon…

Leur temps de parole se réduisait.

Alors prépare-toi au pire, car tu l’auras bien cherché !

Hodgins affirma quelque chose de similaire à ce que Dietfried avait dit.

Alors, que feras-tu une fois que les Nighthawks auront pris leur envol ? Ne me dis pas que vous allez sauter dans le train pendant qu’il est en marche ?

C’est bien le cas.

Tu es vraiment… fou parfois ! Un chevalier en armure brillante devenu fou d’amour ! Haha ! Tu as mes éloges à cet égard.

On pouvait entendre le rire de Hodgins. Comme Gilbert n’avait pas pu contre-argumenter, son visage rougit.

Au fait, eh, tu es… toujours lieutenant-colonel ? Tu n’avais pas d’autres promotions en perspective ?

Tu en poses des questions… Ils ont attendu que mes blessures guérissent. Je suis devenu colonel il y a quelques jours.

De son bras gauche prothétique, Gilbert caressa le cache-œil de sa paume, qui dissimulait l’œil droit qu’il avait perdu. Même d’un seul œil, son maniement des armes ne s’était pas amoindri.

Et c’est toi qui es en charge de l’opération !? C’est encore plus insensé ! Les hauts responsables ont fait une grande concession !

Plus de moqueries, Hodgins. Je te l’ai dit, n’est-ce pas ? Si c’est pour le bien de Violet, je ne pinaillerai pas sur les moyens. Bien sûr, notre objectif est de régler la situation actuelle, mais il n’y a aucun moyen d’y parvenir sans que je ne commande sur place. Plus tôt, tu as aussi laissé entendre que tu ferais de ton mieux… Alors si ce n’était pas des paroles en l’air, je voudrais avoir un avant-goût des compétences en matière d’acquisition d’informations. Y a-t-il des choses que les militaires ne savent pas ?

Très bien. Mais laisse-moi juste dire une chose.

Qu’est-ce que c’est… ?

Tu… te transformes en un énorme idiot quand il s’agit de la Petite Violet, hein. J’aime… beaucoup ça.

Tais-toi.

Pourquoi tout ça ? Entre amis, même s’ils avaient passé un long moment sans se parler, il suffisait d’une conversation pour qu’ils se tendent la main mutuellement laissant mentir le temps qui s’était écoulé jusque-là. Les deux oublièrent donc cette époque où ils avaient coupé les ponts.

Je vais dire ce que nous savons ici, alors fais-en de même. Faisons un échange d’informations. Tout d’abord, les pirates ont sur eux l’emblème national d’un certain pays du nord, le Rohand. Des vestiges d’un parti extrémiste qui avait déjà causé des problèmes en attaquant un site de construction lors de la fabrication de la voie ferrée du train transcontinental font partie de ce groupe. Mais leur nombre n’était pas assez important de base pour causer un si gros incident… Ainsi, ils ont certainement été aidés.

Gilbert prit des notes à l’aide de son carnet. Il parla également de ce qu’il avait entendu pendant la réunion, ainsi que la demande de remise d’un délinquant politique détenu dans la prison d’Altaïr en plus de sa migration vers un autre continent en échange des passagers. Il était conscient que ces négociations étaient grossières.

Nos informations ont l’air de pas mal se valoir. Le train fait actuellement un arrêt à un point d’approvisionnement en eau. Il a été confirmé par les informations complémentaires des Chemins de fer nationaux Leidenschaftlich qu’un mécanicien et quelques assistants-mécaniciens du train ont été tués, et que les criminels ont cherché du personnel de remplacement. C’est bien que nous ayons pu gagner du temps, mais tu as dit qu’ils devaient être peu nombreux puisqu’ils agissent de manière aussi imprudente malgré un plan, non ? Leur mode opératoire ne correspond pas à celui d’une organisation bien construite, mais plus à des renégats attirés par l’appât du gain. Ces gens n’ont donc plus l’intention de reculer.

Dans tous les cas, ils veulent porter un coup au Sud et émigrer dans un pays qui n’est pas le leur. Tu savais que le territoire de Rohand était sur la voie du chemin de fer ? Par exemple, si c’était nous qui avions perdu la guerre, et que des bourgades de Leidenschaftlich avaient été rasé pour construire une ligne de chemin de fer, qu’en penserais-tu ?

J’évacuerais provisoirement, stockerais des armes, rassemblerais des hommes et reviendrais me venger.

Si c’était moi, je trouverais mon bonheur dans un autre pays, mais ton point de vue est tout l’inverse. Sûrement que nos ennemis sont passés par ces questionnements eux aussi. Et ils ont certainement un camarade de confiance dans la prison d’Altaïr. Si j’étais le criminel de cet incident, et que tu étais à Altaïr, j’aurais peut-être fait la même chose qu’eux.

–Si c’était toi, tu prendrais sûrement une décision plus intelligente.

Gilbert l’avait pensé, sans l’exprimer.

Peut-être en ayant pu réaliser quelque chose grâce au silence de Gilbert, Hodgins poursuivit. 

Les ennemis sont suffisamment lucides pour ne pas tuer les passagers, mais ils céderont bientôt au désespoir. Si cela arrive, il y a de fortes chances que le nombre de morts augmente. Tu as dit que nos informations semblaient à jour, mais je n’ai pas tout dit. La zone du Nord est assez réglementée concernant la militarisation et l’armement. Si les terroristes ont réussi à obtenir des armes, il est fort possible qu’ils les aient importées d’un autre continent. L’existence de groupes effectuant d’obscurs échanges commerciaux avec d’autres pays et continents dans le but d’obtenir des armes, sans pouvoir vraiment les identifier, a été confirmée. Pourtant, il ne semble pas que ces marchands d’armes et ces groupes acheteurs entretiennent des relations privilégiées. S’ils les payent au prix fort, cela ferait d’eux de piètres commerçants. À moins que… 

Même Leidenschaftlich a des problèmes dans le commerce extérieur avec les autres continents. Ils se méfient de nos ressources naturelles et ne s’arrêtent pas seulement à l’échange de marchandises, mais essaient aussi d’acheter des terres ici. C’est, aah… comme tu as l’air de le dire, oui.

Oui, comme un avertissement concernant le Sud et le Nord. Tu saisis ? Il est nécessaire de comprendre le contexte de l’incident qui se produit en ce moment. À première vue, cela ressemble à un conflit entre Leidenschaftlich, du Sud, et un pays du Nord, Rohand. Mais en réalité, il y a une entité de plus. Elle ne fait que regarder, mais elle existe. En tant que troisième influence, elle veut savoir à quel point Leidenschaftlich peut gérer une situation comme celle-ci. En plus d’être du côté de ceux qui ont gagné la guerre, nous sommes aussi la plus grande nation militaire.

Plans de migration, autre continent, nouveaux armements…

Bien que de façon désordonnée, un résumé de l’incident se déroulait dans le cerveau de Gilbert. Un fil se dessinait dans son esprit, et les résultats des informations accumulées apparurent. Premièrement, les terroristes avaient exigé qu’une fois le train transcontinental arrivé à sa dernière station, dans la ville portuaire, eux et le prisonnier politique du Nord soient autorisés à migrer vers un autre continent. Ensuite qu’eux, ces représentants d’une nation vaincue, avaient pu exécuter ce détournement grâce au soutien de l’autre continent.

Ceux qui avaient une bonne intuition pouvaient le dire : la situation actuelle avait été induite parce que le déclencheur d’une prochaine guerre était sur le point d’éclater. Juste au moment où chacun pensait que les horreurs de la guerre s’étaient calmées sur le continent, d’autres continents essayaient maintenant de rajouter leur grain de sel. Comme la supposition de Gilbert finit par faire mouche, sa tête s’alourdit.

Notre victoire doit être écrasante.

Leidenschaftlich enverra-t-elle d’autres troupes que les vôtres ?

Les ordres ont été donnés. Ils vont cibler le point d’approvisionnement en eau, attaquer, aider les passagers à s’échapper et engager le combat. Ce sera une embuscade de la garnison de l’armée du Nord. Si, par hasard, ils s’efforcent toujours de migrer vers un autre pays, ceux qu’ils devront affronter ensuite seront la marine. Mon frère est aussi en mouvement. Mais nous ne pouvons pas les laisser atteindre la mer. Pour cela, j’ai une faveur à te demander.

Laquelle ? Tu peux tout me dire.

Achète le terrain d’une station de point d’eau où le train est censé passer.

Hah ?

Les trains nécessitent généralement un approvisionnement en eau. C’est un ratio d’un arrêt par heure. Une fois l’eau réapprovisionnée, nous perdrons à nouveau une opportunité de sauvetage. Cependant, il est prévisible qu’ils utiliseront des otages comme bouclier et que les troupes du Nord envoyées devront leur permettre de passer. Je veux un endroit où ils s’arrêteront définitivement. Et ensuite, je veux que le chemin de fer soit détruit pour qu’ils n’aient plus la possibilité d’avancer… C’est pourquoi, achète ce terrain et détruis le tronçon de correspondance !

« Achète », tu dis ça comme si c’était une mince affaire…

Tu ne peux pas ?

Cesse tes bêtises. Ce n’est pas une question de pouvoir ou de ne pas pouvoir. Je vais le faire. Mon employée est déjà sur le coup !

Je m’attendais à cette réponse de ta part ! Les terrains des points de passage sont divisés en deux types : ceux qui appartiennent à la compagnie nationale de Leidenschaftlich et ceux qui ont été loués aux propriétaires d’origine. En regardant la carte, j’ai pu réduire à quelques arrêts les endroits où nous pourrions mener une bataille d’embuscade, mais dans lesquels cela n’affecterait guère d’autres territoires et pas trop à proximité du point d’approvisionnement en eau. Et parmi les zones remplissant ces critères, seulement un endroit est une propriété privée. Je voudrais que tu l’achètes avec ton talent pour les affaires. Dès maintenant, le plus tôt possible.

Gilbert lui-même avait conscience qu’il disait quelque chose de déraisonnable.

Tu… Gilbert, tu…

Cependant, il était certain que s’il s’agissait de son meilleur ami, ce dernier y parviendrait.

Attends, attends, attends, attends. Pourquoi as-tu réduit ce nombre ?

À vrai dire, le major-général n’approuvait pas cette stratégie.

Eh bien, il n’y a aucune chance que quelqu’un acquiesce immédiatement quand on lui dit « achetons un terrain, détruisons-le et nous botterons ainsi les fesses de nos ennemis !! », n’est-ce pas ?

Il me semble que j’aurais pu le convaincre si j’avais eu plus de temps, mais malheureusement je suis sur le point de prendre l’avion. J’ai décidé dès maintenant d’en faire non pas une stratégie militaire, mais une stratégie personnelle. L’argent viendra de moi. Les endroits en possession de la compagnie nationale de Leidenschaftlich ne peuvent pas être négociés, à l’inverse d’une propriété privée. Achète donc ce terrain sous ton nom, ainsi ce que tu en feras ne regardera que toi.

Quand bien même, ce serait mauvais de tout détruire, non ?! C’est loué par les chemins de fer nationaux, n’est-ce pas ? ! Même si elle n’a de privée que le nom, elle est utilisée pour les transports publics. Je ne peux pas simplement aller endommager la propriété.

C’est là que ton aide entre en jeu. Ta véritable mission sera de faire pression sur l’actuel responsable de la compagnie nationale. La compagnie de Chemin de fer de Leidenschaftlich fera sûrement l’objet d’une enquête et certains manquements, une fois l’affaire terminée, seront constatés. J’aurais préféré qu’ils remettent le terrain d’eux-mêmes, mais c’est impossible à cause des contraintes administratives… Et si nous laissons les criminels prendre la mer, inutile de te dire que cela ne se terminera pas seulement par le renvoi des responsables. En échange de la possibilité de jouir de notre propriété privée comme bon nous semble, fais-leur entendre qu’ils se mettent à l’abri d’éventuelles poursuites. Et ensuite, demande à une entreprise de presse de…

Je pense avoir sais. Tu ne blaguais vraiment pas en m’embarquant là-dedans, n’est-ce pas ?

Toujours aussi vif d’esprit.

Tel était le plan de Gilbert. Le président de l’entreprise postale, Claudia Hodgins, par souci de protection de son employée et par inquiétude pour la sécurité des personnes prises en otage, allait suggérer un cul-de-sac se déroulant sur un territoire privé loué par la compagnie nationale de chemins de fer. Le président de la société postale étant lui-même un ancien soldat de Leidenschaftlich promu major en son temps, une pareille stratégie de sa part n’aurait guère était étonnante.

Au prix d’un endommagement de la voie ferrée, Claudia Hodgins n’allait pas hésiter à passer à l’acte pour sauver de nombreuses vies en jeu. De plus, son ancienne position dans l’armée rendait cette stratégie plus acceptable d’un regard extérieur.

En réalité, le terrain n’allait pas appartenir à Hodgins puisque les fonds allaient être ceux de Gilbert Bougainvillea. Néanmoins, il valait mieux que cela reste confidentiel pour écrire un récit que l’opinion publique allait approuver.

Je compte sur toi. Si ça ne marche pas, nous attendrons simplement au prochain point d’eau. Cependant, il y aura plus de victimes, et la situation deviendra plus risquée pour Violet. Agir au plus vite sera donc nécessaire.  Je vais te laisser t’entretenir avec un de mes subordonnés concernant la paperasse pour l’achat du terrain, appelle-le au plus vite. Ensuite, tu devras négocier avec le propriétaire en question, mais je ne m’en fais pas trop tant tu as l’art d’abreuver les autres de tes couleuvres.

