Dea Ex Machina
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Traduction : Raitei
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Aussi déjantée que puisse être Kimberly, les étudiants avaient inventé de nombreuses activités à la hauteur de cette folie. Le trail dans le labyrinthe en faisait partie. Comme son nom l’indiquait, les participants se mesuraient pour voir qui pouvait plonger dans le labyrinthe et en ressortir le plus rapidement possible. Réservée aux explorateurs chevronnés des classes supérieures, cette discipline attirait suffisamment de passionnés pour que des classements officiels des meilleurs temps soient établis. C’était une pratique périlleuse, testant à la fois la connaissance de la structure du labyrinthe, la capacité à maintenir une grande vitesse et l’aptitude à gérer les pièges ou les monstres rencontrés en chemin.
— Kya-ha-ha-ha-ha !
— Tch… !
— Hng— !
Pour poursuivre le vieux fou, Oliver et Nanao affrontaient une épreuve tout aussi intense. Le labyrinthe exigeait généralement de la prudence, parfois, un examen minutieux avant chaque pas. Mais cette fois, ils étaient contraints de foncer à travers la chose, improvisant face aux menaces et évaluant les situations au vol. La moindre erreur pouvait leur coûter un membre.
— Clypeus !
Le sort d’Oliver forma une couverture temporaire sur les dalles devant eux, empêchant un piège à pression de s’activer à leur passage. Une année d’expérience lui avait tout juste suffi pour réagir à temps. Mais malgré le temps gagné, ils ne rattrapaient toujours pas Enrico qui portait Pete sous son bras.
— Aaaah !
— Kya-ha-ha-ha ! Et ce n’est que le début ! Extruditor !
S’ils pouvaient empêcher un piège de s’activer, l’inverse était également vrai.
Le sort du vieil homme frappa une vaste portion du sol, et une série de pics jaillit vers le haut. Oliver fronça les sourcils. Trop loin pour sauter, et aucun d’eux n’avait de balai.
— On peut le faire, pas vrai, Nanao ?
— Bien sûr !
Un instant plus tard, sans même ralentir, ils se déportèrent vers les murs de chaque côté, courant sur des surfaces presque perpendiculaires au sol.
— Oh, vous avez maîtrisé la Marche Murale ? À votre âge ? s’exclama Enrico en jetant un coup d’œil en arrière. — Impressionnant ! Mais ce n’est pas fini ! Que dites-vous de ça ? Kya-ha-ha-ha-ha !
Cette fois, son sort frappa le plafond. Alors qu’il passait, celui-ci se fendit, et une masse énorme s’effondra dans le passage. La sphère était si grande qu’elle remplissait 80 % de l’espace et elle roulait droit sur eux. Ce fut le même golem sphérique qui avait semé la pagaille pendant leur cours.
— Nanao, fais fondre le sol ! somma Oliver.
Il n’y avait peut-être pas d’espace pour fuir, mais ils avaient déjà appris comment gérer cette créature : transformer le sol devant elle en bourbier. Avec leur puissance magique combinée, ils pouvaient y parvenir à temps. Mais ce ne fut pas le cas. Ignorant le plan d’Oliver, la fille aziane s’élança droit vers le golem sphérique.
— Nanao ?!
— Baisse-toi, Oliver !
Il obéit, la regardant attraper le golem sphérique à bras-le-corps. Elle abaissa son centre de gravité et glissa sous la masse, utilisant cet appui pour le projeter en arrière. Le golem passa au-dessus de la tête d’Oliver. Sous le bras d’Enrico, Pete regardait la scène, bouche bée.
— Elle l’a… balancé ?!
— Kya-ha-ha-ha ! Ton amie est incroyable ! Je n’ai jamais vu quelqu’un gérer ça de cette manière !
Le rire d’Enrico résonna. Oliver et Nanao reprirent leur poursuite, lui bouche bée tandis qu’elle roulait des épaules.
— L’art du lâcher-prise à la manière de Hibiya : Lancer de Sac. Ce golem manquait de poids pour m’écraser. Aïe !
Oliver lui donna un coup derrière la tête.
— Tu es folle ! cria-t-il. — Il devait y avoir une meilleure solution !
Nanao se contenta de lui sourire.
— Certainement ! Mais je déborde d’énergie !
Alors qu’ils couraient, le sort d’Enrico réarrangea les blocs du sol et des murs, formant un nouveau golem qui bloquait toute la largeur du passage. Face à cet obstacle, Nanao accéléra encore. Sans même dégainer sa lame, elle heurta le golem de son épaule, dispersant les blocs en cours d’assemblage et poursuivant son chemin. Oliver peinait à la suivre, abasourdi.
— Tu as détruit un golem avec une simple charge ?! hurla Enrico. — Kya-ha-ha-ha ! Tu m’épates ! Comment peux-tu avoir une telle circulation de mana à ton âge ?!
— …Ngh… !
Oliver serra les dents. Comme l’avait dit le vieux fou, cette manœuvre n’était possible que grâce à la singularité physique de Nanao. Tout comme le lancer du golem sphérique. Pour Oliver, il n’y avait aucun besoin d’accomplir de tels exploits physiques. Il pouvait facilement imaginer des méthodes plus intelligentes et moins risquées pour gérer ces situations, et Nanao le savait parfaitement.
Pourtant, elle avait choisi de foncer tête baissée. La raison était évidente : d’après ses paroles et l’éclat dans ses yeux, elle débordait littéralement d’énergie. Nanao avait passé une année à étudier à Kimberly, et sa magie réclamait une occasion de se déchaîner, un moyen de démontrer ce dont elle était capable.
— Excellent ! Passons à la vitesse supérieure ! Essayez de ne pas mourir, mes chers enfants !
Enrico leva haut sa baguette blanche, entonnant une incantation. Une seconde plus tard, une puissante vibration ébranla le sol sous leurs pieds. Les murs, le plafond, et chaque pierre environnante se mirent à bouger, à se réarranger. Le chemin tout entier changeait pour s’élargir.
— Mm ? Le passage se tord ? dit Nanao, les yeux écarquillés.
C’était comme si l’intérieur du labyrinthe devenait le ventre d’un serpent géant. Alors qu’ils tentaient d’éviter de se faire écraser par la pierre mouvante, Oliver serra les dents, comprenant ce qui se passait.
— Un golem-caverne ! Tout le couloir est une créature… !
En à peine plus d’une minute, la transformation était complète. Devant eux s’étendait un énorme tunnel de près de vingt mètres de diamètre, bien plus qu’un simple passage. Le plafond et les murs ne se distinguaient plus, et tout autour semblaient en mouvement.
À la manière des bourgeons qui s’éveillent au printemps, le paysage tout entier déployait une multitude de golems et de pièges, un peu partout où le regard pouvait se poser.
— …Ah !
Pendant que la plupart des étudiants se dirigeaient vers la cafétéria de la Confrérie pour le dîner, quatre élèves de première année étaient encore dans un salon. L’une d’entre eux, Teresa Carste, sursauta soudain, comme si elle venait de se réveiller.
— T-Teresa ? demanda Rita Appleton, assise à côté d’elle. — Qu’est-ce qui se passe ?
— …Rien, répondit Teresa en se frottant les yeux. J’ai dû m’évanouir une seconde d’ennui.
Dean Travers se retourna brusquement, baguette blanche en main. Il était en pleine observation d’un réservoir de boue.
— Oh ?! Désolé si on n’est pas assez divertissants pour toi !
— D-Dean, calme-toi, tenta Peter Cornish en essayant d’apaiser les tensions. — Je ne pense pas qu’elle voulait dire ça…
— Si, je le pensais, répondit Teresa, imperturbable. — C’est objectivement ennuyeux. Pourquoi est-ce qu’on est là, déjà ?
Dean semblait prêt à exploser et Peter dut le retenir physiquement.
— Bon Teresa, ne dis pas ça, dit-il. — On a tous les deux vraiment du mal avec la magie de solidification. Tiens encore un peu, qu’on y arrive.
— Je vous ai déjà expliqué comment faire. Où est le problème ? C’est une magie élémentaire de durcissement. Vous avez de la boue molle, vous la rendez solide. C’est tout.
— Rrgh… !
Dean se recroquevilla, grognant. Il était le seul à ne pas réussir ce sort, et n’était donc pas en position de répliquer. Se sentant mal pour lui, Rita tapa dans ses mains, comme pour changer d’atmosphère.
— Prenons une grande inspiration. Teresa a raison : il faut comprendre ce qui te bloque. Dean, tu visualises ça comment ?
— Euh… comme si la boue faisait « bwaaaam » puis « ka-chunk »…
— Ça ne veut rien dire, répliqua Teresa. — Essaie d’utiliser des mots d’adultes.
— Je ne suis pas stupide !
— Euh, Dean est plutôt du genre intuitif…
Teresa ne cherchait pas forcément à provoquer, mais Dean s’énervait facilement, ce qui les empêchait d’avancer. Alors que Rita et Peter semblaient totalement découragés, deux autres élèves les rejoignirent.
— Ha-ha, quelle énergie ! Qu’est-ce qui se passe ?
Ils se retournèrent tous et virent deux étudiants de deuxième année qu’ils avaient rencontrés à la soirée de bienvenue.
— Mr. Greenwood, Miss Aalto… B-bonjour !
— Hi-hi, bonjour. On vous a vus galérer, alors on est venus. Pratique de sorts ?
Katie jeta un coup d’œil à la baguette dans la main de Dean, puis au réservoir de boue.
— N-non, répondit-il, l’air fuyant, ne voulant pas admettre son problème. Ce n’est rien…
— Ce n’est pas rien, Dean. Heu, on galère avec les sorts de durcissement, expliqua Peter, bien conscient que Katie et Guy avaient déjà deviné. Il leur expliqua le problème.
— Mm-hmm. Je vois, dit Guy. —Dean.
— O-Ouais ?
— Détends-toi, mec ! Je te promets qu’on n’est pas non plus des élèves modèles.
Il lui tapa sur l’épaule. Guy avait un vrai don pour détendre l’atmosphère et rendre les gens plus à l’aise.
— Mais ce que tu as dit m’a donné une idée : je crois que tu confonds ça avec la magie de congélation.
— …Ah bon ?
— C’est comme tu le visualises. La façon dont tu le décris, on dirait que tu essaies de congeler la boue. J’ai fait la même erreur, donc…
Dean cligna des yeux plusieurs fois, puis regarda le réservoir.
— C’est… pas la bonne chose ? murmura-t-il.
— Pas du tout. Congeler de la boue te donne juste de la boue dure. Mais avec la magie de durcissement, il faut penser à faire des rochers. Donc tu dois imaginer extraire l’eau. Garde ça en tête et réessaie.
Guy donna une tape dans le dos de Dean. Avec ce conseil en tête, le jeune garçon se retourna vers le réservoir. Il passa une minute à visualiser l’image mentale, puis agita sa baguette en incantant le sort. La boue dans le réservoir s’éleva, laissant une flaque d’eau derrière elle.
— Hé, tu as réussi, dit Guy en souriant. — C’était bien mieux. Tu vois ? T’as du talent.
— C-C’est toujours pas ça.
— Mais si. Tu as fait exactement ce que je t’ai dit et retiré l’eau.
Guy pointa le réservoir, mais Dean semblait confus.
— Tu as fait de la terre sèche à partir de boue humide, expliqua Katie. Maintenant, tu dois apprendre à la rendre plus semblable à de la pierre. Autrement dit, tu divises le concept en étapes. Chaque fois que tu étudies un nouveau sort, ce genre de décomposition peut vraiment aider.
— Un de nos amis nous a dit : « Si tu y vas étape par étape, tu peux apprendre n’importe quel sort de ton manuel. » Et ça nous a vraiment aidés à suivre le rythme en cours.
Ils avaient l’air fiers, et les plus jeunes prirent cela comme un signe de leur confiance en cet ami. Voyant Dean les bras croisés, pensif, Guy passa son bras autour de ses épaules.