Tu me flattes ! Mais ça va probablement finir par se savoir un jour ou l’autre, nos bonnes relations étant un fait connu de beaucoup.  

Gilbert se retourna lorsqu’on lui tapota l’épaule.

Il semble que les Nighthawks étaient prêts.

Cela ne me dérange pas de perdre mon poste. Mais je ne vais pas non plus me laisser faire ! Et plus que moi, ce qui est important c’est la sécurité des citoyens… la sécurité de Violet. Écoute, je ne pardonne pas à ceux qui mettent les citoyens de notre Leidenschaftlich en danger, peu importe qui ils sont. Un certain nombre de vies ont déjà été perdues. Nous allons certainement leur rendre la monnaie de leur pièce. Peu importe qui se trouve en face, que ce soit le Nord ou un autre continent. Leidenschaftlich ne cédera pas aux invasions ou aux pressions étrangères. Il en a été ainsi depuis sa fondation. Je ferai en sorte que les ennemis regrettent d’avoir posé leurs mains sur Leidenschaftlich.

L’héritier des Bougainvillea laissa échapper sa colère sur un ton que même son ami trouva inquiétant.

* * *

Il était précisément sept heures du soir, et seize minutes.

Pourquoi n’y avait-il plus personne ?

L’un des criminels cria en voyant l’état de la voiture-restaurant n°2. Il regarda autour de lui. L’intérieur du wagon sombre tremblait au son du sifflet à vapeur de la locomotive. Le train, qui s’était arrêté, se remit finalement en marche.

La compagnie nationale de Leidenschaftlich avait répondu aux demandes des terroristes et avait envoyé du personnel de remplacement au pauvre ingénieur Samuel LaBeouf, conduisant le pistolet sur la tempe.

Les choses avaient pris une telle ampleur qu’il était impossible de comprendre de nombreux aspects de ce qui se passait. L’un de ces aspects était la voiture-restaurant vide que l’homme fixait. Non seulement les passagers, mais aussi ses compagnons, qui contrôlaient justement ce wagon, étaient introuvables.

L’homme se souvint d’une histoire de fantômes énigmatique transmise dans le pays du nord où il vivait. Elle stipulait que lorsqu’une personne se trouvait à l’étranger dans un véhicule roulant à vive allure au milieu de la nuit, elle ne devait pas regarder ailleurs qu’à l’avant, qu’il s’agisse d’une voiture, d’un wagon ou même d’un train.

La raison est…

Il posa une main sur le cadre de la seule fenêtre qui était restée ouverte.

…parce que les non-humains sont guidés par la lumière de la lune et la suivent.

Il ouvrit encore la fenêtre pour en voir plus.  Un fantôme effrayant pouvait se montrer et lui courir après à tout moment. Cependant, ce qui poursuivait le train n’était rien d’autre que la lune flottant dans le ciel nocturne.

L’odeur des prairies pendant la nuit ne procura à l’homme piégé dans la boîte appelée « train » qu’une légère froideur au lieu de terreur.

Ahh !

L’homme posa sa main contre sa poitrine.

Ces choses n’étaient que des histoires, il put le confirmer. Ce qui restait à confirmer, en revanche, était la cause de la disparition des passagers et de ses camarades.

Je vais prendre ça.

Les mots que l’homme avait entendus venaient d’une direction par laquelle il ne s’attendait pas. Au moment où il les intégra et compris leur signification, son col fut saisi et l’homme projeté dehors. Le train était en mouvement. Il n’était, certes, pas trop rapide, mais personne ne pouvait se sortir indemne d’une pareille chute. Avant qu’il ne heurte le sol, il vit des yeux bleus qui le fixaient du haut du train et une lumière dorée qui scintillait dans la nuit éclairée par la lune. Tout en avalant son souffle devant une telle beauté, l’homme rebondit sur le sol comme une petite balle.

Violet était en position sur le train en marche. Ses hanches portaient un sabre militaire qu’elle avait emprunté à l’homme en le jetant dehors. Son corps était déjà équipé de nombreuses armes arrachées à d’autres des terroristes.

Après avoir expérimenté tour à tour le sabre, la dague et l’épée-pistolet qui n’était pas assortie à son ruban, elle revint au sabre. Tout ça ne semblait pas encore trop lourd pour elle, et elle les rangea dans des étuis qui semblaient également avoir été volés.

Le style de combat de Violet était semblable à celui d’une araignée. Tout d’abord, elle s’était contentée de vaincre un homme en tombant nez à nez avec lui, ce dernier ayant senti que quelque chose n’allait pas avec ce wagon. Mais d’autres vinrent pour chercher leur camarade ne semblant pas revenir, ce qui présentait une bonne occasion pour Violet de les éliminer un par un en les prenant par surprise.

Juste avant d’être vaincus, les terroristes voyaient apparaître par la fenêtre la silhouette invraisemblable d’une femme qui poussait un cri, avant de s’évanouir. Elle avait disposé ses fils et chassait les proies qu’elle avait réussi à attirer dans sa toile d’araignée.

Il y avait quatre personnes qui surveillaient les otages dans la voiture-restaurant n°1.

Le seul terroriste restant avait continué à faire le guet tout en étant entouré de personnes. Comme il n’arrivait plus à supporter l’atmosphère sinistre de la voiture-restaurant n° 2, il partit chercher du soutien dans la voiture précédente.

Bien que les passagers de la voiture-restaurant n°2 aient été libérés pendant l’arrêt du train, il n’y avait rien à faire pour sauver ceux de la voiture-restaurant n°1, même si les yeux du garde pouvaient être évités.

Violet regardait devant elle sans relâche. Elle décida que sa prochaine tâche allait être de prendre le contrôle de la salle des machines et de faire en sorte que le train s’arrête à nouveau. Violet avançait en marchant adroitement sur le toit du train. Sa détermination n’avait aucun signe d’effritement alors qu’elle se dirigeait, silencieuse et sans accompagnement, vers une bataille critique.

Elle n’était plus une jeune fille soldat. Il n’y avait pas d’officiers commandants à ses côtés. Elle avançait sans aucun soutien, sans autre solution que de faire ses propres choix. De ce fait, elle prit des mesures sans les instructions de personne afin d’aider les passagers. Elle essayait de faire ce qu’elle pouvait en tant que Violet Evergarden.

–Major.

Le train dans lequel ils se trouvaient avait été pris d’assaut. Si elle avait la possibilité de les aider à s’échapper, elle le ferait tout simplement. Rétrospectivement, au cas où son Maître était effectivement vivant et dans l’armée, elle avait la plus grande confiance dans le fait qu’il pensait certainement à une méthode pour sauver ce train, même sans savoir qu’elle était là.

–Le bruit des turbines ?

Violet leva soudainement les yeux vers le ciel nocturne vide.

Un bruit différent de celui de la mécanique du train se mêlait à celui-ci dans ses oreilles. Elle pouvait voir plusieurs objets volants surgir juste au-dessus du train.

Là ! Voilà le coupable !

Une balle jaillit dans le ciel nocturne. Un coup de feu résonna avec la voix d’un homme. De l’intérieur de la locomotive, une arme était pointée sur elle.

L’un des terroristes, qui était en train de chercher frénétiquement les passagers qui n’étaient nulle part en vue, ainsi que la personne qui avait le plus probablement provoqué une telle situation, avait finalement trouvé Violet en train de courir sur le toit du train.

Violet détacha son regard des étoiles du ciel nocturne et se concentra sur la bataille. Elle accéléra sur le toit du train en se baissant.

Après avoir pris de la distance, elle fit pression sur les criminels à l’intérieur en leur tirant dessus, puis reprit sa course. La meilleure idée était de rentrer à l’intérieur du wagon le plus vite possible, mais il ne semblait pas qu’elle puisse le faire immédiatement.

T’es qui ?! C’est toi qui as aidé ces gens à s’échapper ? C’est toi, hein ?!

Les hommes grimpèrent par la fenêtre de la voiture pour se débarrasser de Violet. À la fois derrière et devant elle, les hommes portant l’emblème du Nord s’approchaient progressivement d’elle avec l’intention d’attaquer des deux côtés.

Réponds ! T’es qui ?!

Je suis une simple voyageuse.

Tu mens ! T’étais au courant de nos plans ? Non… ce n’est pas comme si quelqu’un était assez fou pour venir à bord seul comme ça. Approche ! On va t’interroger en détail. Pose tes armes.

Violet remit l’arme dans son étui.

Non ! Contente-toi de jeter l’arme à tes pieds.

N’écoutant pas l’ordre, elle fit un grand pas.

Qui…

En disant cela, Violet atterrit sur le torse de celui qui la menaçait, son poing plongeant dans son visage.

Le poing qui venait d’une femme à l’allure si fine était beaucoup plus lourd qu’il n’y paraissait. L’homme fut projeté au sol, entraînant quelques autres personnes avec lui.

Qui… a dit que j’étais sommée de vous écouter ?

Avec cette petite tirade, la bataille était lancée.

Les hommes chargèrent sur elle par devant et par l’arrière. Elle évita d’abord les coups de couteau d’un homme venu par-derrière. Ensuite, elle se défendit avec sa main gauche, attrapa son visage et le poussa en arrière. Comme il vacillait, elle le balaya avec ses pieds et, comme ça, lui donna un coup de pied pour le faire tomber du train.

Un ennemi qui se précipitant en face tenta de la frapper à mains nues. C’était un homme grand et costaud. Il avait probablement confiance en sa force physique. Joyeusement, il visa le visage de Violet. Recevant une série de coups de pied avec les deux bras, Violet visa une ouverture, prit appui sur son corps et fit pivoter ses longues jambes. Alors qu’il était dépassé par son coup de pied, elle enfonça le poing de sa main libre dans son estomac.

Mais l’homme semblait avoir une cuirasse cachée sous ses vêtements. Elle sentit que quelque chose avait plié, mais il n’y avait pas de bruit d’os qui se brisaient.

Je vais t’écraser le visage ! Meurs !

Après une pause, l’homme leva le poing vers elle une fois de plus. Violet le bloqua d’une main, sortit l’arme de son étui et tira sur sa cuisse à bout portant.

P… sale garce…

Violet, qui avait été élevée sur les champs de bataille ne méritait guère ce qualificatif.

Elle pressa doucement l’épaule de l’homme qui s’effondrait, et il disparut dans l’obscurité avec un cri. Alors que Violet était à nouveau seule, le bruit du train résonnait dans ses oreilles.

C’était le pouvoir de la femme nommée Violet Evergarden. C’était une véritable preuve de force de l’arme dont le nom ne figurait pas dans les registres de l’armée de Leidenschaftlich.

Le plan de détournement du train était donc progressivement en train d’échouer. Les auteurs avaient, certes, eu un comportement irréfléchi, mais ce n’était pas la cause principale de leur tourmente. Après tout ils avaient suffisamment de ressources pour contrôler de faibles passagers. Cependant, il se trouvait qu’une poupée de souvenirs automatiques était mêlée à ces passagers.

La lune dans le ciel avait été enfermée dans des nuages nocturnes et avait temporairement disparu, mais le clair de lune se remit lentement à briller à nouveau sur le monde.

Lorsque le clair de lune guida Violet de nouveau, un nouvel ennemi apparu devant elle.

Vous êtes… un soldat de Leidenschaftlich ?

On pouvait entendre la voix grave d’un homme, qui s’exprimait d’une façon calme. Il avait des traits qui donnaient une impression de transparence et de fiabilité. Bien que sa silhouette soit terne dans l’obscurité nocturne, il était vêtu d’un manteau azur. L’emblème national de Rohand y était brodé. Pour une raison quelconque, il avait une longue mallette en main.

Non, je ne suis plus soldat depuis un long moment. J’ai aussi une question. Êtes-vous la personne dont le rang est le plus élevé en ces lieux ? Si possible, j’aimerais combattre cette personne, quelle qu’elle soit.

L’homme saisit fermement son étui, qu’il détacha et laissa tomber à ses pieds, révélant une baïonnette. Avec une étiquette impeccable, il s’inclina devant Violet.

Je suis le chef de l’ordre de la chevalerie de Rohand… quant à mon nom, je l’ai déjà abandonné. Je suis la personne que vous recherchez. Je vous ai… vue sur le champ de bataille. Vous êtes la sorcière de Leidenschaftlich, n’est-ce pas ?

Le chef de l’ordre de la chevalerie de Rohand observait Violet au clair de lune avec un regard indescriptible. Il dénotait sa peur et sa colère face au fait que ce jeune démon des champs de bataille avait tant grandi. Cependant, elle n’était qu’une belle femme, peu importe l’angle ce qui le rendait perplexe.

Votre style de combat était…de l’ordre du divin… Je n’ai entendu aucune rumeur à votre sujet après la fin de la guerre continentale, mais… Je vois, donc vous poursuivez vos activités en secret.

L’air qui émanait du chef était différent de celui des autres hommes qu’elle avait combattus.

Je m’excuse de ne pas répondre à vos attentes, mais la sorcière dont vous parlez a déjà quitté ce monde et n’est plus un soldat. Je suis ici en tant que simple voyageuse. Je n’exerce pas en tant qu’assassin non plus. J’ai traité un peu brutalement vos camarades, mais je m’étais assuré de faire mon possible pour ne pas leur ôter la vie. Bien que ce soit arrogant de ma part, en tant que passagère de ce train, j’ai une requête. S’il vous plaît, libérez tous les otages.

Impossible.

Je m’attendais à cette réponse, hélas… Nous sommes utilisés comme monnaie d’échange, même moi, je peux comprendre cela. Pourquoi faites-vous une telle chose ?