— Écoute, reste avec nous encore quinze minutes. Peter, toi aussi. Et tous ceux qui ont des résultats mitigés. Un autre conseil de cet ami : « La clé de la magie, c’est de visualiser le résultat. Si ton concept est flou, ça te hantera. »
Il jeta un coup d’œil à Rita et Teresa. Un court silence s’ensuivit, puis Rita leva la main.
— …Euh… je peux me joindre à vous ?
— Mm ? Rita, sérieusement ? T’avais pas de problèmes en cours pourtant…
— J-j’en avais un figure-toi ! C’était affreux ! Des pierres toutes moches qui me donnaient envie de pleurer !
— Urgh…
Plus Rita était dure envers elle-même, plus cela blessait Dean, qui n’avait même pas réussi cette étape. Guy sourit et commença à les guider.
Pendant que Katie observait d’un pas en retrait, la dernière première année s’approcha d’elle.
— On dirait que Guy gère… Ça ira pour toi, Miss Carste ?
— …Je n’étais pas si bloquée, dit Teresa, légèrement grognon
Le sourire de Katie ne vacilla pas une seconde.
— Oh, comme tu es douée ! Bonne fille !
Sa gentillesse rendit Teresa mal à l’aise, mais elle était venue pour poser une question.
— …Comment as-tu su ?
— Mm ?
— …Qu’est-ce qui les bloquait. Je n’arrivais pas à comprendre, dit Teresa.
Cela la préoccupait. Elle n’avait pas essayé d’agacer Dean plus tôt. Elle ne savait juste pas quoi dire d’autre. Katie croisa les bras, réfléchissant à cette question.
— Plein de raisons possibles, mais… je dirais que le plus important, c’est d’écouter attentivement. Regarde-les bien, note bien leur situation et ce qu’ils ressentent.
— …Même si on n’est pas intéressé par eux ?
— Ce n’est pas ton cas ? demanda Katie, clignant des yeux.
Teresa hocha simplement la tête. Katie grimaça un peu suite à son honnêteté.
— En fait, il ne faut pas non plus être dans le rejet, dit Katie doucement. Vous venez à peine de vous rencontrer. Tu ne les connais pas encore vraiment, pas vrai ?
— …
— Moi, je trouve ça amusant de me retrouver avec des personnes que je ne connais pas et d’apprendre à les comprendre.
Katie lui adressa un grand sourire. Teresa avait du mal à y croire, mais… Katie n’était clairement pas en train de mentir ou de débiter des banalités. Troublée, Teresa détourna les yeux… et vit Dean s’exercer. Il avait pris à cœur le conseil de Guy et essayait pour la énième fois. Rita et Peter firent un tonnerre applaudissements.
— Waouh, tu l’as fait ! — Génial ! Dean, tu y es arrivé !
— Oh supeeeer !
Dean leva les bras, rugissant, puis attrapa le réservoir à deux mains pour le porter devant Teresa. Un petit pic rocheux trônait en son centre, et il le lui tendit avec enthousiasme.
— Regarde, Teresa ! J’ai réussi !
— …Heu, félicitations ?
— Mr. Greenwood m’a montré l’astuce ! La prochaine fois, j’y arriverai avant !
— Ah. Bravo à toi.
Clairement, elle n’y mettait pas du cœur. Elle ne comprenait pas pourquoi il lui racontait tout ça. Frustré par son manque d’intérêt, Dean s’apprêtait à dire autre chose, mais Peter et Rita l’attrapèrent chacun par un bras pour le trainer ailleurs. Katie observa la scène en riant, puis se pencha avant de murmurer :
— On dirait qu’il s’intéresse à toi.
— …Il est bruyant, agaçant et gênant, soupira Teresa.
Elle pensait chaque mot, mais en même temps, elle s’était demandé pourquoi il le collait tout le temps. Ça expliquerait beaucoup de choses.
Sans surprise, la poursuite d’Enrico Forghieri fut interminable.
— …Hah…hah…hah ! — Haaah… !
Des golems rampant au sol comme des araignées bondissaient sur des jambes puissantes comme des sauterelles, ou filaient dans les airs avec six ailes à grande vitesse.
Les nouveautés s’enchainaient, comme si l’on faisait étalage de tous les types de mini-golems. Oliver et Nanao repoussaient ces attaques tout en poursuivant le vieil homme depuis une bonne vingtaine de minutes, sans fin en vue.
— Pas une seconde pour reprendre notre souffle ! Tu tiens le coup, Nanao ?
— Naturellement ! Je suis toujours en un seul morceau !
Son ton était enjoué et rassurant, mais Oliver savait bien que cela pesait sur eux. Perdre leur endurance, puiser dans leurs réserves de mana, un moment d’inattention et c’était la mort. Et ces trois ressources diminuaient chaque seconde. Combien de temps allaient-ils encore tenir ? Oliver calculait tout cela dans un coin de son esprit. Puis, juste devant lui, sans avertissement, le mur du golem caverneux explosa vers l’intérieur.
— ????!
Les débris du mur furent suivis par une salve de flammes. Oliver et Nanao s’arrêtèrent net, suffisamment pour éviter les brûlures. Quelques secondes plus tard, le feu s’éteignit, et un homme apparut, écrasant des blocs carbonisés sous ses bottes. Reconnaissant sa taille et son visage sévère, Oliver s’exclama :
— Mm ? Oh, c’est vous ?! Je me disais qu’il y avait du grabuge derrière ce mur !
Alvin Godfrey, élève de sixième année à Kimberly, président du conseil des élèves, plus connu sous le nom de Purgatory. Il posa les yeux sur Oliver et Nanao, puis analysa rapidement les alentours.
— C’est le golem caverneux du prof. Enrico. Qu’est-ce qui se passe ?
— Il a pris Pete avec lui et on le poursuit ! Pas le temps pour les détails… !
— Ça me suffit. En poursuite de profs, je m’y connais.
Sans un mot de plus, Godfrey regarda au loin dans le tunnel.