C’est pour reprendre ce qui nous est dû… et la personne… dont vous bafouez la dignité.

Vous voulez déclencher une autre guerre ?

L’homme gloussa. Il se mit à rire, sans qu’elle ne le voie de ses yeux.

J’aimerais vous demander une chose… Pensez-vous vraiment que la guerre est terminée ? 

Ne pensait-elle pas qu’on lui poserait un jour une telle question ? Violet se raidit.

Je ne peux pas très bien lire en vous puisque vous êtes sans expression, mais votre non-réponse donne un petit indice sur votre avis. C’est ça, être soldat. À jamais nos souvenirs de vilenie sont tels des restes de brûlures et ne cicatrisent jamais. Ce ne sera jamais fini pour moi.

L’échange avait une impression de déjà-vu.

En vérité cependant… c’est déjà terminé.

Pourtant, la guerre aura lieu une fois de plus.

De tels mots représentaient l’essence même de l’ancienne personnalité de Violet.

Les visages de mes compagnons décédés. L’odeur des cadavres. Le poids d’une arme arrachée au cadavre d’un ennemi, la nuit que j’ai passée dans la douleur après avoir été battu par un officier supérieur sans en connaître le motif. J’avais pu endurer tout cela… parce que je croyais qu’un jour, la guerre prendrait fin et que quelque chose de brillant m’attendrait dans le futur. Mais qu’en était-il en réalité ? Mon ami qui avait fait le même rêve que moi a été mis en prison, les hauts responsables qui ont commencé la guerre vivent tranquillement, et maintenant notre propre nation devient notre ennemi. Les soldats qui ont protégé les citoyens en mettant leur vie en jeu sont qualifiés d’inutiles et se font jeter des pierres par les paysans. Ma ville natale a disparu sans laisser de trace alors que le pays victorieux a posé une voie ferrée pour ses trains sur la patrie que nous avons essayé de protéger. J’ai essayé d’oublier, mais dans mon cœur c’est ancré pour toujours.

Il y avait de profondes poches sombres sous les yeux du chef chevaleresque.

…même si je me réveille le matin, que je dors la nuit et que je respire, une fureur que je ne peux réprimer brûle en moi à des moments inattendus. Pour résoudre cela, je n’ai pas d’autre choix que de détruire votre pays, qui m’a rendu ainsi. Pas seulement le Sud. L’Ouest, qui a conspiré avec lui, aussi. Ce n’est encore qu’un tout petit début. Poursuivons notre conversation. Car si je dois parler, vu que je ne suis pas très doué avec les mots, je le ferai avec mes poings.

Il y avait une raison pour laquelle il avait dit « notre ».

Une, deux, trois autres personnes, qui portaient le même manteau azur que lui, apparurent et sortirent une baïonnette de leurs propres fourreaux. Ils pointèrent leurs armes sur Violet.

Au-dessus du train en mouvement, l’ancien ordre de chevalerie avec ses baïonnettes et une ancienne fille soldat maniant plusieurs sortes d’armes se mirent en position pour s’affronter.

Pouvait-on parler de destinée ? Le passé de Violet la poursuivait, peu importe le temps qui passait, sans jamais la laisser partir. Violet serra la broche sur sa poitrine une seule fois.

« Pourquoi… les choses ont-elles tourné de cette façon ? » est une question qui surgit dans l’esprit de tout le monde quand des scènes cruelles se produisent. Mais pas dans le sien. C’est parce que celui qui était son Maître lui avait dit : « sans jamais blâmer personne, continue de vivre ».

Je suis moi-même assez taciturne, donc cela m’arrange aussi.

Violet dégaina son sabre et s’inclina comme une dame.

* * *

À sept heures et trente-quatre minutes, Hodgins se rendit dans une succursale de la Fédération Nationale de l’Immobilier de Leidenschaftlich. C’est avec leur aide qu’il avait choisi et fait construire le siège de la compagnie postale. En prétendant une affaire urgente avec un responsable avec lequel il était en bons termes, la réceptionniste lui céda rapidement le passage. Séparés par un bureau dans une pièce privée où il avait été conduit, tous deux se regardaient.

Non, même si vous dites ça, Président Hodgins…

D’un seul coup, le responsable – John Wishaw – montrait des signes de gêne sur son visage. C’était un homme d’une trentaine d’années qui semblait en faire dix de moins, ce qui lui valait par ailleurs certaines moqueries. Cela ne l’avait tout de même pas empêché de devenir responsable de cette succursale.

Quel est le problème ?

Face à lui, Claudia Hodgins faisait bien son âge, mais il avait cette prestance supplémentaire du fait de sa nature de séducteur. En temps normal Hodgins inspirait plutôt l’incrédulité et la drôlerie, mais l’expression de sérieux qu’il affichait dans les moments critiques pouvait toucher bien des cœurs, même des personnes du même sexe. John recula devant ce regard si offensif.

Comme je l’ai dit, votre demande est extrêmement difficile à accepter. Concernant l’achat du hameau de Ritorno, le simple fait d’en acquérir une partie est déjà difficile, sans parler de l’ensemble…

En vérité, nous pourrions nous contenter du terrain de la gare.  Mais acheter le hameau entier permettrait de frapper un plus grand coup.

Toutefois, la gare est un bien public du village, et ne peut faire l’objet de négociations.

Non. J’ai contacté le bureau des affaires juridiques de Leidenschaftlich avant de venir. La gare ici est une propriété privée. C’est l’un des grands terrains que la chef du hameau, Mlle Ian, a hérité de ses ancêtres. La voie ferrée qui a été tracée pour l’industrie minière que ces ancêtres ont créée et la gare construite pour la même raison, appartiennent au hameau de Ritorno. Le chemin de fer national de Leidenschaftlich utilise la gare comme point d’approvisionnement en eau pour les arrêts des trains, mais les passagers ne peuvent pas y descendre justement parce que c’est une propriété privée. Vous pourriez le confirmer si vous vérifiez l’acte notarié de la propriété. Pouvez-vous donc ouvrir ce dossier ?

Bien qu’à contrecœur, John ouvrit ledit dossier dans lequel figuraient les documents concernant les données territoriales de Ritorno. Le propriétaire était le chef des mines de charbon de Ritorno.

Vous êtes vraiment… bien informé.

Ce que Hodgins avait dit était vrai.

C’est un fait assez notoire, en fait. La station où les gens ne peuvent pas descendre, ça a un côté romantique, non ? Mais ce n’est pas comme si personne ne pouvait y descendre. Ceux ayant un certificat de travail de la mine de charbon de Ritorno et ses résidents le peuvent. C’est parce que c’est un domaine privé que les étrangers ne peuvent aller et venir comme ça, à moins d’avoir obtenu une permission après une longue procédure… Maintenant, revenons au problème. Je veux juste le terrain où se trouve la voie ferrée où passera le train transcontinental.

« Je vais vous persuader. Je vais vous persuader. Je vais vous persuader. Je vais certainement vous persuader ». Hodgins faisait des gestes et entraînait John Wishaw dans sa propre histoire, presque comme un comédien en pleine pièce de théâtre. Ses yeux se rétrécirent doucement, mais sans volonté d’abonner. Loin de là.

Dois-je expliquer à nouveau l’utilité de cette transaction de manière simple ? Le hameau de Ritorno subit actuellement un déclin continu de sa population. Il était autrefois célèbre pour ses mines, mais l’exploitation est devenue impossible suite à un accident survenu il y a plusieurs années. Bien que les chemins de fer subsistent, le nombre de travailleurs diminue et les jeunes partent. Ce n’est pas non plus un endroit pour le tourisme. Il est clair que la zone va devenir fantôme un moment où à un autre. Une partie du hameau a été louée lorsque le chemin de fer a été posé, ce qui contribue légèrement à sa faible économie. Combien de personnes y a-t-il dans le village maintenant ?

Environ quatre-vingt-dix…

C’est à peu près quelques familles de dix personnes dans une grande réunion de famille. Passeront-ils tous l’hiver ? Pourront-ils vivre sans dépendre des jeunes qui y envoient de l’argent ?

Les temps… doivent être vraiment durs pour eux.

Oui. Nul besoin d’être devin pour voir la fin tragique qui se dessine. Toutefois, il est possible de faire en sorte que l’histoire de ce village ne s’arrête pas là.  En réalité, je mène une entreprise de services postaux, avec l’envoi de poupées de souvenirs automatiques, et il y a un projet sur lequel nous avons récemment commencé à travailler : la production. Pour l’instant, nous commandons des lettres, des timbres et de la cire à cacheter à d’autres entreprises, mais nous envisagerions à l’avenir de fabriquer et de vendre nos propres produits. J’engagerai ces villageois pour cela, des anciens aux enfants, tant que leurs mains peuvent bouger.

Hodgins se leva et s’assit sur le canapé où se trouvait John. Bien qu’il y ait une distance entre les deux, elle était courte. La nervosité de John augmentait, mais il était quelque peu soulagé par rapport à quand Hodgins était juste en face de lui. Il était psychologiquement moins difficile de communiquer latéralement, en voyant moins le visage de l’autre. Du moins, c’était ce que Hodgins avait appris par l’expérience.

Qu’est-ce qui vous inquiète ?

Existe-t-il un agent immobilier qui pourrait instantanément conclure une affaire après avoir été informé que le terrain à acheter serait transformé en champ de bataille ?

Je vois… Je comprends, je comprends. Je comprends tout à fait. Bien sûr, je ne vous forcerai pas.

Il répéta des mots suscitant l’empathie, avant de mieux rebondir.

Si je ne peux pas acheter le hameau de Ritorno, je trouverai un moyen d’acheter le terrain de la gare. Il le faut. J’en ai expliqué la raison dès le début : je veux résoudre l’incident de détournement qui se produit en ce moment avant qu’il n’y ait plus de victimes. Pour cela, j’ai besoin d’un endroit où nous pourrions intervenir. Je veux acheter non seulement la gare, mais aussi tout le hameau afin d’y introduire du commerce. Je trouve tout de même mon offre plutôt équitable.

Ensuite, il s’exprima de façon à faire appel aux émotions de son interlocuteur.

Une jeune fille, que je considère comme ma propre fille et qui m’a été confiée par mon ami le plus précieux, se trouve être à bord de ce train. Je voudrais la secourir. J’ai des liens avec l’armée de Leidenschaftlich et j’ai essayé de me renseigner, et vu la situation actuelle, il semble qu’il sera difficile d’exécuter une opération de sauvetage si le train ne s’arrête pas. La meilleure stratégie serait de viser un point d’approvisionnement en eau, d’attaquer, d’aider les passagers à s’échapper et de passer à l’attaque. Toutefois, l’armée elle-même aurait quelques difficultés à intervenir dans la mesure où, diplomatiquement, une intervention pourrait se transformer en une attaque dans une zone contrôlée par l’armée du Nord. Ainsi, notre armée n’a pas les moyens légaux de réellement intervenir, contrairement à l’armée du Nord. Le groupe insi mobilisé est la Force Offensive Spéciale de Leidenschaftlich.

La Force Offensive Spéciale de l’armée de Leidenschaftlich était composée de troupes d’intervention dépêchées chaque fois que la police militaire ne pouvait pas directement intervenir. C’était notamment le cas dans des territoires appartenant à Leidenschaftlich, mais enclavés dans d’autres régions.   En effet, Leidenschaftlich, qui avait lutté contre de nombreuses invasions au cours de sa longue histoire en ayant toujours réussi à les contrer, construisait des bases dans les pays envahisseurs en guise de compensation partielle. Pendant la précédente guerre continentale, elles avaient également joué le rôle de zones de stockage et ravitaillement.

Cette unité spéciale se trouvait au sein de chaque garnison militaire pour maintenir l’ordre. Celle qui était mobilisée cette fois-ci n’était pas la troupe de la division proche de la gare que le train avait déjà laissée derrière lui, mais la troupe de la garnison qui se trouvait plus loin devant.

C’est pourquoi j’achèterai lc terrain où se trouve un point d’approvisionnement en eau devant lequel le train devrait bientôt passer.

John déglutit bruyamment en entendant les mots de Hodgins.

Je vais l’acheter et détruire les rails. Je vais créer un endroit dans lequel l’armée pourra se déplacer facilement. Ce sera également avantageux pour l’unité spéciale chargée d’intervenir, qui sera sur place avant tout le monde. Nous pourrions, ainsi, en finir rapidement avec cette histoire, ne croyez-vous pas ? Quoi qu’il en soit, je veux que la cible arrête de bouger. Il ne s’agit pas de savoir si c’est possible ou non… Non, nous le devons. Mon employée est à bord. John, êtes-vous marié ? Je suppose que non… Qu’en est-il de vos parents ? Je me demande ce que vous penseriez s’ils étaient à bord de ce train détourné avec des armes pointées sur eux en ce moment même. Je crois que le nombre de morts serait bien moindre si vous m’aidiez ici et maintenant. D’un autre côté, si vous refusez, le risque de voir mourir je ne sais combien de personnes augmentera. La balle est dans votre camp, voulez-vous être un « héros » ou un « faucheur » ?

M-Mais, nous ferions ça sans l’autorisation du gouvernement, non ?

Hodgins sourit.

Vous n’endosseriez aucune responsabilité. Après tout, je serai le propriétaire des lieux. Si ce que nous sommes sur le point de faire fonctionne, ce sera juste une banale histoire d’un propriétaire faisant n’importe quoi de son bien.

C’est… impossible. Vous dites que des forces spéciales seraient sur le coup ? Même si vous parveniez de justesse à arrêter le train, le sauvetage des passagers serait impossible…

Hodgins n’avait pas perdu patience face à ce jeune homme complètement effrayé. Au contraire, il posa une main sur le genou de ce dernier et lui parla d’une manière encore plus douce.