Il vit la silhouette d’Enrico s’éloigner, suivi d’une horde de golems jaillissant des murs, encerclant le trio. Pouvaient-ils s’en sortir ? Pas du tout sûr, Oliver leva son athamé.
— Vous êtes en deuxième année, et c’est clairement excessif. Laissez-moi faire.
Godfrey avança devant Oliver, pointant son propre athamé droit devant lui. Tous les golems dans cette direction vacillèrent.
— IGNIS !
Et ils furent tous vaporisés dans une sorte d’enfer. Des flammes jaillirent, engloutissant les golems, brûlant les pièges, se précipitant dans la caverne comme un barrage qui cédait. Malgré leur avance, Enrico et Pete n’étaient pas tout à fait hors de portée, et une rafale d’air chaud leur souffla au visage. Pete hurla.
— Aughhhhh ?!
— Kya-ha-ha-ha-ha-ha-ha ! Ça doit être Mr. Godfrey ! Nous avons donc un invité surprise !
Avec les flammes à ses trousses, le vieux fou éclata de rire comme si cela ne faisait qu’ajouter à son excitation. Tandis qu’il s’éloignait, Godfrey dit :
— Je vous ouvre un chemin. Courez !
Il mit ses paroles à exécution, et ils lui emboitèrent le pas. La carrure imposante du président était rassurante, mais Oliver s’en voulait.
— Désolé, dit-il. — On a décliné ton invitation, et maintenant…
— Ha-ha, pas la peine de culpabiliser ! Je suis le président du conseil des élèves ! Mon boulot, c’est d’être là pour tout le monde.
Godfrey rit de bon cœur ; il était visiblement un homme de parole. Oliver ressentit une nouvelle vague de culpabilité, mais se demanda aussi comment il faisait pour rester aussi imperturbable dans cette folie. Inconscient des pensées d’Oliver, Godfrey se concentra entièrement sur les golems devant eux. Trois rampants quadrupèdes, chacun de la taille d’un warg, et un gros golem de la taille d’un troll avec deux bras massifs.
La distance et l’angle empêchaient une attaque enflammée, donc Oliver supposa que lui et Nanao devraient gérer les trois petits ennemis. Mais il eut rapidement tort. Godfrey plongea directement au centre des golems.
— Un conseil, ne combattez pas comme moi.
Et sur ces mots, il donna un coup de pied à un petit golem. Sa patte se brisa comme une brindille, la pointe de la griffe transperçant le corps principal. La force du coup projeta le golem contre un deuxième petit golem, puis écrasa les deux contre le mur. Oliver ne put s’empêcher de laisser échapper un léger halètement. Ils étaient petits, mais faisaient bien soixante-quinze kilos chacun. Purgatory les avait traités comme de vulgaires cailloux.
Godfrey tourna déjà sur lui-même, écrasant le dernier petit golem. Pendant ce temps, le golem de la taille d’un troll posa ses longues pattes avant au sol, se lançant à pleine vitesse sur ses quatre membres. « Augmenter le nombre de jambes » était un principe éprouvé pour les grands golems, une méthode fiable pour compenser la lenteur inhérente à leur masse. Et cette chose pesait suffisamment pour écraser un homme.
— Haaaaaaaaah !
Godfrey se glissa entre les pattes avant, plantant son talon dans le torse exposé du golem. Un bruit de métal se déformant se fit entendre et le golem s’éleva dans les airs, incapable d’agir. Sa taille et son poids étaient ses plus grandes armes et sa conception ne prévoyait pas de combat en l’air.
— IMPETUS !
Avant que le golem ne puisse retomber, Godfrey lança un sort, l’achevant. Le premier coup de pied avait déjà fissuré la structure, et maintenant un vent d’une force cyclonique le réduisit en morceaux. Regardant les fragments pleuvoir autour de lui, Oliver fronça les sourcils. Comment pouvait-il même espérer imiter cela ?
— Ne traînez pas ! Poursuivez-le !
Godfrey courait déjà. Oliver et Nanao retrouvèrent leurs esprits et reprirent leur foulée. Mais devant eux, un nouveau changement était déjà en cours.
Alors qu’Enrico passait, des pans entiers du tunnel s’effondrèrent avec d’énormes cloisons métalliques bloquant tout passage.
— Kya-ha-ha-ha-ha-ha ! Elles sont ignifugées ! Trois murs de feu ! Ils devraient même vous poser problème, Mr. Godfrey !
La voix du vieil homme résonnait au-delà des cloisons. Oliver déglutit. Les portes se fermaient plus vite qu’ils ne couraient. Et pendant qu’ils les traverseraient, Pete allait finir hors de leur portée.
— Désolé, mais il vous en faudrait cinq, Professeur Enrico.
Mais le jeune mage avec eux prouva bientôt qu’Oliver n’avait pas lieu de s’inquiéter. Godfrey leva son athamé comme s’il faisait face à de simples panneaux de contreplaqué.
— CALIDI IGNIS !
Comme une lance de feu intense, son sort transperça les trois portes. Le métal fondit, rougi, perforé à la base des barrières ignifugées de la grotte, laissant des trous suffisamment larges pour que plusieurs personnes puissent passer. Tandis que le trio courait vers les ouvertures, Oliver ne pouvait plus dissimuler son choc. Ces portes avaient clairement été conçues pour résister au feu. Mais le mage nommé Alvin Godfrey les avait traversées d’un seul sort en double incantation toutes les trois à la fois ! Peu de temps après avoir franchi les murs de feu, les parois rondes de la grotte laissèrent place à un passage carré ordinaire, et là, Godfrey se retourna.
— Nous avons atteint la fin du golem caverneux, dit-il. Vous pouvez gérer la suite. Je vous souhaite bonne chance.
Oliver hocha la tête, puis ajouta :
— Je te revaudrai ça.
Le président du Conseil des élèves leva une main en guise de réponse et repartit en sens inverse dans la grotte. À peine avait-il franchi les portes qu’un bruit sourd retentit, et la zone trembla. Une fois de plus, il avait probablement percé son chemin à travers les murs du golem. Alors qu’ils reprenaient leur poursuite, Nanao s’exprima.