C’est moi qui décide si c’est possible ou non.

Cependant, il était revêtu d’une aura puissante.

Je ne suis pas non plus un sot. Après tout, je n’en suis pas fier, mais j’ai dirigé des troupes par le passé. Cette problématique ne m’est pas inconnue.

John se sentit alors subjugué par le subtil parfum de Hogdins. En parallèle, leurs regards se croisèrent. Ses yeux bleu gris, son physique agréable, ses larges épaules et son épais torse s’offraient à la vue.

M… ma force de combat… si je peux me permettre d’utiliser ce terme, Je voudrais au moins la mettre au service de ceux qui comptent sur moi.

Sa main, qui s’était posée sur le genou de John, saisit la main de ce dernier presque instinctivement. Si Hodgins était habile avec les mots, ce n’était en fait qu’une partie de son grand pouvoir.

N’êtes-vous pas qu’un simple intermédiaire ? Il n’y a qu’une seule chose que je veux que vous fassiez.

Sa capacité à mélanger le poison et le miel pour tromper les gens était inégalée.

Proposez ce marché au chef du village. Rien de plus, John.

Comme John restait silencieux, Hodgins posa une autre main sur son genou.

Allez-vous vraiment, humainement… rester impassible devant cela ?

Je suis désolé, jeune homme au cœur pur.

À un pas de son prochain mouvement sur l’échiquier, Hodgins ressentit une certaine culpabilité.

–…Je suis vraiment désolé de vous entraîner dans quelque chose comme ça. Mais il y a quelqu’un dans cette histoire qui veut que la situation dégénère.

Son échec et mat sur John Wishaw était accompagné d’un sourire.

Alors, allez-vous décider de vous ériger en sauveur ? Si vous ne pouvez pas entreprendre les démarches, contacter le hameau moi-même ne me pose aucun problème. Vous êtes un gestionnaire et je suis un commerçant. Nous sommes tous deux doués pour la discussion. Néanmoins, si c’était moi, je pourrais obtenir l’accord d’un client en cinq minutes. Puis-je vous le démontrer ?

* * *

Sur les doubles lignes du contrat de location de terrain écrit sur papier, le nom du nouveau contractant – Claudia Hodgins – était imprimé. Alors que les procédures relatives aux documents se terminèrent sans problème, Hodgins tapa sans réserve sur l’épaule de John, tandis que ce dernier inclina la tête, comme s’il se demandait s’ils n’avaient pas réellement fait quelque chose de scandaleux. Hodgins contacta ensuite son entreprise, la compagnie postale CH, après avoir été autorisé à emprunter le téléphone. Gilbert et Hodgins n’étaient pas les seuls à être affligés par le conflit actuel. Après une sonnerie, Lux répondit au téléphone.

Lux. Est-ce que tout le monde suit bien mes instructions ?

Ils ont tous été envoyés. Si vous m’y autorisez, président, je peux les appeler et remettre un peu de pression. Cela ne concerne que les facteurs, mais…

Ne t’en fais pas, il s’agit de nos meilleurs éléments. Je leur fais confiance. Une secrétaire qui travaille vite est vraiment une aubaine !

Avez-vous déjà mis le plan en marche ?

Les terrains pauvres sont souvent achetés, après tout. C’est plus facile que de séduire une fille. Plus important encore, la station du hameau que je vais mentionner, Ritorno… Dis à tout le monde d’y mettre le feu, quelle que soit la méthode utilisée. Nous en avons parlé aux habitants. Le but est qu’ils se rendent compte, depuis la salle des machines, que le train ne peut pas avancer plus. N’oubliez pas de porter un tissu rouge pour qu’on puisse les distinguer des ennemis. Dites-leur également de lancer un fumigène pour signaler que le plan est en cours d’exécution.

Il est peut-être tard pour cela, mais, hum, même si c’est pour le bien d’un sauvetage… Les notables de notre pays ne seront-ils pas en colère contre nous …?

C’est vrai. Même si c’est ma propriété, les gens seront probablement contrariés. Après tout, une entreprise privée, qui plus est, une société postale, va prendre des mesures qui vont causer de gros dommages aux activités économiques étatiques.

Et cela vous convient ?

Tout ce que nous allons faire, c’est détruire le chemin de fer et protéger les gens qui vont s’échapper du train quand il s’arrêtera soudainement. Nous n’interférerons pas avec les militaires… En espérant que ces derniers ne nous rendent pas la tâche difficile. Enfin… tenir tête aux autres est mon travail. De plus, j’ai une connaissance dans le milieu de la presse. Ainsi, si tout se passe bien, je lui demanderai de faire écrire un article tournant nos actions de façon positive. Après tout, les grandes organisations sont faibles face à l’opinion publique à laquelle l’armée se joint très souvent. En tout cas, j’ai bien conscience depuis le début du risque que nous encourons par rapport à notre image, c’est pourquoi je compte prendre toutes les dispositions nécessaires. N’aie crainte, en théorie personne ne devrait t’alpaguer, toi ou d’autres employés de la compagnie, dans les rues. Quoiqu’il en soit, et je le répète, insiste bien sur le fait qu’une fois le train arrêté, le sauvetage des passagers sera la priorité : le cas échéant, nos hommes devront s’enfuir s’ils pensent que les choses sont dangereuses. C’est tout. Je suis sur le point de m’y rendre avec le Nighthawk que mon ami a réservé pour moi.

Président Hodgins.

Oui, Lux ?

Je veux y aller aussi.

C’est impossible. J’ai besoin que quelqu’un supervise les choses en mon absence. Et je te fais confiance. Je compte sur toi.

Violet était ma première amie ! Je… ne suis peut-être pas capable de faire quoi que ce soit, mais… Je veux aller l’aider même si ce n’est pas grand-chose ! dit Lux d’une voix larmoyante.

Oh, Lux. Ne dis pas que tu ne peux rien faire. Au contraire, je te confie la compagnie… Le faire me permet d’agir librement et d’avoir l’esprit tranquille, maximisant les chances de réussir notre opération. Tout ce travail que tu assumes est un pas pour aider Violet. Je vais la ramener saine et sauve, alors attends-nous !

Vraiment… ?

Oui, « vraiment ». Je te cause régulièrement des problèmes, mais fais-moi confiance.

C’est le cas… Alors, s’il vous plaît, revenez vite. Aussi vite que possible… Avec tout le monde.

Je reviendrai. Pour toi, qui gardes notre place au chaud !

* * *

Huit heures du soir, heure à laquelle les journées des gens se terminent avant qu’ils ne rentrent chez eux. Quelque part, Cattleya Baudelaire se disputait avec le cocher d’une calèche de transport. Les réverbères qui l’éclairaient semblaient presque proportionnels à son niveau d’anxiété tant leur lumière était bancale.

Je regrette, mais c’est complet…

Répondit calmement le cocher.

Je vous en supplie !!

Le nez et les joues de Cattleya étaient rougeâtres. C’était assez normal avec le froid, néanmoins même les vaisseaux sanguins de ses yeux étaient rouges en raison de la répression de l’envie de pleurer.

Vous savez, n’est-ce pas, que le train transcontinental a été détourné ? ! Je… dois y aller ! Mon… mon… ma collègue est… Mon amie… est… Je… l’ai appris, et puis… et puis…

Cattleya, qui était venue s’informer des circonstances, avait voyagé dans une extrême précipitation après avoir terminé sa journée.  Elle était déjà passée par les services de transport de deux villes. Ce faisant, elle avait contacté la compagnie postale et se trouvait enfin près du petit village minier où Hodgins lui avait demandé de se rendre. Le dernier véhicule en direction de ce hameau était donc sur le point de partir.

Ne soyez pas si égoïste, Madame !! Cédez donc le passage. Le monde ne tourne pas autour de vous. Vous causez des problèmes aux clients qui ont respecté la procédure. 

Je ferais les procédures si je le pouvais ! Mais la vie de Violet en dépend… Je… dois aller l’aider ! Cette fille… est super forte, mais maintenant que les choses en sont arrivées là, je ne sais pas si elle va bien ! Si elle meurt, alors… C’est pour ça que je veux y aller ! S’il vous plaît, je peux même rester debout alors laissez-moi monter à bord !!

Voyant Cattleya verser des larmes d’exaspération, le cocher ne savait plus quoi dire.

J’aimerais le faire si je pouvais…

Il regarda dans la calèche. Les gens à l’intérieur lui jetaient des regards irrités, lui sommant de se dépêcher de partir. Cependant, un homme se leva. Les portes de la voiture, alors fermées, s’ouvrirent. Un homme aux cheveux bruns et à l’aura bienveillante en sortit.

Je vais descendre. Laissez-la donc prendre ma place.

Il avait un ton de voix caractéristique.

Monsieur… mais… vous…

Ça ne me dérange pas. Je vais rester dans cette ville une nuit de plus. Pouvez-vous me réserver le transport à la première heure demain ?

L’homme se mit à sourire. Le cocher était extrêmement ému par cette gentillesse débordante. Après tout, dans ce genre de métiers, tomber sur des clients à problèmes n’était pas rare. Trouver une personne aussi compatissante était une première dans sa longue vie de conducteur. Cette personne semblait avoir été sensible à la situation de Cattleya.

Hé, jeune fille ! Soyez reconnaissante envers ce gentilhomme. Bon sang. Monsieur, je décharge vos bagages. Jeune fille, donnez-moi les vôtres !

E-Eh ?

Quelqu’un descend et vous laisse sa place. Vous allez pouvoir rejoindre votre amie en danger.  Tant mieux pour vous…

Sérieusement… ? M… Merci. Merci beaucoup !

Celui que vous devriez remercier est ce jeune homme.

Dit le chauffeur de taxi en prenant son bagage.

N’arrivant toujours pas à croire à la chance dont elle bénéficiait, elle fit face à l’homme encore surpris et inclina la tête.

M-Merci ! Sincèrement ! Je paierai les frais de votre séjour !! Merci du fond du cœur !!

L’homme laissa échapper un gloussement et tendit la main. Il essuya du bout des doigts les gouttes de larmes qui coulaient sur les joues de Cattleya. Il était évident que ce geste n’était que pure bienveillance, ainsi cette dernière n’avait pas réagi négativement. Bien au contraire, cela lui aurait presque fait autant d’effet avec Hodgins.

H-Hum… erm…

Tout va bien, chère demoiselle.

Les yeux de l’homme avaient en quelque sorte une certaine fermeté. Le grain de beauté sous son œil noisette était charmant.

Vous avez dit « Violet », n’est-ce pas ? Violet Evergarden ?

Oui, vous… hum, est-ce que vous la connaissez ?

En effet. Je lui ai fait écrire une lettre pour moi une fois. Je suppose…

Après avoir été silencieux pendant un bref moment, comme s’il réfléchissait, il s’exprima comme s’il faisait une confession.

Hmm, on peut dire ça… nous avons une relation profonde dont nous ne pouvons pas parler aux gens. Nous sommes aussi de vieux amis. J’avais l’intention d’aller la voir un peu plus tard, mais il semblerait que le pays soit impliqué dans des affaires compliquées dernièrement… Je remettrai donc ma visite à plus tard. Pouvez-vous lui transmettre mes salutations ?

Avec une cape noire, l’homme commença à s’éloigner comme s’il se fondait dans la nuit.

Q-Quel est votre nom ? Q-que je le lui transmette !

L’homme se retourna et lâcha un rire. Sa peau pâle le faisait ressembler à un fantôme sur la route nocturne.

Edward Jones.

L’homme fit un signe de la main et Cattleya lui répondit avec un grand sourire. Le fait que personne n’ait remarqué qu’il était en fait un fugitif autrefois dans le couloir de la mort est l’un des faits marquants de cette nuit-là.

* * *

Toujours à huit heures, Gilbert Bougainvillea fixait le sol après avoir sorti le haut de son corps du Nighthawk. C’était un spectacle qui pouvait donner le vertige. Ils volaient assez haut, pour ne pas être repérés par l’ennemi.

Trouvé ; position nord-ouest.

Très bien, Colonel Bougainvillea. Je vous reçois.

Au nord-ouest se trouvait un objet lumineux qui traversait à toute allure le terrain noir, créant des failles entre les nuages. C’était le train transcontinental « Femme Fatale ».

Ici l’unité 1. Nous avons trouvé Femme Fatale. Commencez à descendre.

Au signal de la radio du pilote, les sept Nighthawks débutèrent leur atterrissage. Ce faisant, ils furent témoins d’une déflagration s’élevant bruyamment du milieu des montagnes en direction de la voie du train.

C’est la bombe fumigène libérée du point de ravitaillement en eau dont le colonel a parlé.

Passez à la stratégie numéro trois. L’unité 5 va battre en retraite. Rejoignez la force spéciale, en attente de l’arrivée du train, et informez-la de la situation. Dites que la cible s’est heureusement arrêtée à cause d’un feu de forêt soudain ou peu importe. Dans l’ordre, à partir de l’unité 1, la première moitié des forces débarquera sur le champ de bataille. Nous nous emparerons des voitures 1, 2 et 3, qui sont les têtes de ce train de treize wagons. Agissez après l’arrêt d’urgence. Après la descente de la première moitié de l’équipe, la seconde moitié apportera son soutien et commencera une attaque-surprise de l’extérieur après l’atterrissage. Des civils nous aideront à protéger le groupe. Quiconque a un tissu rouge autour du bras est un coopérateur. Ne les attaquez pas par erreur. Soyez très attentifs, l’issue de cette opération pourrait déterminer l’avenir de la Force Offensive Spéciale de l’armée de Leidenschaftlich. J’ai confiance en vous, mais essayez dans la mesure du possible de rester dans mon champ de vision.  

Le pilote de l’unité 1 laissa échapper un petit rire. C’est parce que Gilbert avait dit quelque chose de plutôt inhabituel.

Je prie pour notre succès. Bien, première moitié, préparez-vous à débarquer !

Avec un total de six unités – à l’exception de la cinquième, qui s’était retirée – et un effectif de douze personnes, la troupe de Gilbert, la Force Offensive Spéciale de l’armée de Leidenschaftlich, était actuellement déployée face au train transcontinental détourné.

Tout d’abord, ces six personnes allaient atterrir sur le toit du train. Les voitures 1, 2 et 3 du train, reliées entre elles, étaient contrôlées par deux personnes. Divisées en deux groupes pour neutraliser les terroristes, il y avait ceux qui se trouvaient à l’intérieur et ceux qui restaient à l’extérieur. Par la suite, un autre groupe de six personnes allait attendre au lieu prévu pour le prochain arrêt du train. Ce plan allait leur permettre de couvrir les six personnes infiltrées dans le train et de protéger les passagers sortants.

Gilbert dirigeait les membres de la Force offensive spéciale, qui était un groupe restreint de quelques personnes élues, non pas avec des protocoles militaires habituels, mais parce qu’il les connaissait bien. Gilbert leur avait fait mémoriser les instructions de son plan méticuleux et tout le monde était capable de pallier l’absence d’une personne dans le pire des scénarios.

Avec les membres du premier groupe, Gilbert sauta du Nighthawk qui chargeait en avant et atterrit sur le dessus du train en marche. Les vols à basse altitude ne pouvaient pas durer, son saut était donc périlleux et parfaitement millimétré. Après s’être désespérément agrippé au toit, il fixa sa position sur le train.

De toute évidence, les personnes à l’intérieur avaient remarqué les bruits de turbine d’avion au-dessus de leur tête. Un homme qui semblait être un terroriste de la voiture n°1 se montra. Gilbert tendit son bras gauche artificiel et lui asséna un coup de poing au visage. Tandis que l’homme reculait, il l’attrapa par la nuque et le tira par le torse hors de la fenêtre. Bien qu’un terroriste de la voiture n°2 voisine ait tiré sur Gilbert, il finit par toucher le malheureux dont le corps était à moitié dehors.

Colonel, je pars devant.

L’un des membres de la troupe de Gilbert, qui avait sauté et atterri après lui, agita son corps et donna un coup de pied au terroriste de cette voiture n°2 qui tenait Gilbert en joue, montant dans le train au passage.  Gilbert jeta l’homme dont le sang coulait hors de la voiture et s’y faufila également.

Aidez-moi, s’il vous plaît ! Ne me tuez pas ! Si je meurs, les passagers de la voiture mourront aussi !

Celui qui criait et pleurait comme s’il suppliait pour sa vie était le pauvre Samuel LaBeouf. Ses assistants étaient morts. Un jeune assistant-ingénieur de substitut pâlissait en essayant de ne pas marcher sur un cadavre, et il n’y avait aucun signe d’autres terroristes.

Soyez à l’aise. Je suis un colonel de l’armée de Leidenschaftlich, Gilbert Bougainvillea. Nous sommes en train de lancer l’opération de sauvetage des passagers de ce train.

Un-un allié ? Quelqu’un de l’armée ?

Il s’était probablement résigné pendant tout ce temps, car il n’avait versé qu’une seule larme avec une expression clairement soulagée. Gilbert tapota doucement sur son épaule.

Vous avez été très courageux. Cela aurait été la pire situation possible si vous aviez été désemparé. Vous méritez une médaille.

La sincérité dans les traits du visage de Gilbert et l’aura qui l’entourait provoquaient un effet d’amadouement différent de celui d’Hodgins. N’importe qui aurait été envahi par l’émotion en entendant de telles choses de la part d’un beau soldat lui tendant la main dans des circonstances critiques. Extrêmement touché, Samuel se mit à trembler.

Ingénieur, quel est votre nom ?

Sa-Samuel, Colonel.

Monsieur Samuel. Vous considérant comme un héros de Leidenschaftlich, j’ai une faveur à vous demander. Quel est le prochain point d’approvisionnement en eau ?

Hé bien, c’est Ritorno.

Il y a un autre de nos bataillons à cet endroit. Il y aura un grand signal, alors veuillez faire un arrêt d’urgence avant d’entrer dans l’enceinte de la station.

« S-Signal », vous dites ?

Vous reconnaîtrez le signal quand vous le verrez. Après l’arrêt, veuillez évacuer d’ici et courir en direction du hameau.

Samuel et son assistant se regardèrent.

Mais, les passagers… et aussi… mes autres collègues…

Samuel regarda les corps de ses ex-collègues.

Même s’ils ne sont plus en vie, je veux les remettre à leurs familles.

Dirent les deux à l’unisson.

Tout ira bien. Une autre unité de l’armée est censée arriver en plus de la nôtre. Une fois que tout sera terminé, ceux qui sont décédés et vous deux, serez rapatriés. Cependant, je veux que ceux qui peuvent encore bouger évacuent temporairement les lieux par eux-mêmes. Des gens avec des tissus rouges sur leurs bras supervisent l’évacuation. Veuillez les suivre.

Peut-être parce qu’il se sentait réconforté, Samuel poussa un énorme soupir. Cependant, comme pour lui dire de ne pas crier victoire trop tôt, des coups de feu se firent entendre.

Est-ce que quelqu’un… est au milieu d’un combat ?

Gilbert avait ordonné à ses subordonnés de se charger de l’arrêt d’urgence et de neutraliser les ennemis après avoir soufflé des obus fumigènes à l’intérieur des wagons. En cas d’attaque à partir de la voiture n°3, ils allaient retenir les ennemis le plus longtemps possible.

Actuellement, le nombre d’hommes de Gilbert sur place était de six personnes. Parmi les recrues sélectionnées pour ce commando d’élite, chacune avait une puissance de combat égale à celle de dix soldats ordinaires.

Je pense… que ça vient probablement de l’extérieur. Vu le son.

Sur les conseils de Samuel, Gilbert essaya de passer sa tête par la fenêtre. Son visage fut frappé par des branches d’arbres.

Depuis un petit moment, il y a quelque chose qui ne va pas. J’entends des cris. Je… suis connu pour avoir une plutôt bonne ouïe.

En voilà une capacité utile ! Si ce que vous dites est vrai, nous devons aider ceux qui ne sont pas du côté de ces criminels. Je vais voir ce qui se passe là-haut. Encore une fois, n’oubliez pas votre mission.

Aux mots de Gilbert, Samuel acquiesça en affichant un sourire mêlant joie et nervosité. Bien que gêné par l’énorme courant d’air, Gilbert monta une fois de plus sur le toit du train. Le terrain sur lequel le chemin de fer avait été construit possédait probablement un énorme champ de fleurs, auparavant. Bien qu’ils aient été piétinés, les pétales des fleurs encore en état s’éparpillaient dans le vent qui s’opposait à la course du train. Dans cette obscurité totale, des couleurs telles que le blanc, le bleu, le jaune, le rouge et l’orange, pas encore fauchées par l’automne, s’envolaient. Bien qu’elles finissent par être réduites en poussière, elles créaient un spectacle époustouflant jusqu’au bout.  Bien au-delà de ces riches teintes, Gilbert trouva la personne qu’il cherchait.

Colonel, la situation exige-t-elle des renforts ? !

La sixième unité, le partenaire de Gilbert, descendit après les autres et atterrit avec un timing parfait. Gilbert l’arrêta d’un coup de main.

Idris. Il semble qu’un civil se batte contre les terroristes… Nous aurions dû le remarquer plus tôt.

Nous étions affolés par notre chute pendant l’atterrissage, après tout. Je n’ai rien vu non plus. Eh bien, alors…

Je vais y aller. Tu seras le prochain commandant, s’il m’arrive malheur.

Tu le penses sérieusement ?

En effet.

J’ai bien assez de talent pour obtenir des promotions et vous surpasser bientôt. Alors s’il vous plaît, revenez sain et sauf et continuez à vous tenir devant moi. Si je n’ai plus personne pour me mesurer alors…

Au lieu de répondre, Gilbert frappa son épaule d’un coup de poing.

Le groupe de personnes portant des manteaux bleus avait effacé la silhouette de la personne qu’il cherchait. De plus, il allait devoir rejoindre la voiture la plus avancée pour la trouver. Cela allait prendre du temps.

Gilbert courut sans hésiter.

* * *

Toujours vers huit heures, les baïonnettes pleuvaient comme jamais. Cela ne stoppait néanmoins pas Violet dans sa course.

Se battre au-dessus d’un véhicule en mouvement contre autant de personnes était éprouvant. Les adversaires en avaient également conscience, car ce n’était pas le chef des terroristes qui avait pris la peine d’attaquer directement Violet.  Cette dernière ne le perdait aucunement de vue, néanmoins. Elle semblait aspirée par lui !

Il dut ainsi se défendre contre le sabre qui s’abattait sur lui à l’aide de son arme, mais Violet put éviter plusieurs coups de feu en prenant une grande distance avant de se remettre à courir adroitement.

Nous vengerons nos camarades !

Violet lui lança le fourreau au visage et lui asséna un coup de pied sauté au lieu de le trancher. L’homme, dont les jambes avaient perdu l’équilibre, semblait sur le point de s’effondrer, mais parvint à rester debout. Il grimaça et appuya sur la gâchette de la baïonnette.

Une balle fut tirée.

Les yeux écarquillés, Violet l’évita en bougeant rapidement sa nuque. Ses rubans s’envolèrent et du sang jaillit de son groupement de tresses, défaisant ses cheveux. Son oreille avait été frôlée. Elle saignait, mais ne laissait échapper aucun cri de douleur.

Violet frappa l’homme à la poitrine avec la pointe de sa botte. Il cria en tombant. Cependant, Violet elle-même tomba en même temps que lui. Même si elle avait encaissé les coups de baïonnettes qui lui étaient assénés dans le dos avec le sabre, elle perdit l’équilibre. Le sabre lui-même disparut de ses mains après avoir été dégainé.

Le terroriste qui avait attaqué Violet dans le dos la retrouva alors qu’elle était parvenue tant bien que mal à s’accrocher au bord d’une fenêtre.

Lorsqu’un passager surpris essaya d’ouvrir ladite fenêtre, elle inséra une main dans le petit espace disponible afin de l’agrandir et de pouvoir se faufiler à l’intérieur. C’est ainsi que Violet entra dans la voiture n°2.

Que s’est-il passé ?!

Cette femme, elle est entrée…

Les terroristes réalisèrent que les lumières de la voiture n°2, qui brillaient encore il y a quelques secondes, s’étaient subitement éteintes. Les passagers criaient.

Ne devrait-on pas la suivre ?

Attendez.

Il leur avait été ordonné de se taire et d’écouter. Finalement, ils n’entendirent plus aucun cri provenant de la fenêtre par laquelle Violet avait disparu. Ils ne pouvaient plus discerner un seul bruit. Leur chef était perplexe. Qu’avait donc prévu cette fille ensuite ?

Qui… était positionné dans cette voiture ?

Quelqu’un de l’organisation armée de libération que nous avons embauché.

Il y en avait également dans la voiture panoramique et dans la voiture-restaurant n°1. Néanmoins, les hommes positionnés dans ces wagons précités ont poursuivi cette femme jusqu’ici… et ont été vaincus. Ils ont théoriquement été remplacés.

Lorsque les lumières s’éteignirent à nouveau, les cris s’intensifièrent en provenance de la voiture panoramique et de la voiture-restaurant n°1, respectivement. Puis le silence revint. Le dirigeant des opérations, sous sa cape bleue, semblait pétrifié.

Elle bouge.

« Femme Fatale » était un train de treize voitures, composées de l’avant à l’arrière, des voitures n°1, 2 et 3, des voitures-lits simples n°1 et 2, des voitures-passagers n°1 et 2, des voitures à sièges panoramiques, des voitures-restaurant n°1 et 2 et d’une voiture de marchandises.

Violet avait sauté dans la voiture n°2. Et ensuite, elle était probablement passée à la voiture à sièges panoramiques et à la voiture-restaurant n°1. Elle avait elle-même fait le ménage dans la voiture-restaurant n°2.

Où allait-elle fuir ? Elle n’avait pas d’issue.

Chef, peut-être qu’on devrait vraiment aller voir à l’intérieur…

C’était du moins ce qu’un des hommes avait suggéré, avant de tomber à genoux et de s’effondrer.  D’autres coups de feu suivirent.

Baissez-vous !

Les balles frôlèrent leurs têtes. L’homme indemne tendit la main au blessé, mais la paume qui s’était tendue pour aider fut la cible d’un tir.

Retraite ! Allez-y et appelez des renforts !

Mais, chef…

Apportez une arme de plus gros calibre !

Les subordonnés rampèrent tout en appuyant sur leurs blessures fraîches. La direction d’où venait la balle était sans doute celle de la dernière voiture. Les tirs se succédèrent, mais s’arrêtèrent d’un coup. Les yeux du leader des terroristes purent voir quelque chose s’épanouir au sein de l’obscurité.

Ils se sont donc échappés ? Je me chargerai d’eux plus tard. Réglons d’abord notre différend.