— Oliver, sa manière de combattre…
— C’est d’un autre niveau. Inutile de se comparer à lui pour l’instant.
Il frissonna. Ce n’était pas la première fois qu’il voyait quelqu’un qui le dépassait largement. Mais Salvadori et Rivermoore étaient avant tout étranges et déroutants. Godfrey, lui, ne l’était pas ; les sorts et techniques qu’il utilisait étaient faciles à comprendre. Ils étaient juste extraordinairement puissants. Si simples et écrasants qu’il n’y avait rien à faire contre eux.
— On le décevra si on les perd de vue maintenant. Allons-y !
— Oui !
Ils se précipitèrent tandis qu’Oliver s’efforçait de chasser les pensées que les flammes de Godfrey avaient gravées dans son esprit. Mieux valait simplement se réjouir qu’il soit de leur côté. Pour l’instant…
Alors qu’ils avançaient dans le passage, leur environnement passa de pierres anciennes à des murs et plafonds lisses, dotés d’une élasticité sinistre. Oliver supposa qu’il s’agissait d’un alliage magique, mais ses propriétés restaient un mystère pour lui. Peut-être que les connaissances de Pete dans ce domaine surpassaient déjà les siennes.
— …Quel est ce bruit… ?
Un son inquiétant, peut-être une vibration, résonnait depuis les profondeurs du couloir. En contrebas, mais puissant, comme le battement régulier d’un énorme tambour. Incapable d’en déterminer l’origine, Oliver se tendit.
— Vous avez réussi ! Mr. Godfrey vous a peut-être donné un coup de main, mais tout de même, bravo !
Et alors qu’ils sortaient de la fin du passage étrange pour pénétrer dans un espace caverneux, Enrico les attendait, applaudissant. Pete était face contre terre à côté de lui. Les lampes de cristal éclairaient peu, et les coins de la pièce étaient plongés dans l’obscurité. Résistant à l’envie de courir vers leur ami, Oliver et Nanao s’approchèrent du vieux savant fou, prudents quant à leur environnement.
— Comme promis, je vais vous permettre de nous rejoindre. Prenez un bonbon et observez !
Il sortit deux sucettes de sa poche et les lança. Tous deux les prirent plus par obligation et les glissèrent dans leurs robes. Alors qu’Oliver s’approchait, il entendit Pete vomir.
— Blarghhhhh ! — Pete… !
Gardant un œil fixe sur le vieux fou, Oliver s’approcha de son ami, lui frottant le dos. Son état n’était pas une surprise. Enrico l’avait entraîné à une vitesse encore plus grande que celle qu’Oliver et Nanao pouvaient gérer, sur un terrain très accidenté. Leur poursuite avait peut-être aggravé les choses, mais il allait devoir se faire pardonner plus tard.
— Ce n’est pas le moment de se détendre en vomissant, Mr. Reston ! Si vous poursuivez la voie de la sorcellerie, c’est le moment d’absorber tout ce que vos yeux peuvent voir.
Enrico exhiba un sourire éclatant. Tandis qu’il parlait, plusieurs lampes de cristal s’allumèrent, illuminant l’espace derrière lui. Et ce qui s’y trouvait était si grand qu’Oliver se prépara immédiatement au combat.
— Observez ! Ce n’est pas encore terminé, mais voici ce qui sera mon chef-d’œuvre : la Dea Ex Machina !
D’innombrables tubes sortant du mur maintenaient en place un géant silencieux. Plus qu’un géant. Avant même d’estimer ses dimensions, de là où ils se tenaient, il était impossible d’en voir la totalité. Oliver l’évalua à au moins quinze mètres de large et facilement quarante-cinq mètres de haut. Clairement impossible à classer dans les trois tailles standards des golems.
Il pouvait voir qu’il avait une forme humanoïde, mais incomplète, dépourvue de tout ce qui se trouvait en dessous de la taille. Cela signifiait que la version complète allait faire au moins deux fois cette taille.
Le torse était plus fin que les épaules ne le laissaient supposer, mais il y avait un renflement au niveau de la poitrine, rendant clair que cette forme était féminine. Les traits du visage pouvaient être décrits comme équilibrés et légèrement enfantins ; les yeux semblaient prêts à s’ouvrir.
Des épaules vers le bas, il était recouvert d’une armure somptueuse semblable à une robe, et bien que cela défiait l’imagination, la brillance distinctive suggérait que la surface était entièrement recouverte d’adamant. Les bras, fixés contre les murs de chaque côté, étaient longs et gracieux, détaillés jusqu’au bout des doigts élancés. Pourtant, ces mains magnifiquement sculptées pouvaient facilement broyer un homme à mort. Comme un enfant innocent arrachant les pattes d’un insecte.
— …Un golem humanoïde géant… ? demanda Oliver, les yeux fixés sur l’immense construction.
Enrico se tourna vers lui.
— Vous avez des questions ? Allez-y, Mr. Horn. Vous avez mérité ce droit.
Ce professeur imposait des défis cruels à ses élèves, mais il adorait leur initiative. C’était un instructeur pour le meilleur ou pour le pire. Choisissant ses mots avec soin, Oliver profita de l’occasion.
— « Le premier rêve de tous, le premier à être abandonné. » En architecture magique, j’ai entendu dire que cela désignait les golems humanoïdes géants.
— En effet.
— Peu importe comment on les construit, ils sont inutiles. Premièrement, où trouve-t-on les réserves de mana nécessaires pour déplacer une telle masse ? Deuxièmement, même si on les obtient, à quoi peut servir quelque chose d’aussi inefficace ?
— Précisément, répondit Enrico, visiblement ravi par les questions.
Il se tourna vers le golem derrière lui.
— Il y a plusieurs problèmes ici, tous imbriqués. Permettez-moi de les expliquer un par un. Mr. Reston, comme prérequis, pourquoi les golems n’ont-ils pas remplacé les trolls ou gobelins dans le domaine du travail manuel ?
Pete redressa son corps affaibli, conscient que la question lui était adressée. Oliver hésita à l’aider, mais se ravisa. Les yeux de Pete brillaient encore d’une lumière vive.