Elle s’adressa ainsi à lui poliment et attendit qu’il se lève. Cette femme était une chef d’orchestre du champ de bataille. Elle jouait des mélodies en concoctant des attaques, renforçant les émotions de ses spectateurs par des arts martiaux écrasants, les sidérant avec des actions inimaginables et dominant complètement l’espace. Peu importe que ses cheveux soient tachés de sang, que ses vêtements soient déchirés ou qu’elle soit blessée…

Bien, alors, c’est reparti.

…Elle n’avait pas cessé de se battre. Le chef de l’ordre de la chevalerie avait fini par comprendre clairement pourquoi on la surnommait la jeune guerrière de Leidenschaftlich.

J’y vais, Major.

Violet était probablement à court de balles. Elle se débarrassa du fusil qu’elle avait volé à un ennemi en bas. Elle sortit ensuite une dague. L’arme de son adversaire, le leader de ce groupe armé, était une baïonnette. Violet était désavantagée.

Les deux s’affrontèrent sans un mot. Elle lui asséna des coups consécutifs avec le tranchant de son couteau, mais au final, la dague perdit face à la baïonnette et se brisa. Violet se débarrassa de l’arme devenue inutile, la jetant à l’aide de son bras factice sans même lui accorder un regard. Elle égratigna le visage de son adversaire, mais lui aussi martelait le corps de Violet pendant ce temps.

Alors que sa posture s’effritait sous l’impact, d’autres coups étaient portés. Violet esquiva la pointe de la lame de la baïonnette, mais fut touchée à la poitrine. Elle tendit instantanément la main, balançant son poids et retournant son corps afin de prendre la distance. Peut-être parce qu’il était effectivement supérieur aux autres, les attaques du leader étaient différentes de ses sbires en termes d’agilité.

Violet chercha des armes à portée de main. Elle fouilla dans sa jupe et sortit un couteau balistique de son porte-couteau fixé autour de sa cuisse. Les lames autrefois dissimulées dans ses cheveux avaient disparu. Ainsi donc, ce couteau balistique était sa dernière arme en dehors de ses poings.

Combien d’armes portez-vous au juste ?

Nous ne sommes jamais trop prudents.

Le souffle coupé comme celui d’une bête, Violet fit un pas en arrière. Elle savait que la prochaine attaque allait être déterminante pour l’issue de la bataille. Bien que confrontée à quelqu’un d’inférieur à elle en capacité de combat, n’importe qui aurait respiré lourdement après s’être continuellement tenu debout et battu dans ces conditions, sans interruption.

Quoi qu’il en soit, elle n’avait pas la moindre volonté de perdre.

Jusqu’à ce qu’elle le réalise, quelque chose censé être exposé sur son col avait disparu. Sa respiration difficile s’arrêta totalement.

Bien que je sois votre ennemi, j’admire votre soif de victoire. Vous avez du cran !

Ce n’était pas quelque chose dont elle devait s’inquiéter dans de telles circonstances. Néanmoins, ses yeux cherchaient la broche. Elle ne parvint pas à trouver immédiatement l’objet qui scintillait, dépareillé et magnifique.

Ce n’est pas… comme si je souhaitais gagner. Ce n’est pas comme si j’allais recevoir un quelconque prix.

Violet parla rapidement sans le vouloir. Elle ne devait pas lui faire comprendre qu’elle cherchait quelque chose.

Alors que cherchez-vous à travers le combat ?

Pas grand-chose. C’est juste qu’une situation dans laquelle je suis forcée de me battre s’est imposée. C’est une question de vie ou de mort. 

Vous dites donc que rien ne vous guide, actuellement ?

Je ne sais pas. Je… ne sais rien de moi. Je suis un ancien soldat, mais je ne me souviens de rien avant de le devenir. Il est peut-être tard à ce stade, mais je me demande… s’il n’est pas étrange que je ne me souvienne de rien de tel. Je ne sais pas où je suis née, ni de qui je suis la progéniture, ni quel était mon nom de naissance. Mais je dirais que cela ne m’a jamais troublé. C’est… Ce…

Tout en parlant, Violet trouva la broche. Elle était auprès des pieds de son adversaire. Ce dernier l’avait bien entendu vue également.

C’est parce que… J’ai attendu toute ma vie quelque chose.

Elle regarda vers le bas et tenta de s’approcher.

Juste quand je pensais que la discussion devenait intéressante… Alors c’est ça ?

L’homme fit signe de s’arrêter avec sa paume tout en ramassant la broche.

Est-ce quelque chose d’important ?

La jetterait-il si elle hochait la tête ? Violet ne le savait pas. Cependant, si elle était à sa place et qu’elle avait quelqu’un à sauver et des choses à absolument faire après cette bataille… Sans aucun doute, elle devait essayer de penser comme lui. Si elle était lui…

Venez la chercher !

…Cet objet deviendrait un simple appât pour attirer son ennemi, peu importe ses sentiments. La broche fut jetée en l’air. Violet se mit instantanément à courir. La baïonnette du chef de l’ordre de la chevalerie se dirigea vers elle. Violet visa ses pieds et lança le couteau balistique. Peut-être l’avait-il anticipé, car il la repoussa sans difficulté.

Pendant ce temps, Violet attrapa la broche. La pierre précieuse qui flottait dans le ciel nocturne était semblable aux yeux de son Maître, qu’elle avait défini comme la plus belle chose au monde.

Idiote !!

Elle évita une attaque avec son bras gauche, qui n’était pas celui qui tenait la broche. Comme elle avait perdu son centre de gravité à cause des coups consécutifs, elle tomba en arrière d’un, deux, trois pas.

Et enfin, le bras gauche de Violet se brisa en deux, projetant plusieurs de ses parties. Elles étaient brisées et séparées d’elle d’une manière qui les faisait ressembler à des pétales éparpillés.

*PoPom* *PoPom* Popom*. Violet sentait les battements de son cœur résonner désagréablement dans ses oreilles. Pour une raison quelconque, le temps s’écoulait lentement. Son adversaire abattit son sabre tout en haussant la voix et en lui adressant une sorte d’insulte. Son dos heurta un obstacle sur le toit du train. Alors qu’il lui marchait sur le ventre avec sa botte de militaire, elle fut incapable de bouger. Quelques secondes plus tard, elle fut transpercée.

Tout semblait durer une éternité.

Plutôt que la pointe de la lame qui s’approchait d’elle, Violet fixait la broche d’émeraude qu’elle n’avait pas lâchée jusqu’au bout. Elle était fermement dans sa main droite. Elle avait voulu regarder dans ce vert pendant ses derniers moments où ses yeux étaient ouverts, alors qu’elle était encore en vie. Son éclat était cette personne elle-même.

Major…

Elle ne voulait plus aller nulle part.

Major.

Ils ne seraient plus séparés.

–Major, j’ai… vécu.

Cela la rendait extrêmement heureuse.

Major, vous souvenez-vous… que vous m’avez embrassée lors de notre première rencontre ? Vous avez eu peur de moi pendant longtemps. Les bêtes peuvent ressentir ce genre de peur très finement. Malgré cela, vous m’avez gardée à vos côtés. Très probablement… J’ai… certainement… été jetée parce que j’aurais pu être utilisée par n’importe qui. Néanmoins, j’aurais bien voulu vous être utile à vous.  Que vous ayez besoin de moi. Les jours où je n’ai pas pu vous voir ont été marqués par un vide continu, ainsi que par des expériences qui semblaient donner lieu à davantage de manque. Je ne cesse de me demander pourquoi vous avez demandé de dire aux autres de simuler votre décès. Si j’avais réussi à vous rencontrer, j’aurais voulu répondre à votre question « pourquoi ne peux-tu pas comprendre mes sentiments ? » et aux mots « je t’aime ». Major, est-ce que j’étais… est-ce que vous voulez toujours… de votre Violet ?

Plutôt que le bruit des os et de la chair coupés, des coups de feu semblant trancher le vent se firent entendre.  La baïonnette disparut du champ de vision de Violet. Le bras de son adversaire fut brusquement balancé comme s’il s’agissait d’un jouet, avant qu’il ne reçoive un coup de pied dans la direction opposée.

Quelqu’un était intervenu.

Le leader demanda en criant qui était la troisième personne, mais ne reçut pas de réponse. L’intrus dégaina silencieusement son sabre et protégea Violet. Il commença alors à attaquer. Devant une telle façon de manier une lame, reconnaissant le dos qu’elle avait toujours accompagné, Violet ravala son souffle.

Violet, tu es vivante !?

Cette voix était celle que Violet se ressassait en boucle pour ne pas l’oublier. Ses battements de cœur résonnaient intensément. Bien qu’avec difficulté, elle se leva.  L’homme abattu le chef d’escadron avec son sabre et… se retourna vers elle avec une expression frénétique. Devant ses yeux se trouvait une personne différente. Son apparence avait beaucoup changé depuis leur première rencontre, c’était peu dire !

Cependant, une chose était restée intacte : la rencontre entre ces yeux bleus et verts, la façon dont ils verrouillaient le regard de l’autre, le temps qui se figeait. C’est comme si leur regard suppliait au temps de s’arrêter.  Il en avait été ainsi dès le début.

Major !

Leur rencontre était probablement due au destin.  Gilbert se précipita vers Violet, l’aidant à se maintenir.

Viens, Violet.

Il s’agenouilla et, après avoir soulevé Violet accroupie, il enleva sa ceinture portant le fourreau d’épée et l’enroula autour de son bras. Il l’enroula ensuite autour de celui de Violet.

Je vais… t’expliquer les circonstances plus tard. Il y a beaucoup de choses pour lesquelles je veux m’excuser auprès de toi. Mais pour l’instant, pardonne-moi… Ne me lâche pas.

Violet se souvint de ce qu’elle tenait fermement : la broche d’émeraude qu’elle avait récupérée à la hâte pendant le combat.

Elle ouvrit lentement sa main et montra la broche à Gilbert, le regardant droit dans les yeux.

Alors que lui seul se reflétait dans ce bleu, ses lèvres tremblaient, incapables de sortir un mot. Elle souhaitait simplement l’informer qu’elle avait gardé l’objet. En voyant la broche d’émeraude, les yeux de Gilbert se déformèrent amèrement.

Tu… l’as toujours ?

Son attitude, alors qu’il prenait la broche dans la paume de Violet et la remettait sur elle comme pour recoudre son chemisier, qui avait été déchiré au niveau de la poitrine, était la même que dans ses souvenirs…

… jor.

Elle essayait de lui dire quelque chose, n’importe quoi.

Major !

Cependant, le terroriste censé être au sol essayait de se relever. Soutenu par l’un de ses subordonnés blessés, il pointa sur eux un fusil à pompe de gros calibre.

Espèce de chien de Leidenschaftlich… !

Son cou saignait sous le coup de la lame de Gilbert. Il cracha du sang.

Je vais vous supprimer ! Tous les deux en même temps ! Vous êtes inutiles dans ce royaume ! Disparaissez de notre monde ! Disparaissez ! Disparaissez ! Disparaissez !!!!

Il était trop tard pour convaincre l’autre partie de mettre fin au conflit. Aucun des deux ne pouvait reculer.

Major, laissez-moi derrière vous.

Dit Violet sans hésiter. Si la relâcher et la laisser tomber au sol facilitait les choses, puisque c’était lui, il aurait certainement été capable de gagner. C’est ce qu’elle croyait.

Je t’ai dit de ne pas me lâcher.

Gilbert secoua la tête. Sa prise sur le bras et le haut du corps de Violet se renforça encore. Il leva ensuite son autre main au-dessus du train.

Le leader des terroristes laissa échapper un rire. Il en avait très probablement conclu que le couple enlacé avait choisi de mourir ensemble.

Major… Alors…

Violet contempla son Maître, qui était bien plus beau que la gemme qu’elle n’avait cessé de protéger.

…Restez avec moi !

Le fusil à pompe était dirigé vers eux.

S’il vous plaît, restez à mes côtés… La façon dont vous me traitez m’importe peu. Je veux simplement être avec vous. C’est tout. Rien d’autre… n’est nécessaire. Major, je…

Elle avait appris à écrire et pouvait prononcer d’innombrables mots, mais ils ne sortaient pas correctement devant la personne qu’elle chérissait vraiment.

…ne veux pas vous quitter.

Celle qui se tenait là n’était pas une poupée. C’était une fille qui aspirait à l’amour d’un homme.

Je ne vais nulle part… J’ai besoin de toi. Je serai à tes côtés… !

Gilbert Bougainvillea répondit à l’appel comme s’il criait. C’était parce que quelque chose d’autre qu’une balle avait volé dans leur ligne de mire.

* * *

À huit heures vingt, Samuel LaBeouf, qui travaillait comme mécanicien dans le malheureux train transcontinental, obéit à l’ordre du colonel de Leidenschaftlich s’étant manifesté comme une décharge électrique et poursuivit sa tâche en attendant le signal.

Mais qu’est-ce que ce signal pouvait bien être ? Même si on lui avait dit qu’il le saurait immédiatement lorsqu’il le verrait, qu’allait-il faire s’il le manquait accidentellement ?

Néanmoins, son inquiétude était inutile. Après tout, une occurrence censée débloquer la situation actuelle dans l’impasse l’attendait.

Une détonation qu’on ne put rater se fit entendre et les lumières de l’explosion se dispersèrent dans l’obscurité de la nuit. À un tel moment, une terrible catastrophe se produisait devant, dans le petit village de Ritorno.

Qu’est-ce que c’est ? Arrêtez-vous, arrêtez-vous ! Arrêt d’urgence !

La station était en feu.

* * *

À sept heures et cinquante minutes, un séduisant jeune homme aux cheveux blonds et aux yeux bleu ciel raccrochait le téléphone avec un « Je l’ai eu ». Sa tenue était légèrement dépareillée pour le petit lieu de rassemblement d’un hameau désolé.

Benedict, qu’a dit le président Hodgins ?

Demanda un homme équipé au visage dur, à la peau sombre et à la coiffure finement rasée en forme de crucifix, portant une chemise rayée et des épaulières.

Il va bientôt arriver. Il nous a donné trois consignes. Un : saccager très fortement la gare de ce hameau, pour que ce soit visible du train qui s’y dirige. Deux : aider les passagers et donc sauver V. Trois : supprimer ce groupe armé qui risque de résister. Un contrat a déjà été conclu, ce terrain appartient à notre société. Nous avons donc carte blanche pour le détruire. Tout le monde, allons sauver V !

Lux avait convoqué toute l’équipe de la compagnie postale au quartier général et avait proposé de prendre les armes. La réponse fut favorable, même un peu trop puisque tout le monde s’était mis à gambader bruyamment comme s’il s’agissait d’un festival.

Chacun d’entre eux avait un âge et une couleur de peau différents. C’étaient les gens que Hodgins avait rassemblés et décrits comme « tous des gens bizarres avec leurs propres circonstances ». Ceux qui furent appelés et qui se précipitèrent vers ce lieu de rassemblement étaient donc ces gens-là, les facteurs qui effectuaient des livraisons sur tout le continent.

Il était impensable qu’ils soient sur le point de participer à une opération de sauvetage dangereuse sur un ordre d’urgence de leur patron. Leur attitude était plus proche de celle d’ivrognes dans un bar. Contrairement à eux, une atmosphère funèbre planait sur les villageois de Ritorno. C’était légitime, après tout un étrange personnel de l’agence postale portant des armes les avait soudainement informés que la station de leur hameau allait être détruite.

Benedict se dirigea vers la femme la plus âgée du groupe, qui était assise sur une chaise.

Madame, nous allons faire un peu d’histoires. S’il y a des gens parmi les villageois qui peuvent soigner les blessés, je voudrais si possible les mettre à contribution.

Vous allez déjà me faire travailler ?

C’était une manière assez accusatrice de parler. Benedict fronça les sourcils.

Vous tous, vous avez été convaincus par les paroles de notre bon à rien de président et avez consenti à la vente, non ? N’êtes-vous pas bien lotis, puisque chaque personne de ce village va être employée par notre bureau ? Chère mamie, vous êtes aussi notre collègue alors bien sûr que nous allons vous faire travailler. Pas d’inquiétude, nous sommes réglo !

Avec le claquement de ses talons en forme de croix qui résonnait, il se plaça devant le chef du village, rapprochant brusquement son visage du sien.

En plus, on a fait ça en bonne et due forme, avec des négociations sur les prix. Le vieux… enfin le président traite les gens grossièrement, mais il chérit sa main d’œuvre. En ce moment, nous sommes en mouvement pour le bien d’une employée à laquelle il est très attaché. Il la considère comme sa fille et elle est un peu comme une petite sœur pour moi aussi. Nous la chérissons. Alors n’ayez pas peur !

C’est vrai. Le président récompense définitivement le travail acharné par un paiement et un soutien. L’industrie mettra un peu de temps à fonctionner ici, certes. Mais nous axerons notre priorité sur la vie des employés. 

Un autre facteur vint ainsi appuyer Benedict.

Vous allez donc vraiment le faire ?

En effet. Une fois que nous actons quelque chose, nous l’honorons. Et si nous sommes battus, nous recommençons. C’est la raison d’être de notre agence.

Et je vois que ça vous plaît bien…

Oh, que vois-je ? Vous faites une mine bien sévère.

Je suis une femme née et élevée dans les mines de charbon après tout ! 

Bien qu’un énorme incident soit sur le point de commencer, l’atmosphère qui les entourait était légère, et tout le monde marchait les uns après les autres vers la station dans une atmosphère quelque peu calme. Malgré leur opposition première à l’opération, la chef de village finit par fournir les explosifs de la mine de charbon qui n’étaient plus utilisés.

Mamie, je savais qu’on pouvait compter sur vous.

Benedict leva le pouce devant elle pour manifester sa gratitude. Cependant, il semblait que plusieurs personnes souffraient de traumatismes liés aux détonations, donc la plupart des villageois se contentèrent d’observer de loin. Les facteurs étaient ceux qui avaient installé les explosifs.

Je… Quand je suis né, la mine était déjà fermée, c’est la première fois que je vois une explosion !

Dit un enfant s’amusant dans le coin. Les enfants étaient les seuls spectateurs qui s’approchaient de la zone. Alors qu’il reculait, Benedict s’exprima.

Vous allez voir !

C’est génial, d’habitude j’ai un peu de mal à parler aux adultes !!

Ah bon ?

Avant ma naissance, il y a eu une explosion dans notre mine de charbon et elle brûle encore, paraît-il. Et on dit que beaucoup de gens en sont morts. Je n’ai jamais vu mes grands-parents, ils y sont morts tous les deux…

Hmm…

C’est le seul endroit qui n’est pas recouvert de neige pendant l’hiver. Il fait super chaud. Mais je ne peux pas trop m’en moquer quand je pense que mes grands-parents sont probablement là-bas. Le travail de mineur est vraiment nul, mais faut bien gagner sa vie. Pas vrai ?

Hélas.

Benedict posa une main sur la tête de l’enfant qui tentait de continuer à parler et lui ébouriffa les cheveux. Il regarda une dernière fois la chef du village, qui était assise sur une chaise que quelqu’un avait arrangée pour elle.

Les préparatifs sont-ils terminés ?

Oui. Et je m’excuse d’insister, mais votre président va vraiment nous dédommager pour cette affaire, n’est-ce pas… ? Je suis inquiète. Bien que cela sauve des vies… notre station n’est peut-être qu’un des points de passage du train, mais sa destruction ne fait peut-être pas les affaires de Leidenschaftlich.

Je vous ai dit de ne pas vous inquiéter, non ?

Bénédicte posa une main sur sa hanche, et après un bref instant, il se mit à rire de façon moqueuse. C’était probablement parce que la personne en question avait fait surface dans son esprit.

Il est incroyable. Quand il doit faire quelque chose, il le fait. C’est un homme bon. Alors soyez tous tranquilles !

Il dit ça de manière rassurante.

C’est vrai… ? J’ai vendu le hameau parce que survivre à cet hiver allait nous coûter très cher… Je veux que les enfants qui quittent cet endroit construisent eux aussi leur propre vie. Votre travail sera la goutte d’eau qui fera déborder le vase de cette faveur. Je pourrai probablement rencontrer votre président un jour, mais faites-lui part de ce que je vous dis là.

Assurément !

Je compte sur vous !

Un sourire apparut sur son visage couvert de rides. Il y avait sûrement des rides qu’elle avait acquises non pas simplement par la vieillesse, mais par de nombreuses épreuves.

Mamie…

Benedict leva le pouce.

…Vous êtes une femme des mines de charbon, non ? N’ayez pas peur d’un gros feu d’artifice. J’aime les femmes fortes !!

Les enfants ne devraient pas parler de façon aussi hautaine.

La chef du village se mit à rire. Peut-être à cause de l’excès de rire, des larmes se formèrent finement aux coins de ses yeux. Un peu plus tard, une étincelle scintilla sur la ligne de fusibles. La façon dont elle dansait au milieu de la nuit était comme un serpent de feu. À l’appel de Bénédict, tout le monde commença le compte à rebours.

Cinq, quatre, trois, deux, un !

La chaleur, le vent et les flammes déferlèrent et submergèrent les personnes présentes. Des rafales de chaleur et des ondes de choc éclatèrent, les femmes laissant échapper des cris. Le rail s’envola et le bâtiment de la gare s’effondra, couvert de flammes. C’était spectaculaire.

Pourtant, quel événement. Comme une fleur qui s’épanouit le soir, la destruction peut être vue comme quelque chose de beau. Habituées depuis longtemps aux explosions, les vieilles dames tapèrent dans leurs mains, les enfants pleurèrent, et le personnel du service postal applaudit en sifflant. Chacun reprit ensuite ses armes.

Il est peut-être tard pour dire ça, mais ça ne semble pas être un travail que les facteurs devraient faire.

Eh bien, c’est bien de temps en temps, non ? Compte tenu de ma précédente occupation, je ne refuserai jamais une demande du président, depuis qu’il m’a ramené à la décence.

Est-ce que nous sommes décents, cependant ? Au fait, allons-nous recevoir des primes pour avoir traversé ce danger ?

Il fait une chaleur étouffante. Ne devrions-nous pas éteindre ce feu avant la phase de sauvetage ? Benedict ? Hey, chef !!

Vous êtes tous bruyants. Ecoutez. Faites en sorte de ne pas vous tromper et de ne pas vous faire tirer dessus par l’armée. Pas de tirs accidentels, non plus. Les tirs alliés sont les plus fatals. Ne vous emportez pas et ne faites rien de dangereux. Aussi, mettez bien votre tissu rouge. Si l’un d’entre vous trouve V, prévenez-moi immédiatement. Elle va nous entendre pour nous avoir causé tant de problèmes. De toute façon, notre objectif principal est V !

On pouvait entendre le bruit du train au loin. Benedict hissa un tissu rouge autour de son bras.

Eh bien, après les feux d’artifice, vient le festival.

Ses armes à feu prêts, il se lécha les lèvres.

* * *

À huit heures vingt, les effets de l’explosion massive atteignirent également Violet et Gilbert.

Des lumières et des flammes s’élevaient comme des fleurs dans l’obscurité totale. Une partie du toit de la station, qui avait été soufflée, vola et frappa directement le dos du leader terroriste et de son subordonné. La gâchette fut pressée, mais la balle partit dans la mauvaise direction.

Comme les deux hommes n’étaient même pas préparés à se maintenir en place, avec des expressions de surprise, ils heurtèrent le châssis de la voiture et roulèrent. Violet tenta instantanément de leur tendre la main alors qu’ils traversaient son côté, mais ce bras était celui qui était endommagé.

Violet, ne me lâche pas !

Gilbert endura l’impact jusqu’à ce que le train s’arrête complètement tout en soutenant Violet. Il pouvait entendre les cris des passagers. Le train s’arrêta net, à deux doigts d’entrer en collision avec la gare.

D’un seul coup, des coups de feu se firent entendre. Un rideau de fumée s’échappa de l’avant du train. Les membres de la Force Offensive Spéciale de l’armée de Leidenschaftlich commencèrent à en prendre le contrôle en saisissant l’occasion, comme l’avait fait Gilbert. De plus, tout en évitant les obstacles dans la gare, non pas une, mais plusieurs motos arrivèrent vers le train.

Dire qu’ils sautaient était une étrange façon de parler, mais cela se produisait au sens littéral du terme. Ils venaient aussi bien seuls que par paires, mais il y avait une chose que tous avaient en commun.

Tous ceux qui veulent s’enfuir, venez ici !

Il s’agissait d’employés de la compagnie postale. Profitant de l’agitation, ils enfourchèrent les motos qui servaient normalement à distribuer les lettres et commencèrent à guider ceux qui tentaient de s’échapper en direction du petit village.

Parmi eux se trouvait un homme intrépide qui ripostait aux terroristes qui tiraient intensément à travers les vitres. C’était le collègue de Violet, Benedict. L’autre bataillon de la force offensive, qui servit de renfort aux secours, fit également son apparition.

Gilbert poussa un soupir en voyant le spectacle qui s’offrait à lui. Violet aussi. Il semblait que toutes les mesures prises pour protéger les passagers fonctionnaient parfaitement.

Les deux hommes furent stupéfaits par ce qui se produisait. Après tout, la scène était effroyablement fantaisiste. Des cendres, des étincelles et des éclairs de feu se dissipaient à travers le vent dans l’obscurité du ciel, dansant comme s’il pleuvait.

Gilbert enleva la ceinture avec le fourreau qu’il avait attachée autour de Violet. Il retira ensuite sa veste pour la mettre sur les épaules de cette dernière.

Violet.

Il semblait dangereux de descendre dans de telles conditions. La prochaine action que Gilbert devait entreprendre était de se frayer un chemin et de confier Violet à l’équipe de secours des facteurs. Il devait également retourner à la bataille et aider à réprimer le chaos.

Major.

Violet, écoute…

« Je vais te donner un coup de main, alors tu dois te lever », voilà ce qu’il s’apprêtait à dire, mais les mots ne purent sortir quand il la regarda. Les yeux de Violet vacillèrent. Les larmes qu’elle avait accumulées semblaient sur le point de déborder, malgré la situation dans laquelle ils se trouvaient.

Major…

Elle tenait fermement la zone de sa poitrine, où reposait sa broche. Gilbert Bougainvillea était juste devant ses yeux. Ce simple fait rendait le son de ses battements de cœur plus fort que sur le champ de bataille.

Je me battrai aussi. Vous êtes venus pour sauver les civils, non ?

Peut-être parce qu’elle s’était toujours conditionnée à être un outil, Violet essaya d’être utile à Gilbert même dans de telles circonstances.

Et tu en fais partie.

Je suis… l’outil… du major.

Tu n’es pas un outil. Je dois te protéger alors tu ne dois pas te battre. Ce devoir m’incombe en tant que colonel de l’armée de Leidenschaftlich, Gilbert Bougainvillea. C’est aussi le travail de mes subordonnés. Violet, je vais te mettre en sécurité désormais.

Le visage de Violet était celui de quelqu’un qui avait reçu un coup.

Colonel… Major… Colonel… Gil… bert.

Ça ne me dérange pas d’être appelé « Major ».