— …La polyvalence, la gestion facile, l’autonomie et le coût de fabrication. Les golems ont beaucoup de défauts comparés aux demi-humains, mais le plus important est leur inefficacité énergétique, répondit Pete. — Un golem consomme cinq fois plus de mana qu’un troll de même masse. Et comme ils ne sont pas vivants, les golems ne peuvent pas générer leur propre mana. En conséquence, même en prenant en compte les problèmes spécifiques aux vivants, nourritures, déchets, logements, utiliser des golems coûte bien plus cher que d’engager des demi-humains.
— Exactement ! Un seul kobold est une œuvre d’art créée par la nature, à la fois en chair et en esprit. Aucun système de reproduction mécanique du mana ne peut égaler l’efficacité opérationnelle du plus insignifiant des êtres magiques.
Oliver acquiesça. La révolution industrielle magique avait changé beaucoup de choses, mais d’un point de vue coût-efficacité, les golems restaient inférieurs. Ou plutôt—comme l’expliquait Enrico, les êtres vivants étaient tout simplement trop performants. Aucun mage n’avait encore réussi à construire une machine qui s’en approchait.
— Et cela ne représente que la moitié des raisons pour lesquelles la taille maximale des golems réalisés est restée constante. La densité de particules magiques s’est amenuisée par rapport aux temps anciens, empêchant même les béhémoths de survivre en dehors de certaines régions très spécifiques. Si même les vivants rencontrent ces restrictions, un golem de cette taille aurait du mal à remuer un doigt. Autrement dit, les golems surdimensionnés ne peuvent être d’aucune utilité pratique tant que leur efficacité énergétique n’atteint pas celle des béhémoths.
Son exposé des problèmes apparemment insurmontables terminé, le savant fou se tourna vers ses élèves.
— J’ai donc adopté une nouvelle approche. Connaissez-vous l’étymologie du mot golem, Mr. Reston ?
Encore une devinette. Les questions étaient toutes destinées à Pete. Clairement, ce vieux fou attendait beaucoup de lui. Le garçon aux lunettes appréciait cette attention et mobilisa sa vaste connaissance pour répondre.
— « Un réceptacle pour l’âme créé par Dieu. » J’ai entendu dire qu’à l’origine, cela désignait tous les êtres vivants, humains compris. Suivant cette logique, les mages ont commencé à fabriquer leurs golems.
Le sourire d’Enrico devint nettement plus sinistre.
— Exactement. Selon le sens originel, les golems et les êtres vivants sont une seule et même chose ! En ce sens, nos propres corps ne sont que des golems vivants, transportant le poids que nous appelons une âme.
Puis il ajouta :
— Voyez-vous où je veux en venir ? Après tout, vous trois avez démonté mon golem liquide.
À ces mots, une idée surgit dans l’esprit d’Oliver, sans qu’il l’ait cherché. Ce bruit étrange résonnant dans ses oreilles depuis leur entrée dans le passage d’approche. Comme le battement rythmique d’un très grand tambour. Mais à la lumière de ce qu’il venait d’entendre, il était plus probable que…
— Vous voulez dire… qu’il est vivant ?
Il se pencha en arrière, observant le visage haut perché, certain qu’il entendait le battement de cœur du golem. Quelques secondes plus tard, Pete comprit à son tour, le visage blême. Enrico étendit les bras avec délectation.
— Un golem vivant ! s’écria-t-il. Le concept existait en termes théoriques, mais plusieurs barrières techniques empêchaient son développement. Il m’appartient donc d’achever le premier !
— Comme vous le dites, c’est un golem fabriqué à partir de chair vivante ! L’extérieur est peut-être recouvert de métaux magiques, mais l’intérieur est entièrement constitué de chair et de sang ! Récoltés de nombreuses créatures différentes, cultivés, développés et connectés !
— Naturellement, ce n’est pas seulement l’accomplissement de l’architecture magique. J’ai dû croiser la chose avec la biologie magique et bien d’autres disciplines, obtenant l’aide de chercheurs de premier plan dans chaque domaine. Heureusement, je travaille à Kimberly, le seul endroit au monde où cela peut être fait aussi facilement.
Oliver savait bien que les membres du corps enseignant ici étaient tous des sommités dans leurs domaines, soutenus par des installations de pointe et des budgets très généreux. Mais surtout, les recherches menées à Kimberly étaient largement libres de toute ingérence extérieure. Dans l’esprit d’Oliver, c’était plus terrifiant que réjouissant, mais cela signifiait qu’une vaste gamme d’informations précieuses était concentrée ici.
— …Évidemment, un résultat qui fera date dans l’Histoire, dit Oliver, cherchant à afficher un enthousiasme minimal. — Mais si le but est de rendre les golems géants pratiques, vous n’êtes encore qu’au point de départ. Vous avez tenté de résoudre le problème de la génération énorme de mana en fabriquant une créature vivante tout aussi massive, mais cette méthode a des limites évidentes. Même si vous parvenez à créer un milieu magique d’une capacité bien supérieure à ceux existants actuellement, le moment où vous dépassez une certaine taille, tout s’effondre. Et si cela ne suffisait pas, de nos jours, les béhémoths ne peuvent fonctionner que dans des environnements exceptionnellement riches en mana. Même si vous avez égalé leur efficacité énergétique, la même limitation s’applique à ce golem vivant. Et si cela ne peut fonctionner que sous ces conditions limitées, ce n’est en rien pratique.
Au lieu de le flatter, Oliver choisit d’énumérer les défauts évidents. Il était sûr que cela plairait davantage à Enrico. En effet, le fou acquiesça joyeusement.
— Absolument. Ainsi, j’ai eu besoin d’une autre étape peu orthodoxe.
Son regard se tourna alors vers la fille silencieuse à côté d’Oliver.
— …Miss Hibiya ! Quels sont les supports de mana standard utilisés pour propulser les golems ?
— Je ne sais pas.
La réponse sèche de Nanao tomba comme un couperet, et les épaules du vieux fou s’affaissèrent.
— …Je sais que ce domaine n’attire guère votre attention, mais il fait partie de l’enseignement basique des mages. Essayez de vous en souvenir, Miss Hibiya.
— Hm, très bien.
Nanao afficha son visage le plus attentif. Se reprenant, Enrico se tourna vers Pete, qui répondit à sa place.
— Jade, opale et améthyste. Chacun imprégné de mana.
— Merci, Mr. Reston. Ce sont en effet les trois pierres généralement utilisées. Et aucune d’entre elles ne peut servir de cœur pour un golem géant. L’améthyste est la plus coûteuse et peut stocker le plus de mana, mais sa capacité reste insuffisante. Si je tentais d’en faire une source d’énergie, le réservoir serait plusieurs fois plus grand que le golem lui-même.
Enrico poursuivit :
— Ce qu’il me fallait, c’était un nouveau réservoir. Une révolution en matière d’efficacité de stockage énergétique. Tout le monde suit ?
Il leva sa baguette blanche bien haut.
— Comme l’a suggéré Mr. Horn, préparer simplement un récipient bionique ne résout rien. Il faut le combiner à autre chose. PATENTIBUS !
Le sort mit les murs en mouvement. Des fissures apparurent à intervalles réguliers, des doubles portes glissèrent, dévoilant des cages. Derrière les barreaux de fer se trouvaient des créatures humanoïdes, principalement des kobolds et des gobelins, les yeux remplis de terreur.
— …Des d-demis… ? » Pete haleta. — Il y en a tellement…
Les trois étudiants ne pouvaient détacher leurs yeux de cette vision. Rapidement, le bruissement des vêtements et les bruits de respiration furent remplacés par des cris.
— À l’aide !
— S’il vous plaît, laissez-nous sortir !
Ils se tournèrent vers les voix et réalisèrent que ce n’étaient pas tous des demis. Il y avait aussi quelques humains, traités comme les autres, vêtus de haillons, agrippant désespérément les barreaux en suppliant qu’on les libère.
— …
Nanao avança d’un pas, prête à courir vers eux, mais avant qu’elle ne puisse bouger davantage, un choc puissant la traversa.
— Gah !
— Nanao ?!
Elle s’effondra, de la fumée s’échappant de sa bouche. Oliver courut vers elle, essayant furieusement de comprendre. Enrico n’avait récité aucun sort, et Nanao était bien hors de portée de toute magie spatiale. Il n’y avait aucun golem ni familier en vue. Pourtant, elle avait été frappée avec une force suffisante pour la mettre à terre. Oliver n’avait aucune idée de la situation.
— Oh, très chère Miss Hibiya. Je vous ai seulement permis d’observer. Je ne tolérerai pas une seule interférence avec mon laboratoire. Pire encore…
Le ton d’Enrico devint réprobateur.
— Dès que vous avez vu cela, vous avez voulu les sauver, n’est-ce pas ?
Enroulant ses bras autour de Nanao, Oliver déglutit face à l’intensité de la voix de l’instructeur.
— C’était une décision bien imprudente. Indigne d’un mage. La quête de la sorcellerie se situe en dehors des limites de la moralité. Je ne peux accepter l’inclusion frivole de telles préoccupations profanes. Et vous n’êtes même pas une activiste pour les droits civiques, n’est-ce pas ? Ne perturbez pas les recherches d’un homme sur un simple coup de tête.
Mais une fois le sermon terminé, son sourire revint.
— J’ai connu un mage ! Un véritable trésor. Non lié par la sorcellerie, ignorant l’éthique. Une sorcière qui proclamait que seuls ses sentiments comptaient, et elle ne permettait à rien de les ébranler.
Le cœur d’Oliver faillit bondir hors de sa poitrine. Cette description ne pouvait correspondre qu’à une seule personne. Cet homme voyait également sa mère en Nanao. Tout comme lui.
— Vous me la rappelez. Pas physiquement, mais par la nature de votre âme, dit Enrico. — Et pour cette seule raison, juste cette fois, je vous épargnerai toute pénalité supplémentaire.
Nanao était inconsciente et n’entendit rien de cela, mais Enrico avait déjà tourné son attention vers sa déesse mécanique.
— Il se peut que quelques humains soient mélangés au carburant que j’ai préparé, mais ne vous inquiétez pas ! Ce sont tous des criminels. Revenons à nos moutons, voulez-vous ?
Enrico pivota.
— Qu’est-ce qu’un carburant supérieur ? Pour les gens ordinaires, ce pourrait être du bois sec, du charbon soigneusement brûlé, ou peut-être de l’huile pure. Mais rien de tout cela ne suffirait pour alimenter un golem géant. Le ratio énergie-volume est bien trop limité. Et nous, mages ? Cela varie selon les individus, mais notre énergie par volume est bien supérieure à tout carburant conventionnel. Regardez simplement la production de Mr. Godfrey ! Dans les plus hauts cercles de la sorcellerie, l’énergie n’est absolument pas contrainte par le volume physique.
Oliver comprenait cela.Godfrey et les mages de son acabit avaient une production de mana incroyable. Et la source de cela était tout aussi claire.
— Alors où cette énergie immense est-elle stockée ? Dans le corps éthérique. Chaque être vivant est composé de trois éléments, la chair, le corps éthérique et l’âme. Vos réserves de mana se trouvent dans l’éther. Une accumulation immatérielle de magie potentielle. Puisqu’elle est intangible, elle n’est pas limitée par votre volume physique !
Il continua son explication, enthousiaste.
— Encore une fois, toutes les créatures magiques, pas seulement les mages, ont une vaste réserve de mana stockée dans leur corps éthérique. J’espère que je vous ai permis de saisir ce concept.
Oliver n’avait rien dit, mais Pete hocha la tête.
— Excellent, dit Enrico avec un sourire. Alors utilisons-les.
Il claqua des doigts.
Les cages devinrent un spectacle horrible. Chaque mur s’ouvrit, et d’énormes engrenages apparurent, broyant les prisonniers à l’intérieur. Oliver écarquilla les yeux tandis que le visage de Pete devint livide.