Ma… j… Gilbert…

Violet finit par cacher son visage avec sa main droite. Des larmes coulèrent dans les interstices de ses doigts. Elle était envahie par la tristesse.

Si… je ne suis pas un outil, pourquoi… avez-vous dit que vous ne me lâcheriez pas… ?

Le fait qu’on lui ait dit qu’il ne voulait pas la laisser partir l’avait rendue satisfaite. Cependant, être privée de sa propre raison d’être était douloureux. S’il s’était montré à elle une fois de plus, pourquoi ne lui aurait-il pas permis de redevenir un outil ? Du point de vue de Violet, elle était convaincue que sa valeur ne résidait que dans la violence.

Violet.

Alors qu’elle oscillait pour toujours entre l’outil et la personne, à ce moment-là, Gilbert tenta une fois de plus de transmettre quelque chose à la fille qui ne connaissait pas l’amour.

J’ai fait de ta vie un gâchis. Je t’ai laissé partir à la guerre. Je t’ai fait du mal. Je l’ai tellement regretté que j’ai pensé à me tuer. Pourtant, je savais que tu m’avais toujours cherché. Même si j’avais décidé de te protéger de loin, aujourd’hui, je n’ai pas pu me retenir et j’ai fini par venir. Je ne suis… pas le genre d’homme que tu crois. Ni un fabuleux maître ni un individu honorable. Je ne suis définitivement pas digne de toi.

Que son amour ne s’épuiserait pas, peu importe ce qu’elle était, où elle vivait ou même si elle était une idiote…

Pourtant, même maintenant, je t’aime en tant que personne. Pour moi, tu n’es pas un outil.

Même… si je… ne suis pas… un outil… ?

Je ne suis plus ton maître non plus, mais quoi qu’il en soit, je veux que tu me laisses rester à tes côtés.

Le silence était net.

Violet ?

Violet laissa passer quelque chose qui semblait lui brûler férocement la gorge. Ses larmes étaient torrentielles. Elles étaient la preuve de ses sentiments qu’elle n’avait laissé s’exprimer qu’un nombre de fois qui se comptait sur les doigts d’une main dans sa vie. La première fois qu’elle avait pleuré, c’était quand elle était une fille soldat. Elle était une jeune femme outil avec de beaux yeux bleus semblables à des pierres précieuses et des cils dorés.

Je…

Elle n’avait plus la même stature que lors de sa première rencontre avec Gilbert. Son apparence n’était pas non plus la même que lorsqu’elle s’était rendue sur les champs de bataille. Ses cheveux avaient poussé et elle était devenue la jeune femme gracieuse et digne qui se tenait maintenant devant lui. Avec la figure adulte de la fille qu’il avait aimée, comme l’existence dont il avait lâché la main, elle se tenait maintenant devant Gilbert.

Je…

Après quelques années, elle était enfin capable de transmettre ses sentiments.

Je n’avais pas compris au début… pourquoi le Major m’avait quitté, remis au couple Evergarden, et confié au président Hodgins. Ou la raison pour laquelle vous m’aviez dit de devenir libre. Je me suis simplement… demandée pendant tout ce temps pourquoi vous ne vous étiez pas débarrassé de moi, alors que je n’étais pas nécessaire. Je ne comprenais pas… vos sentiments, major. Même maintenant, alors que vous m’en avez fait part, je me surprends à penser que je suis bien meilleure en tant qu’outil. J… Je suis celle… qui n’est pas digne de vous, major… Mon existence est… comme une sorte de produit raté…un produit créé par erreur. C’est pourquoi les pensées des autres, aussi… Mais…

De grosses gouttes de larmes coulaient de ses yeux bleus. Elles coulèrent le long de son menton, se déversant sur sa broche en émeraude.

Je suis devenue capable de ressentir quelque chose. Avec cette nouvelle vie, que le major m’a accordée, ce n’était que petit à petit, mais je suis devenue capable de comprendre un tas d’émotions. La tristesse et la joie… la fierté, la peur, tout… ce que quelqu’un peut ressentir envers une autre personne… Je ne les considère pas comme miennes, cependant. Mais en écrivant au nom des autres, et à travers les gens que je rencontre, je peux les ressentir. Major, j’ai… progressivement… fini par comprendre… les choses que vous me disiez.

Les choses qu’il avait dites. Ces pensées qu’il lui avait confiées

« Si j’avais… fait plus pour toi quand tu étais plus jeune, je me demande si tu aurais été plus sensible à tout ça ».

« Même si… tu penses que… pour moi, tu es… ».

« Veux-tu mes ordres à ce point ? ».

« Pourquoi… considères-tu tout comme un ordre, quoi qu’il arrive ? ! Crois-tu… vraiment que je te considère comme un outil ? Si c’était le cas, je n’aurais pas tenu le petit toi dans mes bras ou fait en sorte que personne ne t’embête en grandissant ! Quoi qu’il en soit, tu ne réalises pas… ce que je ressens… pour toi. Normalement… n’importe qui devrait… sûrement comprendre. La raison pour laquelle je suis en colère et que je souffre, c’est toi. Et ça tu es incapable de le comprendre ».

« Tu n’as pas de sentiments ? Ce n’est pas ça, hein ? Ce n’est pas comme si tu n’en avais aucun. N’est-ce pas ? Si tu n’as pas de sentiments, alors qu’est-ce que cette expression ? Tu peux faire un visage comme ça, n’est-ce pas ? Tu as des sentiments. Tu as… un cœur comme le mien, non ? ».

« Aimer, c’est… vouloir… protéger quelqu’un coûte que coûte ! ».

« Tu es importante… et précieuse. Je ne veux pas que tu sois blessée. Je veux que tu sois heureuse. Je veux que tu sois bien. C’est pourquoi, Violet… tu devrais vivre et devenir libre. Échapper à l’armée et vivre ta vie. Tu iras bien même si je ne suis pas là. Violet, je t’aime. S’il te plaît, vis. ».

J’ai fini… par comprendre.

Avant qu’elle ne s’en rende compte, sa voix dérailla comme si elle se flétrissait. Son champ de vision devint également flou. Les larmes continuaient à couler des yeux bleus de Violet. Les lèvres qui disaient ne pas comprendre les sentiments trouvèrent d’autres mots,

Je comprends… ce « Je t’aime »… Dans une moindre mesure…

Elle ne comprenait pas encore tout. Néanmoins, sans rien nier, elle entendait le comprendre dès à présent. Le motif qui la poussait à faire de tels efforts était d’apprendre qu’elle était aimée de Gilbert Bougainvillea. La poitrine de Gilbert était serrée par les émotions qui l’envahissaient. Une fine pellicule de larmes se répandit dans ses yeux, mélange de chagrin et de plaisir.

Violet.

Gilbert tendit la main. Le bout de ses doigts s’arrêta à mi-chemin. Il avait soudainement eu peur de toucher son corps, chose qu’il n’avait pas eu le temps de ressentir un instant auparavant puisque, pour la protéger, il s’était accroché à elle avec un désespoir mortel. Allait-elle l’accepter ? Elle n’était plus l’outil de Gilbert. Elle n’était pas non plus une petite enfant. Il ne pouvait pas la toucher si facilement.

Violet Evergarden, un être vivant, la seule femme qu’il aimait au monde se tenait là. C’était la première fois que Gilbert aimait quelqu’un. Il ne connaissait pas les subtilités d’aimer et d’être aimé. En plein brouhaha du champ de bataille, quelque chose commençait enfin à naître. Gilbert était tellement fasciné par sa silhouette en pleurs qu’il ne pouvait pas s’en empêcher de la contempler.

Violet, je veux essuyer tes larmes.

À cette demande, Violet cacha encore plus son visage dans sa main. Elle n’aimait sûrement pas être vue en train de pleurer. Dans son propre raisonnement, elle redoutait la possibilité d’être détestée par l’homme en face d’elle par chacune de ses actions. Elle supposait instinctivement que, si l’amour était quelque chose de doux, il était aussi fragile.

Violet, s’il te plaît. Montre-moi ton visage. Peu importe la forme que tu prends, mes sentiments envers toi ne changeront pas.

Comme elle ne le regardait pas, Gilbert dit en riant timidement…

Tu vois, moi aussi je suis sur le point de pleurer.

En vérité, ses larmes coulaient déjà. Il n’avait pas réussi à se calmer. Il n’y avait pas moyen de les arrêter. Des larmes se formaient et tombaient. Tout comme ses sentiments pour elle, qui ne pouvaient être entravés.

Violet.

Le corps de Violet frissonna quand il appela son nom. Juste ça…

C’est bien si c’est petit à petit. Si tu… finis… par le comprendre, j’attendrai le temps qu’il faut. Petit à petit, c’est bien. Je ne vais pas… exiger une réponse immédiate. Jusqu’à ce que tu dises que tu comprennes…  Prends le temps qu’il te faut. Aujourd’hui, j’ai voulu te dire « je t’aime » encore une fois, mais ce n’est pas comme si j’avais désiré quelque chose de toi en retour.

Ses larmes finirent par couler une fois de plus.

Je… ne t’utiliserai plus, et je ne souhaite pas faire autre chose que donner. Si, un jour, tu penses avoir « compris », je veux que tu acceptes mon amour. Violet.

L’homme dit cela à la jeune fille en sanglots, qui tentait de supprimer ses larmes avec son bras artificiel

Je t’aime. Laisse-moi sécher tes larmes.

Celle qui se trouvait derrière le poignet qu’il a saisi et éloigné n’était pas une poupée de souvenirs automatiques taciturne, sans expression et vraiment machinale. Il s’agissait plutôt d’une enfant qui pleurait de joie et de peur après avoir reçu la forme d’amour la plus haute qui soit pour la première fois. Gilbert enlaça Violet, qui versait des larmes en tremblant, après avoir lentement caressé ses joues.

J’ai toujours voulu faire ça.

Il chuchota alors une nouvelle fois, pendant que d’autres larmes débordaient.

Violet, je t’aime.

* * *

« Poupée de souvenirs automatiques »

Cela faisait longtemps qu’un tel mot n’avait pas fait scandale. Le créateur était le chercheur dans le domaine des poupées mécaniques, le professeur Orland. Sa femme, Molly, était romancière et tout bascula lorsqu’elle perdit la Molly sombra dans une extrême déprime vu qu’elle ne pouvait plus s’adonner à sa passion, les romans. Écrire était le sens de sa vie, et elle s’affaiblissait de jour en jour.

Ne supportant pas de voir une telle chose, le professeur Orland avait construit la première poupée de souvenirs automatiques. Sa fonction était de traiter tout ce qui était dit à voix haute, ainsi qu’à écrire les mots prononcés par des voix humaines. Il s’agissait donc d’une machine remplissant le rôle d’écrivain public.

Même si l’objectif n’était que d’en faire une pour sa bien-aimée, il devint célèbre grâce au soutien d’un grand nombre de personnes. Actuellement, ces poupées sont vendues à un prix assez bas, et il existe même des modèles pouvant être loués.

Néanmoins, les écrivains publics travaillant au contact de personnes furent, par l’usage, commencés à être appelés « poupées de souvenirs automatiques » dans le monde entier. C’était une profession respectée par beaucoup depuis des temps immémoriaux.

Dans le milieu, il y avait une personne particulièrement célèbre.  Sa voix avait un timbre doux qui allait de pair avec sa beauté. C’était une poupée féminine aux cheveux dorés et aux yeux bleus. Son lieu de travail était la compagnie postale d’un somptueux pays du sud, Leidenschaftlich. C’était une entreprise notoire qui avait reçu des distinctions notamment pour ses services rendus à l’armée dans la cadre de la résolution d’un incident de détournement de train.

Le jeune président de cette compagnie avait même fait l’objet de reportages dans les journaux de l’époque, apportant des provisions et du matériel sur les lieux. Les facteurs avaient travaillé pour sauver les passagers.

Une femme brune d’une beauté impressionnante avait pleuré en serrant les blessés dans ses bras et en les enveloppant dans des couvertures. Plusieurs photos de l’entreprise furent publiées, mais ce n’est pas comme si elles avaient un lien quelconque avec sa popularité. Il était plus juste de dire que l’entreprise était célèbre, car « elle » en faisait partie.

Les timbres portant le nom de la fleur éponyme étaient les plus vendus parmi ceux produits par la compagnie. D’une personne à l’autre, les rumeurs à son sujet allaient dans tous les sens.

Quel genre de personne était-elle exactement, demandez-vous ? Les impressions de ceux qui l’ont rencontrée sont nombreuses. Certains disaient que sa voix était agréable. Certains disaient que son écriture était jolie. Certains disaient qu’elle avait sauvé leur cœur. Certains louaient ses charmes en affirmant qu’elle les avait ensorcelés.

Vous avez envie de faire appel à ses services ? Je vais vous dire comment l’engager. Si vous souhaitez la rencontrer, il vous suffit de passer un coup de fil. Si vous cherchez dans un annuaire téléphonique une société postale au nom de « Hodgins », vous devriez la trouver tout de suite.

Il est fort probable qu’une jeune femme à l’élocution encore enfantine, mais au ton formel entende immédiatement vos demandes au téléphone. Lorsque l’on vous demandera si vous avez une préférence pour une poupée, dites son nom. Il se peut que vous restiez sur la liste d’attente, mais cela en vaudra la chandelle ! Aussi longtemps qu’un client le souhaite, elle apparaîtra n’importe où et n’importe quand.

J’accours là où mon client le désire. Je suis du service de poupées de souvenirs automatiques, Violet Evergarden.

Elle n’était qu’une fille un peu étrange, finalement.


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