— D’abord, débarrassons-nous de ces obstacles charnels. Nous n’avons besoin que des corps éthériques, dit Enrico. — La clé ici est de produire autant de peur et de douleur que possible avant leur mort. Nous allons utiliser leur éther pour alimenter un golem géant pour avoir idéalement leur éther imprégné de ressentiment. Nous voulons qu’ils perdurent ici et non le perdre à un moment d’inattention.
Il poursuivit.
— Vous savez combien de vies sont perdues chaque année dans la guerre contre les Gnostiques ?
Il avait un calme glacial, totalement dépourvu de son habituelle exubérance.
— Tellement. Un nombre incalculable. De précieux talents, gaspillés, dont la perte est une tragédie. Imaginez ce qu’ils auraient pu accomplir s’ils avaient simplement survécu…
Son regard s’était perdu, fixé ailleurs. Oliver se souvenait alors que cet homme, aussi fou soit-il, avait lui aussi servi en première ligne lors des chasses aux Gnostiques.
— Les pertes les plus lourdes surviennent lorsque les prières des hérétiques se réalisent, invoquant les dieux des Tírs dans notre monde. Quand cela arrive, nous n’avons pas le choix. Nous devons tout sacrifier, jeter les mages dans la bataille comme de vulgaires outils éphémères. Durant mon temps sur le terrain, j’ai vécu trois de ces incidents. Et l’impuissance, la douleur que j’ai ressenties ne m’ont jamais quitté.
Il s’interrompit, se tournant vers les trois étudiants. Il n’avait jamais paru aussi grave.
— La vie ne doit jamais être gaspillée. Je suis sûr que vous êtes d’accord.
Ces mots furent prononcés par un homme qui venait tout juste de broyer un nombre incalculable de personnes. L’ironie était insupportable. Pourtant, ils permirent à Oliver d’entrevoir fugacement ses intentions. Ce qui avait mené le mage nommé Enrico Forghieri à cette invention cauchemardesque.
— …Alors vous commencez par utiliser les vies des demis et des criminels… ? demanda Oliver, cherchant confirmation.
Dans la folie de cet homme, ce massacre n’avait pas été un gaspillage. Il parlerait sans doute avec fierté, insistant sur le fait qu’il avait fait un usage efficace de la ressource précieuse que sont les vies humaines. Sans ressentir la moindre culpabilité, comme tout bon mage.
— Considérer les vies de moindre valeur comme consommables est totalement juste. Mais dans ce cas précis, vous n’y êtes pas encore. Les vies que je souhaite exploiter sont celles des Gnostiques eux-mêmes.
Un sourire d’une malveillance extrême se dessina sur son visage. Un frisson glacial parcourut l’échine d’Oliver.
— À chaque incident impliquant des Gnostiques, nous arrêtons d’innombrables croyants. Les demis et humains emprisonnés ici ne sont qu’une fraction de ceux-là. Pour prévenir de nouvelles calamités et stopper la propagation de leur foi, il est d’usage de les incinérer rapidement. Mais ainsi, peut-on vraiment dire qu’ils ont payé pour leurs crimes ? Bien sûr que non. Cette fin n’est en rien à la hauteur des atrocités qu’ils ont infligées au monde. Nous devrions et pouvons en tirer meilleur parti. Les forcer à combattre leurs propres dieux !
Il parlait d’armes de guerre, alimentées par les vies des responsables. C’était le concept central de cette déesse mécanique. Sans jamais douter du caractère révolutionnaire de son travail, la voix d’Enrico monta encore d’un ton.
— C’est dans ce but que j’ai créé ce golem ! Quoi de plus magnifique ? Grâce à lui, même la vie d’un misérable kobold devient une ressource précieuse au service de la lutte contre les Tírs ! Les vies des Gnostiques utilisées pour déjouer leurs dieux fantasmagoriques ! C’est parfait ! L’énergie verte ultimeeeeeeeeeeeeee !
Son cri résonna dans la salle. Pendant tout ce temps, la Dea Ex Machina s’efforçait de l’atteindre. Commandée par la malédiction en son sein, la déesse tentait désespérément de broyer l’homme fou qui se tenait devant elle.
— Oh, cela suffit. Je voulais juste prouver que tu pouvais bouger. NUTRIENTIBUS !
Un simple sort draina toute son énergie, et le géant s’immobilisa. Le silence emplit la salle. Oliver et Pete n’avaient rien à dire et Enrico se tourna vers eux.
— Alors, Mr. Reston ? Est-ce que cela a été stimulant ?
— …Euh… Ah…
— Sans voix ! Kya-ha-ha-ha-ha-ha-ha !
Face à des visions au-delà de l’entendement humain, les mots manquaient. Pete, issu d’un foyer ordinaire, venait de vivre l’expérience la plus extrême de sa vie. Oliver passa silencieusement ses bras autour de lui, tentant de l’apaiser. Et l’homme fou prit cela comme un signe.
— Très bien ! Disons que cela suffit pour aujourd’hui. Ramenez-les tous les deux à votre dortoir, Mr. Horn. Le golem ne vous posera pas de problème en chemin. Et Miss Hibiya devrait bientôt se réveiller.
— …
Oliver n’avait aucune intention de rester plus longtemps. Il attrapa la main de Pete, chargea Nanao sur son épaule, et quitta l’atelier. La voix de l’homme fou résonna derrière lui alors qu’il s’éloignait.
— Votre surprotection ne sert à rien ! Mr. Reston a déjà tout vu. Le reste est son combat qu’il mène vers l’acceptation ou le rejet.
Oliver serra les dents. Il tourna son regard vers Pete à ses côtés. Ce qu’il vit, ce furent des yeux embués de larmes, incapables de traiter la réalité de ce qu’ils venaient de voir.
— …Allons-y, Pete, murmura-t-il.
C’était le moins qu’il puisse dire. Les émotions allaient forcément finir par se calmer. Le cœur humain était fait ainsi. Mais une fois cela fait, à quel point Pete Reston allait changer ? Cette crainte tourmentait l’esprit d’Oliver